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zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 5 | automne 2009 Gratuit


Š Sandine Binoux

Art contemporain / design

www.leprogres.fr


zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 5 | automne 2009 Gratuit

Édition : Association Zéroquatre et 02 Directeur de la publication / rédacteur en chef : Patrice Joly Rédacteur en chef adjoint : Nicolas Garait Comité de rédaction : Hauviette Béthemont, Marie de Brugerolle, Nicolas Garait, Patrice Joly, Florence Meyssonnier, Georges Rey, Caroline Soyez-Petithomme Rédacteurs : Carine Bel, Marie de Brugerolle, Sandra Cattini, Laurine Fabre, Nicolas Garait, Jill Gasparina, Lélia Martin-Lirot, Florence Meyssonnier, Vincent Pécoil, Hugo Pernet, Pascale Riou, Aurélie Veyrot Design graphique : Claire Moreux & Olivier Huz Impression : Imprimerie de Champagne, Langres Comité partenaires : • Institut d’art contemporain, Villeurbanne • École nationale des beaux-arts de Lyon • Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole • Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon • Fondation Bullukian • Le Fort du Bruissin, Centre d’art contemporain Remerciements : Wong Hoy Chong, François et Danielle Morellet, Alicia Treppoz-Vielle, Daniela Franck, Bruno Forges et José Martinez, Jérôme Cotinet-Alphaize, Fanny Robin, Ariane Bosshard, nos soutiens, partenaires et annonceurs.

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De la grâce appliquée aux mathématiques François Morellet à la Tourette par Nicolas Garait

p. 6

Pierre Ravelle-Chapuis au Monastère de Brou Analyse par Vincent Pécoil

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Xe Biennale de Lyon L’œuvre de Wong Hoy Cheong par Aurélie Veyrot

p. 10

L’artiste, le maire, et le graffeur (une allégorie) Allan McCollum à Montpellier par Jill Gasparina

p. 12

Lugdunum-Torino : au cœur du village global Andrea Bellini interrogé par Marie de Brugerolle

p. 14

Sans titre (Olivier Mosset : portrait de l’artiste en motocycliste, Magasin de Grenoble)

p. 16

Rouge pompéien et néons bleus (une pétition) Dan Flavin à Lyon par Nicolas Garait

p. 18

À(venir) Sélection d’expositions dans la région

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Expositions Yvan Salmonone à art3, Valence, et au château des Adhémar, Montélimar Locus Oculi au Château de la Bâtie d’Urfé Ici et le Monde au Schweizerisches ArchitekturMuseum, Bâle Josh Smith au Centre d’art contemporain, Genève Laurent Pernel à l’Espace Vallès, Saint-Martin-d’Hères Cécile Bart au Frac Bourgogne, Dijon Im Dunkeln sieht man die Licht à Fri Art, Fribourg Joanne Tatham & Tom O’Sullivan à la Salle de bains, Lyon Let’s Talk About Painting ! #2 au Stand, Lyon Lynne Cohen au Bleu du ciel, Lyon, à Paris et à Cherbourg Benjamin Seror à OUI, Grenoble Damien Cabanes à la Fondation Salomon, Alex

p. 32

Lecture

04 est un supplément de 02 nº51, automne 2009 édité par Zoo Galerie 4 rue de la Distillerie, 44000 Nantes www.zerodeux.fr • patricejoly@wanadoo.fr En couverture : Wong Hoy Cheong Days of Our Lives : The Soldier’s Farewell (After Michel Genod’s « Les Adieux du soldat »; 1824), 2009 Photographie numérique, 94 x 114 cm Courtoisie de l’artiste, avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Lyon 04 bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes



Danielle et François Morellet © Pierre Arnaud

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artiste

De la grâce appliquée aux mathématiques François Morellet à la Tourette

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nicolas garait * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *********************

Éveux, en juillet dernier. Le couvent de la Tourette, l’une des dernières réalisations du Corbusier, fête ses 50 ans en se débarrassant peu à peu des oripeaux du chantier de rénovation qui l’occupe depuis maintenant deux ans. Construit à flanc de colline par l’un des architectes les plus célèbres et les plus controversés du xxe siècle, la Tourette accueille en ses murs François Morellet pour une magistrale leçon d’accrochage. Rencontre exceptionnelle de deux monstres sacrés (l’un peut-être plus malicieux que l’autre), l’exposition de François Morellet chez Le Corbusier démontre avec légèreté l’évidence toujours renouvelée du travail de l’artiste. Ses œuvres ne se contentent pas de « dialoguer » avec le lieu : elles semblent avoir été conçues pour et par lui. À Éveux, les lumières s’entrecroisent et éclairent paisiblement le lourd crépi du couvent. Les couleurs se reflètent dans les vitrages calculés par Iannis Xennakis, qui eux-mêmes répondent aux œuvres à travers les ombres qu’ils projettent au sol. Un chemin de croix mathématique descend vers l’église comme s’il avait toujours été là et le réfectoire accueille deux pièces que les frères dominicains qui résident au couvent refuseraient presque de voir partir tant elles sont justes. Au millimètre près, la pertinence de l’artiste vient prendre le bâtiment à bras-le-corps, et, selon les termes d’un François Morellet satisfait du bon coup qu’il a encore réalisé, vient « chatouiller l’architecture » du Corbu. Au moment où, après deux jours de montage, le Grand Lamentable, un ensemble de huit néons courbes suspendus dans la nef par un filin invisible, s’illumine enfin dans l’église, François Morellet ne peut s’empêcher de laisser échapper un juron sonore, prononcé par lui seul mais pensé en même temps

par tous ceux qui l’accompagnent ce jour-là – presque un cri d’étonnement face à la perfection d’une œuvre qui résonne désormais dans l’imposant volume sans jamais l’embarrasser. Occupant espiègle des lieux, François Morellet sait aussi créer des moments émouvants, ceux que suscite le décrochage d’un néon bleu autour d’un monochrome blanc, la présence d’un volume jaune visible de tout l’édifice, un trait creusé dans le bois d’un tableau ou la plénitude d’une sculpture venant, degré après degré, enchâsser une colonne. Dans cet entre-deux que vit aujourd’hui le couvent, presque entièrement rénové mais pas encore totalement habité, l’œuvre de Morellet vibre d’une énergie généreuse et bienveillante, intelligente et sensible – exacte.

François Morellet Tableau 5°-95° angle néon (sur mur) 0°-90°, 1980 Acrylique sur toile et argon, 152×152 cm Collection de l’artiste Page suivante : Lamentable blanc, 2006 8 tubes de 1/8 d’un cercle de 820 cm de diamètre de néon © Pierre Arnaud

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François Morellet chez Le Corbusier Couvent de la Tourette du 12 septembre au 8 novembre 2009




analyse

Monastère de Brou Pierre Ravelle-Chapuis

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vincent pécoil ******************************************

Le projet de sculpture de Pierre RavelleChapuis pour le monastère de Brou appartient à cette classe d’objets qu’un critique d’art avait qualifié autrefois d’objets « anxieux », autrement dit dont la nature hésite entre l’objet ordinaire et l’œuvre d’art à la fonction purement symbolique. Est-ce vraiment une sculpture ? Ou bien une sorte d’outil, une structure de chantier, comme peut le laisser entendre son échelle et sa forme, qui en font la réplique d’éléments d’échafaudage réels ?

Pierre Ravelle-Chapuis Projet pour le Monastère Royal de Brou, 2009 Courtoisie de l’artiste

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Le matériau dans lequel est réalisé la sculpture (de la pierre de Bourgogne taillée) est aberrant pour un échafaudage et, dans le même temps, « à sa place » dans le cadre du Monastère de Brou, comme si l’œuvre était une sorte de caméléon appliqué à la surface du bâtiment, dupliquant son aspect. Le fait que l’échafaudage soit réalisé en pierre de taille supprime sa fonction et le transforme en une sorte d’image. Une autre incongruité qui donne à l’œuvre son caractère paradoxal réside dans le fait que le matériau et la technique de fabrication répondent aux critères anciens tandis que la forme, elle, est contemporaine. La chose représentée – un échafaudage – évoque l’édification du bâtiment lui-même et, à ce titre, l’œuvre peut être mise en parallèle avec la peinture ancienne. Le renvoi à la construction du bâtiment est comme une mise en avant des moyens de l’art comparable aux trompe-l’œil des maîtres anciens (et les maîtres hollandais en premier lieu, les primitifs flamands contemporains des architectes de la construction du Monastère de Brou) qui représentaient dans les moindres détails le cadre du tableau, quand ils ne représentaient pas son envers avec une perfection illusion-

niste, mais aussi les peintres modernes soulignant la matérialité de ce qui fait la peinture – châssis laissé apparent, ou marques ostensibles de l’application de la peinture (coups de brosses, coulures de peinture). Du fait de son sujet, la sculpture suggère également un lien avec l’avènement de motifs triviaux en art, comme la représentation des travailleurs (en premier lieu les casseurs de pierres de Gustave Courbet), par lesquels l’art moderne s’est distingué de l’art néo-clas­sique. Représenter un élément de chantier, c’est montrer le travail qui a été nécessaire à l’édification du bâtiment sur lequel cette même représentation est appliquée, d’une certaine façon. C’est aussi une ruse par rapport à la fascination qu’a toujours exercée la virtuosité technique, ou simplement les heures de travail accumulées, sur le sujet ou « concept » d’une œuvre. (Un phénomène qui explique largement le peu d’engouement pour l’art récent, suspecté de paresse, voire de fumisterie.) Du fait de sa technique et de son matériau, mimant la maîtrise d’ouvrage du Moyen-Âge, l’installation se met à l’abri de cette critique, tout en étant d’une nature très différente. Le rapport au bâtiment ancien est pro­ saïque, au sens où il évoque le travail de construction – et peut être compris comme un hommage à celui-ci. En cet autre sens, l’installation peut également être vue comme un clin d’œil à une autre tradition, celle de l’art dit « construit » ou « constructif ». Olivier Mosset avançait il y a quelques années cette hypothèse que la peinture en bâtiment était peut-être la forme de peinture la plus radicale aujourd’hui, eu égard, justement, à cette tradition de l’art constructiviste, qui aspirait à l’intégration de l’art dans la réalité au travers de l’architecture, notamment. Au Moyen-Âge, l’art sculpté était conçu en parfaite intégration avec le bâtiment. Il n’était pas un surplus sym-


