Zibeline#120

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JUSQU’AU 14.09.18

N°120

ZIBELINE

Mensuel culturel engagé du Sud-Est

H b EB ie n D tô O t !

ET PLEIN D’AUTRES CHOSES

Z C IB o

...

LES EXPOS

lle EL ct IN or E ...

Les festivals

3€

L 11439 - 120 - F: 3,00 € - RD


Adolph Hitler visite Grevenburg (Detmold) Heinrich Hoffmann sur les marches, 15 janvier 1936 © Bayerische Staatsbibliothek, München / Bildarchiv (Bavarian State Library, Munich / Picture archive)

R U E T A T C I D UN

Ville de Montpellier - Direction de la Communication - 06/2018 - MN

montpellier.fr

S E L R DS SU

S O T T E H G

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NDE ITION LLEMA OS A E D EXPOS06 N GHETT OPAGA DU 27ll09 G2R0A1P8HIuEeS DE PARPHES JUIFS DEASOÛT 1944) phiq TOGR 39 – AU 1P6HOTpO hotogra PHO lle BRE 19 d’art CTO DESe-Gau Espace e CEhT arles–d NTALE (O d a E n I la R Esp EO ’EtpUellRieOr P on MD

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George Kadish “ The body is gone ”. (Le corps a disparu), Ghetto de Kaunas, ca. 1941–1944 © United States Holocaust Memorial Museum

S E G A M EN I

IES GRAPH OFFMANN O T O H P H NRICH DE HEI

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JUILLET SEPTEMBRE 2018

RETROUVEZ ZIBELINE SUR JOURNALZIBELINE.FR

Édité par Zibeline BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Riccobono Imprim’vert - papier recyclé Crédit couverture : © Alouette sans tête Conception maquette Tiphaine Dubois

Directrice de publication & rédactrice en chef Agnès Freschel agnes.freschel@gmail.com 06 09 08 30 34 Rédactrice en chef adjointe Dominique Marçon journal.zibeline@gmail.com 06 23 00 65 42 Secrétaire de rédaction Anna Zisman anna.zisman.zibeline@gmail.com

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Rester humain Pendant que l’équipe de France, composée pour une grande part d’Afropéens, accédait à la victoire historique, plus de 600 migrants fuyant les conflits et la mort se noyaient en Méditerranée. Non par accident, mais parce que les pays européens refusaient qu’ils accostent dans nos ports, qui ne sont plus des havres. En quatre semaines, le temps d’une Coupe du Monde qui a fait la démonstration que la France a tout à gagner au métissage, à l’accueil, à la générosité, 600 migrants sont morts dans notre Méditerranée. La politique européenne, mais aussi les décisions de Macron, le repli nationaliste italien, le recul politique de Merkel, en sont directement responsables. Et nous ? Est-ce ce que désirent les peuples européens ? Cette inhumanité, cette cruauté, illégale, immorale et si dégradante dans notre pays aux Lumières éteintes ? Dans 120 une Europe vieillissante qui a besoin, pragmatiquement, d’immigration pour financer ses retraites, comment peut-on laisser mourir, faire mourir, ceux qui viennent ici chercher le refuge de tolérance, de laïcité et de sécurité auquel tout être humain, naturellement, aspire ? Les Européens, dans leur majorité, ne veulent ni d’une Europe libérale, qui désespère les peuples par son injustice sociale et son cynisme, ni d’une Europe nationaliste qui nie la valeur commune, égale, des êtres humains. Mais qui peut nous permettre aujourd’hui de sortir de la crise migratoire et de renouer avec l’utopie européenne ? Seule une alliance des forces politiques progressistes aux élections pourrait tracer une voie enfin généreuse, et humaine...

ÉDITO

CULTURE ET SOCIÉTÉ Mensuel payant paraissant le deuxième samedi du mois Édité à 20 000 exemplaires, imprimés sur papier recyclé

AGNÈS FRESCHEL


CHAPELLE DU CENTRE DE LA VIEILLE CHARITE

FRAC PROVENCE-ALPES^ COTE D’AZUR


sommaire 120

Zibeline se métamorphose (P.6-7) politique culturelle Parité, Groupe culture, Politique régionale (P.8-9) La politique culturelle de la Métropole Aix-Marseille Provence (P.10-11)

événements Les musicales de la Font de Mai à Aubagne (P.15) L’été du Mucem (P.16-17)

Mefistofele aux Chorégies d’Orange (P.12-13) Bilan des 20 ans de Marsatac (P.14)

Lisa Simone, le 30 juillet aux Musicales de la Font de Mai © Alexandre Lacombe

FESTIVALS (ANNONCES) Arts visuels, musiques, littérature (P.18-31)

Domo De Europa - Historio en Ekzilo, Thomas Bellinck-Robin, exposition, à voir jusqu’au 30 juillet au Mucem © Stef Stessel

Marseille, Aix-en-Provence, Vitrolles, Saint-Rémy, Salon-de-Provence, Avignon, Pernes-les-Fontaines, Oppède-le-Vieux, Gréoux-les-Bains, Manosque, Toulon, Le Thoronet, La Seyne-sur-Mer, Port-Grimaud, La Londe-les-Maures, Montpellier, Cannes, Nice

FESTIVALS (CRITIQUES) Festival de Marseille, Massilia Afropéa (P.32-35) Avignon (P.36-46) Aix en Juin (P.48-49) Festival d’Aix (P.50-51) Musiques (P.52-57) Images (P.58-63) Danse (P.64-65)

Festival d’Aix, Ariane à Naxos © Pascal Victo__Artcompress

cinéma [P.66-67] Marseille, Arles, Manosque

Arts visuels [P.68-77] Marseille, Aix-en-Provence, Le Puy-Sainte-Réparade, Toulon, Lodève, Montpellier, Sète

LIVRES [P.78-82] Ai Weiwei au Mucem, exposition Fan Tan - Ai Weiwei Study of Perspective 1995-2011 Eiffel Tower Paris 1999 Image Courtesy Ai Weiwei studio


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La métamorphose de

Zibeline Dès la rentrée, votre mensuel culturel devient hebdomadaire. Après 11 ans d’existence et 120 numéros, la Zibeline se sent à l’étroit dans ses 100 pages mensuelles. Elle a donc décidé de prendre ses aises et de vous livrer 40 pages chaque semaine. Cela n’est possible que grâce à votre fidélité, votre intérêt pour notre journal associatif. Parce que notre passage en 2016 d’un modèle gratuit à un payant « pas cher » vendu en kiosques et sur abonnement est une réussite, a diversifié nos recettes et a permis de stabiliser notre modèle économique. Aujourd’hui Zibeline peut opérer le second temps de sa métamorphose, et s’offrir une périodicité qui va nous permettre plus de réactivité critique, tout en conservant sa vaste couverture géographique des 8 départements du Sud Est. Et des surprises éditoriales...

Qu’allez-vous trouver

dans nos pages ? Zibeline

veut rester un journal culturel, annonçant des spectacles et événements pour informer ses lecteurs et guider ses choix, proposant un regard critique sur la création, et sur les politiques culturelles. Mais nous voulons donner davantage la Parole aux artistes, vous proposer des Portraits, recueillir les réactions du public, dans des Pages ouvertes, susciter la parole critique... La Rubrique culture va donc s’étoffer tout en s’aérant, mais aussi s’adjoindre des pages nouvelles, que nous préparons pour vous...

Rendez-vous

le 14 septembre et tous les samedis suivants

Zibeline Hebdo Un Feuilleton littéraire Des Balades Des Jeux et énigmes Nos LAD, les Lieux À Défendre Nos Alternatives à la consommation de masse PhiloKakou, ou la philo pour tous Allô Mairie, lettres de réclamations satiriques...

Et beaucoup d’autres choses que nous sommes en train d’inventer, autour de la télé, des jeux vidéo, de la critique de site, bref des autres usages culturels qui sont en train de naître, de s’inventer, de persister...


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Historique,

ou les étapes de la mue Notre histoire est celle d’une bande de copains mordus de culture, et persuadés de la valeur de celle qui s’inventait ici. Nous étions journalistes ou enseignants, parfois les deux, et nous avons donc décidé de rendre compte de la vitalité artistique de notre territoire, d’y intéresser le public et de donner la parole aux artistes. Nous avons inventé Zibeline, gratuit culturel, dont le premier numéro est sorti en septembre 2007. En 2012 nous avons créé notre site, consulté aujourd’hui par plus de 30 000 visiteurs mensuels, et agréé par le Ministère de la culture comme « site de presse ». Puis, parce que depuis 2007 le monde culturel nous soutenait et voulait figurer dans nos pages, parce que le nombre de nos lecteurs n’avait cessé de croître, nous avons fait le pari de devenir une publication payante disponible chez les marchands de journaux et sur abonnement. Les débuts de la formule payante ont souffert d’un recul de nos recettes publicitaires dû aux difficultés économiques conjointes du secteur culturel et de celui de la presse. Cependant notre association avec La Marseillaise, qui nous distribue à ses abonnés, notre présence chez les marchands de journaux du territoire et l’augmentation régulière de nos ventes et abonnements ont peu à peu convaincu nos annonceurs culturels... et nous avons retrouvé un équilibre économique et augmenté, grâce à nos ventes, notre chiffre d’affaire. Ce qui nous a permis d’embaucher, d’élargir notre territoire et de lancer ce nouveau projet. Notre « mensuel culturel engagé » est aujourd’hui distribué dans 8 départements, reconnu par la Commission Paritaire de la presse, et emploie 10 salariés permanents, dont 6 journalistes, et une quinzaine de chroniqueurs réguliers. Cette équipe sera renforcée dès la rentrée avec le recrutement de 3 journalistes destinés à mieux couvrir le territoire, et à ouvrir notre ligne éditoriale...

Où se nichera

Zibeline ? Vous trouverez Zibeline, comme aujourd’hui, chez tous les marchands de journaux du Sud Est, et durant une semaine, à partir du vendredi dans l’Hérault et le Gard, du samedi en région Sud Provence. Vous pourrez bien sûr vous abonner, ou prolonger votre abonnement actuel. Nous n’avons pas encore tout à fait fixé les modalités de changement, et vous tiendrons au courant sur notre site...


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politique culturelle

Parité, égalité, essentialisme PARITÉ OU ÉGALITÉ DANS LE MONDE DU SPECTACLE ? UN ATELIER DE LA PENSÉE POSAIT LE PROBLÈME POLIMENT, TANDIS QU’AU JARDIN CECCANO OU DEVANT LE PALAIS DES PAPES LES PRISES DE PAROLE SE FAISAIENT PLUS POLÉMIQUES...

L

a place des femmes dans le spectacle vivant ? On aurait l’impression, depuis le monde du théâtre, que cela évolue. Et que les attaques contre le Festival d’Avignon sont déplacées et injustes. D’une part parce qu’il n’y a jamais eu autant de femmes programmées, d’autre part parce que c’est le Festival lui-même qui produit le feuilleton théâtral qui le met en cause, et centre son questionnement sur la question du genre, moyen le plus radical pour questionner efficacement le patriarcat (voir p 36 à 38).

les musiques du monde, le jazz, emploient encore moins de femmes que les musiques classiques. Un seul opéra national est dirigé par une femme, aucun théâtre national, aucun centre natio-

Où sont les femmes ?

Dans cette édition qui célèbre ou questionne 68, 60 ans après l’annulation du Festival, on peut interroger la pertinence de cette contestation qui vient remettre en cause ceux qui lui ont permis d’émerger : Jean Vilar n’avait certes pas compris la volonté de poursuivre la Grève Générale. Mais fallait-il pour autant crier « Vilar Salazar » sur la même place du Palais des Papes ? Le Festival d’Avignon n’est pas celui où les femmes sont le plus invisibles... Même si L’Atelier de la pensée qui réunissait le 13 juillet des acteurs culturels de la région Sud pour parler de La place des femmes dans le spectacle vivant, était intitulé « Faut-il avoir peur du Grand Remplacement », titre malencontreux, provocateur mais d’une ironie pas très drôle... fait souligné dès le début par Laure Kaltenbach qui animait le débat et égrena quelques faits : les femmes, dans le spectacle vivant, représentent 35 à 40% des emplois seulement, elles ont des salaires de 20% inférieurs aux hommes à poste égal. Des chiffres que l’on peut détailler ainsi : alors que les filles sont majoritaires dans les écoles de théâtre, de musique, de danse, les femmes artistes restent minoritaires partout, et dans bien des disciplines cela ne s’arrange pas. Les chorégraphes femmes sont de moins en moins nombreuses dans les programmes des théâtres ;

nal de création musicale. La parité n’est pas atteinte dans les CDN ni les CCN, et des hommes continuent d’être nommés dans les établissements les plus grands et les mieux dotés, et des femmes dans les scènes plus modestes ou spécialisées pour l’enfance. Pas dans la Cour d’Honneur, 1 sur 7 dans Extrapôle... Et ce n’est pas un question de temps à attendre, ou de génération : les filles sont très minoritaires, quasi absentes, dans les disciplines dites innovantes, les arts numériques, le street art, les musiques actuelles et les arts contemporains.

Le théâtre ? Peut mieux faire

L’atelier de la pensée reposait sur un point de vue restreint au théâtre. Discipline où la programmation de femmes est la moins

minoritaire. Macha Makeïeff soulignait que cette préoccupation lui était venue peu à peu : les femmes artistes qui ont été invisibilisées, il faut les nommer, les programmer, les soutenir, faire des litanies. Dominique Bluzet soulignait aussi la différence des moyens de production donnés aux femmes : « la parité, la véritable égalité, c’est l’égalité des moyens ». Si les intervenants n’étaient pas tous d’accord pour compter les femmes, tous soulignaient la nécessité « que la parité un jour ne soit plus un problème, parce que l’égalité sera gagnée ». Question de génération au théâtre ? Irina Brook racontait qu’elle portait toujours un pantalon pour mettre en scène, parce qu’en jupe on acceptait moins son autorité. Sophie Cattani, du collectif paritaire Ildi!Eldi ! (voir p.38) disait que sur le plateau et au travail, le fait qu’elle soit une femme, et blonde, ne posait pas de problème. Mais que face aux producteurs et aux programmateurs c’était une autre histoire... Le chemin sera long, tant que le public d’un tel Atelier sera composé presque exclusivement de femmes. Et qu’on ne se demandera pas pourquoi les salles de théâtre sont si majoritairement fréquentées par des femmes : que montrons-nous, que regardons-nous, qu’admirons-nous au spectacle ? Nos scènes, mais aussi nos écrans, nos programmes scolaires, notre littérature, notre société montrent des hommes actifs et des femmes passives, et l’essentialisme attribue encore, inconsciemment mais très efficacement, la douceur et l’empathie aux unes, le génie et l’appétence au pouvoir aux autres... AGNÈS FRESCHEL


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Construire et veiller

...

LE GROUPE CULTURE PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR (VOIR ZIB’ 119) POURSUIT SON TRAVAIL...

en vue de faire des propositions concrètes aux instances de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, comme elle aime à présent à se nommer. Le Président Renaud Muselier, alerté par ce Groupe en mai sur des dysfonctionnements et des inquiétudes à propos de la politique culturelle régionale, s’est montré ouvert au dialogue au point de l’inviter à élaborer des propositions concrètes en vue d’Assises de la Culture qui auront lieu en octobre. Le Groupe, accueilli au Festival d’Avignon, a composé des commissions de travail transversales, du spectacle vivant au cinéma, qui ont commencé à plancher sur la création, la diffusion, la formation, la liberté et la censure économique, l’action artistique et culturelle. Tous veulent cependant continuer à veiller et alerter sur les difficultés catastrophiques des compagnies, artistes, petits festivals et petits lieux, difficultés dues à des baisses de financement conjointes des collectivités, et à

la fin des emplois aidés, CAE, dispositif d’État, mais aussi postes ADAC, dispositif régional. Le chômage technique puis la fermeture guettent un nombre de lieux impressionnant, et les directeurs de structures portant label national, nombreux dans le Groupe, ne cessent de le répéter : « Si on néglige la diversité des opérateurs et le fonctionnement des compagnies, si on ne cesse de réduire les enveloppes destinées aux aides directes à la création, nous ne pourrons pas compenser même avec des augmentations de budget : nous sommes là pour programmer, coproduire, accompagner la création auprès des publics et fonctionner nousmêmes. Pas pour financer le fonctionnement des compagnies, que plus personne ne prend en charge ».

Financer n’est pas saupoudrer

Lors de la conférence de presse déclinant la politique culturelle de la Métropole (voir p 10 et 11), il était question d’« éviter le saupoudrage ». C’est ainsi que la plupart des collectivités nomment aujourd’hui le fait d’aider au fonctionnement

les petites structures. À cette mission, elles préfèrent substituer l’aide aux opérateurs, voire le fait de devenir opérateurs elles-mêmes ; ce qui leur permet d’être plus visibles, de passer commande et appel d’offre et d’orienter le travail des artistes en leur fixant un cahier des charges. Bref, de maîtriser l’économie, mais aussi les contenus, de la création artistique. Ce n’est, pour l’heure, pas la politique de la région Sud. Mais le Groupe Culture veut élargir son action auprès des collectivités, en particulier auprès du Département 13, et de l’État qui a lui aussi réduit ses aides à la création et ses conventionnements aux compagnies depuis des années, jusqu’à l’étranglement que les artistes et les lieux indépendants vivent actuellement. A. F.

Pour rejoindre les groupes de travail du Groupe Culture Sud, écrire à groupeculturepaca@gmail.com

Renaud Muselier aime la Culture LA RÉGION SUD, REFUSANT L’ACRONYME, S’ENGAGE POUR LA CULTURE. MAIS LAQUELLE ?

L

a conférence de presse tenue sur la Péniche de la Région Sud à Avignon était paradoxale. Affichant un soutien véritable et une estime sincère des acteurs culturels -« la mission culturelle honore les Élus »-, rappelant leur poids économique et le fait que c’était un investissement rentable -« le Festival d’Avignon génère 65 millions de recettes directes »-, affirmant, surtout et encore, son inconditionnel engagement pour la liberté de création des artistes, Renaud Muselier se disait ouvert au dialogue et prêt à s’engager, « parce que la culture n’est pas un supplément d’âme, c’est notre ADN ». Cependant les points abordés lors de cette conférence n’étaient pas de nature à rassurer profondément les acteurs culturels en danger de disparaître : éditer un nouveau site qui référence les salles de spectacle (sceneausud.com), ou des

guides Culturo.fr ou Terre de Festivals, s’attacher à la production et la diffusion avec le dispositif Extrapole (voir Zib’ 118), sauver les Chorégies d’Orange (voir p 12 et 13), augmenter de 23% le soutien à 19 théâtres du territoire, soutenir les grands festivals comme Aix ou Avignon est nécessaire. Vital. Mais pas si cela se fait au détriment des © Franck Pennant compagnies, des artistes, des politiques d’inclusion dans la cité et de l’aide à l’emploi culturel. On peut effectivement faire confiance aux opérateurs culturels, grands théâtres, producteurs, festivals, pour financer les réalisateurs, les compagnies, les artistes. Vertueux pour la plupart, ils le font dans un véritable esprit de service public. Mais ils concentrent entre leurs mains l’expertise et la décision, à tous les niveaux du processus créatif : ils jaugent et jugent, décident des cadres, produisent et programment, quand ils n’orientent pas la

création vers leur thématique de saison, ou les goûts supposés de leur public. Renaud Muselier se veut « le garant de la Liberté de création, de production et de diffusion pour les artistes ». Or il sait d’expérience, politiquement, où peut mener la concentration des pouvoirs exécutif et judiciaire par des experts désignés. Sa volonté de refonder la Conférence permanente des arts et de la culture en passera sans doute par une réflexion sur ce sujet-là. A.F.


10 politique culturelle

Aix-Marseille Provence :

quelle politique culturelle ? MUTUALISER, FÉDÉRER : LES ÉLUS À LA CULTURE DE LA MÉTROPOLE VEULENT « ALLER AU-DELÀ DE L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TERRITOIRES » Petit budget, mais réflexion globale

Répartition des rendez-vous à vocation culturelle et sportive de la Métropole Aix-Marseille-Provence sur son territoire

L

e 5 juillet dernier, la Métropole Aix-Marseille Provence (AMP) donnait une conférence de presse pour faire le point sur sa politique culturelle. En introduction, Daniel Gagnon, vice-président délégué à la culture et aux équipements culturels, s’est réjoui de la présence à ses côtés d’Anne-Marie d’Estienne d’Orves, pour la Ville de Marseille, et de Philippe Charrin, du Pays d’Aix. Deux collectivités aux positions longtemps antagonistes, dès qu’il a été question de constituer la Métropole1. Si les frictions perdurent dans d’autres secteurs, les élus de la culture ont manifestement plaisir à présenter un front commun, Anne-Marie d’Estienne d’Orves se déclarant ravie de travailler

avec ses deux confrères, le trio formant « une équipe très agréable et efficace ». Et Philippe Charrin se joignant aux congratulations, en s’adressant à Daniel Gagnon : « Venu d’un territoire farouchement hostile à la Métropole, je me demandais comment on allait parvenir à se parler. Tu as réussi, grâce à cette politique culturelle, seule compétence partagée par tous, qui nous a permis d’échanger ». Et de renchérir : « Tu as su le faire avec le petit budget que l’on te donne. Tu mérites des fonds supplémentaires : je lance le message à nos financiers ! »

Petit budget, certes : un million d’euros, « une goutte d’eau, une vaporisation », pour Daniel Gagnon, rapportée au budget global d’Aix-Marseille Provence, de 1,9 milliards d’euro. Ce petit million se complète de lignes bien plus importantes destinées à gérer les équipements et les actions culturelles déléguées sur les divers territoires, précise immédiatement l’un de ses collaborateurs. Mais en fonctionnement, pour l’heure, la Métropole dispose de peu de forces propres. Les transferts de compétences, qui devaient se faire avant le 1er janvier 2018 entre les Communes et la Métropole pour certains équipements, comme l’Opéra, ou entre le Département 13 et la Métropole, pour certaines compétences culturelles, n’ont pas été opérés. La politique culturelle d’AMP reste donc pour l’heure marginale par rapport à celle des 6 territoires et 92 communes qui la composent, et par rapport à celle du Département 13 qui, en dehors du Pays d’Arles, la recoupe exactement. Cet échelon administratif départemental étant (sans doute ?) voué à disparaître, la politique culturelle de la Métropole reste, en raison de ce flou institutionnel, à inventer, plus de deux ans après sa création. Elle n’est pas pour autant en panne, et le « petit million » est employé à expérimenter des projets fédératifs à l’échelle métropolitaine. Il ne s’agit pas de « saupoudrer des subventions », répond Philippe Charrin, l’ambition de la collectivité étant de mener une réflexion globale et de construire un avenir. « Faire plus, à budget constant : ne pas constituer un guichet supplémentaire, mais organiser les choses pour être


S CÈN E CO N V E NTIO NNÉE

THÉÂTRE JOLIETTE

E XPRE S S I O N S E T ÉC R ITU R ES

LENCHE+MINOTERIE

CO N T E M P O R A INES

ART E T C R ÉA TIO N

SAISON VI 2018-2019

complémentaires, avec les communes, la Région et le Département. » Pour celui qui est aussi Maire de Vauvenargues, il est important de rappeler que chaque territoire conserve son budget et choisit ses priorités, la Métropole chapeautant le tout, au-delà de l’hétérogénéité de ses constituants. « C’est un peu le garant du maintien d’une politique culturelle en période de restriction budgétaire, qui empêche quiconque de se sentir orphelin. » Là-dessus, on aurait apprécié entendre des représentants d’Istres-Ouest Provence, ou des Pays d’Aubagne et de l’Étoile, de Salon et de Martigues.

S’appuyer sur l’existant

Concrètement, la Métropole s’associe à des opérations déjà existantes, comme le festival Jazz des cinq continents à Marseille (voir p 52), le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence (voir p 50-51), ou encore le Festival de piano de La Roque d’Anthéron (voir Zib’ 119), en les incitant à se déployer plus largement, pour toucher d’autres populations métropolitaines en dehors de leurs territoires historiques. Ainsi, cet été et au-delà, les concerts de ces grands festivals parcourent le territoire, amenant la musique vers les habitants, et les touristes passagers. Il s’agit aussi, durant l’année, de poursuivre les efforts entrepris en matière de lecture publique2, en s’appuyant sur le réseau culturel le plus présent dans chaque commune : celui des médiathèques et bibliothèques municipales. De créer un portail documentaire pour mettre en commun leurs fonds, donnant accès à d’importantes ressources depuis n’importe quelle commune. De lancer « une vitrine culturelle métropolitaine sur la toile », sous forme là aussi d’un portail dédié. Mais la Métropole envisage aussi de continuer à développer des Projets spécifiques de Territoire comme le Festival de la Font de Mai dans le Pays d’Aubagne (du 27 au 31 juillet, lire p.18), et de maintenir directement une activité d’opérateur culturel à l’échelle métropolitaine, en portant d’autres manifestations comme elle le fait avec Lecture par nature. Un projet d’envergure qui reviendra du 25 octobre au 18 novembre, après un franc succès l’an passé. GAËLLE CLOAREC ET AGNÈS FRESCHEL

1 La Métropole Aix-Marseille Provence est la plus grande de France. Créée en janvier 2016, elle compte 92 communes et 1,83 millions d’habitants. 2 Le 28 juin dernier, le conseil métropolitain a acté la signature avec les services de l’État d’un Contrat Territoire Lecture, impliquant des financements disponibles pour les municipalités qui souhaitent renforcer le service rendu au public

15 septembre BAL LITTÉRAIRE La Coopérative d’écriture

18 > 21 décembre HEROÏNE(S) #1 Les Passeurs

27 & 28 septembre ENCYCLOPÉDIE DE PHÉNOMÈNES PARANORMAUX PIPPO Y RICARDO Rodrigo Garcia

11 > 19 janvier UBU ROI Alfred Jarry / Agnès Régolo

04 > 06 octobre L’HOMME HORS DE LUI Valère Novarina 11 & 12 octobre UNWANTED Dorothée Munyaneza 16 octobre IU AN MI Lali Ayguadé

24 & 25 janvier LA SOURCE DES SAINTS J. M. Synge / Noëlle Renaude Michel Cerda 30 janvier JOURNAL DE BORD Alessandro Bosetti 05 & 06 février THE WAY SHE DIES Tiago Rodrigues / tg STAN 08 & 09 février INFIDÈLES Ingmar Bergman tg STAN & de Roovers

26 & 27 octobre ENTRELACS Anima Théâtre 08 > 10 novembre AUTOPSIE - MONOLOGUE POUR UNE COMÉDIENNE SANS TRAVAIL Geoffrey Coppini 08 > 10 novembre AGLAÉ Jean-Michel Rabeux 15 & 16 novembre ET DIEU NE PESAIT PAS LOURD… Dieudonné Niangouna Frédéric Fisbach 23 & 24 novembre DJ SET (SUR) ÉCOUTE Mathieu Bauer 29 novembre > 1er décembre FACE À LA MÈRE Jean-René Lemoine Alexandra Tobelaim

07 > 09 mars L’AMOUR EN [COURTES] PIÈCES Théâtre Joliette 12 & 13 mars « ET SI VOUS Y CROYEZ ASSEZ, PEUT-ÊTRE IL Y AURA UN PONEY. » Détachement International du Muerto Coco 21 & 22 mars MEPHISTO {RHAPSODIE} Samuel Gallet / Jean-Pierre Baro 28 > 30 mars LAÏKA Ascanio Celestini / David Murgia 02 > 05 avril HEROÏNE(S) #2 Les Passeurs

07 décembre BERMUDAS Michele Di Stefano

25 & 26 avril TUMULTES Marion Aubert / Marion Guerrero

12 & 13 décembre UNE TÊTE BRÛLÉE SOUS L’EAU Mélissa Zehner

10 > 14 mai LA FLÈCHE Guillaume Mika

18 décembre UNDATED Martine Pisani

21 mai L’APPRENTI Daniel Keene / Laurent Crovella

04 91 90 74 28 - www.theatrejoliette.fr PREFET DE LA REGION PROVENCE-ALPES CÔTE D'AZUR


12 politique culturelle

Le « pacte » d’Orange LES CHORÉGIES D’ORANGE, DANS L’INSTABILITÉ FINANCIÈRE DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, ONT SIGNÉ EN AVRIL UN ACCORD AVEC LES COLLECTIVITÉS POUR ASSURER LA PÉRENNITÉ DU FESTIVAL. LA MANIFESTATION EST TENUE D’INNOVER, TROUVER UN NOUVEAU SOUFFLE EN MAÎTRISANT LES COÛTS, ET RENOUER AVEC LE PUBLIC. MEFISTOFELE RELÈVE LE DÉFI

P

our les représentations de Mefistofele d’Arrigo Boito, production signée par Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, le Théâtre antique est plein et rencontre l’adhésion du public. Ce n’était pas gagné d’avance ! En effet l’opus sort de la poignée de titres rebattus (Carmen, Traviata, Aida...) que l’on affiche avec une alternance métronomique depuis le nouveau siècle dans le plus ancien festival de France (150 ans en 2019 !). Le Mefistofele italien de Boito relève des ces ouvrages tombés dans un oubli relatif. On ne le donne guère, beaucoup moins que le Faust en français de Charles Gounod tiré également de Goethe. L’opéra n’avait plus été représenté à Orange depuis... 1905 !

Ti ricordi Boito ?

Boito est mort en 1918 et l’on célèbre le centenaire de sa disparition. Anecdotique ? En 2018, on affiche en priorité Debussy (mort en 1918) et Gounod (né en 1818), Boito ayant laissé, en tant que compositeur, un seul opéra achevé : Mefistofele. Avec cette partition, il voulait révolutionner la création lyrique italienne, repousser les frontières du romantisme, effacer les « formules » convenues du genre pour créer une grande « forme » d’art total sur le modèle wagnérien : texte et musique écrits de la même main, un livret fleuve à la dimension poétique et à la portée philosophique, un ancrage mythologique, une musique à l’orchestration large... La création en 1868 de Mefistofele à la Scala de Milan est un échec total : le public n’y comprend rien. L’opéra est trop long, décousu, abstrait, la dimension poético-philosophique puisée chez Goethe échappe à l’entendement... Boito réécrira, coupera dans le gras du livret pour lui donner un « format » présentable... et par là même moins radical et plus convenu. Une boucherie ? Sans doute (la version originale est perdue)... mais ça marche ! À

partir de 1875 l’opéra triomphe grâce à ses chœurs magistraux, sa verve mélodique, les airs décapants de Mefistofele, ceux dramatiques de Marguerite/Elena, leurs dialogues amoureux avec Faust... L’opéra perd en originalité et profondeur, mais gagne en lisibilité. Et l’on sait gré à la direction des Chorégies d’Orange d’avoir permis au grand public de le (re)découvrir, dans une réalisation qui a suscité l’enthousiasme général.

Une femme au pupitre !

De mémoire de festivalier, on n’avait jamais vu ça ! Quoi, ça ? Une femme qui dirige au Théâtre antique : une cheffe à la tête de l’Orchestre de Radio France et de la foule d’artistes s’exprimant sur le plateau. En 2018 ! Alors que depuis tant de temps les écoles musicales du monde entier regorgent de compositrices, musiciennes, maestras toutes aussi talentueuses que leurs homologues masculins ! Nathalie Stutzmann est un phénomène qui confine à l’icône : universellement reconnue comme l’une des plus grandes contraltos de sa génération, elle est en passe devenir, à la cinquantaine florissante, l’une des plus brillantes cheffes du circuit mondial ; elle a triomphé à MonteCarlo (Tannhäuser) avant sa venue à Orange, où elle recueille les plus beaux hommages grâce à une direction engagée, autoritaire et bienveillante, sans démonstration superflue, à l’écoute du plateau et de son souffle, dans une idéale adhésion au répertoire défendu. Le lieu particulier du Théâtre antique, sa jauge en plein air de 8000 places face à un mur immense et une scène XXL imposent des contraintes scénographiques et acoustiques. Jean-Louis Grinda les connait et ménage des effets monumentaux en plaçant le quadruple chœur (opéras d’Avignon, MonteCarlo, Nice et les enfants de l’Académie de Monaco) figé en façade, façon oratorio,

sur des praticables verticaux, ou enrobant l’orchestre, en projetant sur le mur (vidéo Julien Soulier), au climax des crescendos surpuissants, des pluies d’étoiles en bouquet de feu d’artifice. C’est sidérant, pharaonique et le public en redemande. Les scènes de foule, comme lors de la fête bigarrée de Pâques, sont réussies. Le lieu s’y prête, auquel on ajoute de l’antique avec de fausses colonnes : un geste scénographique (Rudy Sabounghi) qui prend son sens dans la « Nuit de Sabbat classique » évoquant Troie, Hélène, les dieux grecs... Pour Grinda, à cet instant, la mort de l’enfant d’Elena et de Faust, qu’il montre en figurant la chute d’Icare en ombre fulgurante projetée sur le mur, symbolise l’échec de l’imitation des Anciens, l’impossibilité de retrouver un idéal classique. Boito faisait figure d’avant-gardiste et cherchait aussi, dans son œuvre, un nouveau « tout » idéal... La scénographie en blanc et noir joue sur l’ambivalence du Bien et du Mal, thème central du drame de Goethe, palpable dans le découpage symétrique de l’opéra en deux parties distinctes. Faust se libère de ses passions et effectue un parcours initiatique où le Mal a sa place, nécessaire aiguillon qui lui permet de trouver le Salut. Les femmes ici ne sont guère gâtées, séduites et délaissées, meurtrières, tombant dans la folie... Le Pacte est masculin, les femmes sont des jouets que Mephistofele place sur le chemin de Faust comme des épreuves à surmonter avant la félicité.

Questions acoustiques ?

On dit qu’à Orange l’acoustique est remarquable. De fait, le Théâtre, avec son immense mur qui renvoie l’onde vocale vers les gradins, est une belle conception pour... le théâtre. Mais à l’époque romaine, il n’y avait pas, au pied de la scène, un orchestre philharmonique de la taille de celui de Radio France. Dans une salle d’opéra traditionnelle, l’orchestre est placé


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Mefistofele, Orange 2018 © Philippe Gromelle

dans une fosse sous la scène. Cela permet de trouver un équilibre acoustique entre la masse orchestrale ainsi « étouffée » et les chanteurs dont les voix passent plus facilement « par dessus ». À Orange... il n’y a pas de fosse ! L’orchestre constitue un écran sonore avec lequel les chanteurs doivent compter. Aux Chorégies il vaut mieux afficher des voix surdimensionnées. Or, un opéra n’est pas constitué uniquement de scènes de foules ! Le genre explore volontiers la psychologie des personnages, et réserve de nombreux moments d’intimité. L’ampleur de la scène d’Orange n’est pas le lieu le plus adapté à la mise en œuvre de l’intime, les chanteurs devant porter leur voix dans le lointain, « amplifier » leur gestuelle, leur émotion jusque vers les derniers rangs du théâtre. Ni Erwin Schrott (Mefistofele), ni Jean-François Borras (Faust), ni Béatrice Uria-Monzon (Margherita/Elena) n’ont aujourd’hui les moyens vocaux de Cesare Siepi, Mario del Monaco et Renata Tebaldi, pour ne citer que ces trois « mythes vocaux » qui ont incarné les principaux rôles de Mefistofele il y a plus d’un demi-siècle, et qui passeraient sans souci la barrière orchestrale d’Orange. Ceci étant dit, les trois acteurs de la production 2018 ont su mettre en œuvre toutes leurs vertus pour porter l’ouvrage vers un succès public mérité.

Et quels chanteurs !

