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Du 16/02/11 au 16/03/11 | un gratuit qui se lit

Au

chevet de la

Culture



POLITIQUE CULTURELLE Colloque Drac, Opéra de Marseille Marseille Centre Les musiques actuelles Sciences et économie Le MuCEM Entretien avec Gérard Noiriel THÉÂTRE La Minoterie, le Gymnase, les Bernardines La Friche, Sirènes et midi net, Théâtre du Petit Matin, Toursky La Criée, le Lenche, le Gyptis Jeu de Paume, Toursky Vitez, Parvis des arts Martigues, Aubagne Arles Avignon, Istres, Château-Arnoux Au programme DANSE Aubagne, Pavillon Noir, Merlan Nîmes, GTP Avignon, Draguignan Au programme

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MUSIQUE Opéra Chambre, récital Symphonique, contemporaine Au programme Actuelle

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JEUNESSE Musée Ziem, Prix des lycéens et apprentis Toursky, Cavaillon, Port-de-Bouc Pavillon Noir, Massalia, Ouest Provence, Berre Massalia, Le Revest, Sainte Maxime Au programme Livres

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ARTS VISUELS Arles, Aix-en-Provence Toulon, Aubagne Au programme

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CINEMA Les rendez-vous d’Annie Manosque, les Variétés ICI, semaine du son, Institut de l’image Les Variétés, Clermont-Ferrand

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LIVRES Rencontres Littérature Livres/disques Livres/Arts

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RENCONTRES Au programme

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HISTOIRE Echange et diffusion des savoirs ABD Gaston Defferre, le Pharo

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ADHÉRENTS

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Où sont les arts ? Le sentiment de beauté est la chose la plus précieuse du monde, et la plus volatile. On peut passer des journées, des années, une vie sans y toucher, mais il peut surgir sans qu’on y songe, et vous saisir soudain. Les philosophes depuis des millénaires cherchent à en définir la source : imitation, perfection, harmonie, transcendance, satisfaction d’un désir inconscient… tous nous disent qu’il nous est nécessaire, et fait de nous des humains. On peut l’éprouver sans recours à l’art, au détour d’une ascension, d’un sourire, en admirant le visage ébloui de cette jeune femme qui repeint en vert, au petit matin, les barrières de la Place Tahrir. Certains l’expérimentent dans une passe de footballeur, les décors factices de Disneyland, les clips d’ados attardés aux coiffures voluptueusement sculptées. D’autres dans la violence exhibée, la pornographie, les indécents déballages de joie des jeux télévisés, de la télé réalité. Les portes d’accès au sentiment de beauté varient, et ne se valent pas toutes… Mais il est certain que les artistes se coltinent à ça. À bras-lecorps, quotidiennement. Pour le faire surgir d’une réplique, d’une dynamique d’archet, de l’exacte échelle d’un plan, d’une couleur, d’un corps qui s’élève. Et par la conjonction de tout cela, pensé ensemble, travaillé, répété, ressenti. Le sentiment de beauté est fragile. Celui que l’on construit pour le faire éprouver à l’autre est plus ténu encore, plus rare et inestimable. Il témoigne de l’état du monde selon l’endroit où il s’épanche, son degré de douleur et d’ordure, son amplitude, sa profondeur, son chatoiement. C’est cette beauté-là que les artistes nous offrent. Par leur travail, leurs souffrances, leurs plongées intimes, leur nombrilisme, leur sensibilité instinctuelle et leurs agaçants aveuglements. Et parce que la beauté qu’on ne peut atteindre brûle ceux qui la regardent avec envie, les hommes de pouvoir, souvent, amputent les ailes d’Icare. Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui mutilent les artistes en les privant des moyens minimaux de production, en les maintenant dans une précarité déstabilisante, en les poussant à la marge des maisons d’art gouvernées par des technocrates plus ou moins éclairés qui les protègent, ou les assèchent. En leur demandant de construire des projets, et non des œuvres, et de résoudre les problèmes de la cité, ce qu’ils ne peuvent faire qu’incidemment. Et en appelant sur eux l’opprobre et la méfiance, alors qu’ils ont tant besoin d’être aimés. Le monde change. Là-bas, sur l’autre rive, ici, bientôt. Il faut que les artistes puissent nous aider à le rêver. AGNÈS FRESCHEL

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COLLOQUE DRAC | OPÉRA DE MARSEILLE

POLITIQUE CULTURELLE

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La carpe et le lapin Paca) signait le même jour la création de son propre fonds de dotation et l’ouverture d’un compte Axa. Désengagement de l’État oblige, mais avec son soutien : ce fonds, qui offre une déduction fiscale de 60% aux entreprises, est un outil pour récolter des fonds privés pour un projet d’intérêt général. Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques au ministère de l’Économie, rappelle la philosophie générale : «C’est un outil attractif qui contrairement aux principes de fondation peut rester dans la main de ses fondateurs et être créé par une simple déclaration en préfecture. Il bénéficie du régime fiscal du mécénat.» Le bilan 2010 serait exponentiel : 533 fonds créés (Île de France et Paca en tête des régions), 250 millions d’euros investis. Un outil promu largement par les DRAC qui suscite l’intérêt de comptables et notaires qui veulent mettre leurs compétences en matière de

C’est la rencontre du monde de la culture et de l’entreprise. Certains diraient de la carpe et du lapin. D’autres parlent d’un «début de révolution», et projettent ainsi l’avenir du financement de la culture grâce à un nouvel outil : le fonds de dotation, issu de la loi Aillagon sur le mécénat culturel en 2003 et de la loi de modernisation de l’économie de 2008. Premier dans le genre, le colloque, initié par les DRAC Languedoc Roussillon et PACA sur le fonds de dotation, un outil patrimonial au service de l’intérêt général, réunissait des notaires des cours d’appels de Nîmes et Montpellier, l’ordre des experts comptables de la région de Montpellier et le groupe Axa. Il s’est tenu devant 300 invités à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon : le Centre National des Écritures de la Scène, dirigé par François de Banes Gardonne (qui fut DRAC en

Opiner du Chef ! Entre les triomphes de Cavalleria-Paillasse et l’extraordinaire concert de Juan Diego Florès (voir p 34), Jeanine Imbert, conseillère municipale, déléguée à l’opéra et Maurice Xiberras, directeur artistique, étaient ravis de présenter Fabrizio Maria Carminati qui a déjà dirigé l’orchestre de l’opéra (Il Pirata 2009, Chénier 2010) ; les musiciens comme les membres des chœurs semblent travailler en bonne harmonie avec ce chef, directeur artistique des Arènes de Vérone et du Théâtre Donizetti de Bergame (2000-2006). Il dirigera certaines productions lyriques (deux l’an prochain) et symphoniques. «J’aime Marseille et la Fabrizio Maria Carminati, Jeanine Imbert et Marice Xiberras © Yves Bergé

chaleur pour l’art lyrique d’un public de connaisseurs. Je suis ravi de travailler avec une équipe soudée autour du passionné Maurice Xiberras.» Mais Jeanine Imbert se plaignit de l’absence de subventions des collectivités locales : «La Mairie de Marseille finance l’opéra à 100%, à hauteur de 16 M €, budget maintenu, alors que les 3900 abonnés viennent de la Région !» Sans préciser que pour obtenir des financements, devenir pôle régional ou opéra national, il faut répondre à des cahiers des charges, passer commande à des compositeurs, jouer certains répertoires. Si l’Opéra de Marseille a fait ces dernières années des progrès spectaculaires quant à la qualité des concerts, aux actions pédagogiques et à la programmation des concerts, la maison s’aventure très exceptionnellement jusqu’à Wozzeck (voir p 40), qui a près d’un siècle ! Mais tout cela change ! On apprend la nomination d’Audrey Barrière précédemment attachée de production à Rouen et à l’orchestre National de France, comme administratrice de l’orchestre. Un concours de super soliste (violon) est aussi programmé. Les travaux extérieurs, si nécessaires, débuteront en juin 2011, mais l’activité musicale continuera. Ce n’est qu’en 2014 que l’opéra fermera pendant deux saisons pour les travaux intérieurs. Le Silo d’Arenc-La Joliette, géré par une Délégation de Service Public, accueillera les productions qui devront s’adapter. Saisons hors les murs, comme à Lyon. Maurice Xiberras prit soin de rappeler que la qualité ne pâtira pas de cet exil obligé. Le coût de ces aménagements est estimé à 3 millions d’euros. On rappelle, enfin, les actions culturelles essentielles avec les établissements scolaires et hospitaliers. Beaucoup de chaleur, de motivation émanent visiblement de la direction et des responsables culturels municipaux : cette vieille maison doit faire peau neuve et pérenniser de nouvelles exigences. Toujours en solitaire ? YVES BERGÉ

défiscalisation et de droit au service de la culture et s’engagent à «promouvoir le mécénat et expliquer aux entreprises que c’est un réel outil de communication et de valorisation.» «On constate un désir croissant de donner un sens à son patrimoine et la volonté de passer d’une logique de rentabilité à des logiques d’implication» résume Cyril Coste, inspecteur patrimonial pour Axa. Un mariage intéressé, dans la droite ligne de la «culture pour chacun» prônée par l’actuel ministre de la Culture. DELPHINE MICHELANGELI

Le Colloque s’est tenu à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon le 20 janvier en partenariat avec les jeudis du mécénat du ministère de la Culture et de la Communication.


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POLITIQUE CULTURELLE

MARSEILLE CENTRE

LaCulture au des enjeux

cœur

Deux réunions débats ont eu lieu la même semaine sur le développement culturel et économique de Marseille ! Le premier, organisé le 4 février par la Mairie du premier secteur à la Bourse, réunissait un plateau d’intervenants choisis : Michel Pezet1, Daniel Hermann2, Dominique Bluzet, Macha Makeïeff, Nicolas Karmitz3 et Jacques Pfister4, autour de Patrick Mennucci, viceprésident délégué à la Culture de la région Paca, et maire du Premier secteur de Marseille. Celui-ci ne cache pas son ambition de transformer le centre-ville de Marseille, de le redynamiser grâce à un soutien actif à la vie culturelle et associative. Tout à fait conscient des dangers de la gentrification, il confie qu’il veut transformer le quartier Noailles en précisant qu’il faut en «changer le visage sans changer les visages». Sans exclure, donc. Que révéla cette première réunion, destinée à lancer la saison culturelle 2011 ? Tout d’abord une immense mobilisation : le grand hall de la Bourse débordait littéralement de monde, on dut ouvrir la coursive supérieure (voir notre couverture), puis refuser l’entrée à des arrivants de plus en plus nombreux qui tentaient même l’assaut par derrière… C’était évident : les mondes culturels, économiques et politiques avaient répondu présent à l’appel mobilisateur autour du développement culturel ! Le débat, en revanche, ne fut pas d’une très grande qualité, les questions de l’animateur («Comment pensez-vous à la culture en vous rasant le matin», qu’il rectifia d’un «maquillant» pour Macha Makeïeff…) ne permettaient pas d’aller au fond des choses. Quelques remarques

bienvenues cependant : c’est Jacques Pfister qui, paradoxalement, nota que l’important n’est pas que la culture soit un ressort économique ! Mais qu’elle entre au cœur de la vie, pour la transformer, en particulier celle des salariés et des entreprises. Macha Makeïeff, visiblement peu concernée par la teneur des propos, essaya d’amener le débat sur «les territoires rêvés de l’art», mais il fut essentiellement question des investissements des collectivités -ce qui est le rôle essentiel des élus en termes de politique culturelle- et d’actions de démocratisation et de mécénat, en particulier de l’ASSAMI, réseau des Mécènes Intelligents mis en place par Dominique Bluzet. Quant à l’art, comme souvent dans ces contextes, il fut maltraité ! Cinq percussionnistes issus de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée interprétèrent des arrangements devant un public parsemé -les autres étaient au buffet- qui dut se resserrer pour les entendre… Revers de l’enthousiasme suscité ? Sans doute ! Mais il faudrait prendre garde au risque que l’objet de la culture lui-même (c’est-à-dire une émancipation des êtres par l’accès à la pensée et aux arts ?) ne disparaisse pas au cours de l’élan censé le susciter.

À l’opposé

© Agnes Mellon

Quelques jours plus tard un autre débat, confidentiel, au petit théâtre de la Friche : devant une poignée de spectateurs et journalistes frigorifiés (les conditions d’accueil du public à la Friche restent scandaleusement misérables), des intellectuels, sociologues, militants associatifs, artistes, opérateurs culturels exposaient les résultats de la réflexion qu’ils mènent ensemble depuis 2009, régulièrement, lors de réunions mensuelles. Chacun ayant observé les formes de ségrégation urbaine, et les effets des capitales culturelles sur les villes, en particulier ce qu’il en advient après, ce collectif se présente comme un espace de réflexion qui vise à mettre en garde, à pointer les effets pervers, voire à prescrire des choix préventifs. Et à militer s’il le faut contre de mauvaises décisions, contre l’abandon que vivent certaines associations culturelles aujourd’hui. Un comité de veille, dont vous pouvez consulter le travail sur leur tout nouveau site, www.pensonslematin.org, et auquel vous pouvez vous inscrire ! On y pense l’articulation entre artistique, politique et citoyen, on y démonte les dérives immobilières, on y parle d’urbanisme, des choix culturels des autres villes européennes. Mais là encore il est peu question de l’objet artistique lui-même, et plutôt des lieux et moyens de production que des objets produits, ou des artistes, ou des pratiques culturelles. Car au-delà du danger d’instrumentaliser la Culture pour en faire simplement un levier économique, ou politique, au service ou non d’une ségrégation urbaine, le risque demeure d’oublier l’enjeu culturel lui-même.

Qui est de produire et diffuser de l’art et de la pensée. Pour cela il faut avoir les moyens de l’élaborer. Économiques mais pas seulement : on demande de plus en plus aux artistes et aux opérateurs culturels des comptes sur leur impact dans la cité, en termes de pédagogie, de notoriété, de gestion. Rarement en termes de pertinence artistique, d’inventivité, d’esthétique, de force émotionnelle, de plongée subjective. Les artistes et écrivains en souffrent, ont du mal à se faire entendre, se font représenter pas des relais, administratifs, producteurs, consultants ou communicants, qui transforment leur parole, les convainquent d’entrer dans des schémas, des thématiques, des saisons, des impératifs de productions. Cette tendance actuelle appauvrit la création, et l’édition : l’exclusion des artistes du cœur des maisons d’arts a commencé, gentrification d’un autre genre... AGNÈS FRESCHEL 1

Vice-président du CG13 en charge de la Culture Adjoint à la culture de Marseille 3 Fils de Marin Karmitz, fondateur du réseau MK2 4 Président de la CCIMP et de MP13 2

Opérateur culturel Pour transformer le centre-ville, Patrick Mennucci met en place une politique, inédite à cette échelle, et se transforme en opérateur culturel : non content de soutenir la vie associative et culturelle des 1er et 7e arrondissements, la mairie du Premier Secteur devient programmateur ! Dès cet été le Théâtre Silvain accueillera des séances de cinéma, mais aussi des concerts symphoniques, la retransmission en direct de La Traviata du Festival d’Aix… D’ici là le Kiosque à musique de la Canebière accueillera Latcho Divano, Kabbalah, Marion Rampal, Ysae, un tremplin rock. La mairie du 1/7 soutient également AFLAM et son festival de cinéma arabe, les Belsunciades, la Rue du Flamenco, le FID, et bien sûr le Festival du livre de la Canebière. A la rentrée la Mairie accueillera Préavis de désordre Urbain, soutiendra Mouv’art, les Portes Ouvertes Consolat… Bref, tout ce que le centre-ville compte d’initiatives associatives citoyennes semble trouver une oreille attentive. D’autres preuves : l’Espace Dugommier et ses ateliers d’écriture et d’alphabétisation en phase avec des conférences et expositions, pour que les plus éloignés de la culture croisent des œuvres. La Galerie Mourlot et son fameux prix, qui s’attache à découvrir et promouvoir des talents contemporains. La Salle des Lices, dans le 7e arrondissement, qui servira de lieu de répétitions et de pré-création aux compagnies qui en sont privées. Le but avoué de cette politique volontariste ? Amener les classes populaires à s’emparer de la culture en leur offrant des voies d’accès, et des propositions abordables tant financièrement que par leur côté grand public : pas question ici d’élaborer une culture fine et complexe, nécessitant pour y aborder de s’échiner sur des chemins ardus. Mais ouvrir au plus grand nombre les chemins de l’art est sans aucun doute une étape nécessaire aujourd’hui. A.F. www.mairiedupremiersecteur.fr


POLITIQUE CULTURELLE

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Faut-il désirer la gentrification ? Gentry : petite noblesse anglaise… Le terme de gentrification fleurit sous les plumes des sociologues, des journalistes, des politiques, pour désigner les changements qui interviennent dans certains quartiers lors de mutations économiques et urbanistiques. Celles qui favorisent l’arrivée de classes moyennes/aisées qui consomment, exigent des équipements et des services, mais poussent dehors, vers les banlieues, les classes populaires qui ne peuvent suivre la hausse des loyers. Le phénomène, à l’œuvre dans tous les centres-villes européens et états-uniens, entraîne une spéculation immobilière, et s’appuie sur une volonté publique de modernisation des transports, de construction d’écoles… mais aussi sur la construction d’équipements touristiques et culturels. Projet que les hommes politiques, de Jean-Claude Gaudin à Patrick Mennucci en passant par Jean-Noël Guérini et Renaud Muselier, mais aussi les acteurs économiques comme Jacques Pfister, affichent aujourd’hui clairement pour leur ville. Qu’en est-il du processus de gentrification dans le centre-ville de l’agglomération la plus pauvre de France ? Nous avons demandé à Boris Grésillon1, spécialiste des questions de géographie urbaine, de nous parler de ce qui se passe à Marseille…

Zibeline : Peut-on parler de processus de gentrification à Marseille ? Boris Grésillon : Marseille résiste ! Non par volonté des habitants ou des politiques, mais parce qu’il manque ici un élément essentiel à la mise en place d’un centreville gentrifié : la richesse. Il faut qu’il y ait une masse critique de foyers disposant de 3000 € par mois pour qu’un plan de rénovation urbaine de ce type puisse se réaliser, pour que les promoteurs, les banques, les commerçants, les investisseurs transforment un quartier. À Marseille il y a trop de pauvres, et pas assez de gentrificateurs, c’est-à-dire de bobos ou de créatifs comme on les appelle parfois. Ceux-ci, trop peu nombreux, ne peuvent profiter des phénomènes de rénovation en cours, et constatant leur échec ne s’installent pas, ou se réinstallent ailleurs, dans d’autres quartiers ou à Aix. Quel est l’impact de la vie culturelle sur ce processus ? En principe il devrait être un levier, un incitateur. L’exemple de la Belle de Mai est frappant : la Friche, en particulier les studios du Pôle média, devraient attirer les touristes et l’emploi. Or cela reste un des quartiers les plus pauvres de Marseille : la gentrification planifiée par la Ville lors de l’installation du pôle n’a pas pris.

Faut-il le regretter, ou s’en réjouir ? À Penser le Matin on considère que c’est une chance, qu’il ne faut pas exclure les pauvres dans des banlieues ghettos, et qu’on doit garder le cœur populaire de Marseille, qui en fait la richesse paradoxale. Mais le pire serait de laisser ces quartiers végéter dans la pauvreté : il leur faut des équipements et des transports pour que la ville soit moins clivée… C’est une ville pauvre, non clivée ! Détrompez-vous, il y a des riches à Marseille ! Les écarts de revenus sont les plus importants de France : de 1 à 34 ! Les riches ne sont pas visibles, ils vivent derrière des murs dans des quartiers dont ils ont privatisé les accès… Et il n’y a pas de mixité sociale, les gens de Noailles et de la Préfecture se croisent mais ne se mélangent pas. Marseille fonctionne par quartiers, riches et cloisonnés ou pauvres et délaissés… ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNES FRESCHEL 1 Docteur en géographie, maître de conférences à l’université de Provence et membre du laboratoire Telemme. Membre du collectif Pensons le matin


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POLITIQUE CULTURELLE

LES MUSIQUES ACTUELLES

Actuellement, les musiques CD de la sélection CAC artistes 2010

Le terme de «musiques actuelles» a quelque chose d’étonnant. D’une part parce qu’il suppose que les autres musiques en création, écrites aujourd’hui, sont des musiques inactuelles. D’autre part parce que ses frontières sont floues : ainsi la chanson, genre ancien par excellence, fait-elle partie des musiques actuelles. Le jazz et le rock aussi, bien plus anciens que la musique contemporaine… Le ministère distingue quatre catégories : la chanson, les musiques improvisées, les musiques amplifiées et les musiques du monde. Ce qui pose diverses questions du type : la musique occitane est-elle «du monde» ? Et Bartok ? La musique électroacoustique, amplifiée donc, est-elle actuelle ou contemporaine ? En fait ces catégories en cachent d’autres, que l’on pourrait décliner en musiques écrites/musiques orales (ce qui n’est pas toujours vrai) ou musiques savantes/musiques populaires, qui fleure hélas l’élitisme et l’exclusion. Ces questions de terminologie, qui sont aussi des questions d’esthétique, ne sont pas la préoccupation majeure du CAC régional : ce Conseil Artistique à la Création est avant tout animé du désir de

soutenir les artistes émergeants. Il complète le soutien aux musiques actuelles de la Région (aux salles, aux festivals et aux divers tremplins artistiques) en aidant directement les artistes. Ainsi cette année, 28 groupes (sur 100 dossiers reçus) ont partagé une enveloppe de 200 000 €, attribuée par le CAC : Chinese man, Watcha Clan, Washing Majazz, Alif Tree, Dissonant Nation, The Last, Mina May, Phosphene, Hannah, Dondolo, Tente ta chance, Moussu T e lei Jovents, Nevchehirlian, Ysaé, Choumissa, Diho, Ilanga, Ahmad Compaoré, Kabbalah, Melc, Laurent de Wilde, Kami Quintet, Benjamin Faugloire, Enzo Carniel et Tchamitchian.

Comment choisir ? Les critères de choix du comité d’experts réuni en CAC sont simples : il faut que les structures soient professionnelles -ou en voie de professionnalisation- et qu’elles aient une «pertinence artistique». L’aide peut intervenir pour soutenir une action culturelle ou pour produire des concerts et des enregistrements. Bien entendu il s’agit de rester sur la filière indépendante du disque, et d’aider des artistes qui ne sont pas repérés par les majors, et ne sont pas entrés dans les circuits rentables de l’industrie culturelle. Dans ce but, pour la première fois, la région PACA édite une compilation regroupant deux titres de chacun de ces 28 groupes. CD destiné à promouvoir

les artistes, qui sera distribué gratuitement dans les salles et les festivals, et est disponible à l’écoute grâce à la Pacabox de l’Arcade (www.pacabox.com). 56 plages sonores pour découvrir des univers extrêmement différents… tous produits dans la région. Du rap vocal au jazz contemporain, de la chanson poétique au métal ardent, de la pop au traditionnel, du slam à l’électro, de la néo-opérette marseillaise au jazz fusion, les univers se répondent. Avec quelques constantes pourtant, comme la quasi absence de femmes, surtout à la composition et aux instruments ! Car ce monde qui se veut jeune, populaire et au moins progressiste, sinon révolté, serait-il plus rétrograde que ce qu’il affiche ? Clairement destiné à faire revenir à la culture une génération qui se sentait exclue des salles, cette nécessaire politique de soutien navigue en un canal étroit : nettement plus liés aux industries culturelles que les autres arts du spectacle les musiques actuelles rêvent de s’insérer dans des logiques commerciales qui ne relèvent pas du service public de la culture, et trimballent de surcroit des préjugés générationnels inefficients : les publics du jazz, de la chanson française et de l’opéra ont sensiblement le même âge… AGNÈS FRESCHEL

À la croisée des mondes de réunir sous l’égide de la «musique» deux univers qui vivent en parallèle sans vraiment se croiser. Au

confluent du rigorisme du conservatoire et de l’inventivité anarchique de ces jeunes autodidactes, ce projet Archie Shepp © Jan Kricke

Beau projet que celui initié par le directeur de la salle du Bois de l’Aune, Pierre Ranchain, associant les classes de jazz et musiques actuelles du Conservatoire de Musique d’Aixen-Provence, et de jeunes slameurs et rappeurs du quartier du Jas de Bouffan. Unique en son genre, le Jazzlab est avant tout un projet artistique ambitieux articulé autour de deux artistes de renom : Archie Shepp, saxophoniste de jazz mondialement connu et le rappeur américain Napoléon Madoxx. Pilotée conjointement par Marc Rocé, rappeur parisien, Seydou Barry, producteur, Julien Baudry, chef de chœur et Thierry Riboulet, professeur dans la classe de musiques actuelles, cette expérience audacieuse est le moyen

commun est un moyen d’échanger, de communiquer et d’affranchir les barrières. Faisant fi des stéréotypes, les textes des artistes banlieusards, nés de la thématique Nord/Sud choisie en commun, croisent les arrangements des professionnels… pour ne plus former qu’un univers syncrétique, mosaïque de cultures et de pratiques différentes. Les deux sessions de cette Master class du 27 et 28 janvier qui font suite à une première organisée en novembre 2010, déboucheront sur un concert dans la salle du Bois de l’Aune le 6 mai prochain. CHRISTOPHE FLOQUET


Nouveau son au Grenier ? L’affaire avait fait grand bruit la saison dernière : le Grenier à sons, une des Scènes de Musiques Actuelles (SMAC) de la région, subventionnée par la Ville de Cavaillon, le département 84, la Région et l’État, allait se retrouver en cessation de paiement, et disparaître. La ville de Cavaillon, après une baisse de subvention de 10%, avait, suite à deux inspections du ministère, commandé à Jean-Michel Gremillet un rapport préconisant la mutualisation avec la Scène Nationale qu’il dirige… mettant ainsi le directeur dans l’indélicate position du repreneur hégémonique. Aujourd’hui la SMAC est fermée, et c’est la Scène Nationale qui programme au Grenier. Jean-Michel Gremillet s’en explique. Zibeline : Avez-vous repris les missions et les financements de la SMAC ? Jean-Michel Grémillet : Non, ni les uns ni les autres. Les SMAC ont des missions de défrichage, d’action culturelle, d’ouverture aux répétitions des groupes qui vont être assumées par les autres salles du territoire, l’Akwaba ou la gare du Coustellet. Nous souhaitons simplement réaliser l’intégralité des missions de diffusion qui étaient dévolues à la SMAC. Mais avec moins de moyens ! Cette baisse est de quel ordre ? La SMAC avait 320 000 € de subventions publiques : 56 000 € de la Région et 32 000 € du département, qu’il n’est pas question de nous réattribuer. Elle avait également, avant la baisse de 10% que Cavaillon a opéré sur toutes les associations, 130 000 € de la Ville Alex Baupain © Frederic Stucin

qui conserve pour nos missions de diffusion 130 000 € seulement. Quant à l’État, il n’est pas question non plus de nous réattribuer les 48 000 € de la SMAC, même si, par ailleurs, les subventions de la Scène Nationale vont augmenter dans les prochaines années. On se retrouve donc avec un peu plus d’un tiers des subventions de la SMAC. Pourquoi avez-vous accepté de vous occuper du Grenier à sons, puisque les syndicats de musiciens vous tiennent pour responsable du désastre, et que d’autre part vous n’en avez pas les moyens ? D’abord parce que nous aussi étions étranglés financièrement -cet apport de 130 000 € va permettre une augmentation de personnel-, et surtout parce que la musique nous intéresse ! J’en ai toujours programmé, en particulier de la musique contemporaine ou de création comme celle de Benjamin Dupé -risque que les SMAC se gardent bien de prendre- mais aussi de la chanson. S’ouvrir aux musiques actuelles est pour nous une expérience nouvelle, qui va changer notre projet artistique. En quoi ? Quels vont être vos choix esthétiques ? Nous allons programmer des artistes émergeants, en nous méfiant des majors et des tourneurs, des pratiques liées aux industries culturelles qui vont à l’encontre de nos missions de service public. Les musiques actuelles souffrent du téléchargement, mais aussi des prix pratiqués par les têtes d’affiches qui grèvent les budgets des salles et des festivals. Nous programmerons donc essentiellement de la chanson, du jazz, des musiques du monde… Les artistes programmés cette saison sont surtout des chanteurs. Y aura-t-il du rock, du rap, de l’électro… ? Il nous faut un peu de temps pour prendre nos marques mais oui, nous allons recruter un spécialiste de ces musiques, qui pourra guider nos choix. Et puis dès la saison prochaine nous ferons un temps fort autour de l’accordéon, un autre autour de la poésie sonore… Avec des concerts debout, des concerts assis, des rencontres entre les mondes musicaux, au Grenier et ici, à la Scène Nationale. Pour que la fermeture de la SMAC ne soit pas seulement un échec, mais le début d’une nouvelle aventure. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

À venir au Grenier Dimoné le 19 mars Karimouche le 16 avril Ambrose Akinmusire le 12 mai Alex Baupain le 27 mai


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POLITIQUE CULTURELLE

En vert et contre tous, l’économie libérale jette son dévolu sur les libéralités écologiques au plus grand bénéfice de son environnement… financier ! Le vert dans l’usufruit Économie verte, éco-participation aux écotaxes… désormais toute cause teintée d’éco-quelque-chose est bonne pour justifier de nouvelles taxes sur le travail au bénéfice du spéculatif. D’ailleurs, en marge du forum économique de Davos, Dominique Strauss-Kahn n’a-t-il pas annoncé son intention de mettre en place un «fonds vert» pour «aider les états à faire face au changement climatique» ? Rien moins que 100 milliards de dollars prélevés sur le travail pour faire payer une politique de croissance industrielle mondiale délirante et, à terme, létale. C’est que, depuis le rapport Stern de 2005, les gourous de l’économie s’accordent à dire que l’avenir se fera par la croissance verte. Ils fondent beaucoup de notre désespérance sur la litanie des «créations de nouvelles technologies», «relance de croissance des pays industrialisés» et autres «création de millions d’emplois» pour justifier leur politique de récession et de vaches maigres. «Le développement durable», «les exigences de la lutte contre le changement climatique», le «développement de nouvelles technologies propres» en appellent à l’éco-culpabilité citoyenne pour obtenir l’adhésion des populations à une forme de déve-

SCIENCES ET ÉCONOMIE

Taxe-C

Que le grand fric m’escroque !

loppement qui dessert objectivement leurs conditions d’existence et l’avenir même de l’humanité. C’est sans doute le protocole de Kyoto signé en 1997, entré en vigueur en 2005 et ratifié par 183 pays (sans les USA bien sûr) en 2010, qui a ouvert l’ère du mythe «tout écologique». S’il visait au départ et peut-être à juste titre à normaliser au niveau international l’émission des gaz à effet de serre, l’économie spéculative a tout de suite enfourché ce cheval vapeur, voyant en lui une nouvelle et gigantesque possibilité de détournements colossaux de fonds publics.

Carbone et Spirito Et c’est ainsi qu’émergea des brumes japonaises un des traités les plus fumeux de l’histoire de la mondialisation capitaliste. Tout ce que la finance internationale comptait d’escrocs se jeta sur ce haut vol d’or, avec l’aide complaisante des états. C’est de ce lisier vert qu’émergea l’esprit («spirito») de la fameuse loi sur la «taxe carbone». Cette taxe environnementale prétend limiter l’émission de dioxyde de carbone, gaz à effet de serre, par incitation économique, et ceci dans le but «librement consenti» de contrôler le réchauffement climatique. Cette

taxe «Pigouvienne» doit son nom à un «brillant économiste» britannique, Arthur Pigou (1877-1959), qui fut le premier à proposer une taxation correctrice des externalités en 1920. L’externalité désigne «une situation dans laquelle l’action d’un agent économique influe, sans que cela soit son but, sur la situation d’autres agents, alors même qu’ils n’en sont pas partie prenante.» Le Pigou des bois eu fort tôt l’intuition de ce que pouvait rapporter la spéculation sur le prélèvement d’une taxe prétendant décourager les émissions polluantes en faisant payer les pollueurs [en bout de chaîne nous, les consommateurs] à proportion de leurs émissions. En effet cette bien pensante taxe sur les produits finaux «augmente leur prix proportionnellement aux émissions qu’a engendrées leur production favorisant les produits ayant induit moins d’émissions de dioxyde de carbone. Une augmentation progressive et programmée de la taxe peut permettre de guider les investissements sur le long terme, en laissant le temps nécessaire aux consommateurs et aux entreprises pour s’adapter» ou… de crever de faim !

La bourse ou la vie ? La taxe carbone est basée sur un principe très libéral de «quotas d’émissions». Elle impose soit un prix déterminé à des quantités libres de gaz rejetés, soit des prix variables à des quantités fixes. Et, comme on n’est pas regardant, les deux systèmes peuvent coexister !, la taxe permettant ainsi de racketter les très nombreux petits émetteurs «diffus», difficile à mettre sous quotas, par exemple dans les pays dits «émergeants». En 2009, les pays nordiques se sont mis à appliquer une taxe carbone partielle. La Nouvelle-Zélande, elle, a mis en place un marché d’échange de quotas d’émissions et évidemment le gouvernement français étudie les possibilités d’emboîter le pas à ce très fructueux jeu de bonto. Cette bourse du carbone est un marché de négociation et d’échange de droits d’émission

de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote…). Un «créditcarbone» est une unité, généralement 1 tonne de gaz à effet de serre (GES) et il existe plusieurs types de GES, n’ayant pas tous la même valeur en équivalent CO2. Un tel marché, accepté par le protocole de Kyoto, peut exister à un niveau national, ou international si les droits attribués sont rigoureusement de même nature. Le prétexte «moral» de l’établissement d’un tel marché serait d’inciter les industries à «gérer financièrement» leurs effluents gazeux. «Sans bourse, une firme A en dessous de son quota ne fera plus aucun effort de réduction (même s’ils sont faciles et peu coûteux pour elle), alors que dans le cadre d’un marché un effort de réduction pourrait se monnayer ; en sens inverse, une industrie B qui dépasse son quota et pourrait difficilement (à grands frais) réduire ses émissions pourra acheter des quotas en plus. Globalement, l’ensemble A + B peut réduire ses émissions à moindre frais que si la même réduction est exigée séparément à chacun.». Ainsi les droits édictés par les états ou structures internationales deviennent monnayables. Cette bourse des vents nauséabonds revendique donc la spéculation comme méthode d’incitation ! Il y a constitution de marchés dérivés (achat et vente à terme…). Acquis à titre onéreux ou gratuit, les droits d’émissions sont échangeables.

Les verts pomment Du coup une foison de louches officines de courtiers s’est constituée dans des paradis fiscaux comme Chypre, spéculant sur les cours des différentes TVA nationales, sur la misère du monde et la qualité de l’air que respirent les pauvres et les riches. C’est la bourse aux vents pestilentiels, le Wall Street de la chlingue, le lasdaq de l’œuf pourri, le CAC des 40 voleurs. Au bout du compte c’est nous qui payons la facture sur notre travail et notre santé. YVES BERCHADSKY


MUCEM

POLITIQUE CULTURELLE

Peut-on se moquer de l’islam ? Ce qu’il y a d’embêtant avec l’islam, c’est qu’on ne peut pas être franchement anticlérical à son égard comme au (bon vieux ?) temps du combat contre la calotte. Imaginez-vous qu’on recevrait sérieusement, sans sarcasme, une femme qui aurait écrit Catholiques et modernes aux mardis du MuCEM ? Mais bon, l’islam n’est pas en Europe une religion de dominants, l’histoire de la colonisation est lourde, le passif grand, les racistes actifs et nombreux… et le sarcasme ne peut y être pratiqué de la même manière qu’envers Christine Boutin. Peut être est-ce pour cela que les comiques beurs, qui le peuvent davantage, ont tant de succès !

Visibilité et modernité Ce n’est pas ce que cherche Nilüfer Göle, conférencière fascinante, défenseure d’un islam moderne : la directrice d’études à l’EHESS explique avec beaucoup de talent l’histoire de la perception du musulman en Europe, affirmant que l’on vit un stade post-immigration. Car l’immigré des années 60 (célibataire, travailleur) est devenu un beur dans les années 80 (jeune garçon désœuvré et français) puis, dans les représentations, une musulmane (fille au foulard, écolière intégrée et revendicative). Les musulmans ne se cachent plus, portent des foulards (Voiles ? Hijab ? Niqab ?

les mots sont passés dans les lexiques européens), ne sont plus désignés par leur origine (Turcs, Maghrébins) ou leur langue (Arabe) mais par leur différence religieuse, qui fait identité. Ils revendiquent aussi d’avoir des lieux de culte visibles. Or une partie des Européens s’y refuse, comme on l’a vu lors du référendum contre les minarets en Suisse, ou par la volonté de légiférer contre le port du voile en France. Pourtant, d’après Nilüfer Göle, cette revendication de visibilité est la marque même d’une modernité, d’une volonté d’intégration dans les sociétés européennes, de participation au débat, à la démocratie. De même la construction de mosquées donne-t-elle l’occasion de poser les questions essentielles à l’intégration de la donnée musulmane en Europe : quelle langue va-t-on y employer ? le Turc en Allemagne, le Pakistanais en Angleterre, l’Arabe en France ? (Ce qui pose d’ailleurs des questions particulières à Marseille, puisque la plus grande «communauté» musulmane est Comorienne, même si ce n’est pas la plus «visible» ! ). Va-ton y donner une place aux femmes, à qui on recommande de prier à la maison, ou au mieux séparées des hommes, derrière ? Quels choix architecturaux pour ces bâtiments contemporains, qui devront réfléchir leur lien aux mosNilüfer Göle © Muammer Kaymaz

quées orientales, et à l’urbanisme dans lequel ils s’inscrivent ?

