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zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 4 | printemps 2009 Gratuit



zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 4 | printemps 2009 Gratuit

Édition : Association Zéroquatre et 02 Directeur de la publication / rédacteur en chef : Patrice Joly Rédacteur en chef adjoint : Nicolas Garait Comité de rédaction : Hauviette Béthemont, Marie de Brugerolle, Nicolas Garait, Jill Gasparina, Patrice Joly, Florence Meyssonnier, Georges Rey, Stéphane Sauzedde, Caroline Soyez-Petithomme Rédacteurs : Cyrille Bret, Marie-Cécile Burnichon, Gallien Déjean, Violaine Digonnet, Nicolas Garait, Patrice Joly, Lélia Martin-Lirot, Florence Meyssonnier, Pedro Morais, Hugo Pernet, Eva Prouteau, Stéphane Sauzedde, Cédric Schönwald, Caroline Soyez-Petithomme, Pierre Tillet, Aurélie Veyrot Design graphique : Claire Moreux & Olivier Huz Impression : Imprimerie de Champagne, Langres Comité partenaires : • Institut d’art contemporain, Villeurbanne • École nationale des beaux-arts de Lyon • Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole • Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon Remerciements : Le Gentil Garçon, Pascal Poulain, Alicia Treppoz-Vielle, Daniela Franck, nos soutiens, partenaires et annonceurs

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Expression corporelle Le Gentil Garçon par Eva Prouteau

p. 6

Vertu publique, vice privé La collection du Musée d’art moderne de Saint-Étienne par Nicolas Garait

p. 8

Les hors-champs éloquents de Pascal Poulain Portrait par Marie-Cécile Burnichon

p. 11

Camille Laurelli au milieu des arbres Profil par Stéphane Sauzedde

p. 12

Détruire, disent-ils Analyse par Patrice Joly

p. 16

Hermès en coyote Le chemin heuristique de Michel Giroud par Cyrille Bret

p. 18

Radically n’importe quoi Exposition au Musée d’art contemporain de Lyon par Pierre Tillet

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À(venir) Sélection d’expositions dans la région

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Expositions Laurent Montaron à l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne Yann Géraud à La Salle de bains, Lyon David Altmejd au Magasin, Grenoble Cécile Bart & Michel Verjux à la galerie Verney-Carron, Lyon Cédric Alby à La BF15, Lyon Paul Raguenes à la galerie José Martinez, Lyon 1945-1949 – Repartir à zéro au Musée des beaux-arts, Lyon Lyon Septembre de la photographie dans divers lieux, Lyon Wilfrid Almendra à la MLIS, Villeurbanne Stéphane Braconnier à la galerie Olivier Houg, Lyon Antony Gormley au Musée d’art moderne, Saint-Étienne Sans titre et Exposition de Noël, Grenoble L’exposition continue à Circuit et à 1 m3, Lausanne Out of Office à Eurorégion Alpes-Méditerranée, Bruxelles Sylvie Fleury au Mamco, Genève

p. 32

Lectures

04 est un supplément de 02 nº49, printemps 2009 édité par Zoo Galerie 4 rue de la Distillerie, 44000 Nantes www.zerodeux.fr • patricejoly@wanadoo.fr En couverture : Pascal Poulain La Bataille du donjon, 2008 (extrait de la suite de 12 photographies « Le Grand parc ») Photographie contrecollée sur Dibond 60 x 74 cm Courtesy de l’artiste 04 bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes


Le Gentil Garçon Idiothèque, 2008 Acier, bois, polystyrène extrudé, peinture 230 × 375 × 250 cm Réalisée dans le parc du château d’O à Montpellier pour l’exposition La Dégelée Rabelais Production FRAC Languedoc-Roussillon © D.R. Collection privée

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artiste

Expression corporelle Le Gentil Garçon

Le Gentil Garçon Auto-sculpture, 2001 72 kg de pâte à modeler, prothèses oculaires © D.R. Collection privée

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eva prouteau **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

On peut toujours s’interroger sur ce qui pousse un individu à s’exprimer sous un nom d’emprunt. Dans le milieu musical, on ne le fait que rarement tellement la tradition semble établie : banals le Johnny Hallyday, la Sœur Sourire ou le Prince (lequel n’a pas eu à chercher très loin puisqu’il s’appelle à l’origine Prince Roger Nelson). Dans le domaine de la bande dessinée indépendante et de l’illustration, la pratique s’avère encore fréquente, on aime à se réinventer. Mais dans l’art contemporain, les artistes à pseudos ne courent vraiment pas les rues. Le Gentil Garçon, donc… Nom hypergénérique, adjectif tellement aimable qu’il en devient péjoratif et article dit « de notoriété », désignant un être remarquable. Le Gentil Garçon revendique ainsi les troubles de son identité commune et singulière, charmante et bête, immature. Prêche-t-il la culture de la différence, de l’anti-star-system et de la dérision ? Il signe certes par ce geste identitaire un « pas de côté », par rapport au mythe du créateur, au marché et à la starification qui y règne. Mais surtout, à l’instar des Residents, de Présence Panchounette ou de Pierre la Police, Le Gentil Garçon affiche sa goguenardise : le sérieux qui plombe parfois le milieu de l’art, lèvres pincées et snobisme affleurant, ne passera pas par lui. Une manière aussi de circonscrire son destin alambiqué. Nulle appartenance au sérail : il n’a pas fait ses classes classiquement, les mathématiques d’abord puis les arts appliqués, un peu de peinture… Il comprend qu’il se fourvoie dans le châssis et la cimaise et tente quelques performances, masqué d’une tête de playmobil géant, agissant dès lors sous l’appellation Le Gentil Garçon. Bingo : sous couvert de cette nouvelle identité transversale, il s’engage dans le monde de l’art contemporain.

À considérer aujourd’hui dix années de création, il est tentant de plaquer un dessein très maîtrisé sur l’œuvre, en oubliant le caractère intuitif de son évolution. Le Gentil Garçon claironne pourtant qu’il passe d’un projet à l’autre en « capitalisant son ignorance »1 pour se surprendre lui-même. Son désir de non-signature formaliste, allié à une curiosité à la fois enfantine et scientifique, le conduit sans relâche à suivre l’impulsion du nouveau défi. Comment ça marche ? Comment relier l’idée, la technique, la forme et son symbole ? À quel moment choisir d’arrêter d’apprendre pour inventer l’inconnu ? Toutes ces questions s’incarnent dans une production essentiellement axée sur la sculpture et l’installation, où une grande attention est portée au faire, au craft. Quelques obsessions iconographiques reviennent à la charge, dont une pourrait servir de fil conducteur dans l’œuvre : la figuration du corps. Chez Le Gentil Garçon, les apparences sont souvent faciles, familières, même si leur côté populaire cache des pièges. La figuration du corps permet cela, l’impact visuel dans l’imaginaire collectif. Et elle peut générer moult approches structurelles inattendues, parfois complexes. Belle entrée en matière, Auto-sculpture est composée du poids de l’artiste en pâte à modeler, un tas maladroit dans lequel sont fichées deux prothèses oculaires, répliques exactes des yeux de l’artiste : entre quantification mathématique et grossièreté formelle, précision et dissolution, primiti-

visme et high-tech, l’autoportrait empêche toute approche perceptive univoque du réel. Ailleurs, l’artiste invente l’autoportrait de sa mémoire en la corporéifiant : le projet L’homme de Mnémosyne 2 montre sous une vitrine digne d’un muséum d’histoire naturelle les restes d’un squelette humain composé uniquement des os dont Le Gentil Garçon se rappelle le nom et l’emplacement. D’autres espèces feront les frais de ce strip-tease jusqu’à l’os, de cette fascination pour l’intimité mécanique des corps : le triceratops et le chien (« À partir d’un seul os, l’artiste archéologue imagine l’animal en entier […] Il faut 4000 os pour édifier un dinosaure, 200 pour un chien » 3), mais ici l’os a ludiquement rejoint sa forme stylisée, cartoonesque. Méthode inversée dans les sculptures Pac-man et Pac-man (Advanced) 4 : là, c’est la créature virtuelle qui accouche d’un squelette scientifiquement crédible. Le Gentil Garçon extrapole en effet l’os crânien de la petite boule jaune des jeux vidéo, qu’il customise avec l’aide d’un paléontologue en y adjoignant les mutations osseuses caractéristiques d’un régime alimentaire basé sur le Pac-gum. Jolie pirouette évolutionniste. Le Gentil Garçon caresse donc les chimères, greffe les registres antinomiques comme s’ils étaient des génotypes, fantasmant la matière dans une atmosphère de battle game boy-attitude versus expertise scientifique. Ces variations sur l’alchimie des corps trouvent leur prolongement dans l’étude du bonhomme



Le Gentil Garçon

Le Gentil Garçon

Le Gentil Garçon

La Grande Décomposition, 2008 Installation in situ de 1200 m2, polystyrène, vidéo Production Le Lieu Unique, Nantes © Stéphane Bellanger

Ceratopidoïde, 2005 Os en plastique, colle thermofusible 750 × 300 × 200 cm © D.R. Collection Guangdong Museum of Art

Take the Painting and Run, 2006 136 répliques du cri de Munch peintes de mémoire, caméra de surveillance, alarme © D.R. Exposition à l’espace Kugler, Genève

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de neige, représentation grotesque, archétypale et anthropomorphe qui accompagne Le Gentil Garçon depuis 2006. L’artiste semble beaucoup apprécier les expériences schizoïdes sur sculpture hivernale : la dernière en date fit son apparition dans La Grande Décomposition, exposition présentée au Lieu Unique à Nantes. Au sein du zootrope géant que recrée l’installation in situ, un bonhomme de neige décliné 21 fois fond pour laisser apparaître sa boîte crânienne, réplique hyperréaliste de l’os humain. Les enjeux demeurent dialectiques : grotesque / sophistication, mollesse / ossification, carpe diem / memento mori… Cette réflexion sur la forme dans la forme resurgit donc, soit en écho soit en disjonction. À l’intérieur de l’immense usine à gâteaux que fut Le Lieu Unique, Le Gentil Garçon taylorise l’espace pour installer une factory de rêve, où le bureau du créateur se compose et se décompose dans un mouvement circulaire infini. L’ensemble nourrit un film d’animation image par image projeté dans l’exposition ainsi que l’édition d’un flip book : deux nouvelles approches séquentielles de cet espacetemps onirique. Dans le projet actuellement conçu par l’artiste pour l’exposition La Force de l’Art, ce modèle de pensée gigogne s’incarne à nouveau dans la matière neige. À fond dans le flocon, Le Gentil Garçon a modélisé de multiples cristaux, fasciné par la beauté et la complexité fractale de ces sculptures naturelles. Il choisit alors d’ériger un gigantesque dôme hexagonal, dont la forme est celle d’un flocon de neige dont les six branches auraient été pliées pour servir de colonnes à l’édifice. Cette architecture arbore des parois ajourées de découpes… en forme de flocons. Comme dans un Meccano géant où chaque pièce serait unique, ces découpes s’emboîtent les

unes dans les autres pour former une seconde architecture abritée par le dôme : un igloo aux contours irréguliers. Au centre de cet igloo se dresse un bonhomme de neige, lui-même né d’un nouvel assemblage de ces cristaux agrandis à l’échelle humaine. De la rigueur naît le chaos, et la géométrie parfaite accouche d’un avatar humain grossièrement ébauché. Ce type de mise en abyme formelle nécessite sans nul doute une certaine naïveté du regard. À l’œil nu, Le Gentil Garçon contemple l’informe manteau neigeux gommant toute précision dans le paysage, s’étonne du « squelette » microscopique délicatement dessiné qui hante chaque flocon puis pousse la curiosité jusqu’à étudier les automates cellulaires qui peuvent modéliser la croissance des cristaux de neige. Cette capacité à reparcourir les chemins de la connaissance le conduit à citer parfois certains grands découvreurs auxquels il rend hommage en s’amusant : Léonard de Vinci et Jules Verne, Étienne-Jules Marey, Houdini ou encore Newton. Ce dernier prête son nom à une sculpture présentée au Château des Adhémar en 2007 5 : un socle de béton percé de deux yeux supporte deux jambes dressées vers le ciel, collées sur une planche de skate elle-même surmontée d’un gros ballon rouge… Démiurge adolescent, Le Gentil Garçon invente une planète Terre bubble-gum pour une gravité plus fun, empilant la chute de skate sur la chute des corps. Le corps ausculté, passé aux rayons x, réarticulé ou mis en abyme, le corps à la renverse, le corps réinventé : ces hiatus et recombinaisons physiques n’en finissent pas de prolonger joyeusement les tentatives rationnelles (scientifiques, techniques) pour circonscrire un objet de curiosité qui éternellement se

dérobe. Avec sa sculpture Idiothèque, Le Gentil Garçon interroge plus largement la limite de toute connaissance, la vanité de tout savoir. La façade d’une bibliothèque monumentale expose ses rayonnages remplis de livres monochromes de taille identique, impeccablement rangés, qui pourtant s’échappent anarchiquement à l’arrière du meuble pour s’arrêter en lignes brisées, comme stoppées en plein élan par les mots de L’Ecclésiaste : Tout n’est que vanité et poursuite du vent… Pourtant, s’il existe une forme de désespérance incurable dans l’œuvre du Gentil Garçon, elle se dissimule plutôt dans les éclats d’un rire ou d’une installation-performance façon Take the Painting and Run : l’artiste clone une centaine de fois Le Cri de Munch, puis invite le public à voler ces copies accrochées dans une respectable galerie. Ayant habillé d’un sourire le corps le plus pathétique de la peinture expressionniste, Le Gentil Garçon court toujours. Notes : 1. Conversation entre Julien Amouroux et LGG, extrait du catalogue Singuliers, Guangdong Museum of Art, 2005. 2. L’homme de Mnémosyne, 2003, résine, vitrine, 200 x 80 x 150 cm. 3. Le Gentil Garçon, « Du point de vue de l’œuvre », texte extrait du catalogue Le Futur est derrière nous car on ne le voit pas venir, Les Requins marteaux, 2007. 4. Pac-man, 2002, plâtre, Ø 35 cm et Pac-man (Advanced) 2004, résine, Ø 65 cm. Collections privées. 5. Newton, 2007, polystyrène extrudé, peinture, bois, vêtements, skateboard, caoutchouc, 180 x 180 x 360 cm.

