Zibel109

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15.07 > 9.09.2017

N°109

ZIBELINE

Mensuel culturel engagé du Sud-Est La pollution

numérique

Les artistes

asphyxiés

3€

Nos critiques et nos conseils


XXVe FESTIVAL

INTERNATIONAL

AIX-EN-PROVENCE du 1er au 12 aoรปt 2017 Conservatoire Darius Milhaud - AIX-EN-PROVENCE Direction Artistique: Michel Bourdoncle

CRร ATION PATRICK VENTUJOL - PHOTO DE LA TERRE : NASA/NOAA/GSFC/Suomi NPP/VIIRS/Norman Kuring

LOCATION www.weezevent.com/les-nuits-pianistiques-2017 www.lesnuitspianistiques.org 06 74 45 68 10


JUILLET SEPTEMBRE 2017

CULTURE ET SOCIÉTÉ Mensuel payant paraissant le deuxième samedi du mois Édité à 20 000 exemplaires, imprimés sur papier recyclé Édité par Zibeline BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Riccobono Imprim’vert - papier recyclé Crédit couverture : © Alouette sans tête Conception maquette Tiphaine Dubois

Directrice de publication & rédactrice en chef Agnès Freschel agnes.freschel@gmail.com 06 09 08 30 34 Rédactrice en chef adjointe Dominique Marçon journal.zibeline@gmail.com 06 23 00 65 42 Secrétaire de rédaction Anna Zisman anna.zisman.zibeline@gmail.com

ARTS VISUELS Claude Lorin claudelorin@wanadoo.fr

06 25 54 42 22

LIVRES Fred Robert fred.robert.zibeline@gmail.com MUSIQUE ET DISQUES Jacques Freschel jacques.freschel@gmail.com CINÉMA Annie Gava annie.gava@laposte.net

06 88 46 25 01

06 82 84 88 94

06 20 42 40 57

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Élise Padovani elise.padovani@orange.fr

Polyvolants Chris Bourgue chris.bourgue@wanadoo.fr Gaëlle Cloarec ga.cloarec@gmail.com

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Maryvonne Colombani mycolombani@gmail.com

06 62 10 15 75

Marie-Jo Dhô dho.ramon@wanadoo.fr Marie Godfrin-Guidicelli m-g-g@wanadoo.fr 06 64 97 51 56 Jan Cyril Salemi jcsalemi@gmail.com

Maquettiste Philippe Perotti philippe.zibeline@gmail.com

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WRZ-Web Radio Zibeline Marc Voiry marcvoiry@hotmail.com Directrice Commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18 Camille Aumont camille.zibeline@gmail.com La régie Jean-Michel Florant laregie@gmx.fr 06 22 17 07 56 Collaborateurs réguliers : Régis Vlachos, Dan Warzy, Frédéric Isoletta, Yves Bergé, Émilien Moreau, Christophe Floquet, Pierre-Alain Hoyet, Aude Fanlo, Thomas Dalicante, Marion Cordier, Caroline Gerard, Faustine Aupaix Administration Catherine Simon admin@journalzibeline.fr Houda Moutaouakil contact@journalzibeline.fr

04 91 57 75 11

Ceux qui errent L’an dernier Maëlle Poésy avec une bande de jeunes acteurs créait au Festival d’Avignon une fable politique étonnante, qui affirmait que ceux qui errent, et votent blanc, ne se trompent pas. Sous une pluie diluvienne, les citoyens refusaient de réélire un gouvernement qui ressemblait à s’y méprendre à tous ceux de François Hollande. Un an après, au terme d’une séquence électorale particulièrement incertaine, alors que l’écrasante majorité présidentielle représente moins de 17% des inscrits sur les listes électorales, la fiction de Maëlle Poésy paraît prémonitoire : seuls 42,6% des électeurs se sont rendus au second tour des législatives, et près de 10% d’entre eux ont voté blanc. Ces électeurs sont-ils en train d’errer, de divaguer ? Ou de prendre conscience que l’avenir politique ne se construit pas à l’Assemblée, mais dans la proximité de nos solutions quotidiennes ? La représentation politique perd sa légitimité face à une décision si massive de ne pas élire. D’ailleurs le nouveau gouvernement prend acte de cet affaiblissement démocratique lorsqu’il veut inscrire l’état d’urgence dans le droit commun et réformer par ordonnances. Le débat et ses désordres s’éteignent, les amendements 109 d’une opposition dispersée sont raillés et une sorte d’unanimité molle envahit les médias, qui débusquent les scandales politiciens mais restent sourds à ce qui va déconstruire nos vies. Il faudrait pourtant écouter les paroles discordantes, comprendre leurs raisons, sonder leurs déraisons. Mais la voix des artistes, souvent augurale, restera-t-elle audible ? Ils sont, comme les citoyens, soumis à des instances décisionnaires peu légitimes : dans les commissions qui décident des subventions de l’État, des Régions, des villes, d’ExtraPôle, siègent des directeurs de structures, ou leurs délégués, qui sont aussi programmateurs. Leur excès de puissance est évident. Et leurs décisions, prises à l’encontre de compagnies régionales, font fi de la nécessité d’un tissu artistique local, seul capable d’activer le désir d’art chez les spectateurs. Si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont pas les nôtres, écrivait Pascal, déjà animé du sentiment de dépossession : nos solutions, politiques, artistiques, s’inventeront ici. Au présent, localement, de nos imaginaires et de nos énergies, pour peu qu’ils subsistent.

ÉDITO

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AGNÈS FRESCHEL


Only the Lonely 1955 - 1984 Esplanade Charles-de-Gaulle Du mardi au dimanche De 11:00 à 13:00 et de 14:00 à 19:00 Entrée libre www.montpellier.fr

Philippe SAUREL Président de Montpellier Méditerranée Métropole Maire de la Ville de Montpellier

William Gedney, San Francisco, 1967, Photographie de William Gedney avec l’accord de la bibliothèque David M. Rubenstein Rare Book & Manuscript Library at Duke University - 06-2017 - LV

PAVILLON POPULAIRE ESPACE D’ART PHOTOGRAPHIQUE 28 JUIN – 17 SEPT 2017


sommaire 109

société

Le coût environnemental du numérique (P.6-7)

politique culturelle

Le travail absent des scènes (P.8) Les compagnies asphyxiées par la baisse des aides publiques (P.10-11)

Pinocchio, Joël Pommerat - Festival d’Aix 2017 © Patrick Berger

festivals

(annonces) Musique, théâtre, arts de la rue, littérature, expositions (P.12-31) Chaillol, Martigues, Ollioules, Montpellier, Aix, Le Puy Sainte-Réparade, Vitrolles, La Roque-d’Anthéron, Salon-de-Provence, Lançon-Provence, Forcalquier, Durance et Luberon, Marseille, Gréoux-les-Bains, Pernesles-Fontaines, La Londe-les-Maures, Manosque, Sète

Antigone, Satoshi Miyagi - Festival d’Avignon 2017 © Christophe Raynaud de Lage

festivals

(critiques) Musiques, théâtre, danse, images (P.34-55) Aix, Avignon In et Off, Arles, Montpellier, Marseille, Toulon, Lambesc, Miramas, Pays de Fayence, Orange, Gréoux-les-Bains, Uzès

AU PROGRAMME Musiques (P.32)

Aubagne, Hyères, Sète, La Tour d’Aigues, Etang de Thau, Saint-Tropez

Until our hearts stop, Meg Stuart - Festival de Marseille 2017 © Iris Janke

cinéma [P.56-59] Arts visuels [P.60-75] Laurent Pernot, La Rose - Exposition Hortus 2.0 dans les musées d’Avignon, 2017 © Jérôme Taub

Marseille, Avignon, Aix, L’Isle-sur-la-Sorgue, Tarascon, Sète, Montpellier, Sérignan, La Roque d’Anthéron, Saint-Chamas, Toulon, Les Baux-de-Provence, Châteauvert, Brignoles, Lodève

livres [P.76-82]


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société

Tic éthique LE COÛT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE EST CONSIDÉRABLE, MAIS LA RÉSISTANCE S’ORGANISE le déploiement de l’intelligence artificielle ; du fait qu’elle affecte nos capacités cognitives (lire L’homme ultra-connecté est moins concentré qu’un poisson rouge, article paru sur le site neonmag.fr le 18/05/15) ; ni des dégâts causés aux libertés individuelles, celle d’avoir une vie privée par exemple. Comme le formule joliment JeanLuc Porquet (Canard Enchaîné du 27/11/13), « la maison connectée, c’est la maison fliquée de la tête aux pieds... »

Consommer moins, c’est possible !

Capture d’écran de La tragédie électronique de Cosima Dannoritzer/Yuzu Productions, 2014

C

’est le matin, vous êtes dans le métro. Sur le quai d’en face, une dizaine d’écrans publicitaires numériques vantent les services d’Uber, application mobile de transports ; personne ne les regarde, autour de vous, les gens mal réveillés sont déjà hypnotisés par leur smartphone. Vous ne faites pas exception, vous demandez à Google1 qu’il vous dise combien d’énergie ces affichages vidéo consomment. Réponse : 400 W/m2 en moyenne, soit pour chacun autant qu’un foyer de 3 personnes. De lien en lien, vous plongez dans un vertige de chiffres sur le coût environnemental du numérique, celui des milliards de mails envoyés chaque jour, des photos, sons, films partagés sur les réseaux sociaux, des données et des transactions, qui transitent et sont stockés sur des infrastructures colossales.

Du lourd, et du sale

Câbles, fibre optique, data center, terminaux... L’informatique se construit à base de minerais dont l’extraction provoque souvent des déséquilibres locaux, voire des conflits armés, et à

base de toxiques : mercure, plomb, cadmium, chrome, PVC, phosphore, solvants, acides. Et les objets high-tech partent à la poubelle tous les deux ans. Dans les décharges des pays du sud, principalement, où les occidentaux transfèrent massivement leurs déchets dangereux. Pour nos services soi-disant « dématérialisés », il faut mobiliser des espaces de stockage exponentiels et énergivores : 40% de l’énergie consommée par les Technologies de l’information et de la communication (TIC) est utilisée pour refroidir les serveurs des data center. Ce n’est encore rien à côté de ce qui nous attend avec les objets connectés, entre 30 et 50 milliards d’ici 2020 selon les estimations (source : émission Le numérique et nous du 19/11/16 sur France Culture). La numérisation généralisée n’a pas fait la preuve de son efficacité en matière environnementale, loin de là, et même ceux qui en attendaient un rebond sur la productivité n’en voient pas les effets escomptés (source : Doutes sur le potentiel de croissance du numérique, Le Monde, 14/06/16). Sans parler de son impact sur l’emploi lorsqu’elle favorise la robotisation et

Dans son rapport Clicking Green paru en janvier 2017, Greenpeace estime qu’il est temps de « renouveler Internet », précisant que si le secteur informatique représente déjà environ 7% de la consommation mondiale d’électricité, de nombreuses actions sont possibles pour en limiter l’usage d’énergie et de matières premières. Évidemment, le gros morceau est dans les mains des entreprises et des collectivités. Yann Magnin, physicien, évoque la démarche des laboratoires scientifiques, grands consommateurs de données2, pour réduire leur impact : « À Lyon par exemple, notre écoclim pour les clusters c’est une nappe phréatique sous le labo. À Marseille on réduit ou suspend les calculs les plus gourmands en ressources pendant les mois d’été. Chaque machine utilise Linux avec des programmes d’optimisation des dépenses d’énergie. Enfin, on peut mettre le centre de calcul sous terre, et les méthodes de stockage sur des machines personnelles partagées me semblent très intéressantes. » Les particuliers aussi peuvent agir, à leur échelle. Avec de simples petits réflexes : regarder des films en basse définition (au fait, est-ce que Netflix a toujours recours au charbon ?), trier ses mails, supprimer les doublons de ses fichiers, se désinscrire des newsletters indésirables, compresser ses pièces jointes.... Et surtout : se déconnecter le plus possible. Ne pas céder aux sirènes du dernier cri. Car l’électronique, ça se répare de plus en plus ! Même les smartphones (cf notre dossier sur l’obsolescence programmée dans Zibeline 107). On peut d’ailleurs repérer les marques qui facilitent le remplacement des pièces.


Le rendez-vous européen de Lieux Publics ————— à Marseille à la Cité des arts de la rue et dans le quartier des Aygalades ——————————-

L’avenir inéluctablement numérique ?

Dans une interview accordée à Usbek & Rica, le « pape du logiciel libre » Richard Stallman donne une espérance de vie assez courte au numérique, de l’ordre de 60 ans : « Le réchauffement climatique va entraîner des migrations énormes, des conflits partout, des guerres. (....) Dans ce scénario-là, la fabrication mondialisée de nos sociétés numériques ne pourra plus fonctionner du tout. » De toute façon, les ressources matérielles sur lesquelles repose l’industrie digitale sont amenées à se tarir à plus ou moins rapide échéance. Mais ce n’est pas tout ! Face à la surenchère de pixels, il y a des contre-courants. Les jeunes préfèrent le livre papier à la lecture des e-books, dont les ventes plongent (- 17% l’an dernier au royaume Uni, selon The Guardian -édition du 27/04/17- qui évoque une screen fatigue). On constate surtout de fortes oppositions politiques à la numérisation du monde. Et la résistance s’organise : en France par exemple, face au compteur Linky déployé de manière musclée par Enedis3. Alors que faire pour moins subir ? Peut-être aller débrancher quelques écrans dans le métro ? À Grenoble, il n’y en a déjà plus. À Paris, la RATP a lancé un appel à idées auprès des voyageurs afin de « favoriser l’émergence de nouveaux services ». Massivement et avant tout, les usagers ont souhaité le retrait des écrans vidéo publicitaires.

4e ÉDITION

GAËLLE CLOAREC 1 Une recherche sur Google produit autant de CO2 que de porter à ébullition de l’eau avec une bouilloire électrique.

Le CERN (l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire) consomme 1,3 térawatt heures d’électricité par an. C’est l’énergie qu’il faut pour alimenter 300 000 foyers au Royaume-Uni. 2

Sur ce sujet, on lira avec intérêt les productions du collectif grenoblois Pièces et Main d’Oeuvre (piecesetmaindoeuvre.com). 3

À lire (même si les chiffres sont déjà dépassés, l’argumentation reste hélas d’actualité) : La face cachée du numérique L’impact environnemental des nouvelles technologies Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot Éditions L’Échappée, 12 €

spectacles gratuits www.lieuxpublics.com 04 91 03 81 28


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politique culturelle

Au Travail ! EN CES TEMPS DE FESTIVALS, IL EST PEU QUESTION DE TRAVAIL. LES NUITS DEBOUT, LES LUTTES CONTRE LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL INSPIRENT PEU LES SCÈNES ET LES CIMAISES. PAR INDIFFÉRENCE DES ARTISTES ?

L

es chômeurs de catégorie A (sans aucun à la misère de l’Afrique, des Amériques, aux et dépendant comme eux du mauvais vouloir emploi et en recherche active d’un contrat dictatures du Sud et aux fascismes rampants des politiques. Avec lesquels ils ont appris à quelqu’en soit le type) sont en France 3,5 de nos démocraties. Décrivant parfois les composer, ce qui n’est pas le meilleur moyen millions. Les autres inscrits à Pôle Emploi, qui formes extrêmes de pauvreté, mais ne parlant de conscientiser la nécessité de la lutte. travaillent un peu, 3 millions supplémentaires. pas des préoccupations de ce que d’aucuns Pour exemple, en cet été de Festivals où le Code Sans compter tous ceux qui ne sont pas inscrits, appellent le « peuple » : les jeunes sans avenir du travail est mis à plat, le Festival d’Avignon ouvre ceux qui n’ont jamais travaillé, les bénéficiaires qui traînent un sentiment d’inutilité, les corps avec Antigone (sublime, voir p.37). C’est-à-dire, du RSA, de l’AAH, les temps partiels impo- usés qui doivent travailler encore, la peur du avec une pièce politique sur le pouvoir, vu du sés, les stagiaires, les congés parentaux... Le lendemain incertain, les cautions pour accéder lieu de son exercice. Peu avant la Révolution travail est devenu un luxe, Beaumarchais écrivait le et dans le même temps ses Mariage de Figaro, à savoir la première pièce où les conditions se sont durcies. Les salaires à l’embauche ont valets, leurs amours, leur baissé, les CDI se font rares, mariage, étaient au centre la précarité se généralise dans de l’intrigue. Il faisait naître le privé. Dans le public les le drame bourgeois, contre gels successifs font baisser les tragédies de Cour, parce les salaires, et le recours qu’il considérait que le aux contrats précaires est Tiers État avait droit à la de plus en plus fréquent. Une parole des scènes, et pas situation sociale explosive et seulement comme valetaille morbide. Le CESE1 estime comique. Comme sujet que « 10 à 14 000 décès par an agissant pour lui-même. sont imputables au chômage » et Mais il n’est plus à la mode que « pour une augmentation (qui la dicte?) de « monter de 10% du taux de chômage, des textes », même contemle taux de suicide augmente de porains. Les créateurs de La Violence des riches, Cie Vaguement compétitifs, est joué au Théâtre des Carmes durant le Off © NAM.ART! photography 1,5% ». Or le taux de chôthéâtre écrivent, mettent en mage a augmenté de près de 50% depuis 2007. au logement, les trains qui ne marchent pas, les scène et jouent d’un même geste. Des intrigues embouteillages, les fins de mois impossibles, qui, forcément, parlent de ce qu’ils vivent de l’exigence d’être toujours plus performant, précarité et de conciliation avec les puissants, rapide, soumis, créatif, volontaire, souple, dans de ceux qu’ils rencontrent dans leurs actions un monde où la difficulté de vivre s’accroît, de médiation, de ce qu’ils captent empiriqueLe cinéma rend compte des luttes et des condi- où les prix augmentent, où les normes pour ment de l’air du temps. Ou ne captent pas : tions de travail : Merci Patron, Deux jours une se loger, s’habiller, s’assurer, sont de plus en certains spectacles participatifs, aux formes nuit, C’est quoi ce travail ou Moi Daniel Blake plus strictes et coûteuses. vagues, donnent la parole aux « gens », sans imagent cette angoisse de la perte du travail, sublimer leur expérience. Dans un temps où le « peuple », redevenu un thème politique, se à laquelle nous sommes tous directement ou indirectement confrontés. Mais au théâtre ? fond dans un fantasme essentialiste coupé de Thème privilégié de Vinaver, de Brecht, de la réalité pragmatique et sensible, la parole des Dario Fo, plus récemment de Rémi de Vos ou Les artistes seraient-ils décrochés de la réalité artistes sur ces sujets-là est essentielle. Or ils Cyril Teste, le travail et son aliénation gran- sociale ? Pourtant ils se sont considérablement manquent à l’appel… ou deviennent députés2 ! AGNÈS FRESCHEL dissante sont peu présents dans nos festivals. appauvris (voir p 10 et 11). Mais dans le milieu Le programme d’Avignon In ne cite pas le mot du spectacle les luttes -celles des artistes et 1 Conseil économique, social et chômage, et la misère exposée aux Rencontres techniciens intermittents, mais aussi celles des environnemental, étude de 2016 compagnies pour conserver des financementsd’Arles est plutôt colombienne ou chinoise. Pourtant ces Festivals, comme celui de Mar- diffèrent considérablement de celles des autres 2 François Ruffin, auteur de Merci Patron, seille, d’Aix, les Suds à Arles ou le FIDMarseille, entreprises. Les « patrons » de la culture sont a été élu député pour la France insoumise sont très politiques : s’attachant aux migrants, salariés, mieux payés mais solidaires des artistes,

Le chômage pas photoscénique ?

Recul esthétique ou politique ?


FESTIVAL 21e

ÉDITION

illustration Pascal Colrat

DE CHAILLOL

18 JUILLET > 12 AOÛT 2017 Entre Alpes et Provence, une itinérance musicale en territoire rural de montagne.

J’AIM E GREO UX

En partenariat avec 71, Bd St-Michel - Paris 5ème www.petitjournalsaintmichel.fr

7

Musiques d’aujourd’hui, contemporaines et traditionnelles, d’ici ou d’ailleurs ... Conjuguant les joies de la découverte musicale à celles d’une joyeuse itinérance dans le vaste territoire alpin, le festival de Chaillol convoque l’esprit des lieux et le talent d’artistes parmi les plus audacieux et les plus inspirés du moment pour une célébration de la musique dans toutes ses dimensions... Concerts, rencontres, ateliers, balades musicales pour vivre la musique plus haut. Golan / Hubert Dupont - Sofiane Saidi & Mazalda invitent Manu Théron - Gemme / Ensemble De Caelis Chesapeake Youth Symphony Orchestra - Académies #1 & #2 - Céline Frisch - Ciné Concert - Ensemble CBarré Création jeune public / Le petit garçon qui avait envie d’espace / Jean Giono & Benoit Menut - Three Horns Two Rhythm / Fabien Mary - Quatuor à plectres de France Balades Musicales - Marie Vermeulin & Noémi Boutin Los Lobos del Tango - Pierre Fouchenneret & l’Ensemble Opus 71 + Romain Descharmes ...

04 92 50 13 90 / w w w. fe s t i v a l d e c h a i l l o l . c om


10 politique culturelle

Les artistes asphyxiés

DEPUIS 10 ANS LES COMPAGNIES RÉGIONALES SUBISSENT UNE RÉDUCTION SÉVÈRE DES AIDES PUBLIQUES

conventionnées, les plongeant dans un cercle vicieux absurde. Les lieux intermédiaires, aux ressources en baisse et aux marges artistiques2 très réduites, ne sont plus en mesure de produire ces compagnies, qui affichent un calendrier de dates insuffisant et perdent leur conventionnement. Cela a été le cas pour Jean-François Matignon par exemple l’an dernier, alors même qu’il est cet été programmé au Festival In d’Avignon, et c’est aujourd’hui au tour de Renaud Marie Leblanc, dont la dernière mise en scène d’Horace est pourtant remarquable, et le travail de transmission irremplaçable. Ceci vaut pour le spectacle vivant. Dans l’art contemporain, les manifestations vont devoir justifier d’au moins 20% de mécénat dans leur budget global pour obtenir une subvention. Un taux inaccessible pour nombre de structures, qui devront renoncer à leurs manifestations, ou les réaliser a minima.

Situation de pauvreté Occupation de l’Hôtel de Ville - Festival d’Aurillac 2014 © Jan-Cyril Salemi

D

ernièrement, l’accélération de ces baisses dans les budgets, qu’elles proviennent de l’État ou des collectivités territoriales, a conduit une centaine d’acteurs en PACA, compagnies et lieux intermédiaires1, à pousser un cri d’alarme. Dans une lettre ouverte, datée du 29 mai, ils s’adressent ainsi aux élus du territoire pour alerter sur leur situation d’assèchement financier et pour obtenir des réponses concrètes sur les objectifs d’une telle politique. « Nous craignons que soit mise en œuvre une nouvelle orientation d’offre et de demande culturelle qui glisserait vers le populisme, la seule rentabilité économique et l’uniformisation de la pensée et des goûts », écrivent-ils notamment. Ils demandent également que les motifs déterminant les baisses de subvention soient clairement définis. Ils soulignent la nécessaire « prise en compte comme critère d’évaluation de l’exigence artistique et de la plus-value sociétale induite par nos actions qui ne peuvent se mesurer à l’aune des seuls critères quantitatifs énoncés par les conventions d’objectifs. » Ils rappellent enfin que « ces coupes affectent principalement les petites entreprises de

notre secteur qui contribuent fortement au maillage artistique et culturel de notre territoire. »

Siphon vicieux

De fait, ces petites structures, indispensables à la richesse de l’offre culturelle, sont les plus impactées par ces politiques de restriction. Les budgets décentralisés de l’État (via la DRAC) sont en baisse constante en région et fléchés vers les structures au label national. Les Régions prennent le relais des manquements de l’État en matière d’équité territoriale et abondent au budget des « gros opérateurs », restreignant les autres. Quant aux subventions des départements, qui restent la plus riche des collectivités, elles sont en baisse systématique depuis 2012 (- 24% dans les Bouches-du-Rhône, - 10% dans le Vaucluse ou - 15% dans le Gard). Ce n’est guère mieux du côté de la plupart des municipalités, la baisse de dotation de l’État ayant mis certaines au bord de la faillite. Et les Métropoles n’ont pas (encore ?) pris le relais. Pire pour les compagnies : les DRAC exigent qu’elles fassent un minimum de dates pour être

Ces choix politiques placent les artistes, de tous les domaines, dans des situations économiques intenables. Les signataires de l’appel du 29 mai expliquent ainsi qu’ils doivent régulièrement recourir au chômage partiel, et au licenciement économique. Ils sont, personnellement, dans des situations de précarité (intermittents alors qu’ils travaillent de façon permanente), voire de pauvreté : au RSA pour certains, sur le fil pour la plupart. Les postes ADAC (financés par la Région), qui ont pu être une bouée de secours, sont supprimés, nul ne sait ce qu’il en sera des dispositifs d’aides à l’emploi, auxquels toutes les associations culturelles recourent. Face à ce constat alarmant, le discours des politiques est variable. Les DRAC restent sur leur réserve, la Région PACA répète que son budget Culture est en hausse, sans comprendre que les conséquences de son fléchage dit « Extrapole » qui concentre dans les mains des mêmes « gros opérateurs » (qui par ailleurs siègent aussi dans les commission des DRAC) le pouvoir d’évaluation, de financement et de programmation. Ce qui ne peut que mener au conflit d’intérêt. Quant aux villes, elles se réjouissent lorsqu’elles peuvent simplement maintenir leurs budgets...


11

Fusion-réquisition

D’autres ont moins de scrupules : répétant qu’elle n’aime pas la langue de bois, Sabine Bernasconi, en charge de la Culture au département 13, reconnaît le rôle indispensable du tissu culturel au rayonnement économique du territoire. Mais elle clame que les moyens sont en baisse, qu’il faut s’y adapter et qu’elle ne peut rien promettre sur les futurs budgets alloués. Ajoutant qu’elle compte sur la mutualisation des acteurs du secteur et sur leur inventivité. Elle s’exprimait ainsi le 28 juin, lors de l’annonce officielle de la fusion entre le Théâtre de la Joliette-Minoterie et le Théâtre de Lenche. Car un autre moyen de réduction des dotations publiques est à l’œuvre : à Marseille, ce phénomène de fusion est devenu une méthode, adoptée par les collectivités pour limiter les acteurs présents sur un même territoire. La culture n’est pas la seule à être victime de ce choix politique : dans les domaines les plus variés, pour les aides aux associations, quel

que soit leur objet, il est recommandé de « mutualiser les énergies ». Se regrouper pour être moins nombreux à émettre des demandes d’aide. Le plus souvent, c’est pour tenter de survivre que des associations décident de s’unir, rarement par choix. D’autant plus dans le champ culturel, où le politique a clairement la main et détermine qui restera vivant. Quand deux structures coexistent sur un territoire proche, l’avenir de « la plus petite » est soumis à celui de « la plus grande ». Si cette dernière n’accepte pas de « sauver » l’autre, le péril financier sera trop important pour les deux. Ce fut le cas pour le GRIM, absorbé par le GMEM, le Gyptis, absorbé par La Friche, ou Les Bernardines, placées dans le giron des Théâtres de Dominique Bluzet. Ce sera bientôt le tour de La Gare Franche, pris sous l’aile protectrice du Merlan. C’est aussi le cas du Lenche, uni désormais à La Minoterie. Derrière ces apparentes unions, la plupart du temps, des choix contraints.

12h00 OLYMPIA OU LA MECANIQUE DES SENTIMENTS Cie : Coïncidences Vocales Auteur : Vanessa CALLICO Metteur en scène : William MESGUICH Création musicale : Jérome BOUDIN-CLAUZEL

Lieux subventionnés mais non labellisés Part d’un budget consacrée à la production et à la programmation 1 2

Avant programme saison 2017 /2018

festival 2017 du 7 au 30 juillet rdis 11, 18, 25

Relâche les ma

Juillet

13H45 POMPIERS Succés Auteur : Jean Benoît PATRICOT Avignon Metteur en scène : Serge BARBUSCIA 2016 Création musicale et sonore : Eugenio ROMANO 15H30 LES REGLES DU SAVOIR VIVRE DANS LA SOCIETE MODERNE Cie Du Jour au lendemain Auteur : Jean Luc LAGARCE Metteur en scène : Agnès REGOLO Musique : Guillaume SOREL et Serge INNOCENT 17H15* J’AI SOIF D’après «Si c’est un homme» de Primo Levi /musique Joseph Haydn. Conçu et interprété par : Serge BARBUSCIA Musique : Quatuor «Classic Radio» de Corée du Sud *du 7 au 29 Juillet

19H00 LE JOUR OÙ J’AI RENCONTRÉ FRANZ LISZT Tandem concert Metteur en scène : Christian FROMONT Ecriture et interprétation Piano : Pascal AMOYEL

20h45 JE T’AIME A L’ITALIENNE Chorégraphie Octavio DE LA ROZA Musiques : Musica Nuda, Verdi,Tosca, Luigi TAQenco 22H15 NIGHT IN WHITE SATIE / L’Adami fête Satie Cie des gens qui tombent Auteur : Erik Satie et Pierre Notte Compositeur : Erik Satie Metteur en scène : Pierre Notte

Réservation : 04 90 85 00 80

JAN-CYRIL SALEMI ET AGNÈS FRESCHEL

Théâtre du Balcon Scène d’Avignon - Cie Serge Barbuscia

Théâtre du Balcon Scène d’Avignon - Cie Serge Barbuscia 10h30 J’AI HATE D’AIMER Cie : INTERFACE Auteur : Francis LALANNE Musique, Metteur en scène : André PIGNAT Chorégraphie : Géraldine LONFAT

Pierrette Monticelli, co-directrice de La Minoterie, le reconnaît, l’équipe de son théâtre n’aurait eu ni l’idée ni le souhait d’une telle fusion. Le Théâtre de Lenche va devenir un espace de résidence, de création et de monstration, et pallier le manque chronique de financement du Théâtre de la Joliette, ouvert en 2013. Avec la fusion, l’équipe passera de 11 à 16 salariés. Mais le budget de 1,2 M€ sera porté seulement à 1,7 M€, loin de ce que représentaient les budgets séparés des deux lieux : si la Ville de Marseille a tenu ses engagements, le conseil départemental a exigé la fusion sans rien promettre. Pour l’heure 40 000 euros manquent à l’appel pour boucler 2017 : il faudra bien faire plus avec moins. Le concept néolibéral auquel la société entière doit désormais se plier.

3 8 , r u e G u i l l a u m e P u y - 8 4 0 0 0 A V I G N O N w w w. t h e a t r e d u b a l c o n . o r g

OUVERTURE de la Saison le Vendredi 29 septembre avec

CHRISTOPHE ALEVEQUE «Ça ira mieux demain...»

De Christophe Alévêque avec la complicité de Francky Mermillod Avec Christophe Alévêque, mise en scène de Philippe Soyer avec la collaboration de Thierry Falvisaner. Lumières de Jérôme Perez Lopez Produit par Jean-Marc Ghanassia et Alaca Production

«J’ai soif» de Primo Levi Joseph Enfance de Haydn. «La vie en douce»Jean-Charles Chagachbanian et Juliette Chéne/ Jeudi 19 octobre - Conférence Sicile – Semaine Italie «Il était une fois la Sicile» au théâtre du Balcon - 19 octobre à 18h -

Mardi 3 octobre texte musique Conçu et interprété par : Serge Barbuscia / Samedi 14 octobre

l’Art

Conférences, rencontre auteur lecteur, apéro sicilien - Projection documentaire l’histoire de la Sicile, les invasions, les apports culturels et cultuels, les recettes culinaires et les proverbes siciliens. - Jean claude Mirabella professeur d’université et spécialiste du cinéma italien parlera de la représentation de la Sicile dans le cinéma - Une rencontre trinacrienne auteurs lecteurs suivra à 19H15 - Antoine Vetro et Patrick Barbuscia alias le trinacrien présenteront leurs polars à la mode sicilienne. - Florian Mantione vous feront découvrir leur univers. Et aussi des surprises impromptues ... et La soirée se terminera par un apéro sicilien avec, entre autres, la fameuse Caponata et le marsala / L’octuor fait son Vendredi 27 octobre- Samedi 28 octobre cinéma - Medley déjanté autour de blockbuster du cinéma Les super productions cinématographiques en musique ! Star Wars, Titanic, … Musiques de Ravel, Ennio Morricone, John Williams, Piazzola … hommage à Jean ferrat- causerie musicales / pianiste / Jeudi 16 novembre /Vendredi 15 Vendredi 1 Décembre - Samedi 2 Décembre A la rencontre de Pirandello lectures-spectacle sous la direction de Décembre Serge Barbuscia (version française d’extraits de : Paolo Puppa, Lettere impossibili ; Alberto Bassetti, Un sogno a Stoccolma ; Katia Ippaso, Non domandarmi di me, Marta mia) Projet : Pirandello 150 : un auteur en quête d’un personnage. Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, Université IULM (Milan), Théâtre du Balcon, BNF Maison Jean Vilar / Samedi 16 et Dimanche 17 Décembre Pour cette deuxième «incursion» dans les quartiers, nous organisons de nouveaux des ateliers ainsi qu’une «soirée partagée» : des conteurs et comédiens pour une grande soirée festive. Avec les centres sociaux la Fenêtre , Champfleury et la Barbiere / Vendredi 19 Janvier - Samedi 20 Janvier de Jean-Jacques Abel Greneau mise en scène Katy Grandi / Vendredi 26 3e Opus du triptyque de la compagnie Swing’Hommes - Samedi 27 Janvier ; Le jour où J.S. Bach rencontra la musique gitane… Cie Swing’Hommes / Vendredi 2 - Samedi 3 Février Compagnie MAB - Spectacle Jeune Public - De et avec Marie Vauzelle et Marie Vires Fabrication décors et costumes : Marie Vires, Boris Hoff / Vendredi 9 Février - Samedi 10 Février De Violaine Schwartz Mise en scène par Nathalie Dutour Avec Mathieu Tanguy et Mélaine Catuogno / / Mercredi 7 Mars Samedi 17 Février Annick Gambotti Mise en scéne Jeu - Annick Gambotti Scénographie d’après le texte de Bernard Texte et mise en scène : Noël / Jeudi 8 Mars Avec Marie-Line Rossetti. Hommage à Maryline Monroe / Samedi 31 Mars Conservatoire / Vendredi 23 Mars et / Jeudi 12 Avril - Vendredi 13 Avril de Victor Hugo par / Mercredi 18 Avril / … Vendredi 25 Mai

Jean Alagna

«Floraisons Musicales»

Nelson Monfort «Maggy Vilette/Ferrat» «Pirandello»

et d’ailleurs»

«Contes d’Ici

«Afrika Mandela» «Djobi Djobach» Marie Vauzelle «Le Rêve de Jo» «Une création compagnie Chantier Public» «Le Chien» d’Eric-Emmanuel Schmitt «La langue d’anna» Olivier Broda «L’autre là, la blonde» Ivan Romeuf. «Festival Andalou» Véronique Muzy Roland Conil «Dernier jour d’un condamné» William «Université Populaire Théâtre» Mesguich «Nuits Flamenca» N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations : contact@theatredubalcon.org


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Michaël Dian, directeur et fondateur du Festival de Chaillol, revient sur les principes de cette initiative qui, sortant des fonctionnements traditionnels, propose une nouvelle forme d’approche de la transmission et du partage

L’équipe du Festival de Chaillol © Alexandra Chevillard

Composer avec le territoire… Zibeline : Comment fonctionne un Festival comme celui de Chaillol ? Michaël Dian : Le festival de Chaillol est la seconde partie de notre saison, son pic d’intensité. Après les Week-ends Musicaux, qui présentent 24 concerts entre janvier et juin, accompagnés de nombreux moments d’action et de médiation culturelles au cœur du territoire, le public haut-alpin se mêle aux mélomanes venus de toute la France pour profiter des propositions du Festival de Chaillol. Parti du village de Saint-Michel de Chaillol qui avait accueilli quelques concerts d’une bande de copains, l’Espace Culturel de Chaillol est aujourd’hui une structure qui déploie un programme d’activité très complet sur le vaste territoire du bassin gapençais.

Il se conçoit comme un service public de proximité, un outil de développement culturel parfaitement adapté aux contraintes géographiques et démographiques du territoire. Une activité conséquente, doublée d’une légitimité patiemment construite auprès des nombreuses collectivités partenaires et bénéficiaires, ont permis à l’ECC de se doter d’une équipe salariée, passionnément engagée et solidement implantée. L’Espace Culturel de Chaillol, qui ne gère pas de lieu, est une équipe sans équipement, qui a fait de son territoire un terrain de jeu, au sens le plus fort du terme, un outil de coopération culturelle attaché aux valeurs d’intérêt général. Avec quel financement ? Le financement de l’Espace Culturel de Chaillol témoigne de l’intérêt porté par l’ensemble de nos partenaires au principe fondateur d’une itinérance que nous avons choisie. Ce qui n’était initialement qu’une intuition, un élan, le désir d’une relation authentique aux populations, a permis le développement d’une approche résolument mutualiste de la production : faire à plusieurs ce qu’aucun, dans un territoire rural de montagne, ne peut faire seul car le plus souvent, dans ces petites

Au programme du Festival Le programme de l’été, point d’orgue de l’action de l’Espace Culturel de Chaillol (ECC), éclectique et brillant, essaime sur l’ensemble du territoire. On goûtera aux bonheurs de balades musicales orchestrées par Hervé Cortot, président de l’ECC, on passera du médiéval (Hidegarde von Bingen) au contemporain (Zad Moultaka) avec l’ensemble De Caelis, on frémira devant l’un des premiers films muets d’Hitchcock (The Lodger) lors d’un ciné-concert de Lior Navok et Stephen Horenstein. On appréciera l’atmosphère intime des concerts de musique de chambre avec l’Académie de Chaillol, le duo de

Marie Vermeulin et Noémie Boutin ou le violoniste Pierre Fouchenneret et le Trio Op.71, on se laissera séduire par le conte musical de Benoit Menu sur le texte de Jean Giono, Le petit garçon qui avait envie d’espace. On aura sans doute envie de danser avec Los Lobas des Tango ou la musique festive de Sofiane Saidi et Mazalda qui invitent Manu Théron. On écoutera, au frais, l’orgue de Brice Montagnoux et Eva Villegas, puis l’excellent orchestre de chambre Chesapeake Youth Symphony Orchestra. Le Quatuor à Plectres de France de Vincent Beer-Demander offrira un délicieux florilège,

Ensemble De Caelis © Guy Vivien

tandis que la claveciniste Céline Frisch déclinera avec subtilité des pépites de la musique baroque et que l’Ensemble CBarré


communes, l’expertise, la connaissance des réseaux, les moyens et les infrastructures manquent. En apportant une contribution forfaitaire à la production, qui n’est pas un prix de vente mais une adhésion à un dispositif, chacune d’elles confirme une volonté d’offrir un accès facilité à l’excellence musicale, au plus près des habitants. Cela suppose une très forte implication de notre équipe sur le terrain et une passion de la médiation qui relève d’une éthique de la relation. Les autres échelons, indispensables pour faire exister cet espace de coopération, sont l’État, la Région PACA, le Département et l’ensemble des sociétés civiles de la musique, complété par un mécénat de proximité qui, au-delà des incitations fiscales, est la marque d’un fort soutien de nos publics. Cela correspond à une réelle vision politique… Nous retrouvons les logiques qui prévalent dans les économies de montagne qui sont, par nécessité, des modèles de sobriété, comme le définit Pierre Rabhi dans son livre Vers la sobriété heureuse. Le fonctionnement n’est pas dispendieux, nous sommes toujours dans la recherche d’une efficience maximale. Nous collaborons avec les différentes communautés de communes du pays gapençais que la loi NOTRe a placé au cœur des territoires. Pour elles, comme pour nous, il n’y a pas nécessairement d’opposition entre les logiques d’animation et les exigences de la création. Qu’y a-t-il de plus beau que d’animer un territoire si l’on veut bien entendre le sens originel du mot anima qui est l’âme, le souffle. Cela relève, au fond, d’une perspective spirituelle qui renvoie à l’aspiration des gens à la communion : la salle de concert, par le silence que chacun offre à ce qui s’y donne, fait exister une communauté d’attention, éphémère, bienveillante, autour de la musique. C’est une expérience que chacun consent à vivre, même si on n’est pas obligé de tout aimer d’un concert ou d’une programmation. Les gens sont attachés à la musique pour cette énergie qui, en deçà ou au-delà des mots, nous relie au vivant.