Vers une solution ? Autant de débats qui surgiront, et feront certainement entrer l’islam d’Europe dans une modernité qu’on lui réfute : Nilüfer Göle, dans Musulmanes et modernes, explique avec conviction que partout on assimile l’être civilisé à l’être occidental, rejetant le musulman, (mais aussi le japonais ou le chinois) hors de la modernité si elle diffère du modèle occidental assimilé. Selon elle, une partie du monde musulman européen est en voie de «créolisation» comme l’aurait dit Édouard Glissant, c’est-à-dire qu’il ne cherche plus à se rattacher aux racines (comme Césaire, avec sa négritude, l’avait fait avec l’Afrique) mais à inventer une manière d’être européen, musulman et moderne. Comme les femmes turques, éduquées, revendicatives, qui portent le voile pour mieux sortir de la sphère privée. Apprendre à se connaître ? Un jeune musulman, qui se présentait comme tel, semblait y voir une solution au rejet grandissant d’une certaine Europe d’extrême-droite. Connaître les cinq piliers de l’islam… Sans doute. Admettre que la France est multiculturelle et multiconfessionnelle. Certes ! Ne pas considérer les valeurs occidentales comme les seules porteuses de modernité ? D’accord. Mais personne n’osa dire à ce jeune homme, pas même la dame qui pestait derrière moi, que toutes les religions pratiquent des interdits absurdes, la ségrégation des sexes, le rejet de l’homosexualité (surtout féminine), l’exclusion plus ou moins violente des «infidèles». Contrairement à ce que veulent nous faire croire les extrêmes-droites européennes, l’islam n’est pas plus intolérant que les religions judéo-chrétiennes. Mais il en est à un stade de recherche de visibilité en Europe où les autres ne sont pas (plus ?), qui exacerbe ces obscurités liées intrinsèquement au phénomène religieux (croire n’est pas raisonner). Notre problème d’Européens est de savoir si nous devons, pour construire ensemble une société libre, comprendre et admettre et prendre patience face à ce que nous vivons forcément comme des régressions (au risque de nous installer dans une

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condescendance méprisable), ou reprendre le combat matérialiste (au risque de donner du grain à moudre à l’ignoble bête qui remonte). Cornélien ? AGNES FRESCHEL

La conférence de Nilüfer Göle, animée par Thierry Fabre, a eu lieu le 8 février à l’Alcazar dans le cadre des mardis du MuCEM

À venir Genre et sexualité à l’heure de la mondialisation : un «choc des cultures» ? par Irène Théry Le 8 mars MuCEM 04 96 13 80 90 www.musee-europemediterranee.org


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POLITIQUE CULTURELLE

ENTRETIEN AVEC GÉRARD NOIREL

L’Histoire, intimement Zibeline : Vous êtes un historien universitaire reconnu mais vous cherchez à trouver un large public. Pourquoi ? Gérard Noiriel : Aujourd’hui ce qui me préoccupe c‘est la finalité de mes travaux : pour qui ai-je écrit, dans un contexte de division du travail qui s’accentue ? Dans la recherche en sciences sociales, il existe des réseaux mondiaux de cinquante ou cent personnes, isolés du reste du monde. C’est extrêmement regrettable ! Aussi, je développe des activités me permettant de conserver des relations avec la société, au travers d’un public qui n’est pas fait uniquement de spécialistes. J’ai toujours agi ainsi : c’est ce que j’appelle la fonction civique de mon métier. Je peux à présent m’y consacrer davantage : il y a une période où il faut s’investir dans son travail pour être reconnu, mais j’en suis quitte avec cet aspect-là ! Je peux m’ouvrir à autre chose. Une fois le statut acquis, c’est évidemment plus facile de donner une consistance à la parole ! Pourtant cela n’a pas dû être aisé... La sensibilité que l’on a sur certains aspects de la réalité est déterminée par sa propre expérience. Je suis sensible à la question du racisme et à la stigmatisation, parce que je les ai vécues, sous différentes formes, dans mon enfance. Lorsque je suis arrivé, jeune enseignant dans la Lorraine sidérurgique, je me suis rendu compte que les gens ne comprenaient pas le présent de ces ouvriers car ils n’en comprenaient pas l’histoire. J’ai été frappé par le rôle que jouait l’immigration et je m’en suis préoccupé à une époque où l’on me disait qu’un tel sujet de thèse ne permettrait pas de faire carrière ! Ma thèse, consacrée aux ouvriers mineurs de Longwy, m’a permis de tisser des liens avec ce groupe, et a profondément influencé ma trajectoire, même si j’étais déjà issu d’un milieu populaire. Je me suis plongé dans cet univers, dans cette culture populaire. J’ai aussi réalisé que je pouvais concilier deux aspirations très fortes en moi : le désir de connaissance et la volonté d’action. Le rapport entre histoire et mémoire permettait de les concilier. J’y suis toujours resté fidèle, et ce que je fais maintenant dans le théâtre en est le prolongement. En participant à la vie de cette communauté ouvrière, comme dans vos émissions à la radio sur l’histoire ouvrière, n’avez-vous pas pris le risque de perdre votre distance critique ? Au début j’étais parti pour faire une thèse sur la classe ouvrière dans l’entre-deux-guerres, puis j’ai remarqué l’importance des fractures, notamment sur la nationalité ou sur l’origine des ouvriers. Cela m’a obligé à faire un travail de déconstruction pour montrer les clivages et leurs déplacements. Mais cette question était perturbante pour les militants qui préféraient décrire l’unité ou l’entité «classe ouvrière». De même, AiguesMortes n’a pas de place dans la mémoire ouvrière : ce sont des ouvriers qui se sont tapé dessus. Il se trouve que le propre de la recherche n’est pas d’aller faire plaisir aux militants, mais de restituer, dans une dialectique de proximité et de distance, la logique des acteurs sociaux. Après cette thèse vous auriez pu vous satisfaire de la reconnaissance universitaire… Je ne suis pas représentatif de mon milieu, ni par mes origines sociales, ni par mon regard. Je n’ai jamais pu

Directeur d’Etudes à l’EHESS, Gérard Noiriel s’intéresse depuis longtemps à la question du national. L’irruption de l’extrême droite sur la scène politique l’a convaincu de centrer ses recherches sur l’État-Nation et sur l’immigration. Il est venu dans notre région l’an dernier pour participer à une conférence sur l’immigration italienne aux ABD, pour le spectacle Chocolat à la Minoterie, puis à ceux à propos d’Aigues-Mortes, à la Criée (voir Zib 37). Il livre ici une partie du matériau qui l’a transformé en historien, et revient sur le rôle civique que peuvent tenir les travaux historiques m’investir dans des logiques de carrière, je n’ai jamais voulu avoir le moindre pouvoir, je ne dirige pas un labo ou autre… J’ai toujours eu un pied dehors ! Je le regrette parfois, cela n’est pas du tout péjoratif dans mon esprit. Mais je ne peux pas être complètement à l’intérieur de ce milieu là, j’étouffe! D’où les relations que j’ai avec les artistes, avec le monde politique et l’engagement civique. La politique cela passe aussi par la connaissance, par tout un travail critique, sur des thèmes comme l’identité nationale. Les mouvements sociaux ont-ils pour vous un sens particulier ? Mon premier réflexe est un mouvement de culpabilité. On est sept enfants dans la famille et mes deux frères sont ouvriers. Lorsqu’on se retrouve ensemble, je m’interroge toujours sur le fait que je gagne plus qu’eux.

Lorsque vous n’avez plus de mythe explicatif -c’est Dieu qui l’a voulu, c’est l’intelligence…- vous ressentez l’inégalité mais, en même temps, c’est difficile de devenir l’abbé Pierre : le peu que vous avez, vous y tenez. Ces contradictions-là, personnelles, sont revivifiées chaque fois qu’il y a des mouvements sociaux. Évidemment, il y a des tas de moyens pour s’en tirer. L’engagement en est un pour moi, et il a toujours fait partie de ma vie. Les formes ont pu changer : j’ai été membre du Parti communiste et, c’est banal dans ma génération, exclu en 1980. Aujourd’hui j’ai opté pour des mouvements associatifs ou par le travail avec le théâtre. J’insiste sur le collectif DAJA que l’on a créé: il lance des passerelles ! Et aujourd’hui il faut retisser des liens car le pouvoir atomise les gens, et les gens atomisés se découragent. J’ai eu la chance d’être étudiant à la grande époque, dans les années 70, où la politique, très présente, fournissait ces passerelles. C’est ce qui m’a permis de m’en sortir. Initialement je ne voyais pas d’intérêt aux études et puis je me suis rendu compte que travailler, devenir savant, avait aussi un sens politique. Quand je regarde les problèmes des étudiants d’aujourd’hui, je ne peux pas croire que tout provienne d’une question matérielle, même si je ne veux pas la sous-estimer. Ce n’est pas un système de bourses parfait, dans cet univers coupé du reste du monde, qui donnera aux étudiants la petite étincelle qui renverse les montagnes, celle qui donne le goût de travailler. Ce sont ces liens à créer qui m’importent. Je sais que l’on travaille souvent à la marge, mais cela peut-être très précieux car ce sont les marges qui bouleversent les choses établies. Finalement le lien, entre vos sujets de recherches, c’est vous ! La logique de la recherche c’est d’élargir. Je suis parti de l’immigration, des discriminations et du monde ouvrier, je me suis intéressé à l’épistémologie car j’étais préoccupé par la question de la vérité et de l’objectivité de l’histoire ; pour les intellectuels, il s’agit de mon milieu. Même si j’élargis mon champ, le centre reste les classes populaires. Parlons donc de ces recherches, comme celles sur l’identité nationale. Y a-t-il un lien entre la construction de la France comme nation et l’apparition du Français comme individu ? Le sujet semble devenir un citoyen qui endosse un rôle politique. Le commencement c’est la Révolution Française. La souveraineté nationale et le peuple comme nation sont institués. C’est aussi le début de la citoyenneté. À partir de 1870, on voit se manifester le lien entre le développement de l’État-Nation et celui de l’individu. Notion d’individualité qui peut paraître paradoxale car on parle de communauté nationale et les gens sont intégrés dans l’État-Nation. Les discours des partis nationalistes le montrent : ils réduisent ou occultent l’individu au profit de la masse et du collectif. Or, en même temps, se produit un développement de l’individu, de l’individualisme, de l’émancipation individuelle. L’identité nationale -je ne récuse pas forcement l’expression mais ses usages politiques- fait partie des identités latentes de l’individu. Quand l’identité nationale se constitue, cela veut dire que les personnes sont rattachées à d’autres groupes, à une classe


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et pour tous sociale, etc… cela se produit à un moment de fort moment de développement de l’autonomie de l’individu, par le rejet de l’Église, des croyances religieuses, du développement de l’esprit critique… C’est tout le paradoxe de la République : l’intégration à la nation coïncide avec le développement des libertés individuelles ! Le rejet, la peur du migrant, à la fin du XIXe, sontelles un moyen de recoller tous ces morceaux de la société qui sont épars ? Les identités latentes peuvent devenir des identités explicites, violentes. Le développement de l’immigration permet de nourrir des discours de rejet des étrangers (L’invention de l’immigration, éd. Agone, voir Zib’ 15). Mais en France le principal clivage demeure entre nation et classe. Le processus d’identité de classe a toujours été fort et a permis d’atténuer le discours xénophobe. En même temps, le discours sur la nation permet de souder, de dépasser les contradictions entre individus. Et c’est une fonction explicitement avancée par la droite française. On exalte la nation pour souder des gens qui n’ont aucun intérêt commun. La disparition du discours sur les classes sociales a-til changé le discours global que tiennent les élites sur la société, ou que la société fait sur elle-même, depuis les années 80 ? En réalité, cela n’a pas vraiment changé mais cela a permis de réactiver ce que l’on croyait dépassé. Après 1945, tous les démocrates tenaient à distance les discours identitaires parce qu’ils étaient responsables d’horreurs comme les guerres mondiales, le nazisme… À partir des années 80, on assiste à un changement avec l’émergence du Front national. La résurgence du discours nationaliste s’est faite de façon différente de son apparition, et c’est ce qui est difficile à comprendre. Il y a des points communs, le rejet de l’immigration, mais cela s’intègre dans un système politique où le nationalisme n’est plus perçu comme une menace directe pour la démocratie. Auparavant le nationalisme était un discours révolutionnaire : il voulait, comme le communisme, détruire les institutions démocratiques. Aujourd’hui, dans les discours du F.N. cela ne transparait plus. Même si, parvenu au pouvoir, il finirait par le faire. La reprise de ces thèmes identitaires se fait aussi à droite, dans un cadre démocratique. C’est là le plus grave ! Dans les années 30, la limite du discours nationaliste tenait en ce que les gens se disaient «si on laisse faire ça, ça va nous retomber dessus». C’est ce qui s’est passé avec la création du Front antifasciste en 1934. La mobilisation ne se faisait pas sur la question de l’étranger, dont on se foutait, mais sur les dangers pour la démocratie. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile de faire comprendre aux citoyens qu’ils doivent être solidaires, même pour leur intérêt propre. Le nationalisme se combine avec une logique médiatico-politique qui a intégré son discours. On a troqué arabe contre musulman : est-ce opératoire ? Le nationalisme a besoin de l’actualité pour être efficace. Les stéréotypes, charriés par la logique du fait-divers, se trouvent finalement politisés. Comme l’islam est à la première page de l’actualité depuis l’Ayatollah Khomeiny (1979), cela a abouti à la généralisation et a ancré des préjugés. Alors qu’au lendemain

de la guerre d’Algérie, c’était plutôt «arabe» qui était évoqué, aujourd’hui il est question d’Islam. C’est le récit d’actualité qui a ici la place primordiale. Vous avez étudié Aigues-Mortes comme un faisceau convergent de raisons pour provoquer l’événement. Pourquoi la mémoire réhabilite-t-elle cet événement maintenant ? La renaissance du nationalisme, qu’on appelle encore le populisme, se rencontre partout en Europe. C’est un processus global que l’on a du mal à expliquer et contre lequel on a du mal à lutter parce que l’on reste dans des formes de résistance à l’intérieur de l’ÉtatNation. Alors que le capitalisme est mondialisé, vous pouvez voir que la lutte contre les plans de rigueur se fait à l’intérieur des États : il n’y a pas de coordination en Europe. Pourquoi n’est-on pas capable de dépasser ces bornes ? À ce titre je souhaite que l’on s’interroge, et c’est mon cas, sur notre incapacité à aller de l’avant. Si l’on compare avec l’époque du massacre d’Aigues-Mortes, nous sommes moins internationalistes qu’on ne l’était : Labriola et Guesde tenaient des meetings communs où ils dénonçaient le capitalisme et ses responsabilités. Les historiens permettent de regarder le passé mais leur rôle d’expert auprès des tribunaux n’est-il pas ambigu ? Ne justifient-ils pas un certain consensus idéologique ? J’ai toujours été hostile à l’intervention dans les procès -il s’agit surtout du procès Papon. Ce n’est pas aux historiens d’aller témoigner dans un procès car les questions posées sont de nature judiciaire et non pas scientifique. N’y a-t-il pas un problème de confusion entre mémoire et histoire ? L’historien qui se rend au tribunal sort de l’histoire pour entrer dans la mémoire. Il sort de ses prérogatives car il ne peut y aller avec sa casquette «scientifique». Il sort de sa distanciation ?

BIBLIOGRAPHIE Co-fondateur de la revue Genèses. Sciences sociales et histoire, il participe à de nombreuses institutions nationales et internationales sur le thème de l’identité nationale. Parmi les nombreux et importants ouvrages qu’il a publiés, on peut citer Le creuset français, (Seuil, 1988), sur la France pays d’immigration ; Les fils maudits de la République (Fayard, 2005) sur les intellectuels ; À quoi sert l’identité nationale (Agone, 2007, voir Zib 3) ; ou encore, récemment, Le massacre des Italiens (Fayard, 2010, voir Zib 37). Sa volonté de nourrir le débat citoyen se traduit par la participation à de nombreuses associations (comme le DAJA) et à la mise en scène de faits historiques, qu’il défend dans Histoire, théâtre et politique, (Agone, 2009, voir Zib 22).

C’est surtout que le questionnement scientifique n’est pas du même ressort que le questionnement judiciaire ou politique. On peut faire la même remarque pour l’expertise. J’ai très souvent affaire avec des journalistes qui me demandent si les musulmans immigrés s’intègrent. Pour moi, ce n’est pas une question scientifique ! C’est une question politique. Qu’elle que soit la réponse que l’on pourrait donner, on construit la suspicion à l’égard d’un groupe. Cela ne peut pas être neutre ! Avec la floraison des statistiques, les sociologues sont souvent mis à contribution comme experts. Ne fautil pas se méfier de ce genre d’approche ? Il faut faire attention car il existe une grande diversité parmi les sociologues et ceux qui se prétendent tels ! En fait, une partie des sociologues remet en cause ces démarches statisticiennes. Là encore, ceux qui sortent leurs prérogatives pour faire de l’expertise courent un grave danger. Ils confortent un regard porté sur la société qui n’est pas neutre mais politiquement intéressé. Je fais partie de ceux qui appellent à la vigilance à l’intérieur des disciplines. Cette vigilance nécessite des liens avec «la société civile». Le propre des experts c’est de se positionner en surplomb. Ils créent un fossé avec le reste de la société, ce qui est très négatif pour leurs propres recherches d’ailleurs. Ils en arrivent à cautionner des croyances, comme celle de la corrélation inévitable entre immigration et délinquance. L’histoire a la capacité d’analyser les situations et de les déconstruire. Si pendant longtemps elle a pu assener des vérités, notamment avec la IIIe République, peut-elle aujourd’hui permettre un regard plus civique, aider le citoyen à prendre conscience de la société dans laquelle il vit ? L’exemple de la nation est assez parlant. Pendant toute une période, l’historien a légitimé la nation alors qu’aujourd’hui on est passé à une autre approche. Ce qu’il faut faire c’est donner les différents aspects d’une réalité de façon à ce que les citoyens se les approprient et en fassent usage avec une dimension critique. C’est ce que j’appelle une désidentification par le fait. C’est très important de privilégier la compréhension. Dans la lecture présentée au public du Massacre des Italiens (voir Zib 37) on a mis l’accent, à dessein, sur l’assassin parce que cela décale les choses : on se demande comment ce type en est arrivé là ! Les différents éclairages des personnages permettent de comprendre, mais aussi de montrer, les contradictions. On n’en tire pas de morale. Notre travail d’historien s’arrête à ce niveau-là. Ensuite c’est le ressort de la politique, du civique, de la citoyenneté. C’est aux personnes, aux spectateurs ici, de continuer. Aller au théâtre c’est donc sortir de la salle de cours ? Si on veut aller vers la compréhension, il faut se tourner vers des artistes. Cela permet de toucher d’autres publics. J’ai voulu éviter de tomber dans la routine du discours antiraciste. Il ne faut pas hésiter à lier parti avec les militants. C’est une manière de résister collectivement, avec les intérêts que l’on a en commun (la remise en cause, l’information…). Il est important de créer ces passerelles avec les différents milieux, non seulement conjoncturellement mais aussi durablement. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RENÉ DIAZ


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THÉÂTRE

LA MINOTERIE | LE GYMNASE | LES BERNARDINES suit le fil de son travail sur le métissage et les origines. Car tous ces défrisages, lissages et autres tressages sont autant de marques d’asservissement plus ou moins volontaire, et l’actuelle tendance nappy une désaliénation. Moi et mon cheveu inaugure avec talent Femmes and Black in the world, un cycle de spectacles transdisciplinaires écrits par des femmes noires de générations et de continents divers pour représenter l’Afrique et sa diaspora contemporaine.

O Nappy days Envie d’un spectacle qui décoiffe ? N’hésitez pas, foncez aux Bernardines. Mais dépêchez-vous, après le 18, il sera trop tard… D’abord, prenez le temps de flâner sous la tente du théâtre ; un marché des créateurs africains vous y accueille. Bijoux, spécialités à grignoter, le voyage commence déjà. Puis laissez-vous conduire jusqu’au théâtre. Eva Doumbia et sa compagnie y ont installé leur cabaret capillaire, un spectacle habilement tressé, entre humour et émotion. Sur des textes de Marie Louise Bibish Mumbu, des femmes parlent, chantent, dansent. Superbement. Durant plus de 2 heures (qu’on ne voit pas passer), on embarque avec elles pour un tour du monde de la coiffure black dans tous ses états, des loges à la salle de spectacle, de l’Afrique

FRED ROBERT

© Agnès Mellon

au Brésil en passant par la diaspora. Musique, chorégraphie, texte, vidéo, avec des formes aussi variées que celles des coiffures africaines, Doumbia réussit

un spectacle vibrant d’énergie et de fantaisie, bien dans l’esprit du cabaret. Et en posant la question du rapport des femmes noires avec leurs cheveux, elle

Moi et mon cheveu, cabaret capillaire, conçu et mes par Eva Doumbia, est présenté en avant-première au théâtre des Bernardines jusqu’au 18 février. 04 91 24 30 40 Il sera créé pour le Festival de Marseille du 7 au 9 juillet

Drôle d’oiseau ! En 1984 Beno Besson proposait une mise en scène de L’Oiseau vert que toutes les mirettes présentes ont gardé en mémoire. Magique, drôle, politique, sa lecture du conte de Gozzi était un chef-d’œuvre de théâtralité aboutie… Sandrine Anglade reprend en France la pièce avec une sérénité modeste, citant son glorieux aîné dans quelques effets de mise en scène, mais proposant une interprétation très différente : les jeunes gens n’y sont plus une force absolue qui doivent se délivrer des mirages spirituels, et des spectres et lourdeurs d’une société minérale. Ici la philosophie se heurte à la réalité du désir, idéalisme et matérialisme s’affrontent à travers des personnages symboliques… mais tout aussi drôles, colorés et vivants ! Les trois heures du voyage passent comme en un rêve par la grâce de la fable, le talent des comédiens, la caricature assumée d’un jeu irréaliste rimant parfaitement avec des costumes et des décors percutants, sans esthétisme fabulateur. Il en reste du plaisir, intelligent, qui renvoie à l’enfance mais construit aussi un parcours initiatique qui rapproche rois et enfants du peuple, malmène les liens du sang, et en appelle à une élévation spirituelle loin d’un matérialisme qui a viré à l’amour immodéré du matériel. Tout cela en chansons, dans une traduction nouvelle qui restitue une langue brutale et crue, de beaux clins d’œil contemporains, et un rythme sans faille… AGNÈS FRESCHEL

L’Oiseau vert a été joué au Gymnase du 18 au 22 janvier

© Gilles Abegg

Langues de chat ...petits biscuits secs modérément oblongs, au nom tendre et légèrement ridicule dont il est prudent de se munir lorsque l’on doit gravir des sommets et surtout remonter au temps des copains... L‘un des six hommes [qui] grimpent sur la colline, en hypoglycémie (feinte), en déplore l’absence et cette réplique simplissime donne le ton d’une pièce découpée dans le carton de l’adolescence éternelle. La scène : des plans inclinés qui indiquent d’où l’on vient, où l’on va et à qui l’on parle, bordés sur le devant par une haie plus que verte, ostensiblement fleurie, comme au pays de OUI-OUI. Les personnages : y’a Bidom qu’est pas maigre, Banchard qu’est yéyé, Arnold le zinzin, Gromeux qui se la pète un peu et Poucet le ténébreux ; cinq vivants et Julot réduit en cendres dans sa boîte à chapeau, seul lien désormais et pas pour longtemps entre ces hommes qui ont été des amis, avant dispersion. Gilles Granouillet, auteur associé à la Comédie de Saint-Etienne met dans leur bouche de petites choses vraies, sans éclat, à l’aune de leurs sentiments, pas très élevés, vite fatigués ; rien de ce qu’ils disent ne nous est étranger ; l’hommage funèbre se transforme illico en pique-nique Tupperware et l’ascension majestueuse en débandade aigre-douce. Le metteur en

© Laurence Fragnol

scène Eric Leconte affuble les acteurs de la Compagnie La Naïve de fauxnez et d’accessoires dérisoires, les fait évoluer sur un espace minuscule au bord d’un gouffre de 20 centimètres, entre bouffonnerie et cynisme tendre ; le jeu est juste dans le meilleur sens du terme, n’échappant pas toujours à l’étriqué. Grimpette mélancolique contenue tout entière dans le dernier geste d’Arnold seul en scène, lançant un avion en papier qui vient piquer du nez aux pieds des spectateurs… MARIE-JO DHÔ

Six hommes grimpent la colline, mise en scène d’Éric Leconte pour la Compagnie La Naïve a été donné à La Minoterie du 18 au 22 janvier



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THÉÂTRE

LA FRICHE | SIRÈNES | THÉÂTRE DU PETIT MATIN | TOURSKY

Renverser les icônes ? peu démantelés, fleurs artificielles ornant d’hypothétiques tombes, icône parfois éclairée... Le tout sublimé par les costumes qui marient godillots et dentelles, plumes chatouilleuses et chapka ! Le spectateur s’amuse, s’étonne, cherche à reconnaître certains passages de La Cerisaie ou de La mouette et s’enthousiasme du culot de Pogrenitchko qui fait chanter au milieu du spectacle L’été indien de Jo Dassin ! Ça s’appelle renverser les icônes ! Mais les apprentis comédiens y trouvent-ils de quoi développer et démontrer leurs talents ? CHRIS BOURGUE

La Prière des clowns par l’ensemble 19 (3e année de l’ERAC) a été joué à Cannes le 14 janvier et à la Friche, Marseille, du 18 au 25 janvier

© Mathieu Bonfils

Malgré une affiche explicite -silhouette d’homme flanquée d’une poule et d’un canard-, l’attaque du spectacle étonne : dès les premières minutes deux comédiens chapeautés et vêtus d’austères costumes noirs gloussent et cancanent à l’envi en parcourant le plateau, genoux pliés. Ils réapparaîtront plusieurs fois, animés d’une rivalité ridicule, métaphore du genre humain. Cela donne le ton, ou plutôt la griffe Pogrebnitchko. Le metteur en scène russe met les acteurs dans des situations risquées dans lesquelles ils rongent les personnages tchékhoviens jusqu’à l’os. Les jeunes acteurs de l’ERAC ne jouent pas Tchekhov, mais des scènes tronquées et sorties de leur contexte, dont les rapprochements créent des situations surréalistes. Les objets jouent le même rôle : pianos sans cordes peu à

Y’a rien à voir !

Quand Jaz est là… au réel, industriel et portuaire, des avions qui passent et des bateaux qui sonnent un appel au voyage. Puis nous voici au pays des Soviets, grâce à une reprise reformatée de la Sinfonia Gudkov d’un obscur compositeur officiel de 1922, Arseny Avraamov. Des collages ironiques font cohabiter des chants révolutionnaires et des timbres évoquant des manèges, des sifflets, des machines, l’Internationale, des balalaïkas. Un véritable paysage historique en marche ! À la fin une dame qui a visiblement fréquenté certaines travées murmure, un peu déçue : «c’était plus une messe qu’un spectacle.» Voire ! A.F.

À venir © Vincent Lucas

Étonnante prégnance du visuel ! Lieux Publics a choisi en février de proposer un «spectacle» sonore, diffusé par des enceintes. Une symphonie des sirènes évocatrices… seulement par ses sons. Le dispositif scénique était donc minimal : quelques faux haut-parleurs de type soviétique, et des spectateurs disposés concentriquement autour d’un espace vide, pour mieux écouter. Une bande de sons empruntés

Mille visages pour un individu

Entre 2, joute oratoire concoctée par quatre piétons chanteurs, deux duels de duos, et deux créatures des mers ? Ça va chanter et rivaliser, pour cette sirène concoctée par Jean-Marie Maddeddu. Entre 2 Le 2 mars Parvis de l’Opéra, Marseille 04 91 03 81 28 www.lieuxpublics.com

La cie L’individu poursuit une aventure généreuse qui implique le spectateur en lui donnant à partager, étape par étape, la création d’un projet conçu comme une variation du Songe d’une nuit d’été. Le 5 fév, la lecture d’un Quadrille amoché, fantaisie vaudevillesque drôle, décalée et parfaitement réglée, tranche avec les deux étapes précédentes, nourries de la mythologie cruelle et cynégétique d’Actéon et Persu, et d’un travail sur le corps et son envers, l’informe et l’archaïque. On prend souvent Shakespeare pour

Faire la guerre à la guerre, à l’inhumain, au viol, à l’oppression en les montrant, dans toute leur horreur, c’est ce à quoi s’attache La Compagnie des Lézards dirigée par Kristian Frédéric, avec la mise en scène de Jaz de Koffi Kwahulé. Esthétique de bande dessinée, avec un story-board de cinéma, une machinerie énorme, un robot auquel le personnage est enchaîné, nouveau Prométhée. Dialogue entre les sons de la machine et Jaz, interprétée avec force par Amélie Chérubin-Soulières, rôle éprouvant s’il en est, tout de tensions, avec une chorégraphie où le corps passe d’une attitude de statue à une autre en de terribles élans. Trois écrans dominent la scène, images brouillées, on dirait Matrix, allusions multiples, œil immense, fixe, hommage à Buñuel, mais aussi des éléments peu explicites, le code 185 443 était celui de Desnos dans les camps, par exemple… Manquent de nombreuses clés. Reste la violence brute, énorme, cathartique peut-être, coup de poing assurément ! M.C.

Jaz a été donné au Toursky les 4 et 5 février

prétexte. La compagnie en fait une matrice de travail, enfantant des propositions atypiques et fécondes qui empruntent à toutes les disciplines (écriture, peinture, performance, musique, vidéo) et mêlent des références littéraires et picturales, les biographies fictionnelles des acteurs qui ont prêté leurs vies à des personnages qui déambulent du texte de Shakespeare à ceux de Jérôme Lambert et CharlesEric Petit. Circulation d’un artiste à l’autre, rémanence des motifs et des images, redistribution kaléidoscopique

de scénarios croisés, cette œuvre mouvante, composite et en devenir, avance comme un spectacle vraiment vivant, qui croît et s’improvise dans le temps. AUDE FANLO

Le Quadrille amoché, de Charles-Eric Petit, a été joué au Théâtre du Petit Matin, Marseille



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THÉÂTRE

LA CRIÉE | LE LENCHE | LE GYPTIS

Insurrection ! We are la France avait un petit côté cynique : le constat du pourrissement du monde contemporain était net, mais chacun semblait s’entendre sur l’impossibilité d’action, et donc la nécessité de faire avec… Avec Que faire ? Benoit Lambert et Jean-Charles Massera abandonnent les trentenaires et s’attachent à un couple plus âgé, retraité et populaire. Rentre dans sa cuisine et ses souvenirs… ceux de 68, du militantisme, de l’insurrection. Et c’est toute une littérature révolutionnaire qu’ils passent en revue, commentant ce qu’ils en conservent, de Marx à Lénine en commençant par Descartes pour finir par Deleuze… Le tout agrémenté de belles analogies avec les insurrections artistiques (Joseph Beuys), quelques mises au panier réjouissantes (le droit inaliénable à la propriété, le surhomme de Nietzsche, la démocratie américai-

ne et toute la Révolution Française !), de chansons et de pantomimes (un peu systématiques et pas toujours drôles, aspect le moins réussi du spectacle). Vers la fin cela prend un tour plus violent, et le couple qui est passé de l’interrogation à l’engagement, s’achemine vers la révolte. Grâce à Nina Hagen ! que Martine Schambacher incarne avec une splendide furie… et que François Chattot-Mouloudji apaise en chantant Faut vivre… Renoncement tendre ? Sûrement pas ! Le couple, après être sorti de «l’amortissement que nous vivons depuis 68», fabrique ensemble, et en chansons, de beaux cocktails Molotov prêts à l’emploi ! AGNES FRESCHEL © V. Arbelet

Que faire ? le retour a été joué à La Criée du 1er au 12 février

Bioscénographie d’un génie

Solo rigolo

L’entreprise de Fabrice Melquiot est singulière : mettre en scène Jackson Pollock pour approcher peut-être de l’essence du génie… Son échec même signe sa paradoxale réussite : car c’est en montrant combien le génie d’un artiste est irréductible à sa vie, et surtout à la représentation de celle-ci, que la pièce révèle tout à trac que ce truc là, cette force inventive qui permet de faire des œuvres puissantes et incontournables, est au fond incompréhensible. Il montre Pollock comme un sale gosse. Violent, de mauvaise foi, comprenant mal ce qu’il fabrique mais fort bien ce qu’il rejette, obsédé par la stupeur stupide du sexe et de l’alcool, y cherchant la folie nécessaire à ses éruptions créatives. À côté de lui Lee Krasner, admirative de l’œuvre plus que de l’homme, vouée au sacrifice de son

On avait fort apprécié, en 2008, la prestation de Roland Peyron dans Monsieur Armand dit Garrincha. Le revoici sur le plateau du théâtre de Lenche, jusqu’à la fin du mois, dans un nouveau monologue écrit sur mesure pour lui par Serge Valletti. À plein gaz, c’est le titre, dont on © Kevin Louviot ne comprend le sens qu’en cours de route, et qu’il serait dommage de dévoiler. Une heure, c’est la durée du spectacle, qu’on pourrait définir comme un récit de vie ; une de ces histoires à tiroirs et à digressions dont Valletti raffole. Sauf que ce n’est pas tout à fait ça. Car qui est-il, ce drôle de bonhomme en costume-cravate-manteau qui semble sorti de nulle part et qui y retournera à la fin, en traînant derrière lui son sac de voyage à roulettes ? Est-il celui qu’il raconte, un personnage d’assassin doublé d’un escroc, un minable affabulateur ? Est-il l’acteur qui l’incarne et ne cesse de prendre le public à témoin ? La pièce joue constamment de cette double posture du comédien, comme si Valletti voulait ici rendre hommage à l’illusion théâtrale et au travail d’acteur. Une mise en scène sobrissime, des accessoires simples, quelques jeux de lumière, et on entre dans «ce fragment de cerveau ouvert» qui se livre. On joue le jeu, tout au plaisir de retrouver le sens de la formule de Valletti, ses ruptures de ton et de rythme, auxquels les accents de Peyron donnent tout leur relief. Un bon moment de théâtre donc, de franche rigolade parfois, même si la fin manque un peu de tonus.

propre talent, pour un couple voué aux déchirures. Jusqu’à ce qu’un autre peintre, Mondrian, reconnaisse en elle le talent qu’elle avait mis de côté. Pas le génie ? Quant à l’autre génie, le vrai, de débordements en virée il finira par se tuer d’un excès de vitesse volontaire dont il ne fut pas la seule victime… Lamentable ? L’œuvre est là. Pas sur scène, même si Paul Desveaux parvient à évoquer sans les reproduire les gestes, les empâtements et les couleurs des peintres. Le portrait le plus attachant est nettement celui de Krasner, magnifiquement interprétée par Claude Perron. Serge Biavan, roc brut qui divague, baise dans les arrière cours et frappe sa femme, donne peu envie de connaître l’œuvre. On aurait tort. A.F.

Pollock a été joué à la Criée du 25 au 29 janvier Pollock © E. Carecchio

FRED ROBERT

Le texte de la pièce vient d’être publié avec celui de Roméa et Joliette aux éditions de L’Atalante.

À noter À plein gaz, mes Eric Louviot, se joue jusqu’au 26 février au Théâtre de Lenche 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info


L’abondance nuit

© Agnès Mellon

Comme on aimerait que les intentions louables fassent les bons spectacles ! Germaine Tillion a écrit une opérette à Ravensbrück pour survivre. Si l’œuvre a valeur de témoignage, c’est aussi une mosaïque mal écrite dans un contexte plus que particulier par une ethnologue qui s’improvise auteur dramatique, et lyrique. Le texte n’est pas bon, trop long, démonstratif, décousu, répétitif, à l’ironie lourde –on le serait à moins. Le monter sans distance, intégralement, n’a pas de sens. Heureusement l’écriture musicale subtile d’Alain Aubin vient donner un peu d’épaisseur à ce qui s’apparente à des songs, mais ils sont trop semblables, redondants… Quant aux comédiennes on ne sait pas très bien ce qu’elles jouent : les prisonnières du camp ou les personnages d’une fiction interne ? Les rôles sont mal distribués, la meneuse de jeu ralentit le rythme en campant une sorte de clown triste décharné, rien n’est vraiment drôle ou vraiment tragique et la bourgeoise soignée, personnage essentiel, est tenue par une comédienne qui n’a rien du rôle. Les chanteuses et musiciennes parlent un peu faux, ce qui est pardonnable, celles qui ne chantent pas aussi, hélas… et la mise en scène manque d’idées simples, de décisions, de parti pris. Vraiment dommage pour cette production régionale, féminine, ambitieuse… qu’il faudrait resserrer de toute urgence ! AGNES FRESCHEL

Le Verfügbar aux Enfers a été créé au Gyptis, Marseille, du 8 au 12 février, puis joué le 12 mars au Comoedia, à Aubagne, et le 16 au Vitez, à Aix

Antichambre 18ème Le Jeu de l’amour et du hasard est une des pièces les plus innocemment perverses de Marivaux : sous prétexte d’une intrigue pré-conjugale classique -deux jeunes gens veulent se connaître avant le mariage sans se dévoiler mutuellement leur identité véritable-, ne voilà t’il pas qu’une noble se retrouve courtisée, et amoureuse, d’un (faux) valet qui n’en revient pas d’aimer une (fausse) servante ? Et que le frère et le père de la belle assistent, voyeurs amusés, au spectacle de ces vrais émois ancillaires ? Marivaux balaye ici de très belle manière les interdits sociaux, prouvant qu’on peut s’aventurer à aimer hors de classe même si, finalement, l’éducation des nobles les distingue

encore de leurs proches serviteurs. Faire de ceux-ci des nigauds ridicules, obsédés de sexe et d’argent, peuple aux désirs torves comme le fait Calvario est donc très drôle, mais sujet à contresens douteux. Le public lycéen se tordait de rire à leurs caricatures. Pas sûr qu’ils aient compris la force révolutionnaire de cette comédie où, pour la première fois, un noble à bout d’amour propose le mariage à une prétendue roturière ! A.F.