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bolique, mais une partie intégrante de l’architecture. Depuis, cette intégration de la sculpture à l’architecture s’est progressivement disloquée, l’ornement devenant un accessoire symbolique rapporté à la façade. En plaquant l’échafaudage sur la façade du cloître, ce sont ces deux moments de l’histoire des rapports entre art et architecture qui sont évoqués. Si les peintres en bâtiment constituent aujourd’hui une profession très répandue, il n’existe par contre plus aucun « sculpteur en bâtiment ». Mais si ce métier paraît incongru aujourd’hui, il était par contre naturel à l’époque où fût édifié le monastère, à une époque où la statuaire n’existait que par rapport à un site déterminé. La proposition de Pierre RavelleChapuis pour le monastère de Brou est pour cette raison un rappel de cette sujétion de l’art au bâtiment, à l’architecture. L’installation proposée est une œuvre in situ, c’est-à-dire pensée spécifiquement par rapport à un lieu. Elle ne se comprend que par rapport à ce lieu, sa signification n’est pas indépendante de son inscription dans ce site particulier. Mais si la sculpture entre en résonance avec le cadre du monastère de Brou, ça n’est pas de la manière désormais convenue qui est devenue un des lieux communs de l’art in situ, censé révéler le « génie du lieu », et se servant du lieu en question comme d’un écrin valorisant pour l’œuvre. À la fois discrète et incongrue, la présence de la sculpture ouvre des perspectives historiques sur ce que fut la fonction de la sculpture et de l’architecture, mais aussi sur la façon dont nous envisageons aujourd’hui notre

rapport à l’art passé et présent. Le sujet de la sculpture est en fin de compte le bâtiment (le monastère) « en tant que nous le concevons communément comme une partie du “ patrimoine ” ». L’échafaudage, en évoquant les travaux de réfection structurelle ou de ravalement, évoque le travail continu de restauration dont les bâtiments exceptionnels de cette époque font l’objet. L’intervention proposée est subtile : ni cosmétique, ni capitalisation sur le génie du lieu, la sculpture ouvre une réflexion sur la place que nous accordons respectivement à la création et au patrimoine dans notre société. Est-ce que l’attention que nous portons aux vestiges de l’art ancien peut s’exprimer autrement que sur le mode de la conservation et de la restauration ? Est-ce seulement à ce rôle que nous devons confiner l’art (être un « monument », autrement dit un rappel de quelque chose de passé, de révolu ; témoigner, être un vestige) ? L’œuvre évoque la « restauration », ce qui se comprend aussi au sens de retour à un état antérieur. Mais elle n’est pas passéiste pour autant. Résolument contemporaine, elle est simultanément un hommage à une forme révolue, et une réflexion sur ce que nous attendons de l’art aujourd’hui.

Pierre Ravel-Chapuis Monastère Royal de Brou, Bourg-en-Bresse du vendredi 25 septembre 2009 au dimanche 17 janvier 2010

Pierre Ravelle-Chapuis Projet pour le Monastère Royal de Brou, 2009 Image 3D © Stéphane Deline

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portfolio

Xe Biennale de Lyon Wong Hoy Cheong

Wong Hoy Cheong Days of Our Lives : Reading (After Fantin-Latour’s “LaLecture”, 1877), 2009 Photographie numérique, 112×83 cm Courtoisie de l’artiste, avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Lyon Henri Fantin-Latour La Lecture, 1877 © Lyon MBA / Photo Alain Basset

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aurélie veyrot * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *********************

Invité par Hou Hanru à la Biennale de Lyon, le malaisien Wong Hoy Cheong réalise pour celle-ci une œuvre à la fois dense et frontale. Alors qu’il se rend en France pour y préparer son exposition, l’artiste visite le Musée des beaux-arts de Lyon et tombe en arrêt devant les peintures dites de « petit genre » (xviiie et xixe principalement), qui représentent des scènes domestiques et tranquilles : repas, lectures, retour de la guerre ou scènes de deuil constituent de fait ce que l’artiste qualifie d’« esprit français », qu’il souhaite incarner et immortaliser pour sa valeur emblématique. Wong Hoy Cheong s’attache alors à reconstituer, détail après détail, certains tableaux du Musée, en remplaçant les personnages anciens par d’autres, plus contemporains et issus de diverses nationalités : Nigériens, Malaisiens, Turques ou Iraniens rejouent pour lui des scènes tellement classiques qu’elles font partie de l’inconscient collectif contemporain. Ce qui est frappant avec Wong Hoy Cheong, c’est sa capacité à capter l’air du

temps, à se rendre compte en l’espace d’une visite que l’image d’Epinal que veut donner la France de ses habitants et de son quotidien ne correspond plus à la réalité vécue. Dans une précédente série intitulée Maids in Malaysia, l’artiste avait souhaité rendre une certaine forme d’honneur aux femmes indonésiennes et philippines asservies par leur job de servantes ou d’esclaves attentives au bien-être de milliers d’employeurs dans le monde. En les mettant en scène au sein des familles pour lesquelles elles œuvraient dans les poses héroïques de Lara Croft ou Florence Nightingale, Wong Hoy Cheong ne cherchait pas seulement à faire un « coup », mais bel et bien à rejouer avec vivacité et humour la vie étonnante et complexe de ces familles et de leurs domestiques à l’heure des icônes du star-system mondialisé. Avec la série Days of our Lives présentée aujourd’hui à Lyon, l’artiste éloigne l’« esprit français » d’un autre temps au profit d’un « esprit » d’un nouveau genre, celui d’un pays qui accepterait enfin de se voir tel qu’il est : multiple.

Xe Biennale de Lyon Le spectacle du quotidien du 16 septembre 2009 au 3 janvier 2010


Wong Hoy Cheong

Jean-Baptiste Greuze

Days of Our Lives : The Charity Woman (After Jean-Baptiste Greuze’s “La Dame de charité”, 1775), 2009 Photographie numérique, 124×95 cm

La Dame de charité, 1775) © Lyon MBA / Photo Alain Basset

Days of Our Lives : The Cruel Proprietor (After Jean-Claude Bonnefond’s “Le mauvais propriétaire”, 1824), 2009 Photographie numérique, 130×102 cm Courtoisie de l’artiste, avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Lyon

Jean-Claude Bonnefond

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© Lyon MBA / Photo Alain Basset

Le Mauvais propriétaire, 1824)

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analyse

L’artiste, le maire, et le graffeur (une allégorie) Allan McCollum à Montpellier ******************************************

jill gasparina ******************************************

En 1980, Craig Owens publie dans October la première partie de son essai sur la dimension allégorique de l’art postmoderne, The Allegorical impulse: Towards a Theory of postmodernism. Il y détaille les caractéristiques de l’œuvre d’art postmoderne : « L’appropriation, la site-specificity, l’impermanence, la discursivité, l’hybridation, ces stratégies diverses caractérisent l’œuvre d’aujourd’hui et la distingue de ses prédécesseurs modernistes. » 1 En 1998, l’artiste américain Allan Mc­­ Collum est invité par la ville de Montpellier à réaliser une commande publique, dans le cadre du 1% culturel lié à la réalisation d’une ligne de tramway dans l’agglomération. L’emplacement prévu pour les sculptures de McCollum se situe au centre ville, sur l’esplanade Charlesde-Gaulle, un lieu de passage proche d’un vaste centre commercial, le Polygone, et à deux pas de la place de la Comédie et du Musée Fabre. Soit à la charnière entre une partie ancienne de la ville gorgée d’histoire locale et culturelle, et un nouveau quartier en pleine construction dominé par le Corum. Cette architecture de Claude Vasconi abrite un Palais des Congrès (deux auditoriums, 20 salles de congrès, 6000 m2 d’espaces d’exposition) et l’Opéra Berlioz (un troisième auditorium de 2010 places, siège de l’Orchestre National de Montpellier). Le bâtiment est représentatif des projets architecturaux d’aménagement démesurés des années 1980 (la première tranche est livrée en 1989), à proximité du quartier néo-grec d’Antigone (!) construit un peu plus tôt dans la décennie par Ricardo Bofill : à Montpellier, la création du Corum est pensée comme une opération ambitieuse de réinvention du centre culturel de la ville. En réponse à ce contexte, et dans la continuation d’une logique de travail entamée

plus de 20 ans plus tôt, l’artiste propose de réaliser les Allégories. Il s’agit d’un groupe de cinq statues différentes, répliques de sculptures du xviiie siècle préalablement moulées. L’artiste a découvert ces symboles de l’histoire locale au château de Bonnier de la Mosson, une folie construite à Juvignac dans les environs de Montpellier. Le château ayant été abandonné depuis longtemps, les statues ont été au fil du temps détériorées et mutilées, décapitées même, et elles n’ont plus ni têtes, ni mains. « Les penseurs critiques font souvent du motif de la “ruine” l’allégorie par excellence – comme Benjamin dans L’origine du drame baroque allemand, explique l’artiste. J’y ai immédiatement pensé en voyant ces statues, qui étaient déjà originellement des allégories – il s’agissait de Dieux et Déesses romaines représentant la fertilité, l’été, le printemps, le courage. Les ruines de ces statues étaient donc comme des allégories d’allégories. » 2 Les cinq sculptures de McCollum, palimpsestes 3 colorés et brillants, s’élèvent donc, non sans mélancolie, sur le fond d’une vaste mémoire culturelle – le paganisme romain, le xviiie siècle, l’architecture des 1980s, l’œuvre personnelle de l’artiste et l’histoire de l’art public. Mais elles sont produites dans des couleurs et dans une matière moderne, la résine de polyester (mélangée symboliquement avec de la poudre de marbre) : « Je voulais que les sculptures aient un look brillant, joyeux et NOUVEAU », explique encore l’artiste. Elles sont donc « tristes et belles et anciennes, mais aussi progressives et optimistes et nouvelles », poursuit-il. En somme, ces allégories d’allégories sont ellesmêmes utilisées de manière allégorique. Le code couleur des 1980s

Les Allégories sont dévoilées en 2000, et à cette occasion, un millier de souvenirs, petites répliques de plâtre coloré réalisées


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Allan McCollum Allégories, 2000 Commande publique , Ville de Montpellier Au second plan : le Corum, architecte Claude Vasconi © Jill Gasparina

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par un étudiant en art choisi à l’issu d’un concours, sont distribuées au public. En 2006, en pleine journée, un autre étudiant en art, qui est aussi graffeur, se fait passer pour un employé municipal et repeint les statues à la bombe argentée. L’installation multicolore de McCollum disparaît, remplacée par cinq statues monochromes aux finitions brouillonnes. Personne ne signale à l’artiste cette transformation, jusqu’au moment où il apprend par hasard, et à distance, que ses œuvres ont totalement changé d’aspect. L’artiste, qui ne parle pas français, décide d’écrire malgré tout à la mairie de Montpellier pour se renseigner, signaler que ses sculptures ont été transformées et demander leur restauration. Il envoie de nombreux courriers. Mais il ne reçoit aucune réponse. La Mairie prétend même à qui veut l’entendre que l’artiste approuve la transformation. Et les statues restent en l’état. Elles sont aujourd’hui à l’abandon. Par endroits, la couleur originelle affleure sous l’argent, comme une strate géologique ancienne. Les couleurs ont terni et les socles sont souillés. Et ni le sens de départ de l’œuvre de McCollum, ni celui de l’intervention ne sont plus perceptibles. Que peut vouloir dire d’ailleurs ce geste consistant à changer (publiquement) la couleur d’une œuvre ? S’agit-il d’une forme d’appropriation ? D’un caprice ? D’une continuation du simulationnisme de McCollum via la production d’objets au look plus standardisé