En tête, dans le rôle-titre, Erwin Schrott développe un jeu tout en classe et attraits : son

« diable » est un coq fier et séducteur, un Don Juan satanique, sûr de lui jusqu’à la chute et la désillusion finale. Sa présence, son charme magnétique, son aisance scénique ravissent le public. Son timbre de basse-baryton bien équilibré sur son registre, sa déclamation claire, séduisent et font mouche dans le sarcasme comme dans la noblesse du rôle. Théâtralement parlant, le Faust de Jean-François Borras est un peu « bonhomme ». On ne sent pas sa capacité délibérée à résister à la volonté diabolique. Emporté par les épreuves, les passions amoureuses, à aucun moment, même s’il doute aux portes de l’extase, il ne cède à prononcer la phrase demandant à Mefisto l’arrêt du temps : il y perdrait son âme. Cette force là est peu perceptible chez le ténor français qui jouit vocalement d’un beau timbre, solide, un poil voilé dans le médium, d’un souffle lyrique qu’on suit volontiers dans ses airs et duo, et d’aigus vaillants, sans faille. L’ambitus que possède désormais Béatrice Uria Monzon impressionne. Sur le modèle de la « Falcon », elle est capable d’émettre des sons poitrinaires de mezzo (sa tessiture originelle) et des aigus larges de soprano ! Elle interprète les deux rôles des amantes séduites par Faust. Sa technique peut déranger avec ses sons tubés dans le bas médium, des aigus amples, mais au portando et au vibrato souvent débridés... Son charme naturel opère cependant dans son incarnation de la jeune Margherita : naïve dans la scène de séduction de Faust, elle émeut lorsque la

lumière s’assombrit, en prison, sur ses délires et son ultime souffle... Le duo d’amour entre Elena et Faust est aussi un beau moment de l’ouvrage, même si l’ancrage délibérément classico-mythologique des costumes frise le kitch d’une Belle Hélène d’opérette. Marie-Ange Todorovitch est truculente et drôle dans le rôle de caractère de Marta. Le ténor Reinaldo Macias se met au service des seconds rôles (Wagner et Nereo) avec réussite et l’intervention, courte mais remarquée, de Valentine Lemercier met en lumière la profondeur de son mezzo-soprano.

Un drame évité !

Une « anecdote » qui aurait pu tourner au drame restera dans les annales du festival. Le 9 juillet, on a renoncé à utiliser la nacelle qui devait emporter dans les airs les pactisés Faust et Mefisto. Et pour cause ! Lors de la première, la nacelle a dangereusement basculé, mettant en danger les chanteurs suspendus pendant de longues minutes, à plusieurs mètres du sol dans une posture pour le moins inconfortable et périlleuse. On a échappé au pire : Satan ayant peut-être tenté là quelque maléfice de son crû ? JACQUES FRESCHEL

Mefistofele de Boito a été représenté les 5 et 9 juillet au Théâtre antique lors des Chorégies d’Orange


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Les 20 ans de Marsatac, bilan d’une mue En choisissant en 2017 de s’installer au Parc Chanot aux prémices de l’été, Marsatac ne trichait pas sur ses ambitions : grossir. Et donc opérer une mue profonde, créer un électrochoc

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ini le nomadisme qui a façonné l’identité de l’événement. Finie aussi cette bouffée d’oxygène musicale et festive du dernier week-end de septembre qui permettait d’échapper aux programmations clonées de l’été musical. Pour se transformer en poids lourd sur la carte européenne des festivals, Orane, l’association organisatrice de Marsatac, devait aller au-delà d’une augmentation de la capacité d’accueil et de l’alignement sur le calendrier des artistes. L’arrivée du groupe nord-américain Live Nation (U2, Madonna, Shakira…) allait faire le reste. Depuis quelques années, le leader mondial dans l’organisation et la promotion de spectacles développe une stratégie d’implantation en Europe. Mais contrairement à d’autres cas de figure dont le Main Square festival à Arras est le plus emblématique, il ne s’agit pas d’un rachat de l’événement marseillais, seulement d’un partenariat permettant de renforcer la programmation avec des têtes d’affiche, tout en gardant une liberté dans les choix artistiques. Jusqu’à quand ? Au sortir de la 2e édition dans sa nouvelle configuration, Marsatac se rapproche de l’objectif de devenir © Frame Pictures le festival de référence du Sud-Est de la France. Les 20 ans du festival ont été ceux de tous les records. D’affluence, d’abord, avec 35 000 festivaliers sur trois dates. Et la communication d’égrener les chiffres : 31 prestations sur scène, 300 journalistes, 1500 professionnels accrédités, 350 bénévoles. Un succès incontestable dû à ce que les organisateurs qualifient d’« ouverture à une programmation encore plus fédératrice ». En d’autres termes, une orientation plus grand public, dans les deux genres privilégiés du festival, le rap et les musiques électroniques. Si Marsatac conserve globalement son concept articulant artistes confirmés et émergents, internationaux et régionaux, le virage pris depuis deux ans se démarque de la patte de Dro Kilndjian, programmateur depuis sa création en 1999 et qui, selon quelques observateurs de la vie culturelle marseillaise, aurait pris du recul sur l’événement qu’il a cofondé.

Nouveautés et constantes Plusieurs nouveautés importantes ont contribué à ce bond de la fréquentation : des horaires élargis, une troisième scène sur laquelle se sont produits les noms parmi les plus attractifs (IAM, Nekfeu, Petit Biscuit, Paul Kalkbrenner…) et la journée supplémentaire du dimanche à la plage. Il y a enfin des constances qui gâchent un peu, voire beaucoup, la fête.

La qualité du son a toujours été inégale à Marsatac. Les immenses halls de Chanot n’ont en rien résolu le problème, bien au contraire. Ce choix d’implantation n’est pas digne d’un grand -et onéreux- festival. Autre point noir dont la tendance ne fait qu’empirer : l’attente. Des queues interminables pour boire et manger. Mais aussi aux toilettes. La queue enfin pour recharger son bracelet « cashless » -opération impossible depuis un ordinateur à domicile- désormais unique mode paiement avec l’application qui a beugué tout le week-end. La carte bleue serait-elle trop ringarde pour le nouveau Marsatac ? L’an dernier pourtant, Béatrice Desgranges, directrice du festival annonçait : « Je ne doute pas de notre capacité à pouvoir corriger ces deux problèmes (le son et l’attente, NDLR) pour l’année prochaine. Faire une première édition sur un nouveau site ce n’est pas évident. Il ne faut pas que le public se décourage ». Bien sûr ces désagréments n’ont pas entamé le bonheur des deux générations qui se sont retrouvées en masse devant IAM pour célébrer les vingt ans de leur album L’École du micro d’argent. Ni même perturbé, aux heures les plus tardives, lorsque la chimie envoûte le corps et l’esprit, les fans absorbés par les sets impeccables de Nina Kravitz, Sam Paganini ou Boris Brejcha. « Marsatac est dans une position emblématique de l’évolution de nos métiers. Comme beaucoup de festivals, l’aventure a démarré avec une bande de potes. Vingt ans plus tard, on se retrouve à gérer un business aux frontières de l’industrie du spectacle », résume un professionnel marseillais. Y a-t-il donc un autre choix possible que de se rapprocher d’un géant comme Live Nation qui détient le monopole sur certains gros artistes et, qui plus est, dans un contexte de chute des subventions publiques ? Quoi de plus naturel et logique pour un festival intermédiaire, resté longtemps sans lieu adapté aux jauges visées, d’avoir le dessein de se développer ? Mais on peut se demander aussi : jusqu’où et à quelle fin ? Si la réponse ne prend pas en compte l’exigence d’une ligne artistique basée sur une programmation atypique, le risque de perdre sa singularité au profit d’un formatage sans intérêt est clairement posé. Pour en juger, rendez-vous les 14, 15 et 16 juin 2019. Ou pas. LUDOVIC TOMAS

Marsatac s’est déroulé les 15, 16 et 17 juin au Parc Chanot et sur la plage du Petit Roucas, à Marseille


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« De la musique, partout ! » Concerts sous les étoiles : les Musicales de la Font de Mai fêtent leurs 5 ans à Aubagne

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a Font de Mai, c’est la fontaine de l’abondance en provençal, car l’eau n’y manque pas, même lors des pires sécheresses. Un beau nom pour ce domaine au pied du massif du Garlaban, auquel on accède sans voitures, par les chemins, avec un écomusée et une buvette situés au départ des randonnées. Le jardinier fait volontiers visiter les lieux, notamment l’aire propice pour battre le foin, et partage avec générosité son goût pour les essences méditerranéennes. Légèrement en contrebas, un vaste pré : c’est là que se tiennent depuis cinq ans les Musicales, festival porté par le Territoire du Pays d’Aubagne et de l’Étoile. La magie du site opère, et la fréquentation s’amplifie d’année en année, malgré des tarifs un peu élevés (30€ la soirée). Il faut dire que la qualité de la programmation incite au déplacement, pour peu que le mistral ne soit pas trop fort (auquel cas un repli est prévu au Centre de Congrès Agora). L’édition 2018 sera « un millésime fruité et coloré », expression affectionnée par Sylvia Barthélémy, présidente du Territoire, qui « aime à mettre de la musique partout, parce qu’elle transforme le monde et rend les gens plus heureux ; sous les étoiles, elle prend une dimension qu’elle n’a pas dans une salle de spectacle ».

Lisa Simone © Alexandre Lacombe

Univers variés Le comité de sélection opère des choix résolument éclectiques, propices à la découverte. C’est l’as de la batterie Manu Katché qui ouvrira la manifestation, le 27 juillet. « Une très grosse pointure », selon Régis Guerbois, président du Festival Marseille Jazz des Cinq Continents, venu amicalement assister à la conférence de presse, « batteur mais aussi arrangeur, capable de mettre les autres musiciens en avant ». Il sera accompagné de Jérôme Regard à la basse, Patrick Manouguian à la guitare, et Elvin Galland au piano, avec lesquels il a enregistré son dernier album, The Scope. Le lendemain, le pré se transformera en piste de danse, pour une soirée des plus festives, avec le salsero Jean-Paul Tamayo et son groupe de douze percussionnistes, cuivres, choristes... qui remplacent Yuri Buenaventura, initialement prévu. En pays d’Aubagne, on est friand de

salsa, avec pas moins de trois écoles sur la commune ; le bruit court que même le chef de la police municipale serait un amateur éclairé ! Le 29 juillet, Catherine Lara et Juan Carmona monteront à leur tour sur scène. La violoniste et chanteuse au timbre si particulier et le guitariste flamenco rendront peut-être hommage à Léo Ferré, comme ils l’ont fait dans l’album Une voix pour Ferré enregistré en 2011 ? Lisa Simone, fille de la grande Nina, leur succédera le 30 juillet, dans un tout autre registre. « Une voix, une nature », selon Régis Guerbois qui s’y connaît en interprètes de tempérament, l’artiste, très différente de son illustre mère, « a su faire son chemin malgré son nom, car elle vit la musique et la fait vivre à son public ». Enfin pour conclure ces Musicales, une soirée Lyrique sous les étoiles sera offerte à tous

en entrée libre le 31 juillet. Il ne sera pas nécessaire d’enfiler sa tenue de lumière, mais on aura le privilège d’entendre dans ce cadre champêtre trois jeunes chanteurs auréolés de prix internationaux : Charlotte Despaux, soprano, Laura Stamboulis, mezzo-soprano, et Mikhael Piccone, baryton, accompagnés de la pianiste Valérie Florac. Des airs fameux d’opéras, issus de Carmen, Faust, La Traviata, Norma, Cosi fan tutte... sont au programme. GAËLLE CLOAREC

Les Musicales de la Font de Mai 27 au 31 juillet Domaine de la Font de Mai, Aubagne 04 42 03 49 98 Musicales-aubagne.fr


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Choisir l’heure d’été Le mois d’août à Marseille est moins riche de propositions culturelles ? Pas de panique : le Mucem a un Plan B

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es expositions Ai Weiwei Fan-Tan et Or sont à découvrir respectivement jusqu’au 12 novembre et au 10 septembre, dans les espaces temporaires du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (retrouvez nos critiques p 70 et sur journalzibeline.fr). Tandis que les espaces semi-permanents proposent encore Connectivités, Ruralités et L’Amour de A à Z (retrouvez nos critiques sur journalzibeline.fr) Le Fort Saint Jean accueille quant à lui une nouvelle exposition, en association avec les Rencontres d’Arles (lire p 60 à 62), du 19 juillet au 30 septembre : Manger à l’œil. En 2010, l’Unesco classait le repas gastronomique des français au patrimoine culturel de l’humanité, ce qui a inspiré aux commissaires Pierre Hivernat, Floriane Doury, Nicolas Havette et Elisabeth Martin une histoire en photographie de notre rapport au repas. De l’autochrome aux applications sur smartphone, en passant par le Polaroïd... Pour constituer un diaporama de 1900 à nos jours, ils ont rassemblé des œuvres de grands précurseurs, tels Nicéphore Niépce, ou de simples amateurs, à travers les décennies, jusqu’au foodporn, pratique exponentielle

qui consiste à photographier sa nourriture et à la partager sur les réseaux sociaux. Le 15 août, en clin d’œil à l’exposition, les chefs Emmanuel Perrodin et Gérald Passedat tiendront banquet nocturne, à l’occasion du Plan B, temps fort estival du Mucem.

Les soirées du Plan B Tout le mois d’août, le musée sera ouvert sept jours sur sept, avec une programmation plus fournie que lors des éditions précédentes de ce fameux Plan B. Il sera rythmé selon les soirs de la semaine : le mercredi, des spectacles vivants ou des performances ; le jeudi, des concerts ou lives électro, du cinéma en plein air le vendredi, et des lectures le samedi. Le lancement se fera tout en musique orientale le 1er août, avec Bachar Mar-Khalifé, Imarhan, Sarah Maison, et Amar 808 & The Maghreb United. Soit des artistes évoluant entre raï, gnawa, et rock touareg, quatre heures de rang ! Le 8 août, ce sera La Déclaration, une pièce pour cinq danseurs et autant de musiciens, signée Sylvain Groud et Naïssam Jalal. Ne ratez pas, le 22, une très belle soirée consacrée au

Frantisek PEKAR 2 enfants, 1930 © F Pekar DR Ville de Chalon-sur-Saone, France, Musée Nicéphore Niépce

cirque, avec à l’affiche le spectaculaire Pelat de Joan Català, qui manipule le lourd mât des fêtes catalanes comme personne, Copyleft de Nicanor de Elia, où sept jongleurs en tenue de tennismen s’échauffent en public, ainsi que le Baltrap de la Cie Contrebande, six acrobates jouant avec une bascule coréenne... et ce qui les entoure. Les 2, 9, 16 et 23 août, se succéderont aux platines ou au micro Irène Drésel, accompagnée de Scratch Massive, puis Blow, Uto et Holy Two dans la catégorie électro pop, le duo féminin Afrodite venu de Loire Atlantique avec ses références soul, hip hop et RnB, un revival eighties porté par Saint DX, Buvette (cold wave), et enfin Agar (acid disco). Les 3, 10, 17 et 24 août, le fort Saint Jean restera en accès libre. Amenez votre pique-nique et profitez des séances de cinéma en plein air qui débuteront à la tombée de la nuit ! Le choix est varié : documentaire (Benda Bilili ! de Renaud Barret et Florent de la Tullaye, porte sur un groupe de musiciens handicapés à Kinshasa -leur nom signifie « au-delà des apparences ») ; comédie musicale hirsute (Hair, de Milos Forman, un monument de la culture hippie) ; délice romantique et culinaire -mais pas mielleux- (The lunchbox, de Ritesh Batra) ; et enfin, classique des classiques, à revoir en famille, Le cirque de Charlie Chaplin. Les samedis, place à la lecture ! On ne sait pas encore qui lira quoi, hormis que le 4 août, ce sera Ariane Ascaride, excusez du peu, et que les textes sélectionnés proviendront des deux rives de la Méditerranée.

En journée aussi ! Mais le Plan B se prévoit aussi en journée : à partir de 10h, moment où le Mucem ouvre ses portes, des visites un peu particulières des différentes expositions sont annoncées, assorties d’ateliers. On pourra par exemple apprendre à faire des images sans appareil photographique, à partir du soleil et de l’eau (si, si ! ça s’appelle un cyanotype), rencontrer son « objet-âme sœur » -celui qui est fait pour vous et se cache à votre insu dans les immenses collections du musée-, ou encore un autre visiteur, inconnu, pour écrire avec


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MP2018 s’achève lui une histoire qui vous est chère sur les murs de la Chapelle aux Trésors, une installation éphémère conçue par le binôme anglo-irlandais gethan&myles. Pas besoin d’attendre la nuit, non plus, pour profiter de la fraîcheur des salles obscures. L’auditorium Germaine Tillon saura vous accueillir avec chaque jour un nouveau film, projeté en milieu puis en fin d’après-midi. La sélection, encore secrète, comprend des œuvres récentes, pour la plupart inédites à Marseille ; le tarif des séances est moins élevé qu’au cinéma (entre 4 et 6 €). Le plus agréable -et gratuit- sera peut-être tout simplement d’aller se caler en fin d’après-midi sur les coussins de la bibliothèque en plein air, au débouché de la passerelle du J4, pour profiter de la douce lumière de la Méditerranée, un livre à la main. On y piochera des ouvrages pour tous les âges et tous les goûts, en lien avec les fonds du Mucem. GAËLLE CLOAREC

Manger à l’œil jusqu’au 30 septembre Fort Saint Jean Plan B 1er au 31 août

Après avoir répandu L’Amour sur le territoire de la Métropole Aix-Marseille Provence depuis son lancement le 14 février dernier, pour la Saint Valentin, MP2018, réplique plus légère de la capitale européenne de la culture en 2013, va s’achever. Sur les chapeaux de roues ? Pas tout à fait : l’ambition de la manifestation semble s’être quelque peu essoufflée au fil des mois. Le week-end de clôture est annoncé juste avant la rentrée, du 31 août au 2 septembre. Trois jours festifs dans la cité phocéenne, qui débuteront à l’Estaque, et plus précisément au cinéma L’Alhambra. Puis, direction le J1, où se tiennent les deux rendez-vous d’art contemporain de la saison, Art-O-Rama et Paréidolie (lire p 14 et 15). À proximité, des ateliers et des rencontres avec plusieurs artistes seront proposés par le Frac Paca. Enfin MP2018 investira la place de la Joliette, toute la journée du 1er septembre, pour une grande fête à la programmation pour l’heure très mystérieuse. G.C.

Week-end de clôture MP2018 31 août au 2 septembre Divers lieux, Marseille mp2018.com

Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org

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conception graphique : Alice Chireux • illustration : Ji Dahai

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Rentrée Arty à Marseille ! EXCEPTIONNELLEMENT Entretien avec Martine Robin et Françoise Aubert de la PRÉSENTS AU J1, DANS team cent pour cent féminine de Paréidolie UNE CONFIGURATION Zibeline : Avez-vous conçu une édition en Il prolonge le travail présenté chez Patrick résonance avec la saison MP2018 « Quel Raynaud qui fait à 7 Clous un travail remarquable. C’est une installation qui combine INÉDITE, LES SALONS Amour ! » ? Paréidolie : Au départ on avait envie de faire proposition murale et dessins. Il y aura de écho à cette thématique, ce que l’on a fait nouvelles productions mais pas seulement… ART-O-RAMA ET à Servières. En revanche pour Paréidolie on C’est exactement ce que Paréidolie veut a préféré l’idée du duo, du couple, sans que défendre dans le cadre de « l’artiste invité ». PARÉIDOLIE FONT UN cela soit une condition indispensable pour Dans la même dynamique vous offrez les galeries. On revendique une ouverture deux cartes blanches à deux galeries du FOCUS SUR LA CRÉATION large avec des propositions très diverses, territoire. Quelles sont-elles et vont-elles toutes soumises à la plus grande exigence. opérer un dialogue dans l’espace ? Paréidolie est constitué d’un comité Il s’agit de la Double V Gallery que l’on a envie CONTEMPORAINE artistique , et d’un comité de pilotage de soutenir, d’autant plus que le contexte chargé du choix de l’artiste invité : quel marseillais est difficile pour les galeries privées, À TRAVERS UNE est-il cette année ? et de la galerie Sintitulo à Mougins qui fait C’est Pierre Malphettes car on tient à un travail de longue haleine, de résistance, SÉLECTION DE mettre en avant un artiste qui habite dans la dans une ville peu irriguée par l’offre d’art région. On aimait déjà sa pratique de sculpteur, contemporain. On choisit toujours des galeries GALERIES NATIONALES d’installateur d’objets, et la découverte de son dont on reconnaît l’investissement profestravail graphique à La Friche pour les 15 ans sionnel au quotidien, avec lesquelles on a des nous a séduites. Au vu de son affinités. On noue avec elles des partenariats ET INTERNATIONALES. d’Astérides parcours, on a pensé qu’il était intéressant au long cours, notamment pendant la Saison et de confronter son travail du dessin. À Servières, elles dialoguaient, DEUX ÉVÉNEMENTS SUR deau l’accompagner regard du monde économique de l’art. cette année la configuration spatiale leur Justement, que nous réserve Pierre permet d’avoir des espaces plus intimistes UN MÊME PLATEAU QUI Malphettes : des œuvres produites pour et donc de développer des propositions plus Paréidolie ou qui s’inscrivent dans un autonomes. En quoi votre présence au J1, sur le FÉDÈRENT ARTISTES, continuum d’œuvres graphiques ? PROFESSIONNELS, COLLECTIONNEURS, MÉCÈNES ET AMATEURS, ET FONT DE MARSEILLE LE POINT DE MIRE DE LA RENTRÉE 1

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La team de Paréidolie. De gauche à droite Françoise Aubert, Martine Robin, Michèle Sylvander, Céline Ghisleri, Lydie Marchi © X-D.R.


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Entretien avec Jérôme Pantalacci, directeur d’Art-O-Rama (AOR), et Véronique Collard Bovy, directrice générale d’ART+, maitres d’œuvre du salon d’art contemporain même plateau qu’Art-O-Rama, était importante, voire indispensable ? Parce que les deux salons font la rentrée à Marseille, rejoints fort heureusement par un salon expérimental de la photographie contemporaine. On milite pour une complémentarité : il y a Art-O-Rama qui est généraliste, Paréidolie spécialisé dans le dessin et maintenant Polyptyque3 dans la photographie. C’était également pour être proche de nos partenaires, le Frac et la Vieille Charité. Ces trois événements densifient les propositions dans une unité de temps et de lieu, ils montrent la capacité de Marseille à attirer des galeries nationales et internationales. Quels sont les enjeux de votre implantation sur le plan scénographique ? L’enjeu était tel que l’on a fait appel aux meilleurs, l’architecte Harald Sylvander, qui avait refait l’implantation à Servières l’an dernier et nous a fait des propositions parfaitement adaptées au nouveau cahier des charges. Le challenge était de garder la spécificité des deux salons, de marquer notre identité tout en conservant l’esprit intimiste qui nous caractérise. On reste une petite foire, exigeante, ouverte à la diversité du dessin. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Comité artistique présidé par Chiara Parisi : Josée Gensollen (collectionneur), Laurent Godin (galeriste), Pascal Neveux (Frac), Marine Pagès, Michèle Sylvander, Gérard Traquandi (artistes).

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Comité de pilotage : Françoise Aubert, Lydie Marchi, Martine Robin, Michèle Sylvander.

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Polyptyque (31 août au 2 septembre, Les Docks village) anticipe l’ouverture le 3 novembre du Centre photographique Marseille (Ateliers de l’image / 04 91 90 46 76).

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Paréidolie, Salon international du dessin contemporain 1er et 2 septembre J1, Marseille pareidolie.net

Zibeline : Quelles raisons ont poussé Art-O- d’un partenariat avec le Centre national des Rama à quitter son espace natal, la Cartonnerie arts plastiques (CNAP), des signatures à la à la Friche la Belle de Mai, pour le J1 ? librairie, l’annonce des lauréats du Show Room Jérôme Pantalacci : Plusieurs raisons nous ont et du prix Roger Pailhas. Également, le temps amenés au J1. Mais bien entendu, c’est avant fort à retrouver tous les jours du samedi 1er au tout la magie du lieu. Quand on a la possibilité dimanche 9 septembre, les déjeuners pilotés d’occuper un tel espace, on ne peut pas refuser. par Emmanuel Perrodin et les Grandes Tables Ce site est merveilleusement bien situé dans la de la Friche, au restaurant situé au bout du J1, ville, entre le Mucem et le FRAC, entouré par la devant la grande baie vitrée qui donne sur le mer et avec les îles du Frioul en face. Il corres- Frioul. À cette occasion l’accès à Art-O-Rama pond tout à fait à l’image de Marseille, urbain et sera gratuit de 12h à 14h. V. C. B. : Nous avons également mis tourné vers la mer. Mais nous n’aurions en place un parcours de visites jamais pu investir ce lieu sans le soutien à la fois de la Friche réservé à nos invités au sein et de l’association MJ1. des lieux les plus prestiVéronique Collard gieux du grand sud, avec Bovy : En charge plus un passage au sein de spécifiquement des notre exposition à la partenariats et de la Friche la Belle de dimension économique Mai, Communautés du projet, je corrobore Invisibles du duo totalement les propos Christophe Berdaguer de Jérôme. Le positionet Marie Péjus (lire p 72), nement du J1 entre mer incluant Luma Arles et Vé et terre, véritable patrimoine la toute nouvelle Fondation ro ni R. qu D. de la cité phocéenne, au croiseCarmignac (lire zib’ 119) avec eC o l la ©X rd B cci o vy et Jérô m e P a ntal a lesquelles nous collaborons toute ment du quartier d’affaires, d’une destination shopping et de partenaires l’année. Les amoureux de l’art contempoculturels majeurs, est un atout considérable rain seront à l’honneur avec notre programme 2018. pour le développement du projet. Entre MP2018 qui s’achève et la perspective Ce nouvel espace impacte-t-il les fondements de Manifesta en 2020, quels sont selon vous les d’AOR d’un point de vue identitaire, stratégique enjeux et les défis pour Art-O-Rama ? et collaboratif ? J.P. : MP2018 et Manifesta 2020 sont de magniJ.P. : Nous avons fait attention, justement, à ne fiques opportunités pour tous les acteurs locaux pas changer nos fondamentaux. Ce qui était et pour notre territoire. Nos défis restent les une des inquiétudes de nos exposants, qui mêmes, accroitre notre visibilité et notre reconparticipent à Art-O-Rama, car la proposition naissance à l’étranger, attirer le maximum de qui leur est faite est différente de nombreuses collectionneurs et de professionnels nationaux et foires et qu’elle centre le projet sur l’artistique. internationaux, proposer aux marseillais et aux Nous avons ainsi décidé de ne pas changer provençaux une grande exposition qui se déploie notre fonctionnement, ni notre identité. sur 4000 m2 et reçoit 120 artistes qui montrent V. C. B. : Nous l’avons orienté sur notre destina- un large panel de la création la plus récente. tion inédite J1, intitulant cette douzième édition V. C. B. : Art-O-Rama irradie au-delà de ces By The Sea, accentuant ainsi notre identité frontières physiques, notre évènement est méditerranéenne. l’occasion de découvrir la vitalité de la scène Quels sont les temps forts de cette édition qui artistique de notre territoire. C’est toujours un clôt la saison MP2018 « Quel Amour ! » ? Les des objectifs de notre évènement. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR avez-vous pensés d’une manière spécifique ? MARIE GODFRIN-GUIDICELLI J.P. : Les temps forts d’Art-O-Rama sont bien entendu le 31 août avec l’ouverture, mais Art-O-Rama également les samedi et dimanche avec la 31 août au 9 septembre présentation des sélections de films par Josée J1, Marseille Gensollen et Pascale Cassagnau dans le cadre 04 95 04 95 36 art-o-rama.fr


20 festivals

Célébrer, démocratiser, s’engager

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dans un lieu qui possède une jauge limitée à 3000 personnes. Tohu Bohu, en revanche, a accompagné la démocratisation des musiques électroniques depuis ses débuts, de l’underground à un phénomène culturel accepté. C’est en 2001, au moment où je terminais mon mémoire sur l’institutionnalisation des musiques électroniques à la faculté, que j’ai été embauché par le Festival de Radio France dirigé par René Koering pour réaliser une programmation électro. Il est important de dire que Tohu Bohu fait partie intégrante de ce festival qui programme 250 concerts dans

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Zibeline : Kolorz à Carpentras, les 20 et 21 juillet (voir Zib’ 119), est le plus récent des festivals d’été que vous avez créé, quel en est le contexte ? Pascal Maurin : J’habite à Carpentras et il y a dix ans les trentenaires ont voulu exprimer une autre image de la ville, singulièrement ternie avec la montée du FN local. C’est un projet artistique mais aussi un geste politique qui a eu un écho favorable de la municipalité. Mon travail est de créer des festivals musicaux et c’était ma manière de m’engager. En termes de programmation, l’idée est d’attirer des têtes d’affiche internationales pour faire venir tous les publics à Carpentras, un défi, qui plus est

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Organisateur de nombreux festivals dans la région (du récent Dernier Cri à Montpellier aux historiques Électro d’Uzès), Pascal Maurin est un organisateur/ programmateur hyperactif. À travers ses événements d’été, tous très différents dans leurs approches, se devine la démocratisation des musiques électroniques depuis près de vingt ans. Entretien

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la région, sur une dominante classique. Cette innovation a contribué à légitimer cette musique auprès du public et des décideurs, et démocratiser les musiques électroniques : aujourd’hui toutes les villes de France possèdent leur propre festival ! Cette année nous consacrons trois soirées à trois villes représentatives de l’effervescence de la culture électro, dont Tbilissi pour soutenir la scène techno géorgienne victime d’une

Crossover, 10 ans 100% francophone

Lomepal © Julie Oona

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i le « croisement » a toujours bien lieu entre les genres, le festival Crossover, qui a reçu au cours de sa récente histoire Metronomy, Bonobo ou 2ManyDJ’s, se limitera lors de cette 10e édition aux frontières de l’hexagone et de la Belgique. « Cette

année nous avons choisi de proposer une programmation 100% francophone, avec des artistes qui font l’actualité [et] représentent la scène musicale française aujourd’hui » assume Roxane Bessous, d’Allover, organisateur du festival. Tout en reconnaissant le

casse-tête que représente le fait d’attirer les fameux « headliners » qui déplacent les foules sur les grands rendez-vous et ne peuvent se démultiplier à l’infini : « Il est difficile de réunir des artistes internationaux pour des questions de disponibilité et de tournée ». Ajoutons-y : « et de montant du cachet ». Avec l’arrivée récente dans le business de la scène de grands groupes internationaux (LiveNation, organisateur de Main Square à Lille et de Lollapalooza à Paris ou AEG qui a racheté Rock en Seine), les exclusivités et la surenchère des prix empêchent aujourd’hui les petits et moyens festivals d’intégrer ces têtes d’affiche à leurs « line-up ». Crossover bénéficie toutefois d’un regain d’intérêt du public pour cette scène francophone en pleine émergence, que ce soit en pop, chanson, rap ou électro. Si Rone, Petit Biscuit et Polo&Pan symbolisent la belle attractivité « dancefloor » du festival niçois, Angèle en étant la garantie « chanson féminine de qualité », Lomepal


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Mimi, toujours se réinventer terrible vague de répression actuellement. Avec Résonance, le choix de s’inscrire dans des lieux patrimoniaux d’Avignon est de retour cette année, avec cette notion d’« art des lieux » qui colle vraiment à l’identité des musiques électroniques. La notion de patrimoine était inscrite dans le projet du festival dès le début, avec l’idée de se servir du vecteur des musiques électroniques pour le faire redécouvrir et ça fonctionne très bien : des jeunes nous disent « on ne connaissait pas ce jardin, ce musée… ». En organisant des soirées électro à l’Hôtel de Caumont, nous avons aussi donné envie aux publics de visiter les expositions de la Collection Lambert. L’édition 2016 a occasionné quelques nuisances sonores et en 2017 nous avons fait le choix d’investir des lieux plus classiques, ce qui était moins original. Avec l’accord de la Mairie, nous avons voulu revenir dans des lieux chargés d’histoire, comme le Musée Calvet, un beau lieu pour les musiques sous toutes leurs formes. PROPOS RECUEILLIS PAR HERVÉ LUCIEN

Tohu Bohu/Festival de Radio France 23 au 25 juillet Parvis de l’Hôtel de Ville, Montpellier facebook.com/Tohu.Bohu.Montpellier/ Résonance 26 au 29 juillet Divers lieux, Avignon festival-resonance.fr

incarne un renouveau du phénomène rap français qui semble extraire le registre de son ghetto social et culturel habituel. Côté chanson-slam, Eddy de Pretto avait déjà franchi un pas conséquent en traitant avec talent dans ses chansons des questions de genre. Mais le rappeur parisien le fait basculer dans une nouvelle ère, loin du machisme et des enfumeries du rap caillera-libéral. Sur des musiques « trap » lentes et climatiques, transposition en VF du rappeur US Drake, Lomepal pose un flow clair qui explore l’univers névrosé du rap urbain en évitant les clichés du gaillard qui assène son vide cérébral sans complexe. La pochette de son album Flip le montre maquillé mais c’est justement sans fard qu’il se présente, skateur paumé, rejeton désargenté de la petite bourgeoisie culturelle, mélangeant réflexions métaphysiques et quotidien un peu glauque. Pas falot ni pâlot, joueur et lucide, il donne au rap d’aujourd’hui de belles couleurs. H.L.

La Colonie de vacances © Romain Etienne

A

vec son déménagement précipité de l’Hôpital Caroline l’an dernier, le festival marseillais des avant-gardes musicales aura perdu un emplacement prestigieux mais gagné en proximité. L’esprit d’adaptation n’est-il d’ailleurs pas une notion esthétique que le festival n’a cessé de défendre depuis sa création (en 1985, quand même), plébiscitant des artistes peu en vue du grand public mais essentiels aux défrichages tous azimuts des territoires musicaux ? Relocalisé, mais réorienté et remobilisé (une campagne de financement participatif a été lancée en début d’été pour supporter le coût d’un festival ayant vu ses subventions réduites de 66 000 € sur les deux dernières éditions), Mimi a tiré parti de cette péripétie pour se réinventer et offrir un reflet vivant de l’actualité de musiques souvent définies comme « périphériques ». Cinq lieux l’accueilleront cette rentrée pour un tour d’horizon plus-éclectique-tu-meurs. Sur le Toit-terrasse de la Friche le 8 septembre, un petit zoo musical démarre : avec Musiques Chiennes, Sarah-Louise Barbett bricole des vignettes synthétiques, chansons qui sont autant de chroniques ordinaires (La Maison de Billy, son dernier album, raconte sur une tonalité naïve et neurasthénique les aventures d’un probable animal domestique), tandis que l’italo-indienne Petit Singe explore tout l’éventail émotionnel de rythmes dubstep urbains et lascifs. On connaît Usé (à L’Embobineuse le 8 septembre) et sa réputation de performer jusqu’au-boutiste. Dans la lancée d’un premier Chien d’la Casse, son album Selflic (paru chez Born Bad Records fin juin) organise tant bien que mal sa musique, qui demeure par essence bordélique, âpre, violente avec ses motifs répétitifs de synthétiseurs et de percussions de bruit et de fureur. Le 14 septembre à La Cité des Arts de la Rue (avec Èlg, Tapan et Le Mal des Ardents), Mimi accueille l’un des grands musiciens de l’ère électronique, Burnt Friedman. Flirtant avec le jazz et l’improvisation (son projet Flanger demeure un modèle de fusion moderniste), le multi-instrumentiste est accompagné pour ce live du percussionniste iranien virtuose Mohammad Reza Mortazavi. Parallèlement, La Colonie de Vacances présentera sa nouvelle création : ce « groupe » constitué de quatre formations (Papier Tigre, Electric, Pneu et Marvin, soit onze musiciens dont quatre batteries) s’est fait une spécialité du concert quadriphonique, le public étant placé au centre de la performance jouée alternativement à deux, trois ou quatre groupes. Atypique et stimulant. H.L.