Le jeu de l’amour et du hasard a été joué au Gyptis du 19 au 21 janvier


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THÉÂTRE

JEU DE PAUME | TOURSKY

Mythes fondateurs Semaine macédonienne au Toursky et programmation courageuse d’œuvres inédites, avec le Livre secret, film de Vlado Cvevanovski avec Jean-Claude Carrière, et une pièce de Jordan Plevnes, poète et chantre contemporain de la Macédoine, par le théâtre national de Strumica, dans la mise en scène de Dejan Projkovski. Evènement, la télé macédonienne s’est déplacée ! Le thème abordé est en effet crucial, il s’agit d’évoquer la vie et l’œuvre de Krste Petkov Misirkov, qui, par ses travaux, est considéré comme l’un des pères de la Macédoine actuelle. D’ailleurs, le besoin de se raccrocher à des héros nationaux fédérateurs est sensible dans toute la pièce qui évoque Philippe de Macédoine et Alexandre. L’antique Pella, Postol en 1874 sous l’empire ottoman, capitale des deux grands conquérants, vit

naître le nouveau héros, Misirkov, le «Mozart linguiste des Balkans» avec sa maîtrise de 26 langues. L’enjeu de son évocation dépassait les limites du spectacle. L’émotion sensible des artistes, aussi attachante que maladroite, s’affrontait à un texte mal taillé pour le théâtre, avec sa grandiloquence romantique, son érudition universitaire (qui va jusqu’à oser «anthropophonétique»), ses énumérations infinies, ses va et vient incessants entre passé et présent, sa volonté d’une impossible exhaustivité… Oui, la vie du héros fut riche complexe, torturée, balkanique… Le chœur antique dans la plus grande tradition, avec de belles voix, des accords qui ont les accents de la liturgie orthodoxe slave… ne compense pas un surtitrage calamiteux, une profusion de cercueils que l’on assemble sans fin, une débauche

Vers la folie ? Chez Musset, la légèreté est un des masques de la profondeur, les mots les plus anodins s’ourlent de sens, on joue sans cesse à laisser pressentir les failles. Mise en scène complexe que celle de cet implicite qui affleure au creux des silences, des mots retenus, en une musique subtile et ironique. Les petites pièces en un acte offrent une palette riche difficile à appréhender. Les jeunes acteurs de la troupe de Frédérique Plain se glissent avec un visible plaisir dans leur prose délicate. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée les entraîne dans un charmant marivaudage où les sentiments semblent éclore de leurs contraires, où les lieux communs s’effritent. Rodolphe Congé et Johan Daisme interprètent avec délicatesse les bavardages qui les conduisent à des

révélations qu’ils n’attendaient pas. Mais dans l’intérieur bourgeois tout est joliment réglé, un peu trop sage alors qu’on attendait de la folie dans On ne saurait penser à tout. Malgré le battement de l’horloge qui, imperturbable, rythme la mesure puis s’affole, la course frénétique des serviteurs pour remplir la malle du marquis distrait, on reste sur sa faim. Le mouvement débridé, le tournoiement dionysiaque, s’enlisent. Sans doute, il aurait été judicieux de resserrer un peu, d’établir une réelle tension dramatique hors de la mécanique. M. C.

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée et On ne saurait penser à tout ont été joués du 3 au 5 février au Jeu de Paume

de farine censée représenter la cendre et la poussière rituelle du deuil, des arrêts sur image dans le meilleur goût de l’esthétique soviétique… Insondable abîme entre le théâtral et le théâtre ! La Macédoine est en train de se construire : si «la beauté doit sauver le monde» (Dostoïevsky), elle doit aussi créer un art contemporain susceptible de donner à entendre «la musique parfois infernale des Balkans mais qui rayonne aussi d’espoir.» (J. Plevnes). MARYVONNE COLOMBANI

Le dernier jour de Misirkov a été joué au Toursky le 28 janvier

Du roman au théâtre Le Jeu de Paume était plein comme un œuf pour les représentations de l’adaptation du roman d’Anna Gavalda, Je l’aimais, dans la mise en scène de Patrice Leconte. Mais la puissance du texte, lissé dans cette adaptation, vidé de sa substance pour devenir du boulevard, manquait cruellement. La pure simplicité de son style s’aplatit sur © BM Palazon scène en une certaine mièvrerie, et le rythme a du mal à se trouver. Le décor, chargé, ancre la pièce dans une réalité… convenue. Il est certes difficile de rendre au spectateur l’émotion ressentie au cœur des pages, d’accorder à des personnages qui s’incarnent, la même poésie qu’à leur modèle de papier. Déception donc, et pourtant quel bonheur ! Portant toute la pièce, il y a Gérard Darmon, avec sa voix superbe. La banalité la plus plate prend alors une épaisseur inattendue. Il s’empare du rôle de Pierre avec subtilité et retenue, jongle avec finesse entre présent et souvenir, laissant peu à peu affleurer la poignante douleur de la perte. C’est un vrai privilège que de voir sur scène un si grand acteur. Pour le reste, c’est une bonne occasion de revenir au texte de Gavalda. M.C. Je l’aimais a été donné au Jeu de Paume, Aix, du 8 au 12 février

Duel singulier Combattants ex aequo, la musique, grand vainqueur ! © X-D.R.

Le 2 juin 1626, le cardinal Richelieu interdisait la pratique du duel qui décimait la fougueuse noblesse, bien sûr, la pratique n’en cessa pas pour autant, et en 1967 encore on pouvait voir des députés jouer de l’épée (René Ribière et Gaston Deferre !). Mais la pratique est tombée cependant en désuétude. Heureusement, Laurent Cirade et Paul Staïcu renouvellent le genre avec éclat, dans l’efficace mise en scène d’Agnès Boury. Leur premier duel a fait rire le monde pendant 8 ans, le second risque de solliciter encore les zygomatiques de la terre entière. Tous les genres, toutes les époques, de Bach aux Bee Gees, de Beethoven aux Beatles, de Brahms à Ennio Morricone… Car tous ces compositeurs n’ont jamais travaillé que pour ce duo virtuose et déjanté : c’est ce qu’ils affirment en tout cas, et nous voulons bien les croire, tant leur spectacle est jubilatoire ! Les défis sont nombreux, course poursuite autour du piano en gardant le rythme de la musique, jeu dans toutes les positions, debout, assis, couchés ! Avezvous déjà essayé de jouer du piano les yeux bandés, les mains menottées ? aucun problème pour Paul Staïcu…

Et tirer une mélodie d’un simple fil tendu ? Laurent Cirade y ajoute une marionnette fildefériste… Et que dire de l’inénarrable scène de séduction de dame violoncelle ! C’est ainsi que naquit le violon… Les répliques musicales s’enchaînent en un rythme échevelé, pas un temps mort dans cette mosaïque variée qui use de tous les registres avec le même brio, que ce soit pour le jazz, le classique, le rock. Car l’efficacité burlesque repose sur la virtuosité technique des musiciens : quelle extraordinaire démonstration d’indépendance et de décoordination, lorsque le violoncelle joue du piano d’une main, des cordes de l’autre, en même temps qu’il s’accompagne au didgeridoo, et que son comparse fait l’autre main au piano tout en maniant l’archet ! Take a walk on the wild side à deux sur le violoncelle clôt le génial Duel opus 2. Un moment de vrai plaisir ! M.C.

Duel Opus 2 a été interprété les 21 et 22 janvier


VITEZ | PARVIS DES ARTS

THÉÂTRE

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Inégal La Compagnie Meninas s’est installée pour cinq semaines au Parvis des Arts pour présenter quatre spectacles, proposer des soirées Cabaret et des ateliers théâtre. Cavaliers a été travaillé sous le regard complice de son auteur, François Cervantès. La pièce, étrange, mêle dès le début le réel de la représentation, en s’adressant au vrai public présent, et la fiction, mise en scène. Puis un autre niveau affleure : ce qui est dit et joué se révèle à la fin ne pas être la «vérité» : c‘est ce que confie la traductrice qui joue aussi le rôle de la soeur d’Antonella. Et n’est pas sûre que ce soit sa soeur. Antonella, jouée de façon très sensible par Francesca Giuliano, se réjouit au début de voir du monde. Elle sourit, s’adresse aux spectateurs, et peu à peu se livre et raconte :

l’exil, le mariage arrangé avec Tonio… confidences en demi-teintes qui laissent sourdre déception et frustration. Le mari, pas vraiment choisi, n’a pas le beau rôle… et le comédien en semble gêné ; le plateau vaguement occupé par 3 étagères n’arrange pas les choses. Le samedi soir, la compagnie offrait un cabaret bon-enfant autour d’une dégustation après le spectacle. Si l’une des interprètes était touchante dans son interprétation d’une chanson de Barbara, on ne peut en dire autant des prestations «music-hall ringard» des autres. CHRIS BOURGUE

© X-D.R

Rouge la mouette

Se récréer

Blessée, tuée, empaillée, La Mouette de Tchékhov est le symbole de la fin des illusions. La scène d’ouverture passionnelle et désespérée donne les couleurs de la mise en scène, rouge et noire. «Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur» répond Macha à Medvédenko qui lui demande pourquoi elle est toujours vêtue de noir… La pièce de Tchékhov ne cesse d’être actuelle, dans son romantisme, son interrogation permanente sur la nouveauté, la difficulté d’exister, de prendre une place, être reconnu en tant que personne, mais aussi en tant qu’artiste par ses aînés. Difficile à transcrire sur l’espace scénique, faire vivre les multiples intrigues croisées, rendre sensible les drames, les compromis, les peurs, la tragédie enfin. Mikaël Serre adapte le texte tout en respectant la tension dramatique, mais surtout donne un beau dynamisme à cette œuvre souvent montée dans la lenteur et l’ennui. L’espace de la scène se module avec une belle liberté, les lieux se multiplient avec évidence, un fauteuil, une piscine gonflable, un filet de tennis sur lequel la fragile Nina évolue comme un funambule, une tente dans laquelle la génération de ceux qui ont déjà réussi s’enivre et se protège… Rythmes variés, élans, accélérations (comme la superbe scène dans laquelle Constantin court autour des acteurs immobiles avant de sombrer dans le lac), la pièce est menée tambour battant. On rit, on badine avec profondeur. Les acteurs sont d’une fraîcheur revigorante. Une représentation d’une très belle qualité à laquelle le public a rendu un hommage appuyé.

Le jeu de mots entre re/récréation cherche à prendre forme et corps dans l’étape du travail que Danielle Bré présente avec les jeunes comédiens de sa troupe In pulverem reverteris. RéCréation s’inscrit dans l’interrogation sur les relations entre l’artiste et la société, que la phrase programmatrice de cette année suggère, «Le livre doit être la hache qui brise la mer de glace qui est en nous» (Kafka). L’ouvrage est composé d’un montage d’extraits choisis de Robert Walser dont la photographie projetée sur l’écran de fond de scène attend le spectateur, tête légèrement inclinée, yeux comme perdus dans une interrogation intérieure. Interrogation que les personnages reprennent à leur compte, en lycéens bien typés : la snob, la riche rebelle, la pauvre avide de reconnaissance, l’éternel bizut, le séducteur sûr de lui, le cancre et ses mimiques expressives. Êtres en devenir mais en proie aux doutes et dont la force tourne à vide, sans perspectives. On joue des apparences, des demivérités, des a priori, des mots que l’on donne et que l’on reprend. Symptomatique, le «jeu de la vérité» dans lequel il faut «à tout prix garder son masque» ! Le décor très simple se transforme au fil des scènes, modelé par les acteurs ; le temps est rythmé par les sonneries lycéennes et les extraits des textes de Walser sur l’écran, sem-

M.C.

La mouette a été donnée au théâtre Vitez, Aix, le 2 février

Cavaliers, a été joué au Parvis des Arts du 18 au 22 janvier L’espace convivial du bar permet les discussions autour d’un verre.

© Patrice Claire

© Alain Hatat

blables à des têtes de chapitre. Beaucoup de bonnes idées, pour une mise en scène sobre. Mais l’ensemble, sans doute parce que nous ne sommes qu’au début de ce travail, manque encore de rythme. La mosaïque des moments qui cherche à montrer les différentes facettes de la problématique envisagée, de l’«opacité» de la jeunesse, se dilue un peu, manque d’une réelle ligne de force. L’idée de la fin de la pièce (les comédiens abandonnent leurs personnages et se présentent eux-mêmes) tombe à plat, puisqu’il n’y a pas de frontière entre le jeu précédant et la volonté affichée de réalité. Il est cependant vivifiant de constater que le théâtre militant et expérimental se renouvelle dans les textes, et par l’analyse de la société contemporaine. MARYVONNE COLOMBANI

RéCréation, version 1 a été donné les 26 et 27 janvier au théâtre Vitez, Aix La Version 2 sera représentée en nov 2011 à la Minoterie


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THÉÂTRE

MARTIGUES | AUBAGNE | CANNES | VALBONNE

Mescal maniériste

© Koen Broos

Le roman de Malcolm Lowry est puissant, épique, macho, excessif comme son héros le consul anglais qui aime pénétrer les cercles de l’enfer. Le film de Huston est moite et littéraire, populaire et mythique comme la fête des morts, désespéré et résigné comme ceux qui sentent que la fin approche, et qu’ils n’ont jamais été aussi vivants. La mise en scène de Sous le Volcan par Guy Cassiers réussit l’exploit de proposer une lecture personnelle qui ne trahit jamais le roman, et rappelle judicieusement le meilleur du film. La manière du metteur en scène repose sur des procédés d’amplification qui plongent le spectateur dans une intimité proche de salles de cinéma. Murmures, démultiplications des images, montages, plans serrés, voix off qui s’incarnent, cohabitent pourtant avec des corps émouvants -les acteurs sont époustouflants- et un jeu sur la profondeur impossible au cinéma. Les cercles de l’enfer sont ainsi évoqués

comme autant de plans séparés de cloisons transparentes qui font écran ou révèlent. Les relations amoureuses triangulaires déploient leurs figures géométriques et le texte, réduit à ses dialogues et ses monologues intérieurs, retrace simplement la descente vers l’enfer halluciné et désiré auquel s’abandonne obstinément le consul, offrant son ventre au couteau. Les grands thèmes du roman, la guerre, les fournaises, les floraisons délétères, le corps qui trahit, sont à peine suggérés. Qu’importe : on les voit, et les odeurs parfois semblent se propager dans l’espace… A.F.

Sous le Volcan a été joué le 28 janvier à Martigues et les 1er et 2 février à Sète

Fi la mort ! ingénues «quelqu’un a perdu quelque chose ?») et de lucidité brûlante. Car la mort est décomplexée, le destin dérisoire et la poisse qui l’englue vaut bien un ultime pied de nez… AntigoneAdèll Nodé-Langlois délire, minaude, s’invente une vie de princesse, se déhanche sur des riffs de guitare rock et chevauche à califourchon le cercueil comme s’il s’agissait de jouer aux autotamponneuses. Le pire (enfin le meilleur vous a-t-on dit), c’est qu’on y croit. On vit là nos dernières heures avant que la mort ne nous emporte avec elle. Et lorsqu’elle craque le dernier morceau de chocolat du condamné on est tenté de lui en demander un carré ! Antigone © Alain Julien

Antigone n’échappera pas à son destin tragique. Emmurée vivante par son oncle Créon, nouveau roi de Thèbes, la fille d’Œdipe et de Jocaste refusera de laisser le cadavre de son frère sans sépulture. La voilà qui se terre à côté de son cercueil. Difficile d’imaginer pire scénario ! Difficile d’imaginer pitreries, facéties et danse macabre ! Sauf qu’avec Adèll Nodé-Langlois, tout peut arriver : le meilleur comme le meilleur. Nez rouge écarlate, cheveux en bataille, le teint blanc de l’Auguste, toute de noir vêtue -c’est de circonstance, non ?-, socquettes blanches et escarpins en cuir à bout carré -vite délaissés pour des sabots noirs-, elle se lance dans un inénarrable monologue clownesque. On rit de tant de bravade, de perfidie, de roulements d’yeux, de ruades (ses déplacements équins autour de la piste sont prétextes à des questions

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Antigone a été joué du 1er au 3 février au Théâtre des Salins, Martigues

C’est long la nuit Ombre. Le faisceau d’une lampe anime l’espace de ses mouvements. «Dans la vie, il y a deux choses qui éclairent les gens, la philosophie et les lampes.» Monologue drôle, léger, de la lampe, marionnette d’un nouveau genre… on s’installe avec plaisir dans ce début de spectacle, résultat du travail collectif de sept auteurs, cinq compagnies de Paca et d’Île de France et autant de metteurs en scène. Le projet s’est déroulé en trois phases, commandes puis résidences d’écriture, lectures publiques et maquette, résidence (à la distillerie d’Aubagne) et création du spectacle. Nous y sommes… Projet ambitieux et difficile, avec trop peu de temps pour la mise en commun peut-être… Un patchwork de

monologues se succède avec plus ou moins de bonheur, des longueurs immenses, des éléments qui pourraient être intéressants mais qui s’avortent d’eux-mêmes. Cela manque d’une patte qui resserre les liens, apporte une tension dramatique réelle, donne un rythme à ce travail décousu, filandreux. Certains textes ne sont visiblement pas écrits pour le théâtre, d’autres demanderaient une puissance absente. On retiendra les joyeux passages de la serveuse de nuit d’un Mac Drive, «la mouette du drive in» (!), et son monde nourri de références macdonalesques, de l’infirmière qui organise l’escapade des «vieilles» du centre médicalisé, quelques bons mots du philosophe frustré, le superbe

ciel étoilé de lettres de la fin. On souhaite à ce travail de trouver son rythme, et de savoir manier les ciseaux avec discernement. MARYVONNE COLOMBANI

Métiers de nuit, présenté par la Cie Le Bruit des Hommes et sequor a été donné au Comœdia d’Aubagne le 12 février. Il sera donné de nouveau le 19 février au Théâtre Alexandre 3 à Cannes, et du 1er au 5 mars à Gare Au Théâtre à Vitry-Sur-Seyne (94), le 7 juillet à Valbonne au Festival Arts de la rue


ARLES

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Peterson le glas ? Librement adaptée du documentaire éponyme de Jean-Xavier de Lestrade par Dorian Rossel, Soupçons retrace une affaire judiciaire comme les États-Unis en vivent souvent, spectaculaire, longue, chère, où les notions de culpabilité et d’innocence sont parfois reléguées au second plan, au profit notamment de l’emballement médiatique. Ce procès est celui de Michael Peterson, écrivain, éditorialiste critique contre la police et le procureur du comté de Durham, bourgade conservatrice de Caroline du Nord, reconnu coupable d’avoir tué sa femme retrouvée morte

au pied de l’escalier de la maison familiale. Partant d’une réécriture des dialogues du documentaire, Dorian Rossel et Carine Corajoud n’ont pas cherché à rendre compte du réel avec exactitude, mais plus à déconstruire l’identité sociale et médiatique créée lors du procès. Très réussie, la première partie, par une scénographie ingénieuse qui joue avec un décor modulable et introduit la vidéo dans laquelle s’incrustent les personnages, multiplie les points de vue, faisant que tous les comédiens jouent tous les rôles, en introduisant en sus un humour perturbant. Un ver-

sant ludique qui brouille hélas le propos, et ne permet pas de s’attacher à cette si controversée personnalité, ni de saisir la charge émotionnelle de fait absente. La deuxième partie, centrée sur le procès, perd de sa pertinence, au profit d’une prise de parole un brin mécanique qui fait se succéder toutes les parties sans réelle distanciation. Et Peterson ? Condamné à la prison à vie. Soupçons a été joué le 25 janvier au théâtre d’Arles © Carole Parodi

Détournements imaginaires Entièrement dévolue à l’exploration de la magie nouvelle, thème central du temps fort proposé par le théâtre d’Arles dans le cadre de la programmation Territoire de cirque commune aussi à Port-de-Bouc et Martigues, 14:20 présentait Notte, voyage en clairobscur en compagnie de jongleurs et danseurs. Étrange ballet en vérité que celui qui se crée sur scène, composé de «visions» plus ou moins courtes, impressions de rétines qui racontent une histoire… Des balles lumineuses, seules visibles, ont une

trajectoire aléatoire sur fond de bande son estivale à base de criquets, puis animées par des bras à l’ampleur démesurée voilà qu’elles se font traces persistantes ; moment de grâce avec un numéro d’habillage-déshabillage qui invite la vidéo à brouiller la vision de deux personnages superposés (c’est donc possible !) ; mélange d’images agrandies de détail du corps d’un danseur virtuose qui exécute au premier plan une folle chorégraphie qui nous perd… Tout est relatif, le temps s’étire, les lumières

dessinent sur les corps des mouvements bien réels et pourtant complètement imaginaires. La magie alors se loge dans d’infimes digressions visuelles qui font insensiblement dévier le réel, le transforme suffisamment pour réinventer nos perceptions. Troublante réalité. DO.M.

Notte a été proposé le 4 février par le théâtre d’Arles

Le Mentalist inquisiteur © X-D.R

Moins perruqué que Simon Baker, le mentalist de la série télévisée à audience exponentielle, Thierry Collet est non seulement un acteur qui maîtrise parfaitement sa partition -le déroulé de sa conférence-démonstration est réglée au cordeau- mais un aussi un habile prestidigitateur de nos consciences. «Ceci n’est pas un spectacle» prévient-il en intro. Et pourtant. Durant plus d’une heure, il utilise la magie mentale pour démontrer à son auditoire que la manipulation est une chose courante. «Il est dans la nature des choses et des êtres d’être soumis à influence». À travers un dispositif d’expériences collectives, auxquelles se soumettent volontiers les spectateurs, le maître s’amuse, très sérieusement, à les manipuler. Par son discours et ses adresses tutoyées, il agit sur la pensée et soumet le jugement de ses cobayes.

Une manipulation collective, amusante, épatante même, mais qui fait froid dans le dos. La preuve qu’une société peut être modélisée par la psychologie sociale, que le prétendu libre arbitre est orchestrable et prévisible… Lorsqu’une spectatrice accepte de se laisser planter une longue aiguille dans la gorge, en confiance aveugle avec l’orateur qu’elle ne connaît que depuis 30 minutes, cela devient proprement hallucinant. Les derniers mots du spectacle, car il s’agit bien de cela, sont ceux du Grand Inquisiteur de Dostoïevski, en conclusion d’une hypothèse de la soirée écrite en amont, dans laquelle descriptions physiques, choix guidés et déroulé exact étaient consignés. Spectaculaire ! DELPHINE MICHELANGELI

Influences s’est joué au théâtre d’Arles le 11 février


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THÉÂTRE

AVIGNON | ISTRES © Beatrice Logeais, Maison de la Poesie, Paris

Rhapsodie d’enfance tapageuse. Juste un témoignage parlé-chanté, sans l’ombre d’une ostentation, sur le délitement du temps, des souvenirs qui se ramassent à la pelle, des odyssées nocturnes dans les tentes féminines, des hymnes communistes et des utopies d’alors. Une petite ritournelle qui nous laisse étrangement nostalgique. Mais pas mélancolique.

Il reste toujours quelque chose de l’enfance, paraît-il. David Lescot en témoigne, avec une désarmante sincérité, dans son spectacle La Commission centrale de l’enfance. Un gracieux tour de chant minimaliste, sans armes ni trompettes (juste une guitare tchèque de 64), en forme d’hommage aux colos de vacances, où l’ombre portée de son enfance vient délicatement frôler la nôtre. Créée pour les gosses de juifs communistes après la Seconde Guerre mondiale, la CCE portait une idéologie désormais perdue, des airs de lendemains qui chantent, des souvenirs que l’auteur, acteur, musicien égrène et pour lesquels il a reçu le Molière de la révélation théâtrale en 2009. Une consécration médiatique étonnante, tant l’interprétation parait simple, nonchalante, sans jugement ni accusations, sans pathos ni révélation

DELPHINE MICHELANGELI

La Commission centrale de l’enfance s’est jouée du 19 au 21 janvier au théâtre des Halles, en partenariat avec la Scène Nationale de Cavaillon

Performance cycliste Europe, Cap Nord, Argentine, Patagonie, Australie, Mexique puis Tasmanie, Japon, Népal, Thaïlande... Un tour du monde consigné dans les carnets de route de Chantal Valéra et adapté sur scène par la formidable Brigitte Mounier, à en perdre les pédales ! Véritable performance de la vie au plateau où tout se joue à bicyclette, ce Road Movie tient le public en haleine, le palpitant au garde à vous et les mirettes éblouies. La comédienne, une Petite Reine qui ne craint pas le vide (elle pédale la moitié du spectacle ou reste dans les airs miraculeusement harnachée à son vélo), relate la traversée de cette femme du Nord qui découvre à 45 ans, après la vie de femme au foyer, celle de voyageuse solitaire. «J’ai fait mon devoir jusqu’au bout, maintenant j’ai le droit d’être heureuse». 120 000 kms parcourus à vélo en 15 ans, avec son lot de

crevaisons, d’intempéries, de coups de cafard, la peur de mourir, l’épuisement, les moustiques… Une quête de liberté pour sortir de l’enfermement domestique, qui passe régulièrement par la souffrance mais lui révèle la beauté du monde, sa fragilité et son hostilité. «La vraie récolte du voyage, c’est qu’enfin tu comprends la place que tu as dans le monde. On est vivant dans un monde vivant» annonce la nomade émancipée, qui veut aussi, grâce à sa performance, se battre contre les violences faites aux femmes et l’acharnement des traditions qui «nous tiennent dans une vie qu’on n’a pas choisie». Quitte à prendre le risque de ne plus vouloir revenir : «La liberté c’est comme une prison, quand tu y as gouté tu ne peux plus en sortir.» DE.M.

© Ville de Grande-Synthe

Road movie à bicyclette de la compagnie des Mers du Nord s’est joué au Chêne Noir les 27 et 28 janvier

Une soupe de vie © Regis Nardoux

Il se tient dans l’ombre, vacille, chuchote presque et finit par s’installer au cœur du foyer dans lequel il entre comme par effraction, chancelant, en proie à une immense douleur. Jean est-il arrivé au bout de la route comme il le souhaite ? S’installant, il va progressivement insuffler à la maîtresse des lieux, sa fille ainsi qu’à son fiancé, et sa mère, l’envie de renaître, de respirer à nouveau. Et de fait c’est tout le village qui va s’épanouir, se transformer et reprendre couleurs, visiblement, au gré des saisons, tandis que Jean, lui, reste prisonnier de sa relation avec sa femme partie avec un autre, fantôme présent et meurtrier. Dans une lumière tamisée qui tremblote comme un feu, les personnages bougent peu, la langue de Giono est l’essentiel élément constitutif de cette pièce lyrique et sensuelle, dont la prose ciselée a la force et l’âpreté des paysages austères du haut pays provençal cher à l’auteur. Mais dans une

scénographie qui a l’intérêt de la sobriété, le décor de Jacques Mollon -grands pans de peinture noire striée et opaque évoquant le travail de Soulages- apparaît comme redondant, écrasant de son poids la mise en scène dépouillée de François Rancillac, imprimant à la diction des comédiens une lourdeur pesante par moment, déjà «naturellement» colorée d’outretombe. De cette première pièce écrite par Giono en 1941 reste le bonheur d’un texte magnifique. DO.M.

Le bout de la route a été joué au théâtre de l’Olivier, à Istres, le 29 janvier, et au théâtre de la Passerelle, à Gap, le 1re février


AVIGNON | CHÂTEAU-ARNOUX

THÉÂTRE

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Risquer sa vie pour la gagner «Vous m’avez émue, j’ai entendu mon texte différemment. Merci !». Voilà ce que déclarent les auteurs, présents au week-end de lectures À l’Abordage, proposé par le Théâtre du Balcon. Sans compter les applaudissements d’un public gourmand de goûter en direct les mots d’auteurs d’aujourd’hui, lus par des comédiens qui découvrent quasiment le texte. D’où une émotion non feinte et parfois contagieuse durant cette navigation théâtrale où s’embarquent depuis 3 ans sur le plateau auteurs, interprètes et public. Une invitation au partage menée par le maître des lieux, Serge Barbuscia, qui distille à l’envi quelques vers de son goût,

bouteilles à la mer en guise de bienvenue et de cap à tenir. Cette année, 12 comédiens auront participé aux 5 escales, reliées par des thèmes «politiques» et composées par Ian Soliane, Jean-Louis Leconte, Alain-Didier Weill, Corinne Klomp et Milka Assaf. Cette dernière, cinéaste et auteure, nous emmène au Liban avec Les Démineuses. Une histoire inspirée de faits réels dans un pays où deux millions de mines anti-personnelles continuent de faire des morts et des blessés. Après la rencontre de femmes démineuses, son projet était de faire un documentaire, «mais les chaines de TV n’étaient pas intéressées» et elle

opta, judicieusement, pour une pièce de théâtre. Lue dans sa totalité par Arlette Bach, Emmanuelle Brunschwig, Camille Caraz, Corinne Derian et Marie Pagès, la pièce a reçu le prix Claude SantelliAssociation Beaumarchais SACD et le prix CNT. Un exemple de solidarité et d’émancipation, au péril de la vie, dans un pays qui démine son passé. DE.M.

À l’Abordage ! s’est tenu du 21 au 23 janvier au théâtre du Balcon, Avignon

Esquisse étique

© X-D.R

La Cie italienne 15Febbraio nous avait fait rire avec son Service de Nettoyage décalé, spectacle anti spectaculaire où les deux comédiens mal assortis, clowns du quotidien, parlaient de leur désir de théâtre tout en faisant le ménage. Avec Still live ils partent du même décalage, se présentent très près du public comme deux comédiens ayant reçu des subventions pour créer un spectacle… Cela part bien, puis s’arrête vite, faute de carburant comique, de force ironique, de propos, de texte, d’idées. La forme présentée dans la

petite salle du théâtre Durance demande vraiment à être étoffée ! Car tourner mine de rien autour de problèmes existentiels, artistiques ou économiques peut être très drôle, mais pour mouliner du rien qui tourne à vide il faut que les rouages soient bien huilés, et fonctionnent à plein. A.F.

Still live a été créé au Théâtre Durance, Château-Arnoux, les 10 et 11 février


THÉÂTRE

AU PROGRAMME

Pour conclure…

Confidences Éperdu Zerline, vieille domestique au service de la baronne

© Brigitte Enguerand

Le récit de la servante Zerline Du 10 au 19 mars La Criée 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com les 29 et 30 mars Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

Espace-temps © Manifeste rien

Faute de salle à sa mesure jusqu’à présent, JeanLouis Benoit a créé son Labiche à Bordeaux, et vient à Marseille finir sa tournée après une soixantaine de représentations… triomphales : le public et la presse sont enthousiastes, encensent la performance de Philippe Torreton, celle de Dominique Pinon, découvrent ce Labiche inconnu, corrosif, qui parle encore de nos bourgeois, de leurs compromissions et de leurs petits états d’âme. De leurs lâchetés. Un monde qui s’achèvera en beauté, dans la grande salle de la Criée enfin retrouvée. Sa mise en scène du Freischutz à Toulon a également ravi le public (voir p 35). Pour mieux qu’on le regrette ? Il promet qu’il reviendra à Marseille, autant qu’il le pourra…

W. depuis trente ans, se confie à A., un voisin, et raconte ses frustrations, ses désirs de victoires et de vengeances. Car Zerline fut la rivale de la baronne des années durant, vivant par procuration un amour impossible avec le baron, s’occupant sans fléchir de leur fille Hildegarde. Et enfouissant profondément ses sentiments… Yves Beaunesne, qui signe aussi la traduction et l’adaptation du monologue d’Hermann Broch, met en scène Marilù Marini dans ce désordre des cœurs.

Un pied dans le crime Du 8 au 27 mars La Criée 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

À l’Est Écrit et mis en scène par Mélanie Stravato, accompagnée de Malwen Voirin, Vers/Thésée est une épopée en trois temps, un travail centré sur son texte L’indien ne traverse plus la plaine. Ni le cheval qui s’en va lorgner du côté de l’Est, vers la Croatie et la Bosnie, avec des images, la musique de Samuel Bobin et Véronika Soboljevski… Vers/Thésée (épopée) Du 8 au 13 mars Les Bernardines 04 91 24 30 40 www.theatre-bernardines.org

Abel et Bela Du 8 au 26 mars Le Lenche 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info

Françoise Chatôt aime décidément les histoires d’amour ! Tragiques, si possible… Après Ruy Blas et les Caprices de Marianne elle remonte à l’origine du mal, vers le mythe elizabethain lui-même, Roméo et Juliette. Le vrai, celui qu’Yves Bonnefoy a traduit avec toute sa charge poétique, ses images précieuses, la violence incontrôlée de ses désirs, et sa jeunesse follement vivante qui se heurte à une société sourde engoncée dans ses vieilles querelles. Intemporel, on vous dit ! Avec toute l’équipe du Gyptis, qui soigne aussi ses fidélités. Roméo et Juliette Du 15 mars au 2 avril Théâtre Gyptis 04 91 11 00 91 www.theatregyptis.com

Le collectif Manifeste rien, en résidence au Lenche jusqu’au 5 mars, ouvre l’univers de sa dernière création, Baraque de foire, au public. Jérémy Beschon met en scène des événements contemporains et historiques, faisant se télescoper les discours de personnages communs ou illustres, présents ou disparus dans les manèges de l’éducation, de la culture, au milieu de fantasmes républicains. À suivre. Baraque de foire Du 1er au 5 mars Le Lenche 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info

Décoiffant Sur le texte de Robert Pinget, Abel et Bela, Eric Délivrance Louviot s’attache au binôme complice de deux Toujours pertinent, le texte d’Henrik Ibsen, Maison de comédiens au chômage qui cherchent à monter la pièce de théâtre idéale. Couple indissociable et conflictuel, ils incarnent tous deux la figure de l’auteur dramatique, offrant un bel hommage au théâtre et au processus même de l’écriture au gré de recherches échevelées qui parcourent tous les genres avec gourmandise et inventivité. Par ailleurs l’équipe artistique rencontrera le public à l’issue de la représentation le 17 mars.