encore ? Est-ce un pur geste de graffeur ? Un hommage à l’histoire du monochrome ? L’expression de la joie naïve du coloriage ? Celle du plaisir sadique de la bombe, comme on le trouve chez Isa Genzken ? Un geste de colère ? Une protestation ? Et jusqu’à quel point peut-on prendre ce geste au sérieux ? En 2009, le critique Jeff Rian publie dans Purple Diary 4, comme une ébauche de réponse, une lettre ouverte à l’artiste. Il y décrit l’étudiant comme un « grand admirateur » du travail de McCollum. Il reconnaît que l’intervention est « drastique et très visible » mais tient à souligner que « l’intention est artistique » et que l’étudiant est par ailleurs un jeune artiste prometteur, « drôle, créatif, extrêmement précis, et énergique ». Il insiste, et cherche à convaincre McCollum qu’il ne s’agit pas de vandalisme. En vain. L’artiste est tout sauf convaincu et l’intervention n’est pas de son goût. Les couleurs joyeuses, brillantes, modernes ont disparu. Et il sait bien que non seulement l’aspect, mais le sens de l’œuvre ont été travestis. La bombe argentée a transformé ces allégories de l’œuvre postmoderne en bibelots de science-fiction au look pauvre et à la signification erratique. Elle a gommé toute ambiguïté. Elle les a fait changer d’époque. Quelle que soit l’intention initiale de cet étudiant, le résultat est donc tout à fait raté. Pendant tout ce temps, la Mairie de Montpellier est restée relativement silencieuse, en dépit de son obligation contractuelle d’entretenir, et le cas échéant, restaurer

les œuvres. Il semble difficile (ou plutôt très coûteux) de procéder à leur restauration. Il ne s’agit pas que de les repeindre, car la résine des statues est teintée dans la masse, et pas simplement en surface. Effacer la peinture argentée semble tout aussi difficile, parce que cette procédure abîmerait la résine pigmentée mêlée de poudre de marbre. À force de mails, de lettres, d’appels téléphoniques, d’articles de presse, et d’interventions diverses, il semblerait néanmoins que les services culturels de la ville commencent à s’intéresser plus sérieusement au problème de la restauration. Notes : 1. Craig Owens, The Allegorical impulse: Towards a Theory of postmodernism, October n°12 (deux parties), 1980, p. 75. 2. Toutes les citations d’Allan McCollum sont issues d’un entretien par mail avec l’auteur, septembre 2009, non publié. 3. Craig Owens, op. cit, p. 69. Owens y revient sur le rejet des formes allégoriques par le romantisme, un rejet dont a hérité le modernisme, de manière non-critique. Il y analyse également le fonctionnement allégorique, écrivant notamment que « le paradigme d’une œuvre allégorique est celui du palimpseste. » 4. http://home.att.net/~artarchives/orion_giret/orion_ giret.html


interview par marie de brugerolle juillet 2009

Lugdunum-Torino : au cœur du village global Andrea Bellini

Votre expérience du monde de l’art (en tant qu’éditeur

Vous parlez d’Artissima comme d’un « archipel », un

de Flash Art New York, commissaire du PS1, directeur

lieu autour duquel gravite un ensemble d’événements.

d’Artissima à Turin depuis 2007…) vous a permis d’ac-

Chercherez-vous à faire du Frac un moteur similaire ?

quérir une vision élargie des scènes artistiques contem-

Artissima gère actuellement le Frac, non par choix mais par nécessité. Pour le moment, en raison de nos forces limitées, nous ne pouvons pas nous fixer d’objectifs trop ambitieux. L’année prochaine, nous avons l’intention de lancer un débat public ouvert à toutes les réalités liées à l’art contemporain du Piémont pour décider de manière collégiale quelles seront la forme et la fonction du Frac Piémont. Nous cherchons également à accentuer les collaborations avec différents Frac français, surtout dans les régions les plus proches de l’Italie. Votre longue expérience nous est très utile, notamment en termes de réflexion sur les finalités de ce type de collections. Il nous reste encore beaucoup à apprendre.

poraines. Quelles sont les spécificités de Turin ?

Turin est la ville italienne qui investit des ressources dans l’art contemporain avec le plus de cohérence. La ville est par conséquent autonome par rapport au reste du pays, qui ne s’est malheureusement pas encore doté d’une politique unitaire et intelligente visant à favoriser le développement et la croissance du système national de l’art. Le problème, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’artistes étrangers qui vivent et travaillent à Turin. La ville possède d’importants musées, des dizaines de galeries et des fondations privées très dynamiques, mais elle n’est pas encore en mesure d’attirer des artistes étrangers. En réalité, c’est une véritable scène artistique qui manque ici.

Entre la dernière Triennale de Turin et l’actuelle Bien­ Pensez vous que votre projet d’un Frac Piémont, sur

nale de Venise, une certaine « mélancolie » semble à

le modèle des Fonds régionaux français, puisse aider

l’œuvre. Vous inscrivez-vous dans cette ligne ?

l’ancrage des artistes dans un territoire local ?

La mélancolie, la tristesse… Il s’agit d’idées curatoriales évocatrices et poétiques qui courent toutefois le risque de devenir des boîtes vides dans lesquelles on peut mettre dedans tout et son contraire. Je pense qu’il est fondamental, lorsque l’on pense à des expositions de ce genre, d’être très rigoureux dans le choix des artistes et des œuvres car la moindre erreur peut rendre le concept inutile et fictif. Personnellement, je ne m’inscris pas dans cette dimension. En effet, au concept de mélancolie je préfère celui de « comique » qui est un poison à l’état pur, qui surprend constamment et qui suspend le tragique à travers un éclat de rire empli d’humanité.

Je pense que le Frac Piémont peut d’abord jouer un rôle fondamentalement « didactique », c’est-à-dire de rapprochement entre le public et le monde de l’art. Il est encore trop tôt pour envisager des objectifs plus ambitieux. Le projet est né en 2007 d’une volonté locale qui ne trouve pas actuellement d’application au niveau national. Pour comprendre l’Italie, il faut penser que le pays fonctionne, du point de vue historique, de manière diamétralement opposée à la France. Chez vous, tout part de Paris et se répand dans le reste du pays. En Italie, tout au moins depuis le haut Moyen-Âge, nous n’avons jamais eu de centre unique. Au contraire, notre territoire a toujours été composé de centres multiples souvent très importants, comme Florence, Urbino, Mantoue, Palerme, Venise, Milan, Turin… Pendant mille ans, l’Italie a été constituée d’un ensemble de petits états extraordinaires, autonomes, élégants et cultivés. C’est la raison pour laquelle l’unité nationale n’a jamais vraiment fonctionné chez nous, hormis sur une carte géographique. Et c’est pour cela qu’il existe une ville comme Turin, à l’avantgarde en Europe en matière d’art contemporain, alors que trop souvent, à quelques exceptions près, le restant du pays pense que l’art se termine par Le Caravage, et que tout ce qui lui succède n’est qu’une duperie !

De quelle manière votre projet d’art public pour le Boulevard des États Unis à Lyon s’inscrit-il dans votre démarche ?

Lorsqu’on parle de « désenchantement des utopies modernistes » en tant que résultat de la condamnation du post-modernisme, qui renfermait une série de préjugés dangereux, je me pose les questions suivantes : de quel désenchantement parlons-nous ? Le concept d’« utopie » n’est-il pas le véritable protagoniste de ces recherches ? Est-il légitime de penser qu’une nouvelle génération d’artistes, libérés du préjugé du post-modernisme, peut nous guider vers une compréhension

du modernisme plus articulée ? Cette ultime réflexion est à la base de mon intuition pour le Boulevard des États-Unis. Comment le choix s’est-il porté sur ce quartier ? Quelles sont ses spécificités ?

Le Boulevard des États-Unis est un endroit extraordinaire. J’aime sa complexité, son horizon bas et ses étendues magnifiques et vastes, la monotonie apparente de son horizon urbain et la symétrie de ses constructions. Lorsque je le parcours à pied, il me rappelle le plateau d’un film de Michelangelo Antonioni, et ses longs plans-séquences qui illustraient si bien le rapport entre figure humaine et paysage. Le boulevard est également un morceau d’histoire de l’architecture du xxe siècle, entre utopie et désenchantement, avec le superbe quartier de Tony Garnier et la séquence anonyme des architectures de l’après-guerre. En définitive, il constitue le lieu idéal pour imaginer, avec un groupe de jeunes artistes, une série d’interventions d’art public raffinées et site-specific qui en étudient et en valorisent surtout l’histoire. De plus, le beau – tout en étant une catégorie culturelle – est toujours utile dans un contexte urbain. Est-ce un moyen d’envisager la commande publique sous un angle nouveau ?

Je pense que oui. Je souhaite travailler avec une jeune génération d’artistes beaucoup moins intéressée – par rapport à la génération précédente – à caractériser le territoire par son langage, en insérant des formes et des signes liés justement à son propre « style ». L’idée est de proposer une série d’interventions pouvant avoir une fonction réelle d’amélioration et d’enrichissement, pas uniquement esthétique, de tout le quartier. Une œuvre d’art public peut consister par exemple en la création d’un parc de jeux pour enfants ou d’une terrasse en plein air pour la communauté. Il faut arrêter de penser que l’art public équivaut à remplir la ville de sculptures. À Rome, les artistes baroques n’ont pas réalisé uniquement des sculptures, mais aussi des places, des fontaines et des vues scénographiques sur la ville. C’était aussi de l’art public…





Dan Flavin Ci-dessous : Untitled (To the Citoyens of Lyon), 1987 En face : Untitled (To Isabelle la Belle Lyonnaise), 1987 Droits réservés, Musée d’art contemporain de Lyon

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retour

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nicolas garait * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *********************

Libération nous racontait voilà quelques temps l’histoire de cette jeune chercheuse handicapée qui n’avait pas accès aux Archives Nationales. Mettre une rampe au bas de l’escalier pour lui permettre d’atteindre l’ascenseur aurait dénaturé le lieu, et les architectes des bâtiments de France ont donc opposé leur veto à cette modification pourtant légale de l’entrée. Dans le Marais, l’Hôtel de Beauvais, profondément transformé depuis le xviie siècle, a récemment été rénové sous forme de pastiche pour à peu près 18 m €. Pastiche, car les différentes strates temporelles du bâtiment sont désormais irrémédiablement gommées au profit d’une mise aux normes pseudo-historiques qui fige, définitivement cette fois, l’immeuble dans un xxie siècle à peine né qu’il date déjà. On pourrait continuer longtemps et parler des attaques répétées dont fait l’objet la rénovation de l’opéra de Lyon par Jean Nouvel ou se moquer gentiment du marasme dans lequel s’enfonce le projet de rénovation des Halles à Paris. Au lieu de laisser respirer ses ruines et sa mémoire comme savent le faire l’Italie ou les pays du Nord de l’Europe, la France semble définitivement incapable de faire autre chose que de se retourner sur son passé glorieux pour mieux le vitrifier.