Crossover 23 au 25 août Théâtre de Verdure, Nice festival-crossover.com

Mimi 8 au 16 septembre Divers lieux, Marseille festivalmimi.com


22 au programme musiques bouches-du-rhône

Borderline électro-pop

Malik Djoudi © Christophe Crenel

Gare aux coups de soleil ! Depuis sa création en 2006, le week-end cannois est devenu une des plus grandes beach parties d’Europe avec 40 000 m2 de dancefloor et quatre scènes. De 14h30 à 0h30 (vendredi et samedi), de 17h à 0h30 (dimanche, afters parties chaque soir à la Rotonde du Palais des Festivals), plus de quarante artistes se succèdent dont Amelie Lens, Giorgia Angiuli, Kölsch, Jamie Jones, Klingande, The Blaze ou Joris Delacroix.

Jazz à Saint Rémy Renaud Garcia-Fons Trio © Solene Person

Amelie Lens © Eva Vlonk

Plages Électroniques

Bien rempli à l’été, l’agenda de l’amphithéâtre en plein air de Maldormé connaît un de ses temps forts musicaux avec des têtes d’affiche électro-pop. Kid Francescoli, le régional de l’étape, effectuera une des dernières dates de sa tournée après son album le plus réussi à ce jour, Play Me Again, interprété en duo avec sa complice Julia. Proche de cet univers précieux et cinématographique, Malik Djoudi, entendu récemment au Festival Avec Le Temps complète le line-up avec la pop douce-amère de Camel Power Club. 24 juillet

Théâtre Silvain, Marseille borderliner.fr

10 au 12 août Plage et Palais des Festivals, Cannes plages-electroniques.com

A Contra Luz

Matthew Dear © Matthew Reeves

Jack in The Box

Une soirée rap (avec le Psy 4 de la Rime Alonzo, Kekra, Panda Dub et Stand High Patrol) et une soirée électro (avec Rone, Maceo Plex, Ben Klock, Laurent Garnier et Charlotte de Witte) : deux registres bien distincts pour deux publics qui ne le seront pas moins, d’un soir à l’autre, pour le festival de rentrée à Marseille. 7 & 8 septembre

27 & 28 juillet Le Cabaret Aléatoire, Marseille cabaret-aleatoire.com

Charlotte de Witte © Hans Huylebroeck

Jack de Marseille, DJ pionnier de la scène locale, organise son week-end de festival chaque été à la Friche avec un line up alléchant : cet été, on remarque notamment la venue de Matthew Dear, valeur sûre de la techno américaine sous le nom d’Audion mais aussi fascinant artiste électro-pop sous sa propre identité, ainsi que Paranoid London avec son électro rétro et suffocante. Esplanade du J4, Marseille acontraluz.fr

Après Jazz sous les étoiles en juillet, l’association Jazz à Saint-Rémy offre une belle programmation de rentrée (13 au 15 septembre) à l’Alpilium. C’est Renaud Garcia-Fons, virtuose de la contrebasse à cinq cordes mondialement reconnu, qui ouvre les festivités, avec ses dernières compositions consacrées à sa ville natale, Paris. Avec David Venitucci à l’accordéon et Stephan Caracci au vibraphone et aux percussions, il nous convie à une balade dans le temps qui mélange jazz et musette, classique et grooves actuels. En première partie le Duo Jöak, contrebasse et percussions, offre un répertoire mêlant improvisations, classiques du jazz et de la pop music, et textes de grands auteurs et compositeurs français. Le lendemain, David et Thomas Enhco, respectivement à la trompette et au piano, se lanceront dans des improvisations pleines d’audace et de virtuosité. Enfin, c’est au son du saxophone de Stefano Di Battista que se clôtureront ces trois soirées, avec Flavio Boltro à la trompette, Éric Legnini au piano, Rosario Bonaccorso à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie. Jazz à Saint-Rémy 13 au 15 septembre Alpilium, Saint-Rémy-de-Provence 06 83 47 50 65 jazzasaintremy.fr


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Nouveau Jardin à Vitrolles

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epuis trois ans, le Sun Festival animait les nuits d’été au Domaine « tête de nœuds » douées dans leur registre « groupe de rock à de Fontblanche mais, malgré une soirée de soutien organisée l’anglaise circa 1990’s », et celui de l’alanguissante L’Impératrice, cet hiver pour les combler, ses dettes n’ont pu permettre à formation décidément abonnée aux scène régionales cet été. Le l’aventure de continuer. Jardin Sonore reprend donc le 23 juillet se succèderont d’abord sur la petite scène les flambeau pour une édition inaugurale cet été. Pas de chanson-folk-rock de Sammy Decoster et de Theo révolution en vue dans vos oreilles, même si la Lawrence & The Hearts, puis sur la grande programmation se révèle un peu plus pop-rock scène les immarcescibles Négresses Vertes, pour le temps fort vitrollais. C’est Village de retour pour fêter les 30 ans de Mlah, 42, coproducteur des Nuits du Rocher leur emblématique album célébrant les (mais aussi des Escales du Cargo et des mélanges déments d’un Paris qui n’existe Nuits d’Istres et par ailleurs producteur désormais plus, la chanson pop électro du de cinéma) qui porte ce nouveau projet. duo Madame Monsieur (représentants Seule différence : si le principe de grade la France à l’Eurovision cette année) tuité de la première soirée est préservé, et enfin le récital du chanteur écorché vif, révélé par One Day, Asaf Avidan, les places de la seconde subissent une qui se produit, en acoustique et en solo, nette augmentation (jusqu’à 50 € -sur place- pour Jardin Sonore, tarif réduit à dans la lignée intimiste de son album The 35 €, en comparaison des 15 € du Sun). Le Study of Falling sorti l’an dernier. HERVÉ LUCIEN 22 juillet les Bootleggers United, duo des deux DJ’s Prosper et Zébra connus pour leur B oo tleg azo gers U expertise en mashups, ces remixes combinant vos nited © Javier L Jardin Sonore morceaux préférés (vous avez écouté le Bee Gees Vs AC/ 22 & 23 juillet DC ?), tenteront de vous faire lever les bras et danser sur les tables Domaine de Fontblanche, Vitrolles après le live du lauréat du Ricard S.A. Live Music MNNQNS, jeunes jardinsonorefestival.com

Sous la plage, le rock (mais pas que…)

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entil euphémisme : on le définit comme le « plus grand hôtel de plein air d’Europe » et c’est vrai que Les Prairies de la Mer n’est pas juste un camping comme les autres. Depuis 2006, son festival gratuit au milieu des caravanes et en bord de plage en a fait une place forte des musiques actuelles l’été sur la côte. Il s’agissait d’abord pour David Luftman, son jeune directeur, de « déjouer les a priori » sur son activité avec un phénomène transgénérationnel. « Le festival nous a procuré de formidables moment de partage » nous assurait-il il y a quelques années, évoquant la pop-rock garage des Hushpuppies ou l’avant-rap de Santigold qui ont porté le sable à l’incandescence lors de précédentes éditions. Car loin du registre mainstream que pourrait laisser imaginer sa localisation touristique, Plage de Rock a toujours prôné la qualité des musiques indépendantes, positionnement iconoclaste au royaume de David Guetta. Après une entame avec les phénoménaux américains de Parquet Courts, cette nouvelle édition (avec le traditionnel déroulé-perlé

chaque jeudi jusqu’au 19 août) aura droit à sa dose d’adrénaline et de signatures de caractère : stars du rock underground anglais aux allures d’épouvantails, The Horrors ressuscitent l’héritage new wave-néo-romantique avec la force et la dérision (involontaire ?) qu’on leur connaît (26 juillet avec Otzeki). Plus dansants, les Écossais de Django ont © X-D.R. remis au goût du jour une pop rock follement rythmée, surf et psychédélique, dont on avait un peu oublié la chimie dévastatrice depuis 22 Pistepirkko ou The Beta Band, le clavier de Django étant le petit frère d’un des membres de ce dernier (avec Témé Tan le 2 août). Plus actuel avec son mix électro-pop, Confidence Man a été la révélation des Transmusicales de Rennes cette année, le duo de it boy/it girl dispensant un show bébête mais imparable (avec Theo Lawrence & The Hearts le 9

août). En guise de feu d’artifices pop, le groupe à dimension variable L’Impératrice et le fluet chanteur de Hot Chip Alexis Taylor clôtureront ce joli défilé le 16 août. H.L .

Plage de Rock Jusqu’au 16 août Les Prairies de la Mer, Port Grimaud plagederock.com


24 festivals

Le jazz s’envoie en l’air au Tremplin d’Avignon

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u moment où les rues d’Avignon viennent tout juste de se accompagné des Torunski Brothers (l’un au sax, l’autre à la clarinette). vider des effluves théâtrales de juillet, les premières Trois musiciens de l’école de Cologne accompagnent notes de jazz pointent du côté du Cloître des la chanteuse Maïka Küster (Der Weise Panda). Carmes. Deux événements en un proposent de Enfin, Hashima, très prometteuse formation continuer l’été en musique : Avignon Jazz venue des Balkans, puisant son inspiration tant Festival, désormais institution de la ville chez Wayne Shorter qu’auprès de Stravinski papale (27e édition), et son Tremplin ouvert ou Pink Floyd, propose les compositions aux jeunes musiciens européens (les 2 et 3 audacieuses d’Igor Miskovic. La programmation « officielle » recèle de août, entrée libre). Les six finalistes de cette année mettent la barre haute, le concours belles valeurs sûres. Django Charlie promet d’être de très belle tenue. Shift, fait se rencontrer les musiques des deux groupe toulousain, mêle une base jazz à figures tutélaires de la guitare jazz Django des accents rock, hip hop et funk, dans un Reinhardt et Charlie Christian. EYM trio ensemble de cuivre euphorisant. Le quarramène de ses tournées mondiales des accents et rythmes inattendus, dans une tet emporté par son pianiste et compositeur Simon Bellow vient de la prestigieuse école de liberté d’interprétation rafraîchissante. Kinga Cologne. Dexter Goldberg (piano) anime un trio Glik, habituée des scènes depuis l’âge de 12 ans, est K in nn ga G lik © Peter Hin n em a aguerri, habitué des concours les plus prestigieux. Mike une des meilleures bassistes blues jazz de sa génération. Roelofs, sur piano Rhodes, déjà lauréat de nombreux concours, est Own your bones revient après avoir remporté l’an dernier le

L’art coule à flot au domaine de Figuière

Katerina Andreou, A kind of fierce © Emila Milewska

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’était parti comme un pari fou d’une bande de copains d’enfance, cela se confirme comme une belle réussite et un rendez-vous attendu de l’été provençal, au cœur du domaine viticole de François Combard à Lalonde-les-Maures. Le Figuière-Festival se lance dans sa troisième programmation, et le cru s’annonce aussi fruité et piquant que les précédents.

À dominante danse et théâtre les premières années, le festival s’élargit à plus de musique cette année, avec en particulier une ouverture classique, offerte par la pianiste soliste internationale Vanessa Wagner. La musicienne, à l’interprétation incarnée et singulière, multi récompensée, jouera du Mozart, du Schubert, du Satie, avec une incursion vers le minimalisme de Philip Glass. Autres rythmes, autres

sensations : le retour du groupe (culte) Les Tétines Noires. On a beau multiplier les qualificatifs (dadaïste, industriel, rock, arty, glamour, alternatif), aucune case ne peut enserrer ces musiciens qui se sont retrouvés sur scène à l’occasion de la réédition de leurs trois albums (Fauvisme et pense-bête, Brouettes, et 12 têtes mortes). Au cours d’une tournée d’une dizaine de dates, le groupe passe à Lalonde-les-Maures, qui lui réserve un accueil à la mesure de sa théâtralité délirante, sur une scène flottante construite pour l’occasion au-dessus des vignes : enivrant ! Les Diaboliques-Remix, Ciné-concert expérimental d’Hughes Sanchez, découpe et remonte le film Les Diaboliques (Clouzot, 1955), ralentit, répète, y adjoint une bande son jouée en direct par Paul Jarret (guitare) et remixe les dialogues (Félix Perdreau). Premier prix du Cannes Art Film 2018, l’expérience, proche des montages surréalistes, mène jusqu’à l’inconscient du film. Entre marabout de ficelle et cadavre exquis, François Gremaud (2b Company) a conçu une Conférence de choses (création 2015), chaque fois différente, toujours sur le fil, jamais vraiment improvisée, toujours surprenante, dispensée par Pierre Mifsud (qui a coécrit le spectacle). Ode au savoir et à l’humour, pendant 53 minutes, montre en


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Écran noir pour Planète verte Grand Prix du... Tremplin Jazz d’Avignon. Joe Lovano et Dave Douglas clôtureront ces 5 jours jazzy, après le Erik Truffaz Quartet, où le célèbre trompettiste invite le rappeur Nya pour une reprise des deux albums mythiques du groupe (The Dawn et Bending new corners). ANNA ZISMAN

Avignon Jazz Festival 1er au 5 août Cloître des Carmes, Avignon tremplinjazzavignon.fr

Robin McKelle © Laurent Koffel

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main, le magnifique comédien nous promène dans une ballade encyclopédique et poétique. Danse contemporaine aussi : Figuière-Festival invite Katerina Andréou pour son solo A kind of fierce (2016), perle d’énergie où, dit-elle « la liberté, l’autonomie, l’audace, l’action, le courage, la détermination, peuvent apparaître comme un phénomène au-delà des intentions », et Olivia Grandville remonte son Cabaret Discrépant (2010), sommet de finesse et d’ironie, une histoire de la danse, un manifeste pour l’art. DJ HS, pilier de Lalonde, food-truck et vins du domaine cimentent les trois jours du festival. A.Z.

Figuières-Festival 25 au 27 juillet Domaine Saint-André de Figuière, La Londe-les-Maures figuiere-festival.com

et été, La Métropole fait son cinéma et Les Nuits d’O s’associent pour illuminer les ciels d’août à Montpellier et dans les 31 communes de la Métropole. Dans les parcs, les arènes, sur les places, dans une école ou devant les mairies des villages, dans une piscine ou même une carrière, un écran géant est installé, et la séance commence... Événement gratuit, La Métro fait son cinéma met chaque année un thème à l’honneur ; « Planète verte » sera celui de l’édition 2018 (10 films, 1 par soir et par commune). Des histoires, des aventures, de l’invention et du réel pour rêver et prendre conscience de l’importance de notre environnement, à considérer et protéger, plutôt que de le traverser sans même le savoir. La Vallée des loups, quête de Jean-Michel Bertrand qui pendant 3 ans approche une meute et réussit à s’en faire accepter. Un face à face bouleversant. Your Name (Makoto Shinkai), manga sensible où deux adolescents se voient échanger leur existence, entre vie urbaine trépidante de Taki, et celle de Mitsuha, jeune fille campagnarde qui ne rêve que de la ville... Captain Fantastic (Matt Ross) : un père idéaliste (Viggo Mortensen) élève ses six enfants pour en faire des adultes magnifiques au cœur de la nature, jusqu’à ce qu’ils doivent affronter le monde « réel ». Amazonia (Thierry Ragobert), L’Ascension (Ludovic Bernard), Le chien jaune de Mongolie (Byambasuren Davaa), L’Odyssée de Pi (Ang Lee), La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit), et les magnifiques Princesse Mononoké (Hayao Miyazaki) et Into the Wild (Sean

Penn) complètent cette programmation de grande qualité. Les Nuits d’O prennent ensuite le relais, avec 6 soirées complètes : concert sous la pinède, film dans l’amphithéâtre de plein air (1800 places, qualité de diffusion optimale), et Bistrot DJ set pour finir en douceur et / ou en transe. Nuit Demoiselles : pour le film, on a deviné, c’est celui de Demy, et le groupe sera Juniore (Patou en DJ). Nuit hip hop avec l’emblématique Do the right thing (Spike Lee), Dabe Rozer et DJ Sax pour le son. Nuit Kinshasa : Kinshasa kids (Marc-Henri Wajnberg), Tshegue et DJ Solo. Pour la Nuit Balkans, la fanfare tsigane Taraf Goulamas et l’underground Paul Brisco encadreront le film d’Emir Kusturica Chat noir chat blanc. Nuit Soul avec l’explosive Jackie Brown de Tarantino, et la charismatique Robin Mc Kelle pour le groove (Ivan Halen, DJ). Enfin, pour boucler la boucle, Nuit planète verte : l’optimiste Demain (Cyril Dion et Mélanie Laurent), Afro beat avec Salim Jah Peter et les sets inspirés de CHIC TYPE (festival BAZR). A.Z.

La métropole fait son cinéma 1er au 31 août dans les 31 communes de la Métropole de Montpellier Les nuits d’O 23 août au 1er septembre Domaine d’O, Montpellier 0800 200 165 domainedo.fr


26 festivals

Cure musicale à Gréoux

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’été, loin de se cantonner au thermalisme, le village de Gréoux-les-Bains offre une programmation musicale riche et diversifiée, imaginée et portée par la dynamique association FestiGréoux et l’Office de tourisme Communautaire de Durance Luberon Verdon Agglomération. Suite au succès rencontré l’année dernière lors des Soirées du Château, Gréoux de Janeiro revient pour trois jours de festivités, de musique et d’ambiance made in Rio de Janeiro (26 au 28 juillet). Des batucadas animeront les rues du village tout au long de la manifestation : Gaia’Z Onda et sa dizaine de musiciens marseillais mêle un style ethno-urbain à des rythmes brésiliens, Casa Do Samba et Pulsabatouk accompagnée par les danseurs de capoeira du Studio C ; le groupe de percussions Tambores da Liberdade, accompagné de danseuses, danseurs et chanteurs brésiliens, fera danser tout le monde sur des rythmes qui fusionnent musiques ancestrales et d’inspiration moderne ; le Grupo Malanga, formation salsa de sept musiciens, revisitera les grands standards latins new-yorkais, cubains, colombiens… ; quant au Trio Combo Brazil, né de la rencontre

Trio Combo Brazil © Thibaut Vergoz

entre Wallace Nagão, David Walters et Pierre Sibille, il revient à Gréoux-les-Bains pour la 3e fois avec un concert qui donnera à entendre leurs chants et musique aux sonorités brésiliennes et caribéennes irrésistiblement dansantes. Avec Musiques à Gréoux, place à une programmation éclectique qui s’installe en fins de semaines, jusqu’au 31 août, sur la Placette Pauline (qui accueille des concerts d’avril à octobre chaque année) et sur le parking des Marronniers. Après Zompa Family, Filipe

Loir et Delta Blue Trio, qui ont donné le ton des premiers jours de juillet, se succèderont Robert Piana, accompagné d’un orchestre, pour un concert de jazz (21 juillet) ; Lou Jam, groupe 100% soul qui « déboite » les grands standards en reprenant Stevie Wonder, Prince, Kool & The Gang ou encore Marvin Gaye, et adapte à sa sauce fun Ray Charles, Ed Motta ou Donnie Hathaway (3 août) ; le duo Double Impact dans un répertoire disco/rock qui vous fera chanter et danser (4 août) ; la Cumbia Chicharra qui mêle funk, afrobeat,

L’art aux fontaines

V

ivement le mois d’août, pour que l’on puisse retrouver les rues, places et abondantes fontaines de la bien nommée Pernes-les-Fontaines, à l’occasion du festival Font’Arts. Du 3 au 5, avant que Thermidor ne devienne Fructidor dans cette belle région du Vaucluse, il fera bon découvrir les artistes et compagnies retenues par l’équipe du Projecteur, association organisatrice de la manifestation. Qui cette année fait la part Lignes de vie, Cie Lézards bleus © Antoine Le Ménestrel belle aux talents régionaux, et même ultra-locaux, puisque sur les 25 font partie du dispositif Fest’ICI. Comme structures programmées, 6 sont de la com- chez son prestigieux voisin avignonnais, les mune ou ses proches environs : le Club des compagnies présentes sont réparties entre le Jeunes, Fédo le clown, le Groupe d’In- In et le Off, les premières étant rémunérées tervention Anti Morosité, le Théâtre de par le festival, les secondes « au chapeau », l’Albatros et les Baladins des Fontaines avec défraiement, pour « favoriser l’émergence

de celles qui ont besoin de visibilité et d’expérimenter leur processus de création ». Commençons par le In. Parmi nos préférés, Antipodes (Paca) rejouera l’éternel pas de deux : un homme, une femme, dabadabada... mais sous forme de danse de rue, utilisant le mobilier urbain pour « déborder sur le bitume ». La Cie Délit de façade (Occitanie) plongera quant à elle En apnée dans l’adolescence, lors d’une déambulation théâtrale prête à en découdre avec la vie. Les Mobilettes (Auvergne Rhône-Alpes) offriront un Café Frappé, chorégraphié en terrasse, assorti d’un bal tout public. Danse également, mais sur façade (!) avec les Lézards bleus, la compagnie d’Antoine Le Ménestrel, ouvreur de voies d’escalades (Paca). On courra aussi


DOMINIQUE MARÇON

FESTIVAL DE CHAILLOL Entre Alpes et Provence, une itinérance musicale.

Gréoux de Janeiro 26 au 28 juillet

du 17 juillet au 12 août 2018 Hautes-Alpes

Musiques à Gréoux 21 juillet, 3, 4, 10, 12, 17, 24 & 31 août

www.festivaldechaillol.com

Divers lieux, Gréoux-les-Bains 04 92 78 01 08 greouxlesbains.com

voir les Cies Marzouk Machine (Auvergne Rhône Alpes) et Microsillon (Occitanie) pour leur humour grinçant, l’une centrée sur le monde du travail, l’autre sur l’absurdité existentielle. Beaucoup de musique, très drôle également, avec notamment les bretons Monty Picon, ou encore les Namaz Pamous venus du Roussillon. Le Off accueillera des artistes fort inventifs. Citons l’original capilliculteur de la Compagnie de Poche, coiffeur-philosophe (Auvergne Rhône Alpes) ; l’épopée clownesque de la Cie Dzaar (idem) qui se penche sur le sexe, l’amour et l’histoire des femmes ; ou le Cauchemar de Grimm (Cie Le Thyase, Occitanie) qui dit enfin la vérité sur la face sombre -parfois sanguinolente- des contes traditionnels. 115 spectacles sur l’ensemble de la programmation, de quoi se régaler ! GAËLLE CLOAREC

Font’Arts 3 au 5 août Divers lieux, Pernes-les-Fontaines 04 90 61 31 04 projecteur-pernes.fr

L’hospitalité Pascal Colrat

dub dans des trouvailles percussives et sonores diablement entraînantes (10 août) ; Siotantka (en Sioux Lakota ça signifie « le bois qui chante »), formé de deux chanteurs/ musiciens amoureux des mots -Jean-Marc Tomaselli et Jean-Marc Szkudlarska- qui fait voyager de Paris à Montréal en passant par la Provence (12 août) ; Nasser Ben Dadoo et son blues vivant qui puise sa source du Mississipi aux clubs de Chicago (17 août) ; Louise & The Po’Boys, formation de six musiciens nourris de culture afro-caribéenne, de blues, de funk et de jazz, mais aussi de chansons françaises d’antan, qui invente au son des orchestres de la Nouvelle-Orléans un style musical festif et dansant (24 août) ; pour clore la saison estivale musicale, Un Nerf De Swing -un violon, deux guitares et une contrebasse- emportera le public sur les routes de son jazz manouche dépaysant (31 août) !


28 festivals

Salon en chambre Le Festival International de musique de chambre de Provence déclinera ses gammes du 25 juillet au 8 août

«L

es meilleurs solistes au monde se retrouvent à Salon », la phrase mise en exergue de la brochure du Festival International de musique de chambre de Provence pourrait faire sourire par son peu de modestie, surtout à l’aune des festivals prestigieux qui hantent la région tout l’été. Puis l’on consulte la liste des quarante-cinq artistes invités, et l’on est bien obligé de convenir que peu de noms sont inconnus, et que parmi ceux-ci ne se comptent pas les premiers prix nationaux et internationaux… Pluie d’étoiles donc à prévoir sur la ville de Salon et même au-delà, du 25 juillet au 8 août ! Fondé en 1993 par le magnifique trio Éric Le sage (piano), Paul Meyer (clarinette), Emmanuel Pahud (flûte), dont on connaît au moins le disque salué par la critique, French Connection (chez EMI), ce festival singulier s’est affirmé et offre une palette d’une remarquable qualité, dans des lieux qui allient à une superbe acoustique la beauté de leurs architectures : cour du Château

de l’Empéri, sobre église saint-Michel du XIIIe siècle, abbaye de Sainte-Croix du XIIe, convertie en hôtel-restaurant, cour de la Savonnerie Marius Fabre (autre lieu patrimonial de Salon !), Théâtre Armand et sa délicieuse disposition à l’italienne et, pour une escapade aixoise, la salle Campra du Conservatoire Darius Milhaud dans laquelle le trio fondateur, comme l’an dernier, se consacrera avec d’autres musiciens virtuoses à l’enregistrement d’un nouveau CD, et offrira un concert sous forme de « mise en doigts » au milieu de la session, abordant les œuvres de Korngold, Mahler, Schönberg. On croisera le Quatuor Van Kuijk dont l’énergie inventive croisera le jeu limpide et puissant du pianiste Geoffroy Couteau, que l’on entendra aussi en concert soliste puis aux côtés des clarinettistes Michel Portal et Paul Meyer ; ces deux derniers accompagneront la talentueuse clarinettiste Romy Bischoff. Parmi les nombreuses « têtes d’affiche », on retrouvera la finesse du piano d’Adam Laloum, la grande violoncelliste

Natalia Lomeiko, le violoncelliste Claudio Bohόrquez auquel sera confiée une « carte blanche », le claveciniste Leonardo Garcia Alarcόn… Aux formations chambristes s’ajoutent des voix lyriques, le ténor Julian Prégardien, les sopranos Lydia Teuscher et Iris Prégardien, le baryton basse Martin Berner… On partira en voyage à Buenos Aires entre Monteverdi et Piazzola, le bandonéon de Mariana Flores et le Beytelmann - Bohόrquez Trio ! Enfin, suite à un contretemps, à l’Histoire du Soldat de Stravinski en version originale se substitue son adaptation par le compositeur lui-même en une suite pour clarinette violon et piano (1919) en 5 mouvements. Que de pépites ! MARYVONNE COLOMBANI

Festival International de musique de chambre de Provence 25 juillet au 8 août Divers lieux, Salon-de-Provence, Aix-en-Provence 04 90 56 00 82 festival-salon.fr

Claudio Bohorquez © Gina Gorny


29

Nuits de cordes et d’ivoire portes aux études et aux concerts des Nuits. En ouverture, l’élégant et virtuose pianiste Dang Thai Son livrera ses interprétations de Schubert, Chopin, Paderewski et Liszt. Jorge Federico Osorio apportera la chaleur de son jeu à un programme éclectique allant de Bach, à Albéniz ; Dominique Merlet, grand maître de l’école française, s’attachera à un ensemble de préludes (Bach, Chopin, Debussy) entre lesquels on s’amusera à déceler des échos… Le jeune et talentueux pianiste Nicolas Bourdoncle offrira les somptueuses sonates n°3 en mi bémol majeur de Beethoven et n°2 en si bémol majeur de Rachmaninov. Aux récitals de piano, clé de voûte du festival, s’ajoutent concerts symphonique avec l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon dont on avait apprécié la belle justesse l’an dernier, sous la direction de Valentin Doni, pour trois concertos, pour hautbois (David Walter) en do majeur de Haydn, pour piano (Konstantin Lifschitz) en la mineur de Schumann et la Symphonie concertante pour clarinette (Darko Brlek) et flûte (Massimo Mercelli) de Danzi. Brahms nous attend pour une soirée de musique de chambre avec le quintette rassemblant les violonistes Sophie Kalch, Yaïr Benaïm, l’altiste Laurent Camatte, la violoncelliste Velitchka Yotcheva, la pianiste Carine Zarifian et le clarinettiste Dominique Vidal. Puis, le violon de Yuzuko Horigome et le piano de Jean-Marc Luisada arpenteront les œuvres de Mozart, Schumann, Bach et Franck. Une soirée lyrique s’invite parmi les soirées instrumentales avec la mezzo-soprano Sophie Fournier accompagnée au piano par Hélène Lucas, en une invitation au voyage déclinée par Duparc, Debussy, De Falla.

Yuzuko Horigome © X-D.R.

L

e festival estival Les Nuits pianistiques fête sa 26e édition. Michel Bourdoncle, directeur artistique de cette manifestation phare, se plaît à en rappeler les débuts, en 1993, au Bois de l’Aune, la persévérance des équipes de bénévoles et le constant soutien de la ville d’Aix-en-Provence. Jeunes talents, artistes confirmés de la région et au-delà se partagent l’affiche sur une programmation qui privilégie, à quelques exceptions près, le répertoire romantique. L’originalité du festival est d’unir étroitement diffusion musicale et pédagogie, associant depuis 2006 l’Académie Internationale des Nuits Pianistiques qui accueille chaque année plus d’une centaine

M.C .

d’étudiants venus du monde entier. « L’Académie a pour mission essentielle de donner le goût aux jeunes musiciens », sourit Michel Bourdoncle, celui du travail d’orchestre ou de musique de chambre, cultivé lors des classes diurnes, sous la houlette d’artistes et de professeurs à la renommée internationale, et exprimé aux publics au cours de soirées musicales. Piano, violon, violoncelle, contrebasse, orgue, harpe, flûte, saxophone, cor, hautbois, seront abordés ainsi que le chant, l’art de la lecture à vue, celui, si délicat, de l’accompagnement au piano et même la direction d’orchestre, grâce à Jean-Philippe Dambreville, directeur du Conservatoire Darius Milhaud, qui ouvre ses

Les Nuits pianistiques 31 juillet au 11 août Auditorium Campra, Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence 06 23 91 00 29 lesnuitspianistiques.org


30 festivals

Un été en chantant

À

l’aube d’une saison estivale pour le moins chargée en actualités musicales pour l’ensemble Les Voix Animées, le tout nouveau 7e cycle Entre pierres et mer se profile à l’horizon, comme un aboutissement, avec une série de 6 concerts à travers la région qui commencera mi-août pour s’achever fin septembre. Historiquement cohérent, le programme de ce nouveau cycle de représentations se propose de faire voyager ses auditeurs dans le foisonnement culturel de l’Espagne du Siècle d’Or, y compris dans la « Nouvelle Espagne », sous la période féconde du règne des Habsbourg. Le 18 août à la Tour royale à Toulon et le lendemain à l’Abbaye du Thoronet, 7 chanteurs a cappella se réuniront pour le concert Delicia Sacrae où l’on pourra entendre la Missa « Vidi speciosam » de Tomas Luis de Victoria, un des sommets de l’art polyphonique issu du Concile de Trente à l’instar de Palestrina, ainsi que les Lamentations extraites d’un livre de chœur de la cathédrale de Puebla du mexicain d’adoption Juan Gutierrez de Padilla. Le 9 septembre, l’Abbaye du Thoronet accueillera cette fois l’ensemble et les

pour l’Office des Ténèbres du Samedi Saint d’Alonso Lobo. Comme lors des précédentes éditions, une création de Romain Bastard viendra également compléter la soirée. Pour terminer la série, on pourra à nouveau entendre les 6 chanteurs a cappella sur 3 dates, le 22 septembre à la Villa Tamaris, centre d’art, à la Seyne-sur-mer, le 23 septembre une nouvelle fois à l’Abbaye du Thoronet et enfin le 25 septembre au Parvis d’Avignon. Le concert intitulé Siècle d’Or mettra à l’honneur la Missa « Mille regretz » de Cristobal de Moralès sur le thème bien connu de la chanson de Josquin des Près ainsi que les Lamentations de Manuel Cardoso. De beaux moments de polyphonies a cappella en perspective pour témoigner de la gande cohérence stylistique d’une période prolifique. ÉMILIEN MOREAU

Les Voix Animées, Abbaye du Thronet EPEM 2018 © Alexandre-Minard

chanteurs au nombre de 6 pour le concert Lux Aeterna dans un répertoire empreint de gravité autour de la Missa « Pro Defunctis » de Manuel Cardoso et des Lamentations

7e Cycle Entre Pierres et Mer 18 & 19 août, 9, 23 & 25 septembre Divers lieux, Var et Vaucluse 06 51 63 51 65 lesvoixanimees.com

Crépuscules en musique

C

’est, à nouveau, durant les dernières soirées d’août et dans le cadre idyllique de la Collégiale Notre-Dame Dalidon, que se déroulera la 2e édition du Festival des Concerts au coucher du soleil. Invité à stationner sur le parking Sainte-Cécile, le public se rendra sur les hauteurs du village d’Oppède-le-Vieux par un chemin champêtre. La première partie des concerts se tiendra dans les murs de la resplendissante église gothique, la seconde sur son parvis, où le crépuscule sur la vallée et le Mont Ventoux accompagnera les pages musicales choisies par Cyril Diederich, fondateur et directeur du festival. Au programme, composé en majorité d’extraits d’œuvres minutieusement choisis, on retrouvera les compositeurs français qui ont fait la renommée du chef (le Faust de Gounod, la Manon de Massenet, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach), mais également ces grands classiques baroques dont on ne saurait se lasser (le Stabat Mater de Pergolèse,

Cyril Diederich © Martynas Aleksa

le Nisi Dominus de Vivaldi, la Water Music de Haendel). De l’opéra au répertoire liturgique, c’est encore le même désir de théâtre et de polyphonie qui anime cette programmation vivante et colorée, qui s’étendra sur quatre dates et trois concerts, « Rencontre du sacré et du profane » les 21 et 22 août, « Prières et duos d’amour » le 24 et « Quand les Requiem sont opératiques et les opéras extatiques » le

25. Portés, ici encore, par la participation de musiciens des plus grands orchestres nationaux, dont Christophe Guiot, titulaire de l’ONP et ici violon solo, du Chœur du Luberon, et de quatre solistes confirmés, la soprane Viktorija Miškūnaité, la contralto Camille Merckx, le ténor Thomas Bettinger et la basse Jérôme Varnier, cette édition confirme l’exigence de Cyril Diederich. De quoi égayer considérablement la fin de l’été luberonnais. SUZANNE CANESSA

Les Concerts au coucher du soleil 21, 22, 24 & 25 août Collégiale Notre-Dame Dalidon, Oppède-le-Vieux 07 69 88 34 70 lesconcertaucoucherdesoleil.jimdo.com


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Les femmes de Giono Pour cette 13e édition des Rencontres Giono, l’association Les Amis de Jean Giono s’intéresse aux Héroïnes romanesques dans l’œuvre de l’auteur manosquin

N

ombreuses sont les femmes dans l’œuvre de Giono, mais toutes n’ont pas eu la même importance. Ainsi, dans les premiers romans (écrits dans les années 30 et jusqu’au début des années 40), elles subissent le plus souvent une société patriarcale qui les cantonne à des rôles peu enthousiasmants. Le plus souvent soumises ou dominées, elles sont mères, épouses, amantes, et valorisent les hommes qu’elles accompagnent. Elles se nomment Angèle dans Un de Baumugnes, Arsule dans Regain, Aurélie dans La femme du boulanger, Marthe, Joséphine, Aurore et Zulma dans Que ma joie demeure… Ce n’est qu’à partir de 1941 qu’elles vont s’affranchir des conventions, de l’ordre moral et social qui les étouffe, et revendiquer des caractères forts et passionnants : éprises de liberté, elles seront amazones, dominatrices, brigandes, meurtrières ! Elles seront Adelina White dans Pour saluer Melville, Thérèse et Sylvie Numance dans Les âmes fortes, Pauline de Théus dans Le Hussard sur le toit, Jeanne de Quelte, dans L’Iris de Suze, magnifique et sublime héroïne du dernier roman de Jean Giono. Conférences, débats, concerts, lectures théâtrales et projections cinématographiques s’emploieront, comme chaque année, à rendre compte de ces « stupéfiantes » héroïnes romanesques. Le Théâtre Jean Le Bleu accueille de nombreuses lectures : accompagnée d’Olivier Lechardeur au piano et Laurence Monti au violon, Marie-Christine Barrault lira des extraits de Angelo, Le Hussard sur le toit, Dragoon et L’Iris de Suze ; Geneviève Esménard des extraits de Jean le Bleu, des préfaces de Giono à l’Iliade lors d’une conférence d’Agnès Landes sur Les métamorphoses d’Hélène de Troie, de La Croix (une des nouvelles de Faust au village) et de textes choisis et présentés par Michèle Ducheny sur le thème Femmes en métamorphoses ; Sophie Brochet quant à elle donnera lecture de textes choisis par Marie-Anne Arnaud-Toulouse, Mireille Sacotte, Agnès Castiglione, Agnès Landes, Julie Mallon, Sylvie Vignes et Corinne Zimmerman sur les héroïnes gionniennes.