Photo de repetition de Romeo et Juliette m.e.s. F. Chatot © Mathieu Bonfils

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poupée, est ici mis en scène par Michel Fau, acteur génial et metteur en scène cruellement loufoque. Il prend le parti de l’expressionnisme et de l’onirisme, qui n’est pas sans rappeler l’univers de Tim Burton, pour souligner le côté drôle, angoissant et oppressant de la pièce du dramaturge norvégien. Audrey Tautou est Nora, femme-jouet de son mari qui prendra peu à peu conscience de son aliénation jusqu’à (re)devenir un être humain. Maison de poupée Les 18 et 19 fév Théâtre Toursky 0 820 300 033 www.toursky.org

Percutant La cie Cartoun Sardines transforme l’univers de Brecht en montant Un homme est un homme en une cruelle fantaisie anticonformiste. Dans un univers très proche de l’esthétique BD, la troupe prend le parti du rire avec un humour décalé, affublant les personnages de costumes loufoques -et notamment Galy Gay, embarqué dans une vie qui n’est pas la sienne, passant de pêcheur à soldat naïf et manipulé, les faisant évoluer sur des constructions hilarantes et improbables… Un homme est un homme Du 8 au 12 mars La Minoterie 04 91 90 07 94 www.minoterie.org le 31 mars Salle Emilien Ventre, Rousset 04 42 29 82 53 www.rousset-fr.com le 17 mai Théâtre la Colonne, Miramas 04 90 58 37 86 www.scenesetcines.fr


MDR au Merlan rire marseillais : de Dugommier à Saint Henri en passant par le Ferry boat, pour des escales publiques dont il restituera la synthèse le 25 mars. Puis ce sera le tour de Massimo Furlan qui, après avoir restitué en 2007 au Vélodrome une partie de foot mythique, offre ici une restitution, forcément hilarante, de l’Eurovision de 1973. Si si, celui avec Patrick Juvet et Anne-Marie David (les 11 et 12 mars)… Puis un Cheval incongru d’Antoine Defoort et Julien Fournet viendra détourner absurdement objets, gestes, mots et concepts, pour un spectacle pas si foutraque, et volontairement très low tech (du 16 au 19 mars). Et cela continuera jusqu’à fin avril… A.F. Courage… rions 6 spectacles du 10 mars au 30 avril Le Merlan 04 91 11 19 20 www.merlan.org

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Après son cycle thématique sur la magie c’est aux ressorts comiques que la scène nationale s’attèle, pour faire partager des découvertes qui empruntent peu pourtant au grand genre théâtral de la Comédie… Le rire est un sujet de réflexion, et d’œuvres, depuis les Anciens et Aristote . Mais son déclenchement, ses implications, sa force et son irrésistible attrait restent toujours aussi mystérieux. Surprise, connivence, incongruité, répétitions, le rire peut surgir de toutes parts. Et si Maguy Marin avec AhAh avait mis en évidence le caractère infâme de certaines moqueries communes, dont la télé d’aujourd’hui raffole, le Merlan interrogera plutôt les vertus libératoires, et critiques, de ces spasmes qui nous agitent parfois presque à notre insu. En commençant par un vagabondage de Ronan Tablantec, clown quotidien qui va arpenter la ville pour interroger le

1973, Avignon © Pierre Nydegger

Déclin Intimiste Première des mises en scènes issues Dans Voyage sur place, Alain Simon des ateliers de Création de l’Université avec les étudiants des cursus théâtre et musique, celui de Frédéric Poinceau s’appuie sur le scénario de Robert Bresson (1977), Le Diable probablement, qui suit les derniers jours de la vie de Charles, étudiant désabusé et sceptique, à travers ses désespoirs amoureux et son indifférence politique. Un travail d’adaptation théâtrale, mais aussi de montage vidéo à partir des fragments documentaires écologistes du film et d’extraits d’archives. Le diable probablement Du 8 au 12 mars Théâtre Vitez, Aix 04 42 59 94 37 www.theatre-vitez.com

met en scène Alain Reynaud, cofondateur de la cie Les Nouveaux Nez, auteur et comédien de ce texte autobiographique qui raconte son enfance dans le petit village Bourg-Saint-Andéol. Un texte basé sur plusieurs séances d’improvisation, qui n’est pas une compilation de souvenirs mais un récit à deux voix qui, interprété à deux, casse la dimension autobiographique. Une façon d’accéder à l’universel au travers d’un récit intime. Voyage sur place Du 10 au 20 mars Théâtre des Ateliers, Aix 04 42 38 10 45 www.theatre-des-ateliersaix.com/blog


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THÉÂTRE

AU PROGRAMME

Grains de beauté

Réalisme Révolutionnaire Le metteur en scène argentin Daniel Veronèse adapte Une Maison de poupée de Ibsen, situant l’action à notre époque pour en souligner l’actualité toujours prégnante après des années de féminisme. Rebaptisée Le développement de la civilisation à venir, la pièce reste fidèle au texte d’Ibsen, faisant de Nora une jeune bourgeoise écervelée qui va peu à peu prendre conscience de son aliénation et des mensonges qui gangrènent son couple. Une mise en scène rythmée qui met à nu la brutalité des relations, et notamment des rapports hommes-femmes. Toujours actuel. Le développement de la civilisation à venir Le 16 mars Théâtre d’Arles 04 90 52 51 51 www.theatre-arles.com © Pierre Grosbois

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Les 18 et 19 mars Châteauvallon, Ollioules 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com

Catherine Marnas met en scène les Lignes de failles de Nancy Huston… Le premier épisode, créé à Gap durant la saison dernière (voir Zib’29), était une leçon de théâtre, un régal d’intelligence, de sensibilité, d’émotion. Le début d’un voyage à rebours qui cette fois ira au terme : jusqu’à l’origine de la faille qui traverse quatre générations, et notre histoire contemporaine. D’un magnifique roman monde Catherine Marnas a su faire une saga théâtrale élégante qui instaure un rapport au récit tout à fait nouveau, et limpide. Une longue embarquée de plus de quatre heures, sans une seconde d’ennui… grâce à des comédiens au talent exceptionnel, à un amour sensible du texte, et une confiance volontaire dans les vertus de la fable. Lignes de faille Les 12 et 13 mars à 17h Théâtre de la Passerelle, Gap Le 18 mars à 19h Théâtres en Dracénie, Draguignan Le 24 mars, 1re partie à 20h30 Le 25 mars 2e partie à 20h30 Le 26 mars l’intégrale à 19h Théâtre Les Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

Frontières Le spectacle était en «chantier d’écriture» lors des

Hallucinant Entre théâtre et image-cinéma, Joris Mathieu et la Cie Haut et court explorent des espaces scéniques high-tech où la vidéo prédomine, créant des ambiances troublantes quasi irréelles pour faire entendre le texte d’Antoine Volodine, Des anges mineurs. Récit étrange et sublime de quelques centenaires nostalgiques du paradis égalitariste perdu, enfermées dans un hôpital expérimental… qui décident de donner vie à une poupée de chiffon ! Une expérience esthétique à la frontière du réel.

© Sergio Chiossone

Primal Après le retentissant et hilarant Cocorico qu’ils avaient lancé l’année dernière sur la scène nîmoise, Patrice Thibaud et Philippe Leygnac reviennent, accompagnés cette fois de l’incroyable Lorella Cravotta, avec Jungles. Le trio se fera fort de faire accepter à chacun ses reflexes de défense et de survie dans une jungle urbaine, animale ou sentimentale. Une partition essentiellement muette, qui prendra appui sur la musique de Philippe Leygnac pour l’occasion composée à partir d’instruments primitifs à cordes et à vent… Jungles Les 24 et 25 fév Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

Des anges mineurs Les 22 et 23 fév Théâtre de Sète 04 67 74 66 97 www.scenenationale-sete-bassindethau.com

Déterré Un des chefs-d’œuvre du théâtre désespéré de © Celine Aubertin

De mon hublot utérin… Le 8 mars Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.f

Notre terreur Du 21 au 25/2 Scène Nationale de Sète 04 67 74 66 97 www.theatredesete.com

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Rencontres à l’échelle aux Bancs publics en novembre (voir zib 36), le voilà achevé. De mon hublot utérin, je te salue humanité et dis blablabla… convoque les talents de Mustapha Bendofil au texte, de Julie Kretzschmar à la conception et la mise en scène, et Thierry Thieû Niang à la chorégraphie pour une partition partagée franco-algérienne qui croise les trajectoires et les histoires entre les deux pays.

© Marine Fromanger

Le happening fichtrement talentueux et élaboré de la bande de jeunes comédiens masculins emmenés par Sylvain Creuzevault fait escale à Sète. Débordant d’inventivité, avec une façon très nouvelle d’aborder la scène et l’histoire… et quelques imperfections inhérentes à cette superbe jeunesse pétaradante (voir Zib 36). Mais le Comité de Salut Public est toujours vivant !

Samuel Beckett est aussi un hymne à la vie. Oh les beaux jours est une œuvre infiniment tonique et puissante, à la fois drôle et bouleversante que la compagnie du Théâtre de l’Eveil présente pour une unique représentation au théâtre de la Colonne. Michel Abécassis dirige Stéphanie Lanier (Winnie) et Pierre Ollier (Willie) : sous l’apparente frivolité d’un discours se cache la chatoyante politesse du désespoir. Oh les beaux jours Le 15 mars Théâtre de la Colonne, Miramas 04 90 58 37 86 www.scenesetcines.fr


THÉÂTRE

sociale et politique de notre époque et se fait conteur d’un certain mois de mai 68, à travers la parole de ceux qui ont vécu ces années. Nourri de la petite et de la grande histoire, il raconte et questionne. Figures connues et anonymes se mélangent pour restituer couleurs et émotions d’une époque qui se répercute sûrement, et se reflète sans doute, sur nos vies.

© Christophe Olinger

Pavé historique Politicien Nicolas Bonneau continue d’interroger la mémoire

Inventaire 68, un pavé dans l’histoire Le 11 mars Espace Robert Hossein, Grans 04 90 55 71 53 www.scenesetcines.fr

La pièce de Jean-Claude Brisville évoque le souper entre deux hauts dignitaires, Joseph Fouché (Marc Olinger) et Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (Philippe Noesen) en juillet 1815. Un souper où l’on s’interroge sur la nature du gouvernement à donner à la France, en pleine débâcle, et où se révèlera, souvent à demi-mot, celle des protagonistes. Le théâtre des Capucins du Luxembourg opère avec ce souper un rapprochement avec l’actualité politique éclairant.

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Sortie d’usine - Récits du monde ouvrier Le 12 mars Centre Culturel Marcel Pagnol, Fos-sur-Mer 04 42 11 01 99 www.scenesetcines.fr

passionnant, Denis Podalydès un acteur époustouflant qui produit ici une performance physique inattendue… Reste que, même si le texte de Christine Montalbetti est intéressant, l’adaptation scénique en solo manque d’épaisseur, et de personnages secondaires…

© V. Jousseaume

Le cas Jekyll Les 7 et 8 mars Théâtre en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com

Le Souper Du 10 au 12 mars Théatre du Chêne Noir, Avignon 04 90 82 40 57 www.chenenoir.fr

Vivifiant Marivaux téléporté au cœur des années 50 ? JeanLuc Revol et sa troupe réussissent ce pari audacieux car les histoires d’amour sont éternelles… La pièce surfe sur des airs endiablés de mambo, se pare de costumes aux couleurs de bonbons acidulés, le rythme ne faiblit pas, bref, cela ressemble à un roman-photo sentimental mais c’est toujours du Marivaux.

Réinsertion Un trio d’acteurs poignants, mis en scène par Claude Viala, pour interpréter quelques tranches de la vie d’un jeune homme sans emploi (d’après les 7 jours de Simon Labrosse de Carole Frechette). Soutenu par ses amis, Léo le poète négatif et Nathalie obsédée par son développement personnel, Simon raconte ses idées pour se «réinsérer dans la vie active». Une tentative, entre le comique de son existence et le tragique de son immense solitude, pour trouver sa place dans la société.

Le préjugé vaincu Le 18 fév Théâtre Durance, Château-Arnoux 04 92 64 27 34 www.theatredurance.com

Les 7 jours de Simon Labrosse Du 17 au 19 mars Théâtre des Halles, Avignon 04 90 85 52 57 www.theatredeshalles.com

Le 19 fév Le Carré, Sainte-Maxime 04 94 56 77 77 www.carreleongaumont.com

Final Inspiré de l’œuvre de Cesare Pavese, Hey Mambo !

Hey Mambo ! Le 11 mars Théâtre le Sémaphore, Port-de-Bouc 04 42 06 39 09 www.theatre-semaphore-portdebouc.com

© Pascal François

raconte la nuit désenchantée d’un homme qui décide d’abandonner le Métier de vivre. Une fantaisie en forme de joyeuse veillée funèbre, une ronde grotesque, émouvante et drôle, autour d’un homme empêché de dire, en toute sérénité, adieu à la vie. Par la compagnie Dynamo théâtre, pour la deuxième année consécutive en résidence au Sémaphore.

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Le père Tralalère Les 11 et 12 mars Scène Nationale, Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com

s’ébroue, magnifique fils des ombres, des couleurs et des formes qui envahissent littéralement la scène. Il est question ici de la tentation romantique de l’exil solitaire, de l’appel du désert, du recours contemporain aux forêts symboliques. Mais la partition de Therminarias se débat avec la diatribe, trop verbeuse pour le théâtre de Michel Onfray. On en vient parfois à souhaiter le recours au silence…

Deux en un Le dédoublement du Docteur Jekyll est un mythe

France, on a tendance à l’oublier d’après Nicolas Bonneau. Le conteur sort des clichés des années 50 pour réhabiliter la culture ouvrière, les familles, les métiers, les savoir-faire, les rêves… Réalisé grâce au collectage de paroles d’ouvriers dans les usines du Poitou Charentes en 2007, il mène une véritable enquête sociale sur le monde du travail.

poupe : après Notre Terreur la cie d’Ores et Déjà vient présenter une autre création collective… Au départ, le mariage de Lise et Léo. Puis le bonheur qui s’invite à la table, familles et amis rassemblés, les voix qui s’entremêlent comme des bouffées de paradis. Mais le silence, caché derrière cette allégresse, les non-dits sur le point d’être dits, vont faire basculer le repas au milieu de chants sidérants de beauté. Écrit à partir d’improvisations, le spectacle mis en scène par Sylvain Creuzevault, se maintient ouvert aux aléas de la représentation.

Romantique Dans une scénographie inouïe un comédien danseur

Le recours aux forêts Le 26 fév Le Carré Gaumont, Ste-Maxime 04 94 56 77 77 www.carreleongaumont.com

Usine La classe ouvrière existe encore aujourd’hui en

Noces C’est LA jeune compagnie parisienne qui a le vent en

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DANSE

AUBAGNE | PAVILLON NOIR | MERLAN | AVIGNON

Lignes de vie Oups-Opus © Marine Drouard

Elle court, elle court La Vouivre avec son diptyque Oups + Opus, déjà sa 100e représentation au Théâtre Comoedia à Aubagne ! Deux parties comme les deux faces d’une histoire amoureuse : la naissance d’un couple, ses émois sensuels, entre désirs et maladresses, dans un duo sur canapé qui convoque le comique né de l’incongruité (Oups) ; les vicissitudes d’une fin annoncée à travers des tableautins drôles, poétiques, souvent saugrenus (Opus). Oups est une petite forme théâtralisée qui met en jeu les corps, dans des déplacements millimétrés, l’expression des regards, des visages, des mains, et s’attache au plus infime détail. Dans l’intuition du geste juste. Opus est une pièce visuelle et sonore qui joue sur l’écho décalé ou synchronisé- avec les virgules musicales ou les onomatopées acoustiques : mouvements accélérés qui entrent en résistance, s’interrompent brutalement, se figent et recommencent entre deux longs silences des corps. Et toujours ce même amusement distancié de Bérangère Fournier et Samuel Faccioli qui incarnent, le temps d’une respiration commune, la vie comme elle va. On a hâte de découvrir Pardi, leur future création 2011. Coïncidence de la programmation de ce Temps 1 de Danse à Aubagne, Oups était dévoilée à l’Été des Hivernales d’Avignon en 2009, Fleurs de cimetières (et autres sornettes) l’était la même année dans le cadre du Off. Orchestrée par Myriam Hervé-Gil, cette œuvre écrite par Dominique Wittorisky (mots chahutés, images incisives, parole crue) est interprétée par six danseuses âgées de 50 à 60 ans et une comédienne. Pièce chorale sur les traces du temps qui passe et l’étincelle du désir qui brille encore, qui tire sa force des singularités corporelles et de l’osmose réussie dans ses aspérités. L’une parle, les autres dansent. Des esquisses, harmonieuses ou dissonan-

tes, sur des chansons de Reggiani ou des ritournelles légères. Seul bémol, Fleurs de cimetières (et autres sornettes) est exclusivement féminine, comme si les coups bas de la vieillesse n’étaient portés qu’aux femmes… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Oups + opus et Fleurs de cimetières (et autres sornettes) ont été joués respectivement les 19 et 22 janvier dans le cadre de Danse temps 1 au Théâtre Comoedia, Aubagne

Vague à l’âme et lame de fond

Épigones Chaque année quelques danseurs du Ballet Preljocaj travaillent à des compositions personnelles, qu’ils offrent au public avec les moyens techniques du Pavillon Noir. Une aubaine, dont ils savent se saisir : on y constate toujours le talent exceptionnel des interprètes, et la griffe Preljocaj (gestes brusques obliques, membres qu’on ramène à soi de la main, saccades et raideurs opposés à de lents étirements extrêmes). Trois des quatre Affluents, avec plus ou moins de bonheur, empruntent à ce vocabulaire pour décrire une expérimentation aliénante (Émilie Lalande), les étapes d’un deuil (Lorena O’Neill), un duo d’avatars technologiques fort sensuels (Sébastien Durand). Trois pièces intéressantes, construites en séquences progressives, «utilisant» bien la lumière et l’espace et mal, trop fort, bout à bout et sans rapport sensuel avec elle, la musique ; mais avec parfois de très belles idées chorégraphiques, en particulier le lent passage au sol du duo Eve et Adam. La surprise réelle venait cependant de la dernière pièce, théâtrale, déjantée : Baptiste Coissieu, le benjamin de la troupe (23 ans), parodie le jeu des chanteuses de Bel canto, radio crochette le public, joue d’un univers trans rouge et noir tapageur, et hilarant. Un gros grain de folie bienvenue ! A.F.

Les pièces des Affluents ont été créées les 4 et 5 février au Pavillon Noir, Aix

Les Affluents © Agnès Mellon

Lia Rodrigues, chorégraphe brésilienne, fait foi de profession. Elle crie et décrit la favela «de Maré» au cœur battant de Rio de Janeiro, son no man’s danse de 140 000 âmes. Maelström des turbulences économiques, sociales et humaines. Bouillonnement et remous des corps rompus et corrompus. Une composition entre stochastique et chaos qui recompose un nouvel ordre économique émergeant où les pailles du fétu humain, sur fond et flot de mondialisation, se bouleversent, parfois bouleversantes. L’ordre désordonne les corps aux gestes d’amour violent et de violences Pororoca © Sammi Landweer

amoureuses. La puissance de l’Amazone océane pour une chorégraphe amazone : le mot Pororoca désigne «un phénomène naturel produit par la confrontation des eaux du fleuve avec celles de l’océan et qui au Brésil se manifeste à l’embouchure du fleuve Amazone. La force de ce choc bruyant peut renverser des arbres et modifier le lit des rivières et pourtant c’est un processus fragile, résultant d’un équilibre délicat.» Un spectacle violent, vrai et bouillant, servi par des danseurs athlètes, poètes de cœur et du corps à corps. Une recherche scripturale qui télescope vraiment les ordres établis, où le support musical est lui-même dansé voire soufflé. La Pororoca est une métaphore du travail de la compagnie dans la favela. Comment ne pas contempler le flux et le reflux d’une vague océane… un peu lassante sur la fin ? YVES BERCHADSKY

Pororoca a été dansé au Merlan, les 12 et 13 février. Il sera repris à Avignon dans le cadre des Hivernales 04 90 25 61 84 www.hivernales-avignon.com


NÎMES | ISTRES | DRAGUIGNAN | GTP | GRASSE

Enchantée Les gens d’ici connaissent la simplicité et la pertinence de Michel Kélémenis lorsqu’il parle de danse au public, sa capacité à accueillir des démarches chorégraphiques singulières, et son travail avec sa compagnie. Mais peu savent qu’il travaille ailleurs, souvent, avec de grands ballets internationaux. Le Grand Théâtre de Provence accueillait Cendrillon, qu’il a créée en 2009 pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève. La pièce confirme son talent de chorégraphe au sens classique du terme : ils ne sont pas si nombreux ceux qui savent aujourd’hui écrire des ballets ! Cendrillon en est un, narratif, avec des mouvements d’ensemble, des pas de deux (pas trop), un vrai décor suggestif qui joue de semitransparences, quelques morceaux de

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Let’s dance ! bravoure (pas trop) pour danseurs exceptionnels, et un à-propos musical tout à fait rare. Avec surtout quelques très belles idées chorégraphiques, comme le long porté de la belle endormie par un groupe d’anges mutins, les minauderies ironiques des filles, un joli duo amoureux fait de pudeurs et de gestes inachevés… Les grands moments attendus, suggérés par les élans de Prokofiev, restent dans l’esquisse. Un peu trop peut-être, mais délicieusement : quand il dispose de 8 semaines de répétitions, de grands danseurs et de moyens, Kélémenis peut emmener tout le public au pays des merveilles ! AGNÈS FRESCHEL

Cendrillon a été dansé les 12 et 13 février au GTP © Agnès Mellon

Énergie pure C’est une boule d’énergie qui installe doucement sa danse. Devant Saúl Quirós et David de Jacoba qui impriment à son corps leurs accents plaintifs, Belén López pose ses bases, dicte son rythme aux guitares de Carlos de Jacoba et Carlos Jimenez, suit le violon gitan de Fernando Garcia… Moment de grâce, lors du second baile, lorsque que Belén López dansa avec Belen Lopez © X-D.R.

les percussions de Rafael Jiménez dans un corps à corps hypnotique. La jeune danseuse montra là toute sa puissance, sa précision et tout son savoir-faire au niveau du zapateado, gracieuse et tonique, rayonnante. Une «performance» qu’elle réitéra d’ailleurs souvent, lassant quelque peu le public au final. D’autant qu’entretemps, loin des rythmes flamencos, le public eut droit à un bolero des plus mielleux, étrange parenthèse sucrée qui cassa le rythme plutôt soutenu de ce spectacle finalement inégal. DO.M.

Belén López s’est produite le 18 janvier lors du Festival flamenco au Théâtre de Nîmes

Jazz, charleston, classique… De l’univers foisonnant de Gershwin, José Montalvo et Dominique Hervieu retiennent l’essentiel dans leur dernière création, adressée au jeune public à partir de 6 ans, Lalala Gershwin. L’essentiel en forme d’hommage au compositeur américain, par le biais notamment de quelques unes de ses œuvres emblématiques, Porgy and Bess notamment, dont les deux chorégraphes reprennent le thème principal de la ségrégation raciale, belle façon d’imager et danser les moments forts de l’émancipation des noirs. De fait, sur scène la danse côtoie des images d’archives, le tout s’articulant de façon très fluide, sans didactisme, avec une énergie époustouflante de la part des magnifiques danseurs. Dans un bel élan, le hip hop se mâtine de claquettes, la danse classique et africaine se complètent avec grâce, tous les rythmes dialoguent et façonnent les rencontres les plus improbables. Dans ce spectacle «melting pot» le métissage a la part belle, tout et tous s’entremêlent dans un beau final collectif où chaque registre trouve sa place. DO.M.

Lalala Gershwin a été dansé au théâtre de Nîmes le 9 février, les 14 et 15 février au théâtre de l’Olivier, Istres, et sera dansé à Draguignan les 31 mars et 1er avril, et au théâtre de Grasse du 4 au 6 avril Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com


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DANSE

AVIGNON | DRAGUIGNAN

Un concentré d’Amériques Après l’Afrique en 2010, le Festival des Hivernales visite du 24 février au 5 mars le continent américain, du Nord au Sud. Une 33e édition (la seconde pour le successeur d’Amélie Grand Emmanuel Serafini, voir Zib 27) qui offre un panorama léché, entre figures historiques et découvertes, de la danse d’aujourd’hui. 22 compagnies occuperont pendant 10 jours les scènes avignonnaises et alentours. Figure majeure de la postmodern dance, Trisha Brown débarque à l’Opéra avec 3 pièces (sinon rien ?), dont l’un de ses chefs-d’œuvre, Set and Reset et sa dernière création l’Amour au théâtre. Mathilde Monnier présentera un hommage à Merce Cunningham avec Un américain à Paris. À Cavaillon, c’est l’occasion de découvrir la chorégraphe Brésilienne Lia Rodrigues, avec un spectacle attendu, Pororoca (voir p30), en co-réalisation avec la Scène nationale. Brésil toujours avec Claudio Bernardo, qui fêtera les 15 ans de sa compagnie et présentera Usdum sur la scène belge du théâtre des Doms. Et puis, Josette Baïz pour un petit tour à la Gare Centrale (voir Zib 37) et dans un hommage à Trisha Brown avec 23 jeunes danseurs du Groupe Grenade (le 24 en entrée libre sur réservation). À cette occasion, les élèves du conservatoire d’Avignon auront l’occasion de

Miniatures, Jose Navas © Mickael Slobodian

Festival et, dans le cadre de l’année du Mexique, sur Johanne Saunier dans Line of Oblivion. Abandonnant le nouveau monde, les Hivernales se tourneront vers des rives plus proches, présentant deux pièces de chorégraphes tunisiens : Ce que nous sommes de Radhouane El Meddeb et le solo à deux, Kawa d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou. Autres soli à retenir : Cédric Andrieux par Jérôme Bel, le mexicain Jorge Arturo Vargas

démonter leur savoir faire néoclassique en dansant le répertoire du plus russe des américains, Balanchine. Le jeune chorégraphe qui monte, Jonah Bokaer, créera pour le Festival Filter, une variation sur les Demoiselles d’Avignon et jouera le solo Three cases of Amnesia, confrontant son corps aux nouvelles avancées technologiques. Il faudra également compter sur le renouveau de la danse contemporaine cubaine, avec Susana Pous qui clôturera le

La danse se lève à Draguignan

dans Amarillo, le canadien José Navas avec Miniatures, le cubain Abel Berenguer qui partagera la représentation avec Yourik Golovine et Jean-Sébastien Lourdais. La pratique amateur reste ancrée au cœur du Centre de Développement Chorégraphique. Avec 16 stages dont une master-class exceptionnelle de Peter Goss, du hip hop avec Vanilton Lakka, du yoga avec Régine Chopinot, du théâtre avec Jean-François Matignon, du tango argentin, du butô… Les HiverÔclites reprennent également du service avec 3 jours de scènes ouvertes aux jeunes talents, du 3 au 5 mars. Avec pour commencer, toujours dans l’idée de transmission, un colloque sur l’enseignement dans les conservatoires organisé à l’Amphithéâtre Mozart. La destination 2012 ? L’Asie. Mais avant, prenons le temps d’entrer dans la danse des Amériques. DELPHINE MICHELANGELI

Les Hivernales Du 24 février au 5 mars Avignon, Cavaillon 04 90 25 61 84 www.hivernales-avignon.com

Le chaud et le froid soufflent sur Les Vents du Levant, à Draguignan. En ouverture, place à l’un des temps forts de l’année France-Russie 2010, Suivront mille ans de calme, fruit prestigieux de la rencontre du Ballet Preljocaj avec le Théâtre du Bolchoï (11 mars). Puis le vent du désert balaye sur son passage toute la programmation ! La compagnie chorégraphique marocaine Anania offre dans Madame Plaza (15 mars) un pur moment de langueur sensuelle et de liberté incarné par les Aïtas, chanteuses de cabaret indomptables et fières. Plus au sud, Franck Micheletti et le Collectif Kubilaï Khan Investigations ont jeté l’ancre à Accra, capitale du Ghana, pour créer avec des danseurs africains leur nouvelle partition chorégraphique, musicale et vidéo, Archipelago, dont le festival nous réserve la surprise (25 mars). Plus au sud encore, direction Johannesbourg en compagnie de Robyn Orlin dont la pièce subversive Daddy (29 mars) lui a valu une pluie de récompenses, mais aussi le surnom d’enfant terrible de la danse sud-africaine. Car Daddy tourne en dérision le ballet classique, figure de l’«importation coloniale soutenue durant l’Apartheid par le gouvernement blanc nationaliste». Un vent de rébellion qui emportera peut-être dans son tourbillon les danseurs du Ballet de Lorraine partis à la rencontre de chorégraphes africains en prise avec les Désirs : Boyzie Cekwana d’Afrique du Sud, les Tunisiens Aicha M’Barek et Hafiz Dhaou et les Burkinabés Seydou Boro et Salia Sanou (5 avril). MARIE GODFRIN-GUIDICELLI Daddy © John Hogg

Les Vents du levant, 5e édition Du 11 mars au 5 avril Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com


AU PROGRAMME

Mazouté Vital Le solo accompagné de Joseph Nadj ouvre une béance dans le réel et l’humanité. L’homme offre son corps à l’emprise de cet oiseau de mort et de cauchemar, à sa noirceur, à ses lignes, dans une émouvante performance, au sens plastique du terme. C’est brut et étouffant comme un diamant noir. Akosh S, au saxo et à divers instruments, est bien plus qu’un accompagnateur : un créateur d’esprit et un cri déchirant.

© Florent Hamon

La chorégraphe montpelliéraine Anne Lopez et sa compagnie Les gens du quai, offrent une réponse à Duel, pièce chorégraphique pour cinq hommes créée l’année dernière. Feu à volonté reprend la notion (masculine) de duel et place l’honneur (féminin) au centre d’une arène à l’intérieure de laquelle les cinq danseuses, comédiennes et performeuses vont évoluer, répondant de leur singularité et de leur différence. Où comment redonner leur place aux femmes dans la société. Feu à volonté Les 17 et 18 fév Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

Nacera Belaza est l’une des voix les plus singulières de la jeune génération de chorégraphes (Prix de la révélation chorégraphique 2008) qui pousse la danse vers l’art contemporain. Avec des pièces «abstraites», une gestuelle minimaliste, une puissance magnifique, une exigence sans failles car «tout ce qui est mis sur le plateau porte sa parole». Le Cri ne déroge pas à cette posture de résistance.

Sensuelles Dans une atmosphère moite comme les hammams, les corps se meuvent à la vitesse d’une infusion de menthe, poses alanguies, têtes renversées, pieds en l’air, ondulations imperceptibles. Soudain les femmes lâchent leur énergie contenue, les chants s’élèvent, rauques, les rires se déploient… Madame Plaza est une pièce de corps et de voix, d’effleurements et de chuchotements, créée par Bouchra Ouizguen en hommage aux Aïtas, figures de la culture traditionnelle marocaine. Libres et truculentes.

Le Cri Les 11 et 12 mars Pavillon Noir, Aix-en-Provence 0811 020 111 www.preljocaj.org

Frontière En collaboration avec les Hivernales, la Chartreuse

Madame Plaza Les 8 et 9 mars Pavillon Noir, Aix-en-Provence 0811 020 111 www.preljocaj.org Les 11 et 12 mars Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

de Villeneuve reçoit le spectacle Line Of Oblivion, titre qui évoque la frontière entre Mexique et États-Unis. Une création qui s’appuie sur un récit tiré du roman La Frontière de verre de Carlos Fuentes. L’occasion de découvrir avec la danseuse Johanne Saunier, ce qu’il se passe du côté de la danse sud-américaine, pendant le Festival des Hivernales.

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Multiformes Pour sa dernière création, Garry Stewart, l’épous-

Les Corbeaux Le 17 fev Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com

© Agathe Poupeney

Emancipation

Line of Oblivion Le 1er mars Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon 04 90 25 61 84 www.hivernales-avignon.com

touflant chorégraphe de l’Australian Dance Theatre, a notamment travaillé avec l’agence d’architectes new-yorkais Diller, Scofidio + Renfro pour créer une scénographie mêlant danse, multimédia, écriture et design. Be Your Self s’apparente à une expérience sensorielle qui s’interroge sur le «moi» et le «je», creusant les méandres de l’identité.

Flamenco Écrit pour la danseuse Stéphanie Fuster par Aurélien Bory, Questcequetudeviens ? est une errance à trois temps : d’un flamenco rêvé à un travail forcené pendant 8 ans à Séville, puis la danseuse progresse vers un authentique don de soi dans une ultime désolation. Aurélien Bory sculpte dans l’espace ce que Stéphanie Fuster rapporte de sa propre histoire : un rêve, du labeur, du talent et des doutes. José Sanchez et Alberto Garcia l’accompagnent à la guitare et au chant.

Be Your Self Les 15 et 16 mars Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr © Hibou photography

Métissé C’est une rencontre avec l’Afrique, un rendez-vous Mythique que le chorégraphe français Hervé Koubi a eu avec La guitare d’Alfredo Lagos, la voix de David Lagos

La Edad de Oro Les 11 et 12 mars CNCDC Châteauvallon, Ollioules 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com

© Aglae Bory

Un rendez-vous en Afrique Le 12 mars Théâtre de l’Olivier, Istres 04 42 56 48 48 www.scenesetcines.fr

Questcequetudeviens ? Le 17 février Scène Nationale, Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com

et les pieds d’Israel Galván font resurgir l’âge d’or (La Edad de Oro) du chant et de la danse flamenca, cette époque dorée de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 30 qui brille encore aujourd’hui. Dans cette petite forme comme dans toutes ses chorégraphies, Israel «galvan-ise» le public qui voit en lui le maître du flamenco contemporain, singulier dans son style, rageur dans son zapateado (claquement des pieds pointe-talon).

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des danseurs ivoiriens, et inversement, et qui a nourri cette chorégraphie particulière. Un «essai chorégraphique» pour 7 danseurs ivoiriens, basé sur une écriture contemporaine faite de mouvements traditionnels ivoiriens décomposés, une forme nouvelle portée par de la musique baroque en écho aux pas traditionnels. En 1re partie seront proposés des travaux d’amateurs composés lors des deux résidences de la cie à Istres.

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MUSIQUE

OPÉRA

Semaine royale à l’opéra ! Quel temps fort a connu l’Opéra de Marseille à l’orée de février ! En marge des représentations de Cavalleria Rusticana et Pagliacci, le ténor Juan Diego Flórez a fait chavirer le théâtre lors d’un récital mémorable, quand, au Grand-Foyer plein comme un œuf, l’Ensemble Pythéas a exhumé des partitions lumineuses d’Henri Tomasi C’est avant tout la grande qualité musicale qu’on loue, à propos des représentations du diptyque vériste de Mascagni et Leoncavallo (du 28 janv. au 6 fév). L’Orchestre de l’Opéra, sous la direction de son tout nouveau «1er Chef invité» Fabrizio Maria Carminati (voir p.5), a fait preuve de grandes vertus dans ce répertoire au lyrisme exacerbé : comment résister à l’émotion quand, admirablement distillé au cœur du drame, a résonné le fameux Intermezzo instrumental

de Cavalleria Rusticana ? Le Chœur de l’Opéra ne fut pas en reste, ni des points de vue de la magnificence vocale, ni de la présence scénique. La mise en scène ajustée du grand plateau d’Orange (été 2009) par Jean-Claude Auvray a conservé sa puissance austère et sacralisée pour Cavalleria Rusticana, naturaliste et burlesque dans I Pagliacci.

Galouzine phénoménal ! Heureusement qu’il existe encore des voix rares capable de chanter, dans sa puissance, sa couleur et son expression propres, le rôle mythique de Paillasse/Canio (apanage autrefois de Tony Poncet ou Mario del Monaco) ! Vladimir Galouzine a livré à Marseille une interprétation d’anthologie. On n’est pas prêt de retrouver de sitôt une telle vigueur, voix homogène et cuivrée sur tout le registre, du grave barytonant à l’aigu éclatant… et couronnant le tout, pareille force expressive dans l’incarnation du clown désespéré. Son célèbre air clôturant le premier tableau a bouleversé l’auditoire ! Mais le Russe ne fut pas le seul à récolter les lauriers d’un triomphe collectif. Béatrice Uria Monzon a rendu à la brune Santuzza, par

l’énergie de son jeu et sa pâte vocale somptueuse, sa place prépondérante dans le mélodrame. Sa réplique de choix Luca Lombardo (Turridu) est un formidable ténor marseillais (paradoxalement, il n’avait plus reparu Place Reyer depuis dix ans !) qu’on espère revoir bientôt sur ces planches. De son timbre d’airain, voix de stentor splendide, le baryton Carlos Almaguer a assumé magistralement la double casquette Alfio/Tonio des deux ouvrages, quand Nataliya Tymchenko a campé une jeune Nedda séduisante et très solide vocalement. Etienne Dupuis (Silvio), Stanislas de Barbeyrac (Beppe) et Patricia Fernandez (Lola) ont favorablement complété un plateau royal ovationné !

Juan Diego fait le show C’est à Marseille, théâtre certes provincial, mais tout à fait conséquent par sa jauge (pas loin de 2000 places) et son histoire (l’une des plus anciens de France), qu’on annonçait la venue d’une des stars des plateaux lyriques actuels : le ténor Juan Diego Flórez. Le bruit avait couru… et le guichet fermé ! Plus un strapontin pour déposer ses fesses ! Aussi quand le Péruvien commence à chanter… un frémissement gagne le public. Peu d’entre eux, sans doute, ont déjà entendu chanter Flórez en direct, hors des diffusions à la télé ou en DVD. La voix n’est pas grande, certes, mais quelle musicalité, unité de timbre, aisance dans les aigus ! Après que le chanteur a pris la mesure de

l’impressionnante salle de l’opéra s’étageant jusqu‘au «poulailler», à l’aide de quelque Rossini de bravoure (Messa di Gloria) en guise de chauffegosier, le ténor fait chavirer la nef lyrique, des balcons au parterre. Alternant mélodies populaires et grands airs de Verdi (Rigoletto), il suspend le public à ses lèvres, le met dans sa poche (Vincenzo Scalera au piano). On en redemande en clamant merci ! Flórez part pour une demiheure de rappels, et l’assistance, debout, glorifie la ribambelle de contre-ut de La Fille du Régiment ou les vocalises du Barbier de Séville… On s’en souviendra : c’était à Marseille, un 31 janvier 2011, sous l’ère Maurice Xiberras !

I Pagliacci © Christian Dresse 2011

Tomasi 2011 Mais la plus belle réussite du directeur de l’opéra est peut-être là… Qui aurait imaginé, il y a quelques années, une salle comble comme celle du Grand Foyer de l’Opéra, le 5 février pour écouter de la musique de chambre du compositeur Henri Tomasi ? Certes, ce Corse adopté par Marseille (voir p.71) avait, comme Darius Milhaud, ses attaches au bord de la Méditerranéenne, mais depuis quarante ans (il disparaît en 1971) on ne peut pas dire que sa musique ait été placée, ici ou ailleurs, Ensemble Pytheas © X-D.R.

à l’égal de celle de son contemporain méridional. Cependant, on vient à présent l’entendre comme un classique du XXe siècle ! L’Ensemble Pythéas a livré un bel échantillon de sa musique de chambre. Elle s’étend sur près de 40 ans : du lyrisme rapsodique de Paghiella ou du Chant hébraïque plaintif (Marie-France Arakélian au piano et Yann Le Roux au violon), du néo-classique Trio à cordes (avec Pascale Guérin à l’alto et Guillaume Rabier au violoncelle) à la Pastorale Inca expressive et moderne (avec Charlotte Campana à la flûte et Cécile Gouiran au violon) ou l’orientaliste Invocation et danses rituelles (avec Linda Amrani à la clarinette et Vassilia Briano à la harpe)… autant d’interprétations passionnées et soignées aux couleurs d’une Méditerranée universelle. JACQUES FRESCHEL

Le sabre à papa ! Les termes «armée d’opérette», s’ils qualifient d’ordinaire des régiments fantoches, trouveraient-ils leur origine dans quelque opéra-bouffe représenté au Second Empire ? De fait, La Grande Duchesse de Gerolstein d’Offenbach est l’œuvre la plus représentative des guignolades militaires qu’on se plaisait à suivre dans les théâtres de l’époque. Jacques Gervais, dans sa mise en scène créée à l’Odéon les 29 et 30 janvier, en

renforce l’aspect parodique et complète les pastiches originels par une vision colorée fourmillant de références à l’enfance, chevaux de bois, sabres en plastique… Tout comme le Chœur Phocéen hyperactif (dir. Rémy Littolff), désopilant dans sa chorégraphie mili-taroburlesque, le plateau de solistes (sous la baguette de Christophe Talmont) a relevé le défi d’une œuvre exigeante des points de vue du chant et de la comé-

die. En tête, Emmanuelle Zoldan a campé une belle souveraine racée et fantasque quand son «jouet» le soldat Fritz (Frédéric Mazzotta) a brillé par son jeu comique. À leur côté Caroline Gea (Wanda), Michel Vaissière (Puck), Jean-Marie Delpas (Boum) ou Dominique Desmons (Paul) ont servi à souhait la bouffonnerie. J.F.