Rouge pompéien et néons bleus (une pétition) Dan Flavin à Lyon

C’est un peu ce qui s’est passé à Lyon au début des années 1990. Dernier grand chantier mitterrandien, la rénovation du Musée des beaux-arts de la ville se fait selon les critères très français du véritable charme des vieilles pierres – un nettoyage au Kärcher pour faire comme si le bâtiment avait été construit la veille. À cette époque se trouve du côté de la rue Edouard Herriot, dans une aile du Musée actuellement occupée par les expositions temporaires, la préfiguration du Musée d’art contemporain de Lyon désormais installé à la Cité internationale construite par Renzo Piano. Au milieu des années 1980, un dénommé Dan Flavin écrit au Musée pour lui proposer d’exposer à Lyon. Abasourdi par cette requête très modestement formulée par un des plus grands artistes du xxe siècle à un musée à peine naissant, celui-ci s’empresse d’inviter l’artiste, qui installe en 1987 deux œuvres a priori permanentes. Déjà très affaibli par le diabète qui le tuera quelques années plus tard, Dan Flavin refuse de monter les escaliers pour visiter les espaces d’exposition et conçoit ses œuvres pour l’entrée de l’édifice. La première, Untitled (To Isabelle la belle Lyonnaise) est composée de 24 tubes néon (six verts, six jaunes, six bleus et six roses) soit 1600 m 3 de lumière pure dans la montée d’escalier. La deuxième s’appelle Untitled (To the Citoyens of Lyon). Composée de 32 tubes néon (moitié bleu, moitié rouge), l’œuvre, installée dans le hall d’entrée, joue

sur l’aspect un peu grisâtre des pierres découvertes dans les années 1920 lors d’une précédente rénovation. Bleu, vaguement blanc, rouge : l’hommage de Dan Flavin à Lyon et ses habitants et « Isabelle la belle Lyonnaise » sont décrochés après la rénovation du Musée pour une raison très simple : elles jurent. Elles jurent avec le nouvel enduit rouge pompéien dont sont désormais recouverts les murs. Un rouge pompéien qui correspond parfaitement, c’est entendu, à la couleur des murs à une époque désormais lointaine (laquelle, d’ailleurs ?) et très certainement dénuée des nuanciers ad hoc. Résultat des courses : Lyon dispose – elles sont inscrites à l’inventaire du Musée d’art contemporain – de deux pièces fondamentales totalement affadies par l’environnement ultérieurement rénové pour lequel elles ont pourtant été créées. Partout dans le monde, les œuvres de Flavin éclairent musées, maisons particulières et bâtiments publics. Les « citoyens de Lyon », quant à eux, ne peuvent plus voir les lueurs blafardes et quasi-religieuses des néons de l’artiste américain depuis plus de quinze ans ans. Rêvons : et si l’on « rétablissait » dans son état de 1987 une toute petite partie du Musée des beauxarts pour y réinstaller les deux œuvres de Dan Flavin ? Dans quelques décennies peut-être, lors d’une prochaine rénovation…


À(venir) Sélection d’expositions dans la région

Assan Smati : Résistance du 19 septembre au 15 novembre 2009 Centre d’art contemporain de Lacoux, Hauteville-Lompnes Assan Smati, Red Star Droits réservés Parenthèse 2009 du 8 septembre 2009 au 3 janvier 2010 Centre d’art contemporain – Maison de la Cure, Saint-Restitut Jérome Delay, AP, Orphelins du Congo, 2009 Courtoisie de l’artiste et Associated Press Pascal Bernier : La politesse du désespoir du 17 novembre 2009 au 9 janvier 2010 Galerie José Martinez, Lyon Pascal Bernier, Spider séduction, 2009 © Pascal Bernier

Rendez-Vous 09 du 14 septembre au 29 novembre 2009 Institut d’art contemporain, Villeurbanne Ji Zhou, Miroir 1, 2008 Droits réservés


Loris Cecchini du 10 octobre au 22 novembre 2009 Château des Adhémar, Montélimar Loris Cecchini © Loris Cecchini Poétique du Chantier du 27 novembre 2009 au 4 avril 2010 Musée-Château, Annecy Alain Bublex, Plug-in city, 2000 Collection Musée-Château Faux-semblants du 19 septembre au 8 novembre 2009 Centre d’art Bastille, Grenoble Judi Werthein & Leandro Erlich, Turismo (Edilia and her goats), 2000-2001 Collection Musée d’Art Moderne GrandDuc Jean, Mudam Luxembourg © Judy Werthein & Leandro Erlich

Lilian Bourgeat du 19 novembre 2009 au 3 janvier 2010 Théâtre Jean-Vilar – scène Rhône-Alpes Lilian Bourgeat, Le dîner de Gulliver, 2008 © Stéphane Chevillon


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passant maintenant de siècles en siècles et d’un tuyau à l’autre puis de décennies en décennies pour finir en barils d’où un projet d’Aurélie Pétrel, nous viennent, une fois Philippe Adam le pétrole stocké, livré au et Nicolas Romarie four, chauffé, condensé, évaporé, décondensé, polymérisé, les tranches de bacon en plastique, 15 octobre – 18 décembre 2009 les steak tartare, les œufs galerie «La Librairie» de caille, la viande École normale supérieure Lettres et sciences humaines de cheval, les 15, nouilles parvis René-Descartes Lyon 7 en plastique, les www.ens-lsh.fr/culture hamburgers, les brocolis, la chair fade des poissons

les légumes–––menu B verts

e

EXPOSITION 12 SEPTEMBRE 8 NOVEMBRE 2009

DU LUNDI AU VENDREDI & DIMANCHE DE 15 À 18H SAMEDI 10H-12H & 15H-18H SUR RENDEZ-VOUS POUR VISITES GUIDÉES COUVENT DE LA TOURETTE, 69210 ÉVEUX-L’ARBRESLE WWW.COUVENTDELATOURETTE.FR

graphisme : beau fixe - photo © pierre arnaud

François Morellet chez Le Corbusier


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exposition | Martí Anson | Botto e Bruno | Valery Chtak | Gintaras Didziapetris | Dilomprizulike | dran | Verónica Gómez | Kevin Hunt | Takehiro Iikawa | Armand Jalut | Magali Lefebvre | Elodie Lesourd | Nadia Lichtig | Charles Lopez | Laurina

Paperina | Ludovic Paquelier | Bettina Samson | KuangYu Tsui | Özlem Uzun | Ji Zhou | du 14 septembre au 29 novembre 2009 | Plateforme internationale dédiée à la jeune création | Exposition conçue par le Musée d’art contemporain de Lyon, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne / RhôneAlpes et l’École nationale des Beaux-arts de Lyon, avec le soutien de la Région Rhône-Alpes | Institut d’art contemporain, Villeurbanne / Rhône-Alpes, 11 rue du Docteur Dolard,  69100 Villeurbanne | www.rendezvous09.fr | contact@rendezvous09.fr

Nous chercherons un troisième tigre

A LOUER �� DURÉE LIEU ACTIVATION A LOUER est un mécanisme qui a pour objet l’activation d’une œuvre programmatique. L’œuvre, à l’état de langage lors de sa conception par son auteur, est considérée comme une partition. Sa réalisation sous une forme matérielle constitue l’activation. Le processus se termine par la production d’une documentation. A LOUER # � est une exposition, envisagée comme un contexte spécifique de présentation – un lieu, une durée. Le choix des œuvres et leur interprétation est fonction de cette situation. L’exposition consiste en la succession des activations. Emilie Parendeau

� novembre – � décembre ���� Réfectoire, École nationale des beaux-arts de Lyon �bis quai Saint-Vincent ����� Lyon www.enba-lyon.fr/danslesmurs

Élise Florenty Maria Frycz Juozas Laivys Elena Narbutaite Isabelle Prim Frédéric Sanchez Benjamin Seror Shingo Yoshida

Exposition du 12 septembre au 17 octobre 2009 Entrée libre du mercredi au samedi de 13 h à 19 h École nationale des beaux-arts de Lyon Réfectoire — Les Subsistances tél : +33 (0)4 72 00 11 71 infos@enba-lyon.net www.enba-lyon.fr


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JEUDI 19 NOVEMBRE 2009 : LA PLATEFORME ACCUEILLE

LA NUIT Résonance 2009

Octobre 2005PROJECTIONS : ouvertureVIDÉOS, de LaCHORÉGRAPHIES... Plateforme PERFORMANCES, avec la Biennale d’art contemporain de Lyon.

À PARTIR DE 21H

Avril 2009 : ouverture de La Plateforme aux performances artistiques.

Au coeur de Lyon, La Plateforme dispose de 600m2 sur 4 espaces pour accueillir tous vos événements. 4, quai Augagneur - 69003 Lyon - 04 37 40 13 93

www.la-plateforme.fr


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Black Birds

Julie Sorrel Un monde merveilleux Exposition du 12 septembre au 31 octobre 2009 Présentation du catalogue le 2 octobre 2009 à 18h30

Samuel Aubin L’Espace arts plastiques, Ecran libre et Résonance présentent du 7 au 21 novembre 2009 Vestiges d’un film perdu, en devenir Vernissage vendredi 6 novembre à 18h30 Nuit Résonance le 19 novembre à la Plateforme Espace arts plastiques - Maison du Peuple 12, rue Eugène-Peloux 69200 Vénissieux Métro ligne D - Gare de Vénissieux Ligne 12 - Les Marronniers Ouvert du mercredi au samedi de 14h30 à 18h

04 72 21 44 44 service.artsplastiques@ville-venissieux.fr

Prochaines expositions: Loris Cecchini Adrian Schiess Igor et Svetlana Kopyskiansky Erik Dietman 5 févrierr > 18 avril 2010 20


expositions

yvan salomone

Une force d’inertie par Florence Meyssonnier

• Yvan Salomone 0474.1.0503 Zeitmaschin, 2009

Bernhard Rüdiger Petrolio (Locus desertus), 2006 Vue d’exposition au Château de la Bâtie d’Urfé Collection IAC/Rhône-Alpes © Yves Bresson

Installé dans une pratique chronique de l’aquarelle de paysage, Yvan Salomone construit depuis le début des années 1990 un vaste projet auquel art3 donne un aperçu à travers une sélection d’une quarantaine d’œuvres exposées dans ses murs à Valence, et au château des Adhémar à Montélimar. Si investir une telle technique peut aujourd’hui poser question, elle est dans le cas d’Yvan Salomone un élément déterminant pour saisir son œuvre, tant elle conditionne la posture de cet autodidacte breton. L’obligeant à reconsidérer des poncifs qui lui étaient familiers, ce médium lui a d’emblée donné une position d’artiste contemporain : il lui a en effet permis de créer son propre système d’exploration de territoires connus et d’en donner une autre réalité, colorée et évanescente. Le choix du motif se porte sur des paysages enclins au même évanouissement, sur des « zones » industrielles, portuaires ou rurales dégagées de scènes et de détails qui freineraient les étendues aqueuses. Dans leur transfert, les champs du « déjà vu » deviennent alors ceux d’hallucinations parfois captivantes. Mais des coulures et des formes étrangères rompent la tentation d’une trop grande virtuosité, de même que les systématismes qui régissent toutes les productions : soumission à un format identique, au référencement par dates ou par un titrage en onze lettres venant alimenter le long générique qui défile à art3. Jamais considérée comme une fin, l’aquarelle reste pour Yvan Salomone le moyen de diluer les frontières entre l’information et l’imagination, le réel et la