Laboratoire de recherche Anima Wajdi MouawadKarim Bel Kacem des cirques indiscipLinés Le gros sabordage La Mondiale générale / L’Aérien Melissa Von Vépy / Santa Madera Juan Ignacio Tula-Stefan Kinsman / Diktat Sandrine Juglair / Sabordage ! La Mondiale générale / Entre Vincent Berhault-Les Singuliers / Dad is dead - Manifeste Arnaud SauryMathieu Despoisse-Olivier Debelhoir théâtre Doreen David Geselson / La Mouette Anton Tchekhov-Thibault Perrenoud / À vif Kery James / Les oiseaux et Bambi Olivia Rosenthal-ildi ! eldi / Sweet home Arthur Lefebvre-Claire Dancoisne / Bovary Tiago Rodrigues / Sous le pont Abdulrahman Khallouf-Amre Sawah / Hospitalités Massimo Furlan / Zvizdal BERLIN-Cathy Blisson danse Déplacement Mitkhal Alzghair / Cheptel Michel Schweizer / Membre fantôme - Yes we dance #2 Mickaël Phelippeau-Erwan Keravec / IdiotSyncrasy Igor Urzelai-Moreno Solinas / Des Paradis Kevin Jean instaLLation La Maison Inne Goris petits et grands Dormir 100 ans Pauline Bureau / Gus Sébastien Barrier / d’à côté Christian Rizzo / Sabordage ! La Mondiale générale spectacLes présentés en coLLaboration aVec La ViLLe d’arLes Les Veufs Louis Calaferte-L’Isba / La Compagnie des Spectres d’après Lydie Salvayre-Zabou Breitman Envoi du programme sur simple demande au 04 90 52 51 51

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

proposera un quatuor à cordes pincées autour de la soprano Imel Brahim Djelloul en un programme ibérique. Le jazz enfin, métissé de Hubert Dupont et son ensemble Golan, à dominante cuivrée pour Three Horns, Two Rythm de Fabien Mary, apporteront leur chaleur et leur liberté. M.C.

Festival de Chaillol 18 juillet au 12 août Divers lieux, Chaillol 04 92 50 13 90 festivaldechaillol.com

www.theatre-arles.com


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Peuples du monde Rendez-vous incontournable de l’été, le Festival de Martigues transforme la ville de ses rythmes, danses et chants

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l ne s’agit pas d’une simple manifestation qui invite les spectateurs à applaudir le talent de formations internationales, mais un véritable art de vivre qui se nourrit de la complicité de chacun, dans un esprit de vrai partage, de rencontre. 29e édition, et peut-être la dernière qui aura les bonheurs du Canal Saint-Martin (la construction d’un nouveau théâtre de verdure est envisagée) et ce pour sept soirées d’exception, réunissant les ensembles invités mais proposant aussi des soirées thématiques : tambours percussions, danse urbaine, acrobaties et claquettes de Tap Factory menés par le chorégraphe Vincent Pausanias ; évolutions réglées au cordeau des irlandais de Celtic Legends emportées par l’impétueuse jeunesse des artistes ; concert exceptionnel de Natasha St-Pier avec un hommage à ses racines acadiennes, en français, iroquois et mic-mac. Trois nouveaux pays à l’affiche : le Botswana, la

Kabardino-Balkarie et la Nouvelle Zélande, représentés respectivement par Ngwao Letshwao (22 chanteurs et danseurs offrent des danses s’inspirant des cultures des différentes ethnies de leur région), Balkaria et ses 32 artistes (la danse, art de la guerre, s’emporte au son des tambours puis La Dame Blanche, Cuba © Victor Delfim s’assagit dans la douceur des balalaïkas) et Whitireia (dont les 18 mot aymara qui signifie « être vigilant », interprètes mêlent le célèbre haka guerrier culture aymara, quechua et tupi guarani au aux évolutions issues des traditions des Îles programme ; les danses de Adaf Bolivia Samoa et des Îles Cook). On retrouvera deux qui reflètent les conditions de vie difficiles, formations de la Bolivie : les musiciens de mais aussi la joie des carnavals, mêlant rites Awatiñas dont la devise réside en un terme précolombiens et chrétiens. Deux groupes qui vaut supercalifragilisticaspialidocious de aussi pour Cuba : Camagua au rythme de Marie Poppins, « Awatkipasipxañanakasataki » la salsa, du mambo et du « son cubano », et

Ay ! Flamenco !

Eva Yerbabuena © Amadronex

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hâteauvallon se met à l’heure andalouse ! Les 28 et 29 juillet, les grands noms de l’art flamenco se retrouveront au cœur de la scène nationale d’Ollioules. La 11e édition des Nuits Flamencas, sous la direction artistique de Juan Carmona, accueillera musiciens et danseurs parmi les plus réputés internationalement. Place sera faite aussi à ceux qui voudront découvrir ce véritable

art de vivre, reconnu patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. En ouverture, le 28 juillet, deux compagnies, l’une marseillaise, Acento Flamenco, l’autre venue de Grenade, Aire Andaluz, proposeront une initiation au « baile ». Plus précisément, c’est la danse sévillane qui sera à l’honneur, dès 19h, puis à partir de 20h mise en application des cours avec bal et sévillane géante au programme.

Cette première date du festival se conclura avec un rendez-vous majeur : Eva Yerbabuena, l’une des références incontournables de la danse flamenca, sera à l’affiche. Associée à la compagnie de Rafael Aguilar dès l’âge de 15 ans, l’artiste créera plus tard sa propre compagnie et recevra en 2001 le Prix National de la Danse. À Châteauvallon, elle présentera Carne y Hueso, un ballet « en chair et en os » où elle est accompagnée de trois danseurs et cinq musiciens. Le chant et la danse étincellent sur la scène dans ce spectacle où la sensibilité flamenca, mêlée de traditions et de modernité, s’exprime pleinement. Le lendemain, c’est une véritable plongée au cœur de l’Espagne et de l’Andalousie qui sera proposée. Casa Patas, célèbre tablao de Madrid, quitte ses murs pour un temps et vient se poser à Châteauvallon. Dans ces sortes de cafés-concerts, le flamenco se fait « en vivo », au plus près du public. Chanteurs et danseurs sont au milieu de l’assistance et l’ambiance vibrante fait vite chavirer même les plus réticents des spectateurs. Chaleureux et intense, le tablao c’est le flamenco brut,


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D’air et d’O Yaite Ramos Rodriguez, la « Dame Blanche » de Cuba et ses variations sur le hip-hop, la cumbia, le dance hall, le reggae. L’Inde et la troupe colorée de Rangsagar, le Kamchatka et ses danseurs du bout du monde, Eygunichvin, Taïwan et les jeunes artistes Fang-Shiang avec leur folklore entre théâtre, danse et musique, La Capouliero enfin, groupe fondateur du Festival et portant haut les couleurs de la Provence, apporte sa vivacité et une approche loin d’être conservatrice de leurs traditions. Au village du Festival la fête se prolongera jusqu’au bout de la nuit, avec Eklectik Flamenco Zone, Papel Mojado, la Chorale russe Nacha Slavianka, Papet J, Locomotive Express, Orgue de Barbarie, concerts gratuits dans la Cour du Théâtre des Salins, stage de cha-cha-cha et de salsa avec Camagua à la salle du Grès, siestes au Village, et même un jour avec les Griots (conteur du Burkina Faso, atelier découverte, conférence de Toumani Kouyaté, Symphonie of Kora…) ! Martigues encore et toujours à l’écoute du monde ! MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Martigues 22 au 29 juillet Martigues 04 42 49 48 48 festivaldemartigues.fr

à vif, la flamme et l’âme de cet art gitan passionné. C’est dans ce cadre unique recréé que Francisco Hidalgo, jeune danseur andalou, présentera son solo Los Silencios del Baile. Enfin, pour clôturer le festival, un autre maître danseur de renommée mondiale sera à l’honneur : Jose Maya. Issu d’une famille de gitans artistes, il suit, à 9 ans à peine, la formation de l’école de Madrid et son talent ne laisse aucune place au doute. Il devient ensuite le danseur attitré du célèbre guitariste Tomatito et poursuit une carrière internationale auprès d’artistes tels que Björk, Beyoncé ou Keith Richards. Dans Latente, le spectacle qu’il présentera à Ollioules, il explore et met à nu les racines profondes de la culture gitane. Cette quête de l’instinct, du geste dansé ancestral, est accompagnée d’une guitare et de trois voix, dont celle envoûtante de Juana la del Pipa. Voyage garanti en territoire de grâce et de liberté. J.C.S.

Les Nuits Flamencas 28 & 29 juillet Châteauvallon – Scène Nationale, Ollioules 04 94 22 02 02 chateauvallon.com

Yiddish twist orchestra, Nuit twist & shout © X-D.R

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es congés seront achevés pour beaucoup d’entre nous quand s’ouvriront Les Nuits d’O. Pour les aoûtiens tardifs ou les septembristes précoces, et surtout pour ceux qui auront repris le chemin du boulot, cette 14e édition fera flotter encore un petit air de vacances. Entre le 24 août et le 2 septembre, au Domaine d’O à Montpellier, six soirées seront à savourer sous les étoiles. Six douces nuits, chacune avec sa thématique, et toutes composées de musique et de cinéma. Avec un même principe à chaque fois : un concert à 20h, un film à 21h30, et un DJ set à partir de 23h30. Le tout dans l’écrin de verdure de ce vaste parc, géré par le département de l’Hérault. Premier rendez-vous le 24 août, pour une Nuit Frères et Sœurs. La fanfare afro-beat Eyo’nlé Brass Band ouvrira le bal : quatre frères et une sœur se retrouvent dans ce groupe aux rythmes toniques et cuivrés. Le film de Daniele Lucchetti, Mon frère est fils unique sera ensuite à l’affiche. Dans l’Italie des années 60-70, il conte le destin de deux frères que tout semble opposer. Puis comme chaque soir, le Comité des Fêtes, collectif artistique né autour de Vincent Cavaroc, Adrien Cordier et Christophe Goutes, ambiancera le dance-floor du Domaine. Le lendemain, la Hongrie sera à l’honneur, avec le groupe Söndörgö, qui mêle rock et musique traditionnelles d’Europe de l’Est, suivi du film burlesque et déjanté de Wes Anderson, The Grand Budapest Hotel. Le 26, Nuit Surf, avec la pop californienne de Papooz puis Love and Mercy, le biopic signé Bill Pohlad sur Brian Wilson, le musicien des Beach Boys. Le 31 août, Nuit Cabaret, menée par le « circus swing » de Gabby Young & Other Animals, pour leur première venue en France, et le classique Cabaret, de Bob Fosse avec Liza Minelli. Enfin, les nuits de septembre ! L’une sera Twist and Shout, en ambiance après-guerre, avec le swing du Yiddish Twist Orchestra, et Dalton Trumbo, de Jay Roach, plongée dans les années de chasse aux sorcières communistes aux USA. L’autre sera argentine, en électro tango d’Otros Aires et en décadence imprévisible, aux frontières de la barbarie, des Nouveaux Sauvages de Damián Szifron. JAN-CYRIL SALEMI

Les Nuits d’O 24 août au 2 septembre Domaine d’O, Montpellier 0800 200 165 domaine-do-34.eu


16 festivals

Zik Zac, vingtième !

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epuis 1998, les musiques actuelles planétaires ont leur place à Aix-en-Provence. Malgré de nombreux déboires, le Zik Zac festival est toujours là. En plein air, gratuit, et dans un quartier populaire, le rendez-vous est devenu incontournable. Avec trois soirées mêlant têtes d’affiches, artistes d’envergure internationale et révélations régionales, l’événement invite aussi au brassage des générations, des cultures et des saveurs. Au total, 17 concerts et spectacles, un espace Street Art, des stands associatifs et de cuisine du monde dans un esprit populaire et festif qui est la marque de fabrique de La Fonderie à Aix, café-musiques fondateur de la manifestation. Membre de l’Union des diffuseurs de création musicale, celle-ci s’est associée aux autres structures du réseau pour promouvoir cinq groupes régionaux via une scène Jeunes talents en Provence, nouveauté de cette 20e édition. Au programme de la cuvée 2017, le rock sera comme toujours dans tous ses états. The Inspector Cluzo est le groupe français de rock qui joue le plus à l’international. Ce duo gascon combine une vie de rockers indépendants avec celle d’agriculteurs éco-responsables. Sur scène, leur fureur rock côtoie la folk agitée, le funk torride ou le blues terrien. Atypique mais cohérent. L’union de Throes avec The Shine célèbre la rencontre entre le rock noisy de l’underground portugais

Inna de Yard © John WAXXX

et le kuduro angolais donnant naissance au rockuduro, une musique électro-hypnotique afro-lusophone. Combo historique régional, Clan-D se renouvelle sous la forme d’un power rock trio inédit : guitare, voix et machines. Le chant scandé en français ou en anglais va percuter des textures électroniques tout en perpétuant l’esprit du rock old-school. Autre pointure régionale, le touche-à-tout

RIT qui vient de signer un album-concept criblé de hip hop-bluesy et d’effluves rock’n country, pour un concert ambiance western. Le duo aixois French Fuse a atteint plus de 5 millions de vues sur la toile avec des remix de sons du quotidien et de jingles de publicité et feront sans doute le buzz sur la scène du Zik Zac. On retrouve avec plaisir les pionniers français du dub, Zenzile, aux

Musique au Paradis

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u pain et des jeux dit l’adage romain ? Du vin et de la musique vous propose le Château Paradis ! Si la première formule est censée endormir le peuple, la seconde a tout ce qu’il faut pour le réveiller. Modérément pour l’alcool, certes, mais sans aucune modération pour la musique et la fête ! Au sein du grand domaine viticole du Puy Sainte-Réparade, le festival Music en Vignes se tiendra du 19 au 21 juillet. Le succès va croissant pour cet événement au cœur du pays d’Aix, qui célébrera cette année sa 11e édition. Pour les 10 ans, le festival a accueilli 1200 spectateurs. La cuvée 2017 ambitionne de porter la jauge à 1800 personnes sur les trois soirées au programme. Un objectif raisonnable tant les atouts de la manifestation sont nombreux. En plus de la programmation musicale de qualité, le public pourra aussi apprécier la

© L. Gueny - Zicomedia

diversité des repas proposés par plusieurs camions-resto (en français, on dit food-trucks) présents sur le site. Dîner à la fraîche sur des tables en terrasse, que demander de plus ? Quelques verres des meilleurs crus du Château Paradis, peut-être ? Apéritif idéal avant d’entamer le plateau concert ! Au menu, un cocktail de sons pur rock, mêlés de funk ou de soul. Ouverture en rock, le 19 juillet, avec un hommage à Queen et son chanteur légendaire Freddy Mercury. Les cinq musiciens de Coverqueen proposent un spectacle total, avec effets spéciaux et lumières, pour un véritable show dédié aux créateurs de tubes comme Radio Ga Ga ou Bohemian Rapsody. Le lendemain, place au groove de Charlie & the Soap Opéra. Les six artistes, réunis autour du pianiste et chanteur Rémi Tchangodeï (alias Charlie),


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Mimi aoûtien envoûtantes expérimentations sonores. Par son panorama de rythmes d’Afrique de l’Ouest et les assauts d’une section cuivres roots, Sahad & the Nataal Patchwork célèbre la richesse cosmopolite des musiques actuelles sénégalaises. Attention, événement reggae avec le collectif Inna de Yard qui redonne vie à la ferveur unique des voix et de la musique acoustique jamaïcaine en rassemblant plusieurs figures mythiques de l’île de Marley : Cédric Myton (The Congos), Robbie Lyn, Lloys Parks, Kush et Winston McAnuff, Derajah, Kiddus I. À découvrir également, la folk-soul orientale de Yüma, la nu-soul de l’anglaise Harleighblu et la nueva salsa colombienne de La Mambanegra. Festival militant dans son ADN, Zik Zac reçoit les Motivés qui battent de nouveau le pavé, vingt ans après l’album qui égaye toujours les cortèges de manifs, réédité avec quatre nouveaux morceaux. Autour de Mouss et Hakim, le collectif toulousain éveillera-t-il l’âme révolutionnaire de la cité de Mirabeau ? T.D.

Zik Zac festival 20 au 22 juillet Théâtre de verdure du Jas-de-Bouffan, Aix-en-Provence 04 42 63 10 11 zikzac.fr

diffusent une énergie électrisante, qui alterne entre soul, funk et pop, pour un pur moment de partage avec le public. Enfin, clôture des festivités le 21 juillet avec un tribute to The Police. Plongée garantie dans l’ambiance années 80 avec Copsland, qui reprendra les plus grands titres de la formation de Sting, dont certainement le célèbre Message in a bottle (of wine, of course) ! J.C.S.

Music en Vignes 19, 20 & 21 juillet Château Paradis, Le Puy Sainte-Réparade musicenvignes.fr

Tenors of Kalma © Wolfgang Siesing

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uand Marsatac remonte de trois mois dans le calendrier, Mimi fait un saut de presque deux mois. Le doyen des festivals de musique marseillais prend de la hauteur pour une soirée d’ouverture sur le toit terrasse de la Friche la Belle de Mai (19 août) avec Creestal, Section Azzura et Hyperculte. Le 24, Seabuckthorn et D’Aqui Dub investissent l’antre intimiste de l’U.Percut. Mimi retrouve ses quartiers pour les trois grandes soirées à l’hôpital Caroline des îles du Frioul ; le 25, l’assemblage jazz et pop-music électronique des Finlandais Tenors of Kalma, Chloé et Vassilena

Serafimova pour un hommage à Steve Reich, considéré comme l’un des pionniers de la musique minimaliste ; le 26, le projet Al Akhareen par Osloob et Naïssam Jalal et la poète urbaine londonienne Kate Tempest ; le 27, les expérimentales Egyptian Females et le compositeur, improvisateur et multi-instrumentiste anglais, Fred Frith. Nouveauté, Mimi continue après le week-end avec un ultime plateau au PIC-Télémaque. Au programme : No Tongues pour le projet Les voies du monde, expérimentation autour d’un répertoire vocal ancestral, ainsi que Snowdrops dont l’univers métissé évolue entre jazz, néo-classique, post-rock de chambre et musique improvisée. T.D.

Festival Mimi 19 au 29 août Divers lieux, Marseille festivalmimi.com

Dub à la provençale

Johnny Osbourne © X-D.R.

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u son, des platines qui tournent, des DJ qui mixent, des MC qui toastent. L’herbe tendre du domaine de Fontblanche en guise de dance-floor ou pour s’installer confortablement. Se laisser bercer et planer. La Jamaïque, le reggae, le dub, et tout ce qui va avec, atterrissent en douceur pour un week-end à Vitrolles. Les 28 et 29 juillet le Dub Station Festival reprend ses quartiers d’été provençaux, avec un programme mêlant légendes roots

jamaïcaines et pointures de la nouvelle scène anglaise. En ouverture, la star mythique Johnny Osbourne, 50 ans de carrière au compteur, sera à l’affiche. Les Parisiens de Soul Stereo et le Londonien Benga l’accompagneront. Le lendemain, Michael Prophet en vedette jamaïcaine, entouré des Anglais de King Earthquake et Vibronics. En régionaux de l’étape, Massilia Hifi et Jumping Lion ambianceront les deux soirées. Aire de bivouac toujours aménagée sur place pour cette troisième édition vitrollaise, dédiée à Alexandre Gaonach, récemment disparu, dont le film United We Stand sera diffusé le 29 à 14h. J.C.S.

Dub Station Festival 28 et 29 juillet Domaine de Fontblanche, Vitrolles musicalriot.org


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Depuis 25 ans, le Festival International des Nuits Pianistiques d’Aix-enProvence, fondé par le pianiste Michel Bourdoncle, propose une programmation éclectique interprétée par des artistes internationaux et régionaux

Excellence et transmission et Marie-Laurence Rocca, l’alto de Laurent Camatte et le violoncelle de Frédéric Lagarde. Le violoncelle de Razvan Suma rencontrera le piano de Josu Okinena pour les sonates 1 et 2 que Brahms composa pour ces deux instruments. L’œuvre d’art qu’est l’orgue de l’auditorium Campra, avec ses 2000 tuyaux, sa double console numérique, sa marqueterie, se réjouira d’être entre les mains du grand organiste Brice Montagnoux, qui offrira avec le trompettiste Vicente Campos un concert qui s’attachera à des pièces de Bach, Torelli, Duruflé, Corelli, Messiaen, Haendel.

Création mondiale

Jean-Marc Luisada © X-D.R.

Transmission

Excellence

Une partie essentielle du festival repose sur une volonté pédagogique. Du 31 juillet au 13 août, l’Académie Internationale des Nuits Pianistiques accueillera, comme chaque année depuis 2006, une centaine d’étudiants venus du monde entier. Une trentaine de professeurs aux parcours internationaux les encadreront, dans leur approche du piano, piano-jazz, cor, percussions, flûte, hautbois, violon, violoncelle, contrebasse, chant, orgue, harpe, direction d’orchestre, mais aussi lecture à vue et accompagnement au piano. De nouveaux talents se dessinent ici, et nous pourrons les découvrir lors des concerts des stagiaires de l’Académie et du concert de la classe de direction d’orchestre sous la houlette du directeur du Conservatoire, Jean-Philippe Dambreville, avec des œuvres de Haydn, Mozart, Britten. Sophie Joissains, adjointe à la culture de la Mairie d’Aix-en-Provence, souligne avec force les qualités de persévérance, de partage, de pédagogie éclairée, de générosité, qui accordent à cette manifestation la légitimité de son aura régionale et internationale.

Quinze concerts seront présentés avec des musiciens d’exception. On applaudira Konstantin Lifschitz dans les Sonates pour piano de Beethoven (du n° 21 au n° 24), Jean-Marc Luisada, poète du piano, dans un programme Beethoven (6 Variations op.34 en fa majeur, Sonates op. 26 et op.101) et Chopin (3 Nocturnes, Barcarolle op. 60, Polonaise en la bémol majeur op.53). Une soirée à deux pianos verra Frédéric Aguessy et Samuel Parent puis Carine Zarifian et Christophe Bukudjian interpréter des œuvres de Brahms, Haydn, Rachmaninov, Stravinski, Debussy et Ravel. L’instrument roi se lovera dans des formes de musique de chambre : Nicolas Bourdoncle, aux côtés de Bilal Al Nemr, Alix Vaillot (violons), Jossalyn Jensen (alto) conjugueront leurs talents autour du Quintette avec piano en mi bémol majeur op.44 de Schumann, chefd’œuvre romantique du genre, tandis que le Quintette avec piano en la majeur op.81 de Dvorak, au sommet de la maîtrise de son art, sera servi par le piano de Jacques Rouvier, les violons de Pierre-Stéphane Schmidlet

Cette année, la création mondiale du concerto pour piano Parcours et images du pianiste et compositeur français d’origine argentine Carlos Roque Alsina ouvrira le Festival. Lorsqu’il l’entendit la première fois, le chef d’orchestre Otto Klemperer écrivit à Perón : « Vous avez avec Alsina un nouveau Mozart ». Ce concerto composé pour Les Nuits livre une partition brillante que jouera Alsina luimême au piano, aux côtés de l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon. Les trois mouvements brossent des images sonores qui s’irisent des variations rythmiques, des glissandi des cors et du piano, « réfléchissent sur la nature même de la forme en musique », dans une convergence où les sons et les représentations physiques se fondent en une alchimique synesthésie. Densité, énergie, précision virtuoses… un cadeau enchanté ! Notons que les tarifs, compris entre 10 et 20€, restent doux et attractifs, un effort rare dans le monde des manifestations auréolées d’un tel prestige. MARYVONNE COLOMBANI

Les Nuits Pianistiques 1er au 12 août Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence 06 74 45 68 10 lesnuitspianistiques.org


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La fête du piano ! Un mois durant, chaque été, les amoureux du piano (mais pas que…) trouvent leur petit paradis dans les différents lieux de concerts qu’affiche le Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron

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our sa 37e édition, on y entend le gratin pianistique, toutes générations confondues : des stars incontournables aux révélations les plus étonnantes ! C’est un lot de surprises et d’émotions qu’on nous réserve, autour du piano bien sûr, mais aussi de l’orgue, du clavecin, des orchestres symphoniques et du jazz, au fil de 89 concerts (dont cinq Nuits du Piano), sur treize magnifiques scènes : le Parc du Château de Florans, l’Abbaye de Silvacane, les Carrières de Rognes, le Temple de Lourmarin, le Théâtre des Terrasses de Gordes, le Musée Granet et l’Eglise Saint-Jean de Malte à Aix, l’Église de Cucuron, Château-Bas à Mimet, l’Église de Lambesc, le Théâtre Silvain à Marseille et, pour la première fois, la Friche La Belle de Mai, où une carte blanche est donnée à Francesco Tristano qui se produit avec Bruce Brubaker (5 août). Quatorze concerts gratuits jalonnent « La Route de la Durance aux Alpilles » et quatre autres sont programmés à La Roque d’Anthéron même.

De grands noms ! Cette année encore, le festival est à la hauteur de sa réputation avec ces grands noms, fidèles, que sont Boris Berezovsky, Nikolaï Lugansky, Nicholas Angelich, Nelson Goerner, Arcadi Volodos, Christian Zacharias, Nelson Freire... auxquels s’agrègent Evgeny Kissin, Lars Vogt, Piotr Anderszewsky, Stanislas Ioudenitch… La scène pianistique française est toujours bien représentée à La Roque avec Jean-Claude Pennetier, Anne Queffélec, Claire Désert, Florent Boffard, Emmanuel Strosser, Abdel Rahman El Bacha, Marie-Josèphe Jude, François-Frédéric Guy, Alexandre Tharaud… comme la jeune génération surdouée : Adam Laloum, Jean-Frédéric Neuburger, David Kadouch, Jonas Vitaud… On découvre aussi les étoiles montantes Marie-Ange Nguci, Alexandre Kantorow, Jean-Paul Gasparian, Natalia Milstein, Rémi Geniet, Guillaume Bellom, Francesco Tristano © Marie Staggat

Lucas Debargue, Gaspard Dehaene, Philippe Hattat, Paloma Kouider, Maroussia Gentet ou Nathanaël Gouin… Sept orchestres sont présents : le Philharmonie Zuidnederland, le Hong Kong Sinfonietta, l’Orchestre philharmonique de Marseille, le Royal Northern Sinfonia, l’Orchestre national de Lettonie, l’Orchestre de chambre de Bâle ainsi que le Sinfonia Varsovia, comme la musique de chambre avec notamment Renaud Capuçon & Kit Armstrong, Dmitri Makhtin, Alexander Kniazev et Boris Berezovsky en trio, le Quatuor Girard avec Jean-Claude Pennetier, le Quatuor Ardeo avec Claire Désert… et le Trio Wanderer fête ses 30 ans au cours d’une immanquable Nuit du Piano entièrement consacrée à Beethoven ! Le public peut assister gratuitement aux master-classes dispensées aux Ensembles en Résidence dans le Parc du Château de Florans (7 au 14 août, concert le 15).

Du jazz au baroque... Place au jazz avec cinq concerts de Richard Galliano, Barbara Hendricks et son blues band, du duo Ray Lema/Laurent de Wilde, Yaron Herman en trio et du jeune prodige indonésien. La musique baroque est aussi à l’honneur avec les clavecinistes Jean Rondeau, Pierre Gallon, Yoann Moulin, Bertrand Cuiller, Brice Sailly, Pierre Hantaï, les organistes Pierre Queval et Olivier Houette. On réserve une soirée Autour du Tombeau de la Reine de Pologne de J. S. Bach avec le Ricercar Consort (Philippe Pierlot) et les voix de Maria Keohane, Carlos Mena, Reinoud van Mechelen, Matthias Vieweg avec Willem Jansen à l’orgue (5 août). Parmi les invités, on ne trouve pas moins de six lauréats du Concours Chopin de Varsovie : Seong-Jin Cho, Charles Richard-Hamelin, Yulianna Avdeeva, Lukas Geniusas, Philippe Giusiano et Marc Laforet. C’est Boris Berezovsky qui ouvre les festivités le 21 juillet ; Abdel Rahman El Bacha en assure la clôture le 19 août… et c’est un feu d’artifice entre ces piliers-là ! JACQUES FRESCHEL

Festival International de Piano 21 juillet au 19 août La Roque d’Anthéron et douze autres lieux 04 42 50 51 15 festival-piano.com


20 festivals

SALON : comme dans un fauteuil

Seong-Jin Cho © Fryderyk Chopin Institute-Bartek Sadowski

«

Dix ans déjà !

Les meilleurs solistes au monde se retrouvent à Salon et à Aix » Derrière cette formule lapidaire, nous choisirons dans la lecture le deuxième degré et l’autodérision au recul tellement plus sympathique. Une réalité : La musique n’est pas une compétition, mais elle réclame temps, travail et abnégation au-delà du talent. Pour abolir une hiérarchisation, communiquer, révéler et transmettre à chacun et par certains (les… « meilleurs » parfois) un humanisme, une générosité, une émotion, une réflexion basée sur l’interprétation professionnelle en l’espèce, sincère et convaincue d’un héritage compositionnel. D’ailleurs, cela se fait souvent au prix d’un grand sacrifice qui révèle la posture sacerdotale et parfois fragile de l’interprète. Effectivement, on peut sourire tout en souscrivant à l’accroche de l’affiche du Festival international de musique de chambre de Provence SALON quand on connait le noms des protagonistes : Eric Le Sage (piano), Paul Meyer (clarinette), Emmanuel Pahud (flûte) et leurs multiples suiveurs au

sein d’un peloton qui multipliera les échappées dans une programmation variée, multiple et jubilatoire à Salon (antépénultième étape du tour de France rappelons-le…) : Soirées Vienne 1900, Schubert Rosamonde, Brahms à l’abbaye ; Quatuor Arod, Promenade avec le prometteur Seong-Jin Cho, l’altiste Lise Berthaud, la bassoniste Marie Boichard… Les prestations vont du solo au sextuor, articulées par des thèmes fédérateurs, tels que « Tout Mozart », ou «journée complète Fauré». Du trio au quintette en passant par la Sonate en ré majeur (on attend avec délectation le magnifique rondo sous les doigts du jeune pianiste Henry Kramer avant sa soirée), des œuvres alternent cordes (Zvi Plesser, Marie Chilemme, Daishin Kashimoto : successivement violoncelle, alto, violon), flûte, anches et cuivre à l’exemple du Trio Les quilles et des quintettes clarinette (si chère au compositeur) et cordes ou piano et vents (Benoît de Barsony et Gilbert Audin au cor et basson). On retrouvera nos interprètes et les mélanges de timbres tout

Pour sa 10e édition, le festival Musique à la Ferme a mis les petits plats dans les grands en concoctant une programmation exceptionnelle

D

u 18 au 28 juillet, la chèvrerie Honnoré de Lançon-Provence sera le théâtre de rencontres musicales de grande qualité, dans l’esprit d’une identité humaine et artistique singulière entre terroir et musique, qu’elle soit populaire, classique ou contemporaine. Placée sous le parrainage honorifique de Patrick Poivre d’Arvor, cette édition anniversaire ravira les spectateurs devenus fidèles de ce festival pas comme les autres, et comblera aussi les… chèvres de l’exploitation agricole qui se régaleront des 34 artistes répartis en 7 concerts. Dès l’ouverture, les pianistes Célimène Daudet, Jérémy Honnoré et Pierre-Kaloyan Atanassov, ainsi que le trio éponyme, interpréteront Schubert, Rachmaninov, Brahms (dont les 120 ans de la disparition seront honorés par un opus à chacun des concerts) et le contemporain Castérède. Issus de l’ensemble CBarré, le mandoliniste Vincent Beer-Demander, le guitariste Thomas Keck et la harpiste Eva Debonne assureront une création de Mikel Urquiza (coproduction avec le festival de Chaillol) et partageront la scène avec

Trio Atanassov © Marco Borggreve

Samika Honda et Emmanuel Christien dans la merveilleuse sonate pour violon et piano de César Franck (20 juillet). Le 21, le Quatuor Varèse présentera un programme outre-Atlantique avec le Quatuor américain de Dvorak et le très rare G song de Riley, une curiosité à ne pas rater, alors que les plus classiques Beethoven, Brahms mais aussi

la surprenante Leçon de Cuisine de Grouvel vous ouvriront l’appétit (Trio Atanassov, Jérémy Honnoré, François Pascal, Sylvain Durantel, François Castang). Le lendemain, l’Histoire de Babar de Poulenc et Blanche, la chèvre de M. Seguin du jeune Lionel Ginoux (création 2014) raviront les petits et les grands (J. Honnoré, F. Castang). Le temps d’une pause


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Temps Forcalquier au long de la programmation, à l’exemple de la soirée Concerto furioso au Château de l’Empéri avec Martinu/Brahms/Dvorak et le marimba de Ria Idetta dans les contemporains Ouzounoff et Myers). L’abbaye de Sainte Croix accueillera les amoureux des Suites pour violoncelle de Bach sous les archets de Zvi Plesser et Claudio Bohórquez, si ce ne sont pas les sonates et partitas pour violon par Alexandre Pascal. Pour de bon, tout Fauré ou une bonne dose centré autour de la Mezzo-soprano Karine Deshayes. Tout a une fin, le festival offrira une confrontation Jazz (Paul Lay trio), classique et tango avant de conclure en beauté avec un panachage coloré (Piazolla, Dvorak, Franck, Bloch). Et un coup de cœur pour les transcriptions emblématiques inspirées et sur le souffle par l’accordéoniste Elodie Soulard. Les meilleurs solistes au monde ? À vous de juger. Pour le meilleur du plaisir partagé, assurément. P-A HOYET

Festival international de musique de chambre de Provence SALON 30 juillet au 8 août Divers lieux, Salon-de-Provence 04 90 56 00 82 festival-salon.fr

et les interprètes de la veille (avec le violoncelliste Sébastien Hurtaud) donneront de très belles pages de musique de chambre de Schubert, Brahms et du contemporain Nicolas Charron. Place à la famille le 23 avec pas moins de trois créations : Un loup affamé de Benoit Menut, Le loup et l’agneau de Nigel Keay et Le petit chaperon rouge de Pascal Martines (J. Honnoré, F. Castang). Puis, le 25, des pages de Rossini, Mozart, Brahms, mais aussi des contemporains Orr et Tanguy mettront, entre autres, à l’honneur la voix (Nicolas Zielinski, contre-ténor), la flûte traversière (Sandrine Olivier) et le violon (Amanda Favier). Les deux dernières soirées complèteront ce plateau éclectique d’une très grande richesse avec tout d’abord le quintette à vent Artecombo et les pianistes Hervé Billaut et Guillaume Coppola dans des œuvres de Schubert, Poulenc, Campo et Brahms. Pour clôturer cette superbe édition, le Quinteto Respiro offrira une véritable soirée tango, ce qui reste un moment privilégié (concert et milonga). Ajoutez à cette programmation des dégustations viticoles, des ateliers culinaires et tango, des rencontres avec des compositeurs, des siestes musicales….. L’expérience vaut le détour dans cet écrin singulier où les frontières n’existent plus.