Spécialement conçu pour les Rencontres, le spectacle de Daniel Hanivel, Julia et Madeleine dans la tourmente, avec Alice Mora, donnera un éclairage particulier sur les personnages féminins du Grand Troupeau, roman de guerre de Giono. A lic e M Beaucoup de musique aussi pour or a© Ph ot o célébrer ces héroïnes, à la Chapelle sA mis Jean Giono de la Fondation Carzou, à l’église Notre-Dame-de-Romigier et à l’église Saint-Sauveur : un florilège d’œuvres de Mozart, Beethoven, Schumann, Ibert, Doppler, Chostakovitch avec Sandrine Flavigny au violon, Stéphane Valls à la flûte traversière et Ana Cogan au piano ; des concerts avec la soprano Pauline Courtin, accompagnée d’Olivier Lechardeur au piano, sur des œuvres de Mozart, Massenet, Poulenc et Arditi, Colin Heller sur des musiques traditionnelles de Suède au nyckelharpa (instrument à cordes), et le trio Laurence Monti (violon), Frédéric Lagarde (violoncelle) et Olivier Lechardeur (piano) sur Schubert. Sans oublier les conférences que donneront Jean-Yves Laurichesse (La paysanne et l’amazone : portraits de femmes en guerre par Jean Giono), Jacques Mény (Aline Fenoul ou pourquoi Jablines) et Julie Mallon (Les héroïnes gionniennes : stupéfiantes !), les projections de films (dont L’Aventure de madame Muir de Joseph Mankiewicz, dans les jardins du Paraïs, la maison de Jean Giono), et le café littéraire avec tous les auteurs invités, et ils sont nombreux !, à la librairie Au Poivre d’Âne. DOMINIQUE MARÇON

Rencontres Giono 31 juillet au 4 août Divers lieux, Manosque 04 92 87 73 03 rencontresgiono.fr communauté de communes


32 critiques festival de Marseille

Traductions et littéralité Le Festival de Marseille a connu une édition exceptionnelle, ouvrant la Ville sur ses confins, sur l’Europe, l’Afrique, le monde, l’histoire... et posant la question de la traduction en danse, en mots, en français, des idées qui l’ont traversée

«L

a langue de l’Europe, c’est la traduction », écrivait Umberto Eco. Et la langue du monde ? Ambitionnant d’apporter le monde à Marseille, Jan Goossens directeur du Festival de Marseille a pris le parti de ne pas surtitrer, de laisser entendre, ou de traduire. Parti réussi dans Guerre et Térébenthine, où le choix du français nous évite de perdre le jeu en passant notre temps à lire (voir encadré), plus discutable dans Kirina où l’on perd une partie du sens (voir encadré), ou dans Balabala du chorégraphe javanais Eko Supriyanto : 5 jeunes femmes, fascinantes, exécutent visiblement une danse rituelle masculine -colonnes droites, démonstrations de force, piétinements- contrastant avec des moments « féminins » -hanches mobiles, séduction, ondulations. Mais ce propos sur le genre, étonnamment universel dans ses clichés de

Requiem pour L, Alain Platel © Chris Van der Burght

mouvements, est accompagné de mots qu’on l’on aimerait comprendre, aussi, au-delà de la fascination pour cet univers si singulier... présent aussi dans le solo du chorégraphe, mystérieux, évoquant une mythologie, des rituels, dont on aimerait posséder plus de clefs de compréhension. Rien de tel dans le Requiem pour L. de Platel et Cassol, pourtant pas davantage traduit, mais limpide. Un coup de poing, de génie, qui réunit deux qualités rares dans les œuvres : une maîtrise -de la dramaturgie, de la musique, de la scénographie et du propos- et dans le même temps une faculté d’invention et une force d’émotion intactes. Sur le plateau 15 hommes et 1 femme, des Noirs et quelques Blancs, des corpulences contrastées, musiciens, chanteurs, lyriques ou pas, danseurs ou pas, réinventent le Requiem de Mozart, réorchestré, mais aussi commenté, débordé,

farci par d’autres musiques qui lui répondent magnifiquement -et répondre au Requiem de Mozart n’est pas une mince affaire. Au-dessus d’eux, en un gros plan presque fixe et contenu, une vieille femme meurt, filmée durant ces derniers instants, dans un lent adieu à la vie, accompagnée des siens. La musique du « Repose en paix » l’accompagne, triste dans le Lacrimosa, déchirante et déchirée dans le Dies Irae, mais joyeuse aussi célébrant la vie, la renaissance, l’éternité des âmes et de leur mémoire. Des choses sont dites dans des langues que l’on ne comprend pas mais les voix, les corps, sont si expressifs, et le Requiem si familier, dans son latin mais surtout dans ses notes, que tout y est sublimement clair, et si émouvant.

Musée de l’Europe défunte C’est en Espéranto que Domo de Europa vous accueille au Mucem, commentant une carte de l’Europe en 2030 dont la France ne fait plus partie : Domo de Europa est une dystopie, une fausse exposition historique qui raconte le délitement de l’Europe au XXIe siècle. L’effroi nous saisit de découvrir cet avenir possible, parce qu’il est la suite la plus vraisemblable de notre présent fait de nationalismes et de notre crise de l’accueil des migrants, et de ces désirs de Brexit qui saisissent les peuples en souffrance, abandonnés à la pauvreté par leurs gouvernements. La forme même de l’exposition, dans les salles peu

Domo De Europa - Historio en Ekzilo, Thomas Bellinck-Robin © Stef Stessel


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Le Cercle

N

acera Belaza a fait de la répétition du geste sa griffe de chorégraphe autodidacte. Avec Le Cercle, elle l’inclut dans une démarche de réécriture d’une œuvre éponyme créée en 2012. Une musique de percussions africaines s’amplifie, sur laquelle se pose une voix féminine que l’on devine noire américaine. Des corps commencent à se distinguer malgré l’obscurité permanente. Dans ce noir assourdissant, leur déplacement sur la scène semble relever de la magie vaudou. Les mouvements saccadés se font de plus en plus vifs, au fur et à mesure que

le rythme devient transe. C’est peut-être la seule frustration de la pièce : ne pas voir avec précision le détail de chaque geste, ni l’expression des visages. Les cinq danseurs et danseuses, trois femmes et deux hommes, sont comme pris de frénésie épileptique. Ils tapent à présent des pieds, sautillent, renvoyant à des cérémonies tribales. Le cercle entêtant n’en finit plus de rebondir et de nous entraîner. LUDOVIC THOMAS. Le Cercle, les 4 & 5 juillet, Théâtre Joliette-Minoterie

Guerre et Térébenthine

J utilisées du Fort Saint Jean, est ambiguë et remarquable : on y chemine seul, à travers une fiction de musée européen, un récit dramatique de notre avenir, qui ressemble à un musée post soviétique, après le désastre. Les chaises de plastique orange, les plantes grasses mutilées, tout y est laid, et les faux documents, les fausses photos mêlées aux vraies, celles de notre présent et de notre passé proche, renforcent l’impression que nous courons à la catastrophe, à la fin de notre monde. Parce que cette Europe qui depuis 70 ans nous garantit la paix, mais nous enferme dans des frontières égoïstes, est construite sur des bases fragiles et injustes, un accord économique, un idéal libéral, un mépris environnemental, une exploitation des peuples africains, des travailleurs immigrés maintenus dans l’illégalité et la misère. Une Europe qui tient debout tant bien que mal par un fonctionnement lobbyiste, technocratique, qui garantit nos droits fondamentaux mais non nos aspirations démocratiques, et humaines. Thomas Bellinck propose ainsi, avec une ironie et une analyse historique, politique, économique, d’une grande finesse, une ode paradoxale à notre utopie européenne, à laquelle il veut continuer de croire, malgré les pierres tombales à la fin du chemin. Remarquable, à voir jusqu’au 30 juillet, absolument. AGNÈS FRESCHEL

Balabala a été donné du 15 au 17 juin à La Friche, Requiem pour L du 6 au 8 juillet au Silo ; Domo De Europa se poursuit jusqu’au 30 juillet au Mucem

an Lauwers a empoigné le roman familial de Stefan Hertmans, encourant le risque de l’adaptation théâtrale. Qui plus est en le transposant d’un point de vue féminin, endossé par Viviane De Muynck, son actrice fétiche. Elle porte littéralement ce récit qui traverse le début du XXe siècle vécu par le grand-père de l’auteur : les années dans la mine, la première guerre mondiale, les amours perdues. Démultipliant les perspectives et les plans, faisant cohabiter narration, danse, peinture, musique et vidéo, Jan Lauwers renoue avec l’engagement physique des troupes, avec une réussite contrastée : des moments d’une force inoubliable, d’autres trop longs, quand l’ignominie des tranchées dynamite le plateau, ou que Viviane de Muynck, monstre sacré d’une exceptionnelle présence, s’emberlificote dans un texte omniprésent, dans un Français qu’elle maîtrise admirablement, mais pas comme une langue maternelle... MARIE GODFRIN-GUIDICELLI Guerre et térébenthine, les 28 & 29 juin, Le Gymnase

Guerre et térébenthine, Jan Lauwers - Needcompagny © Maarten Vanden Abeele

Pour sortir au jour

L

e solo d’Olivier Dubois met fondamentalement en question le corps dansant, ses mémoires et autres traces laissées par les œuvres chorégraphiques interprétées ou créées. Des quelques soixante spectacles qu’il a traversés que reste-t-il ? Comment l’art vivant peut-il conserver trace des œuvres ? Sa pièce fait référence au Livre des morts de l’Égypte ancienne, plaçant le souvenir au centre d’une quête d’éternité. Cette convocation aux accents cérémonieux prend une forme ludique, festive et inscrit les spectateurs dans le processus de réévocation. Le danseur

accueille le public en bonimenteur à la verve alerte. Verre de champagne et cigarette en main, l’humour se mêle au désir de partager un moment d’introspection dans lequel les spectateurs deviennent confesseur, juge, fan. La forme hybride est très touchante dans son mélange de moments dansés, souvenirs personnels et mise à nu d’un être mu par un désir irrépressible de danse. DELPHINE DIEU

Pour sortir au jour, du 22 au 24 juin, Klap – Maison pour la danse suite p.34


34 critiques festival de marseille

Kirina

Lundis du MarsLab

E

n Afrique la parole est sacrée. Aussi, dans le « chaos-monde » qu’est Kirina, bataille fondatrice de l’Afrique de l’ouest, quand le maître de la parole crie aux combattants « An Gwena, en avant !! », ceux-ci reprennent courage. Pour mettre en mouvement et en voix ce récit mythique, Serge Aimé Coulibaly a imaginé une fresque épique pour 9 danseurs et 40 amateurs, et Rokia Traoré une mélopée tragique et sensuelle Kirina, Serge Aimé Coulibaly et Rokia Traoré © Philippe Magoni pour 4 musiciens et 2 chanteuses. L’équilibre les combats et toutes les migrations. Un propos s’appuie principalement sur une danse de sur l’Afrique rendu plus universel et présent groupe expressive, entre tragédie grecque par un travail sur la vidéo décalé, et la présence et farandole païenne, la présence discrète des corps très divers des amateurs. On aurait des musiciens et l’intégration habile des aimé, cependant, comprendre les mots et les chanteuses dans le dispositif dramaturgique. chants qui s’échangent... M. G.-G. Kirina impose son souffle puissant fait de complaintes, d’exhortations, de deuils, d’imprécations, de processions, corollaires à tous Kirina, du 29 juin au 2 juillet, La Friche

The Sea within

D

ans sa nouvelle création The Sea within, Lisbeth Gruwez transmet à dix danseuses l’art de méditer et de respirer à l’unisson, en quête d’une paix intérieure. Sa chorégraphie est l’exact reflet du regard empathique qu’elle porte sur la communauté de femmes qu’elle s’est choisie : légèreté, lenteur, apaisement, mouvements décomposés, déplacements millimétrés, ralentis, poussées et contre poussées composent sa partition. Les danseuses forment un groupe compact, unies jusque dans leur souffle, en osmose

elles aussi avec la composition musicale de Maarten Van Cauwenberghe, complice de Lisbeth Gruwez et cofondateur de Voetvolk. S’appuyant sur leur singularité, la chorégraphe construit un opus dont la colonne vertébrale est le jeu des contraires, entre individualité et collectif, éclatement et union, lenteur et trépidation. De l’art de méditer après avoir expurgé sa colère intérieure. M. G.-G.

L

es jeunes artistes du MarsLab occupent un espace de découverte et de partage : neuf créations en cours sur trois soirées. Les risques pris par les artistes sont partagés par les spectateurs, cette fragilité rend ainsi les expériences précieuses. Chaque performance crée un langage du corps et interroge les violences du monde : par l’écoute dansée d’un texte d’Elsa Dorlin, dans Minor stroke porté par Thomas Birzan ; avec des formes plus théâtrales questionnant les zones critiques de notre présent : mémoires collectives de la guerre d’Algérie, dans Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger mené par Simon Hardouin, travail flirtant avec le théâtre documentaire ; enfin évocation des colonies juives en Palestine dans Ils ne savaient pas qu’ils étaient dans le monde, projet de Nolwenn Peterschmitt et Maxime Lévêque. Retenons deux créations abordant avec force l’assujettissement violent du corps des femmes : Bitches (…) par le Groupe Crisis, et Fatou t’as tout fait de Fatoumata Bagayoko. D.D.

Les lundis du MarsLab, 18 & 25 juin, 2 juillet, théâtre des Bernardines

The Sea within, les 19 & 20 juin, Merlan

Âge d’or

I

ncommodant pour certains, poignant pour d’autres. Après deux ans de travail en atelier avec des enfants marseillais en situation de polyhandicap moteur, le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing a présenté L’âge d’or, performance suivie d’un film. L’artiste va loin dans l’expérimentation, dans la manipulation des corps d’autrui, livrant une œuvre déstabilisante, sur le fil du rasoir, qui convoque immanquablement un questionnement d’ordre éthique. Mais en quoi ces jambes qui ne tiennent pas debout, ces êtres dont l’expression n’est pas la nôtre ne sont-ils pas aptes à la danse, à la

transmission des émotions, tout simplement au bonheur ? Puisque l’exclusion, à l’ère des nouvelles technologies qu’interroge de manière récurrente Castaing, ne semble pas décidée à régresser, cet âge d’or est salvateur. Et les mines extasiées de ces minots désarticulés, portés dans les airs par leurs pairs professionnels, valent toutes les polémiques du monde que le témoignage cinématographique finit d’apaiser. L.T. Fatou t’as tout fait, Fatoumata Bagayoko - Lundis du MarsLab © Pierre Gondard

L’âge d’or, le 4 juillet, Frac


critiques festival de marseille massilia afropéa

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Thérapoésie et rap de conscience

C

haque année, depuis ce sombre 21 février 1995, Soly écrit un poème en hommage à son frère de rap, Ibrahim Ali, tombé à 17 ans sous les balles lâches de colleurs d’affiches du Front national. Cette année le poème a pris Casey © Benjamin Béchet la forme d’une création musicale orchestrée par Imhotep, au pied des tours de la Savine, dans le 15e arr. de Marseille. Aux machines, l’architecte sonore d’IAM a créé une bande originale accompagnant sobrement les textes récités par Soly. La courte vie d’un adolescent exemplaire, la douleur et le deuil, le vivre-ensemble entaché par le racisme et les discriminations, Marseille ville-monde, vigilance et résistance citoyennes, devoir de mémoire et espoir. Les thématiques s’enchaînent avec logique. Les mots sont dignes. L’envie de communier palpable. Une « thérapoésie » comme la définit Soly, maître de cérémonie émouvant et ému, qui accueille sur scène plusieurs intervenants de culture comorienne, dont la chorale de femmes Boras ou Hedi Mogne, le neveu qu’Ibrahim Ali n’a pas eu le temps de connaître. Après le recueillement, la rage pourra exploser avec l’arrivée de Casey. Artiste singulière dans le milieu du rap, la Rouennaise d’ascendance martiniquaise a des textes aussi tranchants que son humour peut être provocateur lorsqu’elle s’adresse au public

L’importance de la coiffure

L entre deux morceaux. Mais Casey ne scande pas des tracts ni des appels à la violence. Son flow révèle une maîtrise de la langue, un esprit cultivé, une analyse fine de la société. Si elle excelle lorsqu’elle cible le passé esclavagiste de la France et son héritage post-colonialiste, elle vise tout aussi juste quand elle aborde les conditions de vie dans les quartiers populaires ou les pannes d’ascenseur social. Et n’hésite pas à flinguer la médiocrité de certains de ses pairs. Radicale et révoltée, elle dégage une sagesse paradoxale. Et ce n’est pas parce qu’elle se produit le soir de fête de la musique dans les quartiers Nord de Marseille, qu’elle ne va pas se préoccuper d’arrêter son concert à l’heure pour ne pas importuner le voisinage. LUDOVIC TOMAS

La création en hommage à Ibrahim Ali et le concert de Casey ont eu lieu à Marseille, à la Savine puis à la Friche, les 21 et 24 juin, dans le cadre de Massilia Afropéa, en partenariat avec le Festival de Marseille

He loves and She loves

U

n je ne sais quoi de West Side Story flottait cet après-midi-là sur les vastes marches de la Place Bargemon. Réunis sous l’impulsion du chorégraphe Daniel Larrieu, une centaine d’amateurs y rejouait les phrases chorégraphiques de deux de ses créations, à l’issue d’ateliers menés au Théâtre du Merlan et à He loves and she loves, Dance is in the air © Pierre Gondard KLAP, Maison pour la danse. Un splendide proposaient ainsi sous un soleil radieux une panorama -Hôtel Dieu et Notre-Dame de la euphorisante entrée en matière à l’événement Garde surplombant le Vieux-Port- présidait à Dance is in the air... JULIE BORDENAVE cette performance de 12 min., offrant de belles lignes de fuite à ces joyeuses chorégraphies exécutées collectivement : en rond, tirées de la pièce LUX, puis au sol, pour une gracieuse He loves and She loves a été dansé le 30 danse de bras extraite de Maria Lao. À l’unisson juin sur la Place Bargemon, Marseille, dans de leur marinière, les danseurs amateurs de le cadre du projet Dance is in the air, en tous âges, dirigés par cinq artistes complices, partenariat avec le Festival de Marseille

a profondeur, c’est la peau disait Paul Valery. C’est aussi le cheveu, d’après les intervenantes réunies lors de la table ronde du 23 juin dernier à La Friche. Intitulée Les événements afropéens comme facteur d’estime de soi, elle évoquait la difficulté rencontrée par les personnes aux cheveux bouclés, frisés ou crépus, à s’accepter et s’intégrer dans une société occidentale à dominante caucasienne, où les canons de beauté sont tout autres. Afin de lutter contre la négrophobie, Joana Fidalgo, avec le Collectif des Rosas à Marseille, explique aux jeunes de son quartier l’origine coloniale du mot « nègre », et le dénigrement des peaux noires comme résultante de décennies d’esclavage. Alice Tacite, originaire de Guadeloupe et fondatrice du salon parisien Boucles d’ébènes, précise l’importance de l’image que l’on a de soi : « Nombre de femmes noires ne savent pas comment aborder leur propre chevelure. Elles ont peur d’abandonner le défrisage, de ne pas parvenir à s’aimer sans ». Une difficulté qui se transmet de génération en génération, « les mères mal dans leur peau reportant leur mépris d’elles-mêmes sur leurs enfants ». La journaliste belge Yvoire de Rosen renchérit : « Les rapports de pouvoir sont venus marquer nos corps : les questions d’apparence ne sont pas superficielles, elles permettent de se réapproprier notre identité ». Pour sa mère, Cerina de Rosen, à l’origine du festival Ethno Tendance à Bruxelles, il est important de faire défiler des mannequins non professionnels, recrutés dans la rue, de toutes les morphologies pour dénoncer la grossophobie, ainsi que des albinos ou des transgenres. Lors des échanges avec le public, une femme évoque les dégâts de la mondialisation : même en Afrique, la transmission de ce patrimoine symbolique et esthétique particulièrement riche est abîmée par la normalisation à l’œuvre... GAËLLE CLOAREC

La table ronde Les événements afropéens comme facteur d’estime de soi a eu lieu le 23 juin, à La Friche, Marseille, dans le cadre du festival Massilia Afropéa


36 critiques avignon IN

Le théâtre du réel Le Festival d’Avignon est comme depuis 72 ans, le témoin avancé des changements du temps, mais surtout de ses rêves

L

e théâtre, depuis l’antiquité et un peu partout dans le monde, est fait de fictions tissées entre des personnages qui retracent des mythes, concentrent fatalement nos impasses ou rient des travers du temps. Mais le Festival d’Avignon 2018 restera sans doute celui d’un tournant formel historique. Car malgré la tragédie de Thyeste ou

Iphigénie, malgré les symboles de Kreatur et les fictions saturées mises en scène par Julien Gosselin, c’est le document, le témoignage, l’adresse au public qui, définitivement, dominent. Les acteurs ne sont plus des personnages de fiction, mais des humains, qui témoignent de leur expérience, ou incarnent des personnes réelles.

La Reprise. Milo Rau

U

n spectacle de cette trempe nous rappelle la force incomparable du théâtre. Le fait divers est cru : Ihsane Jarfi, jeune homosexuel, a été sauvagement assassiné à la sortie d’un bar à Liège, en 2002. Que cherche Milo Rau en le transposant sur un plateau ? Son Manifeste de Gand -charte en 10 points publiée en mai 2018- s’inscrit dans l’obsession du metteur en scène à ausculter la transposition du réel sur un plateau. Un long préambule présente d’abord le casting, renvoyant chacun -professionnels et amateurs mélangés- à ses stéréotypes et ses motivations à monter sur les planches, vocation ou hasard de la vie. Puis démarre la narration des faits. La vidéo sur grand écran trouve ici une justification, notamment dans les scènes de réalité augmentée rejouées en simultané sur le plateau. Cinq chapitres nous acheminent peu à peu vers la brutale réalité : l’extrême fragilité des parents à l’annonce de la nouvelle ; le déroulé du procès ; la résilience acharnée de l’ex petit ami… les faits, enfin, insoutenables. Forts du pacte tacite qui nous a été rappelé en première partie, nous sommes armés pour les aborder, au même titre que les comédiens. Humains de part et d’autre du plateau, nous affrontons d’un même élan la représentation d’une cruauté humaine et des traumas qui en découlent. Milo Rau se questionne simplement avec nous, avec ténacité, sincérité et générosité. Théâtre documentaire, assorti d’une émotion sans fard et d’une réflexion en actes sur le rôle du théâtre : la formule est terriblement efficace, et les questions qu’elle pose -qu’est-ce qui fait théâtre ? Pourquoi ? Avec qui ?- résonnent longtemps après la représentation. JULIE BORDENAVE

La Reprise - Histoire(s) du théâtre © Milo Rau © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon

Trans. Didier Ruiz

Trans, Didier Ruiz © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon

I

l est à nouveau question de théâtre documentaire, joué cette fois par les intéressés eux-mêmes. Sur scène, 4 femmes et 3 hommes racontent comment ils ont changé de genre. Leur prise de conscience, leur cheminement, les réactions de leur familles. Leurs parents, leurs enfants, leur conjoint, leurs patron. Leur lien à leur corps, la joie de se sentir enfin eux-mêmes, l’émotion quand une mère, un enfant, une compagne, comprend et accepte leur démarche. L’ambiguïté de cette sensation d’être un autre que celui que les autres voient. La violence subie aussi, l’errance, le rejet, les coups. La difficulté ensuite de séduire, de dire ou de cacher, de partager une sexualité. La sensation aussi d’être mutilé, le désir d’être un homme avec des seins, la possibilité d’être un homme sans pénis, la joie après la vaginoplastie. Expériences diverses, opposées, mais toujours livrées avec des mots simples, par des corps qui se sont transformés et qui, malgré ou en raison de leur maladresse sur scène, incarnent d’évidence des personnages forts, déterminés et singuliers : ce sont des êtres, si sûrs de qui ils sont que leurs témoignages, livrés calmement, face au public, dans une demi arène tendue de tissu blanc, suffit à faire théâtre. Parce que quelque chose d’essentiel est dit, sur la liberté absolue de devenir qui on est . AGNÈS FRESCHEL


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Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète. Gurshad Shaheman

I

l s’agit, là encore, de témoignages recueillis auprès d’exilés Irakiens, Marocains ou Syriens. Fuyant les combats, la répression, mais surtout la violence exercée sur les homosexuels et les trans. Ce sont les jeunes acteurs de l’Erac qui incarnent ces voix, assis les yeux fermés, avec émotion et talent. Les garçons jouent des gays, les filles des filles hétéros, ou des trans femmes. Leurs récits se chevauchent, on entend d’incroyables douleurs, des meurtres évités de justesse, des viols, des tortures insupportables : il n’est pas facile d’être gay ou trans femme en pays musulman

Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, Gurshad Shaheman © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon

A

A. F.

(sans doute plus facile d’être lesbienne ou trans homme, d’où leur absence). Le titre le dit sans

Le Grand Théâtre d’Oklahama. Madeleine Louarn et Jean-François Auguste

vec les acteurs handicapés de la troupe Catalyse, on retrouve cette émotion liée à la présence particulière d’acteurs différents, qui interrogent la notion même de personnages. Pourtant ce sont bien des personnages qu’ils incarnent, dans une fiction inspirée de divers écrits de Kafka. Personnages qui leur ressemblent, une souris cantatrice dont le chant presque inaudible fascine ; un singe devenu homme pour échapper à sa cage, mais qui se sent à l’étroit dans son identité humaine ; un homme de pouvoir autoritaire et son acolyte ; un performer de la faim... Cette humanité inadaptée, placée dans un décor de cirque qui décale la réalité, remet en cause nos attentes de théâtre. Leur maladresse, leur trous de mémoires, leurs incapacités et leur émotion visible transforment le pacte théâtral,

ambiguïté, les récits aussi, l’exil étant vécu comme la seule issue possible, et l’Europe une incroyable terre de liberté, où les yeux enfin peuvent être ouverts. Reste que ces jeunes acteurs, qui ont l’âge des personnages qu’ils incarnent, n’ont pas la force de témoignage de ceux de Trans, pourtant plus maladroits. Nous voyons aussi, sous leur peau, les acteurs qu’ils sont. Limite du théâtre documentaire ?

rejettent le désir d’excellence, et le désir de voir sur scène des corps parfaits incarnant dans des performances exceptionnelles des personnages qu’ils ne sont pas. Le monde du théâtre, de la culture, a du mal avec cette inclusion-là : il est de ceux qui emploit le moins de personnel handicapé et, malgré un discours constant sur l’attention aux marges, il attend des acteurs, des chanteurs, des danseurs qu’ils soient les meilleurs. Madeleine Louarn, ou Pippo Delbono, nous font voir ce que le handicap mental peut nous apprendre de notre humanité. Le public applaudit debout, et le courant qui passe entre les acteurs et le public fait surgir avec évidence la nécessité de changer de regard, et ce que le théâtre peut accomplir.

Kreatur, Sasha Waltz

L

a chorégraphe allemande propose comme à son habitude un spectacle très maîtrisé, emmené par de très beaux danseurs, magnifiés par des costumes sublimes et un travail musical remarquable. Mais si la danse invente parfois des mouvements désarticulés et très rapides inhabituels, s’inspirant d’un hip-hop assimilé, le propos est absent. On assiste à un défilé d’images, avec une impression de déjà-vu. Une danse faible de sens, dans un festival qui en regorge... A. F.

A. F.

Mesdames Messieurs et le reste du monde. David Bobée

L

e feuilleton théâtral de David Bobée est l’événement de ce festival, posant clairement tous les combats d’inclusion, des racisés, des femmes, des LGBT, des handicapés. Formidable, souvent frontal, dans le combat. 13 épisodes qu’il serait vain de résumer, et qu’il faudra voir et revoir, parce qu’ils sont susceptibles de changer le monde.

Le Grand Théâtre d’Oklahama, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon

A. F.

suite p.38


38 critiques avignon IN

Romances Inciertos, un autre Orlando. François Chaignaud

Ovni(s). Ildi!Eldi!

J

érôme Game a adapté une suite de témoignages recueillis par Ivan Viripaev en vue d’un film. Vraiment ? Le rapport à la vérité est au cœur de ce spectacle qui enchaîne des monologues rapportant des expériences de rencontre avec des extraterrestres... Toutes ressemblent plutôt à des hallucinations, mais personne ne juge, ne contredit, ne se moque. Le dispositif scénique, malicieux, très low tech, poursuit les témoins, les éclaire et les accessoirise comme pour les filmer, et les acteurs sont tous formidables dans leur modestie, leur agacement léger et la palette infinie de leur jeu. Un théâtre qui interroge sans cesse sa forme, sa fonction, son rapport au réel, à l’intime, à la fiction, avec une distance ironique constante, mais jamais moqueuse. A. F.

OVNI(S) sera repris au Théâtre d’Arles en mars 2019 Romances Inciertos, un autre Orlando - François Chaignaud, Nino Laisné © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon

C

’est un petit bijou d’un peu plus d’une heure. Lorsque François Chaignaud apparaît sur scène après un prélude musical de Piazzolla, la fascination est immédiate. Il faut dire que le Cloître des Célestins et ses deux platanes courbés l’un vers l’autre, comme s’ils voulaient se toucher, et les 4 musiciens à l’écoute parfaite, avaient merveilleusement posé une ambiance de recueillement et d’attente, dans une Espagne des trois cultures recréée : le luth, le bandonéon, la guitare mauresque, les percussions en peau et les violes de gambe évoquent, ensemble , un Al Andalus mythique, et une musique traditionnelle qui retrouve ses accents populaires et profanes. François Chaignaud incarnera, tour à tour, une demoiselle guerrière habillée en homme, un San Miguel aux belles cuisses qui chante ses tourments d’amour, puis une Tarare androgyne qui roule des hanches... Il chante, en baryton, en sopraniste, les romances populaires. Il danse, aussi, sur échasses, sur pointe, des solis très difficiles inspirés du flamenco ou de la jota -maquillé, costumé, merveilleux-, il est l’incarnation décalée, ibérique du Orlando au genre changeant de Virginia Woolf. Fascinant, et triplement virtuose. A. F.

Thyeste. Thomas Jolly

O

ccuper la Cour mythique est, en soi, un exploit. Thomas Jolly l’affronte avec une tragédie antique particulière, qui ne met pas en scène une avancée fatale, mais des monstres, et le crime fondateur de la dynastie maudite des Atrides. Le metteur en scène n’évite aucun obstacle, tient en haleine malgré la brutalité archaïque du texte, qui ne concède aucun suspense, aucune hésitation, aucun moment de calme ou de douceur. Le récit du triple meurtre des enfants, le long festin où leur père les mange, rien n’est épargné. La musique et les lumières donnent un petit côté New Age d’un goût parfois douteux, mais Thyeste se tient, spectaculaire, et gagnera sans doute à être joué dans des espaces moins grandiloquents, qui ne nécessitent pas un jeu outré. A. F.

Thyeste, coproduit par Extrapôle, sera repris aux Salins, Martigues, en décembre, à Anthéa, Antibes, au Liberté, Toulon et à La Criée, Marseille, en mars 2019

Joueurs, MaoII, Les Noms. Julien Gosselin

L

e marathon du Festival. 10 heures de théâtre. Avec les moyens scénographiques et vidéo à la mode, des caméras qui suivent les acteurs dont on ne voit pendant 2 heures que l’image retransmise, jusqu’à ce que la boîte s’ouvre, enfin, et qu’on découvre les espaces dans Joueurs, Mao II, Les Noms, Julien Gosselin © Christophe Raynaud de Lage - Festival d’Avignon lesquels ils évoluent. C’est indéniablement virtuose, mais on ne très inégaux, hurlent la plupart du temps. sait trop ce que cela raconte sur la violence, Jusqu’à ce que la deuxième partie se centre sur le terrorisme politique, la société. Les acteurs, l’écrivain Bill Gray et son rapport à la violence.

Puis l’on se perd à nouveau, vers la Grèce, dans un théâtre de la litanie qui nous happe. Le temps de la réflexion, de l’assimilation n’est pas donné, et la violence hypnotise sans possibilité de distance critique. Que nous dit Julien Gosselin, sinon que la société hypermoderne nous épuise et génère son propre dynamitage ? Les romans de Don DeLillo sont clairement des dénonciations du chaos, mais 2066 et Les particules élémentaires, mis en scène précédemment par Julien Gosselin, laissaient par le dirigisme formel planer la même ambiguïté : brûlots politiques contre l’absence de lien mal compensé par du sexe sans âme, ou apologies nihilistes de la violence qu’elle génère ? A. F.


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Les voi(es)x de Jeanne Moreau

L

’accueil est éclatant : derrière un rideau rouge apparaît Jeanne Moreau, sourire aux lèvres. La photo nous invite à pénétrer directement dans sa loge, première halte symbolique d’un parcours foisonnant qui rend hommage à cette femme de théâtre, cette amoureuse et passeuse passionnée des mots, de la langue, et des textes qu’elle a fait siens toute sa vie. Plus qu’une exposition, c’est une promenade sensorielle immersive, ensorcelante, dans l’intimité et l’œuvre de la comédienne et chan- © Christophe Raynaud de Lage teuse qui traversa l’histoire du Festival d’Avignon, de 1947 (quand il n’était encore que La Semaine d’Art) à 2011. Laure Adler (journaliste, écrivaine, productrice à Radio France), qui en est la commissaire, a imaginé cette exposition/installation avec Nathalie Cabrera (directrice déléguée de l’association Jean Vilar) comme un récit sonore dont la voix de Jeanne Moreau est le fil conducteur. La scénographie de Nathalie Crinière (agence NC) exprime et accompagne cette présence quasi palpable, structure les époques que l’on traverse -de la jeune fille débutant avec Jean Vilar à l’actrice iconique récitante aux côtés d’Étienne Daho, de la personne publique à celle qui se livrait plus intimement parfois ; le dispositif sonore de Christian Sébille (directeur du Gmem/ SNCM-Marseille) crée une continuité dans les déplacements, permet

d’approfondir la rencontre avec une diffusion permanente, aérienne ou ciblée. Près de 150 documents d’archives, exceptionnels, balisent la déambulation : photographies, costumes, documents originaux de contrats et programmes, extraits vidéo et sonores des spectacles dans lesquels elle a joué… Tous les choix audacieux, rigoureux qui ont construit sa vie, d’actrice et de femme, se mêlent là à l’histoire du théâtre, à celle du Festival d’Avignon. On s’étourdit, d’une chanson, d’un entretien, de phrases volées au détour d’une salle, d’un couloir. Sa voix nous guide, oreilles et regard aux aguets, sensibles aux moindres sons et images. C’est elle et tous ceux qu’elle a accompagnés, c’est elle dans une vie faite de choix qui ont pour maîtres mots liberté, textes, incarnation, c’est elle encore par les mots de ceux qui l’ont côtoyée. C’est elle encore qui questionne, aujourd’hui, la place de l’art dans nos vies. DOMINIQUE MARÇON

Je suis vous tous qui m’écoutez Jeanne Moreau, une vie de théâtre jusqu’au 12 avril Maison Jean Vilar, Avignon 04 90 86 59 64 maisonjeanvilar.org

Lacroix met les musées en pièces S’il est un miracle que Mirabilis, la grande exposition des musées d’Avignon, met en scène, c’est celle de l’analogie spirituelle des choses...