fiction. Elle participe ainsi à une entreprise qui ne souhaite pas sauver des traces de la réalité mais l’augmenter en la documentant. Et l’artiste réalise son documentaire en même temps qu’il en partage ici le processus de fabrication. Le mouvement constant et résistant à toute orientation qui l’anime, est aussi celui de notre parcours de l’exposition mais surtout de l’édition qui l’accompagne, pilier de l’édifice Salomonien. L’artiste y compile les copies de ses œuvres, mises en regard de divers éléments glanés (textes et iconographies). Cet imposant ouvrage en noir et blanc constitue une sorte de background modulaire et croissant qu’il ne cesse de faire évoluer à chaque réédition depuis 1991. Dans les dialectiques qu’il génère, ce travail poursuit l’histoire de l’imprégnation mutuelle entre la photographie et la peinture, mais il donne surtout lieu à l’émergence d’une vision cinématographique. Car des premières œuvres panoramiques au bitume de Judée à la succession des photogrammes en aquarelles, les montages se font et se défont au grès de nos circulations. Au centre de ces mouvements, l’édition reste le document source, leur donnant quelques balises. Et diverses visions nous viennent également à l’esprit, comme Le Désert rouge de Michelangelo Antonioni, dans des irruptions colorées qui abstraient le réel en un univers psychologique. Le projet d’Yvan Salomone n’est donc pas celui d’un archivage qui conserverait la dépouille d’une réalité achevée. Au contraire, résistant au principe de réalité documentaire, il est une poïétique qui, d’un mouvement constant dans le réel, s’en nourrit et l’alimente. Yvan Salomone, Le troisième monde art3, Valence Tout est ici retrouvé Château des Adhémar, Montélimar du 13 juin au 27 septembre


locus oculi

ici et le monde

Un lieu d’où voir

Entre global et local

par Florence Jaillet

par Laurine Fabre

À l’heure où les commissaires d’exposition ne cessent d’empiéter sur les prérogatives des artistes, certains d’entre eux relèvent le défi en endossant à leur tour le costume de commissaire. En association avec l’Institut d’art contemporain Villeurbanne/Rhône-Alpes, l’artiste Bernhard Rüdiger a ainsi imaginé pour le Château de la Bâtie d’Urfé un parcours qui permet de découvrir son point de vue sur l’art de son temps et sur l’exercice même de l’exposition. Avant d’investir cet étonnant château situé en plein cœur du Forez, Rüdiger s’est livré à un travail d’historien : il a retracé l’itinéraire de Claude d’Urfé, fin lettré, ami et ambassadeur de François I er, qui fit transformer son manoir médiéval en brillante demeure Renaissance. Témoin direct des vicissitudes politiques et religieuses de son temps, Claude d’Urfé avait conçu son château comme un lieu de retraite et d’étude. Cette invitation à la réflexion, doublée d’une méticuleuse analyse de l’architecture, a constitué le point de départ du travail de Bernhard Rüdiger, initialement venu à la Bâtie pour y installer son œuvre Petrolio. L’artiste nous invite ainsi à voir notre époque à travers une sélection d’œuvres contemporaines et anciennes issues des collections de l’IAC, du Musée d’art moderne de SaintÉtienne et du Château de la Bâtie d’Urfé. Le lieu est ici le mot clé. Locus Oculi, lieu du regard, point focal. Un lieu devenu outil de vision et de réflexion. Celle que mène ici Bernhard Rüdiger concerne les rapports de l’art avec son temps, mais aussi avec le passé et l’avenir. Dès le début du parcours, la pièce de Giovanni Anselmo, Verso l’oltremare, invite à considérer cet horizon, avant que d’autres œuvres – telle One million years d’On Kawara – ne prennent le relai. Au premier étage, l’ancienne bibliothèque de Claude d’Urfé fait figure de laboratoire. Dans cet espace resserré, propice à la concentration, s’établit un

dialogue entre les œuvres de Michel Parmentier, Ann Veronica Janssens, Karel Malich, Lucio Fontana, Raoul Hausmann et même Donatello avec la copie d’une de ses perspectives en bas relief. Autant de pièces qui disent la nécessité pour chaque époque de mettre en question les normes en vigueur, de se lancer à la conquête d’espaces inexplorés, d’inventer de nouvelles transcriptions du monde. Sur le bureau, un petit crâne de marbre du XVIIe côtoie une maquette de Rüdiger, celle de Petrolio (locus desertus), œuvre monumentale qui accueille le visiteur à l’entrée de la Bâtie. Cet instrument hybride, mi-girouette mi-campanile, fait sonner un gong au gré du vent. Fil rouge auditif, perceptible depuis les salles du château, son retentissement légèrement inquiétant accompagne le visiteur tout au long de la visite. Les œuvres-maquettes qui jalonnent l’exposition signalent sa dimension de pensée in progress. Instrument de travail et de projection, cristallisation d’une pensée artistique, la maquette invite au jugement de l’œil. Les modèles réduits de Schütte, Malich, Rüdiger sont l’expression de cette dimension intellectuelle, sensible et transitoire qui caractérise également l’exercice de l’exposition. À travers les salons, le jardin, la grotte rocaille, la chapelle et le corps de garde, les 85 œuvres se répondent et composent un récit. Celui-ci est pleinement assumé par le commissaire, qui l’incorpore à sa propre démarche artistique. Au sein de cette intelligibilité globale, l’exposition Locus oculi permet à chaque œuvre de résister dans sa complexité, et invite le spectateur à une confrontation véritable, loin de toute séduction de surface. Locus Oculi Exposition conçue par Bernhard Rüdiger Château de la Bâtie d’Urfé du 21 juin au 4 octobre 2009

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Vue de l’exposition Ici et le Monde au Schweizerisches ArchitekturMuseum, Bâle © Stofleth

Si la globalisation du monde favorise la construction d’architectures exceptionnelles, elle tend aussi à effacer toute notion de contexte et de spécificité régionale. Aujourd’hui, le retour au local est de nouveau mis en avant et les architectes doivent trouver un nouvel équilibre entre ces deux pôles. Comment valoriser et conserver les particularités d’une région tout en s’inscrivant dans un contexte de globalisation ? Dix agences d’architecture suisses et rhônalpines tentent de se positionner face à cette question de l’identité et du rapport au territoire. Au Schweizerisches Architekturmuseum de Bâle, l’exposition Ici et le Monde – Architecture en Rhône-Alpes et en Romandie souligne la manière dont ces architectes conçoivent leur pratique face aux nouveaux enjeux que sont l’écologie, l’économie ou le plaisir d’habiter. Les trente projets présentés, à travers leur capacité à soulever des problématiques contemporaines, sont le fruit d’une collaboration poussée entre les deux commissaires de l’exposition, la Française Valérie Disdier, directrice de la Maison de l’architecture Rhône-Alpes à Lyon, et la Suisse Francesca Ferguson, ancienne directrice du Schweizerisches Architekturmuseum. Ces projets mettent en avant l’importance de l’ancrage local : le contexte, le site, la topographie, l’histoire du lieu sont la première source d’inspiration. Même si la question de la mondialisation reste présente dans le processus de

création, notamment avec l’influence d’un certain style international, le travail architectural semble s’orienter davantage vers les spécificités territoriales, comme si le plaisir de vivre l’« ici » l’emportait sur la compétitivité globale, redonnant à l’architecture toute sa dimension humaine. Conçue par huit étudiants option design de l’École nationale des beauxarts de Lyon, la scénographie se déploie tel un livre ouvert. Le dispositif de planches graphiques, maquettes et vidéos libère un espace de circulation quasi architectural où le visiteur est invité à déambuler librement à travers les différents projets. L’aspect écologique est par ailleurs abordé de manière très simple et sans prétention, souligné par un dispositif en bois brut, dans une exposition sans colle ni vernis. Ici et le Monde – Architecture en Rhône-Alpes et en Romandie 2B, Lausanne ; Bonnard Woeffray, Monthey ; Brauen & Wälchli, Lausanne ; Galleti & Matter, Lausanne ; Philippe Guyard, Collongessous-Salève ; Herault & Arnod, Grenoble ; Novae, Lyon ; Gilles Perraudin, Lyon ; Tectoniques, Lyon ; Dominique Vigier, Saint-Étienne. Schweizerisches ArchitekturMuseum, Bâle du 28 juin 2009 au 3 janvier 2010


josh smith

cécile bart

Rossignol de la boue *

À un fil

par Hugo Pernet

par Marie de Brugerolle

Josh Smith Untitled, 2009 Courtoisie de l’artiste, Luhring Augustine, New York et Galerie Eva Presenhuber, Zurich © Centre d’art Contemporain Genève © David Gagnebin-de bons

Au Centre d’art contemporain de Genève, l’exposition de Josh Smith se présente d’abord en trompe-l’œil sous une forme rétrospective. Mais en lieu et place de tableaux, la peinture se trouve être directement faite sur les murs, à l’intérieur de rectangles soigneusement délimités au crayon de papier. Ces « tableaux » sont répartis également dans l’espace et placés à distance équivalente les uns des autres sur les différentes cimaises du centre d’art, de manière a distinguer plusieurs séries ou motifs récurrents : peintures abstraites, feuilles mortes, poissons, signatures… L’aspect de ces peintures est d’abord assez repoussant. Elles sont réalisées dans des couleurs qui évoquent la pourriture : marrons, verts, gris, mauves et dans un style hésitant entre abstraction et figuration expressionniste qui n’est pas sans rappeler par moments l’art du peintre hollandais Bram Van Velde. Mais dans le cas de Josh Smith, les procédés d’identification – séries, traitements et formats identiques, sujets récurrents – remplacent l’idée moderniste du style, ou de son impossibilité. Tourbillons, spirales, serpents, poissons moches, feuilles mortes, JOSH SMITH, J, S, lettres en désordre, empreintes de mains, etc. sont les figures qui émergent de cette mare.

Une des pratiques les plus significatives de Josh Smith consiste à écrire ou reproduire son nom, à la manière d’une signature régressive, et parfois à l’entourer d’empreintes de mains, comme pour accentuer cet acte primaire (on se rappelle de la façade de La Sucrière à Lyon, ainsi entièrement recouverte au pochoir à l’occasion de la Biennale 2007). De la même manière, l’artiste produit et reproduit parfois artisanalement (gravure sur bois, photocopie, collage) des affiches d’expositions antérieures dans une forme évoquant les premières avant-gardes dadaïstes ou expressionnistes, mettant ainsi en abyme le principe même de carrière artistique. L’anachronisme formel de ces propositions prouve que si la modernité a inventé la notion de primitivisme, elle est aussi pour nous une forme d’art « premier ». Ce primitivisme provocateur et intellectuel rapproche les notions a priori antagonistes de production et de stagnation. En consultant les différents livres édités par l’artiste, on se rend compte que l’œuvre unique ou originale semble ne pas exister dans l’exposition, et que ce qui peut avoir l’air d’un pseudo exercice de virtuosité (Rubens peignait bien en live pour impressionner les puissants et obtenir ainsi des commandes) n’est

en réalité que la répétition, la reproduction, la rumination des mêmes signes qui identifient son travail. En niant ainsi la valeur intrinsèque de l’objet d’art, Josh Smith détourne subtilement les codes institutionnels et commerciaux de la peinture, rejoignant bizarrement les fins de l’art conceptuel. Au point que sa peinture semble fondée à son tour sur une forme de dématérialisation (de l’atelier au scanner, du scanner au livre, du livre à l’exposition – et retour), une décomposition des points de référence historiques, compensée par l’apparition de sujets persistants et la répétition quasi magique du seul nom de l’artiste. Alors qu’il pourrait apparaître comme bêtement expressionniste autant que tristement ironique, le travail de Josh Smith se révèle lié au trouble qu’il produit autant qu’à celui dans lequel il se situe délibérément. Une exposition complexe, un art à la fois louche et intéressant. * Tristan Corbière, « Le crapaud », dans Les Amours jaunes, 1873 Josh Smith Centre d’art contemporain de Genève du 29 mai au 16 août 2009