Plus belle la vie Espace à vendre, Nice du 13 mars au 16 mai 2009 La Force de l’art Grand Palais, Paris, du 24 avril au 1er juin 2009


dossier les collections d’art contemporain en rhône-alpes

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nicolas garait **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Riche de 15 000 œuvres, la collection du Musée d’art moderne de Saint-Étienne est issue d’une longue histoire. Comme d’autres musées en Rhône-Alpes ou ailleurs, la personnalité des conservateurs successifs du Musée d’art moderne de Saint-Étienne aura littéralement façonné la collection actuelle. Après un premier fonds municipal créé dès 1833, les acquisitions de ce qui deviendra le Musée d’art et d’industrie en 1890 se concentrent d’abord sur les salons locaux et poussent les premiers responsables à des acquisitions pour le moins hasardeuses, qui donnent au socle historique de la collection un aspect bancal. Il faut ainsi attendre le milieu du xxe siècle pour que les hasards des donations et des acquisitions donnent lieu à l’entrée dans la collection de Pot, verre et orange, un Picasso de 1944, qui symbolise à lui seul l’entrée du Musée dans la modernité. Matisse offre quant à lui la même année un fusain et plusieurs éditions originales de ses livres d’artistes, et le recrutement de Maurice Allemand en 1947 voit les collections du Musée évoluer rapidement. Avec un budget pourtant réduit, celui-ci rompt avec les pratiques locales et parvient à mettre en place une véritable politique d’achats raisonnés. Dons et dépôts de l’État, entrées dans la collection de pièces importantes signées Calder, Zadkine ou Vasarely permettent au Musée de Saint-Étienne, avec celui de Grenoble, d’être l’un des seuls musées de province à se consacrer concrètement au meilleur de l’art de son époque. L’arrivée de Bernard Ceysson dès 1967 modifie une fois encore le Musée et le porte à une dimension nouvelle. La Figuration Narrative puis Supports / Surfaces bénéficient les premiers, dès le début des années 1970,

Vertu publique, vice privé Le Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole d’achats conséquents qui forment dès lors un des piliers de la collection. Ces ensembles sont complétés par des achats uniques en France d’œuvres issues du Pop Art, de l’art minimal et de l’abstraction formaliste américaine (Franck Stella, Donald Judd, Sol LeWitt mais aussi Yves Klein ou Andy Warhol). En parallèle, une politique d’expositions ambitieuses donnent le ton et permettent un enrichissement supplémentaire des collections : Nouvelle Peinture en France : pratiques, théories en 1973, Après le Classicisme en 1980, Mythe, Drame, Tragédie en 1982. Le socle historique de la collection est par ailleurs peu à peu « réparé » par le biais d’acquisitions comme par exemple en 1983 la Composition aux trois femmes de Fernand Léger (1927) ou différents dépôts du Musée national d’art moderne. Des ensembles de Soulages ou Dubuffet sont peu à peu constitués, permettant de compléter les ensembles déjà existants des années 1950, et des œuvres importantes du début du siècle (Picabia, Schwitters, Magnelli, Hélio…) viennent enrichir la collection historique. Pierre d’angle du Musée actuel, l’inauguration en 1987 du nouveau bâtiment conçu par Didier Guichard permet une plus grande étendue de la collection, rythmée par des expositions qui feront date : L’Art en Europe, les années décisives : 1945-1953 en 1988, L’Écriture griffée en 1990 ou encore Support-Surface en 1991. Mais la collection reste dans les esprits comme celle des années 1960-1980, bénéficiant de pièces historiques d’une très grande richesse avec des ensembles consacrés à l’art minimal, à l’art conceptuel, à l’Arte Povera ou à Supports / Surfaces. Avec l’arrivée de Lorand Hegyi en 2003, le Musée se tourne résolument vers l’Europe centrale et orientale (aquisitions d’œuvres de Karel Malich, Zdenek Sykora, Tamas Hencze…) et renforce sa collection par l’achat de quelques grands noms (Gilbert & George, Guiseppe Penone, Jan Fabre…).

Avec le design comme fer de lance de la politique de rénovation urbaine initiée très tôt par la municipalité stéphanoise en mémoire du passé industriel de la ville, la collection s’enrichit par ailleurs de nombreux items. Le design est vu dans son développement tout entier, aussi bien avec des objets de masse (la yaourtière Seb, la brosse à dents Starck…) que des pièces uniques de Charles et Ray Eames ou Charlotte Perriand. La Bulle six coques de Maneval fait ainsi son entrée dans la collection, tout comme des ensembles complets tels la chambre de Leleu pour le sanatorium Martel de Janville, la chambre d’étudiant conçue par Le Corbusier et Perriand ou des pièces essentielles de Saarinen ou Platner. Plutôt que d’une collection, il faudrait désormais parler de « collections », imbriquées les unes dans les autres à partir d’une nomenclature chronologico-stylistique divisée en trois catégories : peintures / sculptures /installations, photographies et design, qui forment à présent les trois composantes de la collection du Musée d’art moderne et sont régulièrement enrichies selon le principe muséographique de constitutions de noyaux durs à partir de différents mouvements historiques.

D’un Siècle à l’autre – La Collection du Musée d’art moderne de Saint-Étienne, Paris : Skira, 2007.


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Carte blanche à John M Armleder Collection du Musée du 15 novembre 2008 au 25 janvier 2009 dans le cadre de la Biennale internationale de Design de Saint-Étienne Ellsworth Kelly Two Panels: Blue-Yellow, 1970 Acrylique sur toile George Nelson Fauteuil MAA, 1958 Collections du Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole © Yves Bresson, Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole Roy Lichtenstein Entablature, 1975 Magma et peinture métallique sur toile © Adagp, Paris Bruno Mathsson Chaise longue, vers 1935 François Morellet 3200 carrés, 1957 Huile sur toile © Adagp, Paris Charlotte Perriand Bibliothèque double face pour la Maison du Mexique, 1953 © Adagp, Paris

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Pascal Poulain Fog, 2009 Photographie contrecollée sur Dibond 140 × 170 cm Courtesy de l’artiste

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artiste

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marie-cécile burnichon **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Il y a des œuvres dont le destin est parfois contrarié par la fortune d’une exposition. La fermeture provisoire du Centre d’art de Saint-Fons et, par conséquent, l’annulation de l’exposition monographique de Pascal Poulain prévue ce printemps, nous privent, au moins temporairement, de deux précieux territoires de l’art 1. Ainsi, son œuvre intitulée La Carte, une représentation de l’Europe qui relie, sur 26 mètres, les côtes portugaises aux confins de l’Afghanistan et de la Géorgie, se trouve brutalement en exil. Au sein de son travail, qu’il qualifie volontiers de « fabrication d’images », cette pièce s’inscrit dans la catégorie des dispositifs iconiques qui requalifient et mettent en tension le lieu d’exposition. La Carte constitue en outre un hommage à l’espace dans un esprit cher à Georges Perec 2, avec un procédé de réalisation qui neutralise toute référence topographique. Elle a en effet pour matière les noms de villes et de villages d’Europe, prélevés et organisés en une grille selon leur latitude et leur longitude. Par ce nivellement, Paris redevient simplement une des 36 000 communes de France et l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural » est transformée en une matière textuelle continue, où le passage d’un pays à l’autre se signale par la langue 3. Si La Carte propose la transformation d’un espace réel en un territoire poétique (qui reste néanmoins politique), Pascal Poulain s’intéresse, dans ses dernières séries photographiques, à d’autres lieux, pour les relations qu’ils entretiennent avec le simulacre et l’artifice. À Dubaï, « pastiche hallucinatoire du nec plus ultra en matière de gigantisme et de mauvais goût 4 » et au Puy du Fou, destination touristique n°1 en Vendée pour ses animations historico-culturelles, sa prise de vue se fait sur un mode opératoire identique. Demeurant en périphérie du spectaculaire, elle évite toute référence locale immédiatement discernable et montre le hors-champ, ce qui n’a pas été conçu pour être vu, débusquant ainsi les failles des systèmes. De Dubaï, devenue en quelques années le deuxième plus grand chantier au monde après Shanghai, l’artiste révèle ce que la ville-champignon veut dissimuler à tout prix,

Les hors-champs éloquents de Pascal Poulain le sable. Inversant les rapports d’échelle par son objectif, il montre au premier plan de ses photographies (City Phase II, Tropical Village 1) des accumulations minérales, et plus loin, des buildings high-tech, dans des compositions qui ont aussi valeur de vanités. Dans Tropical Village 1, l’enchâssement des perspectives et la présence d’un spot de travaux, isolé, soulignent la dimension théâtrale et démiurgique des chantiers. Dans cette mégapole qui a pour rythme la course au gigantisme et l’obsolescence immédiate de ce qui vient à peine d’apparaître, l’artiste note que son plan indique pareillement les édifices déjà construits et ceux à venir, comme si, ici, devait s’accomplir la formule de Baudrillard : « la simulation est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte… C’est désormais la carte qui précède le territoire – précession des simulacres 5 ». Ainsi, les cadrages et les points de vue manifestent une réserve suspicieuse : un filet de protection fait office de filtre (Sheikh Zayed Road), des vapeurs de mer 6 dissolvent des tours en chantier (Fog), convoquant d’étranges images du passé (les Twin Towers éventrées). Si Dubaï est prise dans une fuite en avant prospective (en même temps qu’elle cherche à s’inventer un passé) 7, le Puy du Fou 8 réécrit l’Histoire de France pour en exhumer des valeurs qu’il voudrait bientôt voir triompher… aux élections. Là encore, pas de regard frontal, mais une école buissonnière de la photographie qui place au premier plan des images des écrans végétaux (bosquets, barrières de bois, herbes sauvages), témoins d’une prise de vue distante et d’une adhésion pour le moins éloignée. Si Pascal Poulain fixe certaines merveilles pyrotechniques vendéennes, c’est parce qu’elles mettent en crise la véracité de la photographie 9 et révèlent l’artifice des situations. Dans La Bataille du donjon, une zone de l’image demeure étrangement nette alors que sa plus grande partie est nimbée de fumée. Les nuages de feu dans Le Nouveau final se découpent singulièrement dans le ciel et les ombres qu’ils dessinent sur la façade de la forteresse transforment cette dernière en un gadget géant de mauvaise qualité. Ce qui frappe dans les photographies de Dubaï et la série Le Grand parc, c’est l’absence de personnages, comme si pour les premières, l’artiste voulait faire état de la non existence

légale des ouvriers dans la cité des Émirats (dépouillés de leur passeport dès leur arrivée à l’aéroport), tandis que pour la seconde, il ne souhaitait pas donner corps aux 3 000 Puyfolais bénévoles qui font le succès de Cinéscénie, le plus grand spectacle de nuit au monde. Dans une série consacrée aux slogans des campagnes présidentielles de 1965 à 2007, Pascal Poulain met en scène des hommes et des femmes qui manipulent face au soleil des pochoirs où sont inscrites, dans des lettres évidées, les phrases chocs des candidats afin de les faire apparaître au sol dans une écriture de lumière. Ici, le corps fait irruption sur un mode performatif : les personnages se contorsionnent pour assurer la lisibilité des slogans, mais ceci ne fonctionne guère et renforce la vacuité de ces phrases neutralisées par leur accumulation. Toutefois, si les photographies de Pascal Poulain recherchent les points de friction avec le réel – confusions entre culture et consommation, craquèlements du simulacre, achoppements aux discours –, il semble bien, contre toute attente, que le corps constitue, en creux, un sujet central de son œuvre, en ce qu’il permet la mise à distance, l’expression d’un engagement et la participation au débat politique qu’ouvre sa représentation. Notes : 1. Notons toutefois qu’une monographie publiée par le CAP d’ici mai 2009 a été promise à l’artiste par la Mairie de Saint-Fons, en « remplacement » de l’exposition. 2. Dans Espèces d’espaces, au chapitre Le Monde, Georges Perec propose d’explorer ce dernier en suivant une latitude donnée ou de parcourir les États-Unis d’Amérique en respectant l’ordre alphabétique. 3. Les noms des villes sont restitués dans leur vocable local. 4. Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme, Paris, éditions les Prairies Ordinaires, 2007, p. 11. 5. Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, 1981, Paris, éditions Galilée. 6. Phénomène météorologique rare qui se produit lorsque la température de la mer est proche de celle de l’air. 7. Pour s’ancrer dans une histoire qu’elle n’a pas, Dubaï construit actuellement des pastiches de vieux quartiers, comme des parcelles du Vieux Lyon. 8. Le Puy du Fou est un village de Vendée, département dont Philippe de Villiers est le président du Conseil général. Il fut l’initiateur, en 1978, du projet du parc à thème du Puy du Fou. Il est également le Président du Mouvement Pour la France (MPF). 9. Pascal Poulain utilise un appareil 6 x 7 et n’a pas pour usage de retoucher ses photographies.


Pascal Poulain Sheikh Zayed Road, 2009 Photographie contrecollée sur Dibond 130 × 160 cm Courtesy de l’artiste

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Ainsi Fons, Fons, Fons… **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

aurélie veyrot **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Pascal Poulain fait la une de ce numéro, façon pour 04 de s’interroger sur la fermeture brutale et inattendue du Centre d’arts plastiques de Saint-Fons à la fin de l’année dernière. Dans notre précédent numéro, nous avions évoqué avec son actuelle directrice Anne GiffonSelle les projets du Centre après une rénovation prévue de longue date : exposition monographique de Pascal Poulain, exposition collective consacrée à la notion du populaire dans l’art, résidence du groupe MOI, actions en direction des publics de Saint-Fons et du Rhône…

Rappel des faits : après la fermeture du Centre en vue de travaux de rénovation votés en conseil municipal, la Mairie de Saint-Fons décrète que les bâtiments serviront, crise oblige, à créer un pôle emploi complet en lien avec les Assedic et l’Anpe déjà présents sur place. La Mairie annonce néanmoins qu’un hors-les-murs peut être envisagé si les budgets sont suffisants, sans quoi l’expérience du Centre s’arrêtera. La pression monte, des lettres enflammées (particulièrement celle de Jean-Claude Guillaumon, créateur du Centre) sont rendues publiques et l’on s’interroge sur les motivations d’une municipalité de gauche à fermer si férocement un centre d’art. Aujourd’hui, plusieurs solutions sont en cours d’élaboration, qui vont d’un hors-lesmurs temporaire à une relocalisation pérenne. Si le cabinet du Maire de Saint-Fons indique par voie de presse (celui-ci n’a pas souhaité répondre à nos questions) qu’il n’a jamais été question de fermer le Centre, des questions

essentielles restent en suspens concernant les expositions à court terme, l’équipe en place, la collection de l’artothèque, l’accueil des publics et des artistes. Fondé en 1986, le CAP a accueilli plus de 150 artistes et reste l’un des lieux d’exposition les plus symboliques de la banlieue lyonnaise avec l’espace d’arts plastiques de Vénissieux. Sa fermeture inopinée est donc une affaire à suivre attentivement alors même que les financements des lieux culturels sont aujourd’hui directement menacés par l’annonce récente de la suppression de la taxe professionnelle, qui finance entre 20 et 70 % du budget des municipalités. Une pétition « Centre d’arts plastiques de Saint-Fons en danger », qui, en trois jours, a déjà réuni plus de 1500 signatures, est en ligne à l’adresse suivante : www.sos-cap.fr


profil

Camille Laurelli au milieu des arbres

Camille Laurelli /Stella/, 2009 Photographie couleur Support et dimensions variables Courtesy de l’artiste