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a recette n’est pas nouvelle mais elle a fait ses preuves : la littérature fera écho à la musique sous les voûtes du Couvent des Cordeliers et au Prieuré de Salagon dans le cadre des Rencontres musicales de Haute-Provence à Forcalquier. Une semaine, du 23 au 29 juillet, pour faire revivre quelques intemporels de la musique de chambre intimement liés à la création et au commentaire littéraire (G. Sand à propos de Chopin illustrée par la Sonate pour Violoncelle et piano) ou tout simplement à la critique musicale (« Monsieur Croche Gérard Pesson © C. Daguet-Editions Henry Lemoine à Debussy » et sa Rhapsodie pour clarinette et piano), en passant par les mémoires (Enesco, ses mémoires et son Octuor à cordes). Inspirateurs d’émotion, des piliers fondateurs de l’esthétique musicale jalonneront la semaine : après un dimanche introductif présentant le travail de la master classe jeunes talents (direction : Véronique Marin et Pierre-Olivier Queyras, violoncelle – violon) à la cathédrale de Forcalquier, la Sonate à Kreutzer ouvre les festivités le 24 Juillet. Le roman éponyme de Tolstoï se fait l’écho de Beethoven tout en soulignant le pouvoir émotionnel que la musique peut susciter sur un auditeur jaloux de la complicité musicale de sa femme avec son partenaire interprète. Quel constat différent avec la Sonate de Franck concrétisant la fictive sonate de Vinteuil dans Proust, et l’amour idéalisé de Swan pour Odette à travers une petite phrase mélodique récurrente et obsédante sous les traits du motif cyclique de Franck décliné le 26. Diable de musique qui révèle nos félicités, nos tourments : c’est la faustienne Histoire du soldat de Stravinski/Ramuz, avec ses tango et ragtime et autres danses anguleuses, incisives et suggestives. Mozart (quintette pour clarinette), Bach (3e Brandebourgeois), Mendelssohn (octuor à cordes) réguleront par leur intemporalité nos imaginaires libérés par les développements littéraires initiés par des œuvres référentes ou fondatrices. Le compositeur contemporain Gérard Pesson, fil rouge de ces soirées variées, attise notre curiosité. Dianoia, résonnances poétiques de Wilhelm Queyras (auteur et récitant avec Luigi Rignanese) conclura la semaine ; on peut faire confiance aux délires improvisés de Raphaël Imbert (saxophone) et de ses compères Chemirani (voix/zarb) accompagnés par tous les protagonistes musiciens, de Ravel à Kodaly en passant par les musiques du monde. P.-A.H

FRÉDÉRIC ISOLETTA

Musique à la ferme 18 au 28 juillet Lançon-Provence 04 90 42 74 76 musiquealaferme.com

Rencontres musicales de Haute-Provence 17 au 29 juillet Forcalquier, Mane 04 84 54 95 10 rmhp.fr


22 festivals

Grand écart, entre Durance et Lubéron

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’un village à l’autre, d’un style à l’autre, d’une discipline à l’autre, le festival Durance Luberon privilégie l’éclectisme et l’originalité dans une programmation resserrée, curieuse et attractive. Une dominante : la voix sous des formes et des approches variées, jazz, lyrique, chorale, comédie musicale, théâtre musical, voire performance vocale inclassable ou transgressive. Un duo d’intrus dans ces jeux de glottes, à défaut de cordes vocales : les Violons danseurs croiseront les archets dans un jeu de cordes qui débordera sur la chorégraphie, le mime et la farce pour le plaisirs des petits (à partir de 8 ans) et des grands. Une promesse alléchante et intrigante, celle de Virginie Basset et Gabriel Lenoir (22 Août). On file à La Tour-d’Aigues les 25 et 26 : les Carmina Burana, interprétés par Jan Heiting et le chœur et les solistes de l’ensemble Ad Fontes Canticorum, sont scénarisés par la compagnie Arlésienne de cirque Gratte ciel dirigée par Stéphane Girard. Une semaine avant nous serons à Lauris, où la

Cathy Heiting © Bertrand Périsson

tradition du festival réitère la programmation lyrique variée de différentes écoles lyriques (allemande, italienne, russe, française, romantiques, véristes ?… à découvrir) sous l’égide des solistes de l’Académie Chorale de Moscou accompagnées par Vladik Polionov au piano. L’avant-veille, la mezzo-soprano Patricia Schnell et le ténor Luca Lombardo (ténor) se seront joints à ce dernier

lors de la master class Opéra français avec les étudiants de l’Académie Chorale de Moscou. De quoi saisir les subtilités qui ont construit la tradition russe au XIXe siècle sous l’influence romantique Européenne. Patricia Schnell et Luca Lombardo auront décliné cette source fédératrice en déclamant les « Je t’aime moi non plus » de Carmen et Don José sur les arabesques de Polionov la veille à Grambois. Le génie descriptif de l’âme espagnol par Bizet transparaîtra-t’il aux antipodes stylistiques et chronologiques de la prestation flamenco de Kabaret « Eklectik Famenco flamenco Zone » (avec Sarah Moha, La Fabia, de Suzel Barbaroux) trois jours avant à Lourmarin ? On ne rompt pas une ambiance et un esprit ibérique : au Puy Sainte Reparade, le baryton Jean Christophe Maurice,

Du Moyen-âge aux musiques traditionnelles

S

i l’Abbaye du Thoronet reste le lieu incontournable des Rencontres internationales du Thoronet depuis 27 ans, les villes de Cotignac, Brignoles, Saint-Raphaël, accueilleront aussi des concerts. La musique du Moyen-âge reste la période centrale, mais le festival programme aussi des musiques traditionnelles qui apportent d’intéressantes perspectives d’interprétation des répertoires anciens. Sont également accueillis des concerts portant sur la Renaissance et le début du XVIIe siècle. En ouverture de festival, les chœurs de l’Académie de Musique ancienne du Thoronet (qui accueille chaque année depuis 10 ans des jeunes musiciens et chanteurs) travailleront Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, dans un programme exceptionnel qui célèbrera les 450 ans de sa naissance. Aux côtés de Dominique Vellard -directeur artistique des Rencontres, professeur à la Schola Cantorum de Bâle, directeur de l’Ensemble Gilles Binchois-, interviendront le ténor Gerd Türk, soliste des plus grands ensembles internationaux de Musique ancienne, et Akida Neuda Meurice,

Ensemble Gilles Binchois © X-D.R.

organiste et chef de chant. À ces stagiaires se mêleront des solistes de l’Ensemble Gilles Binchois, pour interpréter le chef-d’œuvre du maître de Crémone (les 20, 21 et 22 juillet). L’ensemble Rumorum nous fera découvrir l’Angleterre médiévale, en interprétant Fair Weder, qui donne à entendre la couleur originale des musiques anglaises pratiquées par

les clercs au milieu du Moyen-âge : répertoire religieux, danses instrumentales, chansons et canon (le 23). Puis l’ensemble Musica Nova chantera les Motets de Guillaume Dufay, ainsi qu’un motet écrit pour cet ensemble par le compositeur Henry Fourès (le 24). Le Miroir de Musique nous plongera ensuite


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Polyphonie de la Renaissance

P.-A. HOYET

Festival Durance Luberon 11 au 27 août Divers lieux, entre Durance et Luberon 06 42 46 02 50 festival-durance-luberon.com

dans la Renaissance italienne des XVe et XVIe siècles, qui allie traditionnellement le chant à la lyre ; dans ce programme, les voix de Maria Cristina Kiehr et de Giovanni Cantarini porteront merveilleusement cette poésie en musique (le 26). La voix exceptionnelle de la syrienne Waed Bouhassoun, la flûte oblique (ney) du turc Kudsi Erguner et le zarb de Pierre Rigopoulos, se mêleront idéalement dans un répertoire de musiques traditionnelles syriennes et turques (le 27). Enfin, lors de la clôture (le 28), l’Ensemble Gilles Binchois reviendra sur le Manuscrit du Monastère Royal de Las Huelgas, collection d’œuvres musicales du XIVe s, en basant son interprétation sur une toute nouvelle compréhension de la notation. YVES BERGÉ

Les Rencontres Internationales du Thoronet 20 au 28 juillet Abbaye du Thoronet, Cotignac, Brignoles, Saint-Raphaël 06 76 02 79 40 musique-medievale.fr

Ensemble Les Voix animées © Bernard Vansteenberghe

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es cinq voix a cappella de l’ensemble varois Les Voix Animées (sous la direction musicale de Luc Coadou) poursuivent leur cycle de concerts de chants sacrés de la Renaissance, Entre pierres et mer dont c’est la 6e édition. Dans les écrins remarquables que sont la Tour Royale et le Théâtre de Verdure du Faron à Toulon, et l’Eglise Sainte-Marie et l’Abbaye au Thoronet, elles feront entendre des œuvres du compositeur élisabéthain William Byrd, nouveau compagnon de route de cette série de concerts. Ce dernier n’est pas un inconnu pour les auditeurs fidèles de cet ensemble, qui a déjà proposé, au fil de ses concerts, l’écoute de sa Messe à quatre voix, des Motets et des chansons. Ses compositions seront au programme de ce 6e cycle, ainsi que de nombreux Motets en latin et en langue vulgaire, dont son Suzanna Fair, et quelques compositions de compositeurs anglais aujourd’hui oubliés. Sa Messe à cinq voix, qui témoigne de son immense talent de musicien et de sa ténacité de catholique romain face à l’anglicisme officiel et dominant, sera chantée lors du concert Gentleman of the Chapel Royal (20 août et 24 septembre), qu’il partagera avec son confrère et maître Thomas Tallis et Robert White dont on entendra des Motets. Puis l’ensemble retrouvera Giovanni Pierluigi da Palestrina, compositeur qui avait rythmé l’édition 2016, avec sa Missa Papae Marcelli ; elle fut écrite vers 1562, à la mémoire de Marcel II, pape réformateur, tandis que le Concile de Trente semblait remettre en question la place de la musique polyphonique dans la liturgie catholique, en associant les préceptes conciliaires et l’art hérité des compositeurs franco-flamands (24 août, entrée libre mais réservations obligatoires). Enfin, les chanteurs rendront un vibrant hommage à la féminité, avec le concert Vigilate (2 et 3 septembre), création du jeune compositeur Raphaël Languillat commandée

pour l’occasion, qui associe le Suzanna Fair de William Byrd et Suzanne un jour d’Orlande de Lassus. Ces deux œuvres, inspirées d’un épisode biblique du Livre de Daniel, revisitent l’histoire de Suzanne et les deux vieillards. DO.M .

Entre pierres et Mer 20 & 24 août, 2, 3 & 24 septembre Toulon, le Thoronet 06 51 63 51 65 lesvoixanimees.com

FESTIVAL

e D IT 21 É

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THÉÂTRE ET MUSIQUE DE RUE

4/5/6 AOÛT

2 017

@Lucce - Création Devisocom

accompagné du récitant Alain Carré avec Anaït Sérékian au piano, saura nous rappeler la folie et l’idéalisme de Don Quichotte entre les textes de Brel et les espagnolades des mélodies de Massenet, Ravel ou Ibert. Le périple régional est encadré en fanfare par le jazz ouvert, vocaliste, du passeur de son et révélateur de talents Jean-François Bonnel à Mirabeau. Dans la même veine, Cathy Heiting explosera les frontières des genres et de la voix en clôture au Château d’Arnajon du Puy Sainte Reparade. Si l’on vous dit en outre que les soirées aperopera et aperojazz sont agrémentées d’une dégustation issue des domaines viticoles environnants, et comme leur nom l’indique… Vinum et musica laetificant cor. Grand écart toléré, mais sans modération d’ordre musical.

PERNES-LES-FONTAINES ( 84 )

Renseignements : 04 90 61 31 04


24 festivals

La rue, en état d’urgence et de partage La 4e édition de Travellings, rendez-vous européen de Lieux publics à Marseille, s’attache aux récits de voyage, avec des parcours d’artistes qui partagent des expériences vécues

L

’exil, l’envol, la citoyenneté, la démocratie, l’Europe… Autant de thèmes qui entoureront les rencontres programmées entre les artistes européens invités, tous issus de la plateforme In Situ que pilote Lieux publics depuis 2003, et le public marseillais. Les 8 (de 19h à 22h) et 9 septembre (de 15h à 22h), des quartiers nord (et particulièrement le quartier des Aygalades) à l’Europe, Travellings créera d’indispensables passerelles. La Cie Adhok (France) poursuit dans son diptyque Immortels –Le Nid et L’Envol- une réflexion engagée dès sa création précédente (Échappées Belles) sur l’humain et ses conditions de vie ; en se penchant sur la jeunesse et particulièrement sur une tribu de jeunes de 18 à 25 ans qui cherchent leur place dans un monde pas vraiment fait pour eux, entre espoirs et désillusions. Avec Géopolis, le Pudding

L’Envol, Cie Adhok (ZAT 2017, Montpellier) © AZ

Théâtre (France) raconte l’histoire de 8 femmes et hommes qui voient leur territoire imploser, doivent quitter leur terre et réinventer ailleurs une vie de migrants qui se posent la question d’un choix impossible… « Vous êtes expulsés de chez vous, vous avez cinq minutes pour partir et rassembler des objets personnels qui vous sont chers, qu’emporterez-vous ? » Le scénario catastrophe proposé par la Cie Kumulus (France) nourrit le projet participatif Rencontres de boîtes, qui place les spectateurs face à l’incompréhension et au désordre engendrés par l’exode ; et donne aux participants l’occasion de se dévoiler

tout en déjouant les règles d’un consensus reposant sur la dissimulation de soi-même. In-Paradise ? À voir… Les 8 danseurs et le musicien de la Cie Ex-Nihilo (France) évoquent-là des femmes et hommes venus d’ailleurs, étranges personnages qui créent le désordre dans l’espace public. Aucune évidence donc dans cette quête d’équilibre, là où tout est bancal, au bord de la rupture. Avec les autrichiens de Liquid Soft, polyphonie et multilinguisme sont au programme de leur Foreign Tongues (Langues étrangères) : à partir d’entretiens enregistrés auprès de personnes de différentes régions d’Europe, les

u cœur des Alpes de Haute-Provence, Gréouxles-Bains n’est pas qu’une station thermale (la 3 e de France) ! C’est aussi un village qui vit toute l’année au rythme des programmations artis- Les Louis Ambassadors © Anthony Krizmanic tiques que propose notamment l’association Le Petit journal Saint-Michel, le festival FestiGréoux, en charge, depuis 2016, de mêle aux propositions régionales celles qui l’organisation du Gréoux Jazz Festival. émanent de Paris et de l’étranger. Après Les Soirées du Château (voir Zib’ 108 Le TSCY Bounce Quartet ouvre les festivités, et p. 50), et alors que le village s’apprête à le 6 septembre : la formation –Claude Tissenaccueillir son plus gros contingent de curistes, dier (clarinette, saxo et arrangements), Didier le jazz prend le relais du 6 au 10 septembre. Schmitz (contrebasse), Michel Crichton Programmé par Jean-Pierre Baux, ancien (piano) et Lionel Beche (batteur-percussionprésident de l’Office de Tourisme et passionné niste)- fait partager, avec sensibilité et humour, du genre, et parrainé par le club de jazz parisien la grande époque du swing des années 30.

Auparavant, en fin d’après-midi, le Timber Brass Band, issu de la classe de jazz du Conservatoire des Alpes de Haute-Provence emmené par Christophe Leloil, aura fait résonner ses sons empruntés à James Brown, Maceo Parker ou Mickael Jackson. Le lendemain, le Paris-Gadjo-Club –PierreLouis Cas (clarinette), Christophe Davot (guitare), Stan Laferrière (guitare rythmique) et Laurent Vanhée (contrebasse)- jouera un swing gitan avec subtilité et originalité : le répertoire 100% brésilien qu’ils offrent est une belle surprise, adaptant au jazz manouche (Django Reinhardt n’est pas loin !) des compositions des maîtres du choro, tels Pinxinguinha, Jacob de Bandolim ou Ernesto Nazareth… Le 8, le quartet A Swingin’ Affair (Olivier Defays et Philippe Chagne, co-créateurs, aux saxophones, François Laudet à la batterie et Philippe Petit à l’orgue Hammond) fera

Cure jazzy !

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danseurs créent un rythme, une chorégraphie, qui donnent corps à ces voix. Avec la participation de marseillais, la performeuse Anne Thuot propose une étape de travail de Retrieve (extrait), création qui questionne les privilèges du corps européens blanc en partant d’« objets africains » présents dans nos lieux de vie. Quoi de mieux pour (re)découvrir le territoire où l’on vit qu’une conférence-promenade ? C’est ce que propose le grec Alexandros Mistriotis, entre la Cité des arts de la rue et la Cité des Aygalades, située en face : l’occasion de poser un regard poétique sur les identités marseillaises. Autre balade, qu’accompagne le duo de compositeurs néerlandais Jeroen Strijbos & Rob Van Rijswijk : Walk with me met en récit le paysage, avec la participation de musiciens marseillais. Sans oublier la performance footballistique de la bulgare Veronika Tzekova, et l’installation sonore de Marco Barotti avec ses drôles d’oiseaux androïdes qui transforment les ondes invisibles utilisées par le téléphone ou Internet en chants… de pivert ! Enfin, l’exposition mobile éphémère du graphiste et plasticien Stéphan Muntaner, Le Nord fait le mur, fait escale à Travellings : les 3000 photos collectées offrent un portrait sensible, puissant et émouvant d’habitants marseillais, et racontent la diversité et la richesse de ces lieux. DOMINIQUE MARÇON

Travellings 8 & 9 septembre Cité des Aygalades, parc de l’Oasis, Marseille 04 91 03 81 28 lieuxpublics.com

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DO.M.

Gréoux Jazz Festival. 6 au 10 septembre Centre de congrès L’Étoile, Gréoux-les-Bains greoux-les-bains.com

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DU 15 07 AU 23 07 2017

Concerts gratuits

Roots II NDEKAN CUBANO II RICHARD BONA – MA ER KER OURIO QUINTET II IVI NATALIA M.KING II OL ARES II The Shoeshiners Band ÑIZ CA IAN YIL II y og Basso Groovol E EASTWOOD II Claude II TRIO PONTY LAGREN ND II Sadana Jazz Quartet II BA Quintet II JO HARMAN T II Yannic Seddiki Trio TE IN QU VE RO RG HA Y RO www.jazzatoulon.com- fb.com/jazzatoulon - Renseignements : 04 94 09 71 00 > Allez-y en bus et en bateaux-bus !

Agence

revivre les années 30-40 illustrées par les grands orchestres de Count Basie, Duke Ellington, Benny Goodman ou Glenn Miller. Plus tôt dans la journée, c’est le jazz New Orleans qu’aura joué La Bande à Bruzzo. Le 9, place au swing d’Irakli et Les Louis Ambassadors, formation dont la configuration reprend l’esprit du « Louis Armstrong All Stars », avec Irakli à la trompette, Alain Marquet à la clarinette, Jean-Claude Onesta au trombone, Jacques Schneck au piano, Philippe Pletan à la contrebasse et Sylvain Glevarec à la batterie. Enfin, le 10, c’est le Aubagne Jazz Band qui clôturera le festival, dirigé par le trompettiste Daniel Scaturro entouré d’une vingtaine de musiciens (cuivres, vents et section rythmique) et de trois chanteurs.

- 06/2017 - 04 94 07 25 25

ÉDITION


26 festivals

La rue qu’est à nous

L

a 21e édition du festival de théâtre et de musique de rue Font’arts se tiendra du 4 au 6 août à Pernes-les-Fontaines. Au cœur du centre ancien de la ville, squares, jardins et rues seront investis par des dizaines de compagnies venant de tous les horizons. S’y côtoieront danse et cirque contemporains, théâtre burlesque et concerts, mais aussi conte électronique et ateliers participatifs. La compagnie AIAA proposera Argents Pudeurs et Décadences, une comédie financière où cynisme et arrivisme sont de rigueur. Argents Pudeurs et Décadences, Cie AIAA © Pierre Noirault Qu’est-ce que l’argent ? D’où vient-il ? À espace public où codes et règles de décence quoi et à qui sert-il ? Dans une société où la sont si spécifiques. La manière d’exposer richesse est le premier critère de réussite, il nos corps, l’enfilage technique et parfois peu est toujours salutaire de se questionner sur réussi de nos maillots de bain, les parades son propre rapport à l’argent. Avec Wandering nuptiales, l’utilisation des animaux gonflables Orquestar, l’espagnol Sergi Estebanell et géants ridicules... Tout y est ! son orchestre chercheront en vain, malgré À l’affiche également, l’inégalable Didier l’aide des passants, le lieu de leur prestation. Super présentera son cinquième spectacle Un cauchemar que font parfois certain(e)s, Ta vie sera plus moche que la mienne, dont mais qui offre-là un spectacle fou et drôle, à la l’ambition est « d’éduquer la plèbe et de brosser conquête de l’espace public et du lien social ; l’estime de soi du public ». Un humour noir et dans le bien nommé Icy Plage, la compagnie caustique à ne pas prendre au pied de la lettre. Kartoffeln récréera ce qui se joue dans cet Oscillants entre fantaisie, humour et rêve, les

acrobates de la compagnie du Courcikoui offriront leur cabaret circassien Y’a du Courcikoui dans le cabaret : suspendus à des cordes, en équilibre sur des échelles, marchant sur les mains, ces artistes mettront en lumière les liens qui se tissent entre nous. Aux plus jeunes et à leurs parents, Nassim-dj fera découvrir l’histoire de la musique électro à l’aide d’un Conte électronique. Ce sera l’occasion d’entendre les sons d’instruments disparus, comme le thérémine. En plus des nombreuses autres représentations, le festival organisera des ateliers de cirque, d’arts plastiques et d’écriture. Également, un espace de découverte de la scène locale, un jardin des créateurs locaux, une aire zen créée par des artistes, et un espace de restauration bio et équitable seront mis à disposition de tous. FAUSTINE AUPAIX

Font’arts 4 au 6 août Divers lieux, Pernes-les-Fontaines 07 68 59 77 55 fontarts.com

Figuière, deuxième !

A

u cœur du domaine viticole Saint-André de Figuière, un festival va cet été prouver que les belles idées nées des envolées utopistes qui éclosent entre amis de longue date à la fin d’un repas sont effectivement les meilleures. Nicolas Barrot, créateur du festival OFF de danse contemporaine de Montpellier (entre 1994 et 97) et directeur technique de Machin la Hernie © Julien Hogert nombreuses compagnies de spectacle vivant, avec François Combard, artistes, techniciens, passionnés de convivialité propriétaire du domaine, ont fédéré leurs amis et d’expériences nouvelles pour fonder le

Figuière-Festival, avec des slogans qui piquent et plaisent : « Débouchez-vous les yeux », « Carafez-vous les méninges », « Assemblages en tous genres ». L’an dernier, la première édition a été une grande réussite : spectacles de haute qualité, public néophyte ou plus pointu conquis, vin servi à bonne température… Tout le monde en redemandait, il fallait continuer ! Sur trois soirs, théâtre, danse, musique et vidéo vont se répandre entre les ceps ou dans les chais. Le danseur chorégraphe brésilien Volmir Cordeiro ouvrira ce programme avec un solo accompagné de percussions live (Washington Timbó), Rue. Un corps aux jambes et bras immenses, une nécessité brûlante de condenser les sensations.


27

Des nuits de résistance

L

es Nuits de la Terrasse et Del Catet changent de nom pour devenir Les Nuits [inattendues] Del Catet. Un changement d’identité pour dire que cette 17e édition du festival a bien failli ne pas avoir lieu, la redéfinition des frontières territoriales ayant abouti à l’arrêt du soutien financier de l’intercommunalité. Toutefois, le Théâtre sortieOuest et la Cie In Situ, qui organisent l’événement, ont su trouver avec la commune de Thézan-lès-Béziers un lieu accueillant pour poursuivre l’aventure. Non seulement le festival aura bien lieu du 20 au 29 juillet à Thézan-Lès-Béziers, mais il propose une programmation éclectique de qualité. Dans Jean Moulin, Évangile, le metteur en scène Jean-Marie Besset retracera les trois années qui ont fait de l’illustre résistant un personnage historique, de son insoumission aux Allemands lorsqu’il était Préfet jusqu’à sa mise à mort par Klaus Barbie. Une fiction historique documentée permettant de mieux connaître la personnalité et la vie de Jean Moulin et ainsi de comprendre les raisons de son engagement. Formé spécialement pour l’occasion par La Belle saison (label de production, de diffusion et de partage de projets musicaux de qualité), le Quatuor Du Swing chez les romantiques allie musiques classiques et actuelles, jazz et musiques traditionnelles d’Europe centrale. Composé du violoncelliste François Salque et du Sam Strouk trio,

Dieudonné Niangouna, éminent auteur et comédien congolais (artiste associé du Festival d’Avignon 2013), offrira son jeu si intense, habité, quasi mystique, mis en scène par Jean-Paul Delore dans une adaptation de Machin la Hernie, écrit par Sony Labou Tansi. Hag NRV, avec son solo de basse électrique saturée, distillera 20 mn de musique barjot. On pourra profiter de la dernière pièce de Mauro Paccagnella et Alessandro Bernardeschi, Happy Hour (prix « Luminux for Theatrical Moment » au Summerhall de Edinbourg et prix du meilleur spectacle de danse décerné à The Place, Londres). Deux danseurs aguerris auscultent la fabrication d’un spectacle chorégraphique : sensible et

captivante de la vie de Molière, et venge par la même occasion tous les artistes ayant subi la censure du pouvoir. Poète, romancier, musicien et chanteur, Anthony Joseph viendra présenter, avec sa formation, Caribbean Roots, un album revenant à ses racines trinidadiennes, une fusion de soul, de funk, de rock et

Anthony Joseph © MIRABELWHITE

le groupe jouera un répertoire s’étirant du romantisme au jazz, en passant par le tango argentin et des compositions originales. La Cie Rasposo présentera La DévORée, une création tenant autant du cirque que du théâtre. À partir de l’histoire de Penthésilée, reine des Amazone, Marie Molliens propose une ode fracassante à la femme de cirque (et à la femme tout court), désirée et inatteignable, puissante et vulnérable. Trapèzes sans filet, fil de fer précaire, cerceaux déglingués, portées acrobatiques combatifs : un équilibre fragile, intime, qui donne à voir ce que chacun de nous cache en lui. L’acteur Jacques Weber offrira la lecture du Roman de Monsieur de Molière du russe Mikhaïl Boulgakov. Dans cette biographie du grand dramaturge, l’auteur -lui-même victime du Stalinisme- livre une vision vivante et

drôle. Le/la Chut de Fanny de Chaillé (au IN d’Avignon juste avant avec Les Grands), déclinera en silence et jeu corporel toutes les nuances du lâcher prise. D’autres expériences sont au programme, et chaque soir, on danse et on boit sur la musique de DJ HS. ANNA ZISMAN

d’afro-beat. Enfin, des lectures, conférences et rencontres seront organisées pendant toute la durée du festival. F.A.

Les Nuits [inattendues] Del Catet 20 au 29 juillet Domaine de Ravanès, Thézan-Lès-Béziers 04 67 28 37 32 sortieouest.fr

Zibeline encart EPEM 2017 OK.qxp_Mise

CYCLE DE CONCERTS « ENTRE PIERRES ET MER » CHANTS SACRÉS DE LA RENAISSANCE

DIM. 20 AOÛT, 21H TOUR ROYALE, TOULON SAM. 2 SEPTEMBRE, 21H THÉÂTRE DE VERDURE DU FARON, TOULON

Figuière-Festival 27 au 29 juillet Domaine Saint-André de Figuière, La Londe-les-Maures 04 94 00 44 70 figuiere-festival.com

DIM. 3 SEPTEMBRE, 19H30 ABBAYE DU THORONET DIM. 24 SEPTEMBRE, 19H30 ABBAYE DU THORONET

www.lesvoixanimees.com


28 festivals

L’animal Giono

Houles sétoises et poétiques

Les Rencontres Giono explorent cette année le thème des animaux dans l’œuvre de l’écrivain

L

C’est au Théâtre Jean Le Bleu qu’auront lieu les lectures, les rencontres, les conférences et le débat. Geneviève Esménard lira la faune gionienne de Colline et Que ma joie demeure, et la nouvelle Le Cheval ; Catherine Soullard des extraits de Promenade de la mort et Camargue ; JeanJacques Lorazo des extraits de Bestiaire, lors d’une matinée consacrée à ce sujet qui compte aussi une rencontre animée par Alain Romestaing et Jacques Mény ; Thibault de Montalembert, accompagné de Frédéric Lagarde au violoncelle, La Mission et Le bal, textes tirés des Récits de la demi-brigade. Du côté des conférences, on écoutera, entre autres, Alain Romestaing pour Jean Giono, plume à bêtes ; Centaures et Amazones dans l’œuvre de Giono avec

Marie-Anne Arnaud-Toulouse ; Chant du monde et discours animaux dans l’œuvre de Giono avec Sophie Milcent-Lawson ; Petite histoire de la littérature française sous le regard des chats avec Frédéric Vitoux.

Musique et cinéma C’est en musique que se fera l’ouverture des Rencontres, avec Pierre et le loup de Prokofiev (Olivier Lechardeur au piano et Sophie Brochet en récitante), suivi du Carnaval des animaux de Saint-Saëns (piano à quatre mains avec Florence Cabrita dos Santos et O. Lechardeur) ; une promenade musicale proposera trois concerts dans trois lieux et avec trois programmes différents (Rossini, Puccini, Haydn, Bach, Corelli, Schubert), avec Laurence Monti (violon), Marie-Laurence Rocca (violon), MarieAnne Hovasse (alto), Frédéric Lagarde (violoncelle), Sylvain Pécot (contrebasse), Virginie Kaeppelin (clavecin) et Olivier Lechardeur ; Alain Bauguil donnera un récital sur les Fables de La Fontaine. Enfin, seront projetés le court-métrage de Jacques Mény avec Philippe Taquet Chercheur d’os au Laos, le film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud Les Saisons, et Chang l’éléphant, en ciné-concert. DOMINIQUE MARÇON

Rencontres Giono 2 au 6 août Divers lieux, Manosque 04 92 87 73 03 rencontresgiono.fr

ncontournable manifestation de l’été, le Festival de poésie Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée fête cette année ses vingt ans avec plus de cent poètes, et 650 manifestations. La ville de Sète s’enivrera de mots, de sonorités, de musiques. Les artistes, conteurs, musiciens, chanteurs comédiens entourent les poètes venus d’Algérie, Arabie Saoudite, Argentine, Chili, Chypre, Côte d’Ivoire, France, Grèce, Israël, Liban, Luxembourg, Macédoine, Maroc, Palestine, Roumanie, Syrie, Tunisie, Turquie (…), dans une approche éclectique, investissant rues, places, jardins publics ou privés, lieux patrimoniaux… Scènes poétiques à ciel ouvert, de l’aurore à minuit, inviteront à une découverte de la parole poétique contemporaine, et trois grands concerts -Vincente Pradal, Kerry James, Paco Ibañez- seront accueillis au Théâtre de la mer. Ajoutez le marché aux livres, les publications, les rencontres en langue des signes, les ateliers, le focus sur le public jeune… la poésie n’est décidément pas le lieu de l’entre-soi ! À noter que tout est gratuit, hormis les concerts. MARYVONNE COLOMBANI

Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée 21 au 29 juillet Divers lieux, Sète 04 99 04 72 51 voixvivesmediterranee.com © E. Morère

Lectures, conférences, rencontres

I © Association amis Jean Giono

’Association Les Amis de Jean Giono poursuit dans cette 12e édition des Rencontres Giono l’exploration de l’œuvre de l’auteur manosquin, dans laquelle les animaux sont constamment présents. Giono, les animaux et les hommes se déclinera, du 2 au 6 août, lors de concerts, lectures, conférences, débat, rencontres, café littéraire et exposition. Une vaste faune, sauvage ou domestique, vit dans ses récits, au milieu d’une nature toujours célébrée. Chevaux, ânes, moutons, oies, paons, renards, loups, oiseaux, insectes…, révélateurs de la nature humaine, côtoient les hommes. Qu’ils soient montrés comme des monstres, ayant une dimension symbolique (comme le cerf de Que ma joie demeure ou le loup d’Un roi sans divertissement), ou faisant l’objet d’un déroutant Bestiaire dans lequel Giono détourne les sciences naturelles en une zoologie extravagante, les animaux sont surtout prétexte à une observation malicieuse et critique des comportements humains. Sera abordée également lors des Rencontres la place de l’animal dans l’histoire littéraire et dans le roman contemporain.


37e Festival International de Piano L a R o q u e d ’ A n t h é ro n w w w. f e s ti v a l -p ia no .co m

BORIS BEREZOVSKY EVGENY KISSIN JEAN RONDEAU BEHZOD ABDURAIMOV BERTRAND CUILLER JOEY ALEXANDER YOANN MOULIN THOMAS ENHCO DAVID KADOUCH PIERRE GALLON RICHARD GALLIANO JAN LUNDGREN PAVEL KOLESNIKOV STANISLAV IOUDENITCH PIERRE QUEVAL PHILIPPE GIUSIANO RÉMI GENIET BRICE SAILLY MARC LAFORET ALEXEI VOLODINE PLAMENA MANGOVA ANDREI KOROBEINIKOV MATHIAS ALGOTSSON ALEXANDRE KANTOROW CHRISTIAN ZACHARIAS RAY LEMA LAURENT DE WILDE KIT ARMSTRONG YARON HERMAN JONAS VITAUD NICHOLAS ANGELICH MARIE-ANGE NGUCI VIKINGUR OLAFSSON MAROUSSIA GENTET ALEXANDRE THARAUD FRANCESCO TRISTANO JEAN-FRÉDÉRIC NEUBURGER SHANI DILUKA SEONG JIN CHO BRUCE BRUBAKER WILLEM JANSEN FLORENT BOFFARD SANJA BIZJAK LIDIJA BIZJAK CLAIRE DÉSERT EMMANUEL STROSSER GUILLAUME COPPOLA HERVÉ BILLAUT ALEXANDRE LORY JEAN-PAUL GASPARIAN OLIVIER HOUETTE MATAN PORAT MOMO KODAMA FRANÇOIS-FRÉDÉRIC GUY JEAN-CLAUDE PENNETIER NATHANAËL GOUIN NIKOLAÏ LUGANSKY PALOMA KOUIDER PIOTR ANDERSZEWSKI NATHALIA MILSTEIN YULIANNA AVDEEVA VINCENT COQ IDDO BAR-SHAÏ PHILIPPE HATTAT LARS VOGT PIERRE HANTAÏ NELSON GOERNER LUIS FERNANDO PÉREZ GASPARD DEHAENE ANNE QUEFFÉLEC ADAM LALOUM CHRISTIAN IVALDI NELSON FREIRE CHARLES RICHARD-HAMELIN ARCADI VOLODOS GUILLAUME BELLOM LUKAS GENIUSAS MARIE-JOSÈPHE JUDE LUCAS DEBARGUE ABDEL RAHMAN EL BACHA

R é s e r v a t i o n s :

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30 festivals

L’été au MuCEM

La programmation estivale du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

Expositions

dédié au Fort Saint-Jean, tandis que Si vous n’avez pas encore vu Vies les adultes iront au spectacle ! Les d’Ordures ou Graff en Méditerranée, 20 et 21 juillet, par exemple, pour sachez que la première se poursuit voir une version de l’Antigone de jusqu’au 14 août, la seconde jusqu’au Sophocle par l’Agence de voyages 2 octobre (lire nos critiques sur journalimaginaires, où la comédienne zibeline.fr). Mais la grosse exposition Valérie Bournet interprète tour à de l’été au MuCEM est Aventuriers des tour l’héroïne, son oncle Créon, et... mers (Méditerranée-Océan Indien, VIIele clown Séraphin, qui raconte maliXVIIe siècle), à voir jusqu’au 9 octobre. cieusement cette mythique histoire Présentée l’an dernier à l’Institut du d’insoumission. Ou le 22 juillet, lors monde arabe, elle s’est étoffée entred’une soirée exceptionnelle avec le temps de très belles pièces empruntées festival Jazz des cinq continents à Modène, Lisbonne, Vienne ou La (lire p48 et sur journalzibeline.fr) pour Réunion. Pour Agnès Carayon, l’une quatre concerts de rang (Yonathan de ses trois commissaires, « il était Avishaï, Cyril Achard et Géralimportant de raconter une histoire dine Laurent, Piers Faccini et maritime millénaire méconnue du Guillaume Perret). Ou encore au grand public ». Accueilli par un imprescinéma, à l’occasion du 22e Ciné Catalane, Espagne 1450, manuscrit sur velin © 2016 Scala Florence, Courtesy of the sionnant fossile de requin, la mâchoire Carte plein air Marseille qui fait écho aux ministero beni e att. culturali géante d’un Carcharodon megalodon, et Aventuriers des mers (du 11 au 14 août la projection d’une véritable tempête filmée boutis peuplé de personnages, lions et oiseaux. sur la Place d’Armes, lire p 57). Bien sûr, pour par Yann Arthus-Bertrand, le visiteur parcourt Un regret toutefois : pour boucler ce beau toute la famille, il y a aussi le fameux Plan B trois espaces consacrés aux peurs ancestrales dispositif, il a fallu faire appel au groupe Total, du MuCEM avec de multiples animations, du liées à la mer, à l’intelligence de la navigation, sulfureuse multinationale avide de redorer son 25 au 29 juillet en hors-les-murs sur la plage et à la mise en place de la mondialisation. blason sous couvert de culture... qui permet du Prado (gratuitement), et du 1er au 5 août au Parmi d’autres merveilles, citons le fac similé aussi de bénéficier des avantages fiscaux Fort Saint-Jean (formule payante comprenant d’une mappemonde réalisée pour le roi du liés au mécénat. activités et visites des expositions). GAËLLE CLOAREC Portugal en 1459, synthèse de la cosmographie médiévale et des connaissances à l’orée des Et autres manifestations grandes découvertes, la carte enluminée dite Si les séminaires et journées d’études « de Christophe Colomb », sur laquelle la plupart organisées par l’Institut Méditerranéen des des calligraphes s’accordent à reconnaître des Métiers du Patrimoine sont suspendus pendant NB : Comme au MuCEM, notre traversée webradiophonique mensuelle du musée, est en annotations de la main du navigateur, ou une l’été, le MuCEM propose des activités moins pause estivale sur journalzibeline.fr. Les émissions tenture incroyable de l’époque ottomane, en cérébrales. Les plus jeunes trouveront leur reprendront à la rentrée, avec leurs Chroniques soie piquée et bourre de coton, somptueux bonheur dans un espace ludique qui leur est des libraires et de nombreux entretiens

Photomed à la Villa Méditerranée

L

a vie comme fiction. (Presque) tout est dans le titre de cette exposition des œuvres d’Hervé Guibert, accueillie à la Villa Méditerranée dans le cadre de Photomed (voir Zib’108). L’écrivain-photographe comète, mort du sida dans la fleur de l’âge, s’est mis en scène comme une absence anticipée : Alain Gualina - Dopo Eboli © G.C. son visage est couvert d’un autrui, on retrouve la même incrédulité des mouchoir, son univers intime, peuplé de lettres, êtres sensibles face à leur propre existence : carnets, stylos et machines à écrire, semble Isabelle Adjani apparaît figée, rêveuse, peutdéjà le regretter. Et lorsqu’il photographie être hantée par une tristesse irrémédiable. En

contrepoint, le commissaire Guillaume de Sardes a rassemblé le travail d’autres artistes sur les murs de la Villa : Franck Déglise notamment, parti Sur la route d’Alger avec un regard ambigu, précis et flottant à la fois, ou encore Alain Gualina, photographe des paysages italiens des années 70, en résonance avec l’histoire de l’art : on peignit les mêmes à l’aube de la Renaissance. G.C. Sirine Fattouh, Maude Grübel, Alain Gualina, Hervé Guibert, Sebla Selin Ok, Mickael Soyez, Franck Déglise jusqu’au 13 août Villa Méditerranée, Marseille 04 95 09 44 00 villa-mediterranee.org


L’art et l’usage

2017–2018

DIRECTEUR GÉNÉRAL MAURICE XIBERRAS

L

a nouvelle exposition du MuCEM, Document bilingue, est double, comme son nom l’indique. D’abord parce qu’elle se déploie sur deux lieux, le musée en bord de mer et son Centre de Conservation et de Ressources à la Belle de Mai. Et puis au sens où Sigmund Freud employait la formule « document bilingue », évoquant la façon dont un même contenu peut être exprimé en langages différents. Selon Sabrina Grassi, co-commissaire avec Érik Bullot de l’exposition, « L’expression nous a semblé qualifier de façon frappante la nature ambivalente des objets des collections du MuCEM, à la fois témoins d’enquêtes ethnographiques et fétiches poétiques ». Rappelons que les fonds de ce musée de société proviennent du Musée national des arts et traditions populaires et du Musée de l’Homme, complétés par des acquisitions en provenance de l’ère méditerranéenne. Des décennies de collectes dont le MuCEM assure la conservation, et qu’il valorise en les faisant régulièrement sortir de leurs réserves. Six artistes et chercheurs (Yto Barrada, Omar Berrada, M’barek Bouhchichi, Érik Bullot, Uriel Orlow et Abril Padilla) en ont réactivé une sélection dans un parcours multimédia. Pour Érik Bullot, cette démarche à la confluence de l’art et du propos scientifique « relève aussi du soin : il s’agit de penser/panser la blessure d’une histoire ». Sans tomber dans le pathos, il est vrai que le dispositif provoque l’émotion. De par son travail sur le son, notamment : la compositrice Abril Padilla a mixé archives audio et captations lors des séances collectives préparatoires à l’exposition, pour créer un tissu sonore subtil et évocateur. Chacun puisera dans les différents espaces ce qui le touche. Une photographie de berger, qui chante en distribuant du sel à ses brebis. L’enregistrement en plein air de bruits de sonnailles et de commandement du chien à la voix. Le script d’un film inachevé, tourné en 1972 autour de Sidi Ahmed ou Moussa, saint vénéré dans la région du Sous (Maroc). Vivant aux XVe/XVIe siècles, il avait le don miraculeux de rassembler les fragments éparpillés des choses... L’ensemble n’est pas facile à saisir, ce qui est plaisant ; en faisant appel à l’intelligence et à la sensibilité du public, la part de mystère qui demeure inévitablement est un bonus. À compléter du catalogue de l’exposition, un livre... bilingue anglais-français, paru chez Manuella Éditions. GAËLLE CLOAREC

Document bilingue jusqu’au 13 novembre MuCEM et Centre de Conservation et de Ressources, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org

OPÉRAS 28 SEPTEMBRE, 1ER, 4 OCTOBRE

LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ David Alagna

OPÉRETTES 28, 29 OCTOBRE

4 JOURS À PARIS Francis Lopez

25, 26 NOVEMBRE

13, 15, 18, 21 OCTOBRE

LA FAVORITE Gaetano Donizetti

RÊVE DE VALSE Oscar Straus

16, 17 DÉCEMBRE

TANCREDI

LE CHANTEUR DE MEXICO

7, 8 NOVEMBRE

13, 14 JANVIER

24, 26 OCTOBRE

Gioacchino Rossini

L’OMBRE DE VENCESLAO Martin Matalon

Francis Lopez

VALSES DE VIENNE Johann Strauss 24, 25 FÉVRIER

30, 31 DÉCEMBRE, 3, 5, 7 JANVIER

MY FAIR LADY Frederick Loewe

LA VIE PARISIENNE Jacques Offenbach 17, 18 MARS

6, 9, 11, 13, 15 FÉVRIER

IL BARBIERE DI SIVIGLIA

Gioacchino Rossini 23, 25, 28, 30 MARS

HÉRODIADE Jules Massenet

MONSIEUR BEAUCAIRE André Messager 14, 15 AVRIL

LÀ-HAUT

Maurice Yvain 26, 27 MAI

2, 5, 8 MAI

LOHENGRIN Richard Wagner

LA FILLE DU TAMBOUR-MAJOR Jacques Offenbach

6, 10, 13, 16 JUIN

ERNANI

Giuseppe Verdi

OPÉRA opera.marseille.fr

ODÉON odeon.marseille.fr

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Design graphique : et d’eau fraîche / © Ville de Marseille-Odéon-Licence n°1070574-1070573-107057

Sifflet de clown, France, 1e moitié du XXe siecle, Mucem © Mucem -Yves Inchierman


32 au programme musiques bouches-du-rhône var hérault alpes-maritimes

Festival de Thau

La 4e édition des Musicales de la Font de Mai investit de nouveau ce site d’exception situé à Aubagne, au pied du massif du Garlaban. Le jazzman et compositeur pour le cinéma Michel Legrand ouvrira le bal ; suivront Alphonse Cemin, Damien Pass et Léa Trommenschlager, lauréats de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence au répertoire alliant opéras et comédies musicales, ainsi que le tango argentin d’Orquesta Silbando ; enfin, le duo Jacky Terrasson / Stéphane Belmondo interprétera ses ballades jazzy.