MUSIQUE

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Il primo sole è mio

En ce mois de janvier, l’opéra de Toulon programmait pour la première fois de sa longue existence le symbolique Freischütz de Carl Maria Von Weber, véritable monument dans la galaxie de l’opéra romantique allemand, puisque le premier du genre, ou presque. Pour l’occasion, la direction musicale avait été confiée au talent de Laurence Equilbey. Malgré une distribution vocale fort prometteuse, le résultat avait de quoi dérouter les amateurs avertis : Jürgen Müller (Max) au timbre puissant voulut héroïquement assumer sa prestation jusqu’au bout malgré une gêne qui le conduisit par deux fois à l’aphonie ! Il rompit ainsi l’équilibre qui régnait jusque là entre lui et le reste du plateau remarquablement incarné par Jacquelyn Wagner (Agathe), Mélanie Boisvert (Ännchen) et Roman Lalcic (Kaspar). L’ensemble restait cependant de très belle qualité, mais cette distribution vocale ne parvenait pas à masquer un déséquilibre flagrant au sein de l’orchestre : le

pupitre de cordes aux couleurs très expressives surclassait une section de cuivres asphyxiée et quasiment à l’agonie dans la fameuse scène de la gorge aux loups. D’autres légers défauts de mise en place pouvaient s’entendre entre les chœurs et l’orchestre dans le troisième acte, sans doute à cause d’une direction un peu trop souple. Malgré ces imperfections musicales la production restait réussie : les décors et les costumes, qui avaient de quoi surprendre les incontournables puristes d’opéra par leur esthétique contemporaine, habillaient la mise en scène de Jean-Louis Benoit de manière très convaincante, servis par un jeu de lumières subtil qui restituait habilement l’atmosphère fantastique de cette œuvre emblématique. EMILIEN MOREAU

Le Freischütz a été créé à l’Opéra de Toulon du 28 janvier au 1er fevrier

Les feux de Larmore Programme multicolore que celui proposé par la mezzo-soprano Jennifer Larmore : Haendel, Offenbach, Rossini, Strauss... croisèrent Bizet, Gluck et Humperdinck dans un récital brillant et enlevé. Le quintette à cordes OPUSFIVE, formé de musiciens issus des plus grands ensembles européens, souligna avec talent la prestation de la belle américaine, tout en s’illustrant autour de pièces extraites de l’art de la fugue de Bach, distribuées çà et là, au gré du concert. Après une entrée en matière périlleuse, avec le redoutable Where shall I fly de Haendel, la cantatrice trouva progressivement ses marques avant de briller de

mille feux dans la deuxième partie du spectacle, entamée à la lueur d’une bougie, en duo avec le violoniste. Le public put apprécier toute la finesse et la musicalité de la chanteuse dans Abendsegen, extrait de Hänsel et Gretel. Alternant passages plein d’émotion, avec le lied Morgen de Strauss, ou teintés d’un humour décapant dans Carmen, Larmore atteignit sa plénitude dans l’extrait de la Cenerentola de Rossini ! Virtuosité, chaleur, jeu de scène... magnifique. Le bis, tiré d’un opéra de Kurt Weill, embrasa définitivement le théâtre aixois ! Ardent et lumineux ! CHRISTOPHE FLOQUET

© Frederix Stephan

Freischütz paradoxal

Réduire l’orchestre puccinien, une hérésie ? Pas dans La Bohème en tous cas ! L’opéra en quatre tableaux a quelque chose de volontairement cheap, bohème justement, et l’Opéra éclaté en propose une version débarrassée de certaines pesanteurs des grosses voix pas toujours souples. La distribution est magnifique, d’un goût parfait, d’une musicalité extrême, sans portés ni sanglots dans la voix… mais avec toutefois tout le volume nécessaire pour vous en mettre plein le cœur. Car La Bohème c’est cela, un vrai mélo, avec coup de foudre, misère partagée, pieux mensonge et fille perdue au grand cœur. Et la mort tragique, le cri déchirant, presqu’à la dernière mesure ! Le tout accompagné délicatement par l’orchestre qui suit, précède, lance les voix comme amoureusement, avant de tout balayer dans ses élans d’émotion sans complexe et sans fausse pudeur. La mise en scène d’Olivier Desbordes, ingénieuse, tient tout ce petit monde dans une boîte chaleureuse et étroite qui ne s’ouvre que sur des univers gris et clos, et les chanteurs peuvent y jouer avec un grand naturel. Bien sûr dans cette formation réduite où chaque instrument est soliste on entend le moindre dérapage, et le chœur étique se décale un peu. Qu’importe : si La Bohème n’est pas un opéra de poche, se garder d’en faire une grosse machine lui redonne un bel air de jouvence, qui transcende sa force émotionnelle. Un regret ? Des surtitres, ou la version française, auraient permis de suivre pas à pas l’évolution subtile des sentiments… mais visiblement dans la salle beaucoup parlaient l’Italien. Ou le Puccini ? AGNÈS FRESCHEL

La Bohème a été donnée aux Salins, Martigues, les 22 et 23 janvier La Boheme © Blaya Nelly


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MUSIQUE

CHAMBRE | RÉCITAL

Respirer la musique Chiara Bertoglio, jeune pianiste (27 ans) donna son premier récital à huit ans et joue, depuis, dans les salles les plus prestigieuses. Musicologue, elle a écrit cinq livres dont l’un, remarquable, sur le thème du voyage à l’époque romantique. Deux Sonates de Scarlatti ouvraient le bal : toucher délicat, articulation limpide, trilles et ornements comme de vifs éclairs. Elle enchaînait ensuite 12 Etudes de Chopin op. 10, cycle redoutable techniquement. Le premier en Ut majeur, avec des basses sonores et une main droite si agile. Le Presto diabolique en ut# mineur du n°4 fut une bourrasque virtuose. L’Étude n°12, la fameuse Révolutionnaire avec ses terribles arpèges à la main gauche, vagues inondant l’Europe d’un souffle de liberté. Élan, panache, un romantisme sans mièvrerie. Que dire des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, qu’on écoute trop souvent seulement dans leur version

qu’on aimerait ne pas voir se refermer, tellement la pianiste habite ces tableaux d’une rare émotion : sous ses doigts un musée aux mille couleurs, intime et grandiose. Le public debout réclama un bis. Il y en eut quatre ! dont un très bel Impromptu de Schubert n°3 opus 142, et Rêverie des Scènes d’Enfant de Schumann, ciselée comme un dernier soupir, qu’on avait envie de partager avec Chiara et sa grande sensibilité musicale. YVES BERGÉ

Chiara Bertoglio s’est produite le 3 février dans le cadre du cycle Étoiles montantes du piano italien, à l’Institut Culturel Italien, Marseille Chiara Bertoglio © Yves Bergé

orchestrale, certes magnifique, de Ravel ! La Promenade, leitmotiv si riche et varié, un Gnomus intrigant, d’une étonnante théâtralité. Il

Jeunes chambristes L’équipe experte qui concocte le programme annuel de la Société de Musique de Chambre de Marseille, autour de Bernard Camau, a le don de faire découvrir des ensembles promis à un bel avenir. C’est ainsi qu’en leur temps, le Quatuor Ebène et plus récemment le Quatuor Modigliani ont bouleversé l’auditorium de la Faculté de médecine de la Timone avant que leur talent n’explose partout ! Souhaitons à l’Ensemble Raro la même réussite que celle de ces jeunes formations françaises. L’horloge de ce quatuor avec piano est assurément Diana Ketler,

pianiste souveraine qui a réglé au millimètre le chant vibrant du violoncelliste Bernard Naoki Hendenborg dans les mouvements lents des Quatuors en ut mineur op.60 de Brahms et celui en mi bémol majeur op.47 de Schumann. Le 1er février, avec Eric Schumann (ça ne s’invente pas !) au violon et Razvan Popovici à l’alto, les artistes ont déployé un brillant lyrisme, tissé dans des phrasés finement dosés, des nuances colorées et tout un monde poétique enflammé, plaintif, résigné, libre et foisonnant… Rare ! JACQUES FRESCHEL Ensemble Raro © X-D.R

Vecchio Castello, tout en suspension, sublime, Bydlo à l’impressionnant crescendo, Limoges-Le Marché si véloce. Et cette Grande Porte de Kiev

Baroques-Graffiti se la joue Parisienne ! C’est au sein de la délicate rotonde néoclassique du Petit Temple réformé d’Arles que l’Ensemble Baroques-Graffiti présentait le 20 janvier un extrait des Quatuors Parisiens de Georg Philipp Telemann. Composés en 1730, ces derniers doivent leur surnom à la tournée parisienne de Telemann en 1737. Depuis 2008, l’ensemble marseillais, sous la direction de Jean-Paul Serra (cla© X-D.R viers), défriche ou revisite le répertoire du XVIIe et XVIIIe, nous promettant un avenir plein de richesses devant la prolixité du répertoire (parfois inconnu) à l’image du catalogue impressionnant de Telemann. Impossible de ne pas le comparer à un autre géant, Bach. À défaut de présenter une universalité qui n’appartient qu’au Cantor de Leipzig, Telemann préfigure par un discours évolutif le classicisme et l’écriture en quatuor matérialisé notamment par l’émancipation de la viole de gambe qui fait jeu égal avec la voix d’alto (flûte à bec) et le violon. Dans ce contexte, les musiciens relayaient des motifs vivaldiens, des phrases en écho alternant avec des soli libérateurs sur une basse continue réduite au clavecin. Au sein de ces pièces baptisées concerto, sonata, suite, Graffiti rafraîchissait avec dynamisme des manuscrits qui, interprétés ainsi, n’ont pas pris une ride. P-A HOYET

Ce concert a également été donné à la Magalone, Marseille, le 21 janvier


MUSIQUE

Le baroque dans tous ses états ! F.-X. Roth © Jean Radel

En ce premier mois de l’année, hommage, au GTP, à deux maîtres du baroque tardif : Campra et Bach Aux antipodes des représentations dramatiques de la mort, Campra, dans son Requiem et son De Profundis, préféra une vision douce et apaisée, très intérieure. Pas d’emphase et ni

de pathos exacerbé, mais une musique tout en retenue, rendue dans une lumière tamisée, parfaitement équilibrée entre solistes, chœur et orchestre. La dernière pièce du De

Décadence italienne, pulsation russe L’opéra conviait à un voyage des sons et des couleurs, sur le chemin d’un post-romantisme et d’un néo-classicisme décadents. Cyrano de Bergerac d’Aldo Finzi est un poème symphonique de belle facture : un thème triomphal aux cors annonce un passage plus lyrique aux cordes, alternance de motifs romanesques, exaltation du personnage, cuivres, percussions et de grandes phrases legato : un orchestre inspiré sous la baguette du bondissant Fabrizio Maria Carminati. On retrouve ensuite le formidable pianiste russe Mikhaïl Rudy dans le Concerto n°2 de ChostaMikhail Rudy © X-D.R.

kovitch : un Allegro vertical, aux pulsations et unissons très stravinskiens. Articulation extrême de Rudy ! L’Andante est une superbe respiration, émotion retenue précédant un Finale énergique, deux mains exaltées parfois crispées sur les traits véloces en gammes ascendantes. En bis, un Nocturne de Chopin et des extraits de Petrouchka ravissent le public, entre technique sûre et sensibilité effleurant un piano complice. Avec la Suite Le Guépard de Nino Rota, le musicien de Fellini, on plonge à nouveau dans l’aristocratie italienne du XIXe siècle. Carminati dirige ces danses avec âme (Valse, Mazurka, Polka…), évocation mélodique d’un Prince insouciant : le champagne sent déjà le soufre ! On termine par Les Pins de Rome de Respighi, dont le quatrième volet Les Pins de la Via Appia entraînent l’orchestre dans un crescendo monumental où l’on entend l’arrivée glorieuse de l’armée romaine : un ensemble puissant et Carminati tenant baguette et légion symphonique à bout de bras ! YVES BERGÉ

Ce concert a eu lieu le 12 février à l’Opéra de Marseille

Profundis est un modèle du genre d’écriture pour chœur : superbes harmonies, contrepoint subtil, finesse rythmique… du grand art. La maîtrise de Caen et les musiciens du Paradis, en osmose avec les belles voix de Vincent Lièvre-Picard, hautecontre, Christophe Gautier, taille, et Alain Buet, basse taille, délivrèrent une interprétation juste, ciselée, parfois presque trop intimiste pour le Grand Théâtre! Difficile pourtant de reprocher au chef, Olivier Opdebeeck, ce parti pris musical tant sa lecture correspond à l’esprit du compositeur aixois. La mort en cette soirée hivernale, avait de douces saveurs ! Après le repos éternel, les quatre concertos Brandebourgeois délivrés la semaine d’après par l’ensemble Les Siècles dirigé par François-Xavier Roth, réveillèrent les morts ! Entamés sur un tempo endiablé, ces petits bijoux instrumentaux, à la géométrie variable -bois et cors dans le 1er, que des cordes dans le 3e…- émoustillèrent la salle bondée du théâtre d’Aix. Après quelques problèmes de justesse et

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d’acclimatation au lieu, l’ensemble délivra un concert de très bonne facture, quelquefois entaché de scories passagères, rapidement gommées par une interprétation enthousiaste, pleine d’alacrité, à l’image de l’écriture contrapuntique débridée du cantor de Leipzig. La mise en espace, originale et efficace, des instrumentistes permit d’apprécier la virtuosité et l’élégance de la claveciniste quand celle-ci fut au centre de l’effectif ; les saillies mélodiques, gerbes de notes gemmées, expurgées des entrailles de son instrument, se métamorphosèrent en une texture organique, marque du modernisme du père Bach. La direction chaloupée du chef invitait naturellement les musiciens à rentrer dans la danse. Enivré par les mouvements ondulatoires des archets, le public se leva, encore sous le choc de ces Brandebourgeois… telluriques ! CHRISTOPHE FLOQUET

Chapeau ! Il est des concerts mémorables, ceux auxquels chaque mélomane rêve un jour d’assister. À l’évidence, les prestations scéniques de Grigory Sokolov, à l’image de son récital du 4 fév dernier pour le Festival de musique de Toulon en font partie. Rarement on a vu un pianiste aussi habité par la musique qu’il interprétait, faisant corps avec Grigory Sokolov © Klaus Rudolph son instrument sans jamais donner l’impression de se préoccuper d’autre chose que de musique. Autour d’œuvres de Bach et Schumann interprétées avec maestria et sans esbroufe, ce qui frappe avant tout c’est la luminosité du jeu extrêmement articulé où chaque note a sa juste valeur tant dans l’attaque que dans la durée, où chaque phrase suit une direction qui embarque l’auditeur vers des sommets témoignant d’une maîtrise phénoménale du clavier. Tout y est tellement parfait qu’on manque de superlatifs pour qualifier une telle interprétation. Si d’aventure certains puristes pouvaient encore s’offusquer d’entendre jouer Bach au piano, force est de constater que son génie de la phrase et du rythme n’y perdent aucune grandeur avec cet interprète qui sait en capter toute la vigueur et la restituer avec une dextérité époustouflante. Dans un répertoire plus convenu pour les pianistes, la schizophrénie latente de Schumann était transcrite, avec une limpidité qui forçait l’admiration, par un jeu en clair-obscur on ne peut plus nuancé, qui passait comme aisément d’une mélancolie quasi extatique à la folie dévastatrice. La prestation fut unanimement saluée par deux bis, honorés dans un répertoire français (Rameau et Couperin) qui laissa le public sans voix, médusé par tant de talent : superbe ! ÉMILIEN MOREAU


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MUSIQUE

SYMPHONIQUE | CONTEMPORAINE

À rebrousse temps Conçu comme une palette de saveurs diverses, le concert de l’OLRAP a débuté avec une œuvre de Luciano Berio, Requies, dont la lente et simple mélo-

die, longuement développée et subtilement colorée, transporte vers une sérénité sans terreur, et sans mystique. À l’opposé, la Suite de Pulcinella Gary Hoffman © Gerard Proust

Nord-Est

scandés et les percussions assuraient des fondations solides. En milieu de concert, la Bulgare Liya Petrova (21 ans !) exécutait un 2e Concerto pour violon de Mendelssohn sans épanchement outrancier, avec une maîtrise parfaite des passages les plus délicats. À la lumière méridionale contemporaine répondait donc la luminosité romantique de l’est, non moins empreinte de séduction. Montpellier à Nîmes ? Si seulement la géopolitique pouvait nous offrir un tel équilibre dans la richesse et la diversité ! P-A H.

L’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon s’est produit le 4 février au théâtre de Nîmes Orchestre National de Montpellier © Marc Ginot

L’Orchestre National de Montpellier proposait une double confrontation géographique et chronologique. Dédiée au sentiment de clarté, Lumen de Régis Campo réconciliait les plus récalcitrants avec la création contemporaine : datant de 2001, cette œuvre d’une dizaine de minutes aux accents impressionnistes joue avec les fondus de timbres, de nuances et de couleurs orchestrales ; les notes et motifs répétés, sur un jeu de tempos et de rythmes allègres, fusant d’un pupitre à l’autre. Dès le départ, la répétition d’un mi aigu obsédant génère des consonances et harmoniques qui s’étendent à tout l’orchestre sans nous faire oublier un sentiment de tonalité sous-jacente. Le chef Enrique Mazzola transmettait cet éclatement jubilatoire de nuances spectrales à son orchestre qui suggérait brillances et scintillements, inspirés au compositeur marseillais par ses origines méditerranéennes. Les chanterelles, les bois et les métaux des percussions sans oublier la harpe produisaient un festival de luminescences posées ou alternant avec un fond plus crépusculaire, pour finir sur un unisson en blanc majeur. Ce sont les thèmes populaires ukrainiens de la Symphonie n°2 dite Petite Russienne de Tchaïkovski qui nous ramenaient sur des terres plus septentrionales. Le cor et les cuivres évoquaient la Volga sans emphase, les thèmes rythmiques étaient bien

d’Igor Stravinsky, composée à partir d’un matériau musical du XVIIe siècle emprunté à Pergolèse. Musique à danser, colorée, figurative, créée en 1922 pour Diaghilev, elle a permis de mettre en valeur les qualités musicales des solistes de l’Orchestre d’Avignon, souvent à découvert. Est-ce cette virtuosité qui a emporté l’enthousiasme du public, qui est resté plus froid pour les belles couleurs de Berio ? C’est avec le légendaire Triple concerto de Beethoven composé en 1804 que s’est clôt le concert : au piano, l’admirable Vahan Mardirossian -qui offrit une inoubliable prestation lors du concert de soutien à l’Olrap en octobre 2009- a eu comme partenaire le non moins célèbre violoncelliste Gary Hoffman (jouant un Amati de 1662) dont le jeu, ce soir-là, fut divin : une

Prélude sans fugue C’est en guise de prélude à la représentation de La disgrâce de J.S. Bach (reprise par Serge Barbuscia les 10 et 12 février en son théâtre) que le Balcon a proposé cette vidéo de Gonzague Zeno. Consacrée à l’illustre organiste qui affirma «mon œuvre est faite pour le bonheur de tous les hommes», cette approche biographique contenant de nombreuses références picturales et musicales du XVIIIe siècle et tournée en partie avec des acteurs locaux (organistes avignonnais et montpelliérain) a permis de

redécouvrir cette époque où les princes avaient toute puissance sur les artistes. J.S Bach eut le malheur d’être en désaccord avec l’un d’eux… et s’en trouva disgracié… Evénement sur lequel le spectacle de Serge Barbuscia, qui met en scène l’effroyable condition de dépendance de l’artiste, repose. C.R. Vidéo-Bach a été projeté le 9 février au Théâtre du Balcon, Avignon

sonorité exceptionnelle, une musicalité hors du commun. Il ne fut guère évident pour la violoniste Cordelia Palm, super soliste de l’orchestre, de se faire une place prés de ses deux géants malgré son talent ! D’autant qu’une direction peu mature n’a pas permis aux solistes de compter sur un orchestre qui manquait de la clarté harmonique attendue. L’ensemble fut néanmoins très apprécié : même imparfaitement rendue, la puissance symphonique de Beethoven est inimitable… CHRISTINE REY

Ce concert a eu lieu le 4 février à l’opéra-théâtre d’Avignon

Vu L’Arlésienne (à Arles…) Effectivement, cette Arlésienne seulement évoquée dans le mélodrame était incarnée à la Chapelle du Méjan d’Arles par les accents de Marie-Christine Barrault déclamant la nouvelle inspirée par le conte original. Destinée à l’origine à la pièce de théâtre, une grande partie de la musique de scène (sans les chœurs) commentait les accents de la récitante. Le timbre voilé et parfois puissant de celle-ci traduisait le drame terrible de Frederi qui ne se remettra jamais de l’annulation de son mariage avec une Arlésienne pour des raisons de bienséance sociale de la bourgeoisie provençale. L’ensemble angoumoisin Music@16, sous la baguette de Jacques Pési ajoutait aux sentiments suggérés par le texte des émotions lourdes de sens, à l’exemple du thème de l’innocent. Marie-Christine Barrault variait le timbre de sa voix sur les paroles fluettes de Vivette impuissante à contrarier un sombre destin. Malgré le ton populaire de la Marche des rois à l’instrumentation multiple, malgré les accents provençaux et virevoltants de la célèbre Farandole et du Carillon, en dépit des exhortations du berger Balthazar et de la mère Rose, l’issue fatale survint, ponctuée par ces mots terribles de Fréderi : «…Là dans la terre...». On y croit. Une réussite donc, même si confronter un tel texte et une telle musique donne un alliage lourd de sens. Trop parfois peut-être : additionner la force émotionnelle de Daudet et Bizet peut amener à quelques excès, d’autant que la destination première de la musique pour la scène n’est pas d’accompagner mais de provoquer l’émotion. P-A HOYET

Ce concert a été donné le 8 février au Méjan, à Arles


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Que reste-t-il… Un studio hybride, mixages en direct devant un auditoire vraiment confidentiel : tuilages entre Jacques Diennet et Annabelle Playe. Des clins d’œil à la mémoire de Frank Royon Le Mée, trop tôt disparu, à 41 ans, en 1993, avec qui Diennet avait conçu un spectacle électro-acoustique iconoclaste et décapant (Soop Opéra). Ici, deux claviers, deux expandeurs, processeurs midi stockant des sons échantillonnés, comme au bon vieux temps des pionniers électro du Conservatoire de Marseille (Frémiot, Bœuf...) : 1968, première classe de musique électroacoustique dans un Conservatoire de France. Ça sentait bon les années 70 ! Deux ordinateurs pilotant l’ensemble, certains sons provenant de synthés analogiques. Trois périodes découpées par des silences. La première

faite de longues tenues, brouillages radio, très électronique, voix d’Annabelle Playe disant des textes se perdant dans l’espace, aphorismes radiophoniques rappelant Song Book de Cage (Et tout cela m’est advenu par la faute de la musique). Une seconde plus grave, large, nappes de sons métalliques, improvisations subtiles de Diennet au clavier. Une dernière, plus expressive, sons concrets et cuivrés (cornet), voix d’Annabelle Playe libérant des «ah !» chaloupés et intenses, belle complicité, battements de cœur comme les Heartbeats de Steve Reich (City Life). Diennet a toujours privilégié dans son travail la musique mixte et la synthèse numérique «live». Musiciens chaleureux qui auraient pu aller encore plus loin dans la démesure des timbres. Une belle aventure, qui manquait un peu de folie. Mais

Ubris Studio © Yves Bergé

puisque John Cage prône le nonvouloir, on se laisse aisément aller à cette rêverie aléatoire.

Ubris Studio a eu lieu le 4 février à l’Auditorium de la Cité de la Musique

YVES BERGÉ

© Claire Lamure

Symphonie alpestre allongé sur des transats, placé au cœur d’un dispositif de diffusion (une vingtaine d’enceintes), on a pu suivre la promenade vers les hauteurs alpestres préparée par le compositeur Lionel Marchetti. Des opus imaginés dans les années 90, mixant des sons naturels (oiseaux, feuillage…), inspirés des éléments (eau, air…), quelque voix lointaine en bribe de dialogue, au rythme pulsé de pas sur la neige dans des ambiances nocturnes aux trames sonores profondes, orgue cristallin, orage fantasmé, un glacier grinçant dardé d’éclairs en travelling sonore : tout un cinéma pour l’oreille dans la pure tradition électroacoustique !

Il a muté le langage utilisé par les compositeurs, depuis que Richard Strauss a traduit, à l’orchestre symphonique, l’ascension montagnarde d’un promeneur en quête de lumière ! Certains sont passés des instruments traditionnels aux machines enregistreuses, usant de sons concrets de la vie quotidienne pour les transformer en objets sonores propices à l’émergence de nouvelles œuvres. À l’aide de technologies de pointe, outils informatiques de synthèse du son, procédés de spatialisation de la matière musicale, le travail expérimental d’un Pierre Schaeffer dans les années 50 a bien évolué : les factures sont à présent soignées, la qualité sonore idéale. L’atrium du studio du Gmem était plein le 21 janvier, pour le concert de clôture des Trans’electroacoustique. Dans un confort d’écoute optimal,

JACQUES FRESCHEL

Processus mémoriel reconnaître des motifs et clins d’œil à Bach, Beethoven, Chopin. La création pour flûte basse de Jean-Pierre Moreau, La liberté commence là où © X-D.R.

Le MIM (Laboratoire Musique et Informatique de Marseille) proposait un trajet sur le temps et la mémoire, l’imaginaire qui relie passé, présent, avenir, fiction, réalité, songes, désirs et craintes. Immémorial de Pascale Weber est une évocation poétique, images qui défilent sur des trajectoires sonores aléatoires, très belle esthétique sur les vibrations de l’enfance et du temps. Tristan-Patrice Challulau rend hommage à Marcel Frémiot, créateur du MIM, avec Comptines pour voix et piano ; il distille ces petites histoires, subtiles et pleines d’humour, modales, tonales, atonales, avec une tendre ironie : l’alouette qui tirelire entre les bleuets et l’azur. Prenante composition audio-visuelle, Soft Thresholds de Frank Dufour, qui imprime aux corps des ombres acoustiques sur le thème d’Orphée. Savoirs et mémoires, création pour piano de Challulau, est un dialogue savant entre le pianiste et le public, une joute ludique où les auditeurs doivent

s’arrête... démarre sur le souffle de la vie, son vidé de ses harmoniques, détimbrage étonnant, tramemémoire qui se dilue, legato subtil puis course-poursuite, retour au silence ; belle interprétation de Nicolas Bauffe. Marcel Formosa propose une œuvre pour piccolo et électroacoustique, Sur l’air de, reprise de son œuvre avec accompagnement de percussions : créer, recréer, repartir de l’avant avec une œuvre du passé : doubles-sons, harmoniques, motifs pulsés qui s’imposent à la mémoire et traits survoltés, très beau mariage. Passé intérieur, composé et composite pour le plus grand bonheur d’un auditoire… présent. Y.B.

Ce concert a eu lieu à la cité de la Musique, Marseille, le 10 février


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MUSIQUE

AU PROGRAMME

LYRIQUE Rossini flamboyant

Nathalie Manfrino (Tatiana), Armando Noguera (Onéguine) et Florian Laconi (Lensky) chantent le drame lyrique tiré de Pouchkine Eugène Onéguine sur la musique romantique de Tchaïkovski. Au fil du temps, depuis sa création en 1878, cet opéra est devenu le plus populaire du répertoire russe, de par la magnificence des airs, des chœurs & ballets, et les conflits intimes portés par les protagonistes. Le livret met en scène les amours malheureuses de la jeune Tatiana et du héros byronien désabusé Onéguine. Dans un univers aristocratique exhalant l’âme russe, les destins se croisent, sans se trouver, de bal en duel, sur fonds d’honneur et de vertu. Cette production de l’Opéra de Metz est mise en scène par Claire Servais et dirigée par Rani Calderon.

AIX .Le 18 mars à 20h30 et le 20 mars à 15h GTP 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

AVIGNON. Le 20 fév. à 14h30 et le 22 fév. à 20h30 Opéra-Théâtre 04 90 82 81 40 www.operatheatredavignon.fr

Puccini rare On ne joue pas très souvent La Rondine, comédie lyrique en trois actes créée à Monte-Carlo en 1917 et dont le titre français est L’hirondelle (jamais représentée à Toulon). Cet opéra, à part dans la production de Puccini, est une comédie désenchantée prévue à l’origine pour être une opérette. Au Second-Empire, les héros (la courtisane Magda amoureuse de l’étudiant Ruggero se situe entre Musetta, Violetta et Manon), sur fond de réalisme social, font une escapade amoureuse entre Paris et la Côte d’Azur. Le livret a la réputation de comporter des «faiblesses» quand le style hésite entre buffa et seria (le compositeur désirait réagir contre ce qu’il appelait «l’horrible musique du temps présent» de la Grande Guerre). Si déficiences il y a, les productions appellent, en compensation, une distribution valeureuse et une mise en scène bien pensée. On découvre celle signée Gino Zampieri quand le couple amoureux est formé par Maria Luigia Borsi (Magda) et Marc Laho (Ruggero), sous la baguette de Giuliano Carella.

FESTIVALS Baroque… aujourd’hui ?

TOULON. Les 25 fév. et 2 mars. à 20h et le 27 fév. à 14h30 Opéra 04 94 93 03 76 www.operadetoulon.fr La Rondine © Filippo Brancoli Pantera

Pour sa 9e édition le festival Mars en baroque, à l’initiative de l’ensemble Concerto Soave dirigé par Jean-Marc Aymes, pose des questions relatives à l’art baroque musical, dont l’interprétation a bien évolué depuis quelques décennies : «Pourquoi jouer la musique baroque en 2011 ? Quelles sont les limites de cet art qui a marqué l’Europe pendant un siècle et demi ? Comment la recherche musicologique peutelle contribuer à enrichir l’émotion artistique ? La musique baroque s’enrichit-elle des contacts avec d’autres musiques, européennes ou non ?». On assiste à des tables-rondes et conférences en marge des concerts, dont le premier est dansé «à la cour de Mantoue», joué par Concerto Soave avec la compagnie Il Ballarino (le 11 mars à 20h30 au Théâtre des Salins à Martigues). Dans son église coutumière à Marseille (Ste Catherine), on entend des artistes rompus au style baroque : la soprano Raphaële Kennedy (le 13 mars à 18h), le violoncelliste Roel Dieltiens (le 16 mars à 20h), Luca Guglielmi au clavecin & pianoforte (le 17 mars à 20h) et la soprano Stéphanie Révidat avec La Simphonie du Marais, Hugo Reyne et ses flûtes et hautbois (Cantates & Sonates - le 19 mars à 20h). Le concert de clôture annonce des «lamenti» baroques et une création contemporaine de Philippe Gouttenoire avec María Cristina Kiehr (soprano) Concerto Soave et Jean-Marc Aymes aux claviers, l’ensemble Musicatreize dirigé par Roland Hayrabédian (le 23 mars à 20h St Cannat – Marseille). Mars en baroque. Du 7 au 23 mars MARTIGUES. Théâtre des Salins 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr MARSEILLE. 04 96 11 04 61 www.espaceculture.net Programme complet sur www.concerto-soave.com

Création au féminin

Amanda Favier © X-D.R.

Lyrisme slave

Cavatines tendres et cabalettes furieuses se succèdent dans cette fabulation buffa allant faire ses cabrioles farfelues dans un orient d’opérette. Dans le dramma giocoso L’Italienne à Alger, Rossini livre en 1813 sa première grande folie musicale qui, à l’instar du Barbier de Séville ou Le Turc en Italie, connaîtra de nombreux succès. Isabella échoue en Algérie et tente de rendre la liberté à son amant Lindoro, devenu esclave de Mustafa, tout en voulant réconcilier le Bey avec sa femme Elvira… La mise en scène de Sandrine Anglade renforce la bizarrerie du livret quand la partie musicale est dirigée par Pascal Verrot avec Allyson MacHardy (Isabella), Jonathan Veira (Mustafà), Blagoj Nacoski (Lindoro)…

La compagnie Les Bijoux Indiscrets (dir. Claire Bodin) organise, dans le Var, la première édition d’un festival intitulé Présences Féminines. Les manifestations s’articulent autour de quatre concerts et des opus d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, Hélène de Montgeroult, Marie Bigot, Julie Candeille, Pauline Viardot, Louise Farrenc, Mel Bonis, Cécile Chaminade, Loïsa, Puget, Sophie Gail, Nadia et Lili Boulanger, Marie Jaël… tant de créatrices (et il y en a !) souvent «négligées» par l’histoire musicale et les programmes traditionnels de récitals. À l’affiche : Sonates et trios (le 8 mars à 20h à Six-Fours Théâtre Daudet – entrée libre 04 94 74 77 79), Compositrices et interprètes au clavier (Concert – lecture le 9 mars à 18h30 Théâtre Marelios à La Valette - 04 94 23 62 06), Romances et mélodies (le 10 mars à 20h30 Espace Marc Baron à Saint-Mandrier 0892 68 36 22), Musique chez Madame de Pompadour (le 12 mars à 20h30 au Musée d’Art de Toulon 0892 68 36 22). Conférences à Toulon au Conservatoire (entrée libre) : Les Compositrices françaises de 1789 à 1914 (le 11 mars à 18h Théâtre Jean Racine) et Être une femme musicienne sous l’Ancien Régime (le 12 mars à 14h30 Auditorium). 06 42 12 32 31 www.lesbijouxindiscrets.org Conservatoire : 04 94 93 34 29 www.cnrr.tpm-agglo.fr

«Protest songes» Le 14 mars au Théâtre de Lenche dans le cadre du festival Avec le temps (voir p 44), un ConcertCabaret par le Collectif Musical Gastine : six musiciens/chanteurs autour d’Anne (composition) et Philippe Gastine (texte) mettent en scène (Joëlle Gattino) des chants de protestation aux accents de Kurt Weill, Eric Satie… avec légèreté, fantaisie et rêve. MARSEILLE. Théâtre de Lenche. 04 91 91 52 22 www.picturmusic.com 04 91 48 74 62


Lieder et compagnie… Christine Kattner (mezzo) chante des Lieder de Schubert et des mélodies de Duparc et Berlioz avec Vladik Polionov au piano (le 18 fév. à 21h au Théâtre du Golfe). C’est l’un des moments forts des 3e musicales de février qui se prolongent avec l’Harmonie locale (20 fév. à 15h30), un concert-conférence autour de Franz Liszt (22 fév. à 19h)… pour s’achever avec l’Ensemble instrumental du Pays d’Aix (dir. Pierre Taudou), une formidable soprano colorature que l’on regrette d’entendre si peu Monique Borelli et la flûtiste Emilie Iannelo (le 27 fév. à 17h – Chapelle des Pénitents). LA CIOTAT. Jusqu’au 27 fév 04 42 08 88 00 www.laciotat.com

CONTEMPORAINE Objectif lune Le Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg est une fusée expressionniste qui marque, dès 1912, l’histoire de la musique en conjuguant un langage atonal savant et un traitement vocal révolutionnaire. Les 21 poésies, candides ou barbares, capricieuses, ironiques ou mélancoliques, traduites du symboliste Albert Giraud, sont conçues comme un mélodrame où le père de l’École de Vienne oppose au chant classique de l’opéra le Sprechgesang (chant parlé) : une forme inédite d’alliage verbe et musique. Raoul Lay modélise une interprétation respectant les passages à des hauteurs obligées où la soprano Brigitte Peyré trouve, dans la déclamation, un vrai naturel. Les instrumentistes dressent autour d’elle une coque de trémolos feutrés et nocturnals. De surcroît, l’Ensemble Télémaque innove en imaginant une véritable création théâtrale, mise en scène par Renaud Marie Leblanc (écriture Suzanne Joubert), qui joue son propre personnage et veut imposer sa vision cabaret face à une diva forcément lyrique… CAVAILLON. Pierrot lunatique le 8 mars 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com Résidence de création au 3bisf jusqu’au 25 fév (ateliers, travail d’acteur, mise scène, répétitions publiques…)

L'Ensemble Telemaque © Agnès Mellon

Passage à l’acte Alban Berg a composé au début des années vingt, l’un des chefs-d’œuvre lyrique du XXe siècle, et plus généralement de l’histoire de la musique : Wozzeck. Le texte allemand adapté du drame de Georg Büchner est fardé d‘une musique puissante, expressionniste, atonale… Mais malgré le modernisme de son langage, le grand public semble aujourd’hui en mesure d’en goûter les richesses. Il se laisse porter par le drame vécu par le soldat Wozzeck, certes psychologiquement instable, mais poussé au passage à l’acte meurtrier par la pression sociale, scientifique et affective. Trente ans après sa dernière représentation à Marseille, on découvre cette nouvelle coproduction (avec Vlaamse Opera et l’Opéra de Monte-Carlo) dirigée par Lawrence Foster, mise en scène par Guy Joosten avec Jochen Schmeckenbecher (Wozzeck), Heidi Brunner (Marie). MARSEILLE. Les 12, 15, 18 mars à 20h et le 20 mars à 14h30 Opéra 04 91 55 11 10 www.opera.marseille.fr


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MUSIQUE

AU PROGRAMME

«De la couleur»

Quatuor

Modigliani

C’est l’un des Trois poèmes élastiques de Blaise Cendrars, mis en musique par Marius Constant, évoquant le peintre Chagall qui donne son titre au concert de Musicatreize. Roland Hayrabedian propose des œuvres qui tissent des liens entre la musique et les arts visuels. Ainsi La Vénus au trottoir de Jean Dubuffet, Terre brulée II de Raoul Ubac et Voilier à Cannes de Nicolas de Staël, œuvres exposée au Musée Cantini à Marseille, ont donné naissance à Kamenaia de Christophe Bertrand et Ikhtifa de Zad Moultaka. Dans le même esprit, la nouvelle création de François Rossé Atyx s’opère de façon singulière en tissant des liens aléatoires entre les 12 chanteurs, le public et 24 tableaux présents. A découvrir !