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stéphane sauzedde **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Je suis très souvent surpris en entendant ou en lisant des commentaires sur le travail de Camille Laurelli que soient autant mis en avant sa poésie ou son aspect humoristique. Ce n’est pas que la poésie ou l’humour ne soient pas présents dans les œuvres qu’il réalise depuis plusieurs années maintenant, mais il y a dans cette lecture quelque chose qui me gêne. Certes, il y a un genre de poésie enfantine dans la vidéo Sans titre (I Believe I Can Fly), par exemple (un avion en papier est posé sur le flux d’air produit par deux ventilateurs disposés face à face, et dans ce geste minuscule, l’avion qui d’abord semble figé, plane, immobile, puis tremble, se secoue, perd son bel équilibre, pour quitter le champ de la caméra, soudainement vers le sol…). Et puis il y a effectivement de l’humour dans cette récente Étude pour une moustache #2, où l’on voit, filmée en plan fixe devant une chaîne de montagnes, une jeune fille aux cheveux longs, blonds et ondulés, simplement présente, jusqu’à ce que, entre elle et la caméra, une vitre électrique de voiture remonte et fasse se loger exactement sous son nez une magnifique moustache noire… Mais s’il y a de l’humour et de la poésie dans le travail de Camille Laurelli, je pense que fondamentalement, ce qu’il nous propose comme expérience n’est ni humoristique ni poétique : ces deux traits fonctionneraient plutôt comme des véhicules qu’il faut emprunter pour aller ailleurs – ailleurs, dans des contrées plus sauvages, du moins c’est là mon hypothèse. Parce qu’en définitive, je pense que le travail de Camille Laurelli est fascinant pour sa sauvagerie. Non qu’il s’agisse d’une œuvre qui mette en scène de la violence, même s’il y a à l’occasion des moments d’une rare brutalité – la première résidence de La Perruque, lieu dont s’occupe Camille Laurelli 1, a abouti à une hallu-

cinante série de coups portés à des planches de skate par un homme masqué, massif comme un catcheur, brisant les planches à mains nues… Non qu’il s’agisse d’une œuvre violente donc, mais elle serait « sauvage » au sens étymologique du terme (« sauvage » renvoie en latin à la forêt, silva, et dans les histoires, « l’homme sauvage », l’homo sylvestris est précisément celui qui vit dans les bois, en dehors des zones déboisées et civilisées) : sauvage comme lorsque l’on franchit une bordure ou une frange, donc, et qu’à partir de cette zone en broussailles, les formes, les objets et les mots cessent d’apparaître clairement, la lumière change, les sons inconnus se multiplient.

de textes, puis données à lire à des secrétaires virtuelles à la voix profonde 5 ? Et avec ce billet de dix euros mis en vente sur Ebay, simplement pour voir 6 ? Et avec cette bouteille de coca-cola remplie de glaire comme un crachoir de cowboys ? Et avec ces murs construits à la va-vite en briques Lego brutalement cimentés 7 ? Etc. Tout se passe comme si nous étions isolés dans une grande forêt (celle des cabanes de l’enfance ? celle de la série Lost ? celle de Délivrance de John Boorman ?), et que les objets sortis des sacs à dos prenaient de facto une valeur différente. Sauf que nous ne sommes pas dans une forêt, pas plus que d’habitude, même si avec Camille Laurelli nous sommes au milieu des arbres.

Dans les zones sauvages, il y a de la place pour la profusion : pour l’absurde, pour l’incohérence, l’accumulation, la saleté, le monstrueux aussi. Et avec ses objets, ses petites mises en scène, ses images, ses films, ses structures ou ses textes, tout se passe comme si Camille Laurelli nous emmenait avec lui, dans un chemin ouvert au milieu des fourrés : quand il accumule les cendres de ses cigarettes 2 – bols, canettes, cartons d’emballage, tous utilisés comme cendriers et remplis pour mesurer le temps écoulé –, ne fait-il pas le sauvage ? Et quand il ramasse un manche de marteau brisé et qu’il le présente comme une arme pointue 3 ? Et quand il propose ses chaussures usées comme lieu de résidence 4 ? Et avec ses images brutes de penseurs ou d’artistes à qui il doit quelque chose (Robert Filliou, Wilém Flusser, Gil Joseph Wolman, Timothy Leary…), images d’abord ouvertes dans un logiciel comme s’il s’agissait

Notes : 1. Cf. http://residencelaperruque.blogspot.com/ 2. Série Sans titre (cendriers), 2007 : cendres de cigarettes, mégots, cotons-tiges, dans différents contenants, différents formats. 3. Sans titre, 2007 : manche de marteau brisé, 29 cm de haut. 4. Cf. http://www.residence49.blogspot.com/ Clin d’œil amusé aux Souliers (1886) de Van Gogh, mais également véritable lieu offert au travail. 5. Cf. http://pictospeech.blogspot.com/ 6. Inflation, 2008 : billet de banque mis en vente sur Ebay. 7. Sans titre, 2007 : mur de pièces de Lego cimenté, édition de 10, 15 x 10 cm chaque.

Camille Laurelli est né en 1981, il vit et travaille bien partout. Il bénéficiera d’une exposition monographique à OUI (Grenoble), centre d’art que dirige Stéphane Sauzedde, du 14 mars au 20 avril 2009, qui aura pour titre Ça frotte, ça passe.


analyse

Détruire, disent-ils

Cyprien Gaillard Field of Rest (Glob), 2009 Polaroid, carton, 40 × 60 cm (Sculpture de Fritz Kœnig anciennement au pied des Twin Towers, déplacée à Battery Park, New York) Courtesy galerie Cosmic, Paris

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patrice joly * * * * * * ************************************

Lara Almarcegui Ci-contre : Démolition devant la salle de spectacle, Le Grand Café, Saint-Nazaire, 2002 Ci-dessous : La montagne des débris, Sint Truiden, 2005 Rénover le marché de gros quelques jours avant sa démolition, San Sebastian, 1995 Courtesy Ellen de Bruijne Projects, Amsterdam

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Depuis le début du xxie siècle, on assiste à une accélération formidable des changements urbains et du rythme de lancement des opérations de construction à vaste échelle parallèle à la croissance exponentielle de la population humaine et de ses activités. Ce phénomène s’accompagne de mutations extrêmement importantes qui transforment en profondeur le paysage urbain et rural, l’architecture et l’organisation des villes. Ce colossal remaniement des cités entraîne une entreprise de destruction tout à fait proportionnelle ; il est sans commune mesure avec ce qui a pu exister par le passé même s’il est arrivé que des mouvements urbains d’aussi grande ampleur aient déjà vu le jour : on peut effectivement penser à la construction des banlieues au sortir de la seconde guerre mondiale, ou encore la création de villes nouvelles dans les années 1970. Ce qui marque une réelle rupture en ce début de xxie siècle est le découplement d’avec une progression concentrique ou linéaire qui a caractérisé le développement urbain de l’Europe ou de l’Amérique du Nord et la prépondérance de ces mutations en Asie, plus particulièrement en Chine et au Moyen-Orient : en Chine, des villes comme Shangai ou Pékin sont profondément remodelées, des quartiers entiers disparaissent, les chantiers défient l’imagination : entre 1997 et 2007, 4000 tours ont été construites à Shangai ; des anciens Huttongs, l’habitat traditionnel fait de petits collectifs au centre de Pékin, il ne demeure que quelques témoignages à vocation touristique ; à Dubaï,

ancien territoire désertique peuplé de bédouins, les gratte-ciels les plus audacieux s’élèvent à des hauteurs inimaginables et défient les buildings de la déjà « vieille » Amérique. Les énormes chantiers de destruction /  reconstruction n’échappent évidemment pas à l’attention des commentateurs de tous bords, qui y voient le moment d’un nouveau paradigme socio-urbain se mettant en place : il est intéressant de lire à ce propos le livre de Mike Davis, éminent scrutateur de Los Angeles et qui voit à travers l’expansion débridée de la métropole des émirats arabes, rien de moins que l’avènement de ce qu’il appelle le stade Dubaï du capitalisme, c’està-dire un stade correspondant à un moment ultime de la civilisation libérale, ce libéralisme permettant et poussant à la réalisation d’une ville « moderne » toujours plus spectaculaire mais toujours plus artificielle. On peut rester en retrait d’une lecture aussi politique, on peut néanmoins constater que cette nouvelle phase urbanistique correspond à un cycle de développement frénétique des économies moyen-orientales et asiatiques et à leur accès à un degré de puissance extraordinaire. L’hypothèse de la cité américaine, dévoreuse d’espace et de désert, est dépassée en spectacularité et en volume par les nouvelles grandes métropoles qui recomposent l’ordre urbain hérité de la ville européenne du xixe et du xxe siècle. On peut y voir également une redéfinition de la modernité, un déplacement des valeurs occidentales que l’on avait tendance à penser immuables. Une ville comme Dubaï force à réévaluer l’accès à la ville, ses usages, et nécessite un mode d’appréhension de cette dernière qui ne repose plus sur un mode citoyen


mais plutôt sur un mode usager, consommateur : carte bleue versus carte d’électeur. Le modèle de l’antique agora est bien mort, mais il faut avouer que les coups de boutoir du modèle US, du mall shop aux freeways avaient déjà bien esquissé ces révolutions. Ces nouvelles métropoles ne font qu’exprimer de manière excessive ce qui était en germe dans le modèle américain en enterrant définitivement le principe d’une communauté réduite, à l’échelle « humaine ». La position des artistes face à ces phénomènes n’est évidemment pas indifférente et on assiste depuis quelques années à un regain d’intérêt pour l’architecture, l’urbanisme, la dimension sculpturale, picturale et tout simplement plastique de la ville et de sa destruction. Des artistes comme Raphaël Zarka ou Cyprien Gaillard en France, Lara Almarcegui en Espagne, Clemens von Wedemeyer en Allemagne, prennent acte de ces mutations et en font le matériau même de leurs travaux. Les approches de ces artistes sont forcément divergentes mais on peut y retrouver, au-delà d’une éventuelle condamnation des ravages sociaux collatéraux et des aberrations architecturales, une évidente fascination pour cette destruction en acte, que ce soit sous la forme « figée / sculpturale » de la montagne de gravats ou bien sous le versant actif et littéralement explosif du dynamitage des tours de banlieue. Loin de nous l’idée de prétendre que cet engouement pour les villes, leur architecture et l’incessant mouvement de destruction / construction du bâti a jamais disparu des préoccupations des artistes, mais on constate que leur intérêt pour ces « grands travaux » a subi une

certaine érosion depuis l’époque des land artists ; peut-être parce que ces derniers ont poussé si intensément leurs explorations qu’il semble qu’ils en aient fait le tour ou bien qu’ils aient abouti, comme le note Brian O’Doherty (l’auteur du fameux White cube, l’espace de la galerie et son idéologie, récemment publié en français), à une certaine forme d’impasse et qu’ils aient dû revenir vers la galerie pour pouvoir y solutionner la question du public et de l’économie de l’œuvre et se résoudre à la revanche du white cube. Une génération plus tard, les artistes de la cuvée 2000 qui s’intéressent à cette forme particulière de paysage touchant à la destruction de la ville et que l’on pourrait être tenté de qualifier de neo land artists, semblent avoir surmonté les apories qui ont tétanisé leurs prédécesseurs. Non pas que toute intention utopique ait déserté leurs esprits mais du moins une certaine forme de pragmatisme leur a permis de congédier un romantisme assez présent chez les artistes du Land Art ; cela dit, il ne sera pas question ici d’établir un parallèle déplacé entre un échantillon assez limitatif d’artistes et ce vaste mouvement d’artistes américains et européens qui a ébranlé en profondeur le minimalisme, sonné la charge des dernières illusions greenbergiennes et annoncé ce qui devait déboucher sur la nouvelle donne postmoderne. Ce petit groupe d’artistes européens et chinois réuni de manière arbitraire sous la bannière assez peu contrôlée de la destruction a au final peu de chose en commun : hormis cet intérêt pour le délitement de la ville qui revient constamment dans leurs œuvres (et encore, Mathieu Abonnec fait exception puisqu’il fait référence à une vidéo assez à part dans sa production), ils pratiquent tous des

médiums radicalement opposés : Raphaël Zarka est sculpteur et photographe, Clemens von Wedemeyer cinéaste, Cyprien Gaillard sculpteur, photographe et peintre, Lara Almarcegui est performeuse et photographe, Zhenchen Liu vidéaste. A contrario des land artists qui étaient tous d’une manière ou d’une autre « sculpteurs » et par la force des choses photographes documenteurs de leurs œuvres, ces artistes-là n’ont en commun que cet intérêt pour la forme de la ville. Mais de même que tous les land artists abordaient de manière très singulière la question de la sculpture (quoi de comparable entre le spectaculaire Lightning Field d’un De Maria et les très écologiques et protestataires champs de blé au centre de Manhattan d’une Agnes Denes), ce qui ne les empêchaient pas de « toucher » collectivement à la question du paysage et du champ élargi de la sculpture et d’être regroupés de manière non arbitraire par la critique, ces artistes touchent à nouveau à ces questions du paysage et du champ élargi de la sculpture. Mais ce qui sépare radicalement ces jeunes artistes de leurs aînés des années 1970 tient principalement au caractère « non construit » de leurs œuvres : on connaît tous les chantiers des Heizer, Smithson et consorts, destinés à rivaliser avec l’échelle du paysage américain et à rendre difficile la vision directe des œuvres. Les Gaillard et autres Almarcegui n’éprouvent plus le besoin de se déplacer à l’autre bout d’un continent et de se lancer dans des grands travaux d’une autre époque ; pour la plupart ils se sont « contentés » de prendre acte des chantiers en cours, les ayant sous la main : le coté readymade de ces œuvres s’oppose radicalement à celles de leurs prédécesseurs de même que toute


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Raphaël Zarka Première face (Kaufman & Broad), 2006 Tirage Lambda, 70 × 100 cm