Fiest’A Sète

Betty Argo © Vincent Ducarne

J. Terrasson et S. Belmondo © Ph. Levy-Stab

Les Musicales de la Font de Mai

La 21e édition du festival Fiest’A Sète se prépare à offrir quatorze concerts de musiques du monde dans le splendide amphithéâtre à ciel ouvert du Théâtre de la Mer. S’y retrouveront, entre autres, Roberto Fonseca, Seun Kuti, Roy Ayers, Dhafer Youssef, Leyla McCalla, Natacha Atlas… Mais c’est aussi : des concerts gratuits dans les villes situées autour du Bassin de Thau, des séances de cinéma musical, des ateliers jeunes publics, des stands de cuisine du monde et des before et after sur la plage et des expositions !

Bouzigues, Montbazin, Abbaye de Valmagne, Mèze, Frontignan : les rives de l’étang de Thau sont à nouveau le décor de la 27e édition de ce festival musical citoyen et engagé. Mêlant découvertes et valeurs sûres, il accueille Bernard Lavilliers, Asaf Avidan, Gaël Faye, mais aussi des groupes régionaux -Ndobo Emma, Betty Argo, Scotch & Sofa...- et les coups de cœur que sont, entre autres, Grèn Sémé et Waed Bouhassoun. Et comme toujours, les organisateurs ont œuvré dans un esprit de développement durable pour en faire un festival éco-responsable.

28 au 31 juillet Le Domaine de la Font de Mai, Aubagne 04 42 03 49 98 tourisme-paysdaubagne.fr

17 au 25 juillet Étang de Thau 04 67 18 70 83 festivaldethau.com

Les Nuits du Château de La Moutte

Le Midi Festival est de retour à Hyères. Pour cette 13e édition, douze concerts qui embrassent les styles musicaux allant du rock à l’électro sont programmés : Jae Tyler, Drugdealer, Vagabon, Smerz... L’ambition récente de mettre à l’honneur des artistes français chantant dans leur langue se poursuit avec la venue de Fiskback, Petit Fantôme, François and the Atlas Moutain, Malik Djoudi... Pour les noctambules, rendez-vous au Midi Night, route des Marais, où se produiront DJs et nouveaux talents de la scène électro. 21 au 23 juillet Villa Noailles et Route des Marais, Hyères 04 89 95 51 61 midi-festival.com

22 juillet au 7 août Divers lieux, Sète 04 67 74 48 44 fiestasete.com

LeZ’Arts Ô Soleil Pour cette troisième édition, la philosophie de la manifestation reste la même : mêler musiques du monde et musiques actuelles. En trois jours, huit concerts vous feront voyager de la Jamaïque à la Finlande en passant par l’Inde. Pablo Moses, Louis Winberg et Jaleo, Le Syndicat du Chrome, Nazar Kan, We Are Birds, Don Billiez, Mona, Les Frères Smith se relaieront dans la cour de l’historique château de la Tour d’Aigues. 17 au 19 juillet Château de La Tour d’Aigues 09 50 13 18 36 lezarts-o-soleil.com

Piano Romantique © JL Chaix

Roy Ayers © X-D.R.

À la Villa Noailles, 2016 © Sebastien Hirel

Midi Festival

Les Nuits du Château de La Moutte reviennent à Saint-Tropez. Sur la plage, dans la Palmeraie ou la cour du château, cette 12e édition propose un programme de musiques classiques et jazz de qualité, avec notamment le Quintette vocal non dénué d’humour Cinq de cœur ; les pianistes Khatia et Gvàntsa Buniatishvili, François-René Duchâble et Nelson Freire ; l’union des rythmes cubains et africains de Richard Bona & Mandekan Cubano et un concert d’exception rassemblant cinq des meilleurs jazzmen français (L. Perez, T. Bramerie, J. Terrasson, L. et S. Belmondo). 1er au 13 août Château de La Moutte, Saint-Tropez 04 94 96 96 94 lesnuitsduchateaudelamoutte.com


25—29 juillet, plage du Prado

Mucem Plan B

1—5 août, fort Saint-Jean

Concerts, spectacles, balades sonores, performances, contes, jeux, pique-niques et surprises en plein air.

L’Impératrice Juniore Adam Naas Last Train Cotton Claw Fhin Superpoze etc.

De la plage au musée, de l’apéro aux expos !

Mucem.org

Esplanade du j4, 7 promenade Robert Laffont, 13002 Marseille


34 critiques musiques

plus de musiques sur journalzibeline.fr

Pépites de juin Aix en Juin, ce prélude l’accordéon de Dimos Vougioukas, la guitare de Benjamin Clement, le au Festival d’Aix, a pris violon et la voix de Tcha Limberger. l’ampleur d’un festival Exceptionnel ! avec ses particularités, La jeunesse en marche et ses rendez-vous La magie se glisse ensuite dans les cordes frappées ou frottées du Trio Sōra, le piano éclectiques de Pauline Chenais, le violon de Mag-

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n a ainsi pu applaudir dans l’écrin de la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède le Chœur multiculturel Ibn Zaydoun, composé d’amateurs passionnés, arabophones ou pas, émanation directe du Festival d’Aix-en-Provence, et fondé en 2008 par le compositeur, chanteur, oudiste, Moneim Adwan. La verve des chanteurs, la justesse des intentions, la beauté des voix solistes, tout concourt à la découverte des textes des grands poètes, Bayram al-Tounsi, Khalil Gibran, Mahmoud Darwich, Ibn al-Arabî, mis en résonnance avec oud, clarinettes, percussions. Compositions originales, chants traditionnels, ornements délicats, « comme un rêve éclos dans le désert »… Délectation de la musique grecque des années 20, avec le Trio Tatavla qui s’inspire avec une époustouflante vérité du son des vieux disques des chanteurs de rebétiko, particulièrement celui d’Antonis Dalgas : musique des Grecs d’Istanbul, de Mytilène, zeibékiko, sirto, hasapiko… à la rencontre des klephtes, des mangas, d’histoires d’amour ou de drogue, par la grâce de

dalena Geka et le violoncelle d’Angèle Legasa, entre violence contenue et intériorité, ancrant les figures mélodico-rythmiques du tango dans les pas d’un couple de danseurs. On voyage à Buenos Aires, enlevés par ses Quatre saisons déclinées par Astor Piazzola, puis par le superbe Trio n°2 de Mauricio Kagel. La danse de Justine Wisznia et de Benoît Robisson, prélude à la Milonga, entraîne après le concert tous les danseurs du public encadrés par Geneviève Sorin. Le Trio Sōra et le Quatuor Arod -quatre garçons dans le vent brisant le silence de la cour dans les figures mélodiques endiablées d’un Mendelssohn-, ont montré, par leur enthousiasme, leur énergie, leur excellent niveau technique, que la relève est bien là et laissent augurer un avenir musical radieux. MARYVONNE COLOMBANI ET CHRISTOPHE FLOQUET

Aix la lyri La vérité n’est pas une plaisanterie… … ni un conte. « Soyez-en certains, jamais de ma bouche n’est sorti autre chose que la plus pure des vérités », déclare le directeur de la troupe (le baryton Stéphane Degout), narrateur de l’histoire de Pinocchio dans sa version d’opéra, composée par Philippe Boesmans sur le livret et la mise en scène de Joël Pommerat (à partir de sa pièce éponyme fortement réduite). Création mondiale en ouverture du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, ce Pinocchio est une merveille d’équilibre entre texte, musique, jeu des personnages et un décor en épure où les lumières d’Éric Soyer offrent de somptueux tableaux (la mer, le ventre de la baleine), tandis que l’usage de la vidéo (Renaud Rubiano) en noir et blanc double sur un autre plan certaines scènes, ou met à distance l’horreur de la pendaison du pantin. La cruauté du récit fondateur de Collodi est là, ainsi que sa dimension de parcours initiatique : le pantin de bois (magnifique Chloé Briot) doit affronter les masques du monde : les escrocs, les vendeurs d’espoir, les injustices des institutions

Un destin de papier !

Aix en Juin s’est déroulé du 7 au 30 juin à Aix-en-Provence Trio Sōra © X-D.R.

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ertains metteurs en scène se mettent en scène, Simon McBurney a choisi de mettre en scène la musique de Stravinski : The Rake’s Progress. Véritable archéologue, sémiologue, philologue, McBurney s’est transformé en exégète pour faire surgir le monde de l’œuvre. Et ce monde, tel que l’a imaginé le compositeur russe à travers l’histoire de Tom Rakewell, il l’a glissé sur un décor de papier blanc. Vierge, froissé, lacéré, déchiré, le papier se transforme, vit, à la vitesse de la chute de Rakewell qui sombrera dans la folie. Sur ce mur blanc sont projetées des images : du paysage bucolique à la ville en fusion, les événements s’enchaînent à toute vitesse à l’instar d’un monde en pleine décadence. Car la date de composition de l’opéra, 1947, trahit le regard qu’a porté le génial Stravinski sur l’Histoire et sur la capacité de l’homme à se détruire. La partition est un palimpseste, réponse du compositeur à l’histoire par la fin du progrès formel : la prise de


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que

Le Festival d’Aix se poursuit jusqu’au 22 juillet, et les premiers retours sont enthousiasmants

« Passion prédominante... »

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Pinocchio, Joël Pommerat © Patrick Berger

cela, découvrir l’altérité, apprendre que la contrainte de l’école libère, comme le suggère la merveilleuse fée (la soprano colorature Marie-Ève Munger), et que la vérité des êtres est sans doute l’essentiel… MARYVONNE COLOMBANI

Pinocchio a été donné au GTP les 3, 7, 9, 11, 14

à venir le 16 juillet, Théâtre de l’Archevêché, à Aix 0820 922 923 festival-aix.com

The Rake’s Progress © Pascal Victor

qui devraient représenter la droiture, avant de retrouver son père (Vincent Le Texier) et devenir un vrai petit garçon. La partition inventive, qu’interprète le Klangforum Wien dirigé par Emilio Pomaricio, joue de tous les registres, légèreté et profondeur se conjuguent, distillant émotion, humour, ironie, tendresse, verve gouailleuse avec un égal bonheur, glisse des clins d’œil à d’autres airs, Mignon d’Ambroise Thomas, une chanson de prison d’un rébétiko (avec l’intrusion du violon tzigane de Tcha Limberger et l’accordéon de Philippe Thuriot), les volutes échevelées du saxophone de Fabrizio Cassol… Pinocchio, c’est aussi

Kyle Ketelsen, sublime Nick Shadow, en passant par Paul Appleby dans le rôle principal de Tom Rakewell, Andrew Watts, excentrique Baba la Turque, mais aussi le chœur English Voices, et l’Orchestre de Paris admirablement dirigé par Eivind Gullberg Jensen-, ce Rake’s Progress aixois restera une version d’anthologie !

as de tapageuse controverse à l’issue de la première de Don Giovanni : on applaudit volontiers la production. Jean-François Sivadier connaît Don Juan jusqu’au bout de ses vers et passe de Molière à Mozart sans réécrire le mythe. Le mot « Libertà » qu’il trace, en lettres de sang sur le mur qu’on brise au fond de la scène, reste dans les limites du respect du texte et de ses auteurs. Pour peu qu’on adhère à une mise en scène qui « brise le quatrième mur », d’un spectacle qui se « construit à vue », on apprécie les qualités de ce Don Giovanni, l’énergie qui s’en dégage, sa scénographie comportant des images frappantes. Le plateau, jeune, est emmené par maître et valet dans une danse effrénée qui trouve son aboutissement morbide lors de la fameuse scène du Commandeur (puissant et spectral David Leigh). À l’image du Christ, le libertin est sacrifié sur l’autel d’un perpétuel retour à l’ordre moral. Philippe Sly (Don Giovanni) adopte une émission surprenante dans les scènes de séduction, dé-timbre son baryton, brise la ligne habituelle du legato : sa voix est glaçante, dès la scène initiale du meurtre traitée en étreinte macabre. Le « catalogue » de Leporello (Nahuel di Pierro, excellent valet de comédie) s’enlumine d’un ciel d’ampoules colorées (Philippe Berthomé) figurant la constellation des conquêtes déclinées à Elvira (Isabel Leonard). Cette dernière, particulièrement émouvante dans son récitatif du 2e acte, est accompagnée d’une camériste figurant cette « jeune débutante », chère au séducteur, qu’il se réserve au banquet final ! Le plateau s’enrichit du soprano puissant d’Eleonara Buratto (Anna) qui prend le pas sur son partenaire Pavol Breslik (Ottavio) aux intonations pas toujours parfaites. Krzysztof Baczyk donne de la prestance vocale et scénique à Masetto et Julie Fuchs incarne une Zerlina fraîche et délicieusement espiègle. Le tout est dirigé au cordeau par Jérémie Rhorer, aux sons des instruments d’époque du Cercle de l’Harmonie. JACQUES FRESCHEL

CHRISTOPHE FLOQUET

possession de modèles musicaux anciens, figés, dans lesquels le compositeur, au faîte de sa période néo-classique, a insufflé sa personnalité. Car le style du créateur est là, tant dans ses déviations harmoniques, ses couleurs d’orchestre boisées d’une tendre âpreté que dans son écriture rythmique. Servi par une distribution remarquable -les chanteurs, de Julia Bullock, Ann Trulove, à

The Rake’s Progress a été donné au Théâtre de l’Archevêché les 5, 7, 11 et 14 juillet

Don Giovanni a été donné au Théâtre de l’Archevêché les 6, 8, 10, 13 juillet

à venir à venir le 18 juillet, Théâtre de l’Archevêché, à Aix 0820 922 923 festival-aix.com

le 15, 17, 19 & 21 juillet Théâtre de l’Archevêché, à Aix 0820 922 923 festival-aix.com


36 critiques spectacles

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Premiers retours du In

Les petits garçons à l’œuvre

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e projet de Robin Renucci, dorénavant directeur des Tréteaux de France, est dans le droit fil de ce qu’il a entamé dans son sublime village corse : il donne en partage, simplement, le théâtre, auprès des jeunes, des amateurs, des provinciaux, des éloignés. Son montage de textes, accompagnés avec virtuosité de piano romantique, passe de Valéry à Gary, de Rimbaud à Proust, et l’on prend un plaisir réminiscent à écouter ses textes qui disent comment les petits garçons deviennent écrivains, poètes, poussés par le désir plus ou moins bienveillant de (et pour) leur mère, leurs grandes sœurs, la voisine. Les textes sont magnifiquement nuancés par un Robin Renucci débordant d’émotion contrôlée, et de douceur. On voyage avec lui, et pourtant... Nous, ex-petites filles, alimentées par une éducation nationale qui n’a jamais daigné inscrire une auteure au programme du bac, ne pouvons oublier comment nous avons dû pour aimer la littérature revêtir, malaisément, le costume autobiographique impropre des garçons. Et comment nous nous sommes enfin senties femmes en littérature en lisant Sarraute, George Sand, Colette, et plus tard Annie Ernaux, Toni Morrison, Virginia Woolf ou Elena Ferrante. Le projet d’amener la littérature vers les scolaires ne peut pas continuer à faire croire aux petites filles qu’elles n’ont jamais été « à l’œuvre »... Le discours féministe d’Olivier Py est tout aussi déroutant que la bonne foi borgne de Robin Renucci. Le directeur du Festival programme des metteurEs en scène en nombre pour la première fois depuis 1947, mais dans des jauges si petites que quelques centaines de spectateurs, sur les 120 000 du In, verront les créations d’Ambra Senatore ou Dorothée Munyaneza. Les images de femmes que le public a pu voir sur scène durant les premiers jours du Festival sont des créations masculines. Comme les personnages féminins des Parisiens. La dernière pièce d’Olivier Py, adaptée de son roman, ressasse ses obsessions, ses figures, sa joie. Le jeune metteur en scène homosexuel, le ministre de la Culture libidineux, le mystique,

Les Parisiens, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage

ceux qui veulent devenir directeur et… les femmes qui les entourent. Sans aucune ambition artistique, hors celle d’être actrices. Celles qui veulent changer le monde mènent des intrigues de couloir, ou défendent le droit à la prostitution comme révolution symbolique. « Etre femme c’est politique ». « On ne naît pas femme, on le devient ». Certes, mais homme aussi, cisgenre ou pas. Tout cela se construit, par volonté et par désir... En dehors de ce discours féministe mal cadré, Les Parisiens ne déclenchent ni enthousiasme ni scandale. De la lassitude plutôt : habitués

depuis des années à la langue flamboyante de l’auteur, à ses enflures parfois sublimes et parfois indigestes, à ses personnages queers, trans, gays, à sa recherche de la transcendance par l’avilissement, à ses comédiens hors du commun, à l’inventivité géométrique et baroque de son scénographe/ costumier/musicien Pierre André Weitz, on entend la même histoire, en se disant qu’il faudrait aujourd’hui qu’il regarde ailleurs. Loin de l’entre-soi culturel qu’il honnit mais poursuit de sa vindicte, et nous propose année après année, dans les soubresauts d’un monde qui se noie et dont son Festival rend compte pourtant, avec ténacité et intelligence. AGNÈS FRESCHEL

Les Parisiens se joue à La Fabrica jusqu’au 15 juillet, L’enfance à l’œuvre au collège Anselme Mathieu jusqu’au 26 juillet

Visiter le théâtre

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atie Mitchell, dont on attend Les Bonnes avec impatience, propose avec Five truths une installation vidéo qui explore les Vérités du théâtre du XXe siècle à partir de la scène de la folie d’Ophélie d’Hamlet. Sur dix écrans elle a recréé les univers de cinq grands dramaturges et théoriciens du théâtre, Stanislavski, Artaud, Brecht, Grotowski, Brook, mis en boîte, noire, immersive, réfléchissante, où on plonge durant quinze minutes. Ou davantage, si l’on veut s’attarder à chaque univers. Le regard passe d’un écran à l’autre, où la même comédienne crie de douleur, perd le sens, chantonne, se noie. Le visiteur flotte avec elle dans l’espace de ces Cinq visions, cinq vérités... Un hommage vibrant au théâtre, à ceux qui le font, et au magnifique personnage de la folle Ophélie. FRED ROBERT Five Truths, jusqu’au 30 novembre à la Maison Jean Vilar, Les Bonnes se jouera du 16 au 21 juillet à L’Autre Scène, à Vedène, dans le cadre du Festival d’Avignon


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Rituels

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emi Ponifasio met en scène un groupe de huit Samoanes fascinantes, dans un rituel sacrificiel. Psalmodiant, chantant, criant, faisant danser des balles et leurs corps, elles se mettent à nu, dans un acte ultime où il est question de souffrance et de mort, mais qui reste obscur. Très beau, archaïque dans ses évocations et contemporain dans sa mise en lumière, en lenteurs et en symboles, Standing in time semble volontairement indéchiffrable : les paroles ne sont pas traduites, la feuille de salle est ésotérique, et on ne sait ce que représentent les personnages et quelle histoire elles racontent. Il en va tout autrement d’Antigone de Sophocle, mis en scène par Satoshi Miyagi, qui triomphe dans la Cour d’Honneur. L’entreprise de monter du théâtre antique, fondement de nos mythes européens, en empruntant aux traditions japonaise et vietnamienne, en particulier au Kabuki, au théâtre d’ombre ou sur l’eau, pouvait paraître étrange. Elle est d’une pertinence inattendue. Dans ce rituel bouddhiste réinventé tous les éléments du théâtre grec -les chœurs, et la musique, l’alternance des scènes de groupe, des dialogues, stichomythies et tirades- retrouvent sens et beauté, et le théâtre l’épaisseur rêvée des mythes. La Cour d’Honneur, habitée d’une spiritualité nouvelle, résonne d’un discours sur le bien et le mal, le pardon, l’innocence retrouvée des morts, l’orgueil de Créon qui

Antigone, Satoshi Miyagi© Christophe Raynaud de Lage

veut faire la loi, l’orgueil d’Antigone qui pense être l’outil des dieux. Chaque personnage, incarné par un corps et une ou plusieurs voix, dépasse son enveloppe individuelle, devient une figure, une ombre projetée sur l’immensité du mur. Du chœur habillé de blancs translucides, portant à la fois armure et kimono, surgissent les caractères, maquillés et coiffés, individus un temps puis retournant vers la communauté chorale. Vers la cérémonie théâtrale retrouvée, loin de nos scènes classiques, et transcendance unanimiste de notre théâtre contemporain. Lors de la première, hommage était rendu à Pierre Henry disparu ce jour-là, et à sa Messe pour le temps présent créée dans la Cour 50

Fantômes

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ierre-Yves Chapalain propose aux enfants un voyage terrifiant, où il est question d’adolescentes en proie à des désirs inexpliquées de chair fraîche et sanglante, parce que le creux de leur estomac change et gronde... Les acteurs jouent l’excès du monstre, loin du réalisme, et le quotidien évoqué glisse peu à peu vers les effrois du conte. Les enfants suivent les non-dits, apprivoisent leurs peurs intimes nées d’une attention à leurs corps changeants. Et cette histoire d’amitié entre filles finit bien, comme il se doit. Le fantôme de Tiago Rodrigues est plus théâtral : une souffleuse mène le jeu, guide les acteurs, incarnations des personnages qui ont peuplé un théâtre désaffecté. Amour de Tchekhov, de Molière, du jeu qui se mêle à la vie, de la peur de la perdre, et de passer à côté de l’amour... tout murmure dans ce Souffle (Sopro), les comédiens formidables qui sont à la fois eux-mêmes, les acteurs de la pièce,

et les personnages évoqués dans les extraits rappelés. La jolie perméabilité des univers, l’adresse au public, la langue portugaise qui décidément sonne si bien, la complicité avec la « vraie » souffleuse qui ne cesse de susurrer le texte et d’indiquer les places, même à celles qui l’incarnent -c’est sa vie qui est racontée- font de ce Sopro un moment théâtral virtuose et léger, nostalgique et maîtrisé... Un spectacle que l’on aura l’occasion de voir dans la région, puisque le directeur du théâtre national de Lisbonne est étrangement coproduit par ExtraPôle. (À l’heure où les compagnies régionales désargentées crient à l’asphyxie, peut-on sans soupçon de poujadisme nauséabond suggérer que l’argent public régional serve à les aider à produire ?)

ans auparavant. Ce théâtre-là, venu du bout du monde, revient vers nous abreuvé à la source de notre culture occidentale, commune jusqu’au Soleil Levant. Mais qui gagnerait à se nourrir d’Orients... A.F.

Antigone et Standing in time ont été créés les 6 et 7 juillet

Femme noire

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hristiane Taubira et Anne-Laure Liégeois, programmées dans le feuilleton théâtral de l’année, font jardin comble. Des centaines de spectateurs sont restés hors du Jardin Ceccano dès le premier jour. Parce que le spectacle gratuit attire les foules comme les deux années précédentes, et parce que Christiane Taubira est décidément une grande dame. Son discours inaugural prévenait : il sera question de migrants, de femmes, de noirs, de misère sociale, de notre humanité commune, des graines qui persistent à germer, de ce qui va changer. Si l’on en croit la foule qui suivait ses mots dans l’inconfort d’un jardin caniculaire et surpeuplé, applaudissait chacun des textes choisis et lus avec fougue par les comédiens, nous sommes nombreux à vouloir vivre dans une autre société, libre et sans peur, égale et accueillante. Cette parole, littéraire, révoltée, politique, rassembleuse, vient d’une femme noire. Qui peut penser à un hasard ?

A.F.

Où sont les ogres ? et Souffle (Sopro) ont été créé les 6 et 7 juillet

A.F.

Le feuilleton On aura tout se poursuit quotidiennement jusqu’au 23 juillet, à midi, au jardin Ceccano


38 critiques spectacles

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Premiers retours du Off

Les profs, Dieu et le théâtre Dieu est mort... © Compagnie du Grand soir

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ans son spectacle Dieu est mort. Et moi non plus j’me sens pas très bien ! l’auteur-acteur Régis Vlachos interprète plusieurs séquences de la vie d’un homme : un petit garçon affrontant sa mère croyante et un fils

rejetant son père médiocre, un jeune homme amoureux et un autre endeuillé par la mort de sa sœur, un homme en séance d’analyse et enfin un professeur. Des questionnements singuliers émergent de ces époques distinctes, mais tous aboutissent à une même provocante conclusion : comment peut-on encore croire que Dieu existe ? Créée après les attentats de Charlie Hebdo, la pièce est un cri de colère sublimé par un humour (im)pertinent que l’on retrouve aussi bien dans le texte que dans la mise en scène. Recourant à la déconstruction philosophique, l’auteur interroge la foi en Dieu autant qu’il crie le droit de ne pas y croire. Car la confrontation avec des lycéens guidés par la croyance interroge sur la possibilité de tenir, aujourd’hui, devant des élèves, des propos athées, Nietzschéens. Est ce pour cela que ce prof de philo est devenu auteur et comédien ? Rappelons aux censeurs de la pièce, comme il le signale lui-même, que c’est en empêchant la diffusion de ce type de messages que toute la place est laissée à d’autres, beaucoup moins drôles... qui ne nous proposeront jamais un tel cocktail jouissif d’humour, d’autodérision, de truculence, d’intelligence, de sensibilité !

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téphane, professeur d’histoire de 48 ans, s’interroge en trois tableaux successifs sur sa place dans la société. Il est d’abord confronté à un adolescent qui puise les arguments de sa contestation dans les théories complotistes véhiculées par Internet. Puis un journaliste, avec une vision caricaturale des jeunes de banlieue, lui demande d’aller à leur rencontre pour en brosser le portrait. Enfin, un metteur en scène le dirige quand il décide de s’essayer au métier d’acteur. Mais Stéphane se laisse submerger par son propre nihilisme... Les acteurs Raphaël Almonsi et Côme Thieulin, justes et sincères, portent Contagion, texte dans lequel François Bégaudeau aborde les interrogations liées aux attentats. Avec sobriété et profondeur Valérie Grail met en scène ses doutes, noue les trois tableaux décousus et nuance un propos parfois trop entier... CAROLINE GÉRARD

Contagion au Théâtre Artéphile, à 16h10, jusqu’au 28 juillet (relâche les mercredis) Dieu est mort. Et moi non plus j’me sens pas très bien ! au Théâtre des Barriques, à 19h30, jusqu’au 30 juillet (relâche les mardis)

FAUSTINE AUPAIX

Révérence littérale les mots de rythmes, sans nuances autres que celles du silence et des accélérations. On comprend le parti pris, extrémiste, mais qui prive le spectateur des qualités particulières de ce comédien d’exception : son énergie, sa rage, son corps dansant, son regard qui vrille. Trop de révérence littérale, née de l’admiration, éteint toute vie dans ce texte d’avant la mort, qui a besoin d’être animé pour être entendu... AGNÈS FRESCHEL

Cap au pire au Théâtre des Halles, à 22h, jusqu’au 29 juillet (relâche les lundis)

Cap au pire © iFou pour Le Pôle Media

C

ap au pire de Samuel Beckett est un texte ultime. Une longue logorrhée, sublime, sans incarnation, sans trajet narratif, vers l’extinction. De tout : d’une mèche, du désir de vie, du geste, de la perception. La construction du texte est fondée sur une boucle qui se répète, se raccourcit, introduit peu à peu de nouveaux éléments, des silhouettes, qu’elle abandonne. Le pire est là, dans l’extinction. Jacques Osinski met en scène Denis Lavant dans un carré de lumière, totalement immobile, tête baissée, privé même du regard. Le comédien tient magnifiquement le cap de ce rien qui advient. Il ne bouge pas, dit le texte, anime


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« Tu es morte pour que j’écrive » Réapprendre à vivre

L’Autre fille au Théâtre Artéphile, à 12h40, jusqu’au 28 juillet (relâche les mercredis)

De l’art du lapsus

J

ean-Daniel Magnin signe et met en scène une comédie grinçante aux rouages parfaitement huilés, Dans un canard. Voilà le protagoniste et narrateur de la pièce, Donald Leblanc, simple stagiaire, désigné Dans un canard © iFou pour Le Pôle Media pour prononcer l’allocution funèbre de l’ex-patron placardisé, retrouvé attaché à son scooter au fond du canal. Son lapsus entre canal et canard va faire le buzz des réseaux sociaux et le propulser à un poste de cadre à la place de Niels (Éric Berger), son chef de service qui menace : « maintenant tu es dans ma killbox ». Notre Candide, Quentin Baillot, touchant et gouailleur, découvre les cruels engrenages de l’économie d’aujourd’hui en une série de vignettes parodiques. Le microcosme de l’entreprise, parabole d’une société inhumaine menée par les principes de la loi du marché, est épinglé avec une verve comique et glaçante. L’individu réifié n’est plus qu’un élément, utile ou pas. Dans le deuxième cas, son élimination est nécessaire… L’ascenseur central de l’efficace scénographie en est un évident symbole. Emeline Bayart et Manuel Lelièvre endossent avec aisance une foule de personnages. Les quatre acteurs jouent avec justesse et intelligence une partition délicate. M.C.

Dans un canard au Théâtre des Halles, à 14h, jusqu’au 29 juillet (relâche les lundis)

AdaAva, Manual Cinema © Vertical

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ui connaît et apprécie l’auteure Annie Ernaux ne peut passer son chemin devant L’autre fille, la pièce mise en scène par la Cie Nutritive, jouée avec délicatesse par Laurence Mongeaud. Le spectacle, tiré de la lettre éponyme que l’écrivaine a écrit à sa sœur décédée avant sa propre naissance et demeurée cachée, est saisissant. Le texte qui s’interdit faux-semblant et hypocrisie, ne rejette ni haine ni jalousie envers cette morte devenue sainte aux yeux des parents, « plus gentille » que la vivante. La mise en scène sert l’intensité, la profondeur et la lucidité du texte d’Annie Ernaux. La scénographie est sobre et évolue à l’aide de livres aux couvertures neutres dont la fonction change jusqu’à devenir pierre tombale. La comédienne, juste, sensible, habitée par le rôle, emplit la scène de sa présence. Elle est cette autre fille, la vivante. Ecrire sur l’absence pour mieux s’emparer de la présence, et découvrir que non seulement notre naissance est due à la mort du premier enfant, mais que toute notre vie est le résultat de ce malheur... Confrontés à l’enfance, l’identité, le deuil, la religion et l’impact des non-dits, l’émotion nous attrape, nous secoue et ne nous lâche plus. F.A.

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our la première fois en France, la Cie Manual Cinema de Chicago propose un spectacle envoûtant d’une rare finesse. Une histoire tendre et triste : Ada, septuagénaire, vient de perdre sa jumelle, Ava. Douleur, refus de perdre l’autre, souvenirs de disputes d’enfance et de réconciliations, quête dans les méandres d’une fête foraine, au cœur d’un jeu de miroirs, jusqu’à, nouvel Orphée, ramener l’autre, mais la mort reprend ses droits… Peu à peu Ada réapprend à vivre, l’absente reste bien reflet du passé, et la complicité avec les souvenirs devient une force. Mais l’essentiel n’est pas là. La magie réside dans la manière silencieuse de conter. La salle est plongée dans la pénombre propice à l’éclosion des rêves et de la magie. Sur un écran sont rétroprojetés décors, images, marionnettes, silhouettes des actrices. Tout se passe sur scène, on voit les manipulateurs/ trices s’affairer, les personnages prendre place, les instruments jouer, violoncelle, guitare, console, chant… et pourtant on se laisse prendre par le récit. On suit avec émotion le parcours d’Ada, enfant légère et insouciante, puis vieille femme désespérée, cherchant sa sœur dans les miroirs… Un pur enchantement ! MARYVONNE COLOMBANI

Ada/Ava au Théâtre du Chêne Noir, à 10h30, jusqu’au 30 juillet (relâche les lundis)

Brutalité captaliste

A

vec La violence des riches, pièce adaptée des travaux des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, la Cie Vaguement Compétitifs démontre la brutalité exercée par la classe dominante. Fraude fiscale, entre-soi, renversement idéologique et retournement linguistique : l’étendue de leurs armes n’est plus seulement économique, elle est aussi symbolique, sociale et politique. Documenté, le spectacle est conçu autour d’exemples issus du réel et l’alternance des points de vue -artistes s’interrogeant, sociologues analysant et riches s’organisant- permet de mesurer les multiples facettes du sujet. Les trois acteurs font évoluer leur jeu de la bouffonnerie au sérieux avec habileté. En perpétuel mouvement, le trio et le décor, constitué de bureaux et de cordes, donnent un dynamisme virevoltant à la pièce. Ce spectacle est dans la digne tradition de l’éducation populaire, où tout en s’informant le spectateur s’indigne autant qu’il sourit. Le travail des sociologues intéresse le monde des arts qui s’en empare de plus en plus. Serait-ce pour pallier le manque de relais dans les médias, détenus par des industriels, et de la part de nos élus, eux-mêmes issus de la classe dominante ? (Lire aussi sur journalzibeline.fr, l’entretien avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot) F.A. La violence des riches au Théâtre des Carmes, à 10h, jusqu’au 29 juillet (relâche les lundis)

Suite p.40


40 critiques spectacles

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De l’objectivité du hasard

À l’orée de l’âge adulte

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FRED ROBERT

Vingt ans et alors ! au Théâtre des Halles, à 14h, jusqu’au 29 juillet (relâche les lundis)

Un monde fatigué

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n autre spectacle interroge notre monde, ses conflits, ses impasses. Que faire ? de Michel Bellier, mis en scène par Joëlle Cattino, une fable philosophique et politique qui mêle habilement texte et musique dans un huis clos aux accents absurdes le plus souvent réjouissants. Ils sont sept qui se sont retrouvés là dans cet Hôtel Utopia aux faux airs d’Hotel California. Un palace oublié aux confins d’un monde assiégé. Difficile d’en sortir ; alors autant tenter d’y inventer une espèce de communauté de quelques-uns. On s’y réunit, on y chante, on y débat, on y lit, on s’y partage les tâches, dans une ultime tentative de donner du sens à l’existence humaine. Et cela fonctionne finalement, en dépit des différences... Utopie ? Oui sans doute. Mais qui fait du bien. Et que les comédiens-musiciens portent avec une belle énergie. F.R.

Que faire ? © Gregory Navarra

Que Faire ? au Théâtre des Carmes, à 17h, jusqu’au 30 juillet (relâche les lundis)

L

e titre de la pièce de Jean-Christophe Dollé Handball, le hasard merveilleux, mise en scène par Laurent Natrella, s’inspire d’un terme propre au monde des illusionnistes : le hasard est merveilleux lorsqu’il s’agit d’un fait possible mais improbable. Le ressort théâtral qu’est le hasard ainsi justifié, l’invraisemblable peut se produire : Sylvie, l’entraîneuse de l’équipe de hand d’Aubervilliers revient pour un match à Constantine que sa famille a dû quitter en 1962 à la fin de la guerre, y retrouve sa tante perdue de vue, mais aussi des souvenirs tendres ou terriblement tristes d’une éducation à la claque. Le match catastrophique au départ est le début d’une entente entre les peuples, initiant une réconciliation où les êtres ne se définissent plus par leurs appartenances religieuses, mais par le simple fait d’appartenir à l’espèce humaine, pouvons-nous y croire ? Comme nous en avons envie ! Match prévu en 2030 ! Seule en scène, dans les subtils effets d’ombre et de lumière des magiciens de la Cie 14:20, Brigitte Guedj irradie. Sa présence lumineuse semble capable de transformer le monde, de le débarrasser des étroitesses et des préjugés. Utopie ? Vive le merveilleux ! Handball, le hasard merveilleux © Christophe Raynaud de Lage

ap sur le théâtre des Halles pour Vingt ans et alors ! Les quatre jeunes comédiens emmenés par Bertrand Cauchois s’inspirent librement d’un texte de Don Duyns pour questionner, le temps d’un abécédaire mené tambour battant, le monde (tel qu’il ne va pas), les idéaux (ou ce qu’il en reste), les émotions, les sentiments de cette génération qu’on appelle Y, ce qui en anglais se prononce Why comme pourquoi. A comme Action, F comme Friends, I comme Il faut (donner un sens à notre vie), K comme K-way jaunes, T comme Tuto, au total vingt-six courtes scènes, certaines vraiment réussies, d’autres plus convenues, qui toutes illustrent le mélange d’aspirations, d’humour cynique et de désarroi de ces jeunes à l’orée de l’âge adulte.

MARYVONNE COLOMBANI

Handball, le hasard merveilleux au Théâtre du Rempart, à 16h10, jusqu’au 30 juillet

Parmi les spectacles programmés cet été au Festival Off, voici ceux dont vous pouvez (re)lire nos critiques sur journalzibeline.fr : Halles : Dans la solitude des champs de coton, mes Alain Timar (17h) ; F(l)ammes, mes Ahmed Madani (11h) Chêne Noir : Migraaaants, mes Gérard Gélas (17h15) Balcon : J’ai soif (17h15) et PompierS (13h45), mes Serge Barbuscia ; Les règles du savoir vivre dans la société moderne, mes Agnès Régolo (15h30) Carmes : Comment va le monde ?, mes Michel Bruzat (11h45) Artephile : Fille du paradis, mes Ahmed Madani (18h15) La Condition des soies : La Religieuse, Collectif 8 (17h15) L’Entrepôt : Face à Médée, mes François Cervantes (17h20) ; C’est bon, alors, j’irai en enfer, Cie Peanuts (21h30) ; La Chapelle Sextine, mes Jeanne Béziers (21h30) Gilgamesh : Prison Possession, mes François Cervantes (12h25) Espace Roseau : Jeanne… pour l’instant, mes Claire Massabo (12h30) ; Et l’acier s’envole aussi, Théâtre du Maquis (21h05) Théâtre de la Rotonde : 8h30, rue des écoles, Le Pas de l’oiseau (18h) Maison Pour Tous Champfleury : La Grenouille au fond du puits croit que le ciel est rond, Cie du Vélo Théâtre (18h)


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L’Été Danse ose le grand écart

Nativos, chorégraphie de Ayelen Parolin © Mok Jinwoo

Dans la vie du festivalier avignonnais, l’Été danse au CDC Les Hivernales est une journée particulière. Dense, intense et jubilatoire, en sept propositions quotidiennes

T

out commence quand la cité papale est encore groggy. Yasmine Hugonnet réveille en douceur nos sens engourdis avec Le Récital des postures, concentré d’intensité chorégraphique. Recroquevillée au sol, visage enfoui dans sa chevelure, la chrysalide se transforme en papillon en d’infimes mouvements immobiles, mais pas seulement. Frottement des pieds, étirement des jambes, rotation du bassin, sa mise à nu délicate se déroule en un patient effeuillage qui transfigure la statuaire préhellénique en sculpture vivante empruntant à Isadora Duncan ses figures évanescentes. Plus elle se libère des postures figées, et plus elle s’abandonne avec audace, muscles relâchés sur demi pointes. Telle Samson elle tire force et puissance de ses cheveux qu’elle manie sans ménagement, vestale au feu sacré du bout des pieds à la pointe de ses mèches. Si Yasmine Hugonnet nous laisse rêveurs au bord de sa danse silencieuse, Ayelen Parolin nous apparaît comme un ovni illuminé. Une bombe à retardement. La chorégraphe argentine réactive son trio Hérétiques pour un quartet exclusivement masculin, accompagné par le percussionniste-chanteur Seong Young Yeo et Léa Petra au piano. Saisissante écriture qui métisse les genres (danse contemporaine, arts martiaux et danse traditionnelle coréenne) sous prétexte de raconter les prédications du dieu

aux cinq directions... Le rituel chamanique emporte les danseurs dans une transe fusionnelle qui trouve son apogée dans le retour à la case départ : avons-nous seulement rêvé ? Sous la carapace de leurs muscles bandés par une pression ininterrompue, leur précision technique et leur efficacité en font les interprètes hors pair d’une chorégraphie explosive. Autre transe avec People what people ? de Bruno Pradet qui lâche sa tribu sur le dancefloor au rythme d’une musique électro lancinante ! Dans ce processus de résistance ininterrompue, l’obsession répétitive du geste engendre ses propres failles : les échappées individuelles, merveilles d’accident et de dérapage. Le groupe se fragmente en électrons libres pour mieux revenir à la forme originelle (le noyau dur) après avoir traversé différents états de corps, de la poussée progressive des souffles et des halètements au geste suspendu, de la nervosité théâtrale chère à Pina Bausch à la marche en fanfare. Comme électrocuté, il enchaîne concerts de râles, voix, cris discordants et mouvements convulsifs qui nous laissent abasourdis.