C

hristian Lacroix a scénographié dans la Chapelle du Palais des Papes une exposition d’échantillons empruntés aux fonds des musées avignonnais, de sciences, d’art sacré ou profane de tous les siècles, de folklore. Est-ce parce que la ville est liée à ses souvenirs d’enfant, ou parce que les Papes dissidents planent encore dans les lieux ? L’exposition a un petit air solennel, spirituel et satirique à la fois, mélange inattendu de pièces oubliées, négligées, qui révèlent une poésie baroque dans leur mise en dialogue. Celle-ci n’a rien de chronologique, de thématique, mais repose sur des analogies de formes, des contrastes de propos, des jeux de matières et de couleur. Chacune d’entre elle invite à prolonger l’exploration dans les divers musées, le merveilleux Petit Palais, le somptueux musée Calvet, les sculptures du

© Christian Lacroix

musée Lapidaire, les surprenants musée Requien et Palais du Roure. Esprit Calvet et Esprit Requien, les deux fondateurs des principales collections d’art et de sciences d’Avignon, semblent avoir présidé à l’amoncellement de têtes de Papes qui répondent à des gargouilles, des taureaux aplatis, des peintures anonymes, des sculptures antiques privées de bras, des meubles, des blasons, des cloches. Le tout en rouge et dorures, savamment orchestré pour surprendre l’œil. Et les Esprit ! A. F.

Mirabilis jusqu’au 13 janvier Palais des Papes, Avignon 04 32 74 32 74 avignon-tourisme.com


40 critiques les hivernales

La danse habite Avignon

Spectacles, ateliers, rencontres, projections… la danse bat son plein aux Hivernales

F

ait du hasard ou non, l’Été des Hivernales se fait l’écho des violences du monde qui percutent les créations chorégraphiques de plein fouet. Ici l’Afrique postcoloniale, l’entraide nécessaire à la survie, là la complexité des rapports humains… Doit-on voir un signe ou un symbole de notre sombre histoire contemporaine dans la pénombre qui envahit quasi systématiquement les plateaux ? De fait les corps des danseurs y apparaissent par fragments, dans la découpe de la lumière : effets de style communs aux compagnies La Vouivre et Chriki’Z qui composent leur narration autour d’une succession de tableaux. Un Feu sculptural enveloppe les saynètes élaborées par Bérangère Fournier et Samuel Faccioli qui « convoquent la violence du monde et notre capacité à y résister » : postures figées, figures statiques, images fugaces de couples évanouis, de fuites et d’apparitions, de plongées en avant et de chutes en arrière qui peu à peu débordent du cadre pour envahir progressivement l’avant-scène. Par l’empêchement physique et la confrontation des regards, Feu questionne les rapports de force, l’individu face au groupe. Toute sa structure repose sur un procédé éculé (dehors-dedans, devant-derrière, répétition-déclinaison) mais techniquement maîtrisé, sur le fil d’une tension permanente qui laissera les interprètes K.O. debout, dans un état de relâchement attendu. Plus légères et poétiques, les petites formes [oups] et [opus] du tandem nous avaient à l’époque comblés, mais c’était il y a plus de dix ans… Mêmes éclipses lumineuses, donc, pour introduire L’IniZio répercutées ici au sol dans un découpage graphique. Seule similitude scénographique, car là où La Vouivre inscrit son écriture dans un geste précis, presque théâtralisé, Chriki’Z revendique « un hip hop qui s’éloigne des stéréotypes ». Sauf que L’IniZio opère le même modus operandi que les pièces classiques du hip hop avec des personnalités qui s’échappent du collectif pour performer leurs figures. Prenant prétexte de « s’inspirer librement de La Genèse peinte par Michel-Ange », la mise en œuvre de la dramaturgie pressentie dès le premier acte laisse place à un sentiment pesant : la lassitude gagne à force de regards pesants,

De(s) Personne(s), Julie Coutant et Éric Fessenmeyer © Xavier Bourdereau

d’expressions surjouées, de clichés masculins. Une lassitude matinée d’exaspération quand le Miserere de Gregorio Allegri vient saturer nos oreilles ! Tout aussi sombre mais totalement habité, le solo Black Belt écrit par Frank Micheletti pour Idio Chichava est époustouflant. Là, dans une épure lumineuse que ne renierait

pas l’artiste américain James Turrell, le danseur mozambicain pose ses tripes sur le plateau. Vague de mouvements venus de l’intérieur, énergie continue, souffle sans fin ; tremblements, convulsions, claquements des dents, râles, trépignements, frappes syncopées de tout son corps jusqu’à l’abandon de soi. Comme si celui-ci ne lui appartenait plus.


GRÉOUX-LES-BAINS

GRÉOUX Effroi silencieux, bouche ouverte, yeux exorbités, masque de douleur. Sa présence sombre irradie le plateau dans un flux et reflux de mouvements, de sons live, de néons, de rythmes. De point de rupture en point de rupture, Idio Chichava regarde l’Afrique d’aujourd’hui droit dans les yeux en épousant sa ferveur et son indéboulonnable énergie.

8 FESTIVAL

De l’ombre à la lumière

TARIFS :

Sous les heureux auspices de Gershwin et du compositeur contemporain Mauro Lanza, le chorégraphe suisse Thomas Hauert fait se confronter les danseurs de sa compagnie ZOO au Concerto en fa et à Ludus de Morte Regis. Il les plonge CONCERTS DU 19 AU 23 SEPTEMBRE 2018 d’abord dans une noirceur extatique (amas de corps compact CENTRE DE CONGRÈS L’ÉTOILE et informel), puis les extrait lentement (le groupe se disloque, THE SHOESHINERS // Mercredi 19 septembre – 20h30 se désagrège) avant de les exposer à la pleine lumière et les DAVID COSTA COELHO jeter dans une sarabande folle. Électrons libres, volontiers & THE SMOKY JOE COMBO // Jeudi 20 septembre – 20h30 impulsifs, ils se lancent à corps perdus dans une débandade ALFRED AND HIS GANG // Vendredi 21 septembre – 20h30 faussement improvisée par des enchaînements fébriles et des MARC LAFERRIÈRE placements imprécis, un méli-mélo de pieds et de jambes SOPRANISSIMO // Samedi 22 septembre – 20h30 désarticulés, des tâtonnements à l’aveugle. Dans une sorte BIG BAND PERTUIS // Dimanche 23 septembre – 17h30 de dysharmonie parfaitement orchestrée. Formidablement 04.92.78.01.08 // BILLETTERIE dense et détaillée, sa chorégraphie résulte d’une écriture et Plein tarif : 19 € - Tarif réduit* 16 € (*moins de 25 ans, demandeurs d’emploi et groupes). d’une interprétation en absolue osmose avec les partitions Gratuit pour les moins de 12 ans. Abonnement : J’ Gréoux : 3 spectacles 48 € - 4 spectacles 60 € - 5 spectacles 70 € musicales savamment entremêlées. Inaudible est l’exact miroir de son titre : désordonné, flamboyant, léger, hypnotique. Le contre-pied du ballet, traditionnellement audible, sage et raisonnable, qui lui a valu de recevoir le Prix suisse de la danse 2017. On comprend pourquoi ! 11/07/2018 Avec la même force de conviction et la même puissanceEncart_zibeline.indd 1 dans l’interprétation, le quintet de danseurs de La Cavale transporte De(s) personne(s) de l’ombre à la lumière, de l’immobilisme à la transe. Leur présence aimante notre regard : à quoi pensent-ils ainsi statufiés, sculptés ? Avec une simplicité limpide tout prend sens, comme marcher main dans la main, tenter d’embarquer l’Autre avec soi, hésiter prudemment, ébaucher un geste. Long mouvement ascendant chorégraphié sans chichi par Julie Coutant et Éric Fessenmeyer, également interprètes, De(s) personne(s) fait l’effet d’une plume qui virevolte, danse, tombe du ciel. Le bruit des pales du ventilateur scande les déplacements, les approches, font sursauter le quintet. Plus que le geste parfait, c’est la résonance des corps dans leurs singularités qui rend la pièce plus que parfaite, fluide, scandée puissamment jusqu’à l’extase par une mise en tension rythmique et corporelle intensive. Pas de portés ni d’enlacements, à peine se frôlent-ils comme par accident, et leurs tentatives de rapprochement avortés nous rappellent, comme une évidence, qu’un groupe est l’addition de(s) personne(s). MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

On (y) danse aussi l’été ! jusqu’au 24 juillet Les Hivernales - CDCN, Avignon 04 90 82 33 12 hivernales-avignon.com

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42 critiques avignon off

Premiers parfums de Off La première semaine, le flair est aiguisé, prêt à toutes les expériences et découvertes. Retours de fragrances

Et hop, les guérisseurs !

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’argument de la nouvelle pièce de Rufus (création 2018) repose sur la rencontre entre un guérisseur plus ou moins psy, Lebeurlard (Rufus) et un tueur à gages, Jean Dube, (Richard Martin). Ce dernier vient se faire soigner car il éprouve des difficultés à exercer son métier. Supplications, menaces tentent de convaincre le spécialiste d’exercer son art pour soulager ce patient atypique. Symbole de l’innocence perdue, une femme (Zoé Narcy) hante les personnages, tour à tour invisible à l’un et à l’autre, petite fille qui joue à la marelle, seule à pouvoir tutoyer le ciel, spectatrice muette et mutine, convoquée pour une démonstration quelque peu délirante… Thème du pardon, de l’adéquation avec soi-même, sans doute, en un texte qui parfois tire à la ligne, manque de densité. L’interprétation de Richard Martin rachète l’ensemble, tout en retenue, justesse, un sens précis du décalage, et une impressionnante présence scénique. MARYVONNE COLOMBANI

Et hop, les guérisseurs ! jusqu’au 28 juillet (relâche le 24) Théâtre du Balcon

© X DR.

Cabaret Louise

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a Cie du Grand Soir, poursuivant la ligne d’un « théâtre joyeux et engagé » propose sa nouvelle création, Cabaret Louise de (notre collaborateur) Régis Vlachos, mise en scène avec une inventivité déjantée par Marc Pistolesi. Sous l’enveloppe d’un Cabaret, se mêlent en un parcours diachronique la Commune, Mai 68 et notre époque dans laquelle, en un effet de réel jubilatoire, les acteurs (bouleversante Charlotte Zotto, Régis Vlachos, Johanna Garnier, qui joue son propre rôle de régisseuse et militante) © Xavier Cantat se livrent à une « comédie de boulevard ». Ce jeu d’échos accorde à la situation contemporaine un éclairage pertinent à l’encontre des narrations officielles « écrites

et évocation puissante de Louise Michel durant la Commune : sa confrontation avec Thiers qui préféra se replier à Versailles et vendre la France plutôt que de donner voix au peuple, Jules Ferry (l’école laïque gratuite et obligatoire, ce n’est pas lui, mais Louise Michel !), sa correspondance avec Hugo, sa relation avec Théophile Ferré… Un spectacle profond, drôle, qui nous donne la sensation d’être vivants ! M.C.

par les vainqueurs ». Les saynètes, denses, s’enchaînent en un rythme facétieux, alternant moments musicaux, courses poursuites,

Cabaret Louise jusqu’au 29 juillet (relâche le 24) Théâtre des Barriques


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Les travaux avancent à grands pas

L

’Amicale de production affectionne les scénographies minimalistes. Ici, de simples plantes vertes et des cartons blancs, chacun barré d’une mention énigmatique - « Apparition ; Le tiret du six… », soit l’étalement au grand jour d’un rhizome de pensées. Et pour cause : le bien nommé Les travaux avancent à grands pas explore les rouages de la création d’un spectacle encore inachevé. Soit sept ébauches « sur le feu », à « faire goûter à un public avignonnais affamé de culture ». À l’issue d’un tirage au sort à base d’avions en papier façonnés avec la feuille de salle, c’était ce 11 juillet Julien Fournet qui nous exposait son travail : un fantasque « surf sur la Mer de la Réalité » pour une tentative d’épuisement de concepts - la proxémie, la cabaliste… Dans un esprit pince-sansrire mâtiné d’érudition, s’ébauche un métadiscours sur ce qui fait événement, intime ou culturel. L’entre-soi du propos peut parfois agacer, mais de vrais traits d’esprit subsistent, dans une ambiance joyeusement interactive. JULIE BORDENAVE

Les travaux avancent à grands pas jusqu’au 27 juillet (relâche le 25) 11 Gilgamesh Belleville Julien Fournet - AMIS TOKYO © Masahiro Hasunuma

Zibeline encart EPEM 2018.qxp_Mise e

Bienvenue en Corée du Nord

I

ls sont beaux, ces quatre clowns au dress code très sixties : robes et impers cintrés, couleurs acidulées… Il y a la leadeuse, la bouc-émissaire, le grand dadais et notre coup de cœur, Laura Deforge, qui campe une furibarde et touchante Brigitte. Mais est-ce parce que la situation de la Corée du Nord est indicible, que le spectacle n’empoigne pas frontalement le sujet ? Le voyage a pourtant eu lieu, dix jours d’immersion dans ce pays aux frontières si étanches. Au retour, le langage du bouffon reste toutefois cantonné au détournement de codes - danse de missile, traduction de chants partisans - sans réellement user de son potentiel subversif. La Corée du Nord reste alors une toile de fond, qui permet au quatuor (déjà mis en scène par Olivier Lopez dans Les Clownesses en 2013) de révéler de belles personnalités. On guettera notamment le solo de MarieLaure Baudain, mis en scène par Paola Rizza, attendu pour la saison 2019/20.

CYCLE DE CONCERTS « ENTRE PIERRES ET MER » MUSIQUE SACRÉE A CAPPELLA DE LA RENAISSANCE

SAM. 18 AOÛT, 21H TOUR ROYALE, TOULON DIM. 19 AOÛT, 17H DIM. 9 SEPTEMBRE, 17H DIM. 23 SEPTEMBRE, 17H ABBAYE DU THORONET

J.B.

Bienvenue en Corée du Nord jusqu’au 29 juillet (relâche le 23) Théâtre des Halles

SAM. 22 SEPTEMBRE, 20H VILLA TAMARIS, LA SEYNE-SUR-MER © Alban Van Wassenhove

www.lesvoixanimees.com


44 critiques avignon off

Speed LevinG

L

a pratique Speed Dating, rencontres tournantes de 10 minutes dans des bars, a inspiré ce montage à Laurent Brethome, metteur en scène de ce Speed LevinG, rassemblant des éléments de 4 pièces-cabarets de Hanokh Levin, dramaturge israélien devenu un classique de la fin du XXe siècle. Il s’agissait de faire jouer, ensemble et chacun dans sa langue, cinq élèves-comédiens français de l’ERACM (école régionale d’acteurs de Cannes et Marseille) et cinq élèves-comédiens israéliens de Nissan Nativ Acting Studio de Tel-Aviv, dans le cadre de la très controversée saison culturelle France-Israël 2018. Des Palestiniens appelaient d’ailleurs au boycott lors de la création, position ambiguë : si l’État israélien pratique sans conteste le « culture bashing » en essayant de redorer son image démocratique, Hanokh Levin était, justement, un dénonciateur de l’occupation illégale des territoires... Le montage repose sur une succession très rapide de saynètes, microfictions qui confrontent une multitude de personnages

lisent les traductions qui s’affichent, les scènes s’enchaînent avec furie, en musique et chansons, sans liens entre les différents moments, sans amour. Sur le plateau presque vide aux éclairages crus, les comédiens sautent et virevoltent, entre absurde et scatologie, embarras gastriques et allergie. Entre deux langues, deux mondes, bruit, rire et fureur.

© Olivier Quéro

en recherche de l’« autre » et soulignent avec noirceur et humour leur misère sentimentale et sexuelle. Tous veulent vivre leur vie par les deux bouts, avoir une aventure pour sortir de la grisaille, mais leurs confidences sont misérables, leurs tentatives avortent. Les acteurs

CHRIS BOURGUE ET AGNÈS FRESCHEL

Speed LevinG jusqu’au 26 juillet La Manufacture

Tzigane ! Une succession de tableaux vifs, colorés, inspirés de Manet, Picasso, Le Caravage, ou d’auteurs comme Mérimée, Hugo ou Pouchkine laissent la danse devenir langage, exprimant tous les registres avec une fraîcheur et un talent enthousiaste revigorants. Cette énergie virtuose est empreinte d’une délicate poésie que souligne le chant précis jusqu’au quart de ton de Lilia Roos-Dalskaïa. M.C.

© X-D.R.

L

a nouvelle création de Johanna Boyé, qui met en scène le travail de Petia Iourtchenko, chorégraphe et directeur de la Cie Romano Atmo, revisite le monde tzigane, jouant sur préjugés et clichés, depuis la silhouette de la roulotte jusqu’aux caractères

des personnages, hommes jaloux et prompts à la bagarre, femmes libres, provocatrices et espiègles, oscillant entre Esméralda et Carmen, et sachant lire l’avenir dans les cartes ou les lignes de la main. Un peintre, tzigane lui-même, rend compte de la richesse de ce peuple.

Tzigane ! jusqu’au 29 juillet (relâche le 23) Théâtre du Roi René


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L’Ombre de la baleine

M

ikaël Chirinian croise, en un poétique seulen-scène, la trame d’une histoire familiale et celle de Moby Dick, roman offert au personnage principal alors qu’il était enfant. La grande histoire, ses génocides, ses guerres, (Arménie, Algérie, Judéité…), continue de marquer les êtres. La folie de la sœur, la violence qu’elle exerce sur elle-même et les autres, que pourtant elle déclare aimer, semblent en être l’écho. L’ouvrage de Melville autorise transpositions, échos et paraboles et aide l’enfant à grandir, à exister malgré tout, à apprendre à être lui-même. Mikaël Chirinian dialogue avec une marionnette qui lui ressemble, dédoublement de la fiction qui nous entraîne dans une vertigineuse mise en abyme. L’acteur se glisse avec fluidité dans tous les personnages, convoque une fresque sensible et bouleversante, donnant corps aux rêves arcboutés au réel. Tragédie et drôlerie se fondent en une délicate tendresse. Des origamis à l’éclatante blancheur fleurissent le décor final, image d’un paradis enfin trouvé. M.C.

L’ombre de la baleine jusqu’au 25 juillet Théâtre des Carmes

On prend le ciel et on le coud à la terre

L

’écrin d’une chapelle, un bouquet de fleurs printanières tournant légèrement à l’aplomb d’une voûte, une lumière posée sur les choses comme un pinceau, et le présent prend jusque dans l’infime des allures de parabole, chambre d’écho où tout a et fait sens. Yan Allegret accorde sa voix aux textes de Christian © Yann Fery Bobin, instantanés du quotidien, scènes captées au détour d’une gare, d’un champ, composées en tableaux emplis d’une magie qui les transcende. Une femme assise dans une gare, son enfant étendu sur ses genoux, devient un tableau de Fra Angelico, solitude saisissante. Grâce qui émane de ces instants où l’« on prend le ciel et on le coud à la terre ». La vie de l’auteur, sa relation à l’écriture sont abordées avec une sensibilité subtile qui rend la poésie évidente tout autant que nécessaire : respiration en harmonie avec les accompagnements musicaux de Yann Féry, souffles, notes démultipliées amplifiant le silence ; les dernières paroles résonnent dans l’ombre, humanité lumineuse et enchantée. M.C.

On prend le ciel et on le coud à la terre jusqu’au 29 juillet (relâche le 23) Théâtre des Halles

© WilliamK


46 critiques avignon off

J’entrerai dans ton silence

© Gilbert Scotti

A

u début de la pièce, deux monologues s’affrontent, chacun dans sa logique. Le fils, égrainant sa fascination pour les objets qui tournent et s’entrelacent, son obsession de redevenir petit pour rejoindre le giron maternel ; la mère, empruntant de son propre aveu une démarche d’ethnologue, pour tenter de communiquer par mimétisme avec ce « petit prince cannibale », dont le mutisme suscite d’abord respect, puis désarroi. Le témoignage est infiniment précieux, car il émane de deux protagonistes réels : Françoise Lefebvre et son fils autiste Hugo Horiot, campés au plateau par les charismatiques Camille Carraz et Fabrice Lebert. Narrateur par intermittence, Serge Barbuscia nous ancre rapidement dans le réel : aujourd’hui quadragénaire, Hugo Horiot est devenu écrivain. La sobriété de la mise en scène se concentre sur l’aventure humaine, une réelle épopée servie par l’écriture utilisée pour « savoir et faire savoir », et s’achève sur les mots de Cioran : « un être humain est soit normal, soit vivant ».

On aura pas le temps de tout dire

«J

e ne suis pas à ma place, un clown n’est jamais à sa place ». Pour inaugurer sa série de trois portraits d’acteurs, L’Interlude T/O a choisi de mettre en lumière le parcours de Gilles Defacque. Le directeur du Prato, compagnie et théâtre lillois dédié au burlesque, y incarne à la fois le candide Auguste et l’autocritique Monsieur Loyal. Sur la partition de « Théâtre Oratorio », musique et bruitages joués live répondent au jeu du comédien. De ritournelles – « on t’a pas vu à la télé » - en litanies sur la vie de bohème, en passant par une revue clownesque sur le sort des mineurs, le spectateur recompose par bribes cette biographie, tirée des Journaux de l’auteur. L’émotion pointe, quand Gilles, élégante moustache grise et cou auréolé d’une fraise, se confronte à un micro trop haut pour lui. Une sourde mélancolie berce le tout, dans ce quotidien baigné par la Baie de Somme et la « mer en pleurs ». J.B.

On aura pas le temps de tout dire jusqu’au 26 juillet La Manufacture

J.B.

J’entrerai dans ton silence jusqu’au 28 juillet (relâche le 24) Théâtre du Balcon

© Frédéric Iovino

Villeneuve en scènes

A

près un chapiteau en forme de phare (Le Phare, 2006), une bulle de plastique (Bull, 2008) et des bâtiments désaffectés (projet Mouvinsitu, 2014), c’est dans un silo aménagé que Boris Gibé (Cie Les choses de rien) convoque son public pour L’Absolu. Imposant totem, ce somp- Conférence de poche © Bertrand Lenclos tueux objet scénographique émotions – création, désir, être et paraître. de 9 mètres de diamètre et 12 de haut crée Défiant les hauteurs, l’artiste sait créer de déjà l’événement par sa seule présence sur très belles images soulignées par une lumière la plaine de Villeneuve. Lové au cœur de son littéralement sculptante. Et si elles s’étirent inédit gradin en colimaçon, le spectateur parfois, elles provoquent un indéniable vertige embarque pour une expérience sensorielle. chez le spectateur. Il y a du Tarkovski, du Kafka voire du Pascal Autre vertige, celui procuré par la verve du dans les chutes et ascensions insensées du jeune Léon Lenclos (Cie Nokill) et ses Confédanseur circassien, confronté au tourment rences de poche. Seul face à son paperboard, des éléments – eau, air, trou noir… - et des il campe le conférencier loufoque pour délier

des thèmes variés : appétit pour les collections, observation des toits de Paris… Par un joli phrasé et un preste coup de crayon, son univers singulier saute d’Einstein à Newton, de la déclivité des toits à la cause de finalité de Spinoza, sans oublier la poésie loufoque de ses « poussières de poches », bribes d’intimité que nous trimballons tous dans les recoins de nos vêtements. Métaphores filées, mises en abyme qui retombent sur leurs pieds : plaisir de voir éclore un nouvel orateur de talent pour les arts de la rue. J.B.

L’Absolu, jusqu’au 22 juillet, Festival Villeneuve en scènes En tournée dans la région en 2019 Conférences de poche a été joué du 10 au 20 juillet à Villeneuve À voir le 22 juillet au Festival Résurgence, Lodève


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48 critiques musiques

Aix Academy !

«L Ténébreuse clarté – Trio Sōra © Vincent Beaume

En prélude au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, les concerts d’Aix en Juin ont mêlé travaux de l’Académie du Festival, lauréats HSBC et propositions décalées, ensemble teinté de nostalgie en vue du départ du directeur Bernard Foccroulle

a création est le principal moteur de l’opéra, insistait Bernard Foccroulle dans ses “Adieux”, il est essentiel d’accueillir des artistes en résidence, leur présence au sein des institutions est nécessaire pour revivifier ces dernières. La question des publics se pose aussi, ils ne doivent plus être extérieurs aux processus de la création. L’opéra se doit d’être au cœur de la cité, par des formes participatives (ainsi avec la grande Parade d’Orfeo et Majnun). C’est pourquoi l’opéra a besoin de nouvelles narrations, afin de parler de notre époque, de l’interroger ; en cette période de globalisation, il faut aussi penser à instaurer réellement une nouvelle équité entre les cultures ». Émilie Delorme, directrice de l’Académie et des concerts du Festival d’Aix, rappelait comment se sont mis en place de nouveaux processus de création : « L’Académie, véritable laboratoire, nous ouvre à d’autres cultures, d’autres genres. Diversité, inclusion et équité sont la colonne vertébrale de notre travail. Nous repensons le rapport au public, celui entre création et héritage, et cherchons à donner aux jeunes artistes les moyens de s’emparer de l’opéra de demain ». Parallèlement à l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et ENOA, le nouveau réseau MEDINEA (toutes ces structures fondées grâce au Festival et à l’Académie) soutient l’insertion professionnelle des jeunes artistes en Méditerranée. Ce sens éclot déjà lors d’Aix en juin.

Talents prometteurs L’ultime session de la Résidence Mozart de l’Académie, (elle renaîtra sous une autre forme la saison prochaine), se plaçait sous le signe du souvenir et de la mémoire, avec un « mémorable » Remember Mozart intelligemment mis en espace par Leah Hausman. Mozart meurt et son fantôme revient sur certains épisodes de sa vie tumultueuse. Les jeunes interprètes, aux parcours déjà prometteurs et internationaux, apportent leur fraîcheur, leur justesse, leur enthousiasme, se glissent dans chaque rôle avec aisance, jouent, dansent, chantent (voix parfaitement placées, larges, sans emphase, précises), endossant des rôles les plus variés, issus d’œuvres mozartiennes telles Der Schauspieldirektor (Le Directeur de théâtre), La Clémence de Titus, Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), Cosi fan tutte, Idoménée, mais aussi de Reynaldo Hahn, charmant « Être


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Remember Mozart © Vincent Beaume

adoré… Paris si tu veux m’adopter », mis dans la bouche du jeune Mozart avide de reconnaissance, ou encore quelques passages de Stravinski et de Tchaïkovski. Phrasés, couleurs, sens du legato, articulation nette, soutiennent finement les lignes mélodiques, tandis que les accompagnateurs pianistes savent se couler dans les formes les plus variées, avec une belle intelligence des propos. Attendez-vous à les retrouver sur les plus grandes scènes : sopranos (Felicia Moore, Natalie Pérez, Agathe Peyrat, Emily Pogorelc), mezzo-soprano (Katarzyna Wlodarczyk), ténors (Jonas Hacker, James Ley), barytons (Magnus Ingemund Kjelstad, Leo Hyunho Kim), baryton-basse (Tristan Hambleton), et pianistes (Bojie Yin, Ewa Danilewska, Oleksandr Yankevych).

Lauriers HSBC Nombre des soirées de juin furent consacrées aux talentueux lauréats HSBC sur les scènes aixoises et de la région. Ainsi, le Trio Sōra (Pauline Chenais, piano, Magdalēna Geka, violon –un Camillus Camilli de 1737-, Angèle Legasa, violoncelle), déclinait sur un ton espiègle et complice l’art du trio avec un égal bonheur, baptisant ses programmes de titres propices à la rêverie, et aux énigmes poétiques de l’oxymore : une Ténébreuse clarté joutait avec les murmures d’une rivière dans le théâtre en plein air du Vallon de l’escale à Saint-Estève Janson, où les bruits de la nature semblaient comme approfondis par la pureté des notes des trios, avec clavier n° 43 en ut majeur de Haydn « le grand-père de la musique de chambre », puis avec piano en la mineur de Ravel, véritable testament musical, (Ravel le composa en tant qu’œuvre posthume, à la veille de son départ pour la guerre) ; Fougue et transparence, grâce à l’acoustique de la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède rendait

aux traits du même trio de Haydn leur rondeur, puis se livrait à une excursion dans l’univers contemporain de Vasco Mendonça, et sa pièce Drives, à la mécanique horlogère et théâtrale, dans laquelle s’immiscent de subtiles fissures. Enfin, éclataient la vivacité et les élans d’âme du Trio n°2 op. 66 en do mineur de Mendelssohn. Répondant à un autre titre programmatique, Au crépuscule, la soprano Andreea Soare et le pianiste Florian Caroubi abordaient un répertoire où musique et poésie se fondent : Invitation au voyage avec Ravel et ses Cinq mélodies populaires grecques, scènes de genre et tableautins expressifs où la mesure classique se teinte de rythmes nouveaux, en une rieuse allégresse ; on goûtait encore une autre tradition, celle du chant populaire roumain, par le condisciple de Ravel, Georges Enesco, mais surtout, rareté, Sept chansons de Clément Marot où anachronisme et amour courtois se mêlent avec élégance… Les poèmes d’Herman Hesse se trouvent ensuite enclos dans Les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss, servis avec clarté par la voix ample et passionnée de la cantatrice tandis que le piano s’irise et donne à entendre l’invisible par les impalpables trilles de la fin du morceau… Le pianiste Alphonse Cemin partait en solitaire pour des Pèlerinages nostalgiques, où les Reflets dans l’eau de Debussy précédaient de leur « spirale d’or » le diamant ciselé de l’Hommage à Rameau et le Mouvement fantasque que le jeu délicatement articulé de l’interprète nuance et poétise, avant d’endosser les accents bouleversants et brillants du Tombeau de Couperin de Ravel.

compagnie de théâtre La Cage, reprenant une expression du librettiste Hugo von Hofmannsthal, « Cacher la profondeur », mettait en scène sa relation épistolaire avec Richard Strauss, pudeur des sentiments, émotions que seule exprime la musique, par les sopranos Marlène Assayag et Andreea Soare, le piano de Roman Lemberg, au cours de véritables passes d’armes dites par Antoine Sarrazin. Ce n’est que la mort de « [s]on second moi » écrit Strauss, qui lui fait reconnaître l’importance de celui qui « harnachait son Pégase ».

Défense et illustration de la mandoline

Quittant les rives « classiques », le Palomar Trio, qui doit son nom au personnage d’Italo Calvino, faisait une démonstration magistrale que rien ne peut enfermer ou compartimenter : ni les genres, ni les instruments. La mandoline électrique de Patrick Vaillant arpente les registres, depuis le trémolo caractéristique de l’instrument à un traitement de guitare rock, soutenue par le tuba aux étonnantes capacités mélodiques de Daniel Malavergne et les percussions (batterie, célestin…) aux arrangements décalés et inventifs de Frédéric Cavallin. Déambulation dans la mémoire, saynètes délicieusement pittoresques, à l’instar du bal de village, comparé par Patrick Vaillant à un « condensé de l’histoire de l’humanité ; la musique, ce n’est pas seulement de la musique, c’est du son et des situations ». On sourit, on se laisse emporter dans ces paysages où lyrisme et dessin animé se côtoient. Rencontre initiatrice de sens ! MARYVONNE COLOMBANI

Correspondances En lien avec la Poste, tous les ans, un défi est lancé au festival : trouver une correspondance entre artistes, illustrée de leurs œuvres ! La

Aix en juin s’est tenu du 9 au 30 juin à Aix-en-Provence et sa région


50 critiques musiques

Foccroulle, l’ex d’Aix Pour sa dernière programmation, le directeur du Festival d’Aix en Provence présentait un ensemble de propositions variées. État des lieux contrasté

Le monde entier est harmonie ». Empathie universelle à laquelle participent les fantastiques animaux de papier de Roger Titley. L’opéra sonne comme un hymne fédérateur des peuples, sous l’ombre protectrice des ailes fantastiques d’un Pégase. Orfeo et Majnun, nouveau mythe fondateur ?

Première pierre

Orfeo et Majnun © Vincent Beaume

M

oment phare du festival, Orfeo & Majnun, projet européen (dans le cadre de MP2018), conçu et mis en scène par Airan Berg et Martina Winkel, dramaturge auteur du livret, conjugue les légendes, grecque, d’Orphée et Eurydice (séparés par la mort), et perse de Layla et Majnun (par les conventions sociales). Trois compositeurs ont été sollicités pour élaborer cette œuvre, Dick van der Harst (partie anglaise), Moneim Adwan (partie arabe) et Howard Moody (grands ensembles chorals). Après la Parade du 24 juin, la création française accueillait en plein air au bas du cours Mirabeau plus de 3000 personnes assises, sans compter le public massé contre les barrières. Des écrans géants relayaient le spectacle offrant plans rapprochés et surtitrages. Répartis sur scène et dans la fosse, les chœurs amateurs (adultes et scolaires) de la région suivaient une chorégraphie précise et symbolique, tandis que les orchestres issus de celui des Jeunes de la Méditerranée, le Sinfonietta et l’Ensemble interculturel

s’emportaient sous la direction enthousiaste de Bassem Akiki. Orient et Occident dialoguent, se mêlent sans s’oublier jamais : à l’orchestre « classique » répond l’oriental ; les solistes, Loay Srouji (Majnun), Nai Tamish Barghouti (Layla), Yoann Dubruque (Orfeo), Judith Fa (une Eurydice à l’aise jusqu’au contre fa), éblouissants d’émotion et de justesse théâtrale, déploient leur virtuosité en un lyrisme contemporain nourri de fragrances traditionnelles. Notes pailletées que l’actrice Sachli Gholamalizad rend à leur contexte narratif, avec une spirituelle poésie. La création du monde précède les histoires d’amours malheureuses. « Le monde est né dans un silence qui contenait tous les sons »… Ce sont les mots des deux jeunes femmes aux allures de korês antiques qui semblent susciter l’apparition de leurs bien-aimés en une scénographie qui convoque vidéo, jeux d’ombres, castelet... Un art poétique se dessine alors, Orfeo clame « je suis un écho (…) chaque chose a un son et je répercute leurs échos.

Commande du Festival d’Aix, création mondiale, Seven Stones (dans le cadre de MP2018), premier opéra d’Ondřej Adámek sur un livret de l’écrivain Sjόn raconte en flashback le voyage d’un savant absorbé par la quête de la pierre originelle, destinée à lapider la Femme adultère sauvée par Jésus. Parti sept ans à travers le monde, le minéralogiste collectionneur surprend sa femme dans les bras d’un autre, lui jette la pierre et la tue avant de comprendre qu’il n’a pas reconnu son propre fils. Cet « opéra de chambre a capella », co-dirigé par Adámek et son comparse Léo Warynski, met en scène (Éric Oberdorff) douze chanteurs dont quatre solistes, qui jouent, dansent, effacent les frontières entre son et corps, et s’emparent d’un instrumentarium improbable : cordes hybridées, percussions, piano renversé sur des agrès circassiens. À l’instar du personnage qui arpente le monde, la partition se nourrit de tous les paysages musicaux, flirte avec le baroque, les dissonances, les ostinatos, les musiques primitives incantatoires, convoque tango, mambo, gospel, gagaku et pansori coréen, s’attache à un travail vocal où les dentales et les sifflantes deviennent matière… Une discrète ironie approfondit le caractère tragique souligné par le chœur accentus / axe 21. Éblouissante polyvalence des solistes qui passent du chant au dit, dansent, évoluent, se transforment. Landy Andriamboavonjy, sculpturale femme du Collectionneur et terrifiante déesse de la vengeance, Anne-Emmanuelle Davy subtile narratrice, Shigeko Hata


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Seven Stones © Vincent Pontet

stupéfiante avec son éventail « percussif », Nicolas Simeha enfin, qui se glisse dans tous les registres, incarne l’enfant, l’homme rongé par le remords, jusqu’à faire pleurer les pierres. Sa quête devient le récit d’une passion christique, servie par une partition et une interprétation éblouissantes !