Que ce soit pour la commande publique de l’Hôpital Saint-Luc Saint-Joseph ou lors de sa récente exposition à la galerie Georges Verney-Carron avec Michel Verjux (cf. 04 n°4), Cécile Bart investi le lieu qu’on lui propose et en fait un territoire d’expérience. Elle aime rappeler qu’audelà des cadres et du travail pictural de surface, ses œuvres déploient la peinture à l’aune du corps passant, habitant et vivant du regardeur. Le verre teinté, les fils de coton colorés ou la toile de Tergal « plein jour » sont les matériaux privilégiés de cette mise en écran du monde. À Dijon, c’est la totalité de l’espace central du Frac Bourgogne qui est investi, avec une immense installation d’une vingtaine de panneaux de tissu tendu sur des cadres métalliques. Suspendus par des câbles d’acier à un réseau de tiges latérales, ceux-ci se déploient en une « vague scélérate » dont les mouvements sont fixés par une série d’arrêts sur images qui sont autant de modules picturaux. Les trouées visuelles, doubles perspectives ou combinatoires colorées proviennent de sensations qui évoluent selon nos déplacements. La lumière de l’éclairage zénithal varie selon les heures et le temps. Comme chez Cézanne, les vides du paysage apportent un souffle, une « respiration ». Et de fait c’est une œuvre de peinture, une machine magistrale qui nous embarque, comme le Radeau de la Méduse de Géricault, dans une expérience cinématique de la couleur et de la ligne. La tension entre les cadres acérés et la finesse des tissus tendus qui laissent voir la trace du geste de peinture provoque des vibrations qui induisent un réel rapport à l’espace dans le temps


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laurent pernel

Du désœuvrement par Florence Meyssonnier

et le déplacement corporel. À l’entrée, un sas de décompression permet de « faire le gris » avant cette expérience unique de la couleur. Un dessin gris format raisin forme dans le mur un espacetrou, mat, opaque. À y regarder de près, on imagine un linoléum imitation marbre, une sérigraphie d’un réseau linéaire très dense, un travail de graphite. Sur le mur suivant, en décrochement, une projection de même dimension montre en vidéo un réseau de lignes verticales légèrement déviées par une fracture de l’image – ou du mur. Le doute persiste et le regard s’est entretemps habitué à la pénombre. L’effet de surprise est donc déployé lorsqu’on pénètre dans la grande salle, qui devient nef. De l’ombre à la lumière, de l’opacité à la transparence, les jeux d’obliques provoquent une interaction constante entre les panneaux. La couleur seule n’existe pas. Elle est toujours liée à une vibration, au croisement impur avec une autre forme. Jaune, violet, orange, puis bleu, vert, violet, le prisme coloré devient pénétrable et nous jouons avec plaisir avec les phénomènes de persistance rétinienne ou de hasard optique. « Il ne s’agit plus de parler de l’espace et de la lumière, mais de faire parler l’espace et la lumière qui sont là. »1 1. Maurice Merleau Ponty, in L’œil et l’esprit, éd. Folio essais, p.61. Cécile Bart Suspens Frac Bourgogne, Dijon du 13 juin au 29 novembre 2009 (photographie : Frédéric Buisson)

Si pour l’ancien étudiant d’architecture que fut Laurent Pernel, perception et langage sont des actes de l’ordre de la construction, pour le sportif qu’il fut aussi, ils relèvent également de la performance. Et une fois de plus l’installation Glasnost à l’Espace Vallès confirme ces positions. Comme à son habitude, l’artiste investit les lieux comme un chantier. Du contexte, qu’il soit architectural, historique, social, médiatique ou personnel, il tire les matériaux de sa fabrique. Dans cet environnement, il met alors en place des régimes d’activités dans lesquelles il introduit, découpe, détourne, ou hybride les registres de formes et de sens. Mais de ses productions laborieuses, seules quelques traces iconographiques subsistent. Car ce qui importe à Laurent Pernel, c’est le fait d’obstruer un temps le regard pour mieux le désigner, d’introduire en son champs des éléments prétextes à rappeler que « donner à voir, c’est toujours inquiéter le voir, dans son acte, dans son sujet. » 1 Dernier site d’intervention, l’Espace Vallès à Saint-Martin-d’Hère se situe au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation commun des années 1980. Il se distingue essentiellement par son ample ouverture vitrée sur un quartier de périphérie urbaine et sa configuration angulaire en deux étages – l’espace étant traversé par un sorte de passerelle qui nous conduit à une mezzanine. Ces données ont suffi à l’artiste pour mettre en œuvre cette Glasnost ou l’ambivalence de la transparence. En coupant le lieu en deux au moyen d’un faux plafond au niveau de la mezzanine, il choisit d’appuyer cette césure de l’endroit pour manifester l’envers du regard. Sous ce plafond bas, trois imposants lustres renversés jalonnent la salle comme trois champignons, en appui sur les chaînes qui d’ordinaire les suspendent. À l’approche de ces constructions, nous découvrons le dernier subterfuge de l’artiste pour mettre à mal les apparences. Des centaines de verres en plastique, rainurés par des filets de colle, sont montés en grappes et font office de lampes. Le plafond est quant à lui constitué de napperons en dentelle de papier. Le montage ne cache pas, mais expose au contraire ses ficelles. Lorsque nous empruntons l’escalier pour l’étage supérieur, nous découvrons l’assemblage de la fine paroi. En même temps que ce passage permet encore à l’artiste de nous impliquer dans le para-

Laurent Pernel Image tirée du Film Face à face Production Centre d’art Le Lait, Laboratoire artistique international du Tarn © Laurent Pernel

digme de l’illusion, il marque un changement dans son propre travail. Glasnost clôt pour lui une série d’œuvres reliant les signes du prestige à l’ornement bon marché. Des fastidieux modelages de papier aluminium en façade art-déco (à la galerie Roger Tator en 2006) aux dorures découpées dans des couvertures de survie (à La BF15 en 2007), jusqu’à ces présents lustres, les valeurs ajoutées par Laurent Pernel s’abîment irrémédiablement en peaux de chagrin. À l’étage se profilent les pistes plus récentes de son travail, dans l’élaboration d’images davantage marquées par les fictions mais traversées, comme dans ses œuvres en volume, par un même procédé d’hybridation et de montage. Le champs y est toujours travaillé par l’intrusion de hors champs. Dans la vidéo Face à Face, des personnages paraissent absorbés par leur horizon tout comme par les paysages imaginaires qu’ils transportent sous ces coiffes aux formes de navire ou de tricorne. À ses côtés, Laurent Pernel montre pour la première fois une photographie qui conserve la valeur in situ de son travail, tant elle questionne le lieu de la localisation. Prise dans un quartier de Montbéliard, elle superpose à un paysage de banlieue une image de la Basilique Sainte-Sophie-d’Istanbul, tissée sur un tapis suspendu. Montrée ici dans un quartier lui même marqué par l’immigration, cette pièce est une nouvelle zone de travail pour l’artiste dans laquelle il fait glisser des réalités comme des écrans. Si l’artiste se détache de l’ornemental, il ne rompt pas avec l’image des choses 2. Mais à l’encontre d’une esthétique cos-

métique, ses œuvres, non dénuées de qualités sensibles et poétiques, sont avant tout politiques car elles marquent un positionnement. Se situant dans le produire plus que dans le produit, elles restent aussi fondamentalement déceptives. Elles exposent le désœuvrement qui est « de l’œuvre ou plus exactement de l’œuvrer, ce qui excède à chaque moment et sans fin le produit, la satisfaction, l’accomplissement. » 3 1. Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Minuit, 1992, p. 51. 2. L’image des choses est le titre de l’exposition de Laurent Pernel à La Halle de Ponten-Royans en avril 2009. 3. Jean-Luc Nancy, entretien avec Chantal Pontbriand, Parachute n°100, 2000, p.31. Laurent Pernel, Glasnost Espace Vallès, Saint-Martin-d’Hères du 12 septembre au 17 octobre 2009


alexander liesman

la salle de bains

The Thing

La lumière dans l’ignorance

par Hugo Pernet

par Sandra Cattini

• Reto Klumbvus Die Führung Nr. 2, 2009 © Dominique Uldry

Im Dunkeln sieht man die Licht 1 s’ouvre à Fri Art par la montée de quelques marches bricolées au début d’un long couloir au bout duquel trône un tableau. La majesté de la situation s’effrite rapidement, à commencer par la rampe, sensée nous guider, qui s’interrompt sans plus d’explication. Plus de guide, mais une exposition en forme de démonstration : une petite histoire visuelle de la perception, de l’interprétation et du regard. Nous sommes supposément dans une exposition collective, où la grille d’interprétation s’opacifie au fur et à mesure que les associations se font lumineuses et où l’on parcoure des salles où il y est littéralement question de grillages contre lesquels le corps bute et s’empêtre. Autant de moyens d’empêcher, d’orienter, de faire écran et de diriger la relation que nous pourrions avoir avec de petites peintures à la noirceur rougeoyante, sorte de tableaux merz à la sauce d’un expressionnisme de l’école de Paris. Puis le soleil, la révélation, à travers la surexposition d’un escalier, préparant mentalement à accéder à l’étage supérieur où se déroule la suite de l’exposition. Là, des monochromes noirs, des planches de mélaminé consciencieusement brûlées au chalumeau apparaissent comme des cieux denses et profonds et d’une obscurité impénétrable. Ils figurent aux côtés de compositions à la veine plus conceptuelle qui rapprochent, d’une part et

systématiquement, des reproductions des trois versions similaires des Tournesols de Van Gogh – sans doute une des images les plus connues et reconnues par le public et, d’autre part, une image de la bande dessinée des années 1960 Spy vs. Spy. Cette dernière semble à chaque fois être la conclusion d’une suite narrative dont nous ne connaissons pas ce qui précède et qui reste particulièrement obscure à nous autres, pauvres regardeurs. Ténèbres impénétrables versus perte d’informations ? Un récit nécessaire pour comprendre que si Diogène s’entrainait à mendier auprès de statues pour s’habituer au refus, David Renggli cultive la rupture et un style apparemment hétérogène, allant jusqu’à faire passer une exposition personnelle pour collective, comme c’est ici le cas, pour s’habituer à l’incompréhension. Si « surprendre », « déconcerter », « déstabiliser » sont les termes qui qualifient le plus souvent son travail, cette méthode n’est rien moins qu’une stratégie d’apparition au sein de laquelle les processus d’illumination et de révélation prennent toute leur importance. Brouiller les pistes pour saper toute autorité quelle qu’elle soit (chef d’œuvre, auteur, savoir, langage) pour ne s’en remettre qu’à sa propre expérience de l’art. Autant dire que la lumière n’est pas au bout du tunnel mais dans notre regard, à chaque instant, et qu’avec sa lanterne, David Renggli cherche l’art. 1. En français: « dans l’obscurité on voit la lumière ». Le titre est maculé d’une faute immanquable en allemand où le féminin « die » est employé au lieu du neutre « das Licht ». Im Dunkeln sieht man die Licht Karin de Bour, Reto Klumbvus, Otto Mennings, David Renggli, Kelley Tippsman, Commissariat Alexander Liesman Fri Art, Fribourg du 11 juillet au 18 octobre 2009