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idée de retour à la nature les laisse froids ; leurs préoccupations sont définitivement urbaines, leurs sculptures sont déjà là, prêtes à être photographiées, archivées, remodelées. Comme s’ils avaient enregistré le fait que l’intérêt s’était redéplacé vers la ville et ses innombrables chantiers, et qu’on ne pouvait plus lutter avec son gigantisme. Comme s’ils s’étaient aperçu également que la ville était le meilleur fournisseur de formes inédites via l’incessant flux de destruction / construction, contribuant à une production quasi infinie d’amoncellements en tous genres mêlant les plastiques les plus récents aux boiseries d’antan, les faïences les plus kitsch aux tout derniers accessoires de chez Leroy-Merlin : le gravat comme stade ultime de la mixité de la marchandise. Un autre aspect de leur pratique les différencie à nouveau : cette création de formes inédites n’a pas d’auteur identifiable, elle est le produit d’un vaste collectif, informe et mouvant, animé d’aucune intention artistique a priori. La pratique de ces neo land artists ne cher-

che plus à singer le démiurgisme de l’architecture et de son caractère littéralement érectile, il vient rejouer une espèce d’anti-architecture (ou d’anarchitecture), aux antipodes des érections architecturales et de leur grossier symbolisme. Hormis ces différences, il est des points de rapprochement qui ne manquent pas de troubler. Si les artistes du Land Art ont fui la galerie, c’était à la fois pour des raisons « politiques » mais aussi pour des raisons contingentes : leur désir de grands espaces s’accomodait mal avec l’exiguïté du white cube ; il leur a permis d’affirmer un discours militant sur la question de la réification de l’œuvre et de développer une logique parfaitement cohérente de différenciation entre les pièces visibles in situ et la représentation de ces mêmes pièces, qui, elle, pouvait tout a fait venir s’inscrire dans le cadre de la galerie ; les non-sites de Robert Smithson représentent l’aboutissement de ce positionnement quelque peu extrême. Une des premières pièces réalisées

en France par Lara Almarcegui (Demolition in front of the exhibition room, le Grand Café, SaintNazaire 2002) consiste en l’observation de la démolition du bâtiment face au Grand Café à Saint-Nazaire : Lara avait prévenu les visiteurs de l’exposition et fait coïncider cette dernière avec le moment de la destruction programmée du bâtiment face au centre d’art : cet événement autonome qu’elle englobe dans sa pratique se situe à la limite de la performance, et est difficilement transportable… En cela elle rejoue les critères d’impossibilité que s’étaient fixé les land artists, mais en en repoussant encore plus loin les limites puisque la pièce est définitivement détruite (il n’est même plus question d’aller la voir sur site) ; on retrouve ces préoccupations qui ont présidé à la naisance de l’in situ : « enlever l’œuvre revient à la détruire » disait Smithson. Almarcegui a réalisé de nombreuses pièces qui ne valent que par leur caractère éphémère : dans Renovating the Gros Market few days before its demolition, San Sebastian 1995, elle repeint un immeuble condamné pour lui redonner son éclat perdu mais aussi pour faire prendre conscience au public que ce qui disparaît n’est pas forcément obsolète mais tout simplement mérite entretien. Ses autres pièces les plus connues sont des montagnes de gravats au centre de constructions valides (La montagne des débris, Sint Truiden 2005, Chercher des débris, Frac Lorraine, Metz 2002) : en mettant en exergue l’aspect sculptural de ces amoncellements, elle met en balance la valeur plastique des constructions alentour ; de même qu’elle répond allègrement à 40 ans de distance aux interrogations des land artists sur la représentation des pièces : éphémérité oblige, ses pièces sont forcément de l’ordre de la photographie plasticienne et ne documentent plus un site certes distant mais toujours accessible. Pour Zarka comme pour Gaillard ou Wedemeyer, le stade de la culpabilité marchande a depuis longtemps été dépassé : il s’est mué en celui de l’esthétisation du document. Ainsi Zarka, par exemple, opère-t-il un véritable travail de picturalité avec ces monuments abandonnés (toute la série les Formes du repos) ; Première face est aussi extrêmement intéressante puisque saisissant un instant charnière dans la vie d’un chantier de démolition (ou de construction), il place clairement au centre de cette photographie une peinture de bâtiment à la provenance incongrue mais aux allures franchement minimalistes / mondrianesques. Cyprien Gaillard a poussé encore plus


Clemens von Wedemeyer Silberhöhe, 2003 Film 35 mm couleur transféré sur DVD, 10 min

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Die Siedlung, 2004 Photo de tournage © Arthur Zalewski Courtesy galerie Jocelyn Wolff, Paris © Clemens von Wedemeyer

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Zhenchen Liu Under Construction, 2006 Vidéo 10 min, production Le Fresnoy

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loin le protocole d’esthétisation du document, frôlant le fétichisme : toutes ses prises de vues sont faites via des Polaroids qu’il encadre selon un système bien établi d’empilement des marielouises : ainsi, tous ces clichés de sites dévastés, de ruines, sont-ils repris dans un traitement qui surjoue au maximum leur disparition. Quant à Clemens von Wedemeyer, ses films se réfèrent soit à l’esthétique expressionniste (Metropolis, Report on China), soit à Antonioni : Silberhöhe est directement inspiré de l’Éclipse. Là encore, il ne s’agit plus de reprendre une position intenable d’intransportabilité de l’œuvre et de déplacement critique des publics : c’est l’image de la destruction de la ville (Report on China) ou de l’abandon des entreprises utopiques du modernisme (Silberhöhe, Die Siedlung) qui devient le matériau même des œuvres. Pour autant, la dimension utopique, militante, politique, qui était au cœur du travail des land artists, a-t-elle complètement disparue du questionnement de ces neo land artists ? Il est clair qu’en déplaçant le centre d’intérêt du désert vers la ville et de l’érectibilité vers la destructibilité, on a déjà une ébauche de réponse… De même que le travail des artistes du Land Art n’était pas directement « politique » mais posait indirectement des problèmes de cet ordre, amplifiés vers la fin du mouvement et requalifié en des questions féministes et écologiques, ces artistes de la destruction ont un travail éminemment politique. Les positions les plus évidentes à ce propos sont peut-être celles

d’une Lara Almarcegui (cf. plus haut) ou d’un Zhenchen Liu via l’association qu’il fait entre la destruction massive de l’habitat ancien et le sort qui est réservé aux habitants violemment expulsés. Sa video Under Construction fait alterner la fascination devant les montagnes de gravats avec les témoignages des anciens habitants ; le tout sur fond de triomphalisme architectural à la chinoise. Les Gaillard, Zarka et Wedemeyer ne sont pas en reste. Chez Gaillard, il y a incontestablement une dimension de dénonciation larvée sous l’insistance qu’il met à compiler les vestiges du modernisme… La traque obsessionelle de ces quasi reliques est aussi un plaidoyer pour une architecture héroïque. Et ses sculptures monumentales, pour le coup, participent d’une tentative de « réincarnation architecturale ». Ce désir de redonner vie à ces matériaux déchus dans une perspective cyclique ne fait-il pas écho aux anciennes préoccupations concernant l’entropie ? Les films de Wedemeyer font tout aussi clairement allusion aux stratégies néo colonialistes et ultra libérales : son Report on China fait le parallèle entre les pratiques des urbanistes chinois et l’utopie noire du film de Lang ; Die Siedlung met en scène tout aussi crûment le désarroi des anciens habitants d’une cité de l’Est de l’Allemagne proprement jetés de leur cité. A priori plus en retrait sur le front politique, les photos de Raphaël Zarka qui documentent le délitement d’anciens symboles d’une société triomphante ou encore la série des riders de l’art moderne, font état d’une certaine forme d’iconoclasme soft. Quant à Mathieu Abonnenc,

la compilation de scènes apocalyptiques tirées de films de science-fiction dans la vidéo Cayenne renvoie à la fascination des auteurs de genre pour la destruction de la ville et l’extrême plasticité du désastre : aboutissement immanquable de toute utopie machinique, de Terminator à Matrix. La fascination de certains jeunes artistes pour la ville en « destruction » peut être mise en perspective avec celle des artistes du Land Art et leur propension à la construction ; prenant le contrepied de ces derniers dans de nombreux domaines, ils savent réactiver les moments majeurs d’un mouvement qui finit par s’enliser dans ses apories. Grâce notamment à une pensée pragmatique qui leur évite les écueils de la mise à distance des pièces et du… public. Prenant acte de l’expiration de la virginité des grands espaces, ils optent pour la ville comme réservoir inépuisable de formes spectaculaires, comme réceptacle ultime des projections d’une modernité dépassée. Ce faisant, ils ne font pas fi des principes utopiques de leurs illustres aînés, mais les replacent au cœur d’une problématique de la complexité, en opérant une déconstruction nécessaire de ces beaux discours. Ou comment redémolir l’hacienda… Note : 1. Cyprien Gaillard a notamment créé une allée de graviers pour le château d’Oiron issue des gravats recyclés de la démolition de tours de la banlieue parisienne.


portrait

Hermès en coyote Le chemin heuristique de Michel Giroud * * * * * * ************************************

cyrille bret * * * * * * ************************************

Du 5 au 10 octobre 2008, Michel Giroud, alias coyote 1, qui se déclare « peintre oral et tailleur en tout genre 2, historien et théoricien des avant-gardes (Dada, Fluxus et Cie), fondateur d’entreprises », est venu réaliser à l’École nationale des beaux-arts de Lyon quaranteneuf conférences-actions à l’occasion de la parution de Paris, laboratoire des avant-gardes. Transformations – Transformateurs, 1945-1965 3. Superposant le geste et la parole (et réciproquement) tout en prenant pour principe une chronique synthétique des voies contradictoires ouvertes dans le champ des expérimentations sociales, littéraires et artistiques de l’après-guerre en France, ces quaranteneuf conférences-actions étaient déclinées en autant de focus monographiques qui se succédaient toutes les heures, durant toute la journée, et ce plusieurs jours de suite. Face aux étudiants, Michel Giroud, engagé dans un process environnemental fait de livres, d’affiches, de revues, de disques, de projections et de schémas, réfléchit, discourt, vocifère, prend à partie, déborde son sujet – et le temps qu’il s’est lui-même imparti – en intriquant différents plans spéculatifs dans une optique résolument glocale, parodico-théorique et comportementale. Cette publication et ces conférences-actions ont cela de commun qu’elles révèlent le positionnement de leur producteur, soit celui d’un acteur-réseau, selon la terminologie de l’anthropologie sociale, habité par une véritable force plastique 4 reposant sur un double mouvement d’agrégation et d’hyper-syntaxisme, ce qui contribue à l’inscrire d’emblée dans un mouvement de dépassement de plusieurs paradigmes qui dominent encore largement le champ de l’art contemporain : distinction, visualité et objet. Attractions passionnées

Michel Giroud s’est tout d’abord affirmé depuis les années 1960 du côté d’une triade

comprenant les cercles suivants : la branche germanique de Dada, Fluxus et Cie et enfin ce que l’on pourrait regrouper sous l’appellation de poésies concrète, sonore, etc. Il faudrait additionner à ce premier tropisme un deuxième qui concilie philosophie et littérature, et qui de Spinoza à Toni Negri, de Rabelais à Alfred Jarry, de Fourier aux romans de gare, lui permet d’envisager de manière a-hiérarchique l’extension infinie du champ de la création et la forme d’appétit 5 permanent qui la sous-tend, à rebours de toute spécialisation historiographique et générique. Dès le début de son parcours heuristique, Michel Giroud conçoit l’acte d’écriture comme un acte total (graphe, geste, couleur, sémantisme, attitude ad lib.), avec une prédilection particulière pour le travail de la langue, du pan-poïétisme, du pneuma, et se fait un devoir de résoudre les multiples contradictions tant esthétiques que politiques qui s’offrent à lui, dans une volonté de dépassement des attitudes claniques, sectaires qui irriguent le tissu social des avantgardes de l’époque. Passages à travers quelques unités de temps

Né en 1940 en Isère, passé par un « collège de curés 6 » (sic) dans lequel la lecture de BD ou de l’Encyclopédie était proscrite, Michel Giroud se rend à Paris sitôt passé le bachot (latin-grec) pour s’inscrire en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand en 1959, avant de poursuivre ses études à la Sorbonne en multipliant les certificats de licence (philosophie, phonétique expérimentale, Occitan), et d’entamer un mémoire de maîtrise en philologie à propos des néologismes dans l’œuvre d’Audiberti 7. Durant cette période, il suit les séminaires de Roland Barthes, de A. J. Greimas, se passionne pour la sémiotique, la phonématique, habité par la frénésie de saisir la création et l’instrumentation verbales dans leur totalité. 1966 est l’année de sa participation à un « vrai faux film de cinéma vérité » (sic) de Maurice van Halten, à propos d’une supposée secte du coq qui lui offre l’occasion de réaliser ses premières performances, en tant que vrai-faux membre


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Michel Giroud RF, Marianne et coyote (Annot, Hautes-Alpes) © Joachim Montessuis

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de ladite secte. C’est via Audiberti, auquel il a consacré un livre en 1967 aux éditions universitaires, qu’il rentre en contact avec l’artiste et poète Camille Bryen. Cette rencontre décisive lui donne accès à l’ensemble du champ de la création des années 1960 et 1970, puis c’est en compagnie du très fluxien Wolf Vostell qu’il effectuera ensuite son « Grand Tour » de l’Europe des avant-gardes en 1973-74, et grâce auquel il entrera en contact avec Joseph Beuys, Robert Filliou et bien d’autres… Côté politique enfin, Michel Giroud a vécu différemment les deux événements marquants de la période : pupille de la nation, il est à son plus grand soulagement dispensé de service militaire en Algérie, mais il sait en revanche se montrer très actif durant Mai 68, puisqu’il participe à l’occupation de la Sorbonne aux côtés des situationnistes. Médiations et mises en récit

Michel Giroud se veut aussi activiste, en organisant des événements à l’American Center en 1967, mais aussi en juxtaposant les projets de revues et d’édition. Il publie de nombreux textes critiques depuis 1972, dans Parapluie, puis dans Kanal, puis encore dans Kanal, mais aussi dans Art Press, Opus international, Infos Artitudes etc., et réalise enfin des entretiens d’artistes pour France-culture de 1972 à 1979. Mais, avec pas moins de cent cinquante titres à son actif durant trente ans, c’est par son activité de directeur de collection qu’il s’est imposé comme le plus grand diffuseur français de textes et de documents historiques relatifs aux différentes avantgardes du siècle passé. De 1973 à 1974, il dirige la collection « L’œil absolu » aux éditions du Chêne, puis de 1973 à 1982 la collection « Projectoire » aux éditions Champ libre 8, puis conjointement, à partir de 1975, la collection « Trajectoires » aux éditions Jean-Michel Place, et enfin « L’Écart absolu » aux Presses du réel. Cette dernière collection, toujours en activité, cristallise cet objectif d’une « vision globale, mais pas globalisante », et dénuée d’exclusive qu’il définit en ces termes : « les

formes de pensées novatrices dans les arts, le domaine sociétal et spirituel, refusant la frauduleuse séparation entre transformation sociale et innovation esthétique 9 ». Mais Michel Giroud n’est pas qu’un éditeur. Chargé de cours à l’Institut d’Éducation Permanente de l’Université de Nanterre de 1969 à 1972, avant d’enseigner jusqu’en 1979 la philosophie, le français ou même la gymnastique comme vacataire dans un lycée parisien près de l’arrêt de métro Réaumur, il se forge une pédagogie au contact des courants les plus expérimentaux (Steiner, Freinet… frottés au contact de la Free University de Joseph Beuys). Cette réflexion pédagogique qui fait que l’on s’enseigne en enseignant, fonde dans une large mesure la plupart de ses conférencesactions, c’est-à-dire ce qu’il nomme des « non cours, non obligatoires et non nécessaires » articulant sans aucune distinction art-action, conférence et workshop, et dans lesquels il importe de « faire le contraire de ce qu’on avance ». Il sera par la suite enseignant de 1981 à 1989 à l’École d’art d’Épinal puis de 1990 à 2005 à l’École des beaux-arts de Besançon. Mises bout à bout, ses différentes expériences éditoriales et d’enseignement font de lui une figure de passeur, d’archive ambulante, d’Hermès anarcho-spinoziste. Stratégies sociales et projets potentiels