Trois histoires de femmes Ariane, Renata, Didon, trois femmes, trois destins, même si l’on se doit « d’oublier » celui de la reine de Carthage. Strauss, Prokofiev, Purcell, trois regards, trois esthétiques, trois œuvres sublimes avec au centre l’amour et ses corollaires obligés, la séparation, l’abandon, la folie...Trois opéras, trois mises en scène qui interrogent, qui intriguent, qui déroutent qui parfois même... agacent ! Intrigué par la mise en scène dépouillée de la géniale Katie Mitchell d’un opéra, Ariane à Naxos, à l’histoire délirante : un riche viennois impose, pour des raisons de timing calé sur l’horaire d’un feu d’artifice, de jouer simultanément un opéra séria et une bouffonnerie ! Choc de cultures, mélange des

Ariane à Naxos © Pascal Victo/Artcompress

genres, opposition de classes... Tout se passe dans un espace réduit, dans une scène scindée en deux où l’histoire se tisse. Deux temporalités s’opposent : rythmée, fiévreuse dans le prologue, dilatée, ductile dans la deuxième partie. Ariane, somptueuse Lise Davidsen, tout en volupté, Zerbinetta, légère Sabine Devieilhe, Bacchus, magnifique Éric Cutler pour ne citer qu’eux, déambulèrent dans cet espace clos où résonna la magnifique musique de Strauss interprétée parfaitement par l’Orchestre de Paris dirigé par Marc Albrecht. Dérouté par l’Ange de feu de Prokofiev et son personnage central hallucinant, Renata, être freudien illuminé visité par un ange de feu, mi ange mi démon ! Complexité de l’histoire, complexité de la musique de Prokofiev, tout en superposition de lignes mélodiques, rythmes abrupts, harmonies âpres, opposition de timbres et de registres, l’Orchestre de Paris, dirigé subtilement par Kazushi Ōno, s’affirmant comme un personnage à part entière qui commente, soutient, contrepointe les redoutables dessins mélodiques de la partie chantée de l’admirable Aušrinè Stundytè, Renata,

et du très bon Ruprecht, Scott Hendricks, dans le rôle principal masculin. Le metteur en scène polonais Mariusz Treliński, dans le cadre d’un motel des années 60 à la Hopper ou Hitchcock, choisit de faire déambuler les protagonistes dans un espace saturé, fait de galeries, de lumières, de néons, qui entraine le spectateur dans un labyrinthe noueux et oppressant, symbole de l’état psychique de Renata. Beau mais chargé, à la limite de l’indigeste. Agacé quand le metteur en scène Vincent Huguet détourne le petit bijou de Purcell, Didon et Énée (MP2018), de son objet initial, une belle histoire d’amour qui finit de manière tragique, au profit d’une lecture de l’actualité : crise des migrants, condition des femmes... Énée devient un vulgaire officier assassin d’une esclave, Didon une reine intransigeante, les sorcières, prisonnières de leurs conditions de sorcières, les héroïnes de l’histoire ! Après le beau prologue, écrit par Maylis de Kerangal, joliment interprété par Rokia Traoré, les pauvres interprètes, perdus dans une mise en scène austère et insignifiante, déambulèrent devant un décor de papier pâte, l’ouvrage de Purcell dépossédé de son âme. Pâle copie pour la distribution : Didon, Anaïk Morel, qui prit le rôle au pied levé, assez émouvante dans la scène finale mais pas suffisamment incarnée, Énée, faible Tobias Lee Greenhalgh, Belinda, fluette Sophia Burgos. Mention spéciale pour le chœur Ensemble Pygmalion et ma sorcière bien aimée Lucie Richardot ! MARYVONNE COLOMBANI ET CHRISTOPHE FLOQUET

Ces opéras ont été vus au Festival d’Aix-en-Provence, qui se tient jusqu’au 24 juillet L’Ange de feu © Pascal Victor/Artcompress


52 critiques musiques

Retour au Parc Le Jazz des 5 continents a pris cette année une ampleur assumée, sortant de son territoire et de son genre. Retour sur une création, et rappel du programme de l’intense semaine à venir Eric Truffaz © David Girard 2018

C

’est la première fois que le Festival produit un concert, dont la musique est composée en résidence à la Fondation Camargo de Cassis, puis répétée et jouée en création mondiale en tournée sur le territoire, grâce au soutien de la métropole (lire P 10-11). Erik Truffaz a proposé une Voce de la Luna déconcertante, concertante, spirituelle, dans les églises et abbayes de Saint Victor à Marseille, Silvacane à La Roque d’Anthéron ou Martigues. Accompagné, ou plutôt la plupart du temps accompagnant un groupe vocal au répertoire médiéval sacré, il puisait dans différentes religions, juive, indienne, chrétienne, et parmi des chants méditerranéens profanes, pour retrouver la liberté d’un plain chant où les sons se cherchent et se fondent, planent, s’approchent, s’écoutent, pas si loin du principe élémentaire des groupes de jazz : il s’agit toujours d’un dialogue musical particulier, où les éléments d’un chœur sont chacun des solistes, des voix singulières, des timbres personnels, mais au service du chant commun, vers le chorus enrichi de chaque voix. Le jazz, enfant du chant sacré ? Célébrant la joie,

l’amour, l’élévation, s’appuyant sur des basses continues, cette autre Voix, lunaire, comportait trois compositions originales et renouait avec la tradition des spirituals nés dans les églises, mais loin du continent et des rythmes américains, cherchant dans le grégorien, et dans le solo free, une autre voie éthérée... AGNÈS FRESCHEL

Au programme Après les premières soirées, gratuite le 18 juillet sur le parvis du stade Vélodrome (non non, la loi ne nous oblige pas à rajouter le nom de l’opérateur téléphonique), bondée le 19 et complète le 21 au théâtre Silvain (avec 2 femmes en chef de groupe), le Marseille Jazz fait une étape au Mucem pour 4 sessions exclusivement masculines mais néanmoins passionnantes. L’an dernier la soirée avait été bouleversante. Celle-ci (21 juillet) commencera par un jeune quintet (masculin) avec un Awake aux inspirations folk et classique, suivi par le saxophone de Sylvain Rifflet en trio (masculin) accompagné par un quatuor à

cordes classique (mixte), auquel succèdera le pianiste japonais Yoshichika Tarue en trio (masculin), puis Avishaï Cohen en quintet (masculin). Au Parc Longchamp les soirées se composent d’au moins deux concerts 23 juillet : Henri Texier Sand Quintet puis Youn Sun Nah avec une carte blanche 24 juillet : le trompettiste Fred Wesley puis Kool & the Gang 25 juillet : Youssou NDour puis Somi 26 juillet Chick Korea puis The Roy Hargrove 5TET 27 juillet : One foot puis Jeff Mills/ Émile Parisien qui jouent Coltrane, puis GoGo Penguin, puis Coco Henry & the Funk Apostles Là encore, contrairement aux concerts qui ont tourné en juin et au début juillet, très peu de femmes, sauf au chant. Mais un jazz multiple, lyrique, en dialogue, rajeuni, créatif, étonnant, pour un festival qui change. Marseille Jazz des 5 continents marseillejazz.com

Saisir le moment au Bon Air

D

ans notre annonce du Zib’ de mai, on louait la proposition de la Friche de livrer ses espaces, dont l’immense plateforme en plein ciel de 8000 m2 sur son toit, aux gentils délires de musiciens et DJ’s à l’occasion du festival Le Bon Air. Nombre de mélomanes et fêtards ont répondu à l’invitation d’aller au bout de la nuit (pour les plus résistants) dans trois salles saturées de son. Mais la première étape, piste d’envol surplombant la Belle de Mai, répondait (gratuitement) aux envies et impulsions d’un très large public qui a même emmené ses enfants, virevoltant comme des papillons, inattentifs aux mixes des

DJ’s. Sur des rythmes festifs sans ostentation, les artistes accompagnent avec humilité les divagations du public, des plus indifférents aux plus investis : devant les platines, quelques jeunes s’adonnent, le sourire aux lèvres, à des danses breakées acrobatiques. D’aucuns estimeront que quelques pousse-disques érigés en maîtres de cérémonie sur une terrasse offrent une matière artistique bien pauvre au regard des canons esthétiques conventionnels. Un refrain maintes fois entendu : si l’esthétique électronique est encore récente, les critiques restent immuables. Livrons notre avis : le mix ininterrompu des DJ’s sculptant l’humeur du

moment vaut certainement un concerto bien interprété. Dans cette rare alchimie qui nous est offerte, le défi sera toujours de décamper quand la lumière et la musique coïncident assez pour laisser en mémoire le souvenir d’un instant qui semble n’en jamais finir. On s’éclipse donc au son du remix ingénieux du Marabout de Serge Gainsbourg joué par L’Amateur, le programmateur du festival. Le moment était parfait. HERVÉ LUCIEN

Le Bon Air s’est déroulé du 1er au 3 juin à la Friche Belle de Mai, Marseille


53

Musique de personne pour tous

L

a réputation du Charlie Jazz Festival de Vitrolles n’est plus à faire. Pour la soirée d’ouverture de la 21e édition du festival, singularité, métissage et originalité furent les maîtres-mots. Sur la scène du Moulin à Jazz, le quartet toulousain Pulcinella propose un jazz étrange, une bizarrerie musicale, fantasque et intrigante. Si la musique a des accents de cirque, de bal musette et de course poursuite de dessin animé, elle reste très sérieuse, d’une virtuosité exceptionnelle et d’une précision chirurgicale. Au fil des morceaux, le quartet, qui a pour soliste l’excellent saxophoniste Ferdinand Doumerc, joue entre le groove d’un Miles Davis des années 70, les dissonances d’un Wayne Shorter et les rythmiques furieuses de Yes. Puis, sur la scène principale du Charlie Jazz, le quartet TarTARtar Brass Embassy s’installe. Cette formation, créée à l’occasion du festival, est portée par le mythique batteur et percussionniste Famoudou Don Moye qui fut l’un des piliers majeurs de l’Art Ensemble of Chicago, ce collectif des années 60-70

Don Moye Quartet © Sophie Le Roux

investigateur du mouvement de la « Great Black Music ». Entouré du trompettiste Christophe Leloil, du guitariste Andrews Sudhibhasilp, du tromboniste, organiste et tubiste Simon Sieger, Famoudou Don Moye propose aux spectateurs une leçon d’histoire du jazz qu’il suffit à incarner. Entre reprises et compositions originales, la formation a su rendre hommage à cet ensemble incontournable. Enfin, pour conclure cette soirée : le spectacle imaginé par le trompettiste sarde Paolo Fresu, le bandonéiste italien Daniele di Bonaventura et l’ensemble polyphonique

corse A Filetta. Cette formation hybride, qui marie des accents inconciliables, a trouvé voix commune en portant celles du poète Aimé Césaire et du résistant Jean Nicoli. Ensemble, ils inventent une musique lente et mélancolique, une ode humaniste qui chante l’espoir d’un monde meilleur. L’alchimie rare et envoutante de la rencontre se retrouve dans l’album Danse mémoire, danse. Jean-Claude Acquaviva, l’un des six chanteurs de l’A Filetta, pour parler de ces échanges artistiques atypiques et hors du commun, évoque la possibilité d’une musique qui ne ressemble à rien ni à personne et qui dès lors devient la musique de tous. C’est le pari gagnant qu’a une fois de plus fait le Charlie Jazz : inventer un langage à partager. MÉLANIE EGGER

Le Charlie Jazz Festival a eu lieu au Domaine de Fontblanche à Vitrolles du 6 au 8 juillet

2018-2019 OPÉRAS

DIRECTEUR GÉNÉRAL MAURICE XIBERRAS

OPÉRETTES

SIMON BOCCANEGRA

LA BELLE DE CADIX

OCT MARDI 2 / VENDREDI 5 / DIMANCHE 7 / MARDI 9

OCT SAMEDI 27 / DIMANCHE 28

Giuseppe Verdi

Francis Lopez

CANDIDE

Leonard Bernstein

LA FILLE DE MADAME ANGOT

OCT DIMANCHE 14

NOV SAMEDI 24 / DIMANCHE 25

LA DONNA DEL LAGO

UN DE LA CANEBIÈRE

NOV SAMEDI 10 / MARDI 13 / VENDREDI 16 / DIMANCHE 18

DÉC SAMEDI 8 / DIMANCHE 9

Charles Lecocq

Gioacchino Rossini

Vincent Scotto

LA TRAVIATA

LA VEUVE JOYEUSE

DÉC DIMANCHE 23 / MERCREDI 26 / VENDREDI 28 / LUNDI 31 JAN MERCREDI 2

JAN SAMEDI 19 / DIMANCHE 20

Giuseppe Verdi

Franz Lehár

L’AUBERGE DU CHEVAL BLANC

FAUST

Ralph Benatzky

Charles Gounod

FÉV SAMEDI 23 / DIMANCHE 24

FÉV DIMANCHE 10 / MERCREDI 13 / SAMEDI 16 / MARDI 19 / JEUDI 21

LE PETIT FAUST

LE NOZZE DI FIGARO

Hervé

Wolfgang Amadeus Mozart

MARS SAMEDI 16 / DIMANCHE 17

MARS DIMANCHE 24 / MARDI 26 / VENDREDI 29 / DIMANCHE 31 AVRIL MERCREDI 3

TURANDOT

Giacomo Puccini

AVR SAMEDI 27 / MARDI 30 / MAI JEUDI 2 / DIMANCHE 5

RIGOLETTO Giuseppe Verdi

JUIN SAMEDI 1 / MARDI 4 / JEUDI 6 / DIMANCHE 9 / MARDI 11 ER

IRMA LA DOUCE OPÉRA opera.marseille.fr ODÉON odeon.marseille.fr

Marguerite Monnot

AVR SAMEDI 27 / DIMANCHE 28

LA GRANDE DUCHESSE DE GÉROLSTEIN Jacques Offenbach

MAI SAMEDI 25 / DIMANCHE 26


54 critiques musiques

Le bel âge

P

our ses vingt ans, l’Ensemble Polychronies ouvrait l’Estival à la Tour Royale à Toulon. Concocté de longue date par le directeur artistique Florent Fabre, le programme était le fruit d’un mélange savamment dosé entre tradition et modernité, propre à mettre en valeur le talent de chacun des interprètes au sein de combinaisons sonores où brillaient inévitablement les percussions. En première partie, c’est une interprétation à 4 claviers qui ouvrait la soirée sur l’Alborada del Grazioso de Ravel, sublimée par l’arrangement harmonique tout en couleurs de Franck Pantin. Sur trois des Quatre études chorégraphiques (1,2 et 4) de Maurice Ohana on sentait poindre un langage beaucoup plus axé sur la pulsation laissant libre cours à des formules rythmiques incantatoires, voire tribales, parsemées de passages plus méditatifs (deuxième étude) et soulignés par la chorégraphie toute en tensions et détentes de Maud Boissière. Jouant sur la répétition, Escher’s city de Laurent Melin rappelait étrangement les débuts de l’américain Steve Reich sur de courts motifs mélodiques répétés

happening comique se partageant un marimba à 5 octaves grimés en martiens. La deuxième partie commençait sur des extraits de L’Histoire du Tango d’Astor Piazzolla du plus bel effet, le velouté du marimba se mariant à la perfection au son de la flûte de Jean-Marc Boissière. Magnifiquement interprété, le 2ème Concerto pour flûte d’André Jolivet donnait à entendre un langage sonore très subtil majoritairement axé sur la résonance des percussions, parsemé de fulgurances rythmiques où chaque interprète jouait un rôle singulier, abolissant toute hiérarchie formelle. L’ensemble clôturait la soirée sur Cinabres d’Aïko Miyamoto, alternant moments d’énergie pure, pleins de virtuosité, et passages méditatifs, dans une déferlante de sonorités. Un concert magnifique et généreux à l’image de cet ensemble salutaire. © Sébastien Retali

jusqu’à l’hypnose, avec une dimension spatiale intéressante jouant sur l’effet d’écho. Dans Martian Tribe d’Emmanuel Séjourné, quatre percussionnistes virtuoses s’offraient un petit moment de légèreté autour d’un

ÉMILIEN MOREAU

Le concert a eu lieu le 4 Juillet à la Tour royale à Toulon dans le cadre du Festival de Musique de Toulon et sa région, l’Estival

La guitare pour arpenter le monde

L

e 18e Festival International de la Guitare de Lambesc organisé par l’association AGUIRA de Charles Balduzzi s’achève alors que « cymbalisent » les premières cigales. Condensé sur une semaine de voyages et de découvertes, (remarquablement présentée et documentée dans le programme rédigé par Annie Balduzzi), ce festival, unique en son genre dans notre région, soutenu par une équipe dévouée de bénévoles avec des élus des communes et du département, s’attache à présenter la guitare classique à travers la richesse de son répertoire et de ses créations contemporaines, interprété par la fine fleur des guitaristes venus de la région et du monde entier, grâce à la programmation éclectique et pertinente concoctée par Valérie Duchâteau. En ouverture, elle nous accueille avec Jacques Brel, sa Mer du Nord, ses marins d’Amsterdam, et autres titres bien connus délicatement orchestrés. On découvre la jeune interprète et compositrice Marylise Florid, jeu articulé, art consommé de la nuance, sur des œuvres qui balaient l’histoire, ainsi

© MC

que des pièces de René Bartoli qui fut son professeur, mais aussi deux de ses propres compositions à l’inventive poésie. La guitare se prêtait au jeu des duos, parmi lesquels on retiendra celui d’Agnès et Gérard Abiton, et le Duo Thémis, impeccable de souplesse et de netteté, que l’on retrouvait lors de l’hommage à la carrière du grand compositeur argentin Raúl Maldonado, auquel l’ensemble des musiciens du festival offrait l’interprétation de son Horizontes ainsi qu’une pièce composée en son honneur par Claudio Camisassa (un vrai tube !). La veille, Raúl Maldonado évoquait la vie et les œuvres d’Atahualpa

Yupanqui à travers anecdotes, pièces, chants où l’image prend du sens, où le quotidien devient épopée, en une vision lyrique du monde. Les bonheurs musicaux se prolongeaient avec les instruments des luthiers, en poirier, épicéa, ébène… et une délicate exposition de peintures d’Eva Balduzzi (Vava), qui livre par un traitement subtil des couleurs son appréhension sensible et symbolique des êtres. Lectures lumineuses, artistes précieux se conjuguent en une délicieuse convivialité. Que les nuages sombres des coupes des subventions ne viennent pas obscurcir l’avenir du festival ! MARYVONNE COLOMBANI

Le Festival International de Le la Guitare de Lambesc s’est déroulé du 25 au 30 juin


Mucem.org

Exposition Ai Weiwei Fan-Tan Avec le soutien de

Photo © Judith Benhamou-Huet, Ai Weiwei, Marseille, 2017

Partenaires

Avec la participation exceptionnelle du musée du Louvre

Partenaires :

Photographie : Lingot en forme de disque plat, Élam (actuel Iran), Suse, vers 1500-1200 av. J.-C., Paris, musée du Louvre, département des Antiquités orientales © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Exposition Or

Avec le soutien de

Ai Weiwei M   ucem

F   an-Tan O   r

E   xposition 20 juin—12 nov. 2018 E   xposition 25 avr.—10 sept. 2018

M   ucem


56 critiques musiques théâtre de rue

Arlésienne en quête d’identité

S

pectacle original et déroutant pour les habitués d’Opéra au Village que cette Arlésienne nommée Carmen ! On avait retenu du programme annoncé, Bizet, solistes lyriques, ensemble vocal, orchestre… en oubliant le texte d’Alphonse Daudet, sa pièce, écrite à partir de sa nouvelle parue dans le recueil Les Lettres de mon Moulin. La soirée rassemblait dans une mise en scène déjantée de Bernard Grimonet artistes professionnels et amateurs, issus du monde de la musique, du théâtre et de la danse. Avec un joli sens du pittoresque, les histoires de Daudet reprennent vie : passage des saisons qui rythment la vie paysanne, fête des moissons de la Saint-Éloi, danses villageoises traditionnelles par L’Alen, groupe folklorique de Béatrice Chave, évocation de la Tarasque, et même défilé de chèvres (oui, oui, des vraies) ! La pièce remodelée et intelligemment réduite pour l’occasion par Catherine Metelski et Patricia Fulchiron se présente sous la forme d’une narration émaillée de saynètes interprétées par les acteurs enthousiastes de la troupe Côté Cour

© MC

Côté Jardin, tandis que la partie musicale était prise en charge par l’Ensemble vocal Pertuis-Luberon de Jackie Descamps et dirigé par Frédéric Carenco, les musiciens du Conservatoire de la Provence Verte sous la houlette de Maurice Le Cain, ceux de l’Harmonie Durance Luberon menés par Léandre Grau, et le piano d’Isabelle Terjan. La « femme fatale » qu’est l’invisible Arlésienne rejoint Carmen au panthéon des amours maudites et en devient une incarnation,

dans le duo final C’est toi, c’est moi !, porté par les voix larges et profondes des solistes, Patricia Schnell (mezzo-soprano) et Valentin Thill (qui la veille recevait le prix Gabriel Dussurget, en catégorie Jeune espoir). Glissez par-dessus l’air de l’Arlésienne, la fraîcheur et la vivacité du chœur d’enfants pour une délicieuse Garde montante, l’atmosphère conviviale des lieux, les bruits de la vie qui se mêlent à la représentation, la force de conviction et l’entrain des quelques 150 participants… L’approche de l’art est ici l’affaire de tous ! MARYVONNE COLOMBANI

Une Arlésienne nommée Carmen a été créé le 6 juillet, parvis de la Basilique de SaintMaximin lors de L’Opéra au village

Histoires de rencontres

D

epuis 9 ans le Citron Jaune (Centre national des arts de la rue et de l’espace public) organise Les Mercredis du Port, en partenariat avec la Ville de PortSaint-Louis (la manifestation étant désormais intégrée aux Soirées du Port / Côté Docks qu’organise la ville). Tous les mercredis de juillet, en fin de journée, le Quai de la Libération prend des airs de guinguette et se transforme en lieu de fête, petits plats à Rien à dire, Leandre Ribéra © Do.M déguster face au port et spectacles (gratuits) jusqu’à trouver un rythme cadencé. Sans cesser faisant très bon ménage ! leurs mouvements, redressant la tête, ils vont Le 11 juillet, à 19h30 pétantes, la Cie madrilène danser un amour passionnel fait de heurts, HURyCAN entamait une danse contact à la de rejets et de retrouvailles. Au fil d’acrobachorégraphie millimétrée autour de la construc- ties maîtrisées, traversées d’un humour très tion d’un couple, Te Odiero (contraction de visuel, les corps s’essoufflent, les regards se te odio, je te hais, et te quiero, je t’aime). font tendres et apaisent les émotions. La La rencontre entre Candelaria Antelo et confrontation prend fin, intense condensé Arthur Bernard Bazin se fait pas à pas, d’une histoire amoureuse incandescente que timidement, leurs têtes imbriquées absentes la danse a magnifiée. aux regards, les jambes et pieds se mouvant Un peu plus loin, à 20h, le public patiente. Avant

de s’apercevoir qu’un des spectateurs s’agite, provoque les réactions indignées puis amusées en volant des casquettes ou des lunettes et les interchangeant. Leandre Ribera est dans la place, l’occupe, et ce n’est qu’un début ! Il va bien vite franchir les quelques pas qui le séparent du décor/maison de son spectacle, Rien à dire, et franchir la porte qu’aucun mur n’encadre. Quelques meubles fatigués, un tapis disparate de chaussettes jaunes, une bouilloire, des tasses… le clown s’ennuie. Bientôt des visiteurs, choisis dans le public, sonneront à sa porte, rompant sa solitude. Ces rencontres sans paroles donneront lieu à des échanges de mimiques surréalistes, de regards appuyés et ironiques invitant au jeu, à la poésie. Le rire et la surprise sont au rendez-vous, ce qui n’est pas si fréquent quand on rencontre un clown. DOMINIQUE MARÇON

Te Odiero et Rien à dire ont été donnés le 11 juillet sur le Quai de la Libération à Port-Saint-Louis-du-Rhône, dans le cadre des Mercredis du Port. Dernière date le 25 juillet, avec 3D de la Cie HMG, Después… par la fanfare La Belle Image et Amor par la Cie Bilbobasso


Du 20 au 29 juille

MUSÉE DE PRÉHISTOIRE

t 2018

CONCERTS G R AT U I T S

DES GORGES DU VERDON À QUINSON - ALPES DE HAUTE-PROVENCE

N

29e ÉDITIO • Myles Sanko

Just Being Me

UNE PRODUCTION DU PALAIS DE L’UNIVERS ET DES SCIENCES, UN ÉQUIPEMENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE DUNKERQUE, ET DU CENTRE EUROPÉEN DE RECHERCHES PRÉHISTORIQUES DE TAUTAVEL

www.museeprehistoire.com Retrouvez-nous sur

Conseil départemental des Alpes de Haute-Provence Visuels : Shutterstock, Le P.L.U.S, C.Gugliero-CD04

1ER FÉVRIER - 30 NOVEMBRE 2018

• • • • • •

Jean-Marie Carniel Trio Carlos Maza & Familia Septeto Sub Jazz Project Trilok Gurtu Quartet The Stanley Clarke Band Lo Triò

www.jazzatoulon.com - fb.com/jazzatoulon - Infos au 04 94 09 71 00 > Allez-y en bus et en bateaux-bus !

SAISON 2018-2019 › ABONNEZ-VOUS ! ⁄ ORCHESTRE-CANNES.COM ⁄ 04 93 48 61 10

CONCEPTION : ATALANTE-PARIS PHOTO : © YANNICK PERRIN / ODC

Une histoire de famille

Tribute to Jimmy Smith ALF & half Michele Hendricks Quintet Jean Dionisi Jazz Band Youn Sun Nah - She Moves On Jean-Philippe Sempéré Quartet Philippe Petrucciani, Nathalie Blanc Remember Petrucciani

Agence

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- 05/2018 - T 04 94 07 25 25

• Selim Nini Quartet • Lucky Peterson


58 critiques cinéma

Trois jours au FID C’est sous les étoiles, au Théâtre Silvain, qu’a démarré la 29e édition du FID Marseille, avec une Huppert en majesté

Summerhouse, de Damir Cucic

L

e 10 juillet, - soir de la demi-finale du Mondial de football France/Belgique, le public était bien là pour accueillir l’invitée d’honneur, l’actrice Isabelle Huppert, et voir un des 14 films proposés dans l’Ecran parallèle qui lui est consacré : Home, le premier long-métrage d’Ursula Meier, une fable où elle joue avec Olivier Gourmet. Jouer AVEC, écouter l’autre, une des choses les plus importantes pour une actrice. Le lendemain, à La Villa Méditerranée, celle que Wikipédia définit comme un « monument du cinéma français et international », de sa voix posée et douce, a parlé pendant deux heures de son métier d’actrice au cinéma et au théâtre. Un entretien mené par Antoine Thirion et Caroline Champetier autour de quatre axes : Comment choisit-on un projet ? Comment prépare-t-on un rôle ? Quelles questions l’acteur se pose-t-il pendant le tournage ? Quel regard porte-t-il sur le film fini ? Au fil des réponses agrémentées d’anecdotes souvent drôles - en particulier sur un Godard qui lui fait donner des cours de bégaiement et veut lui enseigner à monter une horloge suisse-, on apprend que, quelque soit l’économie du film, la méthode du réalisateur ou du metteur en scène, l’actrice crée, pour chacun de ses rôles, son propre territoire. S’il sert le projet collectif et le rêve d’un autre, il n’en est pas moins un espace de liberté où elle puise force et joie et peut créer une distance nécessaire.

« On agit autant qu’on est agi » dit-elle. « Moi tout me va ! » ajoutera-t-elle en évoquant le tournage en jungle de Captive de Mendoza, entre araignées et serpents, où son épuisement bien réel a facilité son jeu. Capacité à positiver les obstacles, à être entièrement là, disposée et disponible pour absorber tout ce qui construit un personnage. Foi en la force de la mise en scène « qui résout souvent tous les problèmes ». Intelligence, culture, font à coup sûr - si tant est qu’on puisse en douter-, d’Isabelle Huppert une actrice exceptionnelle.

La compétition Parmi les 15 films en compétition internationale, Summerhouse du cinéaste croate Damir Cucic nous emmène dans un voyage sonore aux côtés d’un ingénieur du son aveugle (Vojin Péric, acteur et directeur de théâtre aveugle), dans un hôtel désert, coupé du monde dont on ne voit, par la porte d’entrée, que des arbres couverts de neige. Lieu clos où Péric peut aisément se déplacer, installant son matériel, des sièges pour accueillir les trois personnages dont il va enregistrer une parole hésitante. Trois chapitres, une femme et deux hommes qui ne se rencontrent pas. Des mots qui révèlent des souvenirs d’enfance violents, des traumatismes enfouis. Le film donne aussi à voir le quotidien d’un homme aveugle, autonome, au travail, mais également les pauses repas, dans l’immense salle de

restaurant vidée de ses touristes estivaux. On le suit dans les longs couloirs déserts quand il regagne sa chambre ou va visiter celle de ses personnages. Un superbe film qu’on regarde avec les oreilles. D’oreille et de vue, il en est aussi question dans Walked the Way Home , en compétition française, réalisé par Eric Baudelaire, un habitué du FID, comme sa monteuse Claire Atherton. Mais liées cette fois à la surveillance dont nous sommes l’objet depuis les attentats des années 80. Le réalisateur, téléphone à l’oreille, filme au ralenti, à leur insu, les militaires en treillis, arme au poing, et les passants. Au pied de son atelier parisien, puis à Rome, dans la verticalité de l’image de son Smartphone, l’omniprésence policière et le flux urbain qui va et vient, indifférent, semblent vus par une meurtrière, un œil du serpent, un trou de serrure, ou devient un miroir qui nous serait tendu : l’état qui devrait être d’exception s’est banalisé. Les mêmes images se répètent ; le ralenti, et la musique d’Alvin Curran, leur confèrent une inquiétante étrangeté. International, multiple, ouvert, le FID propose comme toujours un programme foisonnant et unique. (pour plus de retour sur le FID, lire journalzibeline.fr) ANNIE GAVA ET ELISE PADOVANI

La 29e édition du FID Marseille s’est tenue du 10 au 16 juillet



60 critiques arts visuels

De la photo encore et toujours

La Semaine d’ouverture de la 49e édition des Rencontres de la Photographie d’Arles et le OFF passés, il reste du temps et davantage de tranquillité pour découvrir la kyrielle d’expositions, jusqu’en septembre. Même si tout n’est pas si rose.

S

i on en croit ce premier bilan de la semaine d’ouverture des Rencontres, tous les indicateurs sont au beau fixe, voire en progrès. Formidable ! De leur côté, les Voies Off, dont le prix éponyme a été attribué à Liza Ambrossio pour son travail The rage of devotion, tentent de maintenir leur cap malgré un budget dangereusement en baisse. Mais loin de la foule des premiers jours, on se sent un peu seul, surtout quand les finances sont en berne. Sous d’autres latitudes, la situation n’est guère plus réjouissante. En témoigne Une colonne de fumée, suggestion faite à onze artistes turcs de présenter ce qu’ils ne peuvent exposer dans leur propre pays. Les propositions sont parfois saisissantes (Ali Taptik, Çaǧdaş Erdoǧan, Nilbar Güres...) et trouvent des échos variés plus loin, dans la programmation officielle comme dans celle du Off, chez Taysir Batniji, ou la thématique Hope à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz (John M. Hall, Matthias Olmeta, Patrick Willocq...) et 1968, Quelle histoire ! Au Musée de l’Arles Antique, Paradisiaque ! questionne l’esprit utopique qui habitait les urbanistes et politiques de la fin des années 60. Passionnant car très documenté, donc un poil trop didactique, ce parcours nous permet d’appréhender les promesses d’un des plus grands projets d’aménagement du territoire du siècle dernier : la Camargue (pas si nature que cela) coincée entre les exploitations industrielle à Fos-sur-Mer et touristique à La Grande Motte de l’autre côté du Rhône, sous le regard de photographes : Lucien Clergue, Lewis Baltz, Jacques Windenberger... Nous sommes loin des bébêtes à se fendre la poire de William Wegman (Être humain) ou des images à l’esthétique tout en retenue de Véronique Ellena (série Les Invisibles), instaurant un Véronique Ellena, Le cycliste, série Ceux qui ont la foi, 2003. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.


61 dialogue discret (série des Clairs-Obscurs) avec certaines pièces de la collection du musée Réattu, ou s’intégrant dans l’espace muséal (une rose dans la chapelle, le vitrail La Vigne du Clos mixant techniques anciennes et actuelles, toutes deux des créations récentes pour cette première rétrospective). Quand les figures reconnues ou tutélaires tels Robert Frank, René Burri, Jane Evelyn Atwood ou Raymond Depardon se posent en incontournables de l’histoire de la photographie, la jeune création sait à son tour prendre sa part de risques. À la Maison des Peintres (un nom prédestiné !) 14 étudiants de l’École Nationale Supérieure de la Photographie (ENSP) ont investi avec ingéniosité les différents étages multipliant les propositions singulières et les médiums (photographie, installations, objets, projections, mises en lumière...) que le visiteur découvre à chaque recoin. Un véritable Work in Progress créatif et jubilatoire à poursuivre avec trois autres de leurs camarades de la promotion 2018 à La Maison des Lices. Prune Phi combine des morceaux d’images du quotidien avec du papier aluminium, du ruban adhésif conférant à ses collages muraux une apparence brute comme des premiers jets ou des affiches lacérées. Avec sa série Ideal Standard, Victor Jaget renvoie non sans acidité amusée à l’entreprise américaine American Standard et aux sanitaires, lieu commun mais inhabituel pour une exposition. Rémi Fernandez propose de réaliser librement des photocopies à partir de photographies originales pour les emporter avec soi, mettant ainsi en jeu la question esthétique et sociale de la

Matthieu Ricard, Foule de moines allant accueillir un grand lama, Népal, 1995. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

fabrication et de l’appropriation des images. Une réflexion qui innerve toute manifestation relative au sujet, comme ici ces Rencontres tant In que Off autour la photographie. Par contre à Montmajour, Collages(s), un rapprochement Picasso/Godard, ne décolle pas vraiment (le cinéaste cite des œuvres du peintre dans certaines de ses séquences, utilise le collage dans son travail mais les autres liens restent obscurs) et, sur le quai du Rhône, dans la superbe architecture de bambou de Simón Vélez (évoquant une case commune traditionnelle) conçue pour abriter les 40 grands tirages du célèbre moine bouddhiste Matthieu Ricard, on ne peut

oublier, doublant cette Contemplation, le coût carbone de la proposition : trois mille troncs venus de Colombie, est-ce bien raisonnable ?

ichel Butor, René Char, Lucien Giraudo, Jean Kehayan, Laurence Kučera, Jean-Marie Magnan, Bernard Noël, Jean-Maurice Rouquette, Alain Paire, Jean Roudaut, Dominique Sampiero, Jean-Charles Tacchella... autant de personnalités qui comptent dans l’œuvre de Serge Assier. Cet ancien photographe de presse, aujourd’hui auteur-phoAssier, photographie extraite de l’ouvrage Arles, capitale mondiale de la tographe, développe depuis Serge photographie et de la littérature. © Serge Assier longtemps de nombreuses collapour les esprits indépendants (et modestes), borations, avec le monde de la littérature en il souligne les difficultés pour tout créateur particulier. Mais en cette période peu favorable à produire ses projets, sa fierté aussi d’avoir

presque tout réalisé (32 ouvrages environ) à compte d’auteur. Mais l’avenir reste bien précaire et amer. Deux expositions rendant hommage à ses amis René Char et David Douglas Duncan, récemment disparu, et une concernant Oppède-le-Vieux, son village natal, sont à voir à la Maison de la Vie Associative jusqu’au 15 août, en présence du photographe. Deux ouvrages viennent de paraître : Oppèdele-Vieux, Souvenirs d’Enfance 1946-2018 et Arles, capitale mondiale de la photographie et de la littérature, avec les contributions de ses auteurs préférés, et une exposition prévue pour 2019. Disponibles auprès de l’auteur : sergeassier.com C.L.