Trois structures triangulaires en bois peintes respectivement en rouge, bleu et noir, sont placées dans chacune des trois pièces de La Salle de bains à Lyon. Comme les célèbres L-Beams de Robert Morris (1965), elles sont positionnées de trois façons différentes. Elles ressemblent à n’importe quelle « structure primaire », à ceci près que chacune est ici affublée du même visage humain stylisé, l’une d’entre elle toisant impassiblement le spectateur du haut du mur où elle est accrochée. Dans un non moins célèbre dessin d’Ad Reinhardt, un visiteur se moquant d’une peinture abstraite se voit soudain vivement invectivé par celle-ci, doigt pointé et regard menaçant. On sait aussi que l’art minimal, dont l’émergence est fortement liée à l’influence d’œuvres comme celles de Reinhardt, fut critiqué par Michael Fried pour son anthropomorphisme refoulé et sa théâtralité. Joanne

Tatham et Tom O’Sullivan ne sont peutêtre pas directement préoccupés par la réévaluation de ces problématiques, mais leur travail semble reprendre à son compte ce discours critique, pour en aggraver éventuellement les conséquences formelles. En effet, les objets présentés dans l’exposition souffrent d’un problème de définition : on y croise un bibelot en bronze, un meuble ancien en bois, la reproduction agrandie d’un flyer pour un concert techno, un losange rose peint sur des bandes de plâtres, et une mystérieuse photographie encadrée artisanalement dont même les artistes ne semblent rien savoir. Pour compléter cet ensemble, deux des murs ont étés discrètement peints en vert pâle. Quant au titre de l’exposition, il est tout aussi ironiquement insoluble : « you can take it as a thing or you can take it as a thing » (soit : « vous pouvez le prendre comme


le stand

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Derniers temps forts par Lélia Martin-Lirot

• Eva Nielsen Paysage, 2008 Courtoisie de la galerie Dominique Fiat, Paris

Joanne Tatham & Tom O’Sullivan Vue de l’exposition © André Morin

une chose ou vous pouvez le prendre comme une chose »). C’est donc à cette absence d’alternative, ou à ce piège tautologique – comme il existe des figures géométriques impossibles – qu’il faut faire face. Dans la littérature fantastique ou le cinéma de genre, on a tendance, pour des raisons évidentes, à ne pas donner de nom à ce qu’on ne peut décrire (Lui, de Lovecraft, Ça de Stephen King, ou The Thing, de John Carpenter). Dans l’art, il y a des œuvres sans titre et des catégories qui n’existent pas encore, mais elles ne tardent pas à trouver une définition. En 1965, Donald Judd invente le terme désormais célèbre d’objet spécifique pour désigner une œuvre qui ne relève « ni de la peinture, ni de la sculpture ». L’idée qu’une œuvre n’est ni complètement une chose, ni complètement une autre, apparaît dans le travail de Tatham et O’Sullivan avec d’autant plus de cruauté que sa spécificité naîtrait des refoulements théoriques d’une forme d’art qui les a précédés, et inclurait dans sa définition des éléments hétéroclites et anachroniques. Un meuble ancien, en fait un coffre du xviie siècle portant les initiales de son propriétaire, est ici présenté sous la forme d’un ready-made, comme si, après Judd, n’importe quel meuble pouvait rétrospectivement devenir une sculpture, un objet spécifique a posteriori. D’une manière un peu semblable, l’agrandissement d’un flyer techno apparaît comme un élément « trouvé », prélevé dans une culture et redirigé vers un autre public. Pour finir, il faut noter

que la photographie présentée dans l’exposition figure un objet proprement inidentifiable, dont la définition manque ou a disparu. C’est précisément ce manque qui semble intéresser les artistes, le manque comme lieu de la corruption des définitions et de la possibilité des nouvelles formes impures, subjectives et absurdes qui composent leur vocabulaire artistique. À la vue de cette exposition et d’une autre quelques mois plus tôt à Paris (Galerie Sutton Lane, du 13 décembre 2008 au 17 janvier 2009), on peut lire l’œuvre des artistes écossais comme un art de l’exposition ; un langage de formes récurrentes collectionnées, développées et modifiées, modulées comme une seule phrase sur le principe enfantin de « marabout-bout d’ficelle », un travail rhétorique « semisérieux » (selon le terme de Jill Gasparina, co-commissaire de l’exposition de la Salle de bains) et profondément original, à la portée critique tout à fait inédite. Joanne Tatham & Tom O’Sullivan, you can take it as a thing or you can take it as a thing La Salle de bains, Lyon du 21 mars au 16 mai 2009

Inauguré en 2007, Le Stand doit fermer ses portes fin octobre 2009 en raison de la vente des locaux qu’il occupe. Lieu de résidences et d’expositions, le Stand est géré par le collectif Worx, né en 2004 à l’initiative de Sylvie Barré avec Sylvie Sepic, Anthony Musso et Pascal Poulain pour établir une plateforme d’échanges autour de la jeune création. De l’exposition Relais d’étape au Fort du Bruissin à la direction de la Maison Neyrand pendant plusieurs années en passant par le commissariat associé de Rendez-vous 2005, cette équipe d’artistes aux pratiques autonomes a su générer une dynamique de réseau volontaire et prospective. Le Stand a ainsi permis depuis deux ans à des commissaires, graphistes, critiques et artistes de bousculer leurs recherches mutuelles et d’en accentuer la visibilité. La résidence d’Extrafine au Stand en est un exemple. Cet atelier de création, qui réunit deux designers graphiques et un programmeur informatique, cherche à développer, selon ses propres termes, « une approche du design ouverte et multidisciplinaire, qui “dénormalise” la pratique numérique ». Afin d’appréhender une conception graphique à travers la mise en espace, l’identité du lieu d’exposition s’est imposée comme sujet d’étude. Extrafine s’est ainsi attaché à en circonscrire les dimensions architecturales, historiques, philosophiques et sociales, pour les agencer en diverses mises en forme. Déjà concrétisée par deux installations, Entracte 1 et 2, l’expérience se finalise aujourd’hui par une démarche éditoriale nommée Édition

limitée. Le premier numéro de cette collection de revues est défini comme « un temps d’analyse des constituants du lieu de la communication ». D’autant plus ambitieux qu’il s’agit de combiner, au sein d’une création littéraire, des écrits théoriques et documentaires issus d’entretiens avec les personnalités ayant contribué à l’activité du Stand. Avant la sortie de cette publication et pour conclure en beauté, le Stand présente le deuxième volet de Let’s Talk About Painting ! de Clément Dirié. Ce critique et commissaire qui collabore avec Worx depuis plusieurs années a conçu son exposition au travers du débat récurrent sur la contemporanéité de la pratique picturale. En débusquant la question de la peinture dans les œuvres d’artistes qui n’en font pas, il propose la dichotomie objet/sujet comme un axe de lecture. Un parcours inattendu, construit autour de sept artistes (dont deux peintres) et d’une variété de médiums. Dès la vitrine, Transformation of a Scheme (The Unknown Masterpiece) de Falke Pisano pointe l’évolution du processus littéraire de Balzac entre les versions successives du Chef-d’œuvre inconnu. Plus loin, Visite guidée à thème : Sécurité et Patrimoine de Renaud Au­guste-Dormeuil guide le spectateur dans une vision vidéo surveillée du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. On notera encore les collages de la série Black mountains in color de Jorge Pedro Núñez, qui font référence à des compositions picturales d’Op art à partir de pages découpées dans le magazine ArtForum. Autant d’œuvres qui mettent en abîme les mécanismes et l’histoire de la représentation par focalisation, décadrage ou détournement. Quant à l’avenir de Worx, la volonté du collectif de provoquer des échanges constructifs est toujours vivace. D’un nouveau lieu avec perspectives européennes à une itinérance maîtrisée vers des espaces moins attendus, les pistes ne manquent pas – reste à prendre le temps d’en définir les contours. Let’s Talk About Painting ! #2 Renaud Auguste-Dormeuil, Jean-Baptiste Bernadet, Isabelle Cornaro, Marcelline Delbecq, Eva Nielsen, Jorge Pedro Núñez et Falke Pisano Le Stand, Lyon du 14 septembre au 10 octobre 2009


lynne cohen

Un cadrage du réel par Marie de Brugerolle

• Inaugurée par Watch Your Step à la Galerie Le Bleu du ciel à Lyon, la suite d’expositions des travaux de Lynne Cohen a permis une visibilité cohérente de cette artiste aujourd’hui canadienne (elle est née aux États-Unis et a grandi dans le Wisconsin) en France. Ce travail photographique remarquable puise aux sources de ce qui nourrit la photographie depuis une quarantaine d’années : le théâtre banal de l’architecture standardisée, l’appropriation et le retournement de la réalité « par ses stéréotypes mêmes », la conscience politique du pouvoir de l’image. Autant que Jeff Wall, Sandy Skoglund ou Ken Lum, Lynne Cohen construit un imaginaire à partir du réel et révèle des espaces fictionnels « non vus ». Son terrain d’investigations est la domotique corporate, l’esthétique bureaucratique capitaliste, tout aussi normée, à y regarder de front, que l’univers de l’autre côté du rideau de fer. Au-delà de la photographie dite « plasticienne », Lynne Cohen est une artiste singulière dont le style provoque une relecture non seulement d’une histoire de l’art tamisée par le post-modernisme, mais simplement, et de façon plus puissante encore, du monde où nous vivons. À Lyon, un ensemble de grands formats montrait des intérieurs de bureaux, de salles d’attente, de stands de tir pour entraînement policier ou encore un salon de sous-marin. Lynne Cohen est d’abord sculptrice ; elle dit que l’outil photographique est un moyen facile car son apprentissage est simple. Il en va d’une pratique qui conjoint la mise en espace : le cadrage, le travail de l’ombre et de la lumière ; les jeux d’éclairages, et la matérialité – l’invention de cadres. Un fauteuil beige aux formes généreuses et avachies est disposé sur une moquette de même teinte dans ce qui semble être un bureau aux étagères vides. Les panneaux recouverts d’un motif « bois » ou les cornières façon « loupe de noyer » évoquent un style décoratif des années 1980. Au mur est accrochée une photo montrant la mer dont le verre, juste fixé par des chevilles, reflète les ampoules du plafonnier. On distingue d’autres néons que ceux dissimulés par le faux plafond. Ce pourrait être une salle d’attente mais il n’y a qu’un siège – un bureau de direction, de médecin ? Mais l’absence de table en fait douter… Pas de titre, ou des indications très factuelles et laconiques, qui renvoient aux notations policières ou prises de notes scientifiques, sans