Les filles du Quatuor Garance (voir Zib 37) jouent les Quatuors à cordes K.421 de Mozart, l’Op. 80 de Mendelssohn et le Quatuor américain de Dvorak.

Les jeunes du Quatuor Modigliani poursuivent leur périple méridional. Après Aix au GTP en octobre et Marseille à la Société de Musique de Chambre en janvier, on les entend dans la cité des papes pour un programme alliant Beethoven (Quatuor n°1 en fa majeur, op.18 n°1) et Debussy (Quatuor en sol mineur, op. 10) avant une reprise de leur disque publié récemment chez Mirare (MIR 120) consacré à Mendelssohn : soit le Quatuors en fa mineur op. 80.

MARSEILLE. Le 13 mars à 16h30 à l’église NotreDame du Mont www.musiqueandco.com 04 91 54 76 45 Espace Culture 04 96 11 04 61

C.P.E. Bach L’ensemble Baroques Graffiti s’intéresse, pour sa fin du Cycle Quatuors à l’un des fils Bach ayant marqué l’histoire de la musique. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) est l’auteur d’oratorios, de cantates, concertos, sonates et fantaisies pour clavecin qui influencèrent Haydn et Mozart. Il a également laissé un traité pédagogique «sur la vraie manière de jouer du piano». Jean-Christophe Frisch (traverso), Sharman Plesner (alto), Etienne Mangot (violoncelle) et Jean-Paul Serra (pianoforte) jouent quelques-uns de ses Quatuors galants.

MARSEILLE. Le 5 mars à 19h30 au Musée Cantini 04 91 00 91 31 www.musicatreize.org

«Foliephonie» Marcelle Deschênes, compositrice, pianiste, pédagogue et artiste multimédia répond à l’invitation trimestrielle de Lucie Prod’homme pour présenter son œuvre. MARSEILLE. Le 14 mars à 18h15 (Rencontre) et 20h30 (Concert) 04 91 39 28 28 www.citemusique-marseille.fr

ARLES. Le 10 mars à 20h Temple réformé 09 51 16 69 59 www.baroquesgraffiti.com MARSEILLE. Le 11 mars à 20h30 Bastide de la Magalone 04 91 39 28 28 www.citemusique-marseille.fr

CHAMBRE Duo Renaud Capuçon (violon) et Kathia Buniatishvili (piano) jouent un programme royal de sonates : la Sonate n°2 (Sz 76) de Bartok, la Sonate n°3 en ré mineur op. 108 de Brahms et l’incontournable Sonate pour violon et piano en la majeur de Franck.

«2, 3, 4 musiques»

AVIGNON. Le 19 fév. à 20h30. Opéra-Théâtre 04 90 82 81 40 www.operatheatreavignon.fr Renaud Capuçon © X-D.R.

Le premier des trois concerts annoncés à la Bibliothèque Départementale Gaston Defferre est un prélude à un cycle témoignant «des nouvelles configurations de la musique de chambre, dans la création contemporaine» qui se poursuivra avec un trio puis un quatuor de l’Ensemble Télémaque (25 mars et 15 avril). Le cycle affiche d’abord le duo de pianos Stéphan Oliva et François Raulin pour un hommage à des musiciens qui ont marqué l’histoire du jazz (le 18 mars à 19h). Deux conférences de Daniel Dahl traitent spécifiquement du sujet (les 8 et 15 mars à 18h30). MARSEILLE. Bibliothèque Départementale Entrée libre 04 91 08 61 00 www.biblio13.fr

Le Quatuor Syrah formé de Louis-Alexandre Nicolini et Marie Hafiz (violons), Benjamin Clasen (alto) et François Torresani (violoncelle) joue un programme de musique de chambre qui ravira les puristes. On entend l’une des œuvres de jeunesse de Joseph Haydn fondant un nouveau genre (le quatuor à cordes) qui fera florès par la suite, soit le Quatuor n°2 en mi bémol majeur op. 1. Vient ensuite l’une des pièces des plus prisées du répertoire, en particulier à cause de son mouvement lent au rythme funèbre : le Quatuor en ré mineur, D. 810 «La Jeune Fille et la Mort» de Franz Schubert. MARSEILLE. Le 19 mars à 17h. Opéra 04 91 55 11 10 www.opera.marseille.fr

Quintettes à vents L’Institut Français des Instruments à Vent en collaboration avec la Cité de la Musique organise, tous les deux ans un Concours International de Quintette à Vent. C’est une manifestation unique au monde qui met à l’honneur de jeunes instrumentistes (flûte, hautbois, clarinette, basson et cor) dont la 6e édition est dédiée au compositeur Henri Tomasi (pour la commémoration des 40 ans depuis sa disparition). On entend ses «Cinq Danses Profanes et Sacrées» imposées en épreuve finale autour de pièces de Mozart, Reicha, Milhaud, Dvorak… MARSEILLE. Du 21 au 25 fév. Épreuves publiques (entrée libre) à la Cité de la Musique La Magalone. Remise des prix et concert des lauréats le 26 fév. 04 91 39 28 28 www.citemusique-marseille.fr Institut Français des Instruments à Vent : www.ifv.org

RECITALS Jeune pianiste Martin Helmchen a remporté le Concours Clara Haskil en 2001. Depuis, ce musicien à la sensibilité notoire poursuit une trajectoire remarquable… mais se produit peu en France. On découvre ce talent dans Bach (Partita n°1 BWV 825), Schoenberg (Six miniatures op.19) Mendelssohn (Romances sans paroles op. 67 6e livret) et Beethoven (Sonate n°29 op.106 «Hammerklavier»). MARSEILLE. Le 8 mars à 20h30 Auditorium de la faculté de médecine de la Timone www.musiquedechambremarseille.org Espace Culture 04 96 11 04 60 Martin Helmchen © Marco Borggreve

Eros et Thanatos

AVIGNON. Le 8 mars à 20h30. Opéra-Théâtre 04 90 82 81 40 www.operatheatreavignon.fr


Piano sensible Le pianiste israélien Iddo Bar-Shai est un poète du piano, au toucher sensible développant une grande musicalité. Il joue la Sonate «Funèbre» de Chopin, des Mazurkas, ainsi que deux Sonates de Haydn et Janacek. AIX. Le 14 mars à 20h30 au Théâtre du Jeu de Paume. 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

Reine du bel canto La soprano June Anderson chante, accompagnée par l’Orchestre de l’Opéra, un florilège d’airs du bel canto et de l’opéra baroque : de Semiramide ou Otello de Rossini à La Somnambule de Bellini, mais aussi Jules César de Haendel ou l’incontournable «Casta diva»… La cinquantaine altière, voilà plus de trente ans que la diva triomphe sur les scènes du monde entier ! Sûr qu’elle fera le plein et qu’on retiendra son souffle… Car son timbre, aujourd’hui encore, a conservé ses qualités d’équilibre et d’égalité sur tout le registre, résultat d’une technique sûre, basée sur la maîtrise de souffle, la souplesse des phrasés et des aigus francs et clairs. Dans les emplois bel cantistes appropriés à son centre de voix, June Anderson demeure une interprète hors-pair. TOULON. Le 11 mars à 20h. Opéra 04 94 93 03 76 www.operadetoulon.fr

RADIOSYMPHONIQUE Événement ! Orchestre national de France © Radio France-Abramowitz

Enfin Paris est à Aix ! France Musique s’installe au GTP, et diffuse en direct du 4 au 11 mars. Les émissions de Dominique Boutel, Yvan Amar, Benoit Duteurtre, Lionel Esparza, Frédéric Lodéon… sont enregistrées en public (entrée libre) et invitent Perrine Mansuy, Raphaël Imbert, Angelin Preljocaj… Ce sera aussi l’occasion de revenir sur l’histoire du Festival d’Aix, et de se pencher sur les dispositifs pédagogiques mis en place par le grand Théâtre. Quant aux concerts, ils permettront d’entendre l’Orchestre National de France, dirigé par Takuo Yuasa, qui joue la 1re symphonie de Brahms dont la pulsation tragique initiale s’avère toujours aussi captivante. En compagnie des sœurs Lidia et Sanja Bizjak, la phalange nationale interprète également le Concerto pour deux pianos en mi bémol majeur de Mozart (le 8 mars). Le Chœur de Radio France (dir. Matthias Brauer) interprètera quant à lui des pièces a cappella, hymnes à l’amour des époux Clara et Robert Schumann, (le 11 mars). AIX. Concerts à 20h30 GTP 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net JACQUES FRESCHEL


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MUSIQUE

AU PROGRAMME | ACTUELLE

Toujours à temps

AIX Théâtre et Chansons : Lison Tremplin jeune talent Emilie Marsh (18/2), Sudden (12/3) 04 42 27 37 39 www.theatre-et-chansons.com

ARLES Cargo de nuit : Tu Tires ou Tu Scratches ? (19/2), Way Of House (5/3), Hidden Orchestra (11/3), Rootz Underground (16/3) 04 90 49 55 99 www.cargodenuit.com

AUBAGNE MJC L’Escale : Superkemia (25/2), Aim Bass (4/3) 04 42 18 17 17 Mjcaubagne.free.fr

AVIGNON Les Passagers du Zinc : Zombie zombie, Anakronic orkestra (18/2), Lee Scratch Perry, Conquering system (21/2), Faya reflex : the others, Lucid, Konaz, Atom (25/2), soirée special Belge avec Puggy & Stromae (11/3), Robin Leduc, Antoine Léonpaul (12/3) 04 90 89 45 49 www.passagersduzinc.com

BRIANÇON Théâtre Le Cadran : Angelo Debarre Quartet (3/3), Opium par Christine Brotons et Albert Tovi (9 au 12/3) 04 92 25 52 52 www.theatre-le-cadran.eu

La Machine à Coudre : Tyvek, Binaire (18/2), Jack Of Heart, Johnny Division (20/2), The Needs (25/2) 04 91 55 62 65 www.lamachineacoudre.com

Du 12 au 23 mars, Marseille a rendez-vous avec la chanson avec comme point d’ancrage la plate forme de l’Espace Julien. Le désormais attendu festival Avec le Temps diffusera la bonne parole sur la scène du cours Julien mais également dans des lieux satellites comme L’éolienne, Le Lenche, Le Parvis des Arts, le Théâtre des 3 Act, le Dock des Suds, Le Cri du Port, La Machine à Coudre et le Nomad Café. On y retrouve certaines têtes d’affiche qui semblent élire domicile sur la scène phocéenne (Arno, Bernard Lavilliers, Abd Al Malik), et d’autres comme Souad Massi (17 mars Espace Julien) et CharlElie (19 mars Espace Julien) qui se (re)découvriront avec plaisir. Après son passage remarqué aux Aulnes Rouges l’été dernier, Pigalle (accompagné des Hurlements d’Léo) soignera certainement son grand retour sur scène (15 mars Espace Julien). Art Mengo (16 mars Espace Julien), Ben l’Oncle Soul (17 mars Docks des Suds) et Zaz (18 mars Espace Julien) complèteront un plateau pléthorique ! Et c’est sans compter les nouveaux talents qui ne manquent pas, citons parmi eux Balbino Medellin, Bertrand Pierre, Chloé Lacan, Avis de Bâtard, Usthiax, Gaïo, Mi, Imbert Imbert, Maison Rouge… Histoire de ne pas s’ennuyer, le Café Julien vibrera au son des platines de DJ Big Buddha tous les soirs avant et… après le concert !

La Mesón : 4e édition de Cordes sans cible (18 et 19/2), Duo Akosh S. et Gidas Etevenard (4 et 5/3) 04 91 50 11 61 www.lameson.com

L’Embobineuse : Zombie Zombie, Marteau Matraque (17/2), Le Singe blanc (19/2), Bleu bird, piano chat (23/2), L’Enfance rouge, Feromil (5/3), Don Vito, Gregaldur, Sieur et Dame (14/3) 04 91 50 66 09 www.lembobineuse.biz

Nomad’Café : Sir Joe Quaterman (19/2) 04 91 62 49 77 www.lenomad.com

Théâtre l’Antidote : Julien Sigalas (5, 12, 19, 26/3) 04 91 34 20 08

Le Bicok : Lady Lana Reina, Emile Chick (24/2), Pearl (25/2) 04 91 94 50 48 www.lebicok.com

MuzikMania : Godfathers of Funk (18/2) 04 91 44 26 38 www.reverbnation.com/muzikomania

CHÂTEAUNEUF-DE-GADAGNE

04 90 22 55 54 www.akwaba.coop

HYÈRES Théâtre Denis : The legendary Tiger Man, Hifiklub (18/2), Fredrika Stahl, Red Rails (18/3)

FRÉDÉRIC ISOLETTA

MARTIGUES Théâtre Les Salins : Pink Kong du groupe DuOud (9/3) 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

VITROLLES Chapiteau Kiffa : Hybride festival avec Kronos, Destinity, Sailence, Benighted, Manimal, My Own Private Alaska, Andreas & Nicolas… (4 et 5/3)

www.festival-avecletemps.com Souad Massi © X-D.R.

Akwaba : Is it hip hop ? : Mike Ladd and Juice Aleem are the infesticons, Bleubird (18/2), Jahtari, Dub Welders (26/2), Pilöt, Phosphene (5/3), Scratch Bandits crew, Rah team (12/3)

04 42 02 46 50

04 98 07 00 70

MAUBEC ISTRES L’Usine : Feloche, Isaya (18/2), Tremplin découverte électro/funk (19/2), Tremplin découverte métal (25/2), Tremplin découverte chanson (4/3), Tremplin découverte rock (5/3), Stromae (10/3), Tête Raide, Giedre (12/3) 04 42 56 02 21 www.scenesetcines.fr

MARSEILLE Espace Julien : Les rois de la Suede (17/2), Lee Fields et The expressions, Charles Bradley et The Menahan street band (26/2), Puggy (10/3) 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com

Cabaret Aléatoire : Sly Johnson, Yarah Bravo, Alice Russell, Beatspoke, Soulist (18/2), M.O.P, Dj Djel (25/2), Chali2na, La Rumeur (26/2), Ebony Bones, Pope Joan (4/3), Les Sales majestés (5/3), Markize, Ivalys, Pryde, Eradikal Insane, The Omega (12/3) 04 95 04 95 09 www.cabaret-aleatoire.com

La Gare : If if Between, Le Singe blanc (18/2), We used to have a band, Bertrand Belin (25/2), Free Beans, Syncopera (4/3), Les Ballyshannons (11/3) 04 90 76 84 38 www.aveclagare.org

NÎMES Théâtre : Coming Soon (12/3) 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

SALON-DE-PROVENCE Portail Coucou : Adam Bomb (4/3), carte blanche à Garage (12/3) 04 90 56 27 99 www.portail-coucou.com

TOULON Oméga Live : Soirée Zoo électro (19/2), soirée des 20 ans de Ninja Tune (10/3), soirée UK Bass (12/3) 04 98 070 070 www.tandem83.com

Les femmes d’abord

Saint-Martin de Crau accueille la 9e édition du Festival Voix de Femmes du 12 au 26 mars. Avec une féminité qui se décline sous toutes ses formes : concerts, rencontres, projections… Vis à vies, Las Hermanas Caronni, Anne Baquet, Jeanna Plante, Joyce Jonathan, Djazia Satour, Le Trio F, mais aussi Natasha St Pier et Isaya, magnifique duo découvert à l’occasion de la dernière édition des Aulnes Rouges il y a six mois. F.I.

www.festivalsrock.com/FestivalFestival_Voix_de_Femmes


MUSIQUE Cité de la Musique - La Cave Duo Luzi Nascimento (18/2 à 21h), 5tet à Gospel & Gospel Time (18/3 à 21h)

AGEND’JAZZ ARLES

Le Boatel (péniche) ZEF quartet (4/3)

04 91 392 828 www. citemusique-marseille.com

06 08 605 324 www.leboatel.com

Cri du Port Ce monde autour de moi - création jeune public (20/2 à 17h30), Jean Duino trio (10/3 à 20h30), Monique Hutter-Daniel Huck 4tet (17/3 à 20h30)

AUBAGNE MJC L’Escale Nightingales (17/2 à 19h), Rémi Abram 4tet (17/3) Les Jeudis de L’Escale : Café-Jazz avec le trio LaDiMa tous les 3e Jeudis du mois et Soirée-Bœuf tous les 2e jeudis du mois

04 91 504 151 www.criduport.fr

Inga des Riaux Swinging Papy’s (18/2), Claudia Meyer (24/2), Abram Jazz4tet (25/2)

04 42 181 717 www.mjcaubagne.fr

06 07 575 558 www.inga-des-riaux.fr/music.html

AVIGNON AJMI Sylvia Versini-Campinchi octet(17/2 à 20h30), Benjamin Moussay Trio (25/2 à 20h30), Kami 5tet (4/3 à 20h30), Pierre Christophe 4tet (11/3 à 20h30), Jazz Story N°4 Le Vibraphone avec Bernard Jean (17/3 à 20h30 ou dès 19h30 pour grignoter), Sébastien Cicorella trio (18/3 à 20h30)

Le Paradox Daedalus Spirit Orchestra (19/2), Jamse&Lied? (20/2), JB’s & L’Echapée Belle & Guests (24/2), Maycad (3/3), Hofmann Family Blues Expérience (10/3) 04 91 631 465 www.leparadox.fr

Le Polygone étoilé Musique, on tourne ! Film musicaux : Born to Lose (19/2 à 18h), Hardtime killing floor Blues(19/2 à 21h30), Man no run (26/2 à 20h)

La Manutention 04 90 860 861 www.jazzalajmi.com

BRIANÇON Théâtre Le Cadran Atelier Jazz et concert avec Passport Quartet en divers lieux de la communauté des communes du Briançonnais(19/02 et 20/04)

04 91 24 89 71 www.peuple-et-culture.org

Théâtre de la Criée Bernard Jean -vibraphone (11/3 à 21h30) Cabaret Jazz

04 92 255 252 www.theatre-le-cadran.eu

04 96 178 031 www.theatre-lacriee.com

HYERES

Roll’ Studio JohnAZZ collectif 4tet (05/03 à 18h30), Elsy Flerag (12/3 à 18h30), Divina 4tet (19/3 à 18h30)

Théâtre Denis Ari Hoenig Trio (19/2 à 21h00), Leçon de jazz «Duke Ellington» par Antoine Hervé (12/3 à 21h00)

04 91 644 315 www.rollstudio.fr

www.jazzaporqueroles.org 06 31 798 190

La Mesòn Samuel Karpienia et Stéphane Galeski (18/2 à 20h), Ablaye Cissoko et Volker Goetze (19/2 à 20h), Akosh Szelevényi & Gildas Etevenard (4 et 5/3 à 20h)

MARSEILLE Auditorium des ABD 2, 3, 4 Musiques - Duo de piano Oliva&Raulin (18/3 à 19h) 0491 086 100 www.biblio13.fr

www.lameson.com

Paolo Fresu est l’invité du Grand Théâtre de Provence avec le quartet mouvant Devil 4T. Le trompettiste –dont la renommée internationale n’est plus à faire depuis son CD Angel et sa collaboration avec Carla Bley pour The lost chords- était accompagné de Paolino Dalla Porta à la contre basse, Roberto Cecchetto à la guitare et le batteur montpelliérain Joël Allouche pour un set fait de ballades et d’instants sonores plutôt jazz-rock, à la trompette ou au bugle, très électronique. La mise en lumière efficace parachevait le sentiment d’une belle soirée, sage, variée et virtuose. DAN WARZY Ce concert a eu lieu le 8 février

Paolo Fresu © Roberto Cifarelli

Anges et Diables

Partage De nouvelles compositions du batteur-percussioniste Ahmad Compaoré, fruits d’une résidence de création à La Boîte à Musique à La Friche, étaient présentées le 28 janvier à La Meson. Une ballade démarre avec Raphaël Imbert aux saxophones. On semble deviner My favorite things mais non ! Les thèmes sont issus de métissages complexes et d’improvisations. Hervé Samb à la guitare apporte le caractère déjanté de ses effets sonores,

Stéphane Mondésir aux claviers et programming élabore un équilibre harmonique pour le perturber aussitôt. Guitare basse et contrebasse sont tenues par Sylvain Terminiello pour un bain bouillonnant auquel se joignent d’autres musiciens, un guitariste, le trompettiste Christophe Leloil pour un final très jazz-rock. Musique qui expérimente assurément, dans l’échange et l’écoute, devant un public en partage. D.W.

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MIRAMAS Comoedia Dmitri Baevsky 4tet (10/3 à 21h) 04 90 500 526 www.scenesetcines.fr

OLLIOULLES Royal Jazz Club Rémi Abram 4tet (5/3 à 21h), Lionel Dandine 4tet (12/3 à 21h) www.myspace.com/royaljazzclub

SALON DE PROVENCE Salon de Musique / IMFP Jonathan Kreisberg (6/3 à 18h), Gérard Guérin 4tet (8/3 à 20h), Christian Brazier 5tet (15/3 à 20h), Jam sessions les lundis et mercredis de 19 à 23h00 04 90 531 252 salondemusique@imfp.fr

LA SEYNE-SUR-MER Damero Bar Scène ouverte acoustique tous les mercredis / Soirée Salsa les mardis 06 28 475 294 www.myspace.com/damerobar

VITROLLES Moulin à Jazz Masterclass de guitare avec Manu Codjia et François Arnold (11/3), Duo Handprint & François Arnold Trio (12/3 à 21h00) 04 42 796 360 www.charliefree.com


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MUSIQUE

ACTUELLE

Correspondances spirituelles Ils jouaient ce programme très émouvant, issu du projet Bach-Coltrane qui a fait leur succès, pour la dernière fois en concert : Michel Rossi conduit le nouvel orgue numérique de l’église St Michel de Cassis (finis les tuyaux !), accompagné de Raphaël Imbert à la clarinette basse et aux saxophones, Jean-Luc Di Fraya aux percussions et voix, Pierre Fenichel à la contrebasse. Pourquoi unir Bach et Coltrane, deux musiciens si éloignés dans le temps ? Raphaël Imbert explique les liens, le mysticisme des deux musiciens, leur art des cadences si proche, leur génie commun de l’improvisation, terreau de leurs univers respectifs. Puis il lance de brillants arpèges qui interrogent l’essence même du monde. Une partita de Bach s’orchestre à l’orgue, une rythmique de bossa se greffe, les mondes se juxtaposent puis se fondent. Car c’est un choral luthérien du XVIe qui scella la rencontre des musi-

chose de très aérien envahit et subjugue l’auditoire à partir de grilles harmoniques simples qui sans cesse s’enrichissent. La voix, le son des vents, la basse qui s’obstine et l’orgue qui éclate nous emmènent aux anges, vers l’harmonie des sphères. Nous comprenons ainsi en quoi les lignes et les couleurs de Coltrane et de Bach se répondent. Nouveau projet à suivre : Mozart/Duke Ellington... le 5 avril au Grand Théâtre de Provence ! DAN WARZY ET MARYVONNE COLOMBANI

Ce concert a eu lieu en l’Eglise Saint Michel à Cassis le 23 janvier CD : Bach-Coltrane Raphaël Imbert Project ZZT080101 © Claude Riviere

ciens au Conservatoire, les amena à mêler jazz et baroque, à faire le bœuf autour de la basse continue de l’or-

gue… Les morceaux sont développés en choral, contrepoint et inévitablement en improvisation. Quelque

Blind-Test Lui avec eux au Roll’Studio

Ce concert a eu lieu au Roll’Studio le 25 janvier www.myspace.com /fabgenais

Fabien Genais © Dan Warzy

DAN WARZY

Ce concert a eu lieu le22 janvier au Moulin à Jazz de Vitrolles CD French Suite Thomas Savy/Scott Colley /Bill Stewart-PlusLoinMusic Harmonia-Mundi

Près de l’âme

Venue des USA où elle vit désormais, Alexandra Grimal (saxophones) nous a offert quelques heures de grâce. Manolo Cabras (contrebasse), João Lobo (Batterie), Giavanni Di Domenico (piano) complètent son 4tet. Dès les premiers sons émis, une atmosphère étrange envahit la salle. Un langage hors du commun s’articule, se développe, jamais à court d’arguments. On songe aux paysages brumeux du Grand Meaulnes ! Alexandra Grimal passe d’un saxo à l’autre pour maintenir un flux musical dense, changer la couleur, rester en alerte, entretenir le mouvement. Durant les moments de respiration la saxophoniste porte son instrument amoureusement contre son corps, et c’est son âme que l’on voit. D.W. Ce concert a eu lieu au Moulin à Jazz le 5 février CD Seminare Vento Free Lance / CD Ghibli Label sans bruit²

Alexandra Grimal © Dan Warzy

D.W.

illustrations contrastées, et Stephane Kerecki à la contrebasse, qui distille une grande émotion. Le trio se démarque par une expressivité singulière. Les emballements se déploient, la tension monte, les sons cheminent du très grave aux extrêmes aigus. D’un écoulement turbulent on tend vers l’accalmie, en conservant toujours un très grand lyrisme. La clarinette basse est dévoreuse d’énergie mais Thomas Savy en a à revendre... Un concert exceptionnel !

Thomas Savy © Dan Warzy

Les rigueurs de l’hiver n’altèrent pas le côté chaleureux du Roll’Studio qui a accueilli le Trio Tentik composé de Fabien Genais aux saxophones, Jean Michel Troccaz à la batterie et Renaud Matchoulian à la guitare et banjo alto, pour une soirée aux musiques très diverses et réappropriées de façon créative, avec brio. Standards du jazz de Manu Dibango ou Dave Brubeck, mais aussi Brel ou encore le répertoire de musique traditionnelle d’Europe de l’Est. Le public a même joué le jeu pour retrouver titres et noms des compositeurs. Fabien Genais a montré un réel talent d’improvisateur en démontant les mécanismes mélodiques et harmoniques de chaque pièce jouée. Avec sa formation Méandres, il a été lauréat du Tremplin Jazz à Porquerolles en 2010. Tous nos vœux de succès l’accompagnent !

Un événement que ce programme musical, issu du CD French Suite de Thomas Savy ! Une grande maturité transparaît chez ce jazzman à la clarinette basse. Deux acolytes sont avec lui pour ce concert : Fabien Moreau, batteur au toucher fin et aux


MUSIQUE 47

Racines À l’origine le travail d’un photographe, Thomas Heuer, fou des arbres la nuit ; ses clichés argentiques, aux longs temps de pose, personnifient des végétaux nimbés de lune, inspirant à Santu Massiani et Dominique Colonna des poèmes concis, que le groupe l’Alba ont mis en musique. Les amers de l’île sont d’abord évoqués : I fanali (les sémaphores), chant sobrement accompagné à la cetera, (le cistre), instrument traditionnel. Suivent les accents tziganes d’un violon qui, avant le très dépouillé Di l’Alba, aux mélismes teintés d’Orient, dans lequel le timbre de la guitare, arpégée dans un style arabo-andalou, semble celui d’une viole d’amour. Retour au cantu sacru, avec un Libera me chanté à cinq qui permet d’apprécier a cappella les voix d’une rare qualité d’un jeune groupe qui ne craint pas de s’ouvrir à des influences diverses : ainsi, dans le chant A Mane Aresu (Matin rasant), la voix haut perchée du chanteur, comme dans le flamenco, s’appuie sur une bassebourdon continu et un violon aux accents hispaniques. Batelli (Navires) s’achève sur une mélopée lancinante, répétée à l’infini, qui semble vouloir emporter les spectateurs dans son sillage… ce qui d’ailleurs adviendra avec le superbe Sta Mane dont la voix solo, calée sur la rythmique du Kyrie des polyphonistes, conduit à l’apothéose ! JEAN-MATHIEU COLOMBANI

© X-D.R

Le livre de Thomas Heuer est publié aux Editions Alain Piazzola à Ajaccio

Concert donné le 21 janvier à Ventabren CD : Radiche Suprane L’Alba

Atemporel de l’emphase de certaines notes tenues, mais aussi tension subtile des émotions. Monde d’échos, les musiques se saluent, se contaminent, les instruments glissent de l’une à l’autre, téorbe ou guitare électrique pour cet air baroque, piano ou orgue pour ce tango ? Merveilleuse dynamique où les volutes du baroque s’enlacent aux pulsations du tango : même lorsque la voix raconte, simplement, se pressentent déjà les accords futurs… Les époques se rencontrent en des instants suspendus d’éternité.

Monteverdi Piazzolla © Ambronay B. Pichene

Rapprocher dans un même concert Monteverdi et Piazzolla peut sembler étrange. Plus de trois siècles les séparent ! Mais le baroque tient une place privilégiée parmi les sources savantes du tango, et ces deux compositeurs ont connu des cheminements parallèles en renouvelant profondément le genre musical dans lequel ils évoluaient. La salle comble du théâtre de Dracénie s’emplit d’une voix nue. Essence du tango, le phrasé à peine voilé de Diego Flores tisse entre le quotidien et l’art d’intimes résonances. Les instruments traditionnels du tango esquissent leur première cadence, pulsations lentes où le corps des danseurs rêve, hersant l’espace scénique de ces pas codifiés paradoxalement porteurs d’une étonnante liberté. Au baryton répond le superbe soprano de Mariana Flores. Un son ample, colonne nuancée, qui se joue des clichés avec humour : ironie des mélismes, et

M.C.

Monteverdi/Piazzolla Angel & Demonio s’est donné le 11 février à Draguignan

Aubagne, terre de Pagnol et des crèches, accueillait galoubets, tambourins, la chorale l’Escolo de la Ribo et l’incontournable André Gabriel, mestre tambourinaire. L’Escandihado, un groupe jovial aux costumes provençaux, proposait une marche napoléonienne, des Noëls de Saboly, et la Chorale entonnait chants issus de la Pastorale Maurel, sans oublier la célébrissime Mazurka souto li pin, avec un effectif manquant hélas de voix d’hommes. Gabriel et ses deux jeunes compères survolaient les difficultés d’un Air à variations de Pascal Arnaud, et un menuet endiablé, de 1800. Les Tambourinaires du Pays d’Aubagne interprétaient

danses de salon, rigaudons, cotillons du Roy aux sonorités puissantes, rythmées par des tambourins aux rythmes réguliers. Et le concert se clôturait avec la Coupo Santo de Frédéric Mistral, coupe que la Catalogne offrit à la Provence, sœur de langue. Des choristes, dont certains ont quatre-vingt ans, habitent ces chants et ces jolies mélodies, dirigés par Jean Martin, patriarche enthousiaste. Des fragilités vocales bien sûr, mais une musique qui a la Provence comme capitale : pourquoi seules les musiques traditionnelles d’ici seraient-elles regardées comme ringardes ? YVES BERGÉ

© Yves Bergé

Traditionnel d’ici


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CAHIER JEUNESSE

MUSÉE ZIEM | PRIX DES LYCÉENS ET APPRENTIS

Petit amateur deviendra grand !

M.G.-G.

Chiffres-clés année 2010 + de 2000 scolaires + de 200 enfants de crèches + de 600 en ateliers individuels + de 100 goûters-anniversaires + de 100 en centres de loisirs + de 300 en maisons de quartier et centres sociaux + de 40 en situation de handicap Musée Ziem, Martigues, service des publics 04 42 41 39 50 www.musees-mediterranee.org

Atelier pour enfants du musee Ziem © Delphine Wagner

été le support à un parcours de sensibilisation en deux temps : d’abord la découverte in situ des œuvres puis la pratique ouverte à tous les médiums. Croquis dans les salles au crayon gris ou au pastel aquarelable, peinture au sol et grands formats, travail à l’encre pour l’étude d’un détail et, hors temps scolaire, reportage photographique. En février, dès l’ouverture de l’exposition patrimoniale De la réalité au rêve : l’objet ethnographique et sa représentation, ils exploreront ce qu’il se passe entre l’objet concret et sa représentation artistique dans un tableau. En commençant par comprendre la notion d’ethnographie, puis en devenant «de petits explorateurs du quotidien» qui s’interrogeront sur leur environnement et le compareront à celui d’autrefois. Dans le temps scolaire, les modules sont conçus avec le conseiller pédagogique en arts visuels attaché à l’Inspection académique et les professeurs d’arts plastiques : objectifs, création d’une mallette pédagogique, élaboration de jeux… autant de pistes exploitées de manière ludique. La preuve avec la «fête anniversaire au musée» qui emporte un vif succès, mêlant art, gourmandise et cotillon.

Atelier pour enfants du musee Ziem © Delphine Wagner

Le musée Ziem à Martigues, dès les années 80, a intégré un service des publics particulièrement attentif aux jeunes. Du coup il n’est pas rare de croiser dans les salles de jeunes enfants qui tirent leurs parents par la manche devant des œuvres qu’eux seuls connaissent… C’est l’effet boomerang ! Heureux élus des ateliers, ils sont au cœur des œuvres comme des poissons dans l’eau puisqu’ils ont appris à nager avec Céline Laudrin (responsable), Aurélien Gonzalez (adjoint) et Claire Malaval (médiatrice). Ils sont venus dans le cadre scolaire (de la crèche à la terminale pour les établissements de Martigues principalement, et des environs), pendant leurs vacances (stage d’une semaine), à titre individuel (inscription annuelle qui demande régularité et fidélité) ou à l’occasion d’un séjour en centres de loisirs… Les occasions ne manquent pas de former leur regard à l’entrelacs des formes, la superposition des couleurs, la brisure d’une ligne, au gré des expositions temporaires et de l’accrochage sans cesse renouvelé des collections. Car le service des publics colle à l’actualité du musée pour concevoir des ateliers surmesure et porter un éclairage à chaque fois différent. En début d’année par exemple, les compositions monumentales et abstraites d’Olivier Debré (expo temporaire) comme les toiles d’Alphonse Monticelli (collection) ont

Les livres en partage Le 2e Forum littéraire des lycéens et des apprentis de la Région Paca a rassemblé jeunes lecteurs, enseignants et auteurs à la Friche. Une belle rencontre à laquelle ne manquait que Lyonel Trouillot, auteur haïtien, dont la visite est annoncée dans les lycées en mars. De nombreuses questions ont tourné autour de l’adaptation des textes en BD. Alfred qui a utilisé le roman de Guillaume Guéraud, Je mourrai pas gibier (éd. Le Rouergue), a déclaré que l’auteur lui avait laissé les droits de l’ouvrage et n’a pris connaissance que du produit fini : «L’adaptation amène le texte un peu ailleurs... il faut prendre le parti de la confiance». Mais Alfred travaille seul alors que les auteurs de BD sont souvent en binômes, y trouvant une stimulation, comme le confie Antoine Bauza, scénariste de

L’encre du passé avec Maël, le dessinateur. Les auteurs sont interrogés sur leur rapport à l’image : ils déclarent écrire en images, certains avouent qu’ils se cachent derrière leurs dessins... C’est le cas de Michel Rabagliati, le truculent québécois, qui a créé avec Paul, son personnage, une série teintée d’autobiographie. Grégoire Hervier a été l’objet de plusieurs questions sur la réalité de l’univers qu’il décrit dans Zen City (voir p 68). Roman d’anticipation certes, mais sur des bases d’actualité avec l’intrusion dans la vie privée par la surveillance à tout va, grâce à la technologie de l’identification par radiofréquence (RFID) ; tout cela existe déjà avec la reconnaissance des voitures aux péages, par exemple. L’auteur déclare mettre en garde contre les dérives, et le message est reçu. Les questions posées à Sorj Chalandon pour La

légende de nos pères ont donné lieu à une comparaison pertinente entre ce qu’il appelle «l’écriture du jour», c’est à dire l’écriture journalistique qui le fait vivre, celle de l’urgence et de la rigueur, et «l’écriture de la nuit», écriture romanesque, fictive qui laisse place à la liberté de la création et lui permet de ne pas s’assécher. Les auteurs n’ont pas manqué de dire le respect qu’ils avaient pour les échanges avec les lycéens et pour un Prix sans magouille, ni trucage, ni soupçon. Un bel hommage ! CHRIS BOURGUE


TOURSKY | CAVAILLON | PORT-DE-BOUC | GRASSE

Tribulations de Casse-noisette en Chine

Casse noisette © Michel Lidvac

On vient de fêter le nouvel an chinois, les adeptes de mystère se nourrissent alors de biscuits-surprises et cherchent à décrypter au milieu des miettes les arcanes de leur avenir… On s’étonne encore des mœurs de ce pays lointain, amalgamant avec une belle ignorance révolution culturelle, pollution et cité interdite dans un délicieux méli-mélo où circulent des contes abracadabrants. Aussi lorsque l’on voit annoncé le Cirque national de Chine, on se précipite, et l’on arrache une séance supplémentaire au théâtre, deux soirées d’affilée, salle comble, enthousiaste, prête à tous les émerveillements et qui ne peut être que transportée. Magie, humour, acrobaties improbables, costumes chatoyants, adresse, légèreté, le spectacle est une pure merveille. Le surprenant conte d’Hoffmann, Casse noisette, devient un fil conducteur, et orchestre les apparitions des jongleurs, des contorsionnistes (le corps humain

SPECTACLES LIVRES

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se transforme en pâte à modeler), de l’antipodiste (il y a jusqu’à 8 ombrelles qui dessinent d’étranges fleurs mobiles), du magicien, des acrobates, d’incroyables forêts… Le meneur de jeu, le mystérieux oncle Drosselmeyer, a des allures de Karl Lagerfeld : enveloppé dans un grand manteau noir il guide sa jeune nièce à travers les différents tableaux. La partition de Tchaïkovski est complétée par de nouveaux éléments, Cadet Rousselle intervient dans la danse russe par exemple. Joyeux méli-mélo on vous disait, dont on ne peut se formaliser tant la belle énergie de cette troupe conquiert, jusque dans les saluts, réglés au cordeau comme autant de nouveaux numéros. Un savoir-faire incomparable. MARYVONNE COLOMBANI

Le Casse Noisette «made in China» a été donné les 31 janvier et 1er février au Toursky

Cri de joie tunisien qu’eux, dits par les artistes, par la musique aussi, prenante, vivante, musique populaire tunisienne mélangée à des airs soufis. Mais Sarkha c’est aussi du cirque, même si notre conception disciplinaire est bousculée par cette forme hybride qui mêle cirque, danse contemporaine, théâtre et poésie : les acrobaties d’une grande justesse, que ce soit au mât chinois ou au trapèze, intègrent les agrès à l’histoire… «Je ne sais pas… / Pourquoi sur cette terre maudite / L’amour a tari / Les roses sont devenues / Epines / La tendresse / Rancune / Et haine» dit un poème de Chedli Zoukar. Sarkha réhabilite à coup sûr la terre maudite, et dévoile le visage de la liberté… DO.M.