(petit) pogo de Fabrice Ramalingom, déclinaison jeune public de My Pogo. Une leçon de danse ludique et généreuse qui fera mouche auprès de tous les publics au vu de l’accueil enthousiaste du CDC. Sa démonstration collective fait aimer la danse et comprendre comment elle s’invente, se construit, ensemble. Notion fondamentale pour le directeur de la compagnie Rama qui raconte en images, en corps et en paroles les mille et une manières de « faire danser son corps tous unis ». L’imaginaire fait le reste, qu’il convoque avec gourmandise et simplicité. Après son « danser ensemble », place au « vivre ensemble » de Naïf production. Le collectif a fait un tabac à Montpellier Danse avec Je suis fait du bruit des autres. Aux Hivernales où il est en résidence, le trio de danseurs-acrobates évolue masqué et cagoulé dans La Mécanique des ombres. Pantins reliés par des fils invisibles, ils se déplacent pareils à des aimants, tentent l’approche, dialoguent au sol, dans l’incapacité à se lever ; pris au piège d’un métronome au rythme immuable, il leur faut se défaire de la gestuelle robotique pour atteindre une fluidité plus humaine... Si notre attention se relâche sporadiquement, on reste hypnotisé par leur travail autour de la chute, de la répétition et du mimétisme qui vient d’être couronné par le prix Nouveau Talent chorégraphique 2017 de la SACD. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Unis, ensemble Ligne, rythme, direction, espace, placement, distance : les fondamentaux architectoniques d’un spectacle chorégraphique sont dans My

L’Été danse se poursuit jusqu’au 26 juillet au CDC – Les Hivernales


42 critiques arts visuels

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Sous les dessous chics, le monde A

rles a cette année un côté star. Presque Cannes. On peut s’y perdre, ou s’y trouver. Se demander pourquoi Audrey Tautou s’expose à Montmajour, mais voyager avec Annie Leibovitz (voir journalzibeline.fr), ses portraits de John Lennon ou de Mick Jagger, et d’anonymes étrangement familiers. S’étonner d’ailleurs que cette contre-culture américaine nous soit si proche. Et décider d’aller plus loin. Car Arles s’ouvre à tous les étrangers. Aux paysages glacés, et pourtant chaleureux, de Marie Bovo. À des photographes qui, tels des sismographes, captent les soubresauts de leur pays empêtré dans l’histoire passée et présente.

Focus (inter)nationaux De l’Iran à l’Amérique latine et à la Colombie en particulier, les deux thématiques en imposent par le nombre d’artistes et d’œuvres en présence. Tirages traditionnels, photo plasticienne, wallpapers, installations et vidéos multiplient les angles, entre désespoir, constat amer, révolte et parfois une certaine jubilation. À la chapelle Sainte-Anne, 64 photographes iraniens de la génération récente font face à leur histoire nationale depuis la révolution islamique de 1979. D’où le titre Iran, année 38. En enroulant un couple de jeunes adultes dans des tapis persans traditionnels, Babak Kazemi dénonce les prescriptions du pouvoir envers la population et notamment les jeunes générations. Azadeh Akhlaghi ressuscite les personnalités disparues et occultées par le discours officiel dans des sortes de reconstitutions mises en scènes.

Entre tradition et ouverture, d’autres photographes se tournent vers les problèmes cruciaux de l’environnement (eau, pollution…). Aux antipodes du globe, Latina ! englobe quatre expositions dont une importante monographie consacrée à Paz Errázuriz, corpus de Mathieu Asselin, David Baker, 65 ans, devant la tombe de son frère Terry. Terry Baker est mort à 16 ans d’ 150 tirages, de 1970 à nos jours Cimetière d’Edgemont, West Anniston, Alabama, 2012. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Rencont sur son pays, le Chili. Cette opposante à la pouvoir de l’image), Wilson Diaz (soldats des dictature Pinochet produit une photographie FARC se baignant), Clemencia Echeverri de rue plus rugueuse que la street photography (l’eau porteuse de mort)... nord-américaine, humaniste, engagée, comme Issue de la collection Leticia et Stanislas en témoignent ses photos de femmes délais- Poniatowski, avec 111 artistes, Pulsions sées, de prostituées, de travestis et autres urbaines compose une sorte de panorama hisparias (séries des Muňecas ou La manzana de torique des transformations de plusieurs villes Adán). La Colombie est à l’honneur à travers d’Amérique latine entre 1960 et aujourd’hui. une imagerie vernaculaire mise scène en tragi-comédie amère et baroque, La vache La jeune photographie et l’orchidée, deux symboles nationaux À l’Atelier de la mécanique, le Nouveau colombiens, et ¡Vuelta ! (activité illégale en Prix Découverte offre une vitrine aux talents argot local) propose une exploration du pays à de demain. Sur 200 candidatures, 10 ont eu travers 28 artistes plasticiens et photographes la faveur du jury qui les choisit comme phointerposés, sur fond de transformation sociale, tographes professionnels et reconnaît leurs violence et espoir de renouveau suite à accord singularités. La sélection s’est portée vers de paix. L’exposition s’appuie, en plus de la des formes multiples, qui révèlent pourtant photographie, sur des médiums diversifiés : des problématiques communes, et met en les reconstitutions historiques de Santiago avant un goût prononcé pour la mise en Forero, les photos de familles posant avec leur scène. L’accrochage linéaire cède ainsi la Renault 4 dans les années 70 collectées par place à des cohabitations de wallpapers, de Nicolas Consuegra, l’installation poétique tirages et projections au sol, frise panoramique, d’Andrea Acosta et un choix passionnant de plantes vertes ou décor quasi théâtral. Le vidéos et dispositifs multimédia de Nicolas parcours est accidenté et plaisant mais que Consuegra, José Alejandro Restrepo (le dit la photographie ?


43 Conflits, crises économiques, soulèvements politiques, tragédies (Carlos Ayesta & Guillaume Bression, Brodbeck & de Barbuat, Alnis Stakle) hantent la nouvelle vague, ainsi que le thème de l’environnement sacrifié, magnifié par Ester Vonplon. Le paysage, classique, est revisité par Juliette Agnel qui propose une échappée onirique dans ses Nocturnes, et Constance Nouvel qui inscrit ses Plans-reliefs dans le courant de l’abstraction géométrique. Tous mériteraient de voir leurs œuvres entrer dans la collection des Rencontres, mais tel n’est pas l’esprit d’une compétition !

Photographes enquêteurs

’une tumeur du cerveau et d’un cancer des poumons causés par l’exposition aux PCB. tres Arles

Norman Behrendt documente le phénomène de l’urbanisation galopante à Ankara autour de la construction des mosquées, et les difficultés économiques de la Turquie : « Nous avons besoin de plus de travail » peut-on lire au dos d’un des Polaroïds encadrés ou collés au mur. Même démarche documentaire avec l’enquête et l’analyse de Philippe Dudouit qui sillonne la zone sahélo-saharienne depuis 2008. Ses paysages et portraits des nomades autochtones dénoncent sans fard le sous-développement économique et la montée de l’intégrisme dans cette région du monde. Délibérément « manifestes », les diptyques de Mari Bastashevski ne laissent aucune place au doute : c’est une contre-enquête glaçante sur le State Business qui ne connaît plus de frontières, en Ouzbékistan ou à Washington DC. Ambiances anxiogènes, intérieurs oppressants, les puissances d’État régissent les affaires du monde… Le téléobjectif accusateur de Guy Martin met le visiteur en situation de surveillance dans son dispositif inspiré de l’histoire récente de la Turquie, depuis le Parallel State des années 50 à la présidence Erdogan.

On peut aussi prendre des chemins de traverse vers des expos moins fréquentées et plus engagées. Croiser le travail de mémoire encore avec la rétrospective Mathieu Pernot à la Maison des peintres qui fête les vingt ans de sa rencontre avec les Gorgan, célèbre famille rom d’Arles. De l’insouciance des premiers pas de la fratrie aux années sombres des vies d’adultes, une énergie folle se dégage des tirages noir et blanc de 1995 comme des images en couleur de 2015. L’accrochage d’une grande finesse se suffit à lui-même pour révéler leur sincérité partagée et leurs regards droits dans les yeux. Cette remontée du temps qui le lie aux communautés tsiganes se poursuit dans Survivances à l’Hôtel des arts de Toulon (jusqu’au 1er octobre). Sam Stourdzé a aussi fait le choix discret (trop ? ) d’exposer les désordres du monde : Niels Ackerman et Sébastien Gobert sont partis sur les traces de la décommunisation en Ukraine, qui déboulonne les statues de Lénine. Dont les bustes, les visages, les corps triomphants et les bras injonctifs s’entassent dans des coffres de voiture, au fond des jardins. Ou sont vindicativement détournés, Lénine figurant en clown, peinturluré ou transformé en Dark Vador. Les propos d’Ukrainiens désabusés et regrettant parfois un temps où ils avaient du travail, voisinent avec certains qui se réjouissent de la fin du culte de la

personnalité, et des clichés tronqués. Une autre fin de monde, et perte de mémoire, est à l’œuvre dans Un monde qui se noie de Gideon Mendel. Des portraits cadrés de victimes d’inondations majeures devant leurs maisons dévastées. Le photographe capte avec une acuité remarquable le désespoir rageur de chacun face aux dégâts des dérèglements climatiques. Des photographies détruites par l’eau sont aussi exposées, des bâtiments qui se reflètent dans des eaux tantôt miroir lisse réfléchissant superbement, tantôt liquide sale, opaque, peuplé d’ordures. Car nous ne sommes pas égaux face aux inondations : si certains en Angleterre ou en France y perdent jusqu’au plus irremplaçable de leur souvenir, d’autres, comme dans les bidonvilles des Philippines, y laissent leur vie. Dans les courtes vidéos réalisées après neuf catastrophes, on voit comment en Thaïlande la vie se réorganise aussitôt, comment chacun nettoie, déblaie, et reprend pied... La troisième exposition du cycle est révoltante. Monsanto, une enquête photographique menée par Mathieu Asselin débute par le discours marketing de la firme dans les années 30, vantant les effets de la chimie, concevant avec Disney une maison du futur pour parfaite ménagère, en plastique... Pendant ce temps le PCB tue la ville d’Anniston. Mathieu Asselin photographie les paysages dévastés, rapporte les témoignages, les documents, les preuves que Monsanto savait, et a continué pendant des dizaines d’années à empoisonner les terres, les hommes, l’avenir. L’Agent Orange, pulvérisé au Vietnam par les soldats américains, a fait des millions de victimes : les photographies des vietnamiens sans bras, atteints de troubles génétiques après trois générations, les gros plans sur les fœtus difformes, siamois, les maladies transmises par les vétérans américains à leur descendance, voisinent avec les preuves que Monsanto a agi sciemment. L’épisode des OGM, toujours à l’œuvre, détruisant l’agriculture mondiale, n’est que le dernier acte, pour l’heure, d’une entreprise si mortifère que l’on se demande si son but est de faire de l’argent ou d’anéantir le monde... L’exposition, tout au bout des Ateliers SNCF, est à visiter absolument. Parce que la photo aussi documente nos consciences. CLAUDE LORIN, AGNÈS FRESCHEL ET MARIE GODFRIN GUIDICELLI


44 critiques spectacles

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Danke sehr, Herr Marthaler

S

entiments connus, mais rares : ceux de comprendre dès les premières minutes qu’on assiste à un spectacle si réussi et raffiné qu’il faut l’apprécier comme un met qu’on savoure. Visages mêlés : ceux justement qu’on imagine déjà connaître, tant ils habitent la scène, chaque pas est un geste de théâtre, lever un bras, c’est déjà un morceau d’anthologie, un regard, et tout le monde est emporté. Sentiments connus, visages mêlés est le dernier spectacle de Christoph Marthaler, créé en hommage à la troupe de Frank Castorf, illustre directeur de la Volksbühne à Berlin, qui devra quitter ses fonctions, après 25 ans d’inventions et d’engagements notoires, laissant la place à une autre façon d’investir le théâtre, celle d’un curateur : l’administrateur Chris Dercon (ex patron de la Tate Gallery à Londres) prendra sa suite dès août prochain. Marthaler, grande figure de la mise en scène depuis 30 ans, a composé un spectacle en forme de magistral adieu : tout sauf solennel, ni triste, ni bilan, c’est un moment d’un temps suspendu, dont l’intensité fait que tout prend des allures de symbole qui noue les tripes et

© Walter Mair

parle au cœur. Très peu de mots, mais des chants chorals accompagnés au piano ou harmonium par certains des pensionnaires de cet étrange lieu. Les partitions sont sérieuses : Mozart, Verdi, Haendel. Les paroles sont surtitrées, et le sens suit la direction générale : c’est la fin d’un cycle, ou peut-être même déjà l’après, lorsque tout est derrière, et qu’une nouvelle drôle de vie s’est inventée, sans théâtre, sans plus rien à jouer. Les acteurs sont devenus des pièces de musée, transportées dans des caisses. On

les sort de temps en temps, ils s’échappent et jouent les bribes d’un répertoire oublié, décalé ; un nouveau théâtre émerge. Ceux qui vivent là n’en ressortiront jamais. « On nous oubliera, c’est notre sort, on n’y changera rien », scandent-ils en mesure. Ils sont vieux et poussiéreux, un peu dingues, seuls avec leurs marottes et souvenirs, les interactions sont minimales, et pourtant l’ensemble est si vivifiant, beau, grave, drôle aussi, en un mot, fou, que ce moment crépusculaire prend des allures flamboyantes. Danke, Merci. C’est leur dernier mot. Fracas d’applaudissements. Fin du Printemps des Comédiens 2017. ANNA ZISMAN

Sentiments connus, visages mêlés a été joué en clôture du Printemps des Comédiens, au Domaine d’O à Montpellier les 30 juin et 1er juillet

Images d’Amérique

L

a nouvelle pièce de Roméo Castellucci débute par une série de panneaux explicatifs sur ce qu’est la glossolalie. On apprend, dans un silence recueilli, que le mot recouvre « le fait de parler ou de prier à haute voix dans une langue ayant l’aspect d’une langue étrangère, inconnue de la personne qui parle ». Étymologie à l’appui. Les sous textes projetés sont au théâtre ce que parfois les voix-off sont au film documentaire. Didactique et souvent pontifiant. Lestés de cette © Marie Clauzade définition, entrons dans la pièce. Une nuée de jeunes femmes en tenue mili- faire une retranscription : c’est bien en effet taire d’apparat sautillent dans le bruit des à une parabole de tout ce qui sous-tendrait énormes grelots qu’elles portent à la taille, notre monde actuel qu’invite la série de bannières en main. Chorégraphie envoutante, tableaux prélevés dans les images de notre où, lorsqu’elles s’arrêtent et ouvrent leur éten- subconscient historique (et religieux). Pas de dard, des mots apparaissent. Celui du titre politique alors, semble-t-il revendiquer. Des d’abord : Democracy in America. Puis une visions, des moments oniriques et cauchesérie d’anagrammes, Cocaïne Army Medicare, mardesques, des mélanges chronologiques, Carcinome cream die… Combinaisons de des chants d’esclaves, des messes enregistrées corps et de mots. Castellucci s’inspire du dans une église pentecôtiste, des bêlements texte de Tocqueville, dont il se défend d’en de moutons… Beaucoup de références au

cinéma : les envolées de Terrence Malick dans The Tree of life ou même le début de 2001 l’Odyssée de l’espace (Kubrick). Dans ce flot visuel, deux personnages font du théâtre (texte co-écrit avec Claudia Castellucci). Ils rejouent la misère des premiers colons en Nouvelle Angleterre. 1705 ; la récolte de pommes de terre est perdue, les enfants ont faim, la mère laisse monter sa révolte que le puritanisme réduit à une effrayante folie. La voilà qui éructe, bouche édentée, des mots d’indien, langue inconnue. Xénoglossie. Elle a vendu sa fille pour acheter de nouvelles semences. Deux indiens se découvrent de leur propre peau, entièrement, et la laissent pendre dans un bruit de mouches. Auto scalp saisissant, retournement de l’histoire contre ceux-là même qui ont perdu depuis longtemps déjà. A.Z.

Democracy in America a été jouée au Printemps des Comédiens du 15 au 17 juin à Montpellier


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Vivantes poétiques

Rêver, peut-être

Eric Lerible © MC.

© JCS

L

a neuvième édition des Eauditives, concoctée par Éric Blanco et Claudie Lenzi, les maîtres d’œuvre de la Zone d’Intérêt Poétique de Barjols, s’est lovée dans l’écrin de la ville de Toulon. Fraîcheur, talent, des étudiants de l’ÉSADTPM, et les remarquables Poéssonies, finesse et ingéniosité de l’exposition de Sophie Braganti, Claudie Lenzi, Hélène Matte, Sophie Menuet, Chiara Mulas et Frédérique Nalbandian, qui détournent gestes et codes attachés au savon. Les publications 2017 des éditions Plaine Page proposent de nouvelles remises en perspective du réel. Philippe Jaffeux et son 26 TOURS nous conduit à travers les révolutions d’un carré poétique s’appuyant sur une réflexion nourrie des principes du Tao et de références nietzschéennes. Nicolas Vargas met son cœur à nu dans A-vanzar et entraîne le lecteur dans une quête palpitante où castillan et français retrouvent une union perdue… Sébastien Lespinasse, avec son Esthétique de la noyade, évoque les tragédies actuelles de la Méditerranée, et la noyade des consciences face au drame ; le Film des visages de Frank Smith s’inspire de la première manifestation du Printemps arabe. Son film éponyme éclaire le recueil poétique, le chant de Sapho (qui offrit le cadeau de poèmes) lui accorde une densité tangible ; bouleversant Marchand de sang traduit par Antoine Jockey, de Kadhem Kanjar ; le jeune poète raconte l’Irak où il vit : portraits d’amis assassinés, absurdité du conflit, photographies des lieux où il se met en scène à la place de ceux qui sont morts… un travail en épure d’une intense poésie. Jean-François Bory s’insurge contre le pseudo-langage de communication international qui signe l’arrêt de mort de l’écriture dans Terminal Language. Le contenu des Eauditives, ne serait-ce que les textes de Maxime H. Pascal, la grâce des Poèmes du silence par Levent Beskardes en LSF (traduction Aurore Corominas), les performances de Cédric Lerible, Carlos Avila (traduit par Amadeo Aranda), Patrick Sirot, Antoine Simon, Claudie Lenzi, Laurent Cennamo, Démosthène Agrafiotis, enrobées des variations de la contrebasse de Barre Phillips, démontre que la résistance existe, forte, inventive et profonde !

R

êver n’est pas tout à fait le terme exact. Par commodité, adoptons-le. Les Pas Perdus, collectif d’artistes à l’initiative du projet Joliette des Songes, tient à la distinction entre le rêve et le songe. Le premier se fait en dormant, le second se vit éveillé. Les trois artistes du collectif, Guy-André Lagesse, Jérôme Rigaut et Nicolas Barthélémy se sont associés au Théâtre Joliette-Minoterie pour réaliser cette installation sur le parvis du Théâtre. Au cœur du nouveau quartier de la Joliette, dans cette partie de Marseille vouée désormais essentiellement aux affaires, au commerce. Quelle est la place de l’art dans cet univers ? Souvent,dans les espaces urbains en mutation, il est utilisé comme le cheval de Troie de la rénovation immobilière. Il accompagne le phénomène de gentrification, qui change la vocation d’un quartier, qui change aussi sa population. Difficile pour les artistes de ne pas alors se sentir manipulés, utilisés, pour servir des intérêts qu’ils ne cautionnent pas. Guy-André Lagesse n’élude pas la question. Au contraire. Il choisit plutôt de la prendre de front. « C’est l’image de la petite plante qui pousse dans le béton », explique-t-il. Soit on évite la situation, soit on affronte le paradoxe en essayant d’apporter quelque chose pour le régler. « A partir du réel, il est possible de créer de l’imaginaire et de s’approprier du sensible. » Dans cette optique, une petite cabine à songes s’est déplacée dans le quartier pendant plusieurs semaines. Une quarantaine de personnes, habitants, passants, travailleurs, y ont créé un songe lié à leur environnement. Ces 40 songes ont pris vie en photos géantes sur des colonnes. Une institutrice y embarque toute sa classe en Corse. Un agent de sécurité de l’hôpital y soigne les oiseaux blessés. Dans les gravats d’un immeuble écroulé, un homme rêve de Révolution. Subversion ? Oui, sans doute. Mais au milieu des colonnes, le monde des affaires passe, indifférent. Peu importe. Parfois il arrive qu’une petite plante fasse craqueler un mur. JAN-CYRIL SALEMI

MARYVONNE COLOMBANI

Les Eauditives ont eu lieu du 15 au 18 juin à Toulon

Joliette des Songes a eu lieu du 15 au 18 juin, sur le parvis du Théâtre Joliette-Minoterie à Marseille


46 critiques musiques

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Caravansérail pour musique voyageuse Alors que la formation dirigée par Bruno Allary a reçu le prix de l’Académie Charles Cros pour son dernier album Il sole non si muove, un projet autour des musiques baroques méditerranéennes, c’est un répertoire davantage festif qui est choisi pour conclure les deux soirées dédiées aux musiques du monde jouées depuis Marseille. De l’Espagne à l’Italie, en bifurquant vers l’Algérie, Tchoune Tchanelas, Martial Paoli © Chris Boyer de la tarentelle sicilienne au réer un festival à la mi-juin, sans tête chaâbi algérois, les morceaux sont interprétés d’affiche, et dans un lieu pouvant contenir avec grâce. Les voix, chaleureuse de Sylvie près de 3 000 personnes… La Cité de la Paz, et habitée de Carine Lotta transmettent musique, la Maison de chant, Arts et musiques la passion contenue dans ces chants populaires et MCE productions-l’Eolienne ont réussi leur de Méditerranée. Ce n’est certes pas le bout pari : la première édition de Caravansérail fut du monde mais la Corse et l’Occitanie peuvent un succès. La joie exprimée sur les visages des aussi inviter au voyage. Surtout avec Enco de co-organisateurs montés sur scène pendant le Botte comme guide. La délicatesse du chant final du concert de la Cie Rassegna l’atteste. et des arrangements du quatuor épouse leurs

C

historiettes agrémentées d’instruments peu commun dans un tel répertoire : harmonium, daf, pandeiro. Une dimension universelle qui aura manqué au Fado Rebetiko project de Kalliroï malgré une idée originale de croiser les esthétiques grecque, portugaise et tzigane. Intense et énergique, le tablao de Tchoune Tchanelas a mêlé cante puro, rumba flamenca et danses. Le trio du pianiste Simon Bolzinger accueillait le conteur vénézuélien Victor Cova Correa pour présenter leur spectacle Cantos queridos. Malgré quelques longueurs, la qualité poétique des textes, le talent malicieux du narrateur et l’accompagnement subtilement jazz ont rendu ce périple dans la tradition musicale, orale et littéraire sud-américaines des plus joyeux. Une programmation éclectique qui a séduit le public et qui présage une deuxième édition pour ce Caravansérail des sonorités. THOMAS DALICANTE

Le festival Caravansérail a eu lieu les 16 et 17 juin au théâtre Silvain, à Marseille.

Atterrissage réussi pour le vaisseau Marsatac

O

n craignait que la froideur et le gigantisme des lieux affadissent la fête. Cette dernière a trouvé un nouveau cachet. Le rouge dominant comme couleur phare de cette édition illumine la façade années 30 du Grand Palais, dont l’architecture tendance moderniste Art déco s’impose par sa nouvelle prestance. Derrière ce mur intimidant, l’événement hip-hop de cette 19ème édition : la reformation exceptionnelle de la Fonky Family. Le temps de prendre ses repères et ses bières, le public – des curieux comme des inconditionnels qui se sont déplacés pour l’occasion- envahit la salle. Le Rat Luciano, Dj Djel, Don Choa, Sat l’Artificier, Menzo, Fel, personne ne manque à l’appel. Les retrouvailles sont à la hauteur des espérances, de ces dix ans d’absence. Du grand show mais un son calamiteux. Dommage. Le Palais phocéen offre heureusement de meilleures conditions d’écoute. Du pain béni pour la présentation en live de l’album Sirens de Nicolas Jaar. Un concert planant, tout en grâce, exaltateur de sens.

Le lendemain, les Nova Twins assurent un show génial aussi électrique qu’agité à l’accent résolument punk rock. Pendant ce temps, Kid Francescoli réchauffe l’atmosphère du Palais de l’Europe avec sa pop électro toujours plus lounge dont on ne se lasse pas. Vald a moins de scrupules à faire vibrer les murs du Grand Palais. Si on se dit Nova Twins © Marie Kemacklon qu’à l’écoute de ses textes, cette nouvelle étoile montante du rap aura visuellement très réussi, le trio utilisant tout bien du mal à concurrencer Bob Dylan pour l’espace de la scène, sur les côtés mais aussi le Prix Nobel de littérature, elle a le mérite en hauteur, hypnotisant sans mal la foule sur de rassembler et de fédérer dans une folie des pulses de rythmes effrénés venus tout indescriptible des milliers d’adeptes. Plus droit d’Afrique du Sud. THOMAS DALICANTE ET FRÉDÉRIC ISOLETTA tard, Meute fait un effet bœuf, ou comment une fanfare hambourgeoise de cuivres et de percussions à la sauce électro surprend tout le monde… Edifiant ! Rajoutons évidem- Marsatac a eu lieu les 23 et 24 juin ment Die Antwoord au show singulier et au Parc Chanot, à Marseille.


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Fondateur d’Africa Fête et promoteur des musiques africaines, Mamadou Konté en a réuni quelques piliers pour le 10e anniversaire de sa disparition.

Africa Unite

D

urant une petite dizaine de jours, Marseille a fêté l’Afrique, ses artistes, sa pensée et ses « grands hommes », selon le mot de Manu Dibango. Sur la petite scène du Dock des Suds, le saxophoniste octogénaire ouvre la soirée d’hommage de son ami Mamadou Konté, personnage central dans la diffusion de la culture africaine. Au clavier, ce n’est pas un débutant non plus : Ray Lema. Les deux monuments tenaient à être de l’affiche même si ce n’est que pour deux morceaux. Entre la figure de l’afrojazz et celui qui a jalonné son parcours de rencontres musicales, le groove fait mouche. Les invités de prestige défilent tout au long de cette belle soirée conduite par les auto-désignés « mercenaires de l’ambiance », autrement dit la troupe du Bal de l’Afrique enchantée, dérivé de la célèbre émission de France Inter. L’orchestre égraine des classiques du répertoire moderne de tout le continent dont il évoque aussi les

Cheick Tidiane Seck © Philippe Savoir

particularismes historiques et politiques. Rumba congolaise, reggae, afrobeat, highlife, maloya, les musiciens, chanteurs et maîtres de cérémonie Solo et Vlad assurent le show, sans temps mort. La salle du Cabaret devient une fournaise. Originaire du Mali, et autre pilier de la musique africaine, Cheick Tidiane Seck fait son apparition. Claviériste

imposant, on comprend son surnom de guerrier. Comme l’on devine ses influences noires américaines. Sénégalais de Casamance, les frères Touré Kunda, duo depuis la disparition de l’ainé Amadou, ont aussi leur part dans le tournant de la modernité des sonorités africaines et dans la notion même de world music. Ils sont les grandes voix de la soirée. Arrivés sur une ballade, ils enchaînent avec leur tube international Emma anti-apartheid. Pour terminer ce marathon musical, Prof Babacar, animateur de radio et Dj, continue de faire danser les plus résistants de la soirée. THOMAS DALICANTE

La soirée hommage à Mamadou Konté a eu lieu le 7 juillet au Dock des Suds, à Marseille, dans le cadre du festival Africa Fête

Menguellet, icône amazigh Invité par le festival Tamazgha, Lounis Aït Menguellet a parcouru ses 50 ans de carrière.

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iché dans le parc François Billoux, entre la mairie des 15ème et 16ème arrondissements de Marseille et la fédération départementale du Parti communiste. Quel drôle d’endroit pour un concert ! C’est pourtant dans ce méconnu théâtre de verdure que le festival Tamazgha accueille des artistes qui ont pour point commun de diffuser la vaste et riche culture berbère. Pour sa douzième édition, les organisateurs ont choisi une véritable icône : l’auteur, compositeur et interprète kabyle Lounis Aït Menguellet. En cette veille d’Aïd el-Fitr, les esprits sont déjà à la fête, à la communion. Les gradins se remplissent progressivement. Les 22 heures annoncées sur le programme deviennent une utopie. Des femmes de tous les âges ont sorti leur tenue traditionnelle berbère. Des drapeaux amazigh se tiennent prêts à s’agiter. Un peu

Aït Menguellet © X-D.R

avant minuit, le troubadour Menguellet et son orchestre lancent un concert qui donnera la mesure du rôle et de la place de l’artiste dans la musique kabyle et plus généralement dans la mouvance culturelle berbère. Avec le flegme et l’humilité qui le caractérisent, le poète aux 67 printemps a égrené son demisiècle de chansons dont beaucoup, reprises par le public qui s’est amassé devant la scène, sont devenues des morceaux d’anthologie. Pas de slogans vindicatifs mais des vers à

dimension universelle. Inutile de comprendre les paroles pour être touché par leur force poétique. Par cette voix aussi, légèrement hésitante mais qui perpétue sans relâche depuis des décennies la tradition orale des montagnes kabyles. Hymnes à la résistance, à la liberté, à l’amour. Entre les morceaux, le chanteur s’adresse au public en kabyle. Comme une évidence. La fosse devient piste de danse. Enfants et adultes s’en donnent à cœur joie. On les imagine écouter les disques de Menguellet, en famille. Régulièrement, les youyous retentissent. Le chanteur repartira après deux heures de récital entrecoupées d’un entracte. Un vent de sagesse et de dignité a soufflé, comme souvent dans ces quartiers populaires du Nord de Marseille. T.D.

La 12ème édition du festival Tamazgha a eu lieu les 23 et 24 juin, au théâtre de la Sucrière, à Marseille.


48 critiques musiques

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Marseille a son standard Ahmad Jamal était à l’Opéra de Marseille en préambule du Marseille Jazz des 5 continents. Un grand moment !

à venir

(voir détails Zib 108)

Sons of Kemet le19 juillet La Friche Brandford Marsalis 4tet/Kurt Elling le 20 juillet Théâtre Silvain Guillaume Perret Cyril Achard & Géraldine Laurent Piers Faccini, Yonathan Avishaï 22 juillet au MuCEM Nguyên Lê & Ngô Hông Quang Norah Jones 24 juillet au Palais Longchamp (Complet) Robert Glasper Kamasi Washington 25 juillet au Palais Longchamp Ana Popovic Taj Mahal & Keb’ Mo’ Band 26 juillet au Palais Longchamp Imany George Benson 27 juillet Palais Longchamp

Ahmad Jamal © Justine Hamy - Marseille Jazz cinq continents

D

ès qu’il entre en scène, lunettes noires et petits pas précautionneux, les inquiétudes au sujet de son âge s’envolent (il a 87 ans, et on a parfois été déçus par les prestations cacochymes de cette génération de jazzmen). Et dès qu’il pose les mains sur le clavier, on reste bouche bée. Il est rare qu’un jazz aussi évident, jeune, exquis, raffiné, corsé pourtant, soit donné à entendre. Pendant un peu plus d’une heure trente l’opéra a vibré, fasciné. Par la virtuosité d’Herlin Riley, sa batterie qui s’enflamme et court, rapide et sonore, tendue et feutrée, puis éclatante encore ; par l’inventivité de Manolo Badrena aux percussions, maniant des appeaux étranges, des cloches, apportant sans discorde des sons fondamentalement différents ; par la contrebasse de James Cammack, au soutien rythmique infaillible, aux

contrechants complexifiant les mélodies, aux solos attachants et retenus. Attentifs. Car la star est au piano. C’est lui qui donne tout, règle les intensités, laisse la place, met en valeur. Et puis qui joue, déploie un toucher inouï, attaque un standard, A motherless child, ou les Feuilles mortes, là où on les reconnaît à peine. Parce qu’il les pare de citations, les mixe à d’autres, les laisse s’envoler. Ses mains, jamais démonstratives, caressent le clavier, inventent des contrepoints plutôt que des accords, et font sortir des sons qui résonnent longtemps, non par leur volume, mais par la puissance de leurs harmonies. Ainsi il emmène le public d’humeur en enthousiasme, gai, emporté, soudain déchirant, puis comme nostalgique, dans ses compositions comme dans ses reprises. Cadeau suprême, il jour trois fois Marseille,

Émile Parisien/Vincent Peirani Herbie Hancock 28 juillet au Palais Longchamp Tony Allen Quartet Roy Ayers Band, Seun Kuti & Egypt 80 29 juillet au Palais Longchamp

composition titre de son dernier album. Mina Agossi le chante, en français, en anglais, puis Abd Al Malik vient le déclamer, le scander, le poétiser. Une rencontre de générations musicales qui outrepasse toutes les frontières des Continents ! AGNÈS FRESCHEL

Le concert Marseille a eu lieu les 12 et 13 juin à l’Opéra de Marseille dans le cadre de Marseille Heure jazz, prélude au Marseille Jazz des 5 Continents

Le monde dans une guitare

I

ls étaient tous là ou presque, ceux qui avaient contribué au succès du 17ème Festival International de Guitare de Lambesc, mais aussi des anciens élèves, venus de loin, des professeurs de la région, la plupart ayant travaillé avec lui, Roland Dyens, interprète hors pair et immense compositeur qui nous a quittés un cruel 29 octobre 2016 en écoutant l’enregistrement de sa transcription pour quatuor de guitares par ses élèves de master class : Alfonsina y el mar. Le concert de clôture s’attache à ses compositions, éclairant la singularité de cet artiste dont la « vie n’était que

musique », le rappelle sa sœur (sollicitée dans le monde entier pour les hommages rendus à son frère) : brillante technique classique, rigoureuse composition et feeling des musiques du monde. Impossible de tous les citer, Valérie Duchâteau, directrice artistique du festival (qu’elle a enchanté avec les chansons de Barbara), le Duo franco-brésilien avec un extrait du recueil Les cents destiné aux apprentis-guitaristes, Marie Sans dans Saudade n°3, Murielle Geoffroy et le délicat et inédit Balancelle que le poète de la guitare lui avait offert… On écoutait aussi la douceur de Flying wigs (perruques

volantes) par l’exceptionnel et jeune Antoine Boyer… L’ensemble des 21 musiciens sous la direction de Frédéric Bernard reprenait le « tube planétaire » de Dyens, Tango en skaï. Humour, beauté, jeu, essence de l’art, dans l’écrin du parc Bertoglio, et un grand merci à l’équipe bénévole, conduite par Charles et Annie Balduzzi, qui réussit chaque année à réenchanter le monde ! MARYVONNE COLOMBANI

Le Festival International de Guitare de Lambesc a eu lieu du 3 au 8 juillet


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Une nuit métisse et poétique

Violoncelles et compagnie

Retour sur la première soirée du festival de Miramas.

Zoulouzzbek Band © Léa Ambrogiani

© M.C

I

ls sont surtout connus dans le Nord de la France et en Belgique mais les géants nous viennent bien d’Europe méridionale. A y regarder de plus près, ces marionnettes monumentales qui déambulent autour du plan d’eau de Saint-Suspi à Miramas n’ont pas le teint flamand mais plutôt celui des Caraïbes. Pour sa soirée d’ouverture, Nuits Métis a fusionné le meilleur des traditions carnavalesques, sur un axe Brésil-Belgique. Comme chaque année, la Cie Caramantran et La Batucada dirigée par Laurent Rigaud ont enchanté petits et grands. Car au-delà des têtes d’affiche de l’édition 2017 du festival, comme Chineese Man et Bonga qui ont attiré les foules, Nuits Métis, c’est aussi la préoccupation du lien avec les habitants par l’accès aux arts, au rêve et à la poésie, en faisant tomber les murs, qu’ils soient sociaux ou culturels. De poésie et de rêve, la programmation n’en manquait pas. Après les géants et les arts de la rue, un récital classique avec Le piano du lac, une compagnie habitée par la même intention de décloisonner et d’inclure. Ecouter Schubert ou Brahms assis sur l’herbe, les yeux et les oreilles happés par un piano flottant, cela peut également aider à franchir les portes d’un théâtre ou d’un opéra. Le dispositif est astucieux : l’instrument flotte grâce à un système de radeau discret et dirigé par un technicien immergé, un pianiste puis une chanteuse l’accoste à l’aide d’une barque. On se laisse porter et emporter par le mouvement des flots et des notes sous un ciel étoilé en guise de chapiteau. Côté musique, l’humeur est aussi à la rêverie baladeuse. Grâce au duo Tin’fa d’abord, avec un dialogue entre rythmes orientaux et musettes. Ce sont les joyeux drilles de Zoulouzbek Band qui clôtureront la soirée. Au menu : une chanson française festive façon guinguette assaisonnée de rythmes tsiganes, slaves, cajuns ou irlandais. Derrière la gouaille et la gaité des mélodies, le trio acoustique guitare, accordéon, violon porte un regard acerbe sur l’actualité. Léger et rafraichissant.

L

e Festival Cello Fan, épaulé par une équipe de bénévoles d’une efficacité souriante, rassemble, durant cinq jours, la fine fleur des amateurs et musiciens épris du violoncelle, dans les églises, les chapelles, les confréries de Caillan, cœur fondateur, et des villages alentours. On n’est peut-être pas toujours sérieux quand on a dix-sept ans, et pour sa dix-septième édition, le festival décline les jeux de mots potache. On applaudit De Bach à Glass : pour fêter les 80 ans de Philip Glass, s’entrelacent des œuvres des deux compositeurs, autour du Fratres d’Arvo Pärt. Les sept Songs de Philip Glass laissent goûter la qualité des différents interprètes, sensibilité, sens des nuances, jeu profond, sons larges, jusque dans les aigus, solos délicats par Frédéric Audibert, (directeur artistique de ces journées) et son frère, Florent, Emilie Rose, Anne Gambini, Manu Cartigny, Guillermo Lefever, Manon Ponsot, Jonathan Oh, sans compter le bel ensemble de violoncelles Cello Fan, composé de professionnels, la plupart solistes de grands orchestres. L’annonce impétueuse Une symphonie sinon rien ! présente quatre musiciens sur scène ! Paul Beynet (piano), Oswald Sallaberger (violon), Julie Sévilla Fraysse (violoncelle), Gionata Sgambaro (flûte), rendent avec fougue la puissance, la passion de la Cinquième Symphonie de Beethoven. Auparavant, un quintette à deux violoncelles donnait une version d’anthologie de sa Sonate à Kreutzer. Le violoncelle rencontre aussi le piano subtil de Maria de la Pau Tortelier. Paul-Antoine Rocca-Serra apporte son talent depuis la Corse où il dirige un festival jumeau : les Rencontres de violoncelle de Moïta. On est séduits aussi par les récits emplis d’anecdotes des descendants de Martin Berteau (1691-1771), fondateur de l’École française de violoncelle et de Jean-Louis Duport (1749-1819), qui, par son Essai sur le doigté du violoncelle et la conduite de l’archet théorisa les bases toujours d’actualité du jeu de l’instrument. Son violoncelle, un Stradivarius, marqué des éperons de Napoléon 1er, fut l’instrument de Rostropovitch ! Le violoncelle ? toute une histoire ! MARYVONNE COLOMBANI

THOMAS DALICANTE

Nuits Métis a eu lieu du 21 au 24 juin à Miramas

Festival Celo Fan a eu lieu du 30 juin au 4 juillet à Mons et Callian


50 critiques musiques

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Faites entrer les enfants 600 enfants chantant dans l’immense théâtre antique d’Orange pour l’ouverture des Chorégies, ça déménage !