affect. Le vide central renforcé par la forte présence des sols et l’absence de figures provoque à la fois un malaise et stimule l’investigation. Pas de corps pour imaginer des proportions, une échelle. Sommes nous devant un décor ? Une maquette ? Les traces d’usage le démentent : poudre de craie sur le tableau, carrelage défraîchi. Une activité a eu lieu, de façon récurrente puisqu’elle a laissé des marques d’usure. Le vertige est accentué par le rapport au corps du regardeur devant la photographie. Lynne Cohen accroche celles-ci plus bas que la norme et notamment au Bleu du ciel où la sensation de bascule, renforcée par le manque de recul, provoquait une véritable implication physique. De cet accrochage particulier, l’artiste parle de fenêtres. De fait, leurs proportions et ce bord-cadre nous font devenir passants furtifs devant des fenêtres, des scènes d’intérieur. La ligne de sol, toujours située au tiers de l’image, pose un « horizon » assez bas qui est celui de la peinture hollandaise du xviie siècle. Ce sont des paysages, au sens de portions, de sections et d’un format relié à une histoire de la peinture. Lynne Cohen détourne et pervertit les canons du genre pour l’appliquer à une esthétique du banal. Celle-ci est de l’ordre d’une épiphanie joycienne, c’està-dire que dans ce quotidien, quelque chose arrive. Le temps photographique est celui de cet « horizon d’attente restreint » du suspens. Les cadres à Lyon étaient en formica, matériau utilisé à partir des années 1960 pour remplacer l’usage du bois. Larges d’une dizaine de centimètres et épais d’un centimètre, ceux ci ont des teintes et des motifs imitant le marbre, l’ardoise ou la pierre. On pense à certaines œuvres de Richard Artschwager et à son usage de matériaux vernaculaires pour créer des objets sculpturaux. Chez Lynne Cohen cependant, le processus de nomination des choses se joue des ressemblances, du « comme », et questionne l’indiciel du photographique. Les preuves sont minces : une teinte non conforme, un reflet dans la vitre, l’inclinaison d’une branche. Comme dans un film noir ou une nouvelle de Raymond Chandler, il y a un rythme, une musique, dont le tempo est saccadé ou chaloupé selon les scènes. « Derrière la porte vitrée de son bureau, il regarde l’envers des lettres qui forment son nom. Il s’identifie à ce verre, il est un transparent derrière lequel défile une aventure qui n’est

Lynne Cohen Vue de l’exposition Watch Your Step au Bleu du ciel © Jesus Alberto Benitez

jamais tout à fait la sienne » écrit Chandler au sujet de son personnage de détective privé Philip Marlowe. Chez Lynne Cohen, nous sommes dans cette temporalité d’avant l’événement, entendu comme chose qui va bouleverser l’ordonnancement d’un contexte. Ce sont peutêtre des scènes de crime ou des décors de films, avant le clap « action » ou après l’enlèvement des corps. Nous sommes derrière la vitre et devant l’image, témoin potentiel. Dans le crime il y a l’assassin et la victime, mais aussi le témoin qui parfois n’en a pas conscience. Peut-être que ce qui opère au plus profond dans les œuvres de Lynne Cohen, c’est cette prise de conscience d’être un jour témoin. Après avoir vu une exposition de Lynne Cohen, on ne regarde plus les prises électriques de la même manière, la neutralité n’est plus de mise et le temps du regard n’est plus « à couvert ». Sa singularité réside dans le fait que ses images sont « trouvées » avant d’être construites ou composées. La série des Camouflage, montrées dans une petite salle isolée chez Fabienne Leclerc à Paris et en conjugaison avec des grands formats au Point du Jour à Cherbourg, atteste du travail de sélection antérieur à l’image. Comme pour un film, il s’agit de repérages. Ces indices ne sont pas des preuves, ils ne mènent nulle part dans leur répétition même. La même image peut être encadrée en formica par un système de tringle métallique qui reprend les teintes de ce matériau, le réel

se dédouble. L’étrangeté des images de Lynne Cohen est accentuée par une impression de familiarité. Non pas de lieux habituels (on va peu souvent dans un sous-marin, un centre de rééducation ou un stand de tir de la police), mais d’une esthétique filtrée ou infiltrée par un usage normatif. Ce serait en quelque sorte l’envers de l’appropriation : la ruse du corporate qui arrive à faire croire que Jeff Koons l’a imité. Lynne Cohen, Watch your step Le Bleu du ciel, Lyon du 25 février au 11 avril 2009 Proof Galerie Fabienne Leclerc_In Situ du 4 juin au 25 juillet 2009 Cover Centre d’art Le Point du Jour, Cherbourg-Octeville du 4 juillet au 20 septembre 2009


benjamin seror

damien cabanes

De l’absence de l’artiste

Liliane, Louise, Iris et les autres

par Pascale Riou

par Carine Bel

Benjamin Seror TV Bühne Set, 2009 Courtoisie de l’artiste

Damien Cabanes Vue de l’exposition Corps à corps

Depuis quelques temps, on peut régulièrement croiser Benjamin Seror en train de s’agiter dans des performances musicales bouillonnantes et bavardes, burlesques parfois, intensément théoriques toujours. Il vient d’être invité par OUI pour une première exposition personnelle. Et là, paradoxalement, il a plutôt montré le calme, la douceur sèche, le vide – dans une certaine mesure. Dans l’espace d’exposition, malgré l’imposante construction de bois, malgré les socles, les objets et la musique, il semble manquer l’essentiel : l’artiste luimême. Et c’est bien là le but de cette exposition : rendre la densité des performances de Benjamin Seror, sans performance ni performeur. Le titre, expansif et mystérieux, nous met sur la voie : nous sommes dans une voiture, véhiculés dans le temps et l’espace, dans la mémoire et l’imagination. Les objets, présentés sur de grandes estrades blanches, sont des vestiges d’actions passées (costume, instrument de musique, boisson énergisante), et les nombreux textes, disposés sur une grande table, sont ceux dits pendant les performances de ces dernières années. D’autres objets encore, posés sur un socle haut, sont des éléments potentiels de performances à venir. Une vidéo, qui met en scène l’artiste jouant de la guitare, diffuse une musique mélancolique et lancinante qui emplit la totalité de l’espace d’exposition. Le visiteur doit alors se saisir de toutes ces pièces et éta-

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blir des liens entre elles afin de reconstituer le puzzle qu’est l’œuvre. Pour une fois chez Benjamin Seror, c’est au spectateur de performer. Et s’il se met au travail, il comprendra qu’il s’agit de chanter, de faire de la musique, de convoquer des formes aussi, des références historiques (le Bauhaus et le constructivisme principalement), de raconter des histoires – et que cela produit une pensée de l’époque, une possibilité d’être au monde d’une rare densité. Une première exposition complexe, à la fois exigeante et généreuse, et finalement totalement habitée par la personnalité singulière de Benjamin Seror, in absentia. Benjamin Seror, Bien qu’il ne soit jamais directement fait référence à la notion de voiture, il s’agit bien évidemment du principal sujet Oui, Grenoble du 24 mai au 29 juin 2009

Corps à corps avec huiles sur toile et terres cuites : l’œuvre de Damien Cabanes habite les trois étages de la fondation Salomon. Là, on croise Liliane en robe verte assise. Ici, on découvre Louise et Lucie endormies ou surprend Iris, Saskia et Adrien regardant un film. « Je n’ai aucune imagination, je peins seulement ce que j’ai sous les yeux », précise Damien Cabanes – soit ses voisins et amis incarnés à l’échelle 1 ou La table devant les peintures quand ils sont partis. Sans bluff ni fiction, ses personnages se tiennent devant nous avec une présence fulgurante. Immédiatement, on les sent familiers. La plupart d’entre eux ont pourtant les yeux fermés et les membres gisants. Seules la tête et les mains se détachent des corps. Les corps ne font rien, ils sont, tout simplement : debout, assis ou couchés, ils s’emboîtent, s’alignent, se décalent ou s’ajustent. La vision est d’autant plus saisissante que les figures se fondent en formes abstraites, devenant le motif de paysages intérieurs éminemment troublants. Damien Cabanes agence des compositions de corps en résonance avec le monde comme autant d’états d’être. Il est question de proportion et d’équilibre, de masse et de portée, de tout ce qui se constitue la matière. Tracées au pinceau épais avec un geste impétueux, les silhouettes découpent l’espace. Les couleurs en modèlent les volumes, les tons vifs et sourds en règlent la densité. Peintures et sculptu-

res opèrent comme des musiques diversifiées allant du rap au classique en passant par le jazz ou le contemporain. Dans la chapelle, l’artiste se présente en portrait en pied derrière un empilement de pagodes en plâtre, clin d’œil à sa période abstraite. Le parcours de son œuvre récente conduit dans un univers d’une rare intensité. Gare aux Fausses jumelles, à Anna Debout et aux autres ! Le petit peuple de terre cuite a la beauté époustouflante et conduit près de l’immédiateté de l’être. On dirait un lever du jour sur l’humanité, une émotion lumineuse qui nous dote d’une clarté du regard. À 50 ans, auteur d’une œuvre pure issue d’un travail artisanal, Damien Cabanes s’inscrit dans la lignée des grands maîtres. Son geste saisit l’essence de l’être avec une délicatesse inouïe. Quant à la série des petites pièces moulées aux formes spontanées, c’est l’un des exercices de l’artiste qui travaille la torsion du poignet de façon mécanique et répétitive, jusqu’à désapprendre le mouvement et retrouver l’instinct du geste. Damien Cabanes, Corps à corps Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon du 11 juillet au 8 novembre 2009


lecture

encart_zeroquatre_sept09_A:_adele_encart

6/08/09

l’actualité de l’art contemporain à Lyon et son agglomération en résonance avec la biennale de Lyon

Collection – Musée d’art contemporain de Lyon Après cinq ans de travail, le Musée d’art contemporain de Lyon sort enfin le catalogue raisonné d’une collection constituée sur plus de vingt ans. Fondée sur la notion d’œuvres génériques et de « moments » d’expositions plutôt que sur la constitution d’ensembles historiques, la collection du MAC comprend des œuvres créées in situ par Robert Morris ou Robert Irwin, d’autres acquises suite aux différentes biennales de Lyon, d’autres enfin offertes par George Brecht et bien d’autres à l’issue de leur passage à Lyon. Cette véritable somme, qui se lit comme un roman érudit, permet en outre de faire le point sur l’antagonisme apparent des termes « musée » entendu comme lieu de conservation et « art contemporain » pris ici comme une possible forme historique.

art contemporain Lyon

adele navettes gratuites Les Samedis d’Adele les 3 octobre et 28 novembre 2009

Musée d’art contemporain de Lyon – Catalogue raisonné, 5 Continents Éditions, Milan, 2009. Textes de Thierry Raspail, Hervé Percebois et al.

et son agglomération

www. adelelyon .fr et le programme semestriel

bibliothèque municipale de Lyon 04 78 62 18 00 www.bm-lyon.fr

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exposition du 12 09 au 12 12 2009 La Galerie bibliothèque de la Part-Dieu 69003 Lyon

10:09

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Reconnue d’utilité publique depuis octobre 2003, la Fondation Bullukian poursuit trois missions selon la volonté de son créateur: encourager la recherche appliquée dans le domaine médical et la santé publique, favoriser le développement culturel et artistique, notamment par l’aide aux jeunes artistes, et apporter son soutien aux œuvres sociales arméniennes. Quatre mots concrétisent son action: innovation, culture, santé et solidarité. ÉCHANGES CULTURELS BULLUKIAN 26 PLACE BELLECOUR, LYON 2 e WWW.BULLUKIAN.COM


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