CLAUDE LORIN

Rencontres d’Arles Voies Off jusqu’au 23 septembre rencontres-arles.com voies-off.com

suite p.62

Un homme en colère

M


62 critiques arts visuels

Sélection à découvrir dans le Off

Et l’art pour tous ! S’installant progressivement dans les anciens ateliers SNCF arlésiens, la Fondation Luma étoffe parallèlement son offre culturelle et propose désormais un pass. En tête d’affiche : Gilbert & George

«L Hope, Dmitry Markov, Idritsa, Pskov region, 2016. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Robert Rocchi, Serge Assier, Michel Lacanaud, Jean-Louis Puech jusqu’au 15 aôut Maison de la Vie Associative arlesasso.fr Bernard Minier jusqu’au 30 août Thierry Valencin jusqu’au 30 septembre Galerie ISO galerieiso.com Johanna Maria Fritz jusqu’au 31 août Anne Clergue Galerie anneclergue.fr Laurence Leblanc jusqu’au 12 septembre Flair Galerie flairgalerie.com Théo Renaut/Bake jusqu’au 15 septembre Le Corridor lecorridor-artcontemporain.com Richard Schroeder jusqu’au 9 septembre Olivier Béraud & Philippe Heliot jusqu’au 16 septembre Gérald Muller jusqu’au 23 septembre Collectif du Hérisson collectifduherisson.fr

’Art pour tous » tel était le credo du célèbre duo qui vient de mettre fin à ses activités créatrices. Cette (très) grande exposition offre un panorama quasi complet de leurs tout débuts à aujourd’hui. Autant Gilbert (né en 1943) & Georges (né en 1942) savent jouer de discrétion, autant l’événement, grâce aux (très) grands formats, en impose, monumental. Cinquante années de production extravagante, d’imagerie kitsch, pop, clinquante, provocatrice, cynique ou potache relevant sans relâche bien des dérives de leur société contemporaine. Cette imagerie bien connue contraste avec les premiers travaux en noir et blanc de facture plus traditionnelle (Nature Photo-Piece, Dark Shadow No.6). La visite s’enrichira à la lecture, dans le (très) gros catalogue, du long entretien avec les commissaires, Hans-Ulrich Obrist et Daniel Birnbaum, qui permet de détricoter l’imbroglio artistique ourdi au fur et à mesure de ces années de création commune. Effet pervers, l’exposition a tendance à étouffer les autres propositions, tout aussi intéressantes. Comme cet autre monde merveilleux lumino-cinétique de Pipilotti Rist, Pixel Forest ; les installations vidéo d’Arthur Jafa, Apex, faite de crépitements visuels et sonores, et d’Amar Kanwar, Such a morning, pleine de poésie inquiète, ou la galerie de portraits photographiques (Une histoire avec Vincent) sur le mode de l’uchronie de Lily Gavin lors du tournage à Arles du film de Julian Schnabel sur Vincent van Gogh (At Eternity’s gate, sortie prévue en 2019). À côté du Café des Forges, l’installation participative de Rirkrit Tiravanija, Do we dream under the same sky, vous invite à partager un repas et à faire votre vaisselle ensemble. Avec pas moins de six expositions et installations à découvrir cet été, considérant aussi la programmation à venir, le tout nouveau #LumaPass18 vient à point nommé pour le visiteur addict. C.L .

Gilbert & Georges, The great Exhibition 1971-2016, jusqu’au 6 janvier 19 Pixel Forest, Apex, Such a morning, Une histoire avec Vincent, jusqu’au 4 novembre Do we dream under the same sky, jusqu’au 23 septembre Luma-arles.org

If Slovenia were... jusqu’au 23 septembre Galerie Voies Off voies-off.com Make love not war jusqu’au 30 septembre Arles Gallery ArlesGallery.com Gilbert & George, The Great Exhibition (1971-2016), Fondation Luma, Arles 2018, vue partielle © C. Lorin/Zibeline


MARSEILLE PROVENCE ------------

SUMMER 2018 ------------

8 CONTEMPORARY ART EX H IB I T IO N S*

AI WEI WEI ----- BERDAGUER & PEJUS KORAKRIT ARUNANONDCHAI ----- JONONE ----------------------------------------------------------------------J1 -------------------------------------------------------------------------------------- Palais de la Bourse CLAUDE LEVEQUE ----- KOCHE x OPEN MY MED Frac -Vieille Charité ---------------------------------------------------------------------------------------------- J1 ------------------------------------------------------------QUEL AMOUR !? ----- WILLIAM KENTRIDGE ------------------------------ Mucem ----------------------------------------------------------------------- Friche la Belle de Mai ----------------------------------------

------------------------------ Mac ------------------------------------------------------------------------------ Espace culturel Robert de Lamanon ---------

MP2018.COM PARTENAIRES INSTITUTIONNELS

PARTENAIRES OFFICIELS

PARTENAIRES MEDIA

*En été 2018, l’art contemporain déclare sa flamme au territoire à travers 8 expositions


64 critiques danse

Quand la musique danse Bilan positif pour un Montpellier Danse très fréquenté (35000 spectateurs), avec grands noms internationaux et spectacles plus intimistes. Retour sur deux créations où le mouvement et la note s’interpénètrent dans une forme autant visuelle que sonore

Mitten wir im Leben sind de Anna Teresa de Keersmaeker © Anne Van Aerschot

A

nne Teresa de Keersmaeker entretient un rapport intime avec la musique, une passion qui naît non d’un emportement lyrique mais d’une lecture précise de ses structures, et du génie de la traduire en danse. C’est à dire de construire des analogies entre les dynamiques des corps et l’intensité du son, entre les timbres et la qualité du mouvement, entre les voix musicales et les phrases chorégraphiques, entre l’architectonie de la partition et la scénographie où se déploie le mouvement, et que parfois il dessine.

la dernière structuraliste Bach, forcément, elle y revient, parce qu’il est le symbole de cela, l’abstraction, la forme. La structure. Et pourtant, ses Suites pour violoncelle, lorsqu’on les écoute avec le recueillement nécessaire, vous emportent l’âme. Elles sont faites pour cela... Jean Guihen Queyras, violoncelliste venu du contemporain, de l’Intercontemporain même, dernier bastion du structuralisme musical, y est au centre, assis, tranquille, tendre dans son rapport à son instrument. Il est surtout à l’exacte place musicale d’une émotion sans rubato romantique, et sans excès de détachement pseudo baroque. Autour de lui les danseurs, un à un, figurent la musique, dans l’illusion d’une abstraction possible d’un corps soustrait à sa nature charnelle, épure dégagée de la narration, de la thématique et même de la combinatoire. Ils suivent,

Twenty-seven perspectives de Maud Le Pladec © Laurent Philippe

commentent, reproduisent la nature même des émotions de la musique de Bach, toujours spirituelle, c’est à dire justement échappée du corps. Élevée, non sur pointes mais en esprit. La 6e suite rassemble tous les danseurs autour des figures qu’ils ont chacun tracées dans l’espace. Et la joie de sa musique, si particulière et si proche des larmes, vous étreint.

Le Pladec en perspective « C’est le mystère de cette édition », annonçait, à la fois curieux et un peu dubitatif, le directeur du festival, Jean-Paul Montanari, lors de la présentation de la programmation. Maud Le Pladec, nouvelle directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans, a fait du chemin depuis sa formation au sein d’exerce, du temps où Mathilde Monnier était à la tête du CCN de Montpellier. Twenty-seven perspectives est sa troisième pièce depuis sa nomination à la suite de Josef Nadj, créée à Montpellier et balisée par un discours aux références multiples. Le titre est inspiré des 27 esquisses perceptives du peintre architecte Rémy Zaugg : 27 regards, perceptions, retranscriptions d’une toile de Cézanne (La Maison du pendu). Creuser le visible jusqu’à débusquer l’invisible. Il y a aussi la Symphonie No.8 – « inachevée » de Schubert, dont Maud Le Pladec traque les pistes et les creux, les vides et les mystères de l’absence, en 27 chemins chorégraphiques qui suivent la création musicale commandée

au compositeur Pete Harden. Boucles, notes étirées, silences imposés, la partition initiale est bien là, rehaussée, à peine bousculée, vénérée comme il se doit, peu questionnée. Sur le plateau nu, sol blanc, les dix danseurs, habillés de tissu imprimés nuageux coupés façon vêtements de sport décalés (Alexandra Bertaut), évoluent en solo, sans jamais se toucher. Les mouvements sont très synchronisés avec la partition sonore. Suspendus aux silences. Le premier contact survient en duo après 20 minutes, comme si chaque geste suivait sa route, un peu autiste, un peu ailleurs. Et pourtant les regards se croisent, des sourires s’échangent dans un manifeste plaisir de la danse et du groupe. Mais la symbiose peine à exister : la musique écrase les corps, qui au mieux la suivent, plus souvent s’y diluent, désincarnés. Le son ne traverse pas les danseurs : il est diffusé vers le public, cantonnant le plateau à un rôle illustratif. Les danseurs restent en dehors de la musique, même s’ils la suivent scrupuleusement, comme s’interdisant d’entamer la partie mystérieuse de l’œuvre. AGNÈS FRESCHEL ET ANNA ZISMAN

Mitten wir im Leben sind a été créé au Festival Montpellier danse du 4 au 6 juillet, comme Twenty-seven perspectives, les 3 et 4 juillet


Antoinette et Nina même combat

D

ans les fracas d’une pluie d’orage le dos noir et nu d’Antoinette Gomis apparait brièvement, par intermittence, percée lumineuse dans l’obscurité du plateau. Les mouvements affluent, elliptiques : postures successives, mains fébriles, gestes ébauchés tendus et « arrondis » à la fois. La voix inimitable de Nina Simone écorche le silence pour resurgir dans les muscles de son corps d’ébène. La langue des signes, quelques accents hip hop et break danse, de l’afro danse s’enrichissent mutuellement, qui offrent aux paroles des chansons une épaisseur différente, une aura intemporelle. La star de la danse hip hop n’est pas Nina Simone et ne le sera jamais, ni ne l’illustrera, d’ailleurs telle n’est pas l’intention de son solo Images qui rime avec hommage. Son mix chorégraphique lui permet l’audace d’un mix musical, d’un design sonore sophistiqué, d’un travail d’amplification. Aux beats nerveux propices à une gestuelle de l’affolement et de la frénésie (spasmes violents, secousses,…) succèdent le tempo déchirant de la soul et l’apaisement du corps ; aux arabesques ondoyantes esquissées sur les modulations du jazz succèdent des réminiscences de la danse traditionnelle africaine. Avec un seul objectif : rendre hommage à Nina Simone, porter ses combats, ses engagements pour l’égalité des femmes et le droit à la différence. Antoinette Gomis parvient à maintenir un équilibre tangible entre évocation, résonance, invention en abordant chorégraphiquement et musicalement les questions identitaires, symboliques, politiques, sociales que son illustre ainée avait chantées auparavant. En se les réappropriant au gré de séquences abstraites ou narratives, jamais elle n’aspire à une quelconque réincarnation. Ce qui aurait été un piège infernal. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

© Rabgui

Images a été donné le 15 juin à Châteauvallon scène nationale


66 au programme cinéma bouches-du-rhône alpes

Courts-métrages à Arles Le Festival Phare tiendra sa 3e édition, des courts-métrages sélectionnés en compétition nationale et internationale en 2017, fictions, animation et documentaires. On commencera le 2 août à 21h par des films autour du sport. Une occasion de voir entre autres l’étonnant Les Indes galantes de Clément Cogitore, une performance filmée sur le plateau de l’opéra Bastille, où se rencontrent la musique Les Indes galantes, C. Cogitore © Les films Pelleas de Rameau et des danseurs de krump, danse née dans les ghettos noirs de Los Amour !, des films autour de la « Rencontre Angeles après les émeutes de 1995. Ou encore amoureuse » parmi lesquels La Nuit je mens de découvrir, dans Aquathlon d’Aleksey d’Aurélia Morali, où une rencontre par site se Shabarov, un adolescent inscrit à un cours de déroule autrement que prévu... Le photographe natation qui va apprendre à se rebeller face à Philippe Praliaud installera son atelier un maître-nageur particulièrement exigeant. photographique Embrassez-vous pour fixer Le 3 août en partenariat avec MP18, Quel les plus beaux baisers cinématographiques

Do the right thing !

du public. Pour finir, le 4 août, après la projection des 3 films primés par les jurys des cinéastes, des étudiants, et du public, puis de trois films très courts de l’école Mopa, les spectateurs auront la chance d’assister à un ciné-concert autour des superbes courts-métrages d’Artavazd Pelechian : Les Habitants, Les Saisons et Fin. À ne pas rater ! ANNIE GAVA

Festival Phare 2, 3 & 4 août Théâtre Antique, Arles festival-phare.fr

Courts sous les étoiles Samedi 11 août, on fête le court métrage à Manosque ! Organisée par l’association Cinéma de pays, la 6e édition de la Nuit du Court métrage en Haute-Provence se déroulera pour sa première partie dès 14h30 dans la grande salle de Jean le Bleu puis de 19h jusqu’après minuit, en plein air dans le théâtre de verdure du parc de Drouille. Rencontres avec cinéastes, comédiens, techniciens du cinéma et projections sur écran géant de films de toutes nationalités. Les animations auront commencé le matin dès 9h30 avec le Premier Marché aux puces de l’Image pour chiner photos, affiches ou matériel son-image et vers 10h, le tournage d’un film sur le marché. Un rendez-vous festif, gratuit à ne pas rater. 11 août Théâtre Jean le Bleu et Parc de Drouille, Manosque nuitducourt.blogspot.com

Do the right Thing © Splendor Films

Comme tous les étés, Ciné Plein air invite les Marseillais à un voyage urbain et cinématographique sous les étoiles. Cette année, la Cité des Arts de la Rue accueille pour la première fois l’un des films de cette manifestation, le 26 juillet, avec le film culte de Spike Lee en version restaurée, Do the right thing (1989). 24 heures dans la vie de Mookie, jeune afro-américain, livreur de pizzas à Brooklyn. Tensions raciales en huis clos, exacerbées par la canicule, galerie de personnages pour une chronique sociale du quartier. Comme le rap de Public Enemy, formation influencée par Malcolm X, qui fait vibrer les tympans dans sa BO, un film très politique, toujours d’actualité, hélas, 30 ans après sa sortie ! D’autres projections continueront d’illuminer les nuits de l’été marseillais. 26 juillet Cité des Arts de la Rue, Marseille 04 91 91 07 99 cinetilt.org

Inséparables, de Steve Duchesne



68 rencontres arts visuels

Tout va bien pour Claude Lévêque D’allure bonhomme, le « colosse » Claude Lévêque se prête au jeu de l’interview. Entretien sans langue de bois à Marseille, sa ville préférée, où il présente trois propositions

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Claude Lévêque, Life on the Line, Chapelle de la Vieille Charité, juillet 2018 © Nathalie Ammirati

é en 1953 à Nevers, installé à Montreuil près de Paris, l’artiste ne parle plus d’installations ni d’œuvres in situ, préférant à ces vocables qui l’ennuient celui de dispositifs. Exception faite à Marseille où il a accepté de renouveler l’expérience dans la chapelle du Centre de la Vieille Charité (Life on the Line) et au FRAC (Back to Nature). Sans oublier la présence de deux œuvres dans l’exposition collective Quel Amour !? au Musée d’art contemporain. Claude Lévêque crée aujourd’hui des pièces autonomes qui posent moins la question de l’espace et de l’environnement, telles Sous le plus grand chapiteau du monde dans les fossés du Louvre médiéval et sous la Pyramide, Le bleu de l’œil au musée Soulages à Rodez, Cérémonie à La Maladrerie à Aubervilliers, et ses fameux néons qui ont construit sa légende : Lithium, Aube bleue et Tout va bien. En 2014 à la Cité radieuse, dans cet habitat privé équipé pratiquement comme à l’origine, Claude Lévêque avait créé une œuvre en écho à l’existant ; au cœur de la chapelle de Pierre Puget et de l’architecture futuriste de Kengo Kuma, ce sont des dispositifs élaborés, construits, avec une dimension spectaculaire. Mais avec économie et contre tout superflu. Il souligne la verticalité vertigineuse de l’une et l’horizontalité de l’autre en créant des dispositifs qui « laissent toujours place au vide, à l’espace à investir, à l’imagination ». Des productions inédites qui provoquent un effet physique très sensoriel renforcé par un travail sonore sophistiqué selon le directeur du FRAC Pascal Neveux : « Les propositions de Claude Lévêque effacent les arêtes de l’architecture du Frac, la métamorphosent, nous font perdre nos repères et nous permettent de revenir à un état particulier


69 qui est celui de ressentir. À l’étage, la palissade en bois brut dégage toutes ses odeurs et la lumière l’embrase. On n’est pas dans une exposition ni dans une rétrospective, on est dans un dispositif à expérimenter. Quant au vélo d’enfant suspendu entre les étages, avec son ombre portée sur le mur, il fait affluer les souvenirs d’enfance ».

Zibeline : Quel rapport entretenez-vous avec Marseille où vous avez présenté Être plus fou que celui d’en face à la Cellule 516 de la Cité radieuse et Scarface au cinéma Les Variétés ? Claude Lévêque : C’est une formidable opportunité d’être de nouveau à Marseille car c’est la ville que je préfère en France. J’ai même envie d’y trouver un pied à terre. C’est une ville qui me stimule depuis toujours, qui n’est pas facile et où je n’ai pas toujours tout réussi. On n’est pas sur la Côte d’Azur ! Par comparaison, Paris est une ville d’opérette formatée pour Claude Levêque, Back to nature, FRAC, Marseille 2018 © jcLett les touristes, Marseille non. Les gens ici sont abordables, disponibles, même tard détails architecturaux. Sa forme verticale, ses dans la nuit. Je m’y sens très bien. Elle est dimensions imposantes ajoutées à la diffusion forte socialement mais elle n’est pas violente : sonore infrabasse impactent l’architecture. elle ressemble à Los Angeles sur le plan du Je me suis posé beaucoup de questions, lonmulticulturalisme. Le quartier de la Belle de guement, car ce lieu patrimonial est assez Mai est complètement incroyable ! Même si chargé et je ne voulais pas le surcharger. Marseille doit changer un jour, il faudra encore Et au FRAC ? du temps du côté des quartiers populaires. Ce sont d’autres contraintes. La problématique En travaillant au FRAC, vous avez n’est pas simple non plus car les différents quand même constaté des changements espaces ne sont pas dissociables, la salle du urbains ? bas est trapézoïdale et munie de colonnes, liée La gentrification de La Joliette est une à l’étage supérieur par un puits de lumière. J’ai catastrophe. On arrivera à une métamor- eu envie de créer une pénombre, de tendre phose impossible si tous les quartiers sont vers l’infini, et puis il y a aussi ce vide assez massacrés comme celui-là. Mais peut-être vertigineux… C’est l’équipe du FRAC qui qu’économiquement il est rentable ? Par a produit la table à roulettes présentée au contre, je trouve les Docks magnifiques, même rez-de-chaussée et c’est une classe du lycée si les commerces franchisés à perte de vue, professionnel Poinso-Chapuis à Marseille c’est une calamité. qui l’a réalisée d’après mon idée. Quand j’ai Vous inscrivez vos dispositifs dans trois souhaité agrandir la table Louis XV, j’avais architectures diamétralement opposées : dans la tête une carcasse de cerf. Je lui ai mis comment les avez-vous appréhendées ? des roulettes pour signifier que l’on pouvait Ont-elles influencé votre production ? la pousser. D’ailleurs je pourrais la retrouver J’interviens effectivement sur trois lieux n’importe où dans l’espace d’exposition, différents, l’un à caractère patrimonial et coincée contre un mur. C’est la première fois religieux, l’autre contemporain et le troisième que je crée un élément mobile que le public privé*. J’ai imaginé un voyage très fluide entre peut déplacer. L’espace est trapézoïdale, c’est eux. Pour la chapelle de la Vieille Charité, comme une forêt. j’ai travaillé sur la verticalité. J’ai conçu un On connait votre fascination pour la « tronc d’arbre », une œuvre pas trop lourde lumière. Elle semble ici avoir évolué et de sens, même si elle pèse 600 kilos, dont les les néons que l’on attendait ont disparu… reflets en miroir peuvent fragmenter tous les À la Chapelle, j’ai pris le parti de ne pas

travailler sur la lumière artificielle mais sur la lumière naturelle : dans un espace baroque comme celui-ci elle a déjà du sens. C’est un jeu de reflets anamorphiques et d’effets cinétiques. J’adore les lieux religieux, ils me fascinent car ils produisent des récits, des œuvres et des gestes architecturaux. Pourtant je suis athée. Pour réaliser Life on the Line, j’ai choisi l’inox, un métal non chromé qui joue avec la lumière et avec la hauteur. Je suis encore stupéfait par la verticalité du dôme ! J’ai fait beaucoup de schémas et de simulations car les contraintes du lieu m’ont obligé à trouver des solutions. Là encore j’ai tâtonné, cherché, essayé, découvert avant que cela fonctionne. Je suis souvent dans l’incertitude. C’est une œuvre qui m’évoque la mémoire, le temps qui passe. Peut-on considérer que Back to Nature et Life on the Line portent un discours « politique » ? Pas du tout ! Je n’ai pas envie de porter un message, ce n’est pas mon rôle même si un artiste a un pouvoir. Surenchérir sur les messages me paraît malhonnête et même démago. Non, j’ai envie de m’amuser. Les messages, finalement, c’est la manière dont les gens s’imprègnent de mes projets. Cela m’intéresse beaucoup de connaître les sensations du public car cela fait avancer mon travail. Mais surtout je ne veux pas être dogmatique. Les pièces ici sont pulsionnelles, dans la pénombre, et le petit vélo bascule dans le vide. Certains vont peut-être y voir un message, ou de la poésie, ou un propos onirique. Le principal est d’être authentique avec les autres et avec moi-même. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

*Galerie 7 clous, Patrick Raynaud, Marseille, sur rendez-vous. septclousamarseille.com

jusqu’au 14 octobre Life on the Line Chapelle du centre de la Vieille Charité, Marseille 04 91 14 58 38 musees.marseille.fr Back to Nature FRAC, Marseille 04 91 91 27 55 fracpaca.org


70 critiques arts visuels

La délicatesse de l’iconoclaste Ai Weiwei

J

udith Benhamou-Huet joue carte sur table : « Ai Weiwei est une star internationale du monde de l’art. On a vu beaucoup d’expositions dans le monde mais celle du Mucem est l’une des plus spectaculaires ». Que faut-il donc attendre de cette exposition, pardon, de ce spectacle ? Dès lors Guy Debord nous rattrape avec La société du spectacle écrit en 1967 ! Il faudra dépasser la monumentalité ostentatoire de certaines installations pour explorer l’envers du décor : son histoire familiale, sa trajectoire personnelle, sa rage contre l’injustice. « C’est là que se dessine le destin d’Ai Weiwei » rappelle la commissaire d’exposition qui a pénétré l’antre de l’artiste exilé à Berlin depuis 2015, interdit de séjour dans son pays natal, la Chine, où il fut détenu durant 81 jours en 2011 Photo Mucem, Scénographie Ai Weiwei Cécile Degos, Juin 2018 © Francois Deladerriere puis assigné à résidence en 2013. Parcours compliqué entre l’Asie et l’Occident, à l’image de celui de son père, le poète et érudit Ai Qing Déclaration des droits de l’homme et des droits de qui connut l’exil et le camp de rééducation avant sa réhabilitation la femme. La Colored House de 8 tonnes, témoin en 1979. d’une culture ancestrale en voie de disparition, aux Militant de l’avant-garde chinoise dans les années 1993/96, vent debout structures en bois badigeonnées de peinture industrielle contre les autorités après le séisme du Sichuan en 2008, défenseur criarde. Surveillance Camera with Plinth sculptée des migrants réfugiés en Grèce (il a réalisé le film Human Flow), dans le marbre qui évoque la mise sous surveillance Ai Weiwei affronte les réalités avec la puissance d’un bulldozer. permanente des populations. Ou encore le Grand lustre Une force matinée de délicatesse contenue dans ses pièces, visible composé de 61 lustres accrochés à un gigantesque au-delà du faste pour qui creuse l’intimité, apprécie l’humour, saisit porte-bouteilles, nouveau clin d’œil à Duchamp dont l’impact du détournement et comprend l’influence de Duchamp et il est l’héritier dans l’esprit et dans la forme. D’autres Warhol dont il découvrit les postures radicales pendant ses études plus modestes s’immiscent dans le parcours, des objets à New York. Car c’est aussi dans le ready-made et la marge qu’il anciens détruits ressuscités en œuvre d’art (« objets absurdes »), des objets détournés (la découpe d’un a nourri sa réflexion. Plusieurs strates de lectures sont à l’œuvre I-Phone), d’autres issus des collections du Mucem dans ses créations, la première basique et immédiate, les deuxième (lanternes magiques, carte-réclame qui évoquent la et troisième plus analytiques selon les points de vue chinois et occidental. Car Ai Weiwei fait la passerelle entre deux mondes filiation historique entre la France et la Chine), un mur qui se méconnaissent : l’art traditionnel chinois et l’art conceptuel de citations personnelles et des archives sur son père occidental. De ces allers-retours est né « un artiste subversif » tout qui découvrit, avant lui, le port de Marseille. C’était en 1929 à la Joliette. autant qu’hyper connecté et ultra créatif comme en témoigne MARIE GODFRIN-GUIDICELLI l’exposition Fan-Tan dont le titre espiègle fait référence à un char d’assaut anglais qui a opéré sur le sol français durant la Première Guerre mondiale et au nom d’un jeu de paris local comparable à la roulette. Une énième pirouette d’Ai Weiwei… Fan-Tan Dans la série des objets spectaculaires, pierres angulaires de son jusqu’au 12 novembre travail, deux savons de Marseille en bronze couleur jade, pesant Mucem, Marseille une tonne chacun, gavés d’huile d’olive et gravés d’articles de la 04 84 35 13 13 mucem.org


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2018 2019 2018 2019

RICHARD BERRY & MATHILDE SEIGNER DANS LA NOUVELLE MARIE-ANNE CHAZEL & PATRICK CHESNAIS RICHARD BERRY & MATHILDE SEIGNER DANS LA NOUVELLE DANS TANT QU’IL Y A DE L’AMOUR MARIE-ANNE CHAZEL & PATRICK CHESNAIS JEAN-LUC REICHMANN DANS NUIT D’IVRESSE DANS TANT QU’IL Y A DE L’AMOUR VINCENT DEDIENNEDANS & LAURE CALAMY JEAN-LUC REICHMANN NUIT D’IVRESSE DANS LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD VINCENT DEDIENNE & LAURE CALAMY LE BANQUETDANS DE MATHILDA MAY • LES LE JEU DE L’AMOUR ET DUTAMBOURS HASARD DU BRONX ARIELLE DOMBASLE, GALANTER, LE BANQUET DE MATHILDA MAY •MAREVA LES TAMBOURS DU BRONX ARIELLE DOMBASLE, MAREVAAVEC GALANTER, LES PARISIENNES INNA MODJA & HELENA NOGUERRA INNA MODJA & HELENA NOGUERRA AVECDE LESMILAN PARISIENNES SWAN LAKE PAR LE BALLET SWAN LAKE PARCREW LE BALLET DE JAMAIT MILAN POCKEMON • YVES JAMAIT PIERREPOCKEMON LAPOINTECREW • CINÉ• YVES CONCERT ONE PIECE PIERRE LAPOINTE • CINÉ CONCERT ONE PIECE

Martin Carrese

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ACTIF DE


72 critiques arts visuels

Le plateau des conjurations

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haque intervention de Christophe Berdaguer et Marie Péjus découle d’une remise en question des rapports psychologiques et physiques de l’homme avec l’architecture. Quelles répercussions, quelles coexistences, quelles contagions ? Quels dysfonctionnements peuvent perturber ses formes ? À la Friche la Belle de Mai, Communautés invisibles est conçue comme une architecture « à son tour exposée aux virus et devenue elle-même un objet faillible, dégradable et malade » écrit la commissaire d’exposition Sandra Adam-Couralet, qui a mis en place depuis 2014 un protocole d’échanges avec le duo d’artistes marseillais. On entre de plain-pied dans un labyrinthe visuel et organique, confronté physiquement à l’espace, on traverse une forêt d’éléments en suspension (With Sarah), on scrute deux architectures miniatures pour percer le mystère de l’intime (Psychoarchitectures), on s’approche d’un Trou d’air odorant pour apercevoir un détail de l’ensemble de peintures sur papier Mémoires de feu réalisées à partir de suie récoltée chez A2C Services. Une composition qui transforme un sinistre en couleur, comme la sculpture architecturale With Sarah est la réminiscence d’un trauma vécu par Sarah Winchester dans sa maison habitée d’esprits

Berdaguer et Péjus, Kilda III, 2018, Chaînes, dispositif sonore, assises en caoutchouc © jcLett

maléfiques. Montrée démembrée et satellisée dans l’espace, en mouvement perpétuel, la pièce revêt une forme arachnéenne monstrueuse dans laquelle le tandem a inclus à chaque extrémité une balle de Winchester… Au fur et à mesure de la déambulation, l’impact des traumas et des histoires sur l’architecture

est de plus en tangible s’agissant d’un organisme vivant qui réagit à ses concepteurs et à ses habitants. Notre corps et notre subjectivité interfèrent sur l’architecture et les œuvres qui la composent, et inversement. Pour preuve, notre intrusion dans la Bulle de confiance qui diffuse de l’ocytocine, hormone qui modifie notre comportement en exacerbant artificiellement notre degré de confiance. Pour preuve encore, notre immersion dans l’installation Kilda (III), constituée d’une suspension en chaines, invitation à regarder par-dessus tête, l’esprit divaguant sur une bande sonore réalisée avec le GMEM d’après le Catalogue des oiseaux d’Olivier Messiaen. Partition rejouée à partir des sons du traquet rieur qui niche sur l’archipel Saint-Kilda, au large de la Grande-Bretagne. Un archipel naturel, une migration millénaire, un pépiement diffus : Christophe Berdaguer et Marie Péjus inventent un monument pour les hommes et une architecture pour les oiseaux, entre ciel et terre. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Communautés invisibles jusqu’au 21 octobre Friche la Belle de Mai, Marseille art-plus.org

Des récits, images après images

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remière exposition née de la fusion d’Astérides et Triangle France, Vos désirs sont les nôtres détourne l’expression « Vos désirs sont des ordres » par le prisme de l’acte artistique et de la pensée philosophique, invoquant l’affirmation « Le désir est constructiviste » de Gilles Deleuze. Dès lors l’exposition compose un paysage hétéroclite où les tableaux de cheveux artificiels de Pauline Boudry & Renate Lorenz tissent de noir et de blanc une narration tactile. Retour à la matière et à la sensation de carnation qui évoquent les zones opaques liées au travestissement et à la question de genre commune aux peintures de Kudzanai-Violet Hwami figurant des corps noirs non « genrés ». Autre medium, autre construction narrative : les vidéos de Roee Rosen et Liv Schulman développent une écriture documentaire à partir d’éléments réels et fictionnels. La réalisation de Roee Rosen et Ruti Sela prend la forme

Liv Schulman, L’Obstruction, 2017, vidéo 26 min. Courtesy de l’artiste.

d’un publi-reportage touristique sur Marseille tourné de manière absurde et décalée à Jaffa, le film Obstruction de Liv Schulman contraint Jean-Charles de Quillacq à rester coincé entre les jambes de David ou les pattes d’un taureau à Longchamp. Humour grinçant et sens du monologue désarticulé qui ont convaincu l’artiste à se mettre en jeu lui-même, parallèlement à sa performance Transport

amoureux réalisée entre La Friche et La Compagnie. Dans un registre incomparable, Ghita Skali scénographie les lieux de pouvoirs et construit Narrations machines, Épisode 1 comme la restitution d’une scène de crime produite durant un corporate incentive. Tel est ce nouveau récit constitué de « visions interprétatives, provocatrices, parfois même sarcastiques » en réaction aux pouvoirs, à l’autorité, au formatage. M.G.-G.

Vos désirs sont les nôtres jusqu’au 21 octobre La Friche la Belle de Mai, Marseille 04 95 04 96 11 trianglefrance.org


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La vie n’est pas un conte de fées

«D

ans ma vie, j’ai été la première femme invitée à la première Biennale de Venise commissariée par une femme, la première femme au Château de Versailles, au Guggenheim à Bilbao… Ce n’est pas mon choix. Je parle de moi-même, regardez les titres de mes expositions ! » clame Joana Vasconcelos, qui espère ouvrir la voie à d’autres femmes artistes. Et précise : « Je suis une chef d’entreprise qui emploie 60 personnes à Lisbonne, une équipe mixte et égalitaire où des hommes font des travaux a priori féminins, et inversement ». Les titres ? Je suis ton miroir à Bilbao, Exagérer pour inventer à Toulon, sortes de manifestes pour l’émancipation de la femme. Sa méthode ? Le détournement des traditions portugaises (azulejos, dentelles, crochet), la dénonciation des représentations du modèle matriarcal (la maison, la féminité, la cuisine), « la décontextualisation et la subversion des objets préexistants » selon Jean-François Chougnet qui met en relation œuvres anciennes, pièces iconiques et productions in situ. L’effet de surprise est garanti dès l’escalier d’honneur pour lequel l’artiste a conçu une 25e Valquíria à rebours des précédentes, It’s raining men, à partir d’éléments symboles du costume masculin : pantalons, chemises,

recouvert de perles et de crochet), Marcel Marcel (deux urinoirs crochetés en rose et blanc en hommage à Duchamp). Mais on fait également face à des travaux plus sombres dans leurs propos, et donc dans leurs formes. L’un, Passerelle, d’une extrême violence idéologique Passerelle, 2005, faïence, fer métallisé et thermolaqué, moteur, tableau de commande et de protection, et sonore, met en interrupteur à pédale. Collection d’Art Fondation EDP, Lisbonne © The New Art Gallery of Walsall ADAGP, Paris 2018. action un jeu de massacre pochettes, cravates, ceinturons, braguettes, le de chiens en céramique suspendus à une tout enchainé à la verticale. Au-delà de cette chaine de production industrielle. L’autre, pièce maitresse qui structure le parcours, le Glasshouse #1, offre une vision faussement défi était de renouveler notre regard sur une idyllique de l’enfance en reproduisant à œuvre qui fait partie du patrimoine mondial de l’échelle une maison de poupée en plastique l’art contemporain. On retrouve, bien sûr, son dans un matériau instable et ultrasensible : abécédaire textile – tissus, plumes, paillettes, le verre de Murano. borderies - dans des sculptures ornementales Sous la douceur de la broderie, il y a la piqûre ultra féminines (Lilaea et Madison, statues de l’aiguille… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI en ciment avec luminaires et crochet en coton) et des installations combinant tissus et carreaux de céramique, notamment dans Exagérer pour inventer jusqu’au 18 novembre une salle dédiée à l’art du bain : Ishtar Gate Hôtel départemental des arts, Toulon (douches murales), Dripping Springs (lavabo 04 83 95 18 40 hda.var.fr

Une vie de chien

L

es photographies humoristiques des canidés d’Elliott Erwitt sont à l’image de son autobiographie : « Elliott réalise que faire des livres est le meilleur contrepoison au travail alimentaire (…) Le millénaire prochain, il est décidé à prendre son temps ». Le documentariste, né en 1928, n’a pas son pareil pour traquer les relations de l’homme avec © Elliott Erwitt - Magnum Photos la gent animale, ses travers, ses excès et ses familiarités ; une manière chien ! Focus sur les yeux grands ouverts de habilement détournée de donner un coup de l’animal et les chaussures de sa maitresse, patte au genre humain. Son œil affûté repère sur l’impassibilité d’un spécimen étalé de les situations les plus absurdes ou drolatiques, tout son long sur un trottoir… Peu importe les plus tendres aussi, se glissant au plus le format, le portrait s’adapte à l’animal, pose près de ses sujets, voire même à hauteur de royale ou pris à la dérobée : il y a le chien

racé et éduqué, copie conforme de l’intérieur huppé d’une famille de Brighton ; le bâtard à l’aise dans un bar belge ; le chien errant sur le bitume de Brasilia. Parfois Elliott Erwitt réussit le ton sur ton et crée la confusion entre l’animal et son maitre, les choisissant ébouriffés ou carrément toilettés. Sage ou sauvage, câlin ou intrépide, farceur ou tendre, solitaire ou en meute, le chien est le miroir de l’homme : un double mimétique qui lui offre une énième occasion de dévoiler son regard humaniste plein de malice. M.G-G.