De 1978 à 2008, Michel Giroud s’est également fait le promoteur de ce qu’il nomme ses « neuf cercles d’entreprises potentielles ». Prenant acte de l’échec de la plupart des types d’enseignement expérimental, et s’inspirant du Département des Aigles de Marcel Broodthaers, de la Free University de Joseph Beuys ou encore du Territoire de la République géniale de Robert Filliou, ces entreprises répondent à son besoin de tout articuler par la fiction. Débutant l’aventure par le S.A.S (Secret Art Service) en 1978, auquel succèdent le P.A.C (Parti Alpin Corse), la P.T.T (Patata, organe de la Patataphysique avec son Institut de Patatologie et sa Poésie Totalement Totale), l’I.A.M (Imperium Asinum

Magnificum), l’UN/NU (Nomadic University), le M.M.A.M (Musée des Muses Amusées), le S.D.F (Sacré Secret Derviche Faucheur Fauché), T.K.T (Taï Koyot Chi), et enfin mille voix / 1000 voies. Entre acronymie, nonsense, littéralité et néologie projective, ces condensés de fictions d’action appellent à être développés puis réalisés cognitivement ou contextuellement. Pour ne citer que S.A.S, cette entreprise est née de l’expérience rapportée par de nombreux artistes travaillant de l’autre côté du rideau de fer dans les années 1970, obligés de se cacher pour ne pas être réprimés. Ils constituèrent un réseau « sans conclusion ni solution, perpétuellement ouvert et en voie de transformation », ayant la performance comme seul horizon d’activité possible, et instruits de ce qu’il n’y a pas de dehors, ni de marges, si ce n’est des marges du dedans. Michel Giroud s’active en ce sens. Notes : 1. Et l’on sait ainsi ce qu’il est advenu du co-performeur de Joseph Beuys dans I like America and America likes me… 2. Non sans référence à la « peinture orale » de Gil J. Wolman, ex-membre de l’Internationale lettriste décédé en 1994, qui avait pour habitude de tailler assez sèchement les questions d’ordre générique… 3. Michel Giroud, Paris, laboratoire des avant-gardes. Tranformations – Transformateurs, 1945-1965, Les Presses du réel, Dijon, ENBA, Lyon, 2008. 4. La force plastique, en tant que processus de transformation, est un concept proudhonien. 5. Concept résolument spinoziste. 6. L’ensemble des énoncés mis entre guillemets dans la suite du texte proviennent des trente-et-unes pages de notes prises durant les huit heures d’entretiens téléphoniques réalisés en février 2008 en vue de la préparation de cet article.  7. Auquel succédera une thèse jamais achevée. 8. Où il est de notoriété publique, comme l’atteste sa correspondance publiée chez Fayard, que Guy Debord tenait la maison d’une main de fer. Michel Giroud se voit ainsi empêché de publier des textes contemporains, cantonné dans le dadaïsme et le 1er xxe siècle, par la volonté du prince des situs, soucieux de garder intact de toute concurrence la petite entreprise qu’il a montée. 9. Texte de présentation de la collection.


exposition

Radically n’importe quoi

Tony Matelli, Abandon Weed, 2008

Vue de l’exposition N’importe quoi au macLYON

© Blaise Adilon. Courtesy galerie Stephane Simoens, Knokke-le-Zoute et galerie Lœvenbruck, Paris

Œuvres de John Miller, Paul McCarthy, B. Wurtz © Blaise Adilon

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pierre tillet **** * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

N’importe quoi est une exposition de Vincent Pécoil et Olivier Vadrot dans laquelle les deux commissaires suggèrent de refaire le voyage du « Beagle » (le navire qui conduisit Darwin à l’autre bout du monde), en partant à la recherche de l’ancêtre commun – le modernisme – de certains artistes actuels. L’une des origines modernes de l’art actuel est Manet dont la Botte d’asperges (1880) est un prototype de la « dévaluation du précieux, du fini, du noble et de toutes les valeurs qui assignaient à l’art une fonction précise dans le dispositif de pouvoir aristocratique » (Thierry de Duve cité par les commissaires, « Fais n’importe quoi » in Au nom de l’art, Éd. de Minuit, 1989, p. 107). Cet écart par rapport à la norme – en langage darwinien, cette mutation accidentelle – est un point de départ d’autres écarts qui ont donné lieu à des « espèces » artistiques représentées dans l’exposition parce qu’elles bénéficient d’un avantage compétitif : la possibilité – la liberté – de faire « n’importe quoi ». Ce qui permet d’étendre radicalement les moyens et le territoire de l’art. Succédant à The Freak Show (en 2007, par les mêmes commissai-

res, au MAC), qui posait la question de l’anomie en art, cette exposition présente des œuvres issues d’une longue sélection culturelle échappant aux classifications normatives de l’histoire de l’art. Faut-il préciser que cette « sélection » n’a rien d’une marche vers le progrès, de même qu’il n’y a aucun « dessein intelligent » dans l’évolution des espèces selon Darwin ? Après un préambule marqué par l’historique I Am Making Art (1971), vidéo dans laquelle John Baldessari ne cesse de répéter ces mots alors que, manifestement, il ne fait rien (une magnifique tautologie), Fabio Viscogliosi propose une série de faux « Que Sais-Je ? » intitulés Les Ongles de Monk, Les Cols en V, La Molle de l’espace… et, bien sûr, N’importe quoi. Puis Lawrence Weiner donne sa recette de cuisine pour faire une œuvre d’art avec Farine & eau (+) (-) sucre & sel (1993). Une vidéo de Wolfgang Tillmans montre des petits pois en train de cuire alors qu’un curé d’une église voisine débite son prêche, celui-ci allant en s’intensifiant alors que le bouillon augmente (Peas, 2003). Enfin, dans une vaste salle recyclant efficacement un display du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, des œuvres sont disposées sur des super socles en suivant un ordre de grandeur. On croise les

Objets en lévitation dans la cuisine (1996) de Claude Closky, semblables à une collection d’ornithologie décalée, une peau de banane en bronze peint d’Olivier Babin (Slip Inside this House, 2005) ou des mauvaises herbes de Tony Matelli exécutées dans le même matériau. Cet arrangement montre aussi des présentoirs pour sacs plastiques ou lacets de B. Wurtz, trois vélos de Xavier Veilhan évoluant d’une base primitive, sans pédalier ni freins, à une version normalisée (Les Vélos, 2000), une sculpture timide de Bruno Peinado (My Own Private Piaggio, 2006)… À l’extrémité de l’espace, le rôle de la baleine du Muséum est dévolu à une pyramide anthropomorphe de Tatham & O’Sullivan. Elle est flanquée d’une colonne sans fin imitant Brancusi, élevée par Gérard Collin-Thiébaut à l’aide de répliques superposées du tabouret utilisé par Duchamp pour Roue de bicyclette (1913). Au centre de la salle, une sculpture de Franz West joue le rôle de la statue de Linné ou de Darwin qu’on trouve dans les muséum. Comme un arbitre de la grande révolution de l’art.

N’importe quoi Musée d’art contemporain, Lyon du 13 février au 19 avril 2009


À(venir) Sélection d’expositions dans la région

Gerhard Richter 1024 Farben, 1973 [1024 couleurs], détail Laque sur toile, 254 × 478 cm © Musée national d’art moderne /  Centre Pompidou, Paris

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Lyon • Gozo Yoshimasu chez José Martinez à partir du 25 mars • Herman Braune-Vega, Ernest Pignon-Ernest, Denis Rivière à la galerie Pallade jusqu’au 18 avril • Philippe Durant à l’Espace d’arts plastiques de Vénissieux jusqu’au 25 avril, suivi par les peintures de François Lagrange dès le 16 mai • Joanne Tatham & Tom O’Sullivan à la Salle de bains jusqu’au 16 mai, puis Sylvain Rousseau à partir du 29 mai • Rétrospectives Alan Vega et Jean-Luc Mylayne au MAC Lyon mi-mai • Les 10 ans du Bleu du Ciel au Bleu du Ciel / Burdeau à partir de mai • Laurent Pariente à l’IAC à partir du 29 mai •A rmanda Duarte et Linda Sanchez à La BF15 à partir du 12 juin Grenoble •E stefania Penafiel Loaiza au Centre d’Art Bastille à partir du 13 mars •C amille Laurelli au OUI à partir du 14 mars (voir p. 11) • I mages Représentées, 2e volet de l’exposition Espèces d’espaces consacrée aux années 1980 au Magasin à partir du 31 mai • Gerhard Richter au Musée de Grenoble jusqu’au 1er juin

Saint-Étienne • Mario Schifano, Bernard Piffaretti, Arnulf Rainer et Salvatore Garau au Musée d’art moderne jusqu’au 26 avril Ailleurs dans la région • Exposition Sortilège à la Fondation Salomon jusqu’au 14 juin • Laurence Demaison au Centre d’art de Lacoux à partir du 4 avril • Exposition What Else ? à la Villa du Parc à partir du 28 mai • Scénographies - de Dan Graham à Hubert Robert : le Musée de Valence hors les murs et l’IAC présentent une série d’œuvres au lux - Scène nationale, Maison des têtes, Comédie de Valence, Bourse du travail, art3 et salle des Clercs à Valence ; galerie du lycée le Valentin à Bourg-lès-Valence ; Palais Delphinal à Saint-Donat-sur-l’Herbasse jusqu’au 28 juin

Toutes les expositions, adresses, dates et détails sont dans le calendrier 04 tiré à part.


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Octobre 2005 : ouverture de La Plateforme avec la Biennale d’art contemporain de Lyon. Avril 2009 : ouverture de La Plateforme aux performances artistiques. Au coeur de Lyon, La Plateforme dispose de 600m2 sur 4 espaces pour accueillir tous vos événements. 4, quai Augagneur - 69003 Lyon - 04 37 40 13 93

www.la-plateforme.fr encart_2_zeroquatre_C:adele_encart_2

11/02/09

16:46

l’actualité de l’art contemporain à Lyon et dans son agglomération

art contemporain Lyon

adele

et sa région

www. adele -lyon .fr

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information • prix jean chevalier 2009 *****************************************************************

Le prix Jean Chevalier, fondé en mémoire du peintre Jean Chevalier (1913-2002) est décerné tous les deux ans à un jeune peintre se consacrant à la peinture telle que Jean Chevalier la définit dès 1958 : « La peinture se fait dans certaines conditions, avec des outils appropriés, déterminés et déterminant ; elle se concrétise sur des surfaces qu’elle anime selon des étendues, tonalités et intensités choisies. Elle est inséparable d’un univers architectural. » Outil de communication, elle est un langage qui « avant d’être un mode de représentation, est un mode d’action. » Doté de 5000 €, le prix s’adresse à des peintres ayant moins de 30 ans au 31 décembre 2008, résidant dans la région Rhône-Alpes et les régions contigües ou issus d’une école des Beaux-Arts ou d’un Centre d’Art y ayant son siège. Le dossier de candidature et le règlement du prix, adressés sur simple demande par voie postale ou courriel, sont disponibles à partir du 1er avril 2009 auprès du président de l’association : Les Amis de Jean Chevalier / Pierre Dazord 12, place Gabriel Rambaud 69001 Lyon Courriel : dazord.pierre@wanadoo.fr Téléphone : 04 78 92 88 09 Les demandes d’inscription sont reçues par voie postale du 10 mai au 15 juin 2009, date limite le cachet de la poste faisant foi. La liste des candidats admis à concourir pour la phase finale du Prix est publiée le 30 juin. Le prix sera décerné à l’occasion de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon le jeudi 29 octobre 2009. Les œuvres des finalistes sont exposées par la galerie Olivier Houg, Bâtiment des Douanes, 45 quai Rambaud, 69002 Lyon, du 29 octobre au 7 novembre 2009.


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21/02/09

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Page 1

avec éclairage artificiel, terreau stérilisé, billes d’argile et engrais multiflore. Si nous avions des légumes verts, nous dégusterions une à une nos récoltes et, en cas de mauvaise saison, nous serions même prêts à manger des carottes et des concombres en plastique, si c’est tout ce qui reste.

ricochets – les légumes verts une exposition d’Aurélie Pétrel avec Philippe Adam et Nicolas Romarie

à partir du 5 mars 2009 galerie La Verrière École normale supérieure de Lyon 46, allée d’Italie Lyon 7e un des Ricochets sera visible à l’École normale supérieure Lettres et sciences humaines, depuis le parvis René-Descartes, Lyon 7e

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ANNUAIRE DES ARTS PLASTIQUES ET VISUELS RHÔNE-ALPES 6e ÉDITION 2009 / 2011

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ARNAUD

Mario Schifano

Blitzkrieg bop et le défense passive blues

Arnulf Rainer

MAGUET du 20 mars au 12 avril 2009

MIHAEL

MILUNOVIC

Mothership

1934-1998

Paysages perdus

Bernard Piffaretti On inachève bien les tableaux

Salvatore Garau Photogrammes avec horizon

du 30 avril au 20 mai 2009

Café 9, rue françois gillet 42000 saint-etienne neufbis@gmail.com 06 76 81 91 58 / 06 08 41 86 11 www.neufbis.blogspot.com Ouvert du mardi au samedi de 18h à minuit - entrée libre vernissages à partir de 19h en présence des artistes Avec le soutien de la Ville de Saint-Etienne, de la Région Rhône-Alpes et du Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Rhône-Alpes

Expositions

du 21 février au 26 avril 2009

Renseignements : 04 77 79 52 52 ou www.mam-st-etienne.fr Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf le mardi


expositions en cours

laurent montaron

Balbutiement des images par Nicolas Garait

Laurent Montaron After, 2007 Installation : diapositive couleur 6 × 7, projecteur et ventilateur Courtesy galerie schleicher+lange, Paris © Blaise Adilon