L

es Chorégies d’Orange ont une très longue histoire, faite de gloire et de difficultés. Ce Festival lyrique majeur se tient dans une ville où le député maire Jacques Bompard règne en maître, élu et réélu alors que ses déclarations homophobes, anti-avortement et anti-migrants font paraître bien pâles les positions du Front National. L’art lyrique est il un moyen d’y résister ? Lorsqu’on rejoint le théâtre antique en passant par un centre-ville sans vie, aux commerces fermés et aux passants rares et pressés, on peut se demander s’il est vraiment un rempart contre le repli et la frilosité... Mais ce soir-là le projet pédagogique Pop the opera ne laissait aucun doute : ces enfants rassemblés chantant ensemble, leurs parents agitant la lumière de leur portable en guise de petite flamme, l’enthousiasme et le

© Philippe Gromelle Orange

plaisir de chacun, cette expérience esthétique laissera forcément des traces : celle d’un partage, d’un effort commun, et de la joie... La meilleure arme ? L’orchestre d’Avignon et les chœurs de l’Opéra de Monte Carlo soutenaient les collégiens qui passaient de Carmen à des medleys en tout genre, jazz, pop, rock, dans des arrangement malins (Jean-Marie Leau et Victor Jacob), pour plusieurs voix parfois, mêlant véritablement les mélodies et les ponctuant d’effets rythmiques. Les chœurs issus de 23 établissements de la région, pour l’essentiel vauclusiens mais jusqu’à Nice ou Briançon,

étaient remarquablement en place, justes à chaque instant, même dans les passages difficiles, suivant le chef Didier Benetti relayé par deux chefs de chœur débordant d’enthousiasme ! Que demander de plus ? Peut-être que, dans ce répertoire qui mêlait habilement la culture des jeunes et celles de leurs professeurs, parmi cette variété anglophone revisitée, (et la farandole de Mireille en provençal, quelques airs d’opéra en italien et en français) il y ait aussi une place pour des chants plus orientaux : à Orange, cela aurait eu de la gueule ! Car le constat était sans appel : si la culture musicale des jeunes est aujourd’hui « envahie », c’est bien par l’Amérique... AGNÈS FRESCHEL

Pop the opera s’est donné le 22 juin dans le Théâtre antique en ouverture des Chorégies d’Orange

Leo Nucci est Rigoletto !

L

e baryton italien atteindra bientôt le chiffre de 500 pour son interprétation du rôle-titre ! A 75 ans, et depuis 1973, il roule sa bosse avec énergie et une expression dramatique étonnante. La voix n’a certes plus l’éclat de ses 40 ans, mais reste vaillante, percutante, et son jeu est prenant : veste dorée du bouffon, pantalon noir, il © Philippe Gromelle claudique en criant l’amour pour sa fille Gilda, la haine des courtisans, la vengeance. Sur scène, une immense tête de clown, terrassée, prolongée par un long piquet de bois, yeux fermés, langue énorme sortant de la bouche atterrissant sur la scène, servant, en outre, de toboggan pour cette société dépravée de la Cour de Mantoue, courtisans aux magnifiques costumes signés Katia Duflot, style « Années Folles » : effet saisissant ! Ce clown triste sera le jeu, l’enjeu de toutes les intrigues. Charles Roubaud dynamise l’espace en créant plusieurs niveaux : monde de perversion où tous

s’épient ou s’ignorent ; le drame de Rigoletto se joue pendant qu’on danse et boit. Les lumières de Jacques Rouveyrollis, l’apport vidéo de Virgile Koering et les appuis chorégraphiques de Jean-Charles Gil sont un relief esthétique essentiel. Celso Albelo est un Duc de Mantoue brillant, voix solide. Le si naturel de La donna è mobile claque dans le Théâtre antique de manière insolente, malgré les passages ornés qui précèdent, plus poussifs. Nadine Sierra, à seulement 29 ans, est une exceptionnelle Gilda, vocalement, scéniquement. Dans son air Caro

nome, legato sublime, puis notes piquées sur la cadence et un contre mi bémol ciselé, allongée sur le dos… Et que dire du duo Si, vendetta, bissé avec la bémol pour Nucci et contre-mi bémol pour Sierra. Public debout ! Quant aux graves de Sparafucile ; le fa de Stefan Kocán résonne encore sous la statue d’Auguste. Tous les seconds rôles sont excellents : très beau quatuor final, avec la chaude et belle voix de Marie-Ange Todorovitch (Maddalena). Les chœurs des opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Nice sont le 4ème personnage essentiel de l’ouvrage. Le génie de Verdi aura été de dépasser ses confrères Rossini, Bellini, Donizetti par cette présence polyphonique qui sert et dynamise l’action. L’orchestre Philarmonique de Radio-France est magnifique : des cordes envoûtantes, vents et percussions très présents, sous la direction enflammée de Mikko Franck. Une grande soirée ! YVES BERGÉ

Rigoletto de Giuseppe Verdi aux Chorégies d’Orange a été joué le 8 juillet


Gréoux au rythme du Makossa

S

oixante ans de carrière, une trentaine d’albums, Manu Dibango n’est plus à présenter : nommé artiste de l’Unesco pour la Paix, moult fois primé, considéré comme une « véritable institution », légende du jazz et de l’Afrobeat, il a su conjuguer le jazz et la musique traditionnelle africaine, les teintant de groove, de funk et de reggae avec une verve et une inventivité que chaque concert vient confirmer. Il ouvrait la cinquième édition des Soirées du Château de Gréoux devant une salle (la cour à ciel ouvert du château qui surplombe la ville) comble. En ouverture, le prestidigitateur de la batterie, Jacques Conti Bilong, la guitare aérienne de Patrick Marie-Magdelaine, la basse imperturbable de Raymond Doume et les claviers inspirés de Julien Agazar ; un saxophone alto lance un appel arpégé des coulisses, magie pure… Dibango propose un safari musical (référence à son album Manu Safari), qui part de son Cameroun natal, passe par Kinshasa avec Bolingo city, revient à Douala et le Makossa, dont le mouvement invite à danser : le public est debout, rythme, se laisse emporter par les pulsations de cette musique urbaine camerounaise. Lui répond Soir au village, et c’est l’atmosphère tranquille peuplée de chants d’oiseaux, des travaux des hommes, de la cuisine de la grand-mère qui surgit avec tendresse… « Les oiseaux harmonisent le coucher de soleil ». Le velours de la voix de basse de Manu Dibango tisse les fils d’une poésie humaine qui convoque tout un monde, tandis que les travailleurs harassés soupirent : « encore une journée de passée sur cette terre ». D’autres voix s’immiscent, dans un tempo toujours juste, avec une sobre virtuosité, Isabel Gonzalez et Valérie Belinga ne sont pas simplement les « choristes qui accompagnent », mais prennent le relais de ce que Manu Dibango ne chante plus. Il leur laisse la scène pour une belle interprétation d’Alfonsina y el mar de Mercedes Sosa (en mémoire d’Alfonsina Storni). Puis, la formation complète ourle la nuit de son talent, temps ébloui que les rappels tentent de suspendre. Instants précieux d’adhésion au monde ! MARYVONNE COLOMBANI

ATALANTE-PARIS – PHOTO © CÉLINE LEPORRIER

© Maryvonne Colombani

Le concert de Manu Dibango a fait l’ouverture des Soirées du Château, au château des Templiers, Gréoux-les-Bains, le 6 juillet

SAISON 2017-2018 ORCHESTRE-CANNES.COM ⁄ 04 93 48 61 10


52 critiques danse

La ville a enfin un festival à sa mesure : multiple, bigarré, militant, festif et politique. Reflet du monde, concentré de vie, de jeunesse et de corps. Quelques retours éclatés d’une réussite manifeste

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Marseille éclatante !

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n Sacre du Printemps pour commencer ? le travail léché et la douce autodérision, Stravinski et son rite ont été tant de fois l’incroyable talent du batteur aussi, mais on interrogés par la danse... Eh bien juste- peine à s’intéresser vraiment à cette nostalgie ment, pas de Stravinski, ou alors traficoté par à rebours. Impression subjective ? l’électronique, ne conservant que les rythmes, traversé par d’autres souvenirs musicaux. anctuary de Brett Bailey est un choc. Se Et la bande n’est pas le bout de la surprise : veut un choc. Le spectateur placé entre des le rituel commence dès l’entrée, lorsque le grillages et des barbelés traverse détresses public se déchausse comme en un temple et tragédies. Celles des migrants parvenus en japonais ou une mosquée, tandis qu’il pénètre Europe, des morts qu’ils ont laissés derrière dans une Cartonnerie (La Friche) enfumée et eux, des difficultés qu’ils vivent dans cette vibrante des psalmodies des 40 danseurs... Europe sanctuaire qui les rejette, les prostitue, Hommage à la danse, à l’amour, au désir, à nie leur mémoire, les exploite. Le visiteur passe l’éveil, à la jeunesse, le Rito de Primavera de devant des tableaux, stations d’un chemin de José Vidal célèbre et rapproche les corps : croix que des acteurs habitent, et leurs regards ceux des danseurs chiliens et marseillais, ceux transpercent, renversent l’abjection du rejet du public invité à danser, ceux des hommes qu’ils vivent dans notre Europe si confortable. et des femmes, hétéro ou homosexuels. Un La force même du dispositif, concentrationnaire, Sacre du Printemps ? Sûrement, dans Sanctuary, Brett Bailey © Andreas Simopoulos l’esprit de ce que Stravinski et Nijinski inventèrent il y a plus d’un siècle !

S

O

n a beau aimer voir des corps danser, si bien, on a beau aimer leur présence et leurs discours, admirer ces interprètes/créateurs qui savent placer chacun de leurs gestes avec émotion et pensée, on a beau s’accrocher à ce discours un peu étrange sur les os qui nous composent, et sur la mort qui approche avec le temps, Water between three hands ennuie un peu. Composé de danseurs virtuoses âgés de plus de quarante ans, le Dance on ensemble est emmené ici par Rabih Mroué vers des contrées vraiment auto-référencées. À l’heure où le Festival de Marseille s’attache aux urgences du monde on admire

bouleverse et interroge. Le glissement vers des allusions aux attentats -comme conséquence de la fracture entre l’Europe et l’Afrique ?-, la menace terroriste qui clôt le parcours, la seule Blanche qui incarne une mémé FN, caricaturent une réalité où les migrants fuient aussi guerres et attentats perpétrés en Afrique, et où le public qui vient au festival est largement acquis à l’idée d’ouvrir grand les frontières. Brett Bailey, venu d’Afrique du Sud, prévient que notre monde éclatera, et qu’un jour peut venir où eux et nous (Noirs et Blancs ?) perdrons le sentiment de notre humanité commune. Transposition de l’Apartheid, ou réalité de l’Europe ?

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n 2010 Madame Plaza avait fait l’effet d’une grenade et propulsé la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen sur les


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Rito de Primavera, José Vidal © Fabian Cambero

scènes européennes où elle multiplie depuis les tournées. Sur la place d’Armes du MuCEM et le toit-terrasse de la Cité Radieuse pour, dit-elle, explorer « cette volonté de créer du lien tout en insufflant de la joie », elle lance ses Corbeaux. Tout de noir vêtu, cheveux retenus par un fichu blanc, un groupe de danseuses parvient lentement jusqu’à l’extrémité de la place bordée par la mer. Silence absolu, supplanté peu après par le chant des corbeaux : la voix des performeuses qui, de vagues successives en roulis continus, entrent en transe, imposent leurs râles, leurs mouvements contractés, leurs dissonances. Le chant des corbeaux fait entendre les singularités, l’intensité dramatique d’un visage, la douceur d’un autre, la crispation d’un corps, le relâchement total d’un autre. Difficile de faire plus abstrait et subjectif. Parlons plutôt de sérénité partagée, comme celle ressentie plus fort encore dans la vidéo Corbeaux-Traces projetée au MuCEM. La superposition, simple, de la pierre du mur-écran et du paysage aride du désert marocain ; le mouvement lent de la caméra qui s’approche des silhouettes sculpturales ; les croassements font de la vidéo un moment d’immense quiétude.

P

our répondre à leur manière aux « 7 nécessités » qui constituent le manifeste artistique des directeurs du BNM, 7 jeunes chorégraphes de la scène internationale ont eu carte blanche. Ces nécessités sont celles du corps dansant, du corps dans l’espace et le temps. Pas seulement celui des danseurs mais aussi le nôtre. Issus du BNM et d’ICK (Amsterdam) ils interviennent avec un enthousiasme débordant et un talent inouï qui leur permettent de passer d’une esthétique à l’autre avec un engagement total. Quand Nacera

Belaza soumet les corps à des tressautements d’abord imperceptibles puis plus amples allant jusqu’à un état de transe, Ula Sickle installe une horloge où défilent les minutes et fait reprendre la chorégraphie à l’envers aux danseurs dans des mouvements amples et saccadés. Les corps exultent, occupent l’espace, les voix surgissent parfois. La dernière chorégraphie d’Ayelen Parolin offre une danse tribale qui nous ramène aux origines et à plus d’émotion. Car dans l’ensemble les propositions sont assez formelles et semblent oublier la réalité sensuelle des corps. La chair deviendrait-elle froide ?

A

près un passage à Paris, le collectif berlinois Rimini Protokoll a posé ses valises dans la cité phocéenne pour y créer son dernier spectacle participatif 100% Marseille. Constituée d’amateurs, la troupe rassemble un échantillon de cent habitants représentatifs de la ville, qui, à travers un jeu de questions-réponses, dressent un portrait moderne de Marseille. Qui essaie de ne pas payer ses impôts ? Qui est amoureux ? Qui pense que les femmes et les hommes sont traités à égalité ? Qui pense que le burkini devrait être interdit ? Qui est déjà allé en prison ? Qui se sent seul ? Débutant avec légèreté, la représentation glisse vers l’intime et le politique, dans un spectacle documentaire donnant à voir les préoccupations de notre époque. Statistiques et art sont à priori très éloignés. Mais ici, la magie opère et ces individus réussissent le pari de « faire cité ». L’addition de ces habitants aboutit à une unité incarnée par leur sentiment d’appartenance à cette ville, un sentiment commun qu’ils crient haut et fort. « Nous sommes Marseille ! »

L

e Silo n’est peut-être pas le meilleur endroit pour diffuser l’énergie bolide des dix corps du Grupo de Rua Niterói, qui sous la direction du brésilien Bruno Beltrão présentait sa création 2017 : la street dance, même ou surtout rigoureusement travaillée pour la scène a besoin d’espaces qui laissent filer l’imagination. Ici, malgré les bandeaux-vidéo aériens de nuages et de frondaisons frémissantes, malgré l’époustouflante virtuosité des danseurs, une certaine pesanteur semble en permanence menacer la liberté d’invention qui tente de se déployer. À moins qu’il ne s’agisse d’un choix délibéré en écho au grondement sourd de la bande-son ou au clair-obscur qui dérobe parfois les interprètes à la vue… Apparitions glissando, rencontres en duos, en trios, engagements subtils, dégagements soudains, envols, explosions de saltos à couper le souffle, beauté sculpturale des muscles et des étoffes amples offrent un concentré serré de fragments esthétiques qui peinent à construire une cohérence sensible. InoaH ne déçoit pas mais engendre une frustration certaine du spectateur laissé au bord du chemin.

L

es danseurs amateurs aiment danser, et fort de cette tautologie opératoire le chorégraphe Jérôme Bel avait l’an dernier mis sur scène une jolie troupe débridée et colorée qui revient en ce dimanche de Canebière présenter un extrait de ce fameux Gala dont la vitalité et la pertinence artistique sont intactes. Trente minutes de bonheur place du général de Gaulle dans un cercle de spectateurs attentifs et ravis en miroir absolu avec ceux qu’ils regardent… compagnie, compagnie, donc, qui rappelle que le théâtre est communauté, que la vulnérabilité est consubstantielle à toute exposition de soi ;

Suite p.54


54 critiques danse des individus divers et même singuliers, des costumes ou plutôt des « tenues » de corps que l’on n’associe pas forcément à l’activité : le fauteuil roule et la djellaba prend le vent ; les musiques se succèdent et les meneurs de jeu tournent ; on suppose que la perfection incisive de certains signe leur appartenance à la profession ; tous ne rattrapent pas leur bâton de majorette lancé vers le soleil mais tous savent saluer !

V

aut-il mieux être un martyr mort qu’un héros vivant ? Dans So Little Time, énième étape de son travail de déconstruction des mythes et clichés politiques, le libanais Rabih Mroué se contente de suggérer malicieusement que, en tout cas, être un martyr vivant est invivable. Un labo-photo réactualisé prête son dispositif au développement d’un conte oriental porté par la présence intense de Lina Majdalanie affairée à raconter (les méandres de l’histoire sont tels qu’il faut à la comédienne beaucoup d’énergie pour ne pas se perdre elle-même ) tout en repêchant avec ses gants jaunes des photos qui, loin d’illustrer le récit, se révèlent anecdotiques, narcissiques ou simplement s’effacent jusqu’à la blancheur intégrale. De qui parle-t-on et quelle est la part de vérité de cette loufoque fiction ? Dib-AlAsmar parti combattre aux côtés de l’OLP dans les années 60 disparaît et se voit donc élever un monument dont il aura beaucoup de mal à se débarrasser lorsqu’il reviendra quelques années plus tard à la faveur d’un échange de prisonniers ; détruire sa propre statue, sortir de la fascination pour la mort et les icônes paranoïaques, ambitieux programme traité ici avec grâce et doigté.

A

InoaH, Bruno Beltrão X-DR

art contemporain. Ils sont neuf sur scène, trois musiciens et six danseurs, même si les rôles ne sont pas figés et que chacun est amené à échanger volontiers sa place. Les artistes, intentionnellement maladroits, joueurs ou dans la confrontation, vibrent d’une multitude de sentiments. La solitude et l’ennui, le désir et la sensualité, la brutalité et l’animalité, autant de raisons qui conduisent les êtres à chercher des liens avec leurs semblables. Et à travers ces relations qui se nouent, les corps à la fois puissants et vulnérables alternent liberté de mouvements et empêchement. Aussi impliquée qu’impliquante, la troupe met son corps à nu (littéralement) et propose au public, dans une part d’improvisation cocasse, de participer à cette recherche du lien humain, qui peut troubler certes, mais nourrir surtout. Une performance brute et nerveuse tout autant que poétique et sensuelle.

A

vec What do you think ? Mélanie Venino et Alessandro Bernardeschi reprennent le dialogue où ils l’avaient laissé en 2014, accompagnés cette fois de Carlotta Sagna, Maria Eugenia Lopez et Romain Bertet qui renvoient leur image, se passent les mots et les gestes, se séparent Corbeaux, Bouchra Ouizguen © Hasnae El Ouarga et se retrouvent dans la joie du partage. Georges Appaix semble mener le jeu ou observe, mi-amusé, mi-dubitatif, les dialogues dansés ou parlés des autres. Monté sur un vélo, il démarre le jeu de quelques énergiques coups de pédales qui déclenchent la lumière. Il parle, elle

vec sa compagnie Damaged Goods, la chorégraphe Meg Stuart a présenté Until our hearts stop, une performance artistique totale où se mêlent et se rejoignent spectacle de danse, pièce de théâtre, concert et

danse. L’écoute-t-elle ? Du coup il ne sait plus que penser. Faut-il danser pour ne plus penser ou pense-t-on plus fort quand on danse ? Et comment s’introduire dans la pensée de l’autre ? Le spectateur jubile, danse lui-même sur son fauteuil, enchanté par ces partages où l’humour côtoie la réflexion. Suspensions, traversées endiablées du plateau, références musicales connues, simples objets participent à la fluidité de ce spectacle superbement vivant !

T

he Last King of Kakfontein, dernière création de Boyzie Cekwana, laisse un goût d’inachevé. Quatre interprètes sont sur scène, en tenue militaire, le plateau est jonché de pneus et de sculptures en papier journal. Le premier monologue, en anglais sans traduction, laisse une bonne partie du public à l’écart. Il évoque l’enfance, l’Afrique, la domination occidentale sur le continent. Puis Boyzie Cekwana endosse le rôle du roi-tyran, caméra en main, façon selfie. Son visage menaçant se projette sur un écran. Les intentions et le message sont explicites, mais à peine effleurés, dans une symbolique basique. Sans la profondeur, l’ardeur, ni la dimension politique que demanderait le propos. Restent les chants, la musique, et la danse, étincelles pour tenir l’œil et l’oreille en éveil. Mais ces braises ne font pas de flamme. (Reprise au Festival d’Avignon, les 17, 18, 20, 21, 22 et 23 juillet) MARIE-JO DHÔ, AGNÈS FRESCHEL, CHRIS BOURGUE, MARIE GODFRIN-GUIDICELLI, FAUSTINE AUPAIX ET JAN-CYRIL SALEMI

le Festival de Marseille s’est tenu du 15 juin au 8 juillet


55

Classique, tradition et désespoir

C

réé par Dominique Bagouet et Jean-Paul Montanari en 1981, Montpellier Danse se veut à la fois un festival de recherche et un panorama de la création chorégraphique dans toute sa variété. Le week-end d’ouverture en témoignait : Angelin Preljocaj et ses Pièces de New York étaient attendus dans le vaste Corum. Leur style, d’une contemporanéité désormais classique, impose sa virtuosité. Les souvenirs de Balanchine traversent La Stravaganza, le désir puritain brûle les corps de Spectral Evidence, et les pièces, écrites à vingt ans d’intervalle, font dialoguer les corps étrangers devenant américains. Moins courant à Montpellier Danse, le flamenco. Il est cette année sur toutes les scènes, y compris dans la Cour d’Honneur à Avignon. Antonio Canales est sans conteste un grand artiste étonnant, aux chaussures rouges et à la grâce maniérée, envers de la silhouette gracile de Rafael Campallo qui campe une virilité paradoxale. Le public vibre, la musique est puissante, mais ces huit hommes explorant une tradition Sévillane privée de

L’ouverture de Montpellier Danse a fait varier les plaisirs et les chocs...

infiniment. Entre deux traversées de scène, un film, tourné dans un abattoir, montre le performer s’enduisant du sang des bœufs, et le moment de leur mort, leur cou tranché, leur œil qui cille encore, leur tremblement ultime. Le performer plonge dans ce bain de sang animal comme pour un baptême de douleur. Puis sur scène Put your heart under your feet… and walk !, Steven Cohen © Pierre Planchenault il mangera les cendres de femmes ont un goût de passé, à l’heure où un l’aimé, prononçant un kaddish, actualisant flamenco renouvelé explore d’autres pistes... jusqu’aux limites la cérémonie théâtrale. Car Dans un registre diamétralement discordant, pour Steven Cohen la perte de son âme sœur aux antipodes du convenu et faisant lon- est sans consolation possible. AGNÈS FRESCHEL guement exploser les tabous intimes, le solo de Steven Cohen. L’artiste Sud-Africain, queer et juif, écrit un chant d’amour à son compagnon disparu, dans un total refus de Montpellier danse s’est déroulé résilience. Il porte le corps de l’aimé sous ses du 23 juin au 7 juillet pieds, mêle la danse et la mort, intimement,

Notre état d’urgence ? La danse !

L

Conjurer la peur, GaelleBourges © Abigail Fowler

Gaelle Bourges ouvrait le Festival Uzès danse avec Conjurer la peur, un spectacle labile et plastique inspiré par sa lecture de Patrick Boucheron

a chorégraphe aime à animer les tableaux. À transformer en vrai mouvement celui que les artistes essaient de capter en les figeant dans l’action, à interroger la fascination du regard pour les nus, le corps des femmes. C’est à un ensemble de fresques narratives d’Ambrogio Lorenzetti qu’elle s’attache dans son dernier spectacle. Celles que l’historien médiéviste Patrick Boucheron a commenté dans son essai Conjurer la peur (écouter l’entretien sur WRZ), et qui ornent depuis 1338 les murs du Palais communal de Sienne : l’Allégorie du bon et du mauvais gouvernement illustre comment un gouvernement qui a le sens du bien public apporte apaisement, bonheur et … danse ! Et combien un mauvais gouvernement, miné par l’intérêt particulier, amène de misères et fige les corps et les genres. Sur scène des poseurs, acteurs-danseurs que Gaëlle appelle par leur prénom, illustrent fidèlement ses propos décrivant les fresques. La chorégraphe conférencière nous fait comprendre les allégories, les références, et on apprend à lire ce message d’un autre temps,

où il est question de représentation politique, de tirage au sort, de désignation, d’élection. Les mouvements se répètent trois fois : les allégories représentées par les corps sont d’abord minutieusement et malicieusement décryptées par la chorégraphe, puis les corps reprennent sans les mots devenus inutiles, et enfin s’ancrent dans le présent, illustrant un récit en voix off sur les abus de pouvoir, qui se conclut par l’attaque de Nice le 14 juillet. Car il est bien question des dangers et dérives de la vie démocratique, et du surgissement de la peur qui la détruit. C’est le propos de Boucheron, fondé sur l’idée que la tyrannie peut surgir au sein d’un bon gouvernement s’il a peur d’un ennemi extérieur, et met en place un régime d’exception. Un état d’urgence permanent, par exemple... qu’il faut combattre en dansant, en racontant, en exposant les corps. Par la joie, têtue, résistante. A.F.

Uzès danse s’est tenu du 10 au 17 juin


56 au programme cinéma

Ecrans sous les étoiles

D

epuis le 23 juin, le soir, sous les étoiles, vous pouvez voir des films sur grand écran, gratuitement. Des films pour tous les goûts ! C’est ce que nous propose l’association TILT. Et pour cette 22e édition de Ciné Plein Air, grâce à de nouveaux partenariats, l’écran s’installera dans de nouveaux lieux de Marseille, comme le jardin du Musée d’histoire, le Mémorial de la Marseillaise, la place d’Armes du MuCEM, ou l’école supérieure d’Art et de design. 30 séances dans 15 lieux, sans oublier les invités pour les séances spéciales.

Sport et cinéma En écho avec Marseille capitale européenne du sport, 5 séances dédiées à quelques-uns d’entre La Vie aquatique, de Wes Anderson X-DR eux. Après la soirée foot du 30 juin et celle du 13 juillet consacrée au ski, ce sera Jacques Tati et ce sera possible le 10 août au au tour de l’athlétisme le 29 juillet avec Les Château Borely, au Musée des Arts décoratifs. Chariots de feu de Hugh Hudson, précédé L’histoire officielle de l’hymne national revisitée du délicieux court-métrage d’animation de par Renoir, beaucoup la connaissent ! Mais Sarah Saidan, Beach flags, sur la place du personne ne l’a jamais vue dans le lieu où Refuge au Panier, où on pourra revenir le se réunissait le Club des Jacobins : dans la 19 août pour une des deux soirées boxe : cour du Mémorial de la Marseillaise : une l’histoire de Cassius Clay devenu Mohamed séance le 2 septembre pour laquelle il est Ali, racontée par Michael Mann dans son indispensable de s’inscrire (voir p.59). film Ali. La deuxième se jouera au Théâtre Le 16 septembre, au site archéologique de la Silvain, le 9 septembre, avec la projection de Bourse, un ciné concert inédit avec une création Raging Bull de Scorsese précédé de deux du gmem-CNCM-Marseille, interprétée par créations inédites produites par TILT : une Christian Sebille, Alex Grillo et Filippo Vignato, vidéo expérimentale de Stéphane Le Mercier qui accompagneront Fièvres, réalisé par Louis autour de la collection des gants de boxe du Delluc en 1921, où l’on peut découvrir les vieux Musée national du Sport de Nice, et un ciné quartiers du port détruits en 1943. concert proposé par le cinéaste Emmanuel La séance démarrera avec Marseille Vieux Roy et le compositeur interprète Yves Miara. Port (1929) de László Moholy-Nagy, peintre Et pour ceux qui aiment particulièrement et photographe hongrois d’avant-garde qui la boxe au cinéma, rendez-vous au Gyptis nous emmène dans les rues du centre-ville le weekend du 30 septembre où auront lieu d’avant guerre. projections et rencontres sur cette thématique.

Soirées à ne pas rater Le 21 juillet au Panier, un bijou de l’animation, Tout en haut du monde de Rémi Chayé, l’histoire de la jeune Sacha qui décide de partir vers le Grand Nord, sur la piste de son grand-père, explorateur renommé qui n’est jamais revenu de sa dernière expédition. On a toujours plaisir à revoir Mon Oncle de

Et tout au long de l’été Dans une multitude de lieux, films de l’histoire du cinéma ou œuvres récentes permettront de passer des moments agréables. Du 11 au 14 août, en écho avec l’exposition Aventuriers des mers, sur la Place d’Armes du MuCEM, quatre films à (re)voir en 35mm ou en version restaurée, Pirates de Polanski, Les Vikings de Richard Fleischer, La Vie aquatique de

Wes Anderson et La Leçon de piano de Jane Campion. Au château Borely, le 27 juillet, Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears et, le 3 août, Au bonheur des dames de Cayatte. Des séances qui débuteront par des courts-métrages comme quelques pépites de la série Mammas d’Isabella Rossellini. TILT a aussi à cœur de montrer des travaux réalisés en atelier « pré-cinéma ». Ce sera le cas le 1er septembre sur la place Henri Verneuil avant Avril et le monde truqué, le film d’animation de Franck Ekinci et Christian Desmares. Dans le cadre du festival La Guinguette, à la cité de la Maurelette, le 17 juillet, La Vache de Mohamed Hamidi et pendant les Estivales de la Capelette, le 28 juillet, La Couleur des sentiments de Tate Taylor. Toutes les projections commencent bien sûr à la tombée de la nuit. N’oubliez pas d’apporter vos coussins et, surtout, de consulter la météo et le site de TILT. Bel été en cinéma ! ANNIE GAVA

Ciné Plein Air jusqu’au 16 septembre 04 91 91 07 99 cinetilt.org


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Attention Chefs-d’œuvre !

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uand le soleil fait fumer le bitume des villes, quoi de plus agréable que de s’installer vers 14 h 30 dans une salle fraîche et obscure pour y (re)voir, sans bourse délier, de grands films ! C’est ce que propose la bibliothèque de l’Alcazar depuis juin et jusqu’à la fin août avec Écran(s) Total, une opération reconduite depuis 5 ans, menée en partenariat avec le FID, le Festival de jazz des 5 Continents, le festival de Marseille et Cinépage. Dans des conditions de salle de cinéma, place cette année aux Classiques du cinéma français, autour du documentaire Voyage à travers le cinéma français (2016) de Bertrand Tavernier. En juin et début juillet, à Alcajazz & Cinéma : trois documentaires et un film, dont From Mali to Mississipi (2004), de Martin Scorsese, sur les origines du blues, et Leimert Park, the story of a village in south central Los Angeles (2006), de Jeannette Lindsay, qui retrace l’histoire d’un quartier devenu « le » carrefour de la culture afro-américaine à Los Angeles, et Finding Fela (2017), d’Alex Gibney, qui documente la vie de Fela Kuti, créateur

Bonjour Tristesse, d’Otto Preminger © Sony pictures

de l’Afrobeat. Les Lumières d’Août éclaireront la seconde partie de l’été, avec 9 films programmés autour de l’adaptation littéraire dont : Bonjour Tristesse de Preminger (1958) d’après Sagan avec l’irrésistible Jean Seberg, Reflets dans un œil d’or de John Huston (1967) d’après Carson McCullers avec les starissimes Marlon Brando et Liz Taylor, Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944) d’après James M. Cain coscénarisé par le maître du roman noir, Raymond Chandler. Raisons et sentiments,

d’Ang Lee (1995), d’après Jane Austen, suivi d’une conférence de Lydia Martin, auteur de Les adaptations à l’écran des romans de Jane Austen : Esthétique et idéologie (L’Harmattan). Et surtout le petit chef-d’œuvre de Satyajit Ray d’après Sunil Gangopadhyay : Des jours et des nuits dans la forêt (1969). Alors si vous restez marseillais cet été et jouissez de quelques après-midis de liberté, n’hésitez pas ! Tous les films feront l’objet d’une présentation en début de séance. ELISE PADOVANI

Écran(s) total – Le cinéma d’été à l’Alcazar jusqu’au 25 août bibliothèque de l’Alcazar, Marseille bmvr.marseille.fr

Séances de rattrapage

D

u 2 au 20 août, au moment où le soleil tape dur, le MuCEM propose de découvrir une sélection de 15 films récents, sortis en salle entre 2015 et 2017, certains inédits à Marseille. L’occasion pour les cinéphiles de continuer à voir les films qu’ils aiment, même pendant l’été. Des films venus de Roumanie, du Japon, d’Italie, des États-Unis, de Corée ou du Portugal, Sonita de Rokhsareh Ghaem Maghami © Septième Factory qui permettent de voyager avec Sieranevada de Cristi Puiu (le 4 août). à ceux qui restent à Marseille. Ceux qui ne Une excursion en Italie avec Tairo, un jeune veulent pas partir loin et préfèrent rester en dompteur de fauves dans Mister Universo France pourront partager la vie de Roman de Tizza Covi et Rainer Frimmel (le 9) et Sifredi dans Pas comme des loups de ou avec Enzo qui se découvre des pouvoirs Vincent Pouplard (le 5 août à 15 et 18h) surnaturels après un plongeon dans le Tibre ou la surprenante évolution de Justine, une dans On l’appelle Jeeg Robot de Gabriele jeune végétarienne dans Grave de Julia Mainetti (le 20). Un voyage plus lointain, Ducournau. (le 10) en Asie ? On accompagnera Mitsuha, une On peut commencer le voyage en Roumanie adolescente qui vit dans les montagnes, et

qui se voit propulsée, à travers ses rêves, dans la vie trépidante d’un jeune lycéen de Tokyo : Your Name de Makoto Shinkai (le 13) Découvrir l’univers singulier du cinéaste coréen Hong Sangsoo dans Yourself and Yours (le 11) et la vie quotidienne de réfugiés birmans en Chine dans Ta’ang de Wang Bing (le 16). Autre réfugiée, la jeune afghane Sonita, qui habite dans la banlieue pauvre de Téhéran et rêve de devenir chanteuse dans Sonita de Rokhsareh Ghaem Maghami. Et puis, on peut continuer le voyage en Israël en compagnie d’un vieux couple et de leurs enfants dans Personal Affairs de Maha Haj (le 18 août) et au Portugal avec Jorge, boxeur fauché sans emploi qui cherche un moyen de sauver sa famille dans Saint-Georges de Marco Martins (le 19). D’autres escapades vous sont proposées. N’hésitez pas à consulter le programme de toutes les Séances de rattrapage au MuCEM ! ANNIE GAVA

MuCEM, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org


58 critiques cinéma

plus de cinéma sur journalzibeline.fr

Sortir de ses chaînes

© Films Distribution

U

ne femme, la tête couverte d’un foulard, lit dans la blancheur ouatée d’un cimetière. À quelques mètres, un couple se dispute, en désaccord sur l’emplacement d’une tombe dans cette immense étendue de sépultures

sur le Mont des Oliviers à Jérusalem. Elle, c’est Tzvia (Shani Klein), l’épouse de Reuven (Avshalom Pollak), juif ultra-orthodoxe, tout occupé à son enseignement de la Torah ou à autre chose, qui ne la désire plus et la

délaisse. Une vie rythmée pour Tzvia par la préparation des repas pour ses quatre enfants et son mari, qu’elle aime encore, et les prières ; une vie triste et sans plaisir dans cette maison, pareille à une grotte, qui jouxte le cimetière. Seul échappatoire à cet enfermement, à cette routine et à sa tristesse, ses errances dans le cimetière, où elle lit des textes sur la tombe d’une poétesse qu’elle aime, où elle se lie avec le fossoyeur palestinien, Abed (Haitham Ibrahem Omari). Jusqu’au moment où, une nuit, n’ayant pas réussi à faire renaitre le désir chez Reuven, elle s’enfuit dans le cimetière et en découvre la vie nocturne : les étreintes furtives de prostituées avec des hommes saouls. Profondément troublée, elle va s’approcher de ces gens si étrangers pour elle, leur apporter ce qu’elle sait faire, des repas. La première confrontation avec une des prostituées, qui lui renvoie son enfermement vestimentaire, sa frustration sexuelle, son corps si peu désirable, « Qui aurait envie de te toucher, toi ? » est bouleversante. Dans Mountain, son premier long métrage,

Ôtez-moi d’un doute

S

alle comble ce 9 juin à l’Alhambra. Dans le cadre de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs, Carine Tardieu, accompagnée par Cécile de France, présentait son dernier long-métrage, Ôtez moi d’un doute, dont la sortie en salle est fixée au 6 septembre. Une « touche de légèreté » dans la Sélection d’Edouard Waintrop, a-t-on pu lire, après la projection cannoise de ce film. Et de fait, le film, dédié à Claude Sautet, est une comédie « à la française » plutôt réussie : drôle, malicieuse, joueuse et enjouée. Un scénario bien ficelé ménageant son lot de surprises, une mise en scène efficace sans « esbroufe », des dialogues brillants peaufinés par les coscénaristes Michel Leclerc et Raphaële Moussafir, une musique mêlant la vivacité de Vivaldi et de Mozart à la modestie sentimentale d’une ritournelle ou d’une chanson de Reggiani, et, pour couronner le tout, un casting parfait où, aux côtés de Cécile de France, on retrouve François Damiens, Guy Marchand et André Wilms. Pour autant, sous ses dehors rieurs, cette comédie humaine-là se charge souvent de gravité et d’émotion explorant sans mièvrerie

© SND

l’intimité des liens parents-enfants. Erwan est un quadra breton, veuf depuis des années. Il démine les terrains encore truffés d’explosifs de la Seconde Guerre mondiale, prend soin de son vieux père ancien pêcheur devenu vulnérable, et de sa fille unique célibataire

et enceinte. Cette dernière s’occupe de cas sociaux. Il rencontre Anna, médecin généraliste qui s’occupe, elle, de ses patients et de son propre père qui l’a élevée tout seul. Deux familles différentes, parallèles, dont les histoires se ressemblent pourtant et se sont sans doute


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Yaelle Kayam a voulu « étudier la souffrance physique et morale d’une femme qui est une épouse et une mère. Une femme qui n’est plus désirée par son mari mais qui éprouve encore du désir pour lui, dans un lieu extrêmement chargé de sens puisqu’il se situe au carrefour des trois religions monothéistes du monde. » Et c’est réussi ! Une mise en scène sobre, tantôt dans un décor minéral chargé d’histoire, tantôt dans une maison qui semble emprisonner les personnages ; une interprétation juste et tout en retenue de l’actrice Shani Klein, superbe dans le rôle de cette femme désespérée qui cherche à se libérer de ses chaînes dans lesquelles la religion et la tradition l’ont enfermée. La fin ouverte laisse la liberté au spectateur d’interpréter son choix final et de réfléchir au mal que peut faire l’intégrisme religieux. ANNIE GAVA

La Victoire en chantant ! Le 2 septembre, dans la cour du Mémorial de la Marseillaise, à l’endroit même d’où un contingent de Marseillais enthousiastes est parti défendre « la Patrie en danger », chantant ce qui allait devenir notre hymne national, Jeanne Baumberger et Vincent Thabourey présenteront La Marseillaise de Jean Renoir, La Marseillaise de Jean Renoir épopée produite grâce à une souscription auprès des militants de la CGT. Film à la gloire du Front populaire, il exalte les valeurs de liberté et de fraternité. Nul doute que le lieu historique de la projection donnera au film un éclat particulier ! 2 septembre Mémorial de la Marseillaise, Marseille cinetilt.org

Mountain de Yaelle Kayam fait partie des huit films de la 18e édition de Regards sur le cinéma israélien qui s’est tenu du 14 au 20 juin à Marseille.

croisées, deux familles blessées par un deuil, un abandon, qui n’ont rien de « haïssable », où les gens sont bienveillants, attentifs aux autres. On n’est pas chez les Atrides, même si les hasards de la vie rendent toujours possible un inceste au croisé des chemins. On se « reconnaît » dans tous les sens du terme, que la filiation soit génétique ou élective. Quand Erwan apprend que celui qu’il a toujours considéré comme son père ne l’est pas, la bombe à retardement de ce non-dit familial n’explose pas et se désamorce en douceur. La réalisatrice le place dans un bureau devant une femme qu’on prend d’abord pour une psychanalyste avant de comprendre qu’elle est la détective engagée pour retrouver son père biologique : retour sur le passé et sur soi qui permettra une renaissance. Carine Tardieu file les métaphores invitant le spectateur à tisser avec elle un réseau d’images et de mots qui déclinent ses thèmes de prédilection, jouant avec un doute qu’elle n’ôtera pas tout à fait. Après de beaux portraits de mères, elle brosse ici ceux tout aussi sensibles de pères. Et affirme, quand on l’interroge sur ses projets de cinéma, (voir interview sur WebRadioZibeline), qu’elle n’en a pas encore fini avec la famille. Tant mieux pour nous.