Dog Dogs jusqu’au 1er septembre Maison de la photographie, Toulon 04 94 93 07 59


74 critiques arts visuels

Faunes : attrapez-les tous à Lodève !

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uivez son regard : il nous indique la piste à suivre pour rencontrer celui qui l’a extrait de la roche. Le Faune de Paul Dardé accueille les visiteurs du Musée de Lodève rénové, et l’ambigüité de son sourire – il rit, certes, mais est-ce pour se moquer, prépare-t-il un mauvais coup, est-il simplement tendrement naïf ? – nous fait tourner les sens et invite à nous diriger vers l’une des trois expositions permanentes du nouveau musée : « Mémoires de pierres », consacrée au sculpteur natif du pays Lodévois. Quelle majesté ! Quelle présence ! Il est magnifiquement intrigant, en pierre de Lens, issu du geste de taille directe de l’artiste, dans la liberté d’un corps à corps avec ce bloc de calcaire de 14 tonnes et plus de 4 mètres de haut. Il est accroupi sur ses sabots, on devine ses cornes sous sa chevelure verticale. Paul Dardé, autodidacte monté à Paris, l’a conçu dans un atelier prêté par son ami Rodin en 1919. Ce monumental Faune lui a permis d’acquérir, à 31 ans, une notoriété internationale, dont il se détournera en affirmant sa volonté de développer son art hors des diktats et au cœur de sa région natale. Au prix d’une vie souvent misérable, il saura préserver la force

Paul Dardé (1888-1963) Faune, 1921 H 4 mètres Musée de Lodève, Dépôt du CNAP Photo © Musée de Lodève

de son inspiration. Le Musée de Lodève a su merveilleusement rassembler et traduire le langage de pierre du sculpteur, en particulier dans la salle « l’âme incarnée », où une série de visages nous font face, à observer les yeux dans les yeux. Certains sont inachevés, ce sont peut-être les plus émouvants, où on peut saisir l’intention de l’artiste, tenter de deviner ce qui reste tapi dans la masse minérale. L’empreinte, la trace, constituent le fil conducteur de l’ensemble du musée. Distribués autour de la « salle du passage » où trône

le Faune (architecte Daniel Meszaros, agence Projectiles), les différents espaces évoquent un récit qui court sur 540 millions d’années. « Traces du vivant » et « Empreintes de l’homme » proposent des voyages à la pointe des connaissances scientifiques à travers des incursions dans une instantanéité poétique et palpable. On suit le déplacement d’un animal préhistorique grâce à un éclairage mouvant qui révèle ses empreintes sur une dalle de 40 m2. On découvre une grotte habitée par des ours aux côtés d’un groupe de

Adolphe versus Hitler de Montpellier. Au début on est saisi : se retrouver face à face avec... Avec qui ? Avec quoi ? Qui est ce personnage qui se prête à tous ces scénarios ? Une quintessence de codifications : la moustache, la mèche, la vareuse, les yeux qui transpercent, les lèvres serrées -toutes Dans l’atelier du photographe, Selingstrasse, Munich, août 1927 Photographie de Heinrich Hoffmann ces attitudes qu’on © Bayerische Staatsbibliothek, München / Bildarchiv (Bavarian State Library, Munich / Picture archive) connaît par cœur. itler en bermuda, Hitler martial, Hitler Alors l’impression première s’estompe entouré de visages enamourés, Hitler à rapidement, pour laisser place à... À quoi ? la montagne, Hitler et sa chienne Blondi, Dégout ? Distance ? Curiosité de rencontrer Hitler en pique-nique, Hitler le bras levé, Hitler cet homme d’un peu plus près ? Il y a un peu le doigt tendu, Hitler à Paris. Hitler, Hitler, Hitler. de tout cela, et aussi, surtout et heureuseAd nauseam. Un dictateur en images est ment, un intérêt historique et documentaire à un parcours étrange parmi des centaines de découvrir la fabrication de cette icône. Devant portraits du Führer au Pavillon Populaire les poses et l’horreur qu’elles induisent à nos

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yeux aguerris, on découvre un photographe, Heinrich Hoffmann. Monomaniaque servile, l’opérateur a produit (lui et ses associés de sa florissante agence de presse) 2,5 millions d’images « officielles » du régime nazi, dont 12114 portraits d’Hitler aujourd’hui réunis à la Bayerische Staadtsibliothek de Munich. Ensemble, le modèle et le photographe ont inventé la posture charismatique du chef. Tout est contrôlé, répété (fascinante série de poses théâtrales devant rideau de scène), multiplié, matraqué. Rien n’est vrai, tout est fabriqué. On le savait. Grâce à Gilles Mora, qui présente pour la première fois une exposition de ces clichés, on perçoit l’importance –et la réussite- de la mascarade. Et, sous nos yeux, Adolphe devient Hitler. À l’étage, une autre exposition, contrepoint salvateur (ne serait-ce pas un excès de didactisme ?) à la première. Regards sur les ghettos (présentée dans une forme plus étendue en 2013 au Mémorial de la Shoah) présente 150 photographies surgies de l’intérieur de


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14 fois Picasso femmes et d’enfants qui ont laissé les traces de leurs pas lors d’une unique incursion, il y a 9000 ans... Les courtes vidéos d’animation (Les Fées spéciales), loin d’être invasives, accompagnent la découverte. Fossiles et objets, pertinemment présentés comme supports au récit, sont tous issus du territoire lodévois. L’exposition temporaire fait le lien avec l’ensemble : Faune fais-moi peur ! (commissariat Ivonne Papin-Drastik, directrice du musée) rassemble 170 œuvres en écho avec l’hôte du lieu. De l’Antiquité à Picasso, en passant par Chagall, Lalique, van Dyck (40 musées et collectionneurs ont contribué à l’événement, intégré dans le réseau Picasso-Méditerranée), la figure mythologique apparaît sous toutes ses formes, obscène, voyeuse, inquiétante, fascinante ou risible. Le choix thématique permet de confronter les pièces à travers les âges, et là aussi de raconter une histoire au delà des frontières du temps. ANNA ZISMAN

Faune fais-moi peur ! jusqu’au 7 octobre Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museelodeve.fr

cinq ghettos. Trois points de vue sur l’horreur. Celui de trois photographes juifs enfermés : émotion. Celui de trois envoyés spéciaux de la propagande allemande : effroi. Et celui, plus ambigu et extrêmement troublant, de cinq photographes amateurs, autorisés de par leur fonction dans l’armée ou l’administration à « documenter » le ghetto. Qu’avaient-ils en tête ? Arracher un peu de vérité sous les clichés ? Dénoncer ? Voir par eux-mêmes ces humains dont on disait qu’ils n’en étaient pas ? Ce sont leurs images, où l’on devine autant d’empathie que d’aveuglement et de sidération, qui surprennent et questionnent le plus. A.Z.

Un dictateur en images Regards sur les ghettos jusqu’au 23 septembre Pavillon populaire, Montpellier 04 67 66 13 46 montpellier.fr

Pablo Picasso, Grand nu, 1964, huile sur toile, 140 x 195 cm, Kunsthaus Zürich, 1969/2, photo © Kunsthaus Zürich, service presse / musée Fabre © Succession Picasso, 2018

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u’est-ce qu’un moment clé dans la production d’un artiste ? Un passage, une étape, une fulgurance qui fait basculer dans un langage différent. Des questions qui se résolvent ou se multiplient. Une invention qui s’impose. Une trouvaille qu’on s’autorise. C’est aussi ce qui aide les historiens de l’art à suivre le chemin de la création pour déchiffrer l’œuvre dans une logique rétroactive. L’exposition Picasso. Donner à voir propose d’isoler 14 chapitres dans le parcours pléthorique du peintre phare du XXe siècle. Longue et riche liste déroulée chronologiquement, entre deux autoportraits que 77 ans séparent. Celui de 1896 présente un Picasso de 14 ans sombre et fier. Le jeune peintre de 1972 est un enfant dont on hésite à penser s’il est espiègle ou profondément grave, déjà passé de l’autre côté du miroir : les traits s’estompent, le regard transperce, le sourire est aussi énigmatique que celui de La Joconde ; la palette et le pinceau, attributs suprêmes, sont l’armure et l’épée de ce fantôme d’enfant chapeauté comme un mousquetaire. Picasso a 90 ans et quelque 70000 œuvres derrière lui. Inséré dans le parcours Picasso-Méditerranée lancé par le Musée national Picasso-Paris, le Musée Fabre (Montpellier) est le seul qui présente un regard global sur l’œuvre du peintre. Plus d’une centaine de productions (issues de grands musées mondiaux et de collections particulières) sont exposées dans une muséographie très

pertinente (Joris Lipsch et Floriane Pic), qui déconstruit le linéaire pour offrir un regard panoptique : les fameuses périodes (bleue, cubiste, archaïque, surréaliste...) se laissent traverser l’une l’autre, mettant en évidence le permanent état de recherche de Picasso, qui jamais ne fait table rase d’un « moment » à l’autre, mais toujours établit un dialogue autant avec lui-même qu’avec l’histoire de la peinture. Rien n’est vraiment séparé, tout s’interpénètre, entre décennies, ou au contraire d’un jour à l’autre. C’est en effet très émouvant de saisir en perspective le néo-classicisme de La flûte de Pan (1923) et l’introduction du vide, de la « réserve », dans les Femmes d’Alger d’après Delacroix (1955), où la toile non peinte accède au langage pictural. Très troublant aussi de découvrir que quelques mois seulement séparent le Nu aux bas rouges (1901), aux effluves très Toulouse-Lautrec, et Femme repassant (1901), où sourd la période bleue. L’œil flotte d’un « incontournable » à l’autre, le déroulement est intuitif, et le choix réussit cet exploit de ne pas submerger, pour au contraire étonner et apprendre. A.Z.

Picasso. Donner à voir. 14 moments clé jusqu’au 23 septembre Musée Fabre, Montpellier museefabre.montpellier3m.fr


76 au programme arts visuels bouches-du-rhône hérault

Normal Studio Eloi Chafaï et Jean-François Dingjian -alias Normal Studio- présenteront une trentaine de leurs créations réalisées ces dix dernières années. Intégrées au lieu de vie conçu par Le Corbusier, parmi ces pièces uniques ou produits de grande série, prototypes et recherches expérimentales, plusieurs pièces seront montrées pour la première fois en France, comme leurs luminaires réalisés au Cirva, à Marseille. C.L.

Normal Studio à l’appartement 50 jusqu’au 15 août Cité Radieuse Le Corbusier, Marseille 06 86 23 73 78 cirva.fr

Normal Studio à l’appartement N°50, Marseille © Morgane Le Gall- FLC- ADAGP

Mathias Poisson Depuis La Canebière jusqu’à Mimet et Saint-Savournin, en passant par le massif de l’Étoile, Mathias Poisson a voyagé au ralenti guidé par les rencontres et les paysages. De son périple est née une étude détaillée dessinée à la plume de bécasse, fruit de son exploration d’une zone périphérique si loin et si proche… M.G.-G. La face nord de l’étoile jusqu’au 2 septembre Le Bureau des guides, Marseille

1001 nuits, exposition au 152 La Canebière, Marseille, 2018 © Mathias Poisson

Tous à la plage ! Galerie 1 Cube et Fermé le Lundi conversent par photographies interposées autour des mythes et réalités de la plage. Une injonction plaisante, une invitation amusée, un appel au large lancés par deux galeries qui rassemblent une myriade de regards (30 artistes !) braqués sur « un territoire aux frontières des temps et des éléments ». M.G.-G. No Limit - Méditerranée Atlantique, 2017-2018, Exposition Fermé le Lundi, Marseille © Éric Bourret

jusqu’au 31 août Fermé le lundi-Espèce d’espace photographique et Galerie 1 Cube au Studio Aza, Marseille 06 61 71 08 52 et 06 09 82 59 15

François de Asis Artiste peintre et sérigraphe (La pluie d’été avec Yves Bonnefoy et Palmyre avec Philippe Jaccottet), François de Asis est l’une des voix de la peinture paysagère faite d’immédiateté. Ni figurative, ni abstraite : inclassable. À la galerie Vincent Bercker, il nous rappelle qu’il n’a jamais cessé de se confronter au motif naturel ou architectural. M.G.-G. La cathédrale Saint-Sauveur jusqu’au 31 août Galerie Vincent Bercker, Aix-en-Provence 04 42 21 46 84 La cathédrale Saint-Sauveur © François de Asis


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Gallifet Art Center C’est une invite à ressentir le temps et l’espace autrement, grâce au compagnonnage des œuvres de Gaetano Cunsolo, Rebecca Digne, Come di Meglio, Charlie Jouan, Alexandre Korzeniovski, Charles le Hyaric et Théophile Stern, certaines conçues pour l’événement. Le visiteur composera, en plein cœur de la ville, son propre cheminement, hédoniste ou contemplatif. C.L. Ailleurs, rendre du temps au temps jusqu’au 30 septembre Gallifet Art Center, Aix-en-Provence 09 53 84 37 61 hoteldegallifet.com Ailleurs, installation de Théophile Stern, vue partielle, 2018. Photo © Romain Menu

Sophie Calle Sophie Calle a parcouru le domaine La Coste en tous sens avant de créer dans les bois Dead End, une sépulture qui est à la fois une installation et un lieu de performance. Cette création pérenne est augmentée d’une exposition temporaire à double visage : un nouveau projet autour de la Collection Série noire et sa pièce maitresse Douleur exquise. M.G.-G. jusqu’au 15 août Château La Coste, Le Puy Sainte-Réparade 04 42 61 92 92 chateau-la-coste.com Installation image. Sophie Calle, Dead End exhibition at Château La Coste, France. 2 Jul – 15 Aug 2018 © Stephane Abourdam, Wearecontent(s)

La Panacée L’art prend la parole, critique, revendicatrice, sociétale avec deux artistes activistes emblématiques : Pope.L installé à Chicago dont c’est la première exposition en France, et le Britannique Bob and Roberta Smith pour une rétrospective de son œuvre sous forme d’une immense frise déclamative. À amplifier avec le programme du Talk show festival tout l’été (films, performances, événements...). C.L. Pope.L, One thing after another Bob and Roberta Smith, Activist jusqu’au 26 août La Panacée, Montpellier 04 34 88 79 79 lapanacee.org Bob and Roberta Smith, There should be no artists Signwriters paint on board, 90 x 80 cm

Mademoiselle Elles composent la nouvelle génération d’artistes femmes. Entre gravité et humour, leurs interrogations résonnent comme des plus actuelles (la fin du titre Mademoiselle, #MeToo...). Cette sélection d’une trentaine d’artistes de tous horizons et de pratiques éclectiques rappelle que le féminisme ne saurait revêtir un questionnement ni une forme uniques. C.L. Mademoiselle 21 juillet au 6 janvier 2019 Centre régional d’art contemporain, Sète 04 67 74 94 37 crac.laregion.fr

Tschabalala Self, Princess, 2017. Courtesy artiste et Pilar Corrias, Londres. Photo © Hugard and Vanoverschelde


78 critiques livres

Œuvre au noir

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ublié en 1928, le roman de Tanizaki Jun’ichirô, Kokubyaku, Noir sur Blanc, est enfin traduit du japonais aux éditions Picquier. Tanizaki, avec un art subtil de la distanciation, rend son personnage principal, romancier, jouet et créateur des circonstances, dépassé par la réalité qu’il a fait entrer dans son texte. L’écrivain Mizumo, image dégradée de Tanizaki, écrit une intrigue au cours de laquelle l’un des personnages, fortement inspiré de l’une de ses connaissances, meurt assassiné. Mais, par inadvertance, Mizumo a glissé, au détour d’un paragraphe, le vrai nom de cette personne : Kojima. Pour rattraper son erreur, il décide d’écrire une suite pour la commande suivante du journal qui l’emploie. Ironie du sort, peu de temps après, le réel rejoint la fiction : Kojima est abattu dans les circonstances décrites par Mizumo ! Autre détour équivoque, sa publication évoque une « histoire d’un homme obnubilé par la question de savoir s’il (est) possible de commettre un meurtre (…) sans laisser aucune trace » ! Et voilà notre auteur suspect numéro un ! Auparavant,

animé par la crainte de cette éventualité, il avait même tenté de se concocter un alibi en ayant des relations suivies et tarifées

ni nom ni adresse et disparaît ! Pris au piège de ses propres écrits, l’auteur, protagoniste de son propre récit, s’englue irrémédiablement dans l’agencement implacable et pervers de son œuvre. Lui, si paresseux, qui n’écrit que sous la contrainte et dans l’urgence, dues à ses dettes innombrables, se voit au pied du mur. L’écriture, maîtresse des illusions, devient instrument de torture, diluant les frontières entre le vrai et « le manteau magique de la fiction ». Tanizaki offre ici, outre un panorama sans concession de la vie quotidienne dans le Japon des années 30, une exploration en abyme des méandres de la pensée. Un art poétique construit en une spirale implacable qui tient le lecteur en haleine de bout en bout. MARYVONNE COLOMBANI

avec une dame qui pourrait témoigner de son innocence au cas où la réalité viendrait concrétiser la fiction. Mais la dame ne laisse

Noir sur Blanc Tanizaki Jun’ichirô Traduction par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré Éditions Picquier 19.50 €

est ruinée. Alors ils mettent cap à l’ouest, embarquent à New-York un équipage et des candidats au voyage, et vogue le Freedom jusqu’à Valparaiso puis San Francisco. Dans

en Californie où règne très souvent la loi du plus fort. Mais rien n’arrête Mercator, qui parviendra à bâtir un empire florissant grâce aux arbres géants dont il va faire commerce, les séquoias, « les cachalots de la terre ferme ». De facture classique, empli des topoï habituels du récit de voyage et d’aventure, ce grand roman séduit par la multiplicité des intrigues et les nombreux personnages qu’il fait vivre. Mercator et ses frères bien sûr, mais aussi le professeur Altmaier, dont la passion pour les livres fera la fortune, et surtout l’étonnante Sara Magnet… Mais chut ! Laissons au lecteur le plaisir de découvrir par lui-même une belle histoire de conquête et de liberté, dans une Amérique mythique qui faisait alors rêver le monde entier.

Freedom fever

A

vis aux amateurs de récits fertiles en rebondissements, de grands espaces, d’épopées périlleuses…Séquoias, le deuxième roman du journaliste Michel Moutot, est pour vous. Naviguant de l’île baleinière de Nantucket (Massachusetts) à la Californie, il embarque le lecteur vers les temps farouches et héroïques de la conquête de l’Ouest américain et de la fameuse ruée vers l’or, qui, au mitan du XIXe siècle, enflamma les esprits et vit toutes sortes d’individus venus du monde entier se jeter à corps perdu dans l’aventure, en quête du filon merveilleux qui ferait leur fortune. Gold fever. Amère déception pour la plupart des chercheurs d’or. Réussite exceptionnelle pour ceux qui ont compris que ce ne serait pas le métal jaune qui leur assurerait la richesse, et ont su habilement tirer profit de l’arrivée en masse de tous ces migrants sur le sol californien. Mercator Fleming est de ceux-là. À la mort de son père, il se rend vite compte qu’ils ne pourront plus, ses frères et lui, vivre de la chasse à la baleine. Le Freedom, le baleinier paternel, est hypothéqué, l’entreprise familiale

FRED ROBERT

Séquoias, les risques sont partout : sur les océans d’abord, où il faut affronter de multiples tempêtes et surtout le terrible cap Horn, puis

Séquoias Michel Moutot éditions du Seuil, 21,50 €


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Un genre de fille qui nous ressemble

L

e genre à traîner dans les Monoprix, à tenir la porte, à parler tout haut aux toilettes, à se plaindre beaucoup, à se croire sans cesse atteinte des pires maladies, à aimer repasser, à ne pas supporter les phrases sur le bonheur, Juliette est tout cela, et bien d’autres choses encore. Je suis le genre de fille est le titre du dernier roman de Nathalie Kuperman ; c’est aussi par cette proposition que commencent trente-deux des trente-trois brefs chapitres qui le composent. Une sorte de chronique douce-amère que tient cette quadragénaire « arrangeante » et complexée. L’inventaire mi-figue mi-raisin d’une existence banale, faite de solitude, de ratages en séries (au travail, en famille, en amour), d’atermoiements et de bonnes résolutions jamais tenues. On pourrait refermer le livre avec un bâillement d’ennui devant un étalage apparemment nombriliste. Sauf que ce n’est pas du tout le cas. Bien au contraire. Car à chaque page, on sourit (on pouffe même parfois), tant Nathalie Kuperman est douée pour le maniement des armes de dérision massive. Là réside une des

grandes forces de ce récit très contemporain. On y parle de deuil, de perte, de désespoir… mais pas question d’en faire un drame. C’est

quotidiennes. Nous aussi nous excusons trop, envoyons des mails vengeurs que nous regrettons aussitôt, acceptons des invitations par pure politesse… Il est tellement difficile d’oser dire non. Cette fille ressemble à bien des femmes d’aujourd’hui. Sa vie, à bien des vies. Mais derrière le sourire et la satire de nos existences bien rangées sous la bannière du bio et du bonheur à tout prix, sourd ce qui fait la profondeur de ce roman faussement léger, très subtil en réalité : la recherche d’une mère trop tôt disparue, qu’on appelle en vain, dont le fantôme rôde entre les pages, jusqu’au moment des retrouvailles… Alors le rire se noie dans les larmes. Des larmes de tendresse, qui font du bien. FRED ROBERT

Nathalie Kuperman était invitée à Marseille en mai dernier pour la deuxième édition du festival littéraire Oh les beaux jours ! l’élégance de Juliette de se moquer ainsi d’elle-même, et par là, de nous faire rire de nos propres défaillances, de nos petites défaites

Je suis le genre de fille Nathalie Kuperman éditions Flammarion 18 €

Naissance d’une conscience collective

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e troisième volet de la tétralogie de Pramoedya Ananta Toer, Buru Quartet, Une empreinte sur la terre, suit l’itinéraire de Minke, aux débuts du XXe siècle, au cœur des Indes Néerlandaises. La vie du personnage se rapproche ici de la biographie et s’inspire largement de celle du journaliste Tirto Adhi Soerjo (1880-1915), grande figure de l’éveil national indonésien. Minke arrive à Betawi (Batavia, actuellement Jakarta), la capitale, pour entrer à l’école prestigieuse de médecine, la Stovia, réservée aux indigènes. Transporté par l’enthousiasme de découvrir un monde nouveau comme le siècle qui débute, il se sent enfin « entièrement libre de corps, de cœur et d’esprit », « moderne ». Certes, l’école exige des élèves de se vêtir de manière traditionnelle et rester pieds nus, mais son statut de Raden Mas (le plus haut titre dans l’aristocratie javanaise) l’autorise à fréquenter notables influents, intellectuels, gouverneur… Peu après la mort de sa deuxième épouse, Mei, pour laquelle il a délaissé ses études afin de la soigner, il est renvoyé de la Stovia (à la veille de sa dernière année d’études). « Je préfère

mille fois être un individu libre qu’un médecin du gouvernement » déclare-t-il alors à ses condisciples, « nous nous reverrons dans le monde réel ». Ce monde réel, il va l’aborder

inhérentes à la composition pluriethnique, pluriculturelle, pluricultuelle, plurilinguistique, et au système complexe des castes de cette région du monde, seront un frein à la première association, mais naît un journal dont Minke est le rédacteur en chef, le Medan qui sera lu jusqu’en Europe. Le livre arpente les Indes Néerlandaises, nous fait prendre conscience de leur complexité géographique et ethnologique, resituant ce territoire dans son contexte politique, commercial, international. Un roman d’une passionnante acuité, dans lequel le personnage se construit en même temps que sa conscience politique et collective. Le quatrième volet de Buru Quartet sortira en octobre. MARYVONNE COLOMBANI

par le biais du journalisme, et sa contribution à la fondation des premières associations d’indigènes de l’Indonésie. Les difficultés

Une empreinte sur la terre Pramoedya Ananta Toer Traduction Dominique Vitalyos Éditions Zulma, 24.50€


80 critiques livres

Le Douanier des rêves

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près des brillantes études d’art à Paris, Hayakawa Orie, éminente spécialiste d’Henri Rousseau, était retournée au Japon, et avait changé complètement de vie en choisissant un simple poste de surveillante de musée. En 2000, son passé la rattrape quand elle est convoquée chez le directeur : elle est réclamée par le MoMA pour participer aux négociations pour le prêt de la dernière oeuvre de Rousseau exécutée six mois avant sa mort en 1910, Le Rêve. La voilà brutalement projetée 17 ans en arrière. Commence alors le récit d’une étrange aventure lors de l’été 83. Tandis qu’elle est chercheuse à Paris, elle est sollicitée pour se rendre à Bâle chez un célèbre et mystérieux collectionneur d’art. Elle y rencontre Tim Brown, assistant du conservateur du MoMA. Tous deux sont mis en concurrence pour décider de l’authenticité d’un tableau qui ressemble au Rêve et s’intitule J’ai rêvé. Ils ont sept jours pour trancher. Sept jours pour s’observer, se mesurer, s’apprécier… peut-être. Le lecteur assiste à l’avènement de l’art naïf,

pénètre dans l’univers étrange de cet artiste talentueux mort dans la pauvreté, souvent décrié et moqué, mais reconnu par Picasso

parfaitement le milieu, nous entraîne dans les secrets des négociations des musées, révèle la rivalité entre les conservateurs, le rôle des banques et de la presse, les rapports de force et la méfiance entre les mondes occidental et oriental. Le « voyage » d’un tableau unique et inestimable est une entreprise périlleuse, et d’énormes intérêts financiers sont en jeu. Le texte est à plusieurs voix, avec une typographie différente pour chacune, et se lit à la fois comme une enquête policière et le récit romancé de la vie de Rousseau et de la genèse de son œuvre. Captivant. CHRIS BOURGUE

et Apollinaire qui l’ont aidé en lui achetant des tableaux. L’auteure, Harada Maha, qui est conservatrice au Japon et connaît

La toile du Paradis Harada Maha Éditions Philippe Picquier, 20 €

Drôle de consul

D

e Jean-Christophe Rufin, on garde en mémoire L’Abyssin (prix Méditerranée et Goncourt du premier roman en 1997), Rouge Brésil (prix Goncourt 2001) ou plus récemment Le tour du monde du roi Zibeline (2017), palpitants récits d’aventures qui mêlent habilement la petite histoire à la grande. Mais si le prolifique académicien s’est également frotté à l’anticipation (notamment avec Globalia paru en 2003), jamais encore il n’avait abordé le genre policier. C’est chose faite avec Le suspendu de Conakry, premier volet d’une trilogie mettant en scène un enquêteur atypique fort attachant. Aurel Timescu est « l’adjoint calamiteux » du Consul Général de France à Conakry. D’origine roumaine, il a fui la dictature de Ceausescu, puis a longtemps travaillé comme pianiste de bastringue avant de devenir diplomate. Pour cet homme étrange, sans âge, à la sentimentalité exacerbée et à la dégaine improbable – il s’obstine à se vêtir comme s’il vivait en Europe centrale ou à Paris en hiver, alors qu’on étouffe sous un soleil implacable ; les descriptions de ses tenues

font d’ailleurs immédiatement transpirer - un tel poste en Guinée n’est ni plus ni moins qu’une mise au placard, qu’Aurel supporte

la tranquille marina aux eaux turquoise, on a découvert le corps d’un plaisancier tué par balle et suspendu au mât de son voilier… Nul doute que le passé de diplomate de Rufin l’a servi dans la construction de l’intrigue comme dans la peinture de l’atmosphère très particulière du consulat et du petit cercle des expatriés. En résulte une histoire somme toute assez classique, dont on ne dévoilera évidemment rien. Le plaisir essentiel tient au personnage décalé d’Aurel, dont les méthodes très particulières d’investigation et de déduction ne sont pas sans rappeler celles d’illustres détectives. Alors, simple clin d’œil au roman policier traditionnel ? Peut-être, mais qu’importe, car on passe un très agréable moment en compagnie de ce consul peu ordinaire. FRED ROBERT

en sirotant du tokay bien frais, en jouant du piano la nuit…et en menant, sans en avoir le moindre droit officiel, son enquête. Car, dans

Le suspendu de Conakry Jean-Christophe Rufin éditions Flammarion 19,50 €


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La place est publique

J

oëlle Zask est l’auteure de La démocratie aux champs, ouvrage paru en 2016 aux éditions La Découverte, pour lequel elle nous avait accordé un entretien passionnant (lire sur journalzibeline.fr). La philosophe publie, cette fois chez au Bord de l’Eau, son nouveau livre : Quand la place devient publique. Un titre qui invite immédiatement à se questionner : comment la place, ce lieu destiné à accueillir les populations, aurait-elle besoin de devenir publique ? C’est que le sujet lui-même est contre-intuitif : « Souvent béantes, centrées, aplanies, trop vastes, sans relief, équipées d’une armée de caméras, jalonnées de barrières Vauban ou dépourvues d’assises, les places qui devraient logiquement accueillir les publics, au contraire, les repoussent ». Joëlle Zask nous apprend que l’étymologie du mot dérive du platane, en grec, arbre opulent qu’Hippocrate disait favorable à la concentration intellectuelle et à la transmission des connaissances. Aujourd’hui encore en Méditerranée, les places les plus plaisantes bénéficient de son ombrage centenaire.

Celles, évidemment, qui n’ont pas encore été attaquées par un pouvoir ivre de standardisation, privilégiant la surveillance à la

plus le temps passe, plus les places disparaissent, souffrant de la « tragédie des biens communs » (une expression qu’elle emprunte à l’écologue américain Garrett Hardin). Riche de dizaines d’exemples, mis en relief depuis l’histoire urbaine de multiples civilisations, ou piochés dans les évolutions récentes à travers le monde, ce court essai « n’a rien d’un manuel destiné à concevoir des places suivant des règles précises, il est en revanche destiné à l’usager-architecte qui est en chacun de nous ». Car pour Joëlle Zask, la place démocratique idéale n’existe pas, elle s’élabore en fonction du contexte environnemental, historique, et des gens qui la fréquentent. Ouverte, souple, vivante et multi-usages, elle découle de l’auto-gouvernement. GAËLLE CLOAREC

convivialité, le spectacle politique aux initiatives citoyennes, les espaces rentables à la flânerie, la voiture aux déplacements doux. Triste constat de cette fine observatrice :

Quand la place devient publique Joëlle Zask Éditions Le Bord de l’Eau, 18 €

35ème édition des Journées Européennes du Patrimoine les 15 et 16 septembre 2018 Sur le thème de «L’ art du partage», les prochaines journées européennes du patrimoine se tiendront dans le cadre de l’Année européenne du patrimoine culturel 2018. Cette année, le ministère de la Transition Écologique et Solidaire s’associe au ministère de la Culture pour la valorisation des patrimoines naturel et paysager.

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des visites libres et guidées de nombreux sites, monuments, musées, expositions... visites inédites, insolites, simplement exceptionnelles, des ateliers pour toute la famille autour de thèmes historiques, artistiques ou architecturaux, plus de 1 000 manifestations sur 133 communes de la région, une carte interactive sur le site national des JEP, un site internet, celui de la Direction régionale des affaires culturelles : http://www.culturecommunication.gouv.fr/ Regions/Drac-Paca

Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur 23 boulevard du roi René - 13617 Aix-en-Provence Cedex 1 04 42 16 19 00 - jep.dracpaca@culture.gouv.fr


82 critiques livres

Sur les pas de Marie-Madeleine

L

e sicilien Andrea Camilleri est très connu dans le monde entier pour ses polars. Le dernier roman qui vient d’être traduit en français peut s’inscrire au premier abord dans cette veine d’enquête policière, mais la dépasse par le style d’écriture adopté et le parcours étrange de la femme qui est au centre du récit. En effet, tout ressemble à une enquête car il y a disparition, recherches d’indices, questionnements, mais très vite le commissaire a l’intuition que Laura a disparu volontairement. Qui est-elle ? Une jeune femme talentueuse de 31 ans, sur le point de publier son premier roman, épouse depuis quatre ans d’un écrivain célèbre de 65 ans. Partie pour se reposer dans sa maison de campagne. Or son mari comprend qu’elle ne s’y est pas rendue. Inquiet, il a alerté la police, confié des documents privés et des lettres appartenant à Laura qui peuvent éclaircir certaines zones d’ombre, mais il refuse de les consulter luimême. Le récit progresse par flashes, avec des témoignages, des coupures de journaux, des entretiens téléphoniques, des conversations

d’anciens amants de Laura, des déclarations de la femme de ménage… Aucune partie narrative. Peu à peu se dessine un portrait

vie, ou tente-t-elle un coup publicitaire pour lancer sa carrière ? Il apparaît peu à peu que son mari a ignoré volontairement son passé et même ses relations depuis le mariage, il ne connaît même pas sa meilleure amie. Le commissaire découvre les recherches qu’a fait Laura sur les fresques de Fra Angelico à San Marco ; l’une d’elle s’appelle Noli me tangere, ne me touche pas en latin, qui donne son titre au roman. Elle fait allusion à la rencontre de Marie-Madeleine et Jésus après sa résurrection dans l’Évangile selon Saint-Jean. Ce « Noli me tangere » va devenir peu à peu le fil conducteur du cheminement de Laura à la recherche d’absolu et sur la voie du renoncement, présenté comme un hommage à une amie de l’écrivain. CHRIS BOURGUE

à double visage. Laura est-elle une ardente passionnée d’idéal, ou une calculatrice superficielle ? Veut-elle commencer une nouvelle

Noli me tangere Andrea Camilleri Métailié, 16 €

Rien n’est secret, tout se sait

S

i vous cherchez une lecture estivale légère, Tu ne tueras point n’est pas pour vous. Trop plombant. Pourtant cet ouvrage de la grande romancière irlandaise Edna O’Brien, publié en 1998 et tout récemment réédité par Sabine Wespieser, devrait être lu par tous ceux, toutes celles auxquels les combats pour l’émancipation des femmes importent. Car, en dépit de toutes les violences qu’il charrie, ce roman raconte une libération. Le récit s’ouvre sur une scène de viol. Celui de Mary (par son père, alors qu’elle n’a pas treize ans). Il se clôt sur une voix qui s’élève et qui chante. Celle de Mary. Entre les deux, des années de violence subie, de mutisme… jusqu’aux premiers signes d’une grossesse évidemment non désirée. Alors, à l’inceste s’ajoute la pression d’associations catholiques ultra conservatrices, qui entendent bien que l’adolescente garde l’enfant. Pour Mary c’est la double peine. Et la peur, et la honte. Longtemps elle gardera le silence sur l’identité du père. Mais le calvaire prendra fin, après que le pays tout entier se sera intéressé à l’affaire. Une

histoire forte, de résistance, de courage et de retour à la vie. Qu’Edna O’Brien restitue dans son implacable brutalité. Ni pathos, ni faux

de sensations - bravo à Pierre-Emmanuel Dauzat pour la traduction-, qui convie la nature et les objets les plus familiers à suggérer l’indicible, à rendre palpables les tourments de la jeune fille, sa terreur, « pas du tout celle d’une petite fille, mais d’un animal, d’un animal ouvrant de grands yeux depuis le nœud coulant d’un piège de fer. » Car si l’action se situe dans une époque pas si lointaine, l’Irlande y est encore très rurale, très villageoise. L’église et le voisinage pèsent de tout leur poids, protégeant les abuseurs, culpabilisant les femmes, même lorsque le secret n’en est plus un pour personne. Un récit vibrant. Un appel salutaire à l’insoumission de toutes celles qu’on tente de bâillonner. FRED ROBERT

semblants. Les choses sont dites (ou pas, certaines ellipses sont plus éloquentes que les mots), dans une langue concrète, à fleur

Tu ne tueras point Edna O’Brien éditions Sabine Wespieser 23 €


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