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Un jeune enfant blond, un fusil, des volatiles qui tombent lourdement sur le sol poussiéreux d’une église au petit matin, le son mat de la chute, quelques mots d’esperanto écrits à la plume : BALBVTIO est au centre du dispositif imaginé par Laurent Montaron pour sa monographie à l’Institut d’art contemporain. Sur deux écrans, ce qui pourrait être le même film défile lentement et l’on s’aperçoit peu à peu que les images dédoublées sont en fait jouées deux fois. Quel est le film original, quel est le double ? Ce décadrage très léger entre la mémoire d’une image qui réapparaît ailleurs et quelques secondes plus tard ou plus tôt synthétise les obsessions de l’artiste pour le son, la gestion du temps, la narration et l’imagination. Au détour d’un couloir, on retombe d’ailleurs sur de véritables fusils enveloppés d’un tissu graissé, comme une image rémanente qui ne nous quittera plus. Auparavant, on sera passé devant Somniloquie, œuvre mentale composée à la fois d’une splendide photographie représentant un corps féminin, allongé et de dos, surplombé par un micro relié à un enregistreur, et d’une bande-son. L’image pourrait se contenter d’être là, remarquable dans ses qualités de mise en scène, de cadrage, de décor et de lumière. Elle n’est en fait que la trace

d’un enregistrement qu’il est possible d’écouter sur l’une des deux dub plates (des vinyles dont la gravure s’efface au fur et à mesure des écoutes) mises à disposition du public et ayant servi à enregistrer une personne parlant dans son sommeil. À l’aune de toute l’exposition, chaque œuvre, de la plus anodine à la plus prégnante, apporte sa pierre à un édifice du hasard patiemment construit. La salle d’entrée de l’exposition est ainsi emplie d’une musique statique, tentative d’un orchestre au grand complet de se rapprocher dix minutes durant de la tonalité émise par un téléphone lorsqu’il est décroché. Diffusé par une enceinte en forme de dodécaèdre, la perception du son se modifie au fur et à mesure de l’avancée du corps dans la pièce et donne à l’œuvre, malgré la sécheresse de sa forme, une puissance d’évocation peu commune. Faites d’un mélange de hasard, d’histoire et de mémoire, les œuvres de Montaron bénéficient d’une subtilité qui, loin de repousser le spectateur en arrière, lui donnerait plutôt envie d’en savoir plus, d’en voir plus, d’en entendre plus. Toute l’exposition se fonde sur une tentative réussie de provoquer une légère insatisfaction, une frustration de ce que sera la prochaine image qui ne viendra jamais, les clefs d’un code qui palpite à l’écran ou le mouvement figé d’une main lançant un jeu d’osselets. Conçue comme une bande de Moebius (un anneau unique, vrillé, qui possède deux faces et deux bords distincts), l’exposition transforme ainsi en fiction tout l’espace de l’Institut, de la persistance rétinienne des images à la puissance de sons irrémédiablement emmêlés dans un parcours sans fin. Laurent Montaron Institut d’art contemporain, Villeurbanne du 28 janvier au 15 mars 2009


yann géraud

david altmejd

Le mineur émancipé

Et pour quelques miroirs de plus

par Gallien Déjean

par Cédric Schönwald

Yann Géraud

David Altmejd

New Erehwon House, 2009 © André Morin

Vue de l’exposition au Magasin, 2009 © Le Magasin / Ilmari Kalkkinen

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La nouvelle direction artistique de la Salle de bains a inauguré sa prise de fonction en janvier avec un projet réalisé par Yann Géraud. Les deux programmatrices, Jill Gasparina et Caroline Soyez-Petithomme (membres du comité de rédaction de 04, ndlr), ont récupéré les clefs de l’espace lyonnais, confiées par l’équipe précédente composée d’Olivier Vadrot et de Vincent Pécoil. D’emblée, cette nouvelle exposition annonce la couleur d’une programmation audacieuse dédiée à la prospection, dans la lignée de ce que la Salle de bains a pu montrer jusqu’à présent. Le calendrier de l’année 2009 confirme cette orientation en annonçant les participations futures du duo Tatham & O’Sullivan, de Sylvain Rousseau, d’Anthea Hamilton, de Magali Reus, de Mick Peter ou encore de Tris Vonna-Michell. Erehwon p.o.v. ! Ce titre d’exposition est imprononçable. En tout cas, mieux valait-il ne pas s’y risquer pendant le vernissage par crainte de postillonner des fragments de cacahuètes. Les cinq sculptures (Odyssée, Tas, Erehwon, Welcome et New Erehwon House) que l’on découvrait ce soir-là pouvaient paraître tout aussi énigmatiques. Ce qui surprendra sur-le-champ le visiteur de la Salle de bains, c’est la reconfiguration insolite du lieu suggérée par les structures de Yann Géraud. Toute la démarche résulte d’une pratique picturale amplifiée qui s’affranchit du cadre bidimensionnel, jusqu’à l’absorption totale du spectateur perdu dans les circonvolutions formelles et dans le jeu des asso-

ciations. À l’image de la maquette sinueuse – entre bâtiment minier et architecture vernaculaire – qui trône à l’entrée de l’espace, le parcours de l’exposition est un dédale de combinaisons hétéroclites, un jeu de circulations, de passages (Welcome, la galerie de peintures en rails d’aluminium), d’accélérations (la customisation d’un paysage lacustre ou volcanique avec des pots d’échappement chromés) ou de blocages (les moulages de tête, à la Bruce Nauman, qui s’entassent au sol de la galerie). Chez Géraud, l’étendue des techniques, des citations ou des matériaux utilisés déconcerte parfois par son penchant amphigourique ; mais peutêtre s’agit-il d’une nécessité pour que la polysémie advienne, au service d’une mythologie personnelle de l’artiste. Il y a, dans cette démarche, quelque chose qui relève singulièrement d’une « psychologie des profondeurs » au sens jungien du terme. Yann Géraud compare son activité à celle de la mine : il creuse des galeries dans les archétypes, dans l’inconscient collectif et dans les références culturelles. Chaque sculpture, dès lors, est un amas de scories qui résulte de ce processus d’excavation. D’une œuvre à l’autre, la déambulation labyrinthique devient ainsi un dispositif empirique qui place le spectateur au cœur d’un panorama introspectif. Yann Géraud Erehwon p.o.v. La Salle de bains, Lyon du 10 janvier au 8 mars 2009

Quand l’art prisait les hiérarchies, la longue primauté de la vue sur les autres sens avait pu privilégier les représentations en deux dimensions à la sculpture, trop liée au toucher, trop éloignée de l’esprit... David Altmejd, qui se veut sculpteur, aménage des dispositifs tridimensionnels dont la dimension spéculaire est reine. Son médium est avant tout le miroir, il en marquette depuis plusieurs années des volumes parfois abstraits, parfois figuratifs. Au Magasin de Grenoble plus encore qu’au pavillon canadien de la Biennale de Venise 2007, il inverse sa pente initiale : les paysages étaient personnifiés, désormais ce sont les figures anthropomorphes qui contiennent des paysages. Six géants de plus de trois mètres de haut sont bardés de miroirs. Ils sont cristaux, roche, ils contiennent des anfractuosités, des escaliers les parcourent. Ils arborent ici un pénis (en résine, l’un des rares éléments apparents autre que le miroir), là une étoile de David, ou encore des mots-clés associés à la nature (racoon, oak) ou au dispositif lui-même (rectum...). Comme à Venise, ce dernier est immersif, on observe des sculptures qui nous le renvoient, mais surtout, les murs environnants sont eux-mêmes couverts de la même surface réfléchissante. Ainsi ces monstres hybrides et anguleux tendent à se fondre dans le décor qui leur ressemble. Et comme souvent avec les miroirs, c’est celui qui regarde qui y est ! Et qui s’y voit bouger ! L’autonomie (toute moderniste) de l’œuvre faite installation est préservée

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alors même que l’usage de miroirs sur les sculptures aurait pu vouloir la contester. Au pays des miroirs, l’art est un sujet zélé. Sans penser à dénombrer les œuvres et les essais qui en ont fait une forme des plus académiques, il n’est qu’à arpenter aujourd’hui les divers lieux d’art hexagonaux pour se voir constamment confronté au vertige de sa propre image... Chez chaque artiste, cela prend néanmoins un pli différent et il est vrai que la pureté plane et quiète des surfaces de Michelangelo Pistoletto (depuis les années 1960) est d’un bon goût qui peut agacer. Altmejd, avec son obsession spéculaire, n’est pas si serein et vient briser le verre par endroits (ainsi que peut le faire un Jeppe Hein, jouant lui aussi avec l’héritage du minimalisme), forçant ainsi l’alliance des contraires : ainsi, telles des larves de trichoptères, ses couvertures minérales révèlent parfois des éléments organiques. Une fois encore, la vie, la mort... David Altmejd Le Magasin, Grenoble du 1er février au 26 avril 2009


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expositions en rhône-alpes

un hiver à lyon

Croire à ce que l’on voit par Nicolas Garait

Cécile Bart et Michel Verjux Suite de trois pour quatre : ajustée / croisée / tangente, 2008 Fils, plombs, 3 projecteurs à découpe © André Morin

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Plusieurs expositions auront cet hiver à Lyon abordé le thème de la lumière, de la perception et de la fiction, du duo Michel Verjux / Cécile Bart à la galerie Verney-Carron en passant par les sculptures perceptuelles de Paul Raguenes chez José Martinez ou l’installation à la fois imposante et impossible de Cédric Alby à La BF15. Le lauréat du 1er prix d’aide à la création de la Fondation Bullukian redessine littéralement l’espace de la galerie avec une œuvre qui n’est pas sans rappeler les jeux de serpents qu’on trouve sur les vieux téléphones portables : une forme sombre, géométrique et envahissante, qui disparaît dans les murs pour surgir ailleurs du sol ou du plafond, ou s’arrête brutalement pour changer de direction. Malgré sa forte présence graphique et sa couleur noire, c’est le hors-champ qu’elle provoque qui intéresse le spectateur, pris malgré lui dans les rets d’un espace qui dessine l’idée d’un ailleurs. À la galerie Georges Verney-Carron, le très beau duo Verjux / Bart marie habilement les pratiques des deux artistes : les découpes lumineuses de Michel Verjux soulignent les œuvres fragiles de Cécile Bart, qu’elles soient faites de tergal marouflé au mur ou de fils aériens descendant du plafond. Le bord tremblé des lumières théâtrales de Verjux fait écho aux couleurs de Bart et l’association des deux artistes sert un dialogue

et un échange rares. Plutôt qu’une juxtaposition de travaux, on assiste ici à l’abandon mutuel de l’autorité sur l’œuvre au profit d’une interférence d’une grande richesse. Enfin, à la galerie José Martinez, Paul Raguenes propose ses interrogations spatiales et colorées : miroirs qui renvoient un reflet douteux et légèrement teinté d’amertume, sculptures de bois, d’aluminium et de plexiglas dont les masses brutes ou colorées s’emparent de l’espace de la galerie, travaux sur papier qui interrogent le sens des mots dans la dénomination des couleurs… L’accumulation des teintes, des formes et des qualificatifs semble nous défier de les voir « correctement » et cultive une certaine ambigüité : chez Raguenes, on ne sait jamais bien si c’est la couleur qui sert le langage ou l’inverse. Cécile Bart & Michel Verjux Ni une ni deux Galerie Georges Verney-Carron, Lyon du 19 septembre au 20 décembre 2008 Cédric Alby Continuum (Bau) La BF15, Lyon du 28 novembre 2008 au 24 janvier 2009 Paul Raguenes [Mono]spyArchi[chrome] Galerie José Martinez, Lyon du 25 novembre 2008 au 10 janvier 2009


1945-1949 – repartir à zéro

septembre de la photographie

Art année zéro

Diversité des identités

par Hugo Pernet

par Violaine Digonnet

Vue de l’exposition au Musée des beaux-arts, 2008

Katerina Držková Viewpoint, 2008

© Musée des beaux-arts de Lyon

© Galerie José Martinez

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Alors que l’Histoire terminait son terrible compte à rebours vers zéro – de la mise en œuvre de la « solution finale » jusqu’à l’utilisation de la bombe atomique –, l’art émergeait de la deuxième guerre mondiale comme un domaine entièrement à redéfinir. Dans l’exposition 1945-1949 – Repartir à zéro (comme si la peinture n’avait jamais existé), Éric de Chassey revient sur ce moment important de l’histoire de l’art. La première partie de l’exposition, numérotée « 0 », évoque la situation de deux peintres allemands pendant la guerre. Interdits d’exercer leur art par le régime Nazi, Willi Baumeister et Franz Krauze contournent ce dictat en travaillant en 1941-42 pour le compte d’une usine de laques : sur des supports divers (pas de tableaux, donc), ils réalisent des expérimentations (coulures, taches, projections…) dont le résultat évoque les formes radicales qui seront adoptées par les artistes abstraits d’après-guerre (on pense au vocabulaire technique développé aux États-Unis autour des œuvres de Morris Louis, Helen Frankenthaler, Sam Francis ou Jackson Pollock : « dripping », « pourring », « staining »...). Il s’agit donc ici d’une abstraction de survie, contrainte par la réalité de la guerre et de la politique. L’exposition se divise ensuite en plusieurs salles, d’abord imaginées comme autant de phases posttraumatiques – 1. témoigner, 2. balbutier – puis de solutions plastiques de rééducation et de libération apportées par les artistes : 3. explorer, 4. tracer, 5. saturer, 6. remplir / vider. Tandis que Fautrier ou Dubuffet interrogent la matérialité de la représentation aux limites de l’informel, d’autres poussent le surréalisme vers l’automatisme du geste, comme Henri Michaux ou Arshile Gorky. À l’étage, un intéressant jeu de miroir entre deux films confronte les méthodes apparemment si proches d’Hans Hartung et de Jackson

Pollock : d’un coté, Hartung travaille, sur chevalet, à l’agrandissement en tableaux de dessins gestuels préalablement réalisés – de l’autre, Pollock peint au sol, directement dans la toile, en laissant s’écouler la peinture. Quand l’un tente de reprendre le fil d’une pratique avec les mêmes outils, les mêmes attributs traditionnels, l’autre libère la peinture en reformulant simplement son approche technique (« comme si la peinture n’avait jamais existé »), et annonce par ce geste la domination culturelle à venir des États-Unis. Les artistes qui adoptent les solutions les plus radicales (comme Pollock ou Fontana), produisent les œuvres les plus fortes. Mais Éric de Chassey ne les juge pas en regard de leur importance historique, et nous fait découvrir le travail d’artistes moins connus, comme les très belles petites peintures « all-over » de Sal Sirugo. Malgré le poids de son dispositif muséal, Repartir à zéro est une exposition d’une grande finesse, un focus (l’exposition se concentre sur la période 1945-49) qui permet de capter à la fois l’esprit d’une époque et l’apparition d’actes artistiques fondateurs. Si Barnett Newman parle de « repartir à zéro », ce n’est pas pour désigner une position théorique manifeste, mais plutôt un état de fait qui décrit la situation générale des artistes après-guerre. Mais – à partir des développements proposés par certains artistes à ce moment – on aurait pu se pencher sur le chapitre suivant d’une histoire qui reprend son cours : la réapparition de la question du monochrome en Amérique et en Europe. Soit le retour de la peinture vers la question, cette fois-ci conceptualisée, de son degré zéro. Ou l’expiation artistique du zéro historique. 1945-1949 – Repartir à zéro Musée des beaux-arts, Lyon du 24 octobre 2008 au 2 février 2009