L’effet papillon

Le Cirque precaire © Vincent d'Eaubonne

Il rentre dans l’arène pieds nus, mini-robe blanche sous long manteau sombre, un brin hagard et plutôt bavard. Julien Candy n’est pas candide, bien qu’il rêve «d’amour originel», mais son drôle d’inventaire à la Prévert souffle réellement la poésie durant 1 petite heure. Des papillons de papier qui volent au bout d’une faux, des bilboquets qui s’accordent avec un métronome, des tourne-disques réinventés, des listes de pays qui se racontent (par peur de les voir s’envoler ?), des balles rouges qui voltigent sur des scies géantes… Dans son Cirque précaire, tout est prétexte au détournement inventif d’objets saugrenus, d’utilisation des forces centrifuges, d’observations malines sur la société de consommation et ses publicités débilitantes. Mais le poète-circassien-clown, outre le fait d’être parfaitement ambidextre et subtilement drôle,

Sarkha a été joué au Sémaphore, Port-de-Bouc, le 11 février, à l’Olivier, Istres, le 13, et sera joué au théâtre de Grasse les 17 et 18 février. 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

Sarkha © Amine Frigui

Spectacle de sortie de la deuxième promotion de l’École de cirque de Tunis, mis en scène et chorégraphié par Laurence Levasseur, Sarkha (le cri, création 2009) résonne fortement aujourd’hui ! Car dans Sarkha les arts du cirque se mêlent à la culture tunisienne, les cris ne manquent pas, violents, hurlés ou simplement joués, dénonciateurs, on le devine, du mal-être, de conditions de vie déplorables, guerres, brimades religieuses des corps, assujettissement de la femme mais cris sublimes aussi d’amour, de rêves, d’espoir d’une vie meilleure. Quel éclairage aujourd’hui, et quelle force dans le jeu, parfois maladroit mais néanmoins gracieux de ces jeunes artistes ! Émouvant, le spectacle l’est aussi grâce aux poèmes tunisiens de Belkassem Marzougui, Noureddine Bettayeb et Chedli Zoukar pour ne citer

possède une autre corde à son arc, essentielle. Le violoncelle, son premier métier, avec lequel il joue à l’illusionniste musical, «bruitiste» jonglant habilement avec les diverses strates mélodiques. Sous le chapiteau, les minots gloussent de surprise et les parents retombent en enfance, l’ordinaire devient extraordinaire grâce à un poète visuel, derviche tourneur de petits riens… DE.M.

Le Cirque précaire s’est joué au théâtre de Cavaillon, sous chapiteau, du 28 au 30 janvier


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SPECTACLES

PAVILLON NOIR | MASSALIA | OUEST PCE | SIMIANE | BERRE

Lorsque la peinture danse

Plic ploc ! Où va l’eau ? Judicieuse question à vrai dire, et tout dépend du point de vue… S’agit-il de celle sur laquelle s’ébattent les canards, celle qui coule du verre que l’on boit en faisant de sonores gargouillis, celle qui remplit la baignoire, celle qui permet de patauger en se salissant gaiement, celle qui traverse le ventre et donne envie de faire pipi… Tout est question de cheminements naturels ! À partir d’albums de Jeanne Ashbé, bien connue des tout-petits qui ne savent pas encore lire, Alain Coulaud met en scène des couleurs, des images pleines de couleurs chaudes, douces, sans sens véritables mais poétiques, des situations qui parlent bien aux enfants. Élément de jeu, l’eau est bien présente sur la scène pour la joie ébahie de celles et ceux qui n’en croient pas leurs yeux… et n’attendent qu’une chose, aller observer de plus près où s’enfuit vraiment celle qui procure autant de plaisirs, visuels, sonores, tactiles ! DO.M.

Où va l’eau ? a été joué, en janvier, le 19 à Istres, le 21 à Grans, le 26 à Miramas, le 29 à Fos et le 2 février à Berre © X-D.R

Galerie, Yan Giraldou © Tomek Jarolim

La danse ne cesse de forger des Pygmalion, des statues qui s’animent, des formes immobiles qui prennent vie, se redessinent, puisant dans leurs lignes le sens des mouvements qui les prolongent. Les danseurs de la Cie La Locomotive, issus de l’École supérieure Rosella Hightower, offraient un moment de poésie spirituel aux enfants. Leur histoire anachronique de la peinture propose un voyage à travers les tableaux, l’imaginaire libéré, dans une mise en lumière d’une efficace subtilité. Yan Giraldou, en meneur de jeu, invite les spectateurs à fermer les yeux, à reconstituer l’image mentale d’un tableau qu’ils aiment, et à s‘y promener, comme Mary Poppins. Et, en revisitant ses souvenirs visuels, à se laisser aller à ses émotions, en acceptant sa construction personnelle. Puis on ouvre les yeux et l’on entre dans le rêve des danseurs. Ils jouent avec les cadres, d’où le portrait s’évade, déjouent avec humour les contraintes des limites matérielles, de

l’immobilité évoquée. Travail en miroir, arrêts sur image, mises en abîme, échos suggérés entre la Vénus d’Urbino du Titien, La grande Odalisque d’Ingres et L’Olympia de Manet, entre les Trois Grâces de Rubens qui côtoient celles de Raphaël. Puis on en vient au questionnement des moyens plastiques, les mouvements s‘accélèrent en une géométrie débridée, le cubisme éclot, avant de revenir à la silhouette de La Femme à l’ombrelle de Monet, «calme et langoureux vertige»… L’interprétation enjouée des danseuses, leur expressivité, la bande son composée par Antoine Guenet, tout concourrait au bonheur de ce spectacle d’une belle intelligence sensitive. MARYVONNE COLOMBANI

Galerie, Pour une histoire anachronique dans la peinture a été dansé du 27 au 29 janvier au Pavillon Noir, Aix

Marionnettes d’Orients

Il est des spectacles estampillés «enfant» en Europe qui dans le reste du monde touchent tous les âges, prennent une allure sacrée et fondent des cultures nationales. Ainsi les marionnettes des pays asiatiques… Éric Meslay, voyageur impénitent, parcourt l’Asie et s’attache aux théâtres d’ombres et de marionnettes. Rencontres avec les derniers grands maîtres, étude des différents procédés, recherche d’une production vivante et authentique, sa belle démarche lui a permis de constituer une impressionnante collection. Marionnettes de Birmanie, immenses et articulées jusqu’au bout des doigts, grands cuirs de Thaïlande ou du Laos dont les marionnettistes effectuent une danse aux gestes codifiés, lourdes marionnettes du Sri Lanka, rares et gracieuses marionnettes de Chine, aux vêtements de soie savamment ornés, marionnettes aux vives couleurs de Bali, de Java… incroyable variété de celles de l’Inde… sans compter celles qui «marchent sur l’eau»… Rendez-vous plutôt sur son site, extraordinaire de précision et d’érudition. Ces marionnettes reprennent vie en représentations. Ainsi, l’on pouvait applaudir à Simiane La légende du Prince Rama, d’après le poème du Ramayana, par la Cie L’Ombre Chinoise. Entre oiseaux, insectes, bruits de la forêt, parfums d’encens, silhouettes filiformes d’arbres nus et de lianes, Carole Errante installe l’histoire, relayée par les marionnettes dont les

À suivre…

Le spectacle de la Cie l’Est et l’Ouest est onirique, porté par d’imaginatives marionnettistes : quelques notes de ukulélé, une voix de femme racontant en chinois une histoire d’œuf de baleine (qui n’existe pas, comme chacun sait), l’emploi très habile d’un rétroprojecteur pour simuler les vagues, deux mains incarnant comme par magie des poissons-

La legende du Prince Rama (montage) © X-D.R

ombres colorées (vertu de la peau de buffle travaillée jusqu’à devenir translucide !) dansent, se meuvent en une pantomime délicate. Quelle finesse ! Carole Errante joue avec une magnifique expressivité, caractérise chaque personnage par un geste, une attitude souvent très drôle, amenant juste ce qu’il est nécessaire de distanciation pour le spectateur. Les raga de l’Inde soutiennent le récit, les tambours Kodo du Japon rythment les combats. Un enchantement ! M.C.

La légende du Prince Rama a été donnée à Simiane le 29 janvier L’exposition des Marionnettes d’Asie d’Eric Meslay est visible jusqu’au 4 mars à Marseille au Parvis des Arts

clowns qui frétillent, et on y est, dans cet univers aquatique qui préside à toutes les naissances... G.C.

La Naissance, 1er volet d’un projet intitulé Entre Repos et Éveils a été créé au Massalia, du 31 janvier au 5 février


MASSALIA | PÔLEJEUNEPUBLIC | LE CARRÉ

SPECTACLES 51

Au cœur des petits riens La scène est nue, des éclairages au ras du sol déterminent un espace de jeu qui sera peu à peu quadrillé de lumière grâce au travail précis de Bertrand Blayo. Dans cet espace vide Stéfanie James propose un voyage dans le souvenir et les sensations. Tout au long de la petite heure que dure sa proposition elle parcourt le plateau avec des mouvements lents, quasiment dansés, accompagnés de gestes enveloppés des bras et des mains, le buste penché comme si elle berçait un enfant. Parfois, pour séparer ses évocations elle accompagne ses gestes de sons psalmodiés, très doux. Qu’elle s’étonne de la façon dont un flamant rose tient longuement sur une seule patte ou des irisations diaphanes des ailes de libellule, qu’elle imagine les réflexions d’un nouveau-né sur le monde dans lequel il surgit ou les rêves d’une enfant sur une balançoire, elle joue avec les petits riens de la vie. Autant dire qu’elle remplit les vides du temps car, de son propre aveu, le Vide est son sujet. Les textes sont sensibles, parfois imprégnés d’humour, notamment lorsqu’elle s’amuse du temps libre ou s’imagine morte, dans un tombeau. En relation étroite avec son public elle le scrute au plus profond, cherchant le contact, inversant les rôles. Cependant si certains moments sont lumineux, l’ensemble baigne dans une lenteur lassante. Le spectacle gagnerait à adopter des variations de rythme plus franches. © X-D.R

CHRIS BOURGUE

Vide, mis en scène par Didier Kowarsky, s’est joué au Massalia les 1 et 2 février

Danse avec le bois Des bouts de bois en guise d’agrès de cirque et instruments de musique, des exercices acrobatiques à la limite des lois de l’équilibre, des objets qui tombent du ciel et s’entrechoquent, Debout de bois est une succession de tableaux vivants où l’homme (Sébastien Dault) ressemble à s’y méprendre à une marionnette. Parfois c’est lui le maître du jeu qui jongle avec le bois et lui résiste, parfois le bois prend le dessus qui le contraint à rouler au sol, à l’esquiver. Un jeu de quilles dans lequel l’artiste, le bois et la création sonore combattent à armes inégales, car les baguettes sont magiques et le bois contagieux… au point que l’homme se couvre de fins branchages et se métamorphose en arbre vivant, pantin articulé et effarouché. Il gesticule, saute, perd l’équilibre, tente l’impossible : prisonnier des fils invisibles tirés en coulisses, contraint

dans ses déplacements par les imprévisibles bouts de bois, l’hommemarionnette s’interroge sur la façon de se tenir debout. «Comment va-t-il faire pour s’en sortir ?» s’exclame un gamin à voix haute, inquiet. Pas de panique ! le duo d’artistes de la compagnie La main d’œuvres (sa complice, tapie dans l’ombre, manipule les ficelles) dose savamment ses effets entre les prouesses du cirque, l’art du théâtre d’objets, les bruitages sonores et les arts plastiques. Certains enfants décrochent, déconcertés par cet éloge de la lenteur et sans doute plus familiers du zapping que de la contemplation.

Ce qui n’est pas là

M.G.-G.

Debout de bois a été joué les 1 et 2 février au PôleJeunePublic au Revest

Debout de bois © Mickael Troivaux

La Cartonnerie fait le plein pour ce spectacle de Patrice Douchet, sur un texte de Karin Serres. Le public de jeunes marseillais s’interroge à haute voix entre les scènes : cette histoire d’ours que l’on ne voit pas, ces sons venus du froid, ces clairs-obscurs, ce grand chasseur botté et agressif, c’est du lard, ou du cochon ? Les deux ! Ici l’on parle Louise les ours © D-Mournet-Ramel d’ambivalence, justement. L’héroïne a onze ans, l’âge où sortir de sa carapace tente et rebute à la fois. C’est alors rassurant d’avoir «dans le dos comme la cuirasse de douceur d’un énorme manteau, rayonnant de chaleur comme un capot de tracteur». Un ours.Transparent. Fidèle, jusqu’au jour où l’on ne trouve plus si dégoûtante la perspective d’aller rouler des pelles aux garçons contre les murs du lycée, comme sa sœur aînée. La petite demoiselle est jouée par une jeune femme, d’où un effet renforcé d’entre-deux âges. La grande sœur et le père encadrent Louise au propre et au figuré, mais bizarrement on sent surtout la force d’une grande absence. Les ours sont là ou ne sont point là, certes mais... où est la mère ? Qui traite les poux de ses enfants, qui montre le chemin de la féminité à ses filles en âge de songer à l’amour ? Louise en tout cas le cherche, et ce qu’elle trouve ressemble étrangement aux ivresses adolescentes. «Il me regarde de ses yeux brûlants. Je lui souris, la tête renversée vers lui, si grand. Si éblouissant.» Bientôt, ce seront les yeux noirs d’un vrai jeune homme qui la raviront. GAËLLE CLOAREC

Louise les ours a été joué du 9 au 11 février au Théâtre Massalia et le 3 février au Carré Sainte Maxime


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SPECTACLES

AU PROGRAMME

Bijou

Percussif Équestre Après Echoa et Lisa, le duo qui compose la Cie Le Théâtre du Centaure présente Flux comme un

© Agnes Libbra

Arcosm, Thomas Guerry et Camille Rocailleux, revient avec Traverse, une comédie musicale qui joue sur des ressorts burlesques. Quand un petit grain de sable vient se loger dans l’esprit d’un homme affairé mais soumis de temps en temps à de belles rêveries qui l’emportent très très loin, c’est le règne de la fantaisie et de la magie qui prend le dessus ! Il est alors rejoint par une danseuse, un violoncelliste, un percussionniste…

«recueil de poèmes vivants», un parcours fait d’images, de musique et de sons au cours duquel Camille et Manolo, acteurs-centaures en symbiose avec leurs chevaux, rendent compte de flux organiques, migratoires ou monétaires. Un monde surréaliste qui n’est pas sans rappeler l’univers des rêves, dans lequel la poésie n’est jamais bridée (voir p 10)… Le parcours se fait à l’intérieur et à l’extérieur du théâtre. Flux 18 et 19 février Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

Traverse dès 6 ans 15 février Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

Le Voyage de Penazar est une petite merveille. L’histoire d’un serviteur fantastique et trop fidèle qui chemine d’un orient de légende vers notre monde contemporain, balloté, malmené, découvrant les absurdités des civilisations qu’il traverse comme un Huron engoncé. Le texte de François Cervantes est magnifique, traversé sans cesse de fulgurances sublimes, et Catherine Germain, seule en scène sous son masque d’homme oriental, est sidérante de précision, d’émotion, de virtuosité. Ils s’installent pour trois semaines à la Cartonnerie (la Friche). Avec ou sans enfant, ne les loupez pas !

Alchimie Dans Fragments de vie, Christine Saint-André fait

15 mars Théâtre Le Cadran, Briançon 04 92 25 52 52 www.theatre-le-cadran.eu

parler les objets, leur histoire, leur insuffle une nouvelle vie. D’abord dans une installation plastique où l’on découvre des sculptures assemblages, antichambre au spectacle qui nous transporte dans l’univers onirique d’un cabinet de curiosités, insolite, avec petites formes cinétiques et marionnettes sur table.

18 mars Théâtre La Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.eu

Le Voyage de Penazar dès 11 ans du 8 au 28 mars Massalia, Marseille 3e 04 95 04 95 70 www.theatremassalia.com

Exclusion © Laurence Fragnol

Attention conte ! Entre deux Tour complet du cœur sous chapiteau

itinérant, Gilles Cailleau a eu l’heureuse idée d’écrire pour le jeune public une histoire de conte, de fée et de merveilleux. Pas aussi lisse et enchantée qu’elle y paraît… Car Même pas peur, nouvelle production du Théâtre du Jeu de Paume, entraîne le spectateur dans un voyage au cœur des contes les plus connus, en quête de réponses à ses éternelles questions : ça fait vraiment peur un loup ? et un ogre, c’est pire ? Les petits retrouveront les animaux qui parlent, les méchantes marâtres et les petits malins, émerveillés par l’ingéniosité du théâtre forain et l’inventivité du cirque chères à Gilles Cailleau ; les plus grands regretteront peut-être d’avoir déjà grandi…

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Même pas peur dès 7 ans du 8 au 11 mars Théâtre du Jeu de Paume, Aix 0 820 000 422 www.lestheatres.net

Mathieu trop court, François trop long dès 8 ans 23 et 24 février Théâtre Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 www.aubagne.com © X-D.R

30 mars Salle polyvalente, Berre L’Etang 04 42 10 23 60

Histoire(s) Quand la compagnie marseillaise 2B2B rencontre la

TanzZeit-Jugendcompany de Berlin, cela donne deux créations en miroir. L’une composée avec cinq danseurs amateurs de Marseille, Ce que j’attends, autour de la thématique des murs, des chutes et des révoltes. L’autre, Brief an LF, pièce chorégraphique qui fouille la notion de rébellion à travers l’état physique qu’elle provoque et les énergies qu’elle libère. Deux manières de dire l’Histoire de chaque côté du Rhin, de mai 68 à la chute du mur, par des jeunes qui ne l’ont pas connue. Un travail sur la mémoire pour regarder l’avenir, ensemble. Ce que j’attends suivi de Brief an LF à partir de 13 ans du 24 au 26 février Massalia, Marseille 3e 04 95 04 95 70 www.theatremassalia.com

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L’un, François, vient d’emménager dans une nouvelle ville où il ne connaît personne, l’autre, Mathieu, est malade, d’une maladie dont on ne guérit pas. Les deux garçons vont se trouver, apprendre à s’aimer. Le texte de Jean-Rock Gaudreault (paru aux éditions Lansman) s’adresse en premier lieu aux enfants, leur racontant ce que souvent, pour ne pas faire souffrir, on leur tait. Sur le terrible sujet de la maladie, la Cie La Naïve concocte un spectacle sans pathos ni clichés, au plus près de l’émotion.

Fragments de vie dès 5 ans du 18 au 22 février Massalia, Marseille 3e 04 95 04 95 70 www.theatremassalia.com

© Marion Boriss


Bourru Seul, au milieu d’une étrange forêt, Peau

Géant

La Gigantea © Eric Dell'Erba

Un enfant, sa mère, l’eau, le désert, une plante, des sorcières, des enfants-soldats, un tyran assoiffé de pouvoir, un peuple en guerre… Le monde fantastique de Amadou Kourouma s’anime ! Combinant marionnettes colorées, cirque et théâtre visuel la Cie les Trois clés donne vie au pays imaginaire du jeune Makou dans un spectacle sans parole, La Gigantea (la racine qui procure l’eau, «l’or bleu»), éloquent par son silence, magnifique d’humanité et d’une grande force poétique. La Gigantea dès 8 ans 11 mars Théâtre Durance, Château-Arnoux 04 92 64 27 34 www.theatredurance.com

Aquatique Lors d’une tempête, la petite sirène

sauve le prince de la noyade et en tombe amoureuse, malgré tout elle ne se mariera pas et ne vivra pas heureuse, éloignée de sa famille et de l’être aimé. La nouvelle création d’AnneClaude Goustiaux fait revivre toute la poésie du conte d’Andersen, sa cruauté aussi car la destinée de la petite sirène est triste et le royaume de la mer ressemble tant à celui des humains…

d’arbre s’est construit une vie pas très rigolote. Un jour, dans son petit univers, débarque un personnage différent de tout ce qu’il a vu jusqu’ici : une femme. Denis Athimon et Christine Le Berre incarnent ces deux compagnons d’aventure farfelus qui invitent à les suivre dans une forêt peuplée d’animaux étranges, de symboles et de rêves. À partir de 7 ans. Peau d’arbre dès 7 ans 23 février Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

Reconstruction Mon géant est un spectacle émouvant ;

l’histoire d’une petite fille, renversée par une voiture, qui rêvait d’être danseuse. Elle trouvera la force de se reconstruire grâce à une infirmière et à un grand bonhomme en tissu, une marionnette qu’elle nomme mon géant. Face à un thème grave, la part ludique et l’aspect visuel confèrent à ce spectacle une légèreté poétique. Mon géant dès 6 ans 1er mars Théâtre le Sémaphore, Port de Bouc 04 42 06 39 09 www.theatre-semaphoreportdebouc.com

La petite sirène dès 4 ans du 16 février au 4 mars Badaboum théâtre, Marseille 1er 04 91 54 40 71 www.badaboum-theatre.com

Enflammé Quel enfant n’a pas rêvé de souffler les bougies de son anniversaire ? Paolo, lui,

Joyeux anniversaire dès 4 ans du 16 au 24 février PôleJeunePublic, Le Revest 04 94 98 12 10 www.polejeunepublic.com

© X-D.R

prépare un énorme gâteau, souffle sans cracher toutes les bougies pour que son vœu se réalise. Car chaque flamme ravive la petite fée acrobate Kiféegrandir, seule capable de l’exaucer ! Dans Joyeux anniversaire la Cie Anteprima transforme l’ordinaire en extraordinaire, le monde en tapis rond, rond comme le cirque, le gâteau en bateau… Les yeux s’écarquillent émerveillés.


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LIVRES

Âmes-sœurs

Fin du cycle Ivoirien

Déjà le sixième volume des aventures de Aya de Yopougon et toujours la même verve. Les histoires s’enchâssent avec brio, sans misérabilisme ni sensiblerie, avec un ton juste et frais, une narration resserrée et intelligente, un graphisme d’une belle efficacité. Ce dernier volume voit la résolution des nombreuses intrigues mises en place dans les cinq précédents. On rit beaucoup, la langue est savoureuse, avec des expressions cocasses, «la poule ne se

La littérature jeunesse sait parfois replonger dans l’humus commun, retrouver les mythes, les modeler, les fondre à propos, pour façonner des récits qui emportent le jeune lecteur tout en lui accordant la possibilité de décrypter certaines sources… Myrihandes évoque des personnages tout droit sortis d’un rêve platonicien : les âmes sœurs lorsqu’elles se retrouvent, sont capables de fusionner en un seul être aux pouvoirs extraordinaires ! Le seigneur Kryom les traque, et comme on s’en doute, des héros vont devoir vaincre les forces du mal… Par delà le caractère plus que classique du sujet, avec des scènes et des monstres qui évoquent certains jeux du type World of Warcraft, le récit est vif et bien mené, l’écriture claire, efficace, la construction des épisodes remarquablement agencée. La fantaisy ne relève donc pas que de la production anglo-saxonne ! Les éditions du Diable Vauvert savent repérer de jolis talents et ont le mérite de publier des auteurs qui vivent dans la région. Le plaisir tactile des reliefs de la couverture et du papier épais, légèrement granuleux, comme celui d’un manuscrit ancien que l’on décrypte, ajoutent au bonheur simple de l’intrigue…

lave pas et cependant son œuf est blanc»… Entre Paris et Yopougon on voyage, on s’émeut aussi, le propos se fait grave, mais jamais pesant. La vivacité de l’ensemble nous entraîne à la suite des différentes histoires. Un régal, que l’on va bientôt retrouver au cinéma. M.C.

Aya de Yopougon Marguerite Abouet et Clément Oubrerie Gallimard, Bayou, 17 €

L’art des baguettes

Les éditions Picquier cultivent le domaine asiatique. Surprenant et drôle, un petit manuel de cuisine chinoise, d’une esthétique plutôt vieillotte, mais avec des baguettes en bois livrées dès la deuxième de couverture (d’un inclassable vert amande) ! C’est du sérieux, avec des recettes expliquées simplement aux enfants : du chou pakchoi à la sauce d’huîtres au poulet aigre-doux en passant par les Fourmis grimpant à l’arbre, les enfants s’évaluent, se testent, apprennent les proverbes chinois qui émaillent chaque recette, lisent des légendes chinoises, comme celle du sel ou du génie du foyer. Et si «les fantômes ont faim», on peut les faire patienter avec des plats très spéciaux. Combien de plats à réussir pour obtenir les baguettes d’or ? On se plaît à reprendre quelques mots de mandarin, ni hao (bonjour), qing (s’il vous plaît), on s’entraîne à jouer des

baguettes, on découpe un haricot ficelle, on s’initie aux emplois du gingembre qui plaisait tant à Confucius… on reproduit des idéogrammes, on déguste le durian, «roi des fruits» au parfum de fromage pourri ! Bref on s’exotise avec délectation entre une tasse de thé et une sagesse toute chinoise : «si la pierre tombe sur l’œuf, malheur à l’œuf, si l’œuf tombe sur la pierre, malheur à l’œuf»… Un petit ouvrage plus riche qu’il n’y paraît !

Choc des civilisations

Leur navire stellaire s’écrase sur une planète inconnue. Ils ont fui leur planète, Onyx, à la technologie raffinée, dominée par les intelligences artificielles et se retrouvent sur Opale, royaume moyenâgeux, peuplé d’êtres étranges aux pouvoirs déroutants. Le roman de Bénédicte Taffin évoque le choc de ces civilisations qui se rencontrent. Les mondes créés prennent chair avec une belle précision, s’animent dans toute la complexité de leurs rouages savants. Les caractères des personnages sont fouillés, intéressants, vraisemblables dans cette œuvre de science-fiction/fantaisy. Les intrigues se croisent, les points de vue se multiplient, posent la question de l’appréhension de l’autre. Des zones d’ombre sont savamment cultivées pour donner des allures fantastiques, et apprendre au passage aux jeunes à se défier des préjugés, à penser la liberté, le consumérisme. Ainsi, les héros d’Onyx quittent une planète sur laquelle tous les désirs matériels, tous satisfaits, n’existent plus ! Eh bien non, ce n’est pas forcément le rêve ! Les personnages se découvrent des aspirations qui dépassent le cadre de leur prison dorée… Un premier roman qui fait preuve d’une belle maîtrise, avec un style fluide, aisé. La fin très ouverte laisse la possibilité d’une suite… M.C.

Les yeux d’Opale Bénédicte Taffin Gallimard Jeunesse, 19,50 €

MARYVONNE COLOMBANI

M.C.

Myrihandes Le secret des âmessœurs Guilhem Méric Au Diable Vauvert, 18 €

Je cuisine Chinois Maït Foulkes, Marianne Nicolas Picquier jeunesse, 14,50 €

Du rose et des ailes

Fille jusqu’au bout des ongles, cette série des Twini ! Étui tendu de tissu rose pailleté, cheveux bonbon pour l’héroïne… De quoi heurter toute sensibilité féministe ! Le livre au départ peut hérisser ! Cependant, Twini est un personnage attachant. Montée sur sa souris Noisette, elle entre à l’école des fées pour sa première année. Appréhensions, amitiés et inimitiés, difficultés inavouées la rendent proches de ses jeunes lectrices. Et malgré les apparences, le livre n’est pas du tout gnangnan ! C’est drôle, plein d’invention, et les soucis de Twini rappellent ceux que les enfants rencontrent. Le récit comme une fable leur montre que l’amitié, la franchise, la ténacité sont de belles qualités qui permettent de surmonter beaucoup d’obstacles. L’échec n’est pas insurmontable, l’erreur peut être corrigée… Un charmant petit livre pour lecteurs débutants. M.C.

Twini apprend à voler Tatiana Woods Gallimard, Folio cadet, 4,90 €


LIVRES

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Elle s’appelle Louise

La Cie Les Racines du vent a plus d’un tour dans son sac ! Stéfanie James est auteure et conteuse, Jean-Christophe Defer musicien et Lola Pôl illustratrice : tous trois participent au voyage au long cours de Tête de lune, spectacle de conte et musique créé en 2006 aujourd’hui publié aux éditions Le Bonhomme vert. Mais qui est Tête de lune au profil délicat sur la couverture rouge ? C’est Louise, dont la vie est bouleversée «un matin d’automne comme tous les autres matins d’automne» quand elle se réveille totalement chauve ; Louise qui «avec un crâne tout neuf, rond comme un œuf» essuie les quolibets des copains d’école, se replie dans sa bulle et croise sur son chemin d’étranges personnages : la sorcière et sa pomme magique, le grand meunier du monde et son moulin à vent miniature, la fileuse du temps et son fil de vie… Redescendue sur terre, c’est-à-dire dans la cour de récréation, Louise est

déconnectée de la réalité, la tête pleine de questions sur le temps ou l’infiniment petit. Le texte toujours oscille entre histoire contemporaine, conte et comptines enfantines, glisse d’une illustration à l’autre grâce au dessin épuré et léger comme une bulle, et se termine comme au théâtre dans le clap «(Noir) Fin». MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Tête de lune Stéfanie Janes et Lola Pôl Le Bonhomme vert, 14 €

Superstitions et carabistouilles

Petit Pierrot et Monsieur l’Escargot sont inséparables. Leur vie en couple a démarré sur un blog avant d’être un album publié dans des tons sépia monochromes. Nées sous la plume du dessinateur et scénariste portugais Alberto Varanda, les aventures des deux compères sont toujours tendrement drôles ! Surtout quand le gastéropode le rappelle à l’ordre («n’en fais pas trop tout de même !»), lui souffle à l’oreille des mots tout distordus («superstitions et carabistouilles, tout ça») ou le suit jusque dans ses rêves les plus fous et ses pires cauchemars. C’est que Monsieur l’Escargot a du mal à faire redescendre sur terre ce petit garçon rêveur qui préfère les chimères et les livres à la dure réalité, et se demande comment devenir immortel… Alors, quand l’auteur croise Jules Verne, Méliès et Hergé avec les lois de la physique, le désarroi d’un jeune pubère interdit de séjour au

7ème ciel !

Nous voilà au cirque sous un grand chapiteau. Un Monsieur Loyal à la belle moustache annonce un saltimbanque exceptionnel, Jim Pop. On l’applaudit bien fort. Son numéro est unique au monde : il s’enferme dans un canon et va être propulsé dans un filet à 100 mètres comme un gros ballon de foot. 3, 2, 1... Pop ! C’est parti ! Les grandes pages du livre s’emplissent de confettis multicolores. Mais voilà que Jim change sa direction et s’envole dans le ciel pour un super voyage au-dessus des océans et des montagnes, voilà qu’il fait le tour du globe terrestre ! Monsieur Loyal imagine son périple et les dessins survolent les paysages… Enfin Jim

cabaret La lune friponne avec des considérations d’actualité («dis ! c’est quoi l’émigration ? c’est un arbre déraciné ! et l’immigration ? c’est une bouture !»), on n’hésite pas une seconde à vouloir nous aussi décrocher la lune. M.G.-G

Petit Pierrot, Décrocher la lune Alberto Varanda Soleil productions, 17,50 €

revient en plein dans le mille, dans le filet ! A-til vraiment fait le tour du monde ? Le public est aux anges... L’auteur-illustrateur Tom Henni signe ici son 1er album pour la jeunesse. Ses dessins très simples et très colorés jouent sur les couleurs primaires et le vert. Les pages de garde offrent de grandes images éclatantes, idéales pour apprendre et reconnaître les nuances et les confrontations. Un album très attractif. CHRIS BOURGUE

Jim Pop, l’incroyable numéro du célèbre homme-canon Tom Henni Le Rouergue, 14,90 €

Sans bulles !

Les 2 BD de la sélection du Prix littéraire de la Région Paca sont de styles extrêmement différents mais d’un égal attrait La saison des flèches est un récit d’une grande inventivité. Les dessins aquarellés de Guillaume Trouillard et le scénario imaginé en commun avec Samuel Stento projettent le lecteur dans un univers fou. Imaginez un peu : vous pouvez acheter des indiens en conserve ! Vous ouvrez la boîte : une famille s’installe chez vous sous son tipi et démonte vos meubles pour construire son canoë... Présenté comme le journal manuscrit de la famille d’accueil, l’album regorge de trouvailles: livre sur la conserve d’indien avec rappel du rôle des cow-boys, arbre à flèches, élevage... Ça se gâte quand débarquent les chercheurs d’or et que l’appartement est déclaré «réserve naturelle» !... On plonge avec délices dans ces loufoqueries. De jeunes auteurs-artistes-éditeurs dont on attend impatiemment la prochaine publication ! Sans texte ni bulles Fabrica est un récit muet et sombre, en noir et blanc, sous une éclatante jaquette rouge. De son graphisme très personnel Nicolas Presl dessine une société qui hait les artistes et préfère les canons : on y arrête les musiciens, on brûle leurs instruments et les livres ceux qui ne sont pas dans le droit-chemin, qui ont 6 doigts à leurs mains. Un ouvrier cache dans son usine un petit pianiste, enfant à 6 doigts, et vole pour lui des livres. Sans texte on comprend tout. Un récit poignant, troisième tome d’une œuvre à découvrir absolument. CHRIS BOURGUE

La saison des flèches Stento et Trouillard La Cerise (Bordeaux), 20 € Fabrica Nicolas Presl Atrabile, 21 €


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ARTS VISUELS

ARLES | AIX-EN-PROVENCE

L’homme de fer Vladimir Skoda, Une seule direction, 2004-2009, dans la cour du musee. © ADAGP 2011 © Franta Barton

Avec Sur Mesures, le musée Réattu confirme une approche originale de ses collections. Les sculptures de Vladimir Skoda assurent le premier temps de l’ouverture 2011… Par cette forme muséographique inaugurée en 2008 avec Christian Lacroix, puis Chambres d’écho et ensuite À pied d’œuvre, le visiteur est convié à découvrir, libre d’inventer aussi les correspondances en germe dans la co-présence d’œuvres anciennes et contemporaines. Celles-ci peuvent apparaître dans des similitudes formelles, thématiques, les démarches mises en œuvre ou bien encore à travers le paradoxe de leurs différences. Cette attente de l’apparition du sens présuppose la confiance des organisateurs en la capacité du public, qui doit investir de manière cultivée et patiente le parcours, dans un effort intellectuel et physique ! Pour la partie corporelle, on regrettera comme dans bien des musées le manque d’opportunités de se poser… Pourtant dès la cour d’entrée, les trois pointes de métal poli et rouillé en leur extrémité (Une seule direction) qui outrepassent la taille du visiteur et jalonnent le passage ne peuvent que retenir l’attention. Jeux d’intégration par reflets inversés (visiteur, architecture,

arbre, ciel, cosmos), similitude formelle et gigantisme avec les épines du gleditsia triacanthos proche (l’énergie, le piquant), l’émergence (la vie), la condensation (sculpture/socle/objet/magie). À l’intérieur Vladimir Skoda a déployé un coruscant parterre de billes d’acier (Entropia grande) en concordance avec le Rhône et La mort d’Alcibiade peint par Réattu, correspondance inachevée à la fluidité, comme à l’antiquité retrouvée. La suite de l’exposition se nourrit des œuvres du maître et sa collection (Vouet, Raspal, Rosa…) en écho à d’autres artistes contemporains du musée (Bailly-Maître-Grand, Sterbak, Dejonghe…) et des acquisitions récentes (Barroco, stupéfiante vidéo de Mélina Jaouen) ou empruntées (Skoda, V. Barré, Ixion de Toni Grand…). Au visiteur de cultiver ses intuitions. Sur mesures. CLAUDE LORIN

Sur mesures jusqu’au 31 décembre Musée Réattu, Arles 04 90 49 35 23 www.museereattu.arles.fr

Double Saltiel Réputée pour son patrimoine et ses grands évènements culturels Aix serait-elle tentée par l’art contemporain ? Dédoublant la maison-mère sise au Castellet, la galerie Saltiel y ouvre un second lieu… Le développement culturel de la ville d’eaux constitue un pôle d’attractivité incontestable à l’échelle régionale jusqu’à l’international. Pour l’art contemporain, si localement le marché est encore restreint et les collectionneurs réputés plutôt rares et frileux, des initiatives montrent pourtant que la tentation est grande de continuer à relever le défi. Quelques cranes de Bastien Cuenot, techniques mixtes © C.Lorin/Zibeline

Ce n’est pas un nouveau lieu qui s’est installé récemment dans le cercle encore restreint (mais qui s’agrandit) des galeries d’art dans la bonne ville du roi René : à deux pas de l’hôtel de ville la galerie Saltiel reprend le vaste espace laissé par l’ex galerie Petitjean (on retrouve des artistes communs) celle-ci tentée par l’eldorado azuréen.