En plein-air Deux séances de cinéma à savourer sous les étoiles en ce mois de juillet à Port-Saint-Louis. Comédies grand public au programme avec, le 18 juillet au quartier Le Vauban, Marseille, de Kad Merad. Le réalisateur y joue le rôle de Paolo, Marseillais exilé de longue date au Canada, qui, sur l’insistance de son frère, revient dans sa ville natale. Puis le 25, au quartier Ambroise Croizat, La vache, de Mohamed Hamidi, avec Jamel Debbouze. L’histoire est celle d’un paysan algérien, invité à présenter sa vache au Salon de l’Agriculture à Paris. Espace Gérard Philipe, Port-St-Louis 04 42 48 52 31 scenesetcines.fr

Jacques Rozier au Méliès Dans le cadre du festival Zones Portuaires, le grand cinéaste Jacques Rozier sera présent à Port-de-Bouc pour une soirée exceptionnelle. Trois œuvres de cet artiste de la Nouvelle Vague seront à l’affiche : Paparazzi, Le parti des choses : Bardot/Godard et Joséphine en tournée. Rendez-vous le 28 Le parti des choses de Jacques Rozier © Argos films juillet dès 19h30 pour un buffet participatif puis à 20h30 pour la projection-rencontre avec le réalisateur. A noter que Zones Portuaires, qui s’est ouvert le 14 juin, se tiendra jusqu’au 29 juillet à Port-de-Bouc et Marseille. Au programme notamment au Méliès, une rencontre, le 15 juillet avec Sergi Lopez qui présentera Western ainsi que son dernier film, En amont du fleuve.

ELISE PADOVANI

Cinéma Le Méliès, Port-de-Bouc 04 42 06 29 77 cinemelies.fr zonesportuaires.com


60 au programme arts visuels

L’art et l’été

Debora Delmar Corp. Trade Circle Europa (de la série Body Blend Trade Circle), 2014, chaussures de tennis Keds teintes au café et lacets, 60 x 60 x 10 cm, Courtesy ltd los angeles, Los Angeles

L

e salon international d’art contemporain Art-O-Rama fêtait son dixième anniversaire l’an passé, par une édition fournie, bien loin de ses origines intimistes. Dans un entretien accordé au magazine britannique Elephant, le directeur Jérôme Pantalacci déclarait qu’à ses débuts, « en dépit (ou à

cause) des faiblesses du marché de l’art à Marseille, c’était un bon endroit pour expérimenter de nouveaux formats ». Il faut croire que la démarche -une attention soutenue portée au projet artistique des participants, des espaces d’exposition étudiés, un programme adapté aux collectionneurs et aux

galeristes- a convaincu, puisqu’Art-O-Rama accueille cette année 26 galeries, triées sur le volet, venues d’Europe ou des États Unis. L’idée étant d’attirer à Marseille des structures de qualité, pour qu’elles « présentent ici des travaux qu’elles n’auraient pas pu montrer dans d’autres salons », plus audacieux ou plus atypiques. Certaines sont des habituées, 12 autres participent pour la première fois. Parmi les nouvelles venues, citons la galerie allemande Drei, qui propose l’œuvre multimédia d’une berlinoise, Anna Virnich, centrée sur le corps et ses capacités de communication. ltd los angeles, avec le projet prometteur de Debora Delmar Corp. : portant un regard critique sur la consommation de masse, la jeune artiste entame une campagne publicitaire vantant la graine d’amarante. Ou encore Narrative Projects (Londres), abordant la question du musée et de l’archive en faisant dialoguer les sculptures de Patrick Hough et les photographies d’Antonis Pittas. Comme chaque année, un espace est dédié à la jeune création régionale. On y découvrira le travail de François Bellabas, Alice Guittard, Eva Medin et Delphine Wibaux, tous issus

Paréidolie adoubée par ses pairs

L

a benjamine des salons du dessin contemporain n’a rien à envier à ses ainés Drawing Now Paris et Drawing Room Montpellier, créés respectivement en 2007 et 2009. Pour preuve la présence aux trois événements des galeries Anne-Sarah Benichou, Bernard Jordan, galerie C, Laurence Bernard, Papillon, Semiose. Et un panel spécifique pour la manifestation marseillaise : 22,48 m2, Espace à vendre, Escougnou-Cetraro, Eva Meyer, Jean Brolly, Maubert, Martin Kudlek, Projektraum Viktor Bucher. Leur reconnaissance saute aux yeux dans la programmation, et l’objectif initial « de présenter une foire à échelle humaine et exigeante en complément d’Art-O-Rama et de la rentrée de l’art contemporain » a été atteint en quatre éditions seulement ! D’autant que la valeur économique des salons d’art contemporain n’est plus à démontrer qui irriguent sur le territoire régional nombre de professionnels, médias, publics et collectionneurs français et européens. Roger Pailhas, avec Art Dealers, avait déjà eu l’intuition de faire de la cité

Santana SF Livz, 2014, 190 x 280 cm, fusain sur papier © Maxime Duveau

phocéenne un port d’attache pour le marché de l’art. C’était en 1996… Sous la présidence de Chiara Parisi, Paréidolie joue une partition intra-muros classique (14 galeries sélectionnées, artiste invitée Anne-Valérie Gasc, cartes blanches à la galerie Béa-Ba de Marseille et à l’EAC de Mouans-Sartoux, commissariat vidéo de

Barbara Polla) et une extension hors les murs originale. Ainsi l’artiste américain Mark Dion prendra-t-il possession du Museum d’histoire naturelle et du plateau expérimental du Frac, partenaire depuis ses premiers pas. Malgré un budget stagnant et une équipe restreinte -deux postes salariés et demi et trois bénévoles supprimés- la « women team » ne baisse pas


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(Dél)imiter la nature des écoles d’art de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Gaël Charbau, critique d’art et commissaire d’exposition indépendant, assurera le commissariat de ce Show Room, dont le lauréat deviendra l’artiste invité d’Art-O-Rama en 2018. Il ou elle succédera à Sabrina Belouaar, qui avait séduit l’édition précédente, et bénéficiera comme elle d’une bourse de production. Quelques mots enfin de la section Éditions, qui s’étoffe avec six participants présentant leur production éditoriale. On y découvrira notamment une sélection d’œuvres sur support papier réunies par la galerie parisienne mfc-michèle didier, interrogeant le langage considéré sous l’angle politique (The Guerrilla Girls), ludique (Robert Barry), ou « ironiquement promotionnel » (Fiona Banner). GAËLLE CLOAREC

Art-O-Rama 25 au 27 août Friche La Belle de Mai, Marseille art-o-rama.fr

les bras, au contraire elle innove. Elle vient de signer un nouveau partenariat avec Jeune création pour lancer le Prix du dessin-Paréidolie attribué à l’un des 53 artistes sélectionnés par l’association parisienne. Le lauréat sera accueilli en résidence à l’Atelier Vacances bleues et participera à l’exposition collective de la galerie Château de Servières. Consciente que le format d’une exposition diffère de celui d’une foire, Martine Robin, directrice de la galerie et membre du comité de pilotage, défend le caractère éphémère de l’événement (2 jours) pour mieux le prolonger dans la Saison du dessin qui essaime à l’automne dans le réseau Marseille Expos et au-delà. Donc rendez-vous pris le 27 août, et plus si affinités… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

27 & 28 août Château de Servières, Museum d’histoire naturelle, Frac, Marseille 04 91 85 42 78 pareidolie.net

Les Papillons, Bertrand Gadenne © Jerôme Taub

Art numérique et Nature font ils bon jardinage ? C’est la question que pose Hortus 2.0, en réinventant l’art du jardin dans les musées d’Avignon.

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es monuments d’Avignon s’allient cet été, exposant, qui les Sculpteurs d’Afrique (voir Zib 108), qui les jardins numériques. A l’heure où l’impact écologique du numérique se pose enfin, obérant sérieusement son avenir (voir page 6 et 7), le fonds avignonnais de dotation EDIS, producteur d’Hortus 2.0, invite les artistes numériques à interroger le végétal. Et voici qu’ils renouent ironiquement avec l’imitation aristotélicienne, reproduisant la création naturelle : leurs œuvres en sont commentaire, effacement, explication, ou sublimation décalée. Ainsi les questions esthétiques de la philosophie ancienne semblent renaître dans le rapport que les nouveaux médias installent entre l’œuvre d’art et la nature, ici domestiquée, du jardin. Au musée Angladon trois petites œuvres discrètes, sur tablettes, de Vincent Broquaire, inventent des « micro-mondes » industrieux dans les racines des plantes, allégorie de notre activité de fourmis. À la Chapelle Saint-Charles, un film sublime de Quayola, à partir des images « réelles » de paysages peints par Van Gogh : captation, effacement, pixellisation, le vent passe dans les branches, transforme la végétation et la terre en larges touches impressionnistes, recrée le réel en longues traînées de couleurs pures. Les cigales que l’on entend sont-elles réelles ? Et le vent dont on perçoit le souffle et qui tord puis dissout les feuillages ? Et où est le vrai de ces paysages filmés, peints, fondus, projetés ? La plupart des œuvres sont exposées au Musée Vouland. Une rose qui flambe sans

se consumer (Laurent Pernot), des pissenlits qui s’ouvrent la nuit, trompés par une lumière artificielle (Hicham Berrada) des sculptures 3 D d’animaux hybrides se déclinant du chien au renne, et du vert pelouse au vif argent (France Cadet). Quelques clins d’œil, le son d’un jardinier (Antoine Schmitt), des papillons qu’il faut chercher (Bertrand Gadenne), des bouquets givrés qui (se) fondent dans le mobilier XVIIIe (Laurent Pernot), un livre blanc qui révèle un herbier fantaisiste quand on tourne ses pages (Miguel Chevalier), des pissenlits dont les ombelles s’envolent si vous soufflez dans le micro (Edmond Couchot et Michel Bret). Tactiles et poétiques, les installations de Scenoscome transforment nos caresses à des pierres, à des plantes, en vibrations sonores tendres... Poétique encore, mais poignant, le film de Momoko Seto : dans une déclinaison de blancs et de noirs, l’eau avance, des fleurs éclosent, un jardin éphémère, contre-nature, s’étend, épuise la mer, transforme le sol en sel. Car les fleurs peuvent aussi assécher et tuer. Un des paradoxes soulevé par Hortus 2.0 : par leur rapport au virtuel et à l’invisible, les arts numériques interrogent la place du naturel, de sa culture, de son enregistrement, de sa transcription : désirable, apaisant, mortifère ou nostalgique ? AGNÈS FRESCHEL

Hortus 2.0 jusqu’au 1er octobre divers musées, Avignon edis-fondsdedotation/hortus-2-0


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La dynastie Bucher Jaeger ou l’art en héritage

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Collections muséales ou privées constituent la programmation estivale du musée Granet à Aixen-Provence, gages d’artistes prestigieux et de chefs-d’œuvre incontestés.

a galerie parisienne Jeanne Bucher Jaeger ne déroge pas à cette règle d’or, qui sort pour la première fois de ses archives familiales et de ses réserves quelques pièces uniques (De Staël, Dubuffet), de longues séries (Veira Da Silva) et dépoussière quelques oubliés ou méconnus de l’art moderne et contemporain. Ce qui enchante l’exposition est plus encore ce qu’elle raconte des trois générations qui se sont succédées que la collection elle-même, et ce qu’elle témoigne de l’émulation artistique parisienne en ce début du 20e siècle ! Passion de l’art Jean Dubuffet, Personnage pour Washington parade, 1973, ouvre l’album de famille Nicolas de Staël, Eau de vie, 1948, huile sur toile, 101 x 81,3 cm © Nicolas de Staël, courtesy galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris © ADAGP, Paris 2017 Photo : G. Poncet epoxy peint au polyuréthane, 210 x 143 x 69 cm © Jean Dubuffet, courtesy galerie Jeanne Bucher Jeager, Paris © ADAGP, Paris 2017 Photo : Rousseau d’une aventure hors norme débutée en 1925 par Jeanne point d’honneur à soutenir et à accompagner de Susumu Shingu introduisent et clôturent Bucher, alors âgée de 52 ans, qui ouvrit une Gérard Fromanger, Antonio Segui ou encore le parcours de Granet. Un troisième cycle librairie « dans un placard à chaussures au Asger Jorn… a donc débuté sous le signe de l’ouverture au monde et de l’inauguration de différents 3 rue du Cherche-Midi », se fraya une place dans le milieu artistique parisien, révéla des Une ouverture au monde espaces : en 2008 dans le Marais, en 2018 artistes à peine connus ou qu’elle rêvait de Dans l’escalier qui sert d’espace transitoire à Lisbonne. rencontrer. Ce fort tempérament noua des entre deux périodes, l’exposition révèle le goût À la manière de la collection, homogène par amitiés profondes qui lui servirent de guides, prononcé de Jean-François Jaeger pour les son équilibre ténu entre figures historiques l’incitant à exposer des œuvres embléma- arts primitifs qu’il exposa dès 1960 au 53 rue d’hier et d’aujourd’hui, le cheminement muséal tiques du cubisme et du surréalisme dès 1929 de Seine. Dans le vaste espace flanqué d’une scandé en trois périodes demeure classique, avec l’ouverture de sa galerie attenante à la haute verrière, il présenta des totems et des rythmé par des photographies murales. Rares librairie. Elle constitua également un fonds sculptures des civilisations Maya, Aztèque sont les moments où l’on sent les vibrations d’œuvres de jeunes artistes américains et Nouvelle Zélandaise, ainsi que la fameuse d’une passion partagée par Jeanne Bucher, découverts lors de ses différents séjours et série de sculptures monumentales en polyester Jean-François Jaeger et Véronique Jaeger, dont elle fit inlassablement la promotion en Hourloupe de Jean Dubuffet. Quand Véro- mais la nostalgie n’est peut-être pas le meilleur France. En 1947 lui succéda son petit-neveu nique Jaeger prit les commandes de la rue vecteur pour communiquer l’amour de l’art Jean-François Jaeger qui mit ses pas dans de Seine dans les années 2000, ce fut pour aux nouvelles générations ? MARIE GODFRIN-GUIDICELLI les siens, ayant à cœur de poursuivre la même jouer son « rôle de galeriste qui doit être vécu direction artistique : comme elle, il exposa comme une profession de foi. On apprend tout des artistes confirmés, principalement issus avec les artistes, c’est une grande chance ». de l’abstraction européenne et américaine Là encore rien de révolutionnaire dans les (Mark Tobey, découvert en 1944 par Jeanne choix, mais une attention toujours vive pour Passion de l’art - Galerie Jeanne Bucher et exposé pour la première fois par les médiums et les nouvelles formes en phase Bucher Jaeger depuis 1925 Jean-François Jaeger en 1955) avant de s’in- avec son époque, et l’acquisition d’œuvres jusqu’au 24 septembre téresser aux nouveaux peintres figuratifs et d’artistes d’Asie et d’Orient. Comme pour Musée Granet, Aix-en-Provence réalistes dans les années 70. Il mit ainsi un symboliser ce nouveau territoire, deux œuvres 04 42 52 88 32 museegranet-aixenprovence.fr


la TOURNée d’éTé 2017 fera étape Samedi 22 juillet LES PENNES MIRABEAU ............Stade Gilbert Rocci

DIMANCHE 23 juillet SEPTèMES .........Place Vallon du Maire

MARDI 25 juillet LE ROVE ...................Salle des Fêtes

JEUDI 27 juillet LA PENNE/hUVEAUNE ...................Place Pellegrin

VENDREDI 28 juillet PORT DE BOUC ..................Place Lazzarino

samedi 29 juillet LA COURONNE MARTIgUES ................Place du Marché

dimanche 30 juillet MARIgNANE ...............Place de la Mairie Cours Mirabeau

Spectacle gratuit à partir de 20h30 Renseignements tous les jours dans et sur www.lamarseillaise.fr


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Le Château et la Tarasque

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a carte blanche à Christian Lacroix Regards d’artistes sur le Château et l’exposition Je ne reconnais plus le soleil de Pascal Monteil sont une invitation à une relecture de la forteresse de Tarascon par le prisme d’œuvres liées à l’esprit du lieu, son histoire, ses résidents, son architecture et sa lumière. Figure centrale de cette double proposition, avec la Tarasque, le Château est prétexte à diverses évocations entremêlées sur trois niveaux habillés de tapis réalisés d’après des dessins de Christian Lacroix. Avec, pour fil rouge, les photographies patrimoniales d’Hervé Hôte, habile à traquer les détails sculptés, les bas-reliefs dissimulés, les graffitis datant de l’époque où la résidence des Ducs d’Anjou était pour partie

aménagée en cachots. Bernard Pourrière n’a pas oublié cette destinée funeste dans son installation Grande Chambre qui évoque les voix des prisonniers dans un enregistrement de pépiements d’oiseaux. Métaphore sonore dont l’apparente légèreté est contrebalancée par une vitrine d’objets découverts lors du nettoyage des cellules : bandelettes de tissus effilochés, semelles… L’association Artesens transforme le Salon du Roi en salle capitulaire avec neuf pupitres en bois et des bas-reliefs tactiles permettant à tous de comprendre la signification des légendes. Celle de la Tarasque, justement, qui a inspiré à Christian Lacroix un dessin reproduit sous deux formes jumelles antagonistes : l’une où l’effroi le dispute à la sauvagerie (tapisserie produite par l’atelier

La nature, un jardin d’Eden ? « Les œuvres ne sont ni terrifiantes ni cyniques même si le constat écologique et environnemental est glaçant, précise-t-elle. Il y a une nouvelle nature scientifiquement prouvée, à la beauté nouvelle, que les artistes nous aident à voir ». De fait, le commissariat à deux voix s’exprime dans la sélection des pièces -91 dont 5 réalisées in situ-, des artistes -66 de 16 nationalités, dont trois actuellement à la Biennale de Venise, et dans le choix de la période, les XX et XXIe siècles. Cohabitent ainsi les figures pionnières du Land Art, l’américain Robert Smithson et le britannique Richard Long, qui L’homme de Bessines, Fabrice Hyber, bronze peint en vert édition n°29, 87 x 30 x 30 cm, courtesy de l’artiste et galerie Nathalie Obadia Paris-Bruxelles ont choisi la nature comme champ a Fondation Villa Datris pour la sculpd’intégrations nouvelles. Hors des ture contemporaine se met au vert avec sentiers battus, ces performeurs ont ouvert la De nature en sculpture, proposition voie à des défricheurs tels Giuseppe Penone trans-générationnelle imaginée par Danièle et Toni Grand, à des éclaireurs branchés Kapel-Marcovici, présidente de la fonda- sur les recherches mathématiques ou les tion, et Laure Dezeuze, scénographe, qui avancées de la biologie (Miguel Chevalier, vit là son « baptême du feu ». Consciente des Michel Blazy). Et à des visionnaires comme pièges d’une thématique généraliste encline Julian Charrière ou Hicham Berrada qui « à tomber dans l’illustratif et dans la question réagissent à notre ère géologique qualifiée de la matérialité », elle a souhaité traiter de par les scientifiques d’Anthropocène, c’estla nature en tant qu’environnement et faire à-dire transformée par l’activité humaine, sienne la remise en question de la différence en reconstituant de « nouvelles natures où entre artificiel et naturel par les jeunes artistes. se mêlent chimie et poésie ».

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Au-delà des deux axes fondateurs du parcours, l’un historique, l’autre thématique, qui permettent de penser les œuvres comme représentatives de communautés d’artistes, l’exposition ouvre un large spectre de questions. Comment les artistes dépassent la dichotomie entre nature et paysage ? Quelles réflexions plastiques, esthétiques, philosophiques développent-ils face au désastre écologique et à la mutation du monde ? La résurgence des savoir-faire et des gestes ancestraux est-elle soluble dans l’art à l’heure de la révolution numérique ? Quelles postures adopter quand la nature riposte à l’invasion humaine et suscite parfois l’effroi ? Laurent Pernot, de la famille des cueilleurs-glaneurs, répond par des installations réalisées avec une économie de moyens et à taille humaine ; Nils-Udo se fond dans la nature jusqu’à s’y confondre ; Berdaguer & Péjus travaillent sur l’hybridation de la nature et sa mutation inquiétante. Des salons intimistes au jardin en bord de Sorgue, l’exposition offre un paysage d’exploration tellement vaste que l’on imagine déjà une suite… de sculpture en nature. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

De nature en sculpture jusqu’au 1er novembre Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue 04 90 95 23 70 chateau.tarascon.fr


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François Samouiller à Aubusson), l’autre où la rondeur joufflue de l’animal pourrait le laisser croire inoffensif (sculpture en osier réalisée par Daniel Benibghi, vannier à Vallabrègues). Une troisième effigie, née de l’imagination de Thibault Franc, est une version composite qui joue sur un registre ludique : un dragon maléfique métamorphosé en méga jouet en plastique ! Seul en scène, Pascal Monteil ne reconnait plus le soleil dans les appartements princiers. Il a imaginé un parcours autour de l’Eden et de l’Enfer, deux toiles monumentales qui superposent dessins et collages, et juxtaposent les saynètes à la manière de Jérôme Bosch. Épris de spiritualité asiatique, « l’artiste mage » rythme sa proposition de portraits de

figures littéraires incarnant le marranisme, le christianisme, le judaïsme et le polythéisme ; d’un ensemble de 16 pantins en tissu et laine brodée échoués dans une salle, gisants d’un temps immémorial (Mon Dieu, mon Dieu, dans quel siècle m’avez-vous jeté ?) ; de 18 tapisseries dédiées au Château (Des îles que n’entoure pas la mer). Un travail complexe, obscur parfois, qui tranche avec sa série Les Naturistes découverte sur son site, dans laquelle sa disposition à distordre l’image pour fantasmer la réalité est d’un kitch inouï. L’« assassin de l’image », comme le nomme Gauthier Roche, dévoile ici sa part d’ombre, laissant à l’atelier sa part plus lumineuse. M.G-G.

Regards d’artistes sur le Château jusqu’au 31 décembre Je ne reconnais plus le soleil, Pascal Monteil jusqu’au 30 septembre Centre d’art René d’Anjou, Château de Tarascon 04 90 91 01 93 fondationvilladatris.com

Pub Zibeline.qxp_Mise en page 1 18/05/2017 14:44 Page1

Babette Mangolte, Trisha Brown, Woman walking down a ladder, 1973, détail d’un diptyque éalisé en 2010. Photo © 1973 / 2010 Babette Mangolte. Courtesy de l’artiste & Broadway 1602. * Une manière différente de bouger

Minimalismes, New York, 1960-1980

CARRÉ D’ART-NÎMES 7 AVRIL- 17 SEPT. 2017


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Raz de marée d’amour façonnés, comment il a fallu convaincre (il dit « séduire ») les verriers de Murano, d’Inde et d’ailleurs à tenter une aventure artistique. Il est « tombé dans le verre » en cherchant du soufre, autre matière de prédilection, dans les iles éoliennes italiennes. C’est à Lipari qu’il découvre l’obsidienne, née des volcans, basalte vitrifié. A Sète, une impressionnante série présente six autoportraits, tous nommés Invisibility Face, morceaux d’obsidienne taillée. On s’y reflète, on s’y plonge, on le rencontre dans ces blocs hiératiques qui en disent bien plus long que le trait d’un sourcil ou le pli d’une bouche.

merveilleux

The big wave, Exposition Géométries amoureuses – CRAC Occitanie à Sète – Jean-Michel Othoniel, The Big Wave, (détail) 2017. Briques de verre indiennes, métal. Dimensions variables, Courtesy Galerie Perrotin, photographie Marc Domage ©

À Sète et à Montpellier, Othoniel offre une magnifique leçon de Géométries Amoureuses.

«

Regardez, ça tourne ! » Il attrape la queue de la volute, lui imprime un mouvement ferme, et le lent tourbillon prend son envol. Tout le monde en rêvait, sans oser le faire. C’est souvent l’effet provoqué par la sculpture : on a envie de toucher. Mais l’exposition de Jean-Michel Othoniel décuple le désir. Une attirance réellement physique s’installe à travers les pièces monumentales qui peuplent les salles du Crac de Sète. L’artiste propose un ensemble d’œuvres qui happent. Elles sont toutes créées pour le lieu, exceptée une, The Gigantic Necklace (2012), collier de verre de 8 mètres suspendu entre les deux niveaux (« mais il s’intégrait si bien ici »). Les Tornado, sculptures mobiles suspendues, enfilades de perles en aluminium ou en verre miroité, sont gigantesques, graves dans leurs dégradés de gris ou de violine. Leur tournoiement est lent, elles se croisent miraculeusement sans se heurter, elles occupent l’espace sans exclure le visiteur, l’invitent au contraire à se mêler à cette danse des éléments, à se laisser entrainer dans le tourbillon. Au milieu de ses créatures, Othoniel explique qu’entre sa première exposition à Sète en 1988, déjà invité par Noëlle Tissier1, et son retour aujourd’hui, il a vécu 30 ans d’une tornade créatrice qu’il aime à voir

s’expanser, mais dont il craint toujours d’être éjecté. Étrange sensation qu’il décrit comme l’angoisse d’être expulsé de son propre travail. « Je lutte pour rester dans l’œil du cyclone. » Maître de la matière, mais humble face aux ressorts de l’inspiration et des nécessités intimes qui guident la création.

tombé dans le verre Ce retour à Sète est célébré à travers une création colossale, The Big Wave. Dès l’entrée du centre d’art, elle submerge littéralement. Dix-mille briques de verre soufflé noir s’élèvent à 6 mètres de haut. Une vague arrêtée. Fragile, prête à se rompre, eau solide qui menace malgré le coup de baguette magique de l’artiste qui l’a figée avant la cassure. Ici aussi, on peut s’imbriquer dans la sculpture, se nicher dans le creux de la vague, s’y réfugier plutôt que de fuir devant cette puissance fascinante, effrayante. Les symboles affluent, tsunami, réchauffement climatique, noyade des réfugiés, aventure aussi, oui, plaisir évidemment, oui aussi ; car Othoniel est un artiste qui manie les contradictions dans ce qu’elles reflètent du souffle de la vie. Il aime à raconter les histoires de ses pièces. D’où viennent les matériaux, qui les ont

L’histoire des objets continue dans l’exposition présentée à Montpellier. Organisée autour d’un lumineux chemin scintillant de 17 mètres de briques bleues, lien avec la vague noire, on découvre les pièces que l’artiste a choisi de garder dans sa collection personnelle. Et l’histoire se mue en conte. Le merveilleux s’invite à la chapelle Sainte-Anne. Othoniel aime entretenir la relation entre sacré et profane. Ses nombreux fruits défendus, Sabots de Vénus en verre coloré de Murano passent les frontières : offrandes sulfureuses, sexes creux mais pleins de sève, calices d’un liquide sinon béni, du moins magique. Nombreux colliers ici aussi, dont les emblématiques Collier Cicatrice créé pour l’Europride (1997) et le Collier Seins (1997), chapelet de globes de verre laiteux troublants de suggestivité. Dans les deux lieux, la générosité de l’artiste irradie. Il transmet son amour de l’amour, du corps, de la nature, s’approprie les codes du conte en magnifiant les échelles, les couleurs, les reflets, les équilibres, dans un récit personnel qui revendique la beauté comme arme. ANNA ZISMAN 1 Noëlle Tissier, commissaire de l’exposition, clôture 20 ans de programmation à la tête du Crac avec un cycle de monographies à rebours intitulé « Les premiers seront les derniers » (Yan Pei-Ming et Johan Creten, et, pour finir, Othoniel) invités en 1988 pour l’ouverture de la Villa Saint Clair à Sète.

Géométries amoureuses, Jean-Michel Othoniel jusqu’au 24 septembre Centre régional d’art contemporain, Sète 04 67 74 94 37 crac.languedocroussillon.fr Carré Sainte-Anne – Espace d’art contemporain, Montpellier 04 67 60 82 11 montpellier.fr


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L’œil américain Deuxième exposition de la saison américaine au Pavillon Populaire à Montpellier : à la découverte de William Gedney, photographe en immersion

É

trange façon d’entrer dans une exposition, lorsqu’il est d’emblée annoncé que l’artiste était homosexuel, qu’il le cachait, qu’il fut une des premières victimes du Sida (1989), et que la majeure partie de ses clichés Cornett, Corbin, Kentucky, 1972, Photographie de William Gedney avec l’accord de la bibliothèque David M. Rubenstein Rare Book laisse transparaitre un désir évident Junior & Manuscript Library at Duke University pour ses jeunes modèles masculins, souvent torses nus. Pourquoi mettre en effet réinvente avec lui. déclinée sous d’innombrables et magnifiques l’accent sur quelque chose d’à la fois refoulé Ses photographies sont très incarnées. On sent avatars cabossés, parle d’une Amérique qu’on et criant, pourquoi déflorer ce qu’on nous sa présence, discrète, certes, mais complice. a l’impression de mieux connaître que celle explique être un secret gardé toute une vie, Qu’ils regardent ou non l’objectif, les sujets d’aujourd’hui. pourquoi ne pas laisser à chacun le choix échangent avec lui : un moment, un éclair, une de la porte à ouvrir pour découvrir l’œuvre intimité, un espoir. Même lorsqu’ils dorment, et perfusion de William Gedney ? Dès lors, la lecture est que Gedney attrape leur abandon, l’image n’est On parle souvent de tendresse, ou de respect, guidée par cet attribut réducteur et, espérons pas volée. La distance est toujours juste. Dans lorsqu’on veut souligner l’attention portée le en 2017, dépassé, lorsqu’il s’agit de qualifier une de ses séries les plus emblématiques, pro- par un photographe à ses sujets. Gedney est un parcours passionné et intérieur, celui d’un duite lors de deux séjours dans le Kentucky en au-delà. On a l’impression qu’il voudrait en photographe qui construisait sa quête dans 1964 et 1972, le photographe semble répondre être. Faire partie du cadre ; de cette vitalité à celle réalisée par Walker Evans dans son après laquelle il court. Désir, donc, mais aussi un travail d’immersion intimiste et ouvert. fameux travail auprès de la famille Burroughs besoin de sentir pulser les cœurs, le bruit et la à bonne distance en Alabama pendant la Grande Dépression. Lui fureur, les rires des fillettes dans l’ombre d’une Gedney, témoin (et peut-être acteur) des grands s’installe chez les Cornett, couple de mineurs cuisine au plancher dont on sent presque courants hippies américains, des premières gay au chômage avec ses douze enfants. C’est les échardes sous les pieds nus : Gedney se parades, de la crise minière dans le Kentucky, l’été, les corps sont las, lascifs. La misère est perfuse avec l’intensité qu’il sait trouver chez est pourtant resté largement méconnu, jusqu’à palpable : chaussures trop grandes, récupérées ceux qu’il photographie, et nous transmet un aujourd’hui, avec cette première rétrospective du grand frère, ampoule plafonnier à nu, ongles appétit de sensations mêlées qui transpire la vie. au monde (208 photographies), initiée par noircis par une crasse qui s’affiche, tant elle Cela apparaît peut-être encore plus fort dans Gilles Mora, directeur artistique du Pavillon nous renvoie à d’autres imageries ouvrières une série de clichés urbains nocturnes. Les Populaire et commissaire de l’exposition. Il a ou paysannes, comme une revendication de rues sont vides, inquiétantes. Dans le halo des côtoyé Diane Arbus, Robert Frank, il a croisé classe. Mais c’est aussi et surtout l’énergie lampadaires, les fenêtres sont closes. Avec le le chemin de Tom Wolfe, mais c’est en effet d’une jeunesse décomplexée qui saute aux photographe, on attend, on respire doucement, dans un farouche besoin d’indépendance artis- yeux devant cette galerie de portraits et scènes tendus : quelque chose est là, qui va surgir, tique, très certainement aussi marqué par un cadrées dans un quotidien qui découpent un qu’il faudra savoir vivre à temps. ANNA ZISMAN tempérament introverti, que le photographe a extrait de l’American way of life -côté campagne mené son travail immersif. Un regard en noir déshéritée. Il y a une liberté provocante dans et blanc, sensible, sensuel, classique et pointu, les regards, les attitudes. Une connivence entre Wiliam Gedney. Only the lonely, 1955-1984 traversé d’éclairs de vie fulgurants et d’une les frères et sœurs. Une gravité dans cette jusqu’au 17 septembre multitude d’histoires surgies dans le cadre, façon d’habiter le cadre que Gedney dessine Pavillon populaire, Montpellier échappées dans les marges, qu’on devine et autour d’eux. L’omniprésence de la voiture, 04 67 66 13 46 montpellier.fr


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Double discours

C

e qui rapproche. Ce qui sépare. Ce qui se croise. Ce qui se répond. Ce qui rebondit. Exposer deux artistes en face à face alimente la rhétorique de la confrontation. Exercice de style muséographique et théorique, il suggère souvent une redécouverte de l’un et de l’autre, qu’on apprend à appréhender autrement, dans des creux et pleins qui se complètent magiquement, le long de parallèles qui progressent dans un discours au vocabulaire commun. À l’occasion du double anniversaire célébré au musée Fabre, les 10 ans de sa rénovation et les 40 ans du Centre Pompidou, son directeur Michel Hilaire et Cécile Debray, commissaire invitée1, ont conçu une exposition qui présente conjointement, pour la première fois, les œuvres de Francis Bacon et Bruce Nauman. Deux monstres aussi sacrés l’un que l’autre, deux personnalités qui malaxent les corps et les points de vue, deux univers qui impriment magistralement l’art contemporain des XXe et XXIe siècles se retrouvent ainsi sur le même plan, dans une communion des sens et des esthétiques inattendue et inspirante. Une scansion thématique et scénographique

Bacon versus Nauman : une exposition majeure au musée Fabre de Montpellier

aux techniques diverses : peintures, sculptures, vidéos, photographie et arts graphiques. Cécile Debray donne la parole autant à l’un qu’à l’autre des deux artistes, qu’elle fait dialoguer sur des sujets qu’il semble grâce à elle désormais évident qu’ils partagent. Le cadre et la cage, pour commencer. Le sculpteur et vidéaste Nauman a très tôt formalisé l’enfermement dans le vide de son atelier, se filmant tel un rat qui bute sur les bords de la boite où on observe ses réactions (Bouncing in the corner 1 and 2, 1968-69). Et Bacon, lorsqu’il peint un homme qui regarde un singe, (Figure with Monkey, 1951), rend plus significatifs les barreaux de la cage plutôt que l’animal, flou, presque transparent, ou le voyeur, dos massif et impersonnel. Le mouvement et l’animalité, puis le corps en fragments suivent. Tous Francis Bacon, Portrait of George Dyer in a Mirror, 1968 - CR68-05 deux inspirés par les travaux de chroHuile sur toile 198 x 147,5 cm, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza © The Estate of Francis Bacon /All rights reserved / Adagp, Paris and DACS, London 2017 nophotographie (dont certains sont très pertinente en cinq sections propose un exposés) de Muybridge, Nauman parcours parmi une soixantaine d’œuvres et Bacon explorent le corps en morceaux, le

Un musée qui respire Au Mrac de Sérignan, l’art contemporain toujours alerte

C

haque visite au Mrac laisse transparaitre quelque chose de réellement vivant. Ce lieu est décidément animé d’un mouvement créatif et branché sur les questionnements contemporains, déclinés au fil des présentations proposées par sa directrice Sandra Patron, qui expose des travaux souvent très conceptuels, toujours parfaitement introduits par son regard et son expertise de curatrice. Elle délivre peu à peu un regard plein d’acuité sur le monde, dans une lecture cohérente et toute en transmission. Cet été, dans l’espace du cabinet d’arts graphiques, allégé de quelques vitrines qui provoquaient reflets et distance entre les œuvres et les visiteurs, l’allemande Pauline Zenk expose son travail de mémoire en pointillé. Récemment lauréate du Grand Prix Occitanie de l’Art contemporain, elle explore et collecte des images perdues ou en errance, dans les

tiroirs, aux marchés aux puces et sur internet, et traduit les déchirures et les pertes dans une peinture sensible, pleine de symboles. Pour cette dernière série, Gravitation, elle se confronte à l’histoire de la Retirada. A Toulouse, où elle vit actuellement, elle a rencontré des personnes, qui, enfants, ont fui l’Espagne et la débâcle des Républicains espagnols en 1939. Elle a écouté les trous dans leur mémoire, regardé des photos dont plus personne ne sait qui est dessus. Elle décline le beau visage de Maria, qu’elle multiplie et épuise en le recopiant, avec toujours quelque chose qui signifie l’absence, l’oubli, un vide irrémédiable. Toile découpée, déchirée. Personnages scindés en deux. Flou sur les figures. C’est délicat et limpide. Neil Beloufa, franco algérien installé à Montreuil, déjà très présent sur la scène internationale (Moma à New York, Londres, Biennale de Venise) expose pour la première fois une monographie de cette importance en France (hormis Paris). Au premier abord, l’univers de Développement durable est plutôt hermétique. Des capsules cylindriques, bricolées avec des objets de récup’, peut-être pour abriter des sans

Pauline Zenk, La fille avec le carreau noir, 2017. Huile, crayon et pastel sur toile, 46 x 38 cm.

domicile, peut-être pour partir dans l’espace. Un comptoir de Bar - Schengen protéiforme, ludique, au look très Star Wars, bardé de caméras de surveillance, des passeports vissés sur le comptoir… Beloufa ingère les objets quotidiens, non pas vraiment pour les détourner, mais pour


MARSEILLE

À PARTIR DU 25 AOÛT 2017

temps sectionné. Les célèbres néons du sculpteur (Double Poke in the Eye II, 1985, profils colorés et clignotants) côtoient les « études du corps humain » du peintre (Study of the Human body, 1981-82, fessier absurde, posé sur un sexe et des jambes bottées). Tout se mélange, les têtes, les pattes, les bouches détourées telles des animaux autonomes, cohortes d’hybrides désenchantées dans un monde où rien d’autre n’est à espérer. L’éternel recommencement, signifié par le cercle, l’arène, la piste est une autre clé de lecture. Vidéos en boucle, triptyques soulignés par la courbe : deux expressions récurrentes et fondatrices dans l’œuvre des artistes. La réflexion (dans tous ses sens) et le portrait (auto ou non), clôturent la conversation. Les gigantesques visages multipliés de Nauman, vociférant une incantation sans fin, et les figures grimaçantes de Bacon, s’imposent dans une troublante ressemblance. ANNA ZISMAN

Précédemment en charge des collections modernes du centre Pompidou, Cécile Debray a été nommée directrice du musée de l’Orangerie en mai dernier.