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La cinquième édition de Septembre de la photographie, vaste manifestation entièrement consacrée à la photographie contemporaine, aborde la thématique un peu nébuleuse de l’identité qu’elle décline au singulier comme au pluriel. De par sa géographie éclatée et l’étendue de sa thématique, la manifestation se laisse difficilement cerner et s’il n’est pas possible d’en rendre compte dans sa globalité, c’est par les détails, dans une vision toujours parcellaire, qu’elle se donne à voir. À la galerie Le Bleu du ciel, Klavdij Sluban présente une sorte de road-movie fait de photographies prises à l’aller et au retour d’un voyage reliant son pays d’adoption, la France, à son pays d’origine, la Slovénie. À ces paysages d’autoroutes viennent s’intercaler des images jaunies extraites de son album de famille. Au rythme des diapositives s’enchevêtrent ainsi deux distances retraçant la route jusqu’à ses origines. Ailleurs, les albums de famille constituent également un matériau privilégié pour traiter du thème de l’identité. Ils renvoient à un usage familial, amateur et intime de la photographie dans lequel Paula Muhr (galerie Caroline Vachet) et Dita Pepe (à la MAPRA) vont aussi puiser. La première présente d’étranges diptyques anachroniques faits de la juxtaposition d’anciennes photos de sa mère et de leur réactivation, quarante ans plus tard, selon les mêmes poses et dans les mêmes endroits qu’autrefois. Dita Pepe présente une série de photos de familles fictives dans lesquelles elle se met en scène aux bras de multiples maris, déclinant à travers le jeu des apparences toute une série d’identités. Autres mises en scène, celles de l’anglais Rip Hopkins (galerie le Réverbère) qui, dans une série d’autoportraits, endosse les panoplies du policier, du médecin, de l’écologiste ou du chômeur comme autant de personnifications des divers secteurs qui composent

le visage de la France. Le titre de la série, Rip La France, en associant le prénom de l’artiste au nom de son pays d’adoption, dévoile avec ironie une identité nationale. Si de nombreux photographes envisagent le thème de l’identité d’un point de vue géographique, politique ou sociologique, d’autres l’abordent d’un point de vue strictement formel. Les Paraphrases de Katerina Držková (galerie José Martinez) montrent par exemple les performances réalisées dans les expositions visitées par l’artiste. Sans accessoires autres que ses vêtements et son corps, l’artiste se met en scène devant plusieurs œuvres et engage avec elles un dialogue formel par une posture du corps, une ombre portée, une redondance chromatique… Une autre série d’œuvres intitulés Viewpoint déforme à l’aide de l’outil informatique la perspective créée par l’appareil photographique et en révèle les distorsions possibles et généralement invisibles à l’œil nu. Le regard encore, avec la métaphore de l’œil, ponctue toute l’œuvre de Stanislas Amand (à l’ENS) : le très gros plan de l’œil mi-clos d’un lapin mort ; l’œil malicieux de l’artiste lui-même qui, dans un autoportrait, se présente face au visiteur comme devant un miroir pour enlever d’un doigt une poussière qu’il aurait dans l’œil… Les photographies d’Amand apparaissent comme les composantes d’un ensemble image / texte qui donne à voir autant qu’à lire la correspondance par mail de l’artiste avec sa supposée galeriste. Les photos, réduites à de petites vignettes de mauvaise qualité par le formatage qu’implique la messagerie électronique, empêchent toute fascination face à l’image. À travers cet échange électronique, c’est l’identité de la photographie elle-même qui semble mise en jeu. Lyon Septembre de la photographie Du 16 septembre au 31 octobre 2008


wilfrid almendra

stéphane braconnier

Des étendues spatio-temporelles

De la géométrie comme art décoratif

par Violaine Digonnet

par Lélia Martin-Lirot

À la MLIS – Maison du Livre de l’Image et du Son de Villeurbanne, l’exposition Or Something Like That... vient clore une programmation 2008 dédiée à la sculpture avec un dernier volet consacré à l’artiste français Wilfrid Almendra. Contre le mur courbe de l’artothèque sont alignées douze sculptures en forme de casque de moto. Chaque casque est doté d’une visière en céramique sur laquelle est reproduit un dessin réalisé pendant un trajet en voiture. Le procédé est toujours le même : lors de ses voyages, l’artiste place une feuille sur ses genoux et tandis qu’une main tient le volant, l’autre crayonne sur le papier un dessin aléatoire. Le dessin enregistre à la fois une durée et une distance ; il est d’autant plus noirci et méandreux que le trajet est long. L’artiste cartographie ainsi ses propres déplacements en relevant leurs empreintes graphiques. Comme pour rappeler que ces dessins abstraits sont ancrés dans des expériences concrètes, le titre des casques porte les noms des deux villes reliées en voiture (Los Angeles Las Vegas ; San Diego - Tijuana, etc.). Ces casques, dont il ne reste que l’armature métallique, sont placés à hauteur d’homme, de sorte à substituer le regard du visiteur à celui du conducteur et ainsi l’embarquer dans sa course, dans un voyage mental à imaginer. En intégrant de vastes étendues spatiales et temporelles, la sculpture s’ouvre ainsi à d’autres dimensions que les trois auxquelles on associe traditionnellement ce médium. Les deux espaces d’exposition de la MLIS, non contigus et fortement contraints par une architecture imposante, ne sont pas conçus comme des white cubes. Ainsi, la sculpture Shell, Swell with a Blonde Hair voit-elle sa longue chevelure blonde,

vestige humoristique de La Naissance de Vénus, se confondre avec le sol marbré et jauni de l’artothèque. Ni l’éclairage, qui ne laisse rien percevoir des irisations de plomb fondu qui tapissent l’intérieur de la coquille, ni l’espace alentour, encombré par trois énormes piliers de béton, ne mettent l’œuvre en valeur. Pourtant le lieu offre d’autres avantages : en entrant dans l’espace d’exposition, le visiteur bénéficie d’une vue d’ensemble, plongeante, sur les œuvres situées en contrebas. La diversité des points de vue permet ainsi d’autres regards sur les œuvres d’Almendra et souligne bien la spécificité inhérente aux artothèques qui, dans l’héritage des utopies post-68, espéraient changer notre regard sur l’art. Wilfrid Almendra Or Something Like That… MLIS, Villeurbanne du 15 novembre 2008 au 17 janvier 2009

Wilfrid Almendra Shell, Swell with a Blonde Hair, 2008 Courtesy Cosmic Galerie © Géraldine Pastor Lloret

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Stéphane Braconnier Vue de l’exposition à la galerie Olivier Houg © Romain Houg

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Chez Olivier Houg, l’accrochage des pièces récentes du lyonnais Stéphane Braconnier saisit d’emblée par son orthogonalité et son formalisme. Les murs de la galerie, noirs d’un côté et blancs de l’autre, accueillent quatorze toiles carrées et un imposant diptyque, dans une scénographie qui fait écho aux rapports d’opposition formels se jouant au sein des œuvres. Celles-ci, résolument abstraites, ont toutes été réalisées l’an passé selon un protocole similaire : des formes géométriques horizontales sous-jacentes sont recouvertes par un aplat bicolore qui divise le tableau en hauteur ou en diagonale. Le tout est unifié par une couche de cire. Les formes apparaissent par transparence, indiquant une composition conjointe dans le format de la toile et dans l’épaisseur de la matière picturale. Une organisation par plans colorés juxtaposés et superposés qui rappelle Paul Klee dont la peinture polyphonique prônait la construction de l’unicité par la multiplicité et qui œuvrait à une « synthèse architecture urbaine – architecture du tableau ». Souvent vives et complémentaires, les couleurs se confrontent ou se mêlent dans une relation à la lumière qui donne sens au titre de l’exposition, intitulée Liaisons. Le mélange peinture minérale / cire confère aux toiles profondeur et ambiguïté. Vitraux de loin, plaques métalliques de près, c’est avec le déplacement que différents aspects des surfaces se révèlent. Si la recherche plastique de Stéphane Braconnier est ici dominée par l’étude de la couleur et de la composition, on peut toutefois en souligner l’évolution depuis 2005, de l’introduction de photographies à ses peintures vers cette pratique assumée de l’abstraction. Même si la sérialité et le choix des couleurs évoquent le Pop Art, c’est plutôt à un courant rationaliste que l’artiste semble faire référence. Ce parallèle historique persiste à la lecture de quelques titres (L’invitation, La raison, La joie, Le volcan, La rivière, etc.) désignant actions, émotions ou éléments géologiques, soit une géographie de la nature et de la culture. En 1935, le peintre italien Osvaldo Licini répondait aux détracteurs de la dimension décorative de la peinture abstraite : « Nous démontrerons que la géométrie peut devenir un sentiment, une poésie plus intéressante que celle qu’exprime le visage de l’homme ». Un précepte désormais ancien que Stéphane Braconnier semble vouloir remettre au goût du jour. Stéphane Braconnier Liaisons Galerie Olivier Houg, Lyon du 9 janvier au 21 février 2009


antony gormley

un hiver à grenoble

Effet masse

Noël à l’envers

par Florence Meyssonnier

par Aurélie Veyrot

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Antony Gormley Allotment II, 1996 300 éléments en béton armé Courtesy Antony Gormley, Galerie Thaddaeus Ropac (Paris/Salzbourg) et Jay Jopling/White Cube (Londres) © Yves Bresson, MAM Saint-Étienne métropole

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Philippe Meste Gunpower, 1997-2008 © Clôde Coulpier

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Portée par trois importantes institutions à travers l’Europe, Between You and Me au Musée d’art moderne de Saint-Étienne est la première grande exposition d’Antony Gormley en France. Y sont rassemblées trois réalisations majeures d’un artiste que l’on rattache généralement à la nébuleuse « New sculpture » anglaise (aux côtés de Richard Deacon, Tony Cragg, Anish Kapoor...). Mais son œuvre est plus largement une chambre d’échos à l’histoire de l’art, car elle creuse depuis plus de vingt ans des sillages ouverts dès les premiers artefacts, qui font tendre l’exploration de la figure humaine et de la matière vers une abstraction universelle – une abstraction chez Gormley qui ne ramène pas au même mais à l’autre, dans l’expérience d’une humanité partagée. La sculpture anthropomorphe d’Antony Gormley reproduit l’habitacle de l’individu (souvent de l’artiste lui-même), pour n’en retenir que des figures épurées qui, dans leur apparition, nouent une forte relation sensible et symbolique avec le spectateur. Car c’est dans la masse que s’actualise la présence de chacune d’entre elles : tout d’abord dans la densité de leur matière (fonte, béton, terre) qui en fait pour nous des semblables physiques, mais surtout dans la multiplicité d’un corps collectif dont elles deviennent, comme nous, un élément témoin. De l’exposition à la cité, l’artiste a ainsi multiplié les apparitions de ces figures dans l’espace du quotidien. Dispersées dans la première salle du musée, les soixante sculptures en fonte de Critical Mass II sont issues de 5 moulages réalisés à partir du corps de l’artiste dans douze positions (fœtale, assise, debout, etc.). Par de multiples articulations, dans des mouvements ascendants et descendants, l’artiste traduit l’expérience sans cesse réitérée de la re-disposition de chaque

homme dans le corps social, se trouvant tour à tour en situation de cohésion ou d’exclusion. Dans une relation encore plus étroite avec l’alter, la colossale installation Allotement envahit la salle centrale de ses 300 blocs de béton. Chacun reprend les proportions du corps d’un habitant de Malmö en Suède. Soigneusement articulé dans différents ensembles (homme-femme, enfantadulte…), le tout manifeste l’édifice social dans l’évident rapprochement du corps humain et du corps architectural. Chaque bloc est percé d’orifices le ramenant schématiquement à un organisme, et marqué d’un numéro qui le renvoie administrativement à un nom, à une lointaine identité sociale. Différemment modélisées, les figures de ces œuvres convoquent ainsi, dans leur mutisme, des systèmes de relations et de circulations qui ne sont pas conditionnées par des identités singulières mais par un anonymat déterminant, tel une limite qui force notre positionnement. On évolue ainsi dans les étroites artères de cette ville, faisant corps avec l’existant, un parmi les autres, jusqu’à l’impressionnante foule des petites silhouettes de terre cuite qui composent la réalisation collective Field. Ces milliers de petits substituts corporels modelés d’un geste simple et direct par autant d’individus, saturent eux aussi un espace, au seuil duquel nous sommes fixés par quantité d’orbites. Between You and Me, du corps de l’autre au nôtre, là se situent ces sculptures que nous éprouvons de tout leur poids. Antony Gormley Between You and Me Musée d’art moderne de Saint-Étienne du 11 octobre 2008 au 25 janvier 2009 en collaboration avec la Kunsthal de Rotterdam, l’Atrium de Victoria (Espagne) et la galerie Thaddaeus Ropac (Paris)

Nostalgie d’années 1980 exhumées d’un oubli collectif au Magasin (voir 02 n°48, hiver 2008), trouble des images de Patrick Faigenbaum au Musée de Grenoble ou politique des utopies lors du Mois Américain au CAB de Grenoble… La capitale du Dauphiné aura soufflé le froid et le chaud tout au long de l’hiver et c’est le OUI qui donne le ton avec une exposition glaciale et mélancolique, en trois volets qui furent autant d’interrogations de la résistance du corps humain face à ce que l’art ne doit pas être – une distraction. Premier épisode avec les armes de Philippe Meste, bien connu pour avoir tiré de véritables munitions sur des navires de guerre et dont l’œuvre pousse la violence et le sexe dans leurs derniers retranchements esthétiques, qui montrait ici des armes chargées de fusées de détresse, posées directement sur leurs caisses de transport. Disposées en tout sens sur le sol du centre d’art – volontairement non chauffé pour cette exposition –, les œuvres déroulaient un espace à l’intérieur duquel nul ne pouvait trouver refuge ou repos. Le deuxième volet mettait en scène un sauna norvégien poussé à bloc et utilisable par le spectateur, qui faisait ici usage direct de son corps en partant d’un principe simple : celui que « l’esthétique qui est au cœur de l’œuvre d’art, cette esthétique qui étymologiquement veut dire « sensation », sera ici donnée à l’état brut – à nue ». Troisième et dernière partie avec la présentation de KarnickelKöttelKarnickel (1972) de Dieter Roth, un ensemble de lapins sous vitrine modelés dans du chocolat, de la paille et de la merde, et que seule une température très basse permet de conserver correctement. Bon appétit ! À l’opposé de cette blancheur, si aveuglante que l’exposition au OUI n’avait

pas même de titre, l’expérience de l’Exposition de Noël du Magasin-CNAC de Grenoble, sur le modèle de celles qu’on trouve dans les Kunsthallen de Suisse alémanique, donnait la part belle à un mélange d’œuvres à la fois sympathiques et un peu fourre-tout. Un seul critère pour postuler à cette exposition désormais annuelle : celui d’avoir un lien, même ténu, avec la région RhôneAlpes. Sur trois cent dossiers reçus, un jury a ainsi sélectionné une quarantaine d’œuvres, parmi lesquelles celle de Richard Comte, qui propose « le plus gros texto du monde » : soit le mot « Reviens ! » en lettres informatiques taillées dans un champ et vues avion. On notera également les dessins se répondant librement d’une feuille à l’autre de Johanny Meloul ou le remarquable documentaire de David Dupont consacré à trois squatteurs grenoblois, les deux séries de dessins de Sylvie Sauvageon, une vidéo d’Olivier Lemort qui joue sur l’appropriation de stéréotypes masculins, deux vidéos de Damir Radovic où l’artiste s’installe, l’air de rien, pour dormir dans les espaces publics de Sarajevo ou Hiroshima, suscitant des réactions différentes selon les lieux où se déroulent les performances. Peu d’artistes connus, beaucoup de dessins et de photographies : un palmarès certes hétéroclite mais qui donne un bon aperçu des interrogations qui traversent la jeune création actuelle. Exposition Sans titre en trois volets Centre d’art OUI, Grenoble du 30 novembre 2008 au 22 février 2009 Exposition de Noël 2008 Ancien Musée de Peinture, Grenoble du 7 décembre 2008 au 4 janvier 2009


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expositions ailleurs

l’exposition continue

De la même couleur que le mur par Caroline Soyez-Petithomme

L’Exposition Continue, 2008 Ci-dessus : vue de l’exposition à 1 m3, livres One Million Years d’On Kawara sur les tables de Claude Rutault Ci-contre : vue de l’exposition à Circuit, toiles repeintes de la même couleur que le mur par Claude Rutault, selon la définition / méthode associée 307 Courtesy 1 m3 et Circuit, Lausanne

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L’exposition continue a commencé à Londres en 2006, puis s’est déroulée à Circuit et à 1 m3 à Lausanne en 2008. Comme son titre l’indique, l’exposition est itinérante et rassemble des œuvres historiques et contemporaines. Jusqu’ici, tout semble conforme au système de diffusion et de mise en circulation propre à l’art contemporain. Cependant, le fonctionnement des œuvres de Claude Rutault et d’On Kawara, qui détermine la stratégie de Mathieu Copeland, le commissaire de l’exposition, fait voler en éclats le cadre traditionnel de ce qu’est une exposition. Le lien établi par Rutault entre le texte et la peinture ou par On Kawara entre le texte et la lecture réitère l’importance du vide et le nécessaire passage à l’acte. L’exposition continue perpétue ce refus d’être figé dans l’écrit ou dans l’objet fini et se replace ainsi dans le temps. Les peintures de Rutault, tout comme les lectures de One Million Years d’On Kawara, sont régies par le texte : c’est l’information concernant le travail qui constitue l’œuvre. À chaque activation ou prise en charge, l’œuvre est augmentée et actualisée. Ce fonctionnement s’étend ici à l’ensemble de l’exposition. Les effets de mise en abyme liant entre elles­­les œuvres de Claude Rutault, On Kawara, David Cuningham et

Charlemagne Palestine s’étendent du perceptible à l’invisible. À 1 m3, deux tables réalisées par Rutault (pour l’architecte Dominique Perrault) ont été installées l’une à côté de l’autre près des fenêtres. Elles servent de mobilier où sont disposés les deux volumes de One Million Years d’On Kawara. La valeur d’usage de la table ainsi préservée induit que l’œuvre n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’interroger notre rapport au présent et au temps. Tout autour, des enceintes reposent horizontalement sur des tréteaux et diffusent une installation sonore de David Cunningham. Celle-ci s’active selon la densité des bruits et des mouvements produits par le visiteur. Chaque enceinte est accompagnée d’une petite toile blanche évoquant la fonction d’un cartel ici laissé vierge. Rappelant ou annonçant la suite de l’exposition à Circuit, ces petits monochromes se font également l’écho visuel des silences alternativement livrés par l’installation. Tout comme le texte est indissociable de l’expérience physique des œuvres de Rutault et d’On Kawara, des données indispensables contenues dans le communiqué et le plan d’accrochage impliquent de ces outils qu’ils fassent partie intégrante de l’exposition. Mais cela n’enlève rien à l’importance

de la déambulation du visiteur. À Circuit, la radicalité minimale de l’accrochage constitue un pendant partiellement immatériel à celui présenté à 1 m3. Le dégagement de l’espace d’exposition finit par faire oublier les toiles et par attirer l’attention sur la réalité physique des lieux. Les portes, les chauffages ou encore le comptoir d’accueil à l’entrée sont autant d’incidents que le côté du mur qui sépare en deux parties l’espace de Circuit. Bien qu’il soit très fin, ce retour soigneusement peint accroche le regard, probablement parce qu’il est l’endroit précis où devrait se trouver le miroir dans lequel une salle reflète l’autre. Mais aussi parce qu’il rappelle le décalage minimum mais irréductible dont il est question dans la peinture de Rutault : littéralement celui d’un monochrome peint de la même couleur que le mur et vu de côté. L’accrochage réactualise la définition / méthode associée 307 (159+1+2+145) de Rutault. Dans la première salle, l’exposition réalisée à Londres en 2006 est de nouveau présentée. Le nombre de réalisations de cette définition / méthode étant illimité, la deuxième salle a été conçue comme l’exact reflet de la première. Mais l’énoncé de Claude Rutault a été appliqué à d’autres tableaux existants et repeints de la même couleur que le mur,

dont ceux de Francis Baudevin, Olivier Mosset et Philippe Decrauzat. Le commissaire a laissé cours au libre arbitre qui est essentiel dans la pratique de Rutault et s’est déchargé à son tour de son temporaire statut d’auteur en ouvrant l’interprétation à l’histoire du centre d’art. Chaque mur est en effet peint aux couleurs des murs de l’exposition La Chute d’Eau (2008), organisée à l’occasion des dix ans de la galerie, qui elle-même reprenait la peinture des murs du précédent espace de Circuit. Ce principe d’imbrications est récurrent dans l’exposition et s’avère paradoxal. Il est ainsi le dénominateur commun, qui, appliqué aux œuvres et à l’exposition, divise infiniment le propos. Par ailleurs, il révèle toute la cohérence entre l’exposition et son contexte. L’exposition continue Circuit et Association d’art contemporain 1 m3, Lausanne du 4 octobre au 22 novembre 2008 Avec David Cunningham, On Kawara, Charlemagne Palestine et des peintures de Birgir Andresson, Jean-Sylvain Bieth, Francis Baudevin, Michel Castaignet, John Cornu, Philippe Decrauzat, Noel Dolla, Olivier Mosset, Christian Robert-Tissot, Evi Vingerling, repeintes de la même couleur que le mur par Claude Rutault


sylvie fleury

out of office

La fin d’une époque

L’ère tertiaire

par Nicolas Garait

par Pedro Morais

Sylvie Fleury She-Devils on Wheels-Headquarter, 1997. Installation, divers éléments © Ilmari Kalkkinen, Mamco, Genève. Collection Migrosmuseum, Zürich

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L’exposition monographique consacrée par le Mamco à Sylvie Fleury sur les quatre étages du bâtiment clôt un dialogue entamé avec son directeur Christian Bernard au début des années 1990, lorsque celui-ci était à la tête de la Villa Arson à Nice. De ses premiers Shopping Bags négligemment jetés dans un coin de l’exposition No Man’s Time au déversement visuel de sa rétrospective, l’ancienne infirmière des folles nuits genevoises aura tracé un chemin dont le résultat ressemble au chant du cygne d’une époque hyperindividualiste, hyper-consommatrice et hyper-endettée à tous les niveaux : fric et histoire de l’art. À l’opposé des expositions du Mamco qui commencent généralement au 4e étage et se terminent au rez-dechaussée, Sylvie Fleury a souhaité une montée en puissance vers une sorte de nirvana esthétique censé synthétiser son goût pour le new-age et les huiles essentielles. Si cette partie de l’exposition est de loin la moins réussie (tout y fait cheap, à commencer par les cristaux en plastique et le costume de Statue de la Liberté), les trois autres étages montrent l’étendue de son travail depuis vingt ans et sont la preuve de l’irréfutable importance de l’artiste, hors des clichés d’écervelée qu’on lui associe trop souvent. Le parcours commence avec l’un des vrais chefs-d’œuvre de Sylvie Fleury : She-Devils on Wheels, ou les « diablesses sur roue », sorte de folle équipée de formule 1 ultra-féminine. S’il manque à l’ensemble la vidéo montrée au Magasin à Grenoble lors d’une précédente rétrospective il y a quelques années (où les coureuses s’aspergeaient de champagne au ralenti pour fêter un improbable succès), les carcasses de voiture soigneusement laquées de couleurs vives tirées d’une gamme de rouge à lèvres, le tuning apprêté et les combinaisons de sport dessinées par l’artiste

font rentrer cette œuvre dans le champ d’un féminisme totalement décomplexé, avec effet miroir à la clef. Plus loin, sous des cages en plexiglas qui signent la mort certaine de ces objets, des moulages de produits de luxe, des emballage de crèmes de jour et de soupes amaigrissantes, des sacs à main siglés qui rigidifient le socle du travail de Fleury. Ailleurs, Kosuth se téléscope avec des modes d’emploi de produits de beauté, Buren avec un monstre à l’allure sympathique et Vasarely avec pire que lui. Les bottines à motifs géométriques d’Yves Saint-Laurent (ou est-ce Mondrian ?) se perdent dans la chambre à coucher de l’appartement du collectionneur Ghislain Mollet-Viéville tandis qu’une fourrure d’un violet repoussant capitonne les châssis de Claude Rutault. Partout, des slogans, des pneus en céramique couleur or qui ne dépareilleraient pas dans un restaurant chinois, des masses informes dégoulinant d’une sculpture de Donald Judd dont on ne sait si elle est vraie ou conçue pour l’occasion, de la fourrure et des fusées / jouets pour petite fille qui s’amuse. Au centre de l’exposition, un podium de défilé sur lequel on est obligé de marcher – vanité toujours – pour accéder à la suite, tandis qu’ailleurs les couleurs explosent et dégoulinent des murs et des coffres à chaussures. Sylvie Fleury est à Genève la chef d’orchestre d’une dérision violente et assumée, sourire ironique au coin des lèvres et démarche assurée. « Please, no more of this kind of stuff », nous dit d’une écriture tremblée un néon repris d’un message dans le livre d’or d’une précédente exposition de l’artiste. On vous l’avait dit : la fin d’une époque et le début d’une autre. Sylvie Fleury Paillettes et Dépendances ou la fascination du néant Mamco, Genève du 29 octobre 2008 au 25 janvier 2009

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Basserode Sans titre (Table de lettres), 1998. Bois de hêtre, mousse multicolore, colle Collection Rhône-Alpes – Institut d’art contemporain, Villeurbanne / Lyon © André Morin

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Il semble désormais possible d’esquisser une relecture des années 1990, dont les pratiques et les discours sont distancés par d’autres paradigmes. Parmi les obsessions de cette décennie, il faudra tenir compte de l’usage détourné de « l’esthétique bureaucratique », allant d’entreprises fictives à un certain goût immodéré pour des schémas directeurs, des statistiques et autres organigrammes. Cette veine se trouve bien représentée dans les collections des FRAC, et c’est à l’initiative conjointe de ceux de Rhône-Alpes et de Provence-Alpes-Côte d’Azur que s’est organisée l’exposition Out of Office dans les locaux d’Eurorégion à Bruxelles 1. Les deux institutions ont fait le choix tonique d’inviter la jeune équipe du magazine belge Code à se saisir de leur fonds pour tisser un lien entre des œuvres. En assumant la difficulté d’exposer dans le hall très corporate de ce siège administratif, Out of Office réunit un ensemble d’œuvres qui s’approprient les codes de l’entreprise « pour mieux s’en évader ». Cela permet de retracer une certaine généalogie artistique qui débute ici avec l’une des premières séries photographiques de Thomas Ruff où le détournement des codes du portrait d’identité emprunte l’allure d’un tableau d’employé du mois. Les seize boîtes en carton alignées de Claude Closky, exemplifiant toutes les façons possibles de les fermer, font prendre à l’art minimal une tournure corrosive, si l’on associe l’expression « faire ses cartons » à ce lieu d’exposition. Il est encore possible de rapprocher Fabrice Hybert et Alain Bublex de cette génération. Le premier expose une machine aérienne, dévoreuse de poussières et autres saletés terrestres, sorte de système digestif de l’immeuble, tandis que Bublex opte pour le détourne-

ment publicitaire en invitant à visiter une usine pendant les vacances, dans un sens littéral de « l’industrie » du tourisme. La table de réunion exposée par Basserode, envahie par des centaines de lettres multicolores, semble autant se vider par excès des discours, qu’offrir la possibilité à chacun d’y organiser des mots, la rapprochant du brainstorming. Le cas Tatiana Trouvé est assez exemplaire d’un rebondissement esthétique et thématique face à certaines impasses de « l’esthétique bureaucratique », à force de détournements se limitant à tourner le langage dominant sur lui-même. Son Module à réminiscence (1999) est un « bureau » réfléchissant, renfermé sur lui-même, qui intégrait son méga-projet des années 1990, le Bureau d’Activités Implicites. Depuis, l’artiste semble avoir délaissé les principes d’accumulation et de classement de cette œuvre tentaculaire, pour plonger dans des sous-couches mentales plus troubles. C’est un peu la voie empruntée par les plus jeunes artistes de la sélection : Guillaume Pinard occupe la salle de conférences avec une vidéo où il dessine des diagrammes pour expliquer l’origine du monde, déconstruisant par l’absurde nos schémas rationnels, tandis que le walldrawing de Stéphanie Nava fait intervenir, au milieu de l’organisation rectiligne de l’architecture urbaine, des scénettes où la sensualité continue à travailler les corps. 1. L’Eurorégion réunit un ensemble de cinq régions du territoire alpin et méditerranéen mobilisées pour des projets auprès de l’Union Européenne Out of Office Eurorégion Alpes-Méditerranée, Bruxelles du 1er novembre au 20 décembre 2008


lectures

Collection de design du Musée d’art moderne

Espèces d’espaces Le catalogue édité par le Magasin-CNAC à l’occasion de la première partie de l’exposition Espèces d’espaces / Les années 1980 est une véritable anthologie de textes inédits, traduits pour la première fois en français ou jamais republiés. Des textes de Félix Guattari ou Hal Foster en passant par Dan Graham permettent d’éclairer le contexte post-moderne des années 1980 et de mettre en perspective, sans nostalgie inutile, l’art produit durant cette période.

À l’occasion de la dernière Biennale du Design de Saint-Étienne est sorti le catalogue raisonné de la collection de design du Musée d’art moderne : 500 pages richement illustrées reprenant l’intégralité de la collection ainsi qu’une centaine de fiches chronologiques qui situent les œuvres les plus emblématiques de la collection dans leur contexte global. Une indispensable mise en perspective de l’histoire du design et des objets qui nous entourent au quotidien.

Espèces d’espaces Les années 1980 – première partie 240 pages, Le Magasin, Grenoble, 2008. Textes bilingues (français et anglais) d’Yves Aupetitallot, Hal Foster, Maria Garzia, Ludger Gerdes, Dan Graham, Félix Guattari, Fredric Jameson, Lucy Lippard, Alan Moore, Paolo Portoghesi, Sally Webster.

Catalogue de la collection de design du Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole 510 pages, Cité du Design éditions, Saint-Étienne, 2008. Textes bilingues (français et anglais). Direction éditoriale et scientifique Jacques Beauffet.

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