1

Francis Bacon / Bruce Nauman. Face à face jusqu’au 5 novembre Musée Fabre, Montpellier 04 67 14 83 00 museefabre.fr

souligner leur inutilité (beaucoup de cafetières Nespresso), l’esprit jetable de notre société, le besoin qui se crée après l’invention du produit (les iPad). Rassembler des inutilités ou obsolescences pour créer un courant collectif. Avec ses espaces dystopiques/utopiques (selon l’humeur), il propose, sur notre monde d’objets surveillés, un regard conscient, amusé, désenchanté, à partager (on peut brancher son téléphone sur ses sculptures, s’asseoir dans Le Confident, écouter sa playlist). Autre langage, autres temps, la collection d’affiches d’expositions de Lempert assemblées par Miguel Wandschneider, commissaire invité, tourne la tête, tant il y a d’images, d’artistes auteurs de posters (Dubuffet, Hamilton, Ben, Warhol, Rauschenberg…), de courants (très bien exposés), de messages, de langages… Progression un peu répétitive, mais c’est justement là que se situe toute la richesse de l’expérience. A.Z.

jusqu’au 8 octobre Honey, I rearranged the collection – Posters de la collection Lempert Gravitation – Pauline Zenk jusqu’au 22 octobre Développement durable – Neil Beloufa Musée régional d’art contemporain, Sérignan 04 67 32 33 05 mrac.languedocroussillon.fr

Art-O-Rama salon international d’art contemporain Vincent Lamouroux - New Runway exposition monographique Inventeurs d’aventures exposition collective Claire Tabouret exposition monographique L’arrière-pays est devenu patrimoine Göngrich/Sieverts Prix des ateliers de la Ville de Marseille exposition collective


70 au programme arts visuels bouches-du-rhône

Gérard Traquandi Conçue pour le chant, l’architecture cistercienne se méfie de la couleur. Gérard Traquandi relève le défi du visible dans cet espace dédié à la spiritualité. Pour ce projet in situ, peintures, dessins et céramiques immaculées inventent un dialogue ténu et silencieux avec l’immatériel. C.L. Dans le jardin des simples jusqu’au 20 août Abbaye de Silvacane, La Roque-d’Anthéron 04 42 50 41 69 abbaye-silvacane.com

Dans le jardin des simples, vue partielle : l’installation sur le mur est du réfectoire. Photo : Denis Prisset

L’Atelier Buffile, 70 ans de céramique à Aix Créé en 1945, l’Atelier Buffile est toujours créatif ! Quatre lieux s’unissent pour retracer son parcours et raconter l’histoire d’une famille passionnée, portée par Léonie et Jean Buffile, fidèle à ses valeurs (l’utilitaire comme « valeur constante et sûre ») mais ouverte aux rencontres avec les artistes, les architectes, les décorateurs… M.G.-G. jusqu’au 1er octobre Musée du Vieil Aix, Pavillon de Vendôme, Galerie Franck Marcelin, La Gallery - Camille Moirenc, Aix-en-Provence aixenprovence.fr/L-atelier-Buffile-70-ans-de-ceramique-a-Aix

Vincent Buffile, 2017, photo Jean Bernard

Vera Röhm

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Pierre, métal, moulage en plexiglas, bois à l’extrémité brisée : Vera Röhm se consacre depuis les années 70 à la complémentarité des matériaux, leur fusion ou leur antagonisme. Sa création plurielle déclinée par séries d’installations intérieures et extérieures épouse ou contrarie les espaces architectoniques de la Fondation Vasarely. Un jeu de miroir entre les volumes et les ombres à ne pas manquer. M.G.-G. À la recherche de la beauté rationnelle jusqu’au 31 août Fondation Vasarely, Aix-en-Provence 04 42 20 01 09 fondationvasarely.org

Vera Röhm, Installation 25 Ergänzungsstelen, 2001, bois d’orme, Plexiglas, 371 x 14 x 14 cm, Atelier Rößlerstraße, Darmstadt photo Wolfgang Lukowski © archives Vera Röhm

Marine Provost Expérimenter la sensation d’urgence, pour une artiste en résidence, disposant d’un temps de création restreint ? Dans un domaine viticole près de l’étang de Berre, Marine Provost propose plusieurs approches, des Motifs-Mobiles, un Kintsugi mural, des Massacres, une Barricade en chambres à air...C.L État d’urgence… jusqu’au 30 septembre Domaine de Suriane, Saint-Chamas 04 90 50 91 19 voyonsvoir.org Marine Provost, Motifs-Mobiles, 2017, détail. © C. Lorin/Zibeline


#7 exposition 2017

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72 au programme arts visuels var vaucluse

Henri Cartier-Bresson (1) L’exposition Tête à tête propose une sélection des portraits les plus inoubliables de celui qu’on a surnommé « l’œil du siècle ». Marylin Monroe, Truman Capote, Picasso, Susan Sontag, Coco Chanel, Sartre, Matisse, André Breton, Francis Bacon, Chagall, Ernst, l’abbé Pierre, Piaf, Doisneau, Genet, Mauriac, Aragon, Camus… Des portraits d’anonymes ponctuent cette galerie de célébrités. M.G.-G Tête à tête jusqu’au 17 septembre Maison de la photographie, Toulon 04 94 93 07 59 toulon.fr/maison-de-photographie

Henri Matisse, 1944 © Henri Cartier-Bresson Magnum Photos

Henri Cartier-Bresson (2) Au musée Yves Brayer, 54 photographies iconiques présentent un autre pan du travail du photographe, qui disait que « photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. C’est une façon de vivre. » Les deux événements sont organisés avec la collaboration de la Fondation Cartier-Bresson et de l’agence Magnum Photos qu’il fonda en 1947 avec Robert Capa. M.G.-G. L’imaginaire d’après nature jusqu’au 28 septembre Musée Yves Brayer, Les Baux-de-Provence 04 90 54 36 99 yvesbrayer.com Brie, France, 1968 © Henri Cartier Bresson, Magnum Photos

Un été de rêve ? Keith Haring, la collection Agnès b., Anselm Kiefer, Leila Alaoui… et quelques autres réunis sous quatre expositions thématiques (La Vie secrète des plantes, On aime l’Art !) ou personnelles comme Je te pardonne, série de photographies et vidéos de la regrettée Leila Alaoui. À expérimenter, le Sleepworker, performance de François Sabourin. C.L. jusqu’au 5 novembre Collection Lambert, Avignon 04 90 16 56 20 collectionlambert.fr

Keith Haring, untitled, 1982, enamel on metal, 30,48 x 30,48 cm © Laurent Strouk

Le paysage en question Délaissée par les artistes contemporains, la peinture de paysage ressurgit au moment où la conscience de la mise à mal de la planète s’universalise. Gilles Altieri réunit huit artistes qui questionnent la complexité du genre, notamment l’artiste Marseillais Jérémy Liron amoureux de l’architecture urbaine, le Toulonnais Serge Plagnol et sa transformation du paysage en harmonies chromatiques, le Belge Koen van den Broek qui s’attache à recréer quelques segments de la réalité. Sans oublier Aillaud, Bioulès, Kimura, Kirkeby et de Malherbe. M.G.-G. 8 juillet au 26 novembre Centre d’art contemporain, Châteauvert 07 81 02 04 66 caprovenceverte.fr Jérémy Liron, Paysage 97, (Quadriptyque), huile sur toile sous plexiglass, 246 x 246 cm – 2012 © Jérémy Liron toile © E.L.



74 au programme arts visuels var hérault

Elisabeth Brun Inspirée par Ansel Adams, initiée à la photographie dans l’atelier Magenta de Dominique Sudre, Élisabeth Brun travaille en noir et blanc portraits et paysages, des paysages « psychologiques » où se mêlent étrangeté et postures des corps. Le paysage comme vision intérieure, aux limites de l’abstraction. C.L. Le temps d’un songe jusqu’au 3 septembre Pôle Culturel des Comtes de Provence, Brignoles 04 94 86 16 04 caprovenceverte.fr

© Élisabth Brun

Mathieu Pernot Mathieu Pernot est reconnu depuis de nombreuses années pour son travail réalisé auprès des communautés tziganes. C’est un parcours protéiforme original qui est proposé ici, composé autour d’installations, d’images inédites, d’enregistrements sonores et de documents d’archives. Voir aussi son exposition « Les Gorgan » aux Rencontres d’Arles. C.L. Survivances jusqu’au 1er octobre Hôtel des Arts, Toulon 04 83 95 18 40 hda.var.fr

sans titre, série du feu, Arles, 2013. © Mathieu Pernot

Isa Barbier Projet in situ hors les murs avec la galerie montpelliéraine AL/MA. Quand les plumes immaculées d’Isa Barbier dédoublent l’élément central, un sarcophage de pierre, dans la chapelle dédiée à la charité. Élévation, résurrection, dématérialisation… Afin que la clarté libère le monument mis en apesanteur. C.L. Transposition jusqu’au 17 septembre Chapelle de la Miséricorde, Montpellier 04 67 67 93 32 galeriealma.com

Isa Barbier, Transposition, 2017, plumes, fil, cire, 65 x 250 x 45 cm . © Photo de l’artiste

Estampes De Dürer à Marianne Décosterd, en passant par Rembrandt, Le Lorrain, Goya, Picasso, Bonnard et Vuillard, Morandi... un panorama de l’art de la gravure puisé dans le collection de la Fondation William Cuendet et du très réputé Atelier de Saint-Prex en Suisse. C.L. Impressions fortes jusqu’au 5 novembre Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museedelodeve.fr Pietro Sarto, Petite sortie vers l’enfer, 2006, héliogravure. © Fondation Cuendet (photo Olivier Christinat, Lausanne)


au programme arts visuels alpes-maritimes

75

William Klein Le chantre de l’action-photography en triptyque. De 1959 à 1961 : en pleine guerre froide, un Américain chez les moscovites. 1961 : le Tokyo tumultueux des avant-gardes sur tirages noir et blanc grand format, contacts peints. 1984 : le Carnaval de Nice, série en couleurs rarement montrée. C.L. William Klein Bises de Nice, Moscou et Tokyo jusqu’au 2 octobre Musée de la photographie Charles Nègre, Nice 04 97 13 42 20 museephotographie.nice.fr

Dance happening avec Kazuo & Yoshito Ohno et Tatsumi Hijikata, Tokyo 1961 (Contact peint, 2003) © William Klein

Bonnard & Vuillard Leur complicité, en art comme en amitié, s’éclaire singulièrement à travers la collection Zeïneb et Jean-Pierre Marcie-Rivière. Cet ensemble exceptionnel de peintures, dessins et pastels des « Nabi japonard » et « Nabi zouave » est proposé dans une présentation intégrale venant du musée d’Orsay. C.L. Bonnard/Vuillard jusqu’au 17 septembre Musée Bonnard, Le Cannet 04 93 94 06 06 museebonnard.fr Edouard Vuillard, Misia assise dans une bergère, dit Nonchaloir, 1901 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Eduardo Arroyo La Fondation Maeght consacre à Eduardo Arroyo l’exposition thématique Dans le respect des traditions. Toiles, dessins, sculptures, « pierres modelées », assemblages créés depuis 1964 composent cet ensemble kaléidoscopique qui met en exergue son langage pictural « construit autour de l’idée d’écriture et d’autobiographie ». M.G.-G. Dans le respect des traditions jusqu’au 19 novembre Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence 04 93 32 81 63 fondation-maeght.com

Eduardo Arroyo, Double portrait de Bocanegra ou le jeu des 7 erreurs, 1964. Huile sur toile, 195 x 195 cm © Adagp Paris 2017. Photo DR.

Philippe Ramette Comment découvrir de l’art contemporain tout en faisant ses emplettes ? En suivant le parcours ludique, poétique et décalé consacré à l’œuvre de Philippe Ramette. Ses photographies et sculptures disséminées sur tout le site sont un défi à l’apesanteur et à la morose pesanteur quotidienne. Livret de jeux pour les plus jeunes avec dessins originaux de l’artiste. CL. Éloge de la déambulation jusqu’au 7 octobre Polygone Riviera, Cagnes-sur-Mer polygone-riviera.fr

Exploration rationnelle des fonds sous-marins : la sieste, 2006 Courtesy artiste/galerie Xippas 
 © P. Ramette / Adagp, Paris, 2017
 Vue de l’exposition à Polygone Riviera, 2017
 Crédit photo : Florian Kleinefenn


76 critiques livres

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De l’enfance blessée

E

n apprenant qu’il obtenait le Prix littéraire des lycéens et des apprentis pour son album, Matthias Lehmann a tout de suite félicité ses « électeurs » de leur choix, reconnaissant qu’ils n’avaient pas choisi un livre facile. En effet le scénario de La favorite met en scène Constance, orpheline d’une dizaine d’années élevée par ses grands-parents. On découvre très vite une situation anormale. La grand-mère est autoritaire et violente, le grand-père lâche et alcoolique, Constance ne va pas à l’école et ne connaît aucun enfant de son âge. C’est elle qui raconte la violence, les punitions et sa peur lorsqu’elle est enfermée au grenier. Son univers s’élargit un peu lorsqu’elle découvre les deux enfants du couple engagé au service de la maisonnée. Elle commence à se poser des questions sur ses origines (on ne lui parle jamais de ses parents) et sur son sexe, car en fait Constance est un garçon. Nous n’en dévoilerons pas ici les raisons, mais c’est la folie

Flux et reflux…

de la grand-mère qui a tout orchestré. Aux deux-tiers du livre, le narrateur change et donne quelques clés pour comprendre la situation de Constance/Maxime. Matthias Lehmann offre avec cet album un récit sensible qui évite le pathos tout en soulignant les difficultés pour un enfant de comprendre le monde qui l’entoure et d’y trouver sa place. Les dessins à la plume sont en noir et blanc et s’apparentent à la technique de la carte à gratter. Les planches organisées de façon très variées –pleine page, cases de grandeurs différentes- offrent une lecture rythmée de cet album très attachant. CHRIS BOURGUE

Lire la chronique de la remise du Prix PACA sur journalzibeline.fr La favorite Matthias Lehmann Actes sud, 23 €

Dans les coulisses de l’Histoire

L

e 20 février 1938, 24 patrons allemands se retrouvent au Reichstag. Ils ont rendez-vous avec Goering. Celui-ci leur garantit la stabilité du pays si les nazis remportent les élections qui, selon lui, devraient être « les dernières pour cent ans.» Car la stabilité politique, c’est bon pour l’activité économique. Mais qui sont ces hommes assis autour de la table ? On les connait moins par leur état-civil que par l’empire industriel qu’ils incarnent : BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. « Ce sont les prêtres de Ptah. Ils se tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer aux portes de l’Enfer. » Ces portes vont s’ouvrir quelques jours plus tard : le 12 mars, des douaniers autrichiens soulèvent une barrière et laissent passer les blindés allemands. C’est l’Anschluss. Ce soir-là, Ribbentrop et Madame dînent chez les Chamberlain, au 10 Downing Street. La soirée traîne en longueur. Alors, on parle tennis en dégustant des macarons. Ici, comme dans de précédents ouvrages d’Éric

Vuillard (Congo, Tristesse de la terre, Conquistadors), les décisions ou l’aveuglement d’une poignée d’hommes sont la cause du malheur de peuples sacrifiés, martyrisés, de morts par millions. Sans tambours ni trompettes, dans l’intimité feutrée d’un bureau ou lors d’un dîner composé de mets raffinés et de grands crus, des personnages plutôt falots orchestrent l’implacable mécanique qui mènera au chaos mondial. Et si Vuillard conclut par « On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme », il ajoute : « mais on tombe toujours de la même manière dans un mélange de ridicule et d’effroi. » Cette « manière » est au centre du récit : une chronologie de faits, en apparence anodins, secondaires, qui mène insidieusement à la barbarie, et démontre avec virtuosité que le diable se niche dans les détails.

U

ne femme se souvient. Elle se parle et nous parle. On a peu à peu l’impression d’entendre sa voix, une voix plutôt douce mais volontaire aussi, qui évoque le passé et les personnes rencontrées, amies proches ou pas. Les souvenirs arrivent en rafales et ne semblent pas être rangés dans un ordre précis ; ils occupent de petits chapitres assez courts. On est surpris au début de ces lambeaux de passé en désordre mais on se prend au jeu de ces évocations qui surviennent comme des vagues qu’on ne peut arrêter. Dans ce livre, Ginevra Bompiani revit des moments partagés avec des personnes désormais disparues (ou pas), et s’interroge sur la touche Pomme Z, « la touche salvatrice », qui permet sur certains claviers d’effacer et de revenir en arrière. Que ferions-nous si nous pouvions revenir sur des moments passés et changer peut-être ainsi notre destin ? Ferions-nous les mêmes erreurs, prendrions-nous de meilleures décisions ? Pas vraiment sûr. Nos erreurs ne nous construisent-elles pas autant que nos réussites ? Écrivaine, éditrice en Italie (éd. Nottetempo), universitaire, Bompiani a côtoyé des écrivains, des philosophes, des artistes qui traversent ses pages sous leurs aspects les plus quotidiens, banals même, avec leurs défauts, leurs mesquineries, leurs craintes. On croise Florence Delay, Gilles Deleuze, Elsa Morante, José Bergamín, Giorgio Manganelli… Que du beau monde. Et pourtant que de fragilité, de doutes, d’exigence chez ces êtres qui s’inquiètent pour un chauffage défectueux comme pour une certaine lumière méridienne à trouver pour une peinture. Des pages pénétrantes, vraiment. CHRIS BOURGUE

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L’ordre du jour Eric Vuillard Actes Sud, 16 €

Pomme Z Ginevra Bompiani Liana Levi, 14 €



78 critiques livres

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Les formes du pouvoir

A

ux Éditions Libre & Solidaire vient de paraître un essai sur les falsifications du pouvoir, intitulé sobrement De la domination. Une thématique intéressante, d’autant qu’elle est traitée par deux auteurs issus de disciplines qui se croisent trop peu : la biologie et la philosophie. Thierry Lodé s’intéresse à l’écologie évolutive et à la vie sociale des animaux, Tony Ferri est spécialiste des questions de surveillance et des mesures carcérales ou pénales. Ensemble, ils interrogent les préjugés qui ont traversé l’histoire des sciences et appuyé la domination politique jusqu’à nos jours. Notamment ceux visant à légitimer les inégalités sociales ou de genre, le racisme ou l’homophobie, en les basant sur une inégalité « naturelle ». Convaincus comme l’était Blaise Pascal que le pouvoir, « n’ayant pas de justification absolue et juste en lui-même, a besoin de symbolisme, de rituel, d’imaginaire et d’habitude pour s’établir, duper et fonctionner », leur démarche consiste à dévoiler les méthodes des puissants, prompts à décréter

que les lois de la féodalité ou du capitalisme sont inscrites dans l’ordre naturel. Selon eux, jamais un animal sauvage n’a eu besoin d’un maître, et ils démontent les théories forgées au cours des siècles en nourrissant leur réflexion d’exemples concrets : mangoustes libertaires, lionnes égalitaires, abeilles anarchistes, chevaux et poules adeptes de la hiérarchie circulaire... Plutôt

qu’une domination de certaines espèces ou individus inscrite dans les gènes, ils évoquent le « charisme de fonction » conceptualisé par Max Weber (une disposition naturelle et momentanée d’entraîner l’adhésion du groupe). Mettant à mal le néo-Darwinisme, ils entendent démontrer que loin de favoriser la reproduction du « meilleur » capital génétique, la nature vise plutôt la diversité, garante de la capacité d’adaptation et de la robustesse des espèces. Les férus de philosophie auront peut-être un peu de mal à suivre les passages scientifiques, ceux de biologie à manier les concepts métaphysiques, mais c’est tout l’intérêt de cette écriture à quatre mains : stimuler chacun pour l’encourager à sortir de sa zone de confort. GAËLLE CLOAREC

De la domination. Essai sur les falsifications du pouvoir Thierry Lodé et Tony Ferri Libre & Solidaire, 17,90 €

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Au féminin !

L

es éditions Agone reprennent dans leur collection Infidèles des textes qui ont connu, après leur heure de gloire, un passage d’oubli. Avec Quand je serai grande je changerai tout, nous sommes amenés à découvrir l’œuvre de l’écrivaine allemande Irmgard Keun, populaire dans les années 30, dont les ouvrages furent interdits en

1935. Récit d’enfance par les yeux d’une petite fille, double de l’auteure. La fillette de 1918 « que les autres enfants n’avaient pas le droit de fréquenter » renvoie à celle que le IIIème Reich a décrétée infréquentable. Avec le détachement et l’innocence cruelle de ses mots, elle brosse un tableau vivant et coloré de la vie en Allemagne aux débuts de la première guerre mondiale. Une galerie de portraits et de personnages s’anime, camarades de classe, compagnons de farces, de jeux qui ne sont pas sans rappeler les aventures des héros de Mark Twain ; les adultes, même si elle en aime bien certains, sont vus comme s’ils appartenaient à un autre monde. Il y a quelque chose de Poil de Carotte dans cette gamine dont les actes ont des conséquences parfois désopilantes. Ainsi elle verse le bleu à lessive sur Traut, un comparse qui l’a trahie, le rendant entièrement bleu ! Les difficultés économiques se transcrivent avec des détails hautement signifiants : « Avant, à la maison, nous avions des pots en cuivre, mais

maintenant on en fait des canons, et c’est pourquoi Hans Lachs et moi devons porter de simples seaux émaillés gris en guise de casques ». Une logique sans appel et sans aucun pathos (et c’est là sans doute l’étrangeté et la force de ce texte) parcourt le récit, le structure, impitoyable de lucidité. Parmi les affirmations à l’emporte-pièce, le lectorat féminin se délectera de réflexions telles que : « Tous les animaux sont féminins quand ils produisent des choses de valeur ». Un petit bijou d’impertinente pertinence. MARYVONNE COLOMBANI

Quand je serai grande je changerai tout Irmgard Keun, traduit par Michel-François Demet Éditions Agone, collection Infidèles, 15 €


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80 critiques

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Haut les poings

L

iborio l’affirme d’entrée de jeu : « …franchement j’ai peur de rien. Je l’ai toujours su et je me suis dit que j’en aurais la preuve en explosant les dents du type qui était en train de faire son numéro à la gisquette. [… ] J’ai tout de suite lâché mon poste au bookstore où je travaille, ça vibrait autour de moi, et j’ai foncé lui coller mon poing dans la gueule. Au fond qu’est-ce que j’avais à perdre, vu que j’ai jamais rien eu. Je le prends par-derrière, ce guignol, je lui fracasse la cheville, et lui, il se plie en deux, comme ça, au ralenti, comme une bestiole qui glisse le long d’une vitre un jour de pluie… » Gabacho démarre ainsi, par la dérouillée monumentale que le narrateur inflige au malotru qui ose harceler une fille. Depuis qu’il a traversé le Rio Grande, Liborio a « définitivement cessé d’avoir la trouille des trucs balèzes ». Des coups, il en a reçu là-bas, de l’autre côté du fleuve, il en reçoit encore pas mal ici au Gabacho (nom que les Mexicains donnent au territoire américain) ; il sait aussi les donner, il est même tellement doué qu’il deviendra boxeur. Alors, la belle histoire d’un enfant des rues qui se fait une place au soleil californien grâce à la

boxe, à sa rage de vivre et à quelques personnages bienveillants croisés sur sa route ? Gabacho est bien plus qu’un attendrissant récit d’apprentissage et de rédemption. Pour son premier roman, la toute jeune Aura Xilonen tape juste, fort. Ses phrases, haletantes, syncopées, sont comme les poings de son héros, d’une redoutable efficacité. Ses mots, mêlant argot, insultes, franglais et langue soutenue, serrent au plus près les sensations et le flux de conscience du narrateur. Cette prose d’une vitalité inédite –bravo à Julia Chardavoine pour son remarquable travail de traduction- est ponctuée de flashbacks (entre crochets et en italiques) qui apportent densité et épaisseur à l’intrigue. Bref, une superbe et fracassante entrée en littérature, bien loin « des romans superficiels où s’enchaînent des phrases sans âme, sans vie, avec de jolis mots placés par-ci par-là. » FRED ROBERT

Aura Xilonen Gabacho, traduit de l’espagnol (Mexique) par Julia Chardavoine Editions Liana Levi, 22 €

Retour aux sources

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enali est le nom traditionnel du mont McKinley, Alaska, point culminant des Etats-Unis (6194 mètres). Denali est aussi le titre du deuxième roman de Patrice Gain, professionnel de la montagne, ingénieur en environnement et amateur de grands espaces. Un récit principalement situé dans le Montana, au pied des Bitterroot Mountains, pas loin de la rivière du même nom, dans laquelle pullulent les truites arc-en-ciel. Un univers beau, mais âpre, où rôdent des loups de toutes sortes… Après la disparition de son père lors de son ascension du mont Denali, après l’internement de sa mère qui n’a pas supporté ce deuil, Matt Weldon, le narrateur, est venu vivre là, dans le ranch familial, auprès de sa grand-mère. Lorsque celle-ci meurt au tout début du roman, l’adolescent se retrouve « Seul. Rien autour, rien à l’horizon et rien à attendre. Seul. Abominablement. » Après une phase de sidération, à même pas quinze ans, le garçon va accepter son existence solitaire et sauvage, apprivoiser son environnement et partir en quête de son père.

Qui était-il vraiment ? Pourquoi avoir entrepris l’ascension du Denali en solitaire ? L’irruption de Jack, son frère aîné, ivre de métamphétamine et de haine, mettra un terme provisoire à cette quête… dont le lecteur n’aura les clés qu’à la toute fin de ce livre fort, où la violence des hommes semble refléter la dureté du climat et de la vie dans ces contrées isolées où la nature est encore reine. Au fil de ce texte tendu, riche en rebondissements, la citation d’Ibsen, placée en exergue, prend tout son sens. « Les enfants sont punis par le péché de leurs parents. » écrivait le dramaturge norvégien dans Les Revenants. Ainsi en va-t-il de Jack. Matt, lui, parviendra, non sans mal, à se défaire du poids d’un passé qui n’est pas le sien. Et à trouver sa place dans le monde, en Alaska, pas loin du Denali. Un beau roman d’apprentissage et un hymne fervent à la nature sauvage.

Souvenirs arlésiens

L

e dernier opus de Pierre-Jean Amar Mes Rencontres d’Arles, photographies 1974-1994 est un délicieux hommage aux pères fondateurs : « les Rouquette, Tournier, Clergue, Sudre, Gautrand, Lemagny (…) tous accessibles, fraternels et proches » cités par Bertrand Eveno, un brin nostalgique des années de jeunesse des Rencontres Internationales de la Photographie labellisées Rencontres d’Arles, un brin sévère pour ceux-là même qui les ont qualifiées ainsi ! Le petit format carré sied à merveille à l’album qui se picore du regard avec une telle aisance que l’on se prend à sauter d’une photo à l’autre, avide d’instants volés (ah, le déjeuner des époux Lartigue !), de moments inoubliables (la poignée de main entre deux géants, Brassaï et Dieuzaide), de portraits de maitres disparus et de survivants qui ont fait les beaux jours de cette époque bénie pour sa « formidable énergie, (sa) juvénilité, (sa) belle ardeur ». Les tirages noir et blanc se déploient en abondance comme pour témoigner de l’effervescence de ces années où le mot rencontres avait du sens, où photographes et amateurs échangeaient aisément, célébrités et jeunes pousses restaient le temps nécessaire pour découvrir les productions des autres. Cette complicité affleure chaque image, et les auteurs invités au banquet s’en souviennent encore : l’auteur de bandes dessinées et caricaturiste Bruno Heitz y a croisé le chemin du « bon samaritain Jean Dieuzaide, du facétieux Robert Doisneau, du colosse Denis Brihat… » ; le photographe Dominique Wallut n’a pas oublié Le Galoubet où il surprit « Marc Riboud et Willy Ronis photographiant de concert la charmante serveuse » ; Fanny Sudre-Bernard se rappelle « le temps des retrouvailles rituelles avec le cercle des amis ». Tous gardent en mémoire, comme Pierre-Jean Amar, ces années d’avant le numérique qui ont marqué leurs trajectoires et fondé leur amitié. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

F.R.

Denali Patrice Gain Éditions Le Mot et le Reste, 21 €

Mes Rencontres d’Arles, photographies 1974-1994 Pierre-Jean Amar Arnaud Bizalion éditeur, 28 €


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Paraboles footballistiques

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e vocabulaire du sport est souvent utilisé pour imager un discours, rendre accessible au plus grand nombre des notions complexes, assortissant aux divers mouvements de la vie des aphorismes dits de comptoir… La parabole sportive est portée à son apogée, et le monde du foot érigé en philosophie existentielle, dans le roman de PARK Hyun-wook, Comment ma femme s’est mariée. Titre cocasse direz-vous, en principe un mari a quelques notions de la chose sans éprouver la nécessité d’en faire toute une histoire ! À moins qu’il ne s’agisse d’un texte issu du genre fantastique et là, le fantôme du mari narre ce qui se passe après lui… Il ne s’agit pas d’un roman de Marc Lévy, et PARK Hyun-wook n’est pas amateur de foot (précise-t-il dans sa note au lecteur). Ses personnages vont se rencontrer et s’aimer à travers leur passion pour le football, même si lui, le narrateur, soutient le Real Madrid et elle, la fantasque Ina, le FC Barcelone. Mais davantage de joueurs se mêlent de la partie ! Voici que l’épouse de notre supporter souhaite épouser un autre homme, sans pour

« traditionnels » (mais à quelle tradition faire référence ?) volent en éclat. Le jeu des relations entre les êtres est totalement bouleversé, remis en cause par une relativité qui détruit tous les codes. Restent les règles du foot, son histoire (souvent liée, parfois étonnamment, à la grande Histoire), les matchs, les réflexions de Zidane, Cantona, Totti, bien d’autres, et Ryan Giggs qui affirmait : « Le football est un sport cruel »… à l’instar de la vie ? Une quête du bonheur sur le mode de l’ironie, la dérision et des parallèles cocasses et profonds, « comme quoi le football, c’est peut-être plus que du football ». MARYVONNE COLOMBANI

autant divorcer. Autre partition sur le modèle de Jules et Jim… Pourquoi toujours choisir entre des êtres également aimés ? Réflexions sur la morale, les mœurs, les us et coutumes qui déterminent si les couples doivent être mono ou polygames… « Il y a plus de mille ans, à Seorabeol, existait aussi une femme qui avait trois maris, la reine Seondoek ». Que signifie aimer, accepter l’autre ? Les repères

Comment ma femme s’est mariée PARK Hyun-wook, traduit du coréen par Lim Yeon-hee et Mélanie Basnel Éditions Philippe Picquier, 19 €

Une femme puissante

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a reine Ginga (ou Njinga) a vraiment existé. Cette femme hors du commun (1581-1663) a régné sur un territoire qui correspond à une partie de l’Angola actuel, évinçant les hommes de sa famille, se faisant appeler « roi », entretenant un harem d’hommes habillés en femmes, prenant, les armes à la main, la tête de ses troupes sur les champs de bataille. Un personnage historique aussi romanesque ne pouvait manquer de séduire le brillant conteur qu’est l’Angolais José Eduardo Agualusa. Il rend donc hommage à cette fine stratège, à cette diplomate rouée dans son dernier ouvrage, La reine Ginga et comment les Africains ont inventé le monde (paru en 2014 et tout récemment traduit en français). Et il le fait dans un drôle de récit, qui tient du roman picaresque et du conte voltairien, tant il regorge de péripéties haletantes, de termes exotiques et de considérations philosophiques. Au fil de dix chapitres -tous précédés d’un bref sommaire qui en résume les événements essentiels -, Francisco José revient sur sa longue et aventureuse existence. Ce jeune

prêtre brésilien, métis d’Indien et de Portugais, a débarqué à Luanda pour devenir le secrétaire de la reine Ginga. Il se trouvera rapidement emporté dans le tumulte des guerres de conquête, qui opposent Portugais et Hollandais, et au sein desquelles la reine cherche à sauvegarder son royaume, quitte à s’allier au plus offrant. La naïveté du narrateur, son insatiable curiosité en font un témoin précieux qui, tel le Candide de Voltaire, apprend de ses multiples aventures et pérégrinations. Ainsi s’éloigne-t-il assez vite de la religion, lui qui se dit « non seulement éloigné du Christ, mais de n’importe quel autre Dieu, car toutes les religions [lui] paraissent néfastes, coupables de toutes les haines et de toutes les guerres au cours desquelles l’humanité se détruit peu à peu. » Ainsi dénonce-t-il l’esclavage et toutes les violences de la colonisation, que ce soit au Brésil ou sur les côtes africaines. Un regard aigu pour revisiter l’histoire coloniale du côté de ceux qui « ont inventé le monde ». FRED ROBERT

La reine Ginga et comment les Africains ont inventé le monde José Eduardo Agualusa Traduit du portugais (Angola) par Danielle Schramm Editions Métailié, 21 €


82 critiques

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Taïga taïga !

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ourquoi le Seuil réédite-t-il un roman paru en 1994, en poche depuis 1996 ? Epuisé sans doute, il semble en fait avoir été écrit pour accompagner la récente Immortalité de son auteur entré à l’Académie Française l’an dernier. Cet événement bien réel constitue peut-être l’un des fantasmes inconscients de deux des personnages d’Andreï Makine, adolescents du Grand Est sibérien, qui s’accompliront par l’écriture et la sortie du territoire d’origine. Au temps du fleuve Amour concentre déjà les thèmes, les leitmotivs chers à notre auteur : la nostalgie, les rêves d’Occident, la littérature et les grands espaces naturels ; l’amour aussi et surtout, dont la troublante homophonie fluviale en russe constitue le « liquide amniotique » de ce roman d’initiation un peu convenu. Ils sont trois -Outkine le poète au physique cabossé, Samouraï le tendre guerrier, et le narrateur Dimitri, l’amant en quête de l’amour, le vrai- jeunes gens à la sensualité naissante qui étouffent dans un village engourdi sous le poids

Une autre Chine des hivers et des glaciations soviétiques des années 70, entre un camp de déportation et heureusement la ligne du Transsibérien pourvoyeur de rêves… Il y a la « belle étrangère » « la femme qui attend » et Olga, fille de bonne famille qui lit des passages de romans français « grâce à Madame Bovary je savais que les châtelaines portaient de longs corsages » et surtout surtout, Belmondo Le Magnifique, explosant les écrans de L’Etoile Rouge grâce à qui les adolescents découvrent et savourent « les cuisses apolitiques » répétant à l’envi comme une formule magique « Je n’ai pas encore fumé mon dernier cigare ». Lyrisme maîtrisé des descriptions, amples métaphores embrassant l’espace (vaste), le temps (passé), et les sentiments (exacerbés), humour mesuré… Andreï Makine a bien mérité sa belle épée d’académicien ! MARIE-JOSÉ DHO

Au temps du fleuve Amour Andreï Makine Editions du Seuil 19,50 €

Sunto Lil

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eux raisons majeures ont encouragé les éditions Gaussen à rééditer La Bible des Roms (littéralement Sunto Lil) : d’une part, l’ouvrage, introuvable depuis longtemps, représentait un intérêt certain pour la connaissance de la culture tsigane trop souvent sujette aux idées préconçues et aux clichés ; d’autre part, la première édition (1959), surchargée des commentaires de Joseph Chatard et Michel Bernard, devait être allégée, afin de couper court à une vision surannée de l’histoire des civilisations : le travail de ces deux chrétiens humanistes progressistes restait imprégné des concepts de race et d’esprit prélogique, en dépit des leçons de la Seconde Guerre mondiale, et de la parution de l’essai Race et Histoire de Claude Lévi-Strauss quelques années plus tôt. Le recueil se compose aujourd’hui des paroles d’Alexandre Zanko, chef et gardien de l’héritage religieux de la communauté Kalderash, sous-groupe du peuple Rom. Celles-ci ont été consignées par son ami le père dominicain Chatard qui, en se positionnant

pour le dialogue interculturel, et contre la politique d’assimilation des pouvoirs publics, fut inquiété tant par sa hiérarchie au sein de l’Église, que par l’État français. Le texte est riche d’enseignements : Zanko conte, dans une langue belle et simple, la naissance et la fin du premier monde ; la malédiction causée par la chute du roi Pharavono, qui rendit son peuple à jamais nomade ; les rites et traditions religieuses suivis par la communauté. Au fil du temps et de manière syncrétique, ce sont plusieurs couches de sédimentations culturelles qui sont venues nourrir le livre Saint : le fond mythologique originel propre aux tribus nomades des Indes et du bassin méditerranéen s’est métamorphosé au contact des peuples antiques de la Mésopotamie, pour emprunter ensuite à l’univers chrétien.

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out est autre dans ces récits venus d’un monde lointain. La romancière LI Juan rapporte les événements, discontinus, de son enfance et sa jeunesse dans la partie la plus occidentale de la Chine, avec ses hauts plateaux, ses nomades kazakhs, ses transhumances. Elle, avec sa mère et sa grand-mère, sont des Chinoises, des Hua parties dans ces contrées sauvages, ce pays d’éleveurs où le froid extrême est suivi de chaleurs accablantes. Pauvres couturières dans leur minuscule bazar ambulant, elles voyagent de village en hameau, s’installent un temps, font des rencontres, traduisent, apprennent, repartent. Et la narratrice grandit, s’éveille à l’amour, pour un routier de passage mais surtout pour un pays sublime, et rude. Ce qui ne pourrait être qu’une autobiographie exotique et bucolique surprend à chaque page. Par sa forme d’abord, ses courts récits qui se répondent et se reprennent, centrés sur un événement comme des nouvelles, mais construisant une continuité comme un long roman lacunaire, en pointillés et en ellipses. Par sa langue éblouie qui décrit sans s’attarder, faisant surgir, juste au bon moment, des merveilles, des images, des sensations. Par sa tendresse surtout, envers les personnages croisés, ces Kazakhs qui n’oublient jamais leurs dettes, ces corps abimés qu’il faut habiller pourtant, cette mère qui pétrit et débite le bois avec une force insoupçonnable, ce routier si tendre, cette amie qui reste embarrassée. Ou ce lièvre des neiges qui risque sa vie pour recouvrer sa liberté. C’est dans ce « chemin sauvage » que LI Juan s’est engagée, en suivant sa famille de femmes et en écrivant, décrivant, dessinant, cet étrange pays où elle vivait. Et l’on sent combien cet éloge est, en soi, un apprivoisement, et une résistance obstinée. Résistance au mépris dans lequel la Chine tient ces populations lointaines, nomades, musulmanes, parlant une autre langue. Au rythme de vie, aux valeurs de nos sociétés ultramodernes, déconnectées de la nature, de sa rigueur et de sa beauté. À l’idée que ces sous-chinois attardés doivent sortir de leur supposée barbarie, ou continuer d’être oubliés. AGNÈS FRESCHEL

MARION CORDIER

La bible des Roms, La tradition tsigane dévoilée par Zanko et recueillie par le révérend père Chatard préface de Jean-Pierre Liegeois édition Gaussen/Tchatchipen, 20 €

Sous le ciel de l’Altaï LI Juan Traduit par Stéphane Lévêque Ed Philippe Picquier


Agence Acomz 2017

INFOS : 04 42 03 49 98


Regards d’artistes sur le Château M. Christian Lacroix, Hervé Hôte, Thibault Franc, Bernard Pourrière, Artesens

16 avril 31 décembre 2017 Image : Dessin de M. Christian Lacroix XCLX

Pascal

MONTEIL

Je ne reconnais plus le soleil 16 avril - 30 septembre 2017 CHÂTEAU DE TARASCON Centre d’art René d’Anjou Boulevard du Roi René 13150 - TARASCON Tél. 04.90.91.01.93 chateau.tarascon.fr

Image : Médée (détail), toile de lin brodée. Pascal Monteil - 2017


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