Pour Maxime Fitoussi, son jeune directeur, ce projet est une affaire de famille et une aventure personnelle «j’ai été sensibilisé à l’art dans la galerie que tient mon père depuis de nombreuses années au Castellet. Il y présente toujours des artistes contemporains mais plus classiques aussi. Je voulais développer la partie contemporaine et ce lieu se libérait». Comme souvent le commerce de l’art propose, par nécessité, des œuvres de personnalités reconnues. Erro, Velickovic, Combas en particulier sont au portefeuille mais il s’agit aussi d’aider des artistes émergents comme Philippe Pasqua ou de jeunes créateurs régionaux. À voir actuellement, une série de crânes de Bastien Cuenot entre design d’objet et tradition des vanités (une nouvelle série thématique est en projet pour avril). Orientée vers la figuration, peinture et sculpture principalement, la galerie souhaite proposer des œuvres à prix de départ raisonnables (900 euros pour une pièce unique de Bastien Cuenot) tout en «…faisant un travail sérieux et crédible en prenant le temps si on veut durer». Quitte à resserrer un choix qui, à trop vouloir assurer, se disperse un peu par éclectisme ? C.L.

Galerie Saltiel, Aix 04 94 32 72 01 www.galerie-saltiel.fr


TOULON | AUBAGNE

ARTS VISUELS57

Suites en paysages L’Hôtel des arts à Toulon a une prédilection pour l’art abstrait. Mais Jérémy Liron, peintre en bâtiments, aime à se confronter au réel. C’est un bâtisseur d’utopies, un architecte du paysage. Il fait partie de cette nouvelle génération de peintres qui se réapproprient le paysage, particulièrement les ensembles urbains, avec une grande liberté. Selon un point de vue distancié : cadrage photographique, format carré 123 x 123 de préférence, pellicule de Plexiglas, références cinématographiques (Wenders, Godard…) et philosophiques (Deleuze, Schopenhauer). Des «images peintes» qui jouent un double jeu simultané, celui de l’illusion de la perspective et de l’espace menteur et celui de la surface plane délimitée par la combinaison de matières (liquides, ici pas d’empâtement), de formes (architecturées) et de couleurs (palette de tons sourds). De fait la frontière entre figuration et abstraction paraît subjective : «C’est une distinction que je ne fais pas de manière radicale, convient-il, car toute image prélevée du monde en est abstraite». Héritier d’une tradition de peintres qu’il nomme volontiers (de la technique de Rembrandt à la froideur de Hockney), Jérémy Liron s’attache à représenter une réalité architecturale contemporaine exempte de présence humaine - des barres d’immeubles aux icônes avant-gardistes - dont il gomme les anecdotes pour

en retenir non un témoignage social mais une oeuvre plastique. Qui inviterait à la contemplation par le seul agencement de couleurs et «de formes suffisamment habitées». Dès 15 ans, il a composé «des images gentilles, des aquarelles et des paysages provençaux» avant d’entrer à l’École nationale des beaux-arts de Paris ; il s’autorise alors une immersion sauvage dans l’art, la vidéo, le cinéma, sans oublier la leçon des maîtres, allant jusqu’à broyer ses pigments, travailler le lavis et les glacis. C’est sans doute dans cette parfaite LIRON paysage

LIRON paysage

absorption du passé qu’il a gagné sa liberté. Celle de repenser le monde à sa manière, dans un détachement feint, l’esprit et le regard modelés par la photographie qui modifie son appréhension de l’espace. Le paysage devient-il un objet ? serait-il totalement

désincarné ? Ses séries numérotées et sans titre pourraient le laisser croire… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Jérémy Liron, peintre en bâtiments jusqu’au 13 mars Hôtel des arts, Toulon 04 94 91 69 18 www.hdatoulon.fr

Zone de turbulences Dans l’abécédaire de Laurent Dessupoiu on peut lire en vrac A comme Afrique où il a passé son enfance, Z comme Zanzibar où il rêve de voyager, I comme identité, D comme Di Rosa son ami et Y comme yuan, «monnaie sous évaluée qui fait trembler le monde». Un inventaire éclectique et exotique à l’image de ses toiles expressives et colorées, qui cache des thématiques souvent douloureuses : l’excision des femmes (polyptique La journée de la femme à Bamako), l’exil et la perte d’identité (Les sans papiers de la République), la soif de vivre (Sur les traces de la liberté, collection Éric Cantona). Avec sa palette de couleurs primaires, son sens de l’image explosive et son goût de la récup’, son œuvre s’inscrit dans le sillage de la Figuration libre : les figures totémiques mangent les fonds monochromes et bayadères sans

complexe, les corps se parent de rouge ou de vert acidulés et les titres battent les esprits ! En veilleur du monde, Laurent Dessupoiu brode sur le réel et les faits-divers des histoires universelles à travers la représentation de personnages

fétiches immédiatement identifiables - bouche démesurée, chevelure-fleur, cou sans fin. Un vocabulaire personnel qui est à la fois une marque de fabrique et un style poétique, entre art brut et nouvelle figuration. Plus libre encore, sa galerie de gueules cassées de la vie GlaLaurent Dessupoiu © Patrick Massaia diateurs des temps modernes est une suite de tableaux en 2D, de tableaux-masques, voire de trophées de chasse. Iconoclaste dans sa forme et tendre dans le regard qu’il porte aux autres… son œuvre est aussi directe qu’un coup de poing dans un gant de velours. M.G.-G.

jusqu’au 20 février Chapelle des Pénitents noirs, Aubagne 04 42 18 17 26 www.aubagne.fr


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ARTS VISUELS

AU PROGRAMME Silencieux «Le chantier est un lieu paradoxal où s’articulent la construction et le désordre le chaos et l’organisation, le faire et le défaire», note Jean Christofol… On ajouterait le bruit et certaines fureurs. Or les photographies de Driss Aroussi traduisent plutôt une suspension des choses, des gens et des gestes, l’isolement des objets comme si l’auteur inventait une archéologie silencieuse. Il impose des pauses à un univers de tâches laborieuses attribuant à un parpaing ou une brouette immobilisée un statut de sculpture, à l’ouvrier peintre un portrait humble et noble, l’espace d’un instant. C.L.

En chantier Driss Aroussi jusqu’au 21 mai ABD Gaston Defferre, Marseille 04 91 08 61 00 www.biblio13.fr Ouverture © Driss Aroussi

Bric à brac «En avant vers un monde plus adapté à nos besoins !» écrit David Perrin dans l’une de ses peintures, exclamation accrochée aux ailes en feu d’un homme-fusée propulsé entre ciel et terre. Cela n’a l’air de rien mais la façon particulière qu’il a de mixer sur la toile de petits mots, des silhouettes et des objets touche immédiatement : avec humour et poésie il nous signale que La dépression se déplace à l’ouest, et qu’il est peut-être temps de filer à l’est… M.G.-G.

La dépression se déplace à l’ouest David Perrin jusqu’au 9 avril Galerie Territoires partagés, Marseille 09 51 21 61 85 http://artccessible-territoires-partages.com David Perrin, La depression se deplace a l'ouest © David Perrin

Rendez-vous de printemps 170 artistes, 19 nationalités, 3000 m2, 4 jours : le 11e Salon international de l’art fera les beaux jours des collectionneurs et des amateurs invités à découvrir une palette de styles, d’univers et de techniques. Des toiles de Roger Abate (Marseille) aux sculptures en métal d’Olivier Torchet (Montpezat), des céramiques d’Emili Biarnès Raber (Catalogne) aux matériaux de récupération de Fernando Cosra (Gignac), le choix est vaste. M.G.-G.

Torchet © X-D.R

Salon international de l’art du 25 au 28 mars Parc Chanot, Hall1, Marseille www.siac-marseille.fr

Renaud Vincent-Roux, Les Passants, installation pour La Bergerie, Marseille, 2011 © Patrice Terraz

Tempus fugit Le projet est né d’une résidence dans les Alpes puis est descendu par Budapest, les bords de la Durance, le lac de Sainte Croix… Les personnages marchant de Renaud Vincent-Roux (on pense plutôt aux affiches d’Ernest Pignon-Ernest qu’aux séquences de Muybridge) se sont frottés à la foule, usés, froissés, déchirés pour s’imprimer des traces du temps. Images incertaines de ceux que nous n’aurions qu’imparfaitement gardés en mémoire. Quinze nouveaux Passants peints pour l’évènement viendront rajeunir les souvenirs. C.L.

Les Passants Renaud Vincent-Roux jusqu’au 8 mars La Bergerie, Marseille 06 20 65 07 59


ARTS VISUELS

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Étonnant voyageur Fou de photographie et d’architecture, Iwan Baan (Prix Julius Shulman 2010) parcourt la planète pour observer et capturer l’architecture d’aujourd’hui, écouter ses battements de cœur car la vie s’organise, toujours, autour d’elle. Stade olympique à Pékin, musée Knut Hamsun à Hamaroy… ces nouveaux espaces, ces «interstices» de lumière entre corps et béton qu’il saisit dans des clichés réalisés en 35 mm numérique trouvent à la Villa Noailles une juste résonance. M.G.-G.

2010 autour du monde Iwan Baan du 20 février au 27 mars Villa Noailles, Hyères 04 98 08 01 98 www.villanoailles-hyeres.com

Stade olympique de Pekin, Jacques Herzog et Philippe De Meuron © Iwan Baan

Utopies du bonheur Popularisé par ses peintures géométriques et l’art cinétique, Vasarely est moins connu pour ses ambitieux projets urbanistiques. «L’idée de Folklore Planétaire doit être maintenant plus explicite : à une civilisation mondiale doit correspondre un langage plastique mondial, simple, beau et acceptable par tous». C’est qu’illustre une série d’études originales exposées dans des présentoirs à déroulement conçus spécialement à l’époque et en partie restaurés aujourd’hui. Venant du musée didactique de Gordes où elles furent exposées de 1970 à 1996, sept tapisseries monumentales réalisées par la manufacture d’Aubusson complètent l’exposition. C.L. L’art et la cité Tapisseries d’Aubusson Fondation Vasarely, Aix jusqu’au 27 mars 0 442 200 109 www.fondationvasarely.org

Victor Vasarely, Etude originale pour les projets de la Cite polychrome © X-D.R

Dialogue imagé On ne présente plus Éric Bourret qui, depuis ses ports d’attache de Marseille et La Ciotat n’en finit pas de marcher - au sens propre du terme - avec son appareil en bandoulière, restituant sa vision du monde en noir et blanc. Ni Gautier Deblonde dont les photos sont à la une de tous les médias internationaux : paysages, portraits, haute couture, ateliers d’artistes… Le réseau Lalan nous avait habitués à confronter les regards : son 3e rendez-vous photographique ne déroge pas à la règle et c’est tant mieux ! M.G.-G.

Déambulations photographiques 3 Éric Bourret et Gautier Deblonde du 5 au 27 mars Espace culturel du Lavandou 06 09 58 45 02 Svalbard 2007 © Gautier Deblonde

Perception L’artiste avait conçu en 2002 une troublante Time Machine. L’exposition du Carré d’Art propose de remonter le temps de la carrière de Larry Bell, de 1959 à nos jours, avec 300 pièces d’une œuvre «davantage au sujet de la lumière et de la surface qu’au sujet du poids et de la masse». Ses fameuses boîtes et cubes translucides, dessins de vapeur et autres dispositifs subtils interrogent avec constance les portes de la perception. Sera présentée pour la première fois une série des Pink Ladies grâce à des tirages réalisés pour l’exposition. C.L.

En perspective Larry Bell jusqu’au 22 mai Carré d’Art - Musée d’art contemporain, Nîmes 04 66 76 35 77

Pink Ladies, 1968, « 3H » photographie, 18,4 x 43,5 cm. Collection de l artiste © Larry Bell


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CINÉMA

RENDEZ-VOUS D’ANNIE

Le 17 février à 18h15, au cinéma Variétés, le CE des Cheminots PACA et le Collectif 13 – Un bateau français pour Gaza présentent en avant-première Gaza-strophe, Palestine en présence du coréalisateur du film, Samir Abdallah. Les Variétés 04 96 11 61 61

Le 18 février à 20h30, Le cinéma 3 Casinos à Gardanne propose un film surprise en avantpremière, suivi d’un verre de l’amitié.

Le 24 février à 20h, en partenariat avec le cinéma Prado, l’association Cinépage propose Grizzly Man de Werner Herzog : durant des années, un sympathique illuminé, Timothy Treadwell, filme sa vie quotidienne au beau milieu des grands ours et des renards, au fin fond de l’Alaska. Jusqu’au jour d’octobre 2003 où il est dévoré tout cru… Cinépage, Marseille 04 91 85 07 17 www.cinepage.com

Grizzly man de Werner Herzog

Cinéma 3 Casinos 04 42 51 44 93 www.cinema-gardanne.fr

Le 22 février à 18h30, en salle de conférence, dans le cadre du cycle Au nom des femmes : Des femmes d’exception, l’Alcazar propose en partenariat avec Films Femmes Méditerranée un film iranien de Shirin Neshat, Women without men, librement inspiré du roman de Shahrnush Parsipur : le destin de quatre femmes converge vers un magnifique verger synonyme pour elles d’indépendance, de réconfort et d’amitié. Michèle Sylvander, plasticienne, interviendra après la projection. Le 23 février à 17h, en partenariat avec le Centre Méditerranéen de Communication Audiovisuelle, projection d’un documentaire de Pelin Esmer, Oyun, la création par neuf paysannes vivant au sud de la Turquie d’une pièce de théâtre qu’elles intituleront Le Cri des Femmes ! Le 23 février à 18h30, Shadi de Maryam Khakipour : à Téhéran, la tradition de la Commedia dell’Arte, critiquant les institutions, n’est pas du goût des autorités. La Compagnie Siâ Bâzi, expulsée de son théâtre, est invitée à Paris par Ariane Mnouchkine afin de monter un spectacle au Théâtre du Soleil. Une jeune actrice, Shadi, fait imploser les conventions tacites de la société iranienne en revendiquant un statut d’artiste et de femme libre... Azita Hempartian, journaliste, traductrice-interprète interviendra après la projection. Alcazar, Marseille 04 91 55 90 00 www.bmvr.marseille.fr

Les Mardis de la Cinémathèque proposent, le 22 février à 19 h, au CRDP, Intimité de Patrice Chéreau. Le 1er mars, ce sera Belle de Jour de Luis Buñuel avec Catherine Deneuve, Jean Sorel Michel Piccoli, Geneviève Page : épouse d’un jeune interne des hôpitaux, Séverine n’a jamais trouvé un véritable plaisir auprès de lui. Un des amis du ménage, amateur de call-girls, lui glisse un jour l’adresse d’une maison clandestine… Le 8 mars : L’Equipée sauvage de Laszlo Benedek avec Marlon Brando, Lee Marvin (drôle de choix pour le jour de la femme !), et le 15 mars : La vie est à nous de Jean Renoir : un vieil ouvrier est menacé de licenciement parce qu’il n’est plus assez rapide ; une famille campagnarde dont les biens sont saisis réussit à détourner à son profit la vente aux enchères ; un jeune ingénieur au chômage s’épuise en vain à trouver un emploi. La Cinémathèque de Marseille 04 91 50 64 48

Le 8 mars à 18h30, le cinéma Renoir à Martigues, dans le cadre de Rebelles en cinéma, en partenariat avec la MJC et la Médiathèque de Martigues, propose une soirée Philo/Bistro/Ciné, animée par le philosophe Benoit Spinosa. Projection de Gloria de John Cassavetes. Et le 11 mars, dans le cadre du Festival Regard de Femmes, Samia de Philipe Faucon. Samia, une jeune adolescente d’origine maghrébine, décide de s’occuper de sa condition de femme dans la religion musulmane. Soirée animée par Gabrielle Sébire de La Cinémathèque française. Cinéma Renoir 04 42 44 32 21 http://cinemajeanrenoir.blogspot.com

Women without men de Shirin Neshat

Le 22 février à 18h, L’Institut Culturel Italien propose Il Gattopardo de Luchino Visconti. Avec Burt Lancaster, Alain Delon, Claudia Cardinale… adapté du livre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Palme d’Or au Festival de Cannes 1963. Les 1er, 8 et 15 mars à 18h, rétrospective Pupi Avati, 1998-2010 : Il testimone dello sposo ; Il cuore altrove ; La seconda notte di nozze. Institut Culturel Italien, Marseille 04 91 48 51 94 www.iicmarsiglia.esteri.it

Le guepard de Luchino Visconti

Du 9 au 22 mars, l’Institut de l’Image à Aix propose une programmation de Rebelles au cinéma : À l’est d’Eden d’Elia Kazan, d’après le roman de John Steinbeck, avec James Dean, l’éternel rebelle ; Zazie dans le métro de Louis Malle, d’après Raymond Queneau ; Gloria de John Cassavetes : une femme hérite d’un jeune garçon que son père, traqué par la mafia, lui confie. D’abord réticente, elle fera tout pour sauver l’enfant pourchassé… De Bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau ; À Bout de course de Sidney Lumet : la cavale de deux militants opposés à la guerre du Vietnam, poursuivis pour avoir dynamité une fabrique de napalm et Samia de Philippe Faucon. Le 12 mars à 18h30, conférence de Sébastien Ronceray de la Cinémathèque Française sur Wassup Rockers de Larry Clark : pour sortir du quotidien de leur ghetto du centre de Los Angeles, un groupe de jeunes latinos, fans de culture punk, part en virée à Beverly Hill où ils se lient à des jeunes filles de familles riches. Leur présence détonne très vite dans le paysage local… Institut de l’Image 04 42 26 81 82 www.institut-image.org

Le 3 mars à 20h, en partenariat avec Zinc, l’Espace Multimédia de la Friche Belle-de-Mai, l’Alhambra propose l’Immeuble Yacoubian de Marwan Hamed, précédé de courts métrages de jeunes réalisateurs égyptiens : Mayye Zayed, Karim Shaaban, Hadil Nazmy, Islam Kamel. Le 8 mars à 20h30, Films-femmes-Méditerranée et l’Association des Femmes Chefs d’Entreprise présentent Café transit, un film de Kambozia Partovi sélectionné aux Oscars 2006 : à la mort de son époux, qui tenait un relais routier, à la frontière irano-turque, Reyhan doit, selon la tradition locale, épouser son beau-frère. Mais voulant elle-même décider de sa vie, elle refuse le mariage et rouvre le restaurant. Le 10 mars à 19h, l’Alhambra accueille Festi’Femmes qui propose de découvrir les Jeunes talents 2011 des femmes humoristes, puis de voir un film de Jacques Monnet, Clara et les chics types avec Daniel Auteuil, Isabelle Adjani, Josiane Balasko, Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Marianne Sergent… La projection sera suivie d’une rencontre avec Sylvie Flepp, comédienne, marraine de l’édition 2011 de Festi’Femmes. 04 91 03 84 66 www.alhambracine.com

Le 11 mars au cinéma Variétés, Cooksound Party 7 Spéciale Asie : musique, gastronomie et cinéma avec le film de Coréen Jeon Yun-su, Le grand chef, adapté de la BD SIK-GAEK et consacrée à la rivalité entre deux cuisiniers. Cuisinier naturellement doué, Sung-Chan participe à une prestigieuse compétition de cuisine, l’opposant au très ambitieux Bong-Joo. Le concours touche à sa fin et les deux chefs en sont à la dernière épreuve qui les départagera : la préparation du poisson lune, le fugu, un met extrêmement toxique s’il n’est pas préparé avec la plus grande attention. Un menu spécial Cooksound est proposé par Kyo Suhi, disponible en prévente. Il est prudent de réserver. www.cooksound.com


LES VARIÉTÉS | MANOSQUE

Sublime rétrospective à Manosque

Destination Himalaya de Jeon Soo-il

Dans la riche diversité de leur programmation, les 24e rencontres de Manosque ont proposé une rétrospective très remarquée de Jeon Soo-il. De la même génération que Park Chan-Wook, ce réalisateur né en 1959 au nord de la Corée du sud, étudiant à Paris VII

dans les années 90, enseignant aujourd’hui à l’université de Kyungsung, a choisi la voie difficile d’un cinéma indépendant. Brouillant l’ordre chronologique de leur production, Pascal Privet a présenté les sept films de JeonSoo-il (dont deux seulement sont

distribués en France à ce jour) mettant en évidence la cohérence d’une œuvre de première importance dont chaque partie éclaire le tout. Les sujets en sont graves, existentiels, universels : le sens de la vie, celui de la mort, la recherche d’une identité. La société, dure à l’homme, aiguise son mal être : condition des mineurs et mutations économiques du pays dans La petite fille de la terre noire, abandon des enfants, violence d’une jeunesse désœuvrée, indifférente aux autres dans Je viens de Pusan, scission d’un pays Entre chien et loup. L’arrière-plan politico-social des scénarios s’y lit sans discours superflus : Jeon Soo-il n’aime pas l’explication. Des mots, il ne retient que la poésie que lui inspirent les lieux repérés pour ses tournages. Les images suffisent et quelles images! Qualité exceptionnelle de la photo, maîtrise de la lumière, du cadrage, de la composition, le cinéaste appréhende ses personnages dans leur espace propre, les construit dans leurs déplacements incessants à travers les quartiers portuaires de Pusan, les suit jusqu’au sommet du monde pour Destination Himalaya, les accompagne dans des espaces détruits ou en passe de l’être dont le

CINÉMA

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film devient par anticipation la trace. Fuyant toute psychologie réductrice, évitant gros plans et contrechamps, il dit «structurer ses films comme des roadmovies», vouloir faire couler le temps dans une image qu’il colore en virtuose. L’écho du vent en moi associe aux trois âges de la vie une teinte différente : le doré merveilleux de l’enfance, le noir et blanc d’une jeunesse insatisfaite, le bleuté de la vieillesse glissant vers la mort. Les interrogations du réalisateur résonnent d’un film à l’autre. Certains mettent en scène directement des doubles de l’artiste: le professeur de cinéma dans L’oiseau qui suspend son vol, le photographe dans le bouleversant Mise à nu, ou encore (qui sait ?) dans ce même film qui n’en finit plus de mettre en abyme l‘acte créatif de l’homme en noir qui organise le suicide des autres comme un scénariste scrupuleux. Un cinéma sans concession, d’une sensibilité et d’une force telles qu’il mériterait d’être diffusé au-delà des very happy few de Manosque ! ÉLISE PADOVANI

Accidents, accidents… Invité par la région PACA, Thierry Frémaux, le Délégué Général du Festival de Cannes est venu le 1er février présenter en avant-première aux Variétés le film de Pablo Trapero qu’il avait sélectionné à Cannes dans Un certain regard, en 2010. Thierry Frémaux a profité de sa «tournée» à Marseille pour expliquer avec simplicité et générosité sa manière de travailler, ses critères de sélection, les coulisses de Cannes : «Un bon film, c’est un bon scénario, de bons acteurs, des scènes bien éclairées et surtout une vraie mise en scène qu’elle soit novatrice ou classique.» Carancho, construit comme un thriller, en est un bon exemple… Dès l’apparition du titre sur l’écran, CARANCHO, écrit en lettres banches éclaboussées de sang, on sait qu’on ne fera pas dans le mièvre ! Le «Carancho», c’est Sosa (Ricardo Darin), un avocat spécialisé dans les accidents de circulation à Buenos Aires ; il profite, sans scrupules

semble-t-il, des nombreuses victimes de la route qui enrichissent une poignée d’avocats mafieux, grâce aux assurances et à la corruption. C’est sur son «lieu de travail» qu’il rencontre Luján, (Martina Gusman) une jeune urgentiste qui se drogue pour tenir le

coup. C’est le coup de foudre mais l’amour ne sauve pas toujours, malgré leurs efforts pour se sortir de la corruption et de la mafia. Une dernière chance qui n’apportera pas la rédemption. Si le thème de la corruption est un classique, celui de l’arnaque à l’assurance pour les Carancho de Pablo Trapero

accidents de la route, très nombreux en Argentine, est inédit et traité avec beaucoup d’énergie par Pablo Trapero : plans serrés, montage nerveux. Certes, on se serait passé de quelques gros plans pleins d’hémoglobine mais le spectateur est tenu en alerte jusqu’au bout, espérant que ces deux solitaires paumés vont s’en sortir, bien qu’il les sache condamnés. Le film, immense succès en Argentine, a provoqué un changement de la loi règlementant le paiement des indemnités des victimes des accidents de la route. Qui a dit que le cinéma ne pouvait rien ? ANNIE GAVA


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CINÉMA

ICI | SEMAINE DU SON | INSTITUT DE L’IMAGE

Les séquestrés de Meina Le 27 janvier 1945, Auschwitz est «libéré». Longtemps murés dans l’indicible, confrontés au fil des ans à l’ignorance des nouvelles générations ou à l’ignoble négationnisme de quelques-uns, les derniers survivants inlassablement témoignent. Devenu depuis 2002 Jour de mémoire et de prévention des crimes contre l’humanité en Europe, le 27 janvier multiplie les événements culturels. L’Institut Culturel Italien a projeté cette année le film de Carlo Lizzani, Hôtel Meina (2009), adapté d’un roman homonyme de Nozza. 8 sept. 1943 : grecs et italiens, naufragés de la guerre, partagent la douceur d’une fin d’été près du lac Majeur. À frôler la mort, la vie s’exacerbe. L’espoir fêté au champagne, à l’annonce de

Hotel Meina de Carlo Lizzani

l’armistice de Badoglio, s’éteint avec l’irruption d’une division SS. Réquisition de l’hôtel, tri des hôtes : les juifs seront confinés puis

C’est son son

exécutés quelques semaines plus tard malgré l’héroïsme du directeur, de sa fille Noa et d’une résistante allemande. Huis clos dans l’écrin

des montagnes devenu étau, Hôtel Meina est un film oppressant. Condamnés et bourreaux partageant le même espace, l’horreur se distille à chaque plan, sur le visage lisse du beau commandant Krassler, dans les jeux bonhommes de ses soldats. Si Lizzani, qui a travaillé avec les plus grands -De Santis, Rossellini, Vergano- réussit quelques scènes fortes comme le ballet macabre des cadavres enchaînés au fond du lac, il n’évite pas l’écueil illustratif. Un film de plus, dira-t-on et pas un chefd’œuvre, mais raconter encore et encore sauve les victimes de la seconde mort dont parle Wiesel, celle de l’oubli. ELISE PADOVANI

L’Idéaliste

Le 29 janvier, c’était la clôture de la troisième Semaine du Son qui veut «amener à prendre conscience de l’importance de la qualité de l’environnement sonore», comme l’a rappelé son fondateur Christian Hugonnet, ingénieur en acoustique et techniques de prise du son. Alors que le son est un élément fondamental de l’équilibre, seuls 2% des Français jouent d’un instrument… contre 65% des Américains ! Cinquante villes en France ont donc monté des Semaines du son, et à Marseille c’est le SATIS, Films-Flamme et le FIFA qui l’ont organisée, nous proposant d’apprendre à ÉCOUTER un film. Cela a donné une rencontre de six heures, au CRDP, autour des films de Robert Guédigian. Après avoir revu Lady Jane, les différents intervenants de la «chaîne» du son, Laurent Lafran sur le tournage, Bernard Sasia et Valérie Meffre pour le montage, Gérard Lamps pour le mixage ont expliqué avec clarté et précision leur travail respectif. Ils ont fait écouter à un auditoire attentif, les différentes pistes sonores, explicitant leurs choix sur certaines séquences. Puis un parcours chronologique des films de Guedigian a éclairci l’évolution du traitement du son, aussi bien du point de vue technique qu’esthétique, du premier film Dernier été, qui date de 1980, jusqu’à son 17e film, en cours de montage, Les pauvres gens. Même si Robert Guédigian, qui présidait le Jury des longs métrages du Festival Premiers Plans d’Angers, n’était pas présent à la rencontre, il était bien là, avec ses films et ses fidèles collaborateurs. ANNIE GAVA © A.G

Ordet de Carl Dreyer

L’Institut de l’Image met à l’honneur jusqu’au 22 février le réalisateur Danois Carl Theodor Dreyer. Journaliste et cinéaste, homme de foi et de rigueur, Dreyer laisse une filmographie des plus personnelles et envoûtantes, et ce malgré un parcours atypique : il tournait peu, peaufinait ses projets à l’extrême, inquiétait les producteurs. Passé à la postérité grâce à la Passion de Jeanne d’Arc, film muet de 1928, puis à Vampyr (1931) et Ordet (1954) qui lui valut un Lion d’or à Venise, il n’a eu de cesse de chercher l’Idéal, celui avec majuscule, au travers de personnages en quête. Jeanne d’Arc bien sûr, le personnage principal d’Ordet aussi, et leurs chemins de croix vers le Divin. Jour de colère (1943) et Gertrud, son dernier film tourné en 1964 et sous-estimé à sa sortie, où ses protagonistes sont prêts à tout perdre pour entrevoir, ne serait-ce qu’un court instant, l’Amour. Ces êtres, dans la folie et la beauté de leurs parcours spirituels, sont le cœur du travail esthétique de Dreyer. Incroyable faiseur d’images, de gros plans aux émotions palpables, il sublimait l’interprétation de ses actrices, à l’affut du moindre tressaillement, de la moindre hésitation. Dans l’absolue précision de ses cadrages, de ses noirs, de ses blancs, des tons et demi-tons qui les séparent, le réalisateur danois impressionne d’Expressionnisme. Encore et toujours avec majuscule, à l’image d’une œuvre qu’il faut décidément redécouvrir. RÉMY GALVAIN

Institut de l’Image 04 42 26 81 73 www.institut-image.org


LES VARIÉTÉS | CLERMONT-FERRAND

De la vie juste avant la mort

C’est à l’occasion de la 3e journée Patients-Greffes de moelle organisée par l’Institut Paoli-Calmettes qu’a été projeté au cinéma Variétés Ma compagne de nuit, le premier long métrage d’Isabelle Brocard, qui était présente, accompagnée de l’une de ses actrices, Emmanuelle Béart.

Isabelle Brocart et Emmanuelle Beart © A.G

Écrit à quatre mains, le film est né d’un désir de parler de la maladie, de la mort, sans romantisme, et sans référence à une histoire vécue. Julia, superbement interprétée par Emmanuelle Béart, est une femme atteinte d’un cancer incurable qui a éloigné ses proches, sans doute pour les protéger, et partage ses derniers jours avec une assistante de vie, jouée admirablement par Hafsia Herzi. «Avec Hélène Laurent, on a voulu raconter l’histoire d’une rencontre, explique la réalisatrice. Le lien entre ces deux femmes est créé par la maladie et il devient un lien essentiel. Il n’y a pas de suspense dans le film : au bout c’est la mort, mais c’est la vie que je voulais filmer, les petits détails. Les deux héroïnes sont bien vivantes.» Pendant l’écriture, scénaristes, réalisatrice et actrices ont rencontré soignants et malades qui ont parlé

CINÉMA 63

de leurs expériences, de leurs rencontres. Car c’est avant tout une histoire de rencontres. «Avant d’aller rencontrer des gens en soins palliatifs à Villejuif, précise Emmanuelle Béart, j’étais terrorisée ! J’ai beaucoup écouté et plus j’étais là, moins j’avais peur ; ce qui est important c’est la vie, les petits détails de la vie, un rayon de soleil, un message, et j’ai compris qu’il fallait aller à la source énergétique de ces détails. J’ai essayé de comprendre, à travers le regard et l’écoute, aller au plus proche. Plus je parlais avec les gens, plus je sentais une espèce de lumière. Faire ce film a changé mon regard sur la maladie.» Il est certain qu’il faut dépasser la peur en soi pour aller voir ce film âpre, inconfortable mais superbement interprété et plein d’humanité et d’énergie. ANNIE GAVA

LA capitale du court métrage Après DEUX séances d’ouverture dans la salle Jean Cocteau (1400 places !) de la Maison de la Culture, comble comme toutes les années, c’est sur les chapeaux de roue qu’a démarré le 33e Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand. C’est à un véritable marathon que se livrent les festivaliers, courant d’une salle à l’autre, slalomant entre les compétitions internationale, nationale ou labo, la rétrospective NouvelleZélande, la Carte Blanche à Sacrebleu productions, Court d’histoire, Courts de contes ou Regards d’Afrique. Le choix est difficile ! 400 films programmés dont 182 sélectionnés parmi les 6 753 films reçus, représentant plus d’une centaine de pays ! Cette année, aucun film de la région PACA n’est sélectionné… Donc nos quelques coups de cœur vont à d’autres ! D’abord deux films d’animation très réussis : Les journaux de Lipsett, du Canadien Theodore Ushev, présenté comme un journal intime, nous fait découvrir la frénésie créatrice d’Arthur Lipsett, un réalisateur canadien de films expérimentaux mort à 49 ans et Kamene de la Slovaque Katarina Kerekesova : la visite dans une carrière de la femme du contremaître qui rêve d’avoir un enfant, et qui constate que son mari a changé à force de travailler dur. Des films qui traitent avec légèreté de sujets graves comme Casus Belli

du Grec Georges Zois dont le personnage principal est un caddie : une métaphore originale de la Crise. Anna et les tremblements de Solveig Anspach raconte le calvaire d’Anne (Anne Morin) qui tente d’attirer l’attention de la RATP sur son cas : les vibrations, dans son appartement, font tout bouger. Et puis aussi, La fille de l’homme de Manuel Shapira, Promise of a spring day du Coréen YoonJae Ha, Siggil de Rémi Mazet, Le meilleur ami de

l’homme de Vincent Mariette et puis, et puis… les regrets de tous ces films qu’on ne voit pas ! ANNIE GAVA

Le palmarès ! Parmi la trentaine de films récompensés, le Grand Prix International est attribué au documentaire Kawalek Lata (Un bout d’été) de la Polonaise Marta Minorowicz. Prix Spécial du Jury : Los minutos, las horas (Les minutes, les heures) de Janaina Marques. Prix du Meilleur Film d’Animation : Les journaux de Lipsett de Theodore Ushev. Prix du public : Suiker (Sucre) de Jeroen Annokkeé. Palmarès national Grand Prix : Tremblay-en-France de Vincent Vivioz ; Prix Spécial du Jury : La dame au chien de Damien Manivel. Prix du public : L’accordeur d’Olivier Treiner. Grand Prix Labo : Night Mayor du Canadien Guy Maddin. Prix Spécial du Jury labo : On the way to the sea de Tao Gu ; Prix du public : Big Bang Big Boom de Blu.

Kawalek Lata de Marta Minorowicz


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LIVRES

RENCONTRES

D’Aix à Marseille… la rencontre déçoit tout de même en se réduisant à quelques considérations convenues sur l’état du monde et des media, et à diverses anecdotes savoureuses. Reste tout de même que la soirée aura permis, une fois n’est pas coutume, de mettre à l’honneur Marseille en plein cœur d’Aix-en-Provence !

Edmonde Charles-Roux était l’invitée des Écritures Croisées. La rencontre offrait l’occasion de revenir sur une biographie haute-couture et haute en couleurs : l’enfance d’une fille d’académicien diplomate habituée à se déplacer avec ses «gens», l’engagement pendant la guerre, le talent de la journaliste non conventionnelle de Vogue qui aura réussi à introduire l’art contemporain sur le papier glacé de la presse de mode, le mariage avec Gaston Defferre et Marseille, les honneurs de l’académie Goncourt. La deuxième soirée offrait un angle d’approche double intéressant : d’une part, le rapport de l’œuvre à l’image, à travers la forme du récit-photo, l’adaptation cinématographique par Dino Risi d’Oublier Palerme, et l’évocation des grands talents dénichés par la journaliste ; d’autre part, le regard sur le Prix Goncourt, en tant que lauréate et membre de l’académie du même nom, comme Didier Decoin. Si c’est avec malice que la dame cultive son personnage de grande bourgeoise de gauche, et Didier Decoin celui de bon vivant amateur de bonne chère,

A. FA.

Edmonde Charles-Roux : sa vie, son œuvre, ses passions les 27 et 28 janvier à la Cité du Livre avec Antoine Boussin, Didier Decoin, Michel Guerrin

E. Charles-Roux © X-D.R

Lumières noires Le 8 février s’ouvrait à Vitrolles la 2ème édition du festival Polar en lumières, une semaine consacrée au genre policier sous toutes ses formes. Accueilli par des organisateurs coiffés de panamas blancs à rubans noirs siglés du nom du festival, un public nombreux a rapidement rempli le hall puis la salle du cinéma Les Lumières. Cette soirée d’ouverture proposait une affiche alléchante : une table ronde sur le polar algérien, puis la projection du film Morituri, en compagnie du parrain de la manifestation, Yasmina Khadra.

L’émotion a dominé les discours d’inauguration, car la venue à Vitrolles du célèbre romancier algérien est un symbole fort de l’évolution politique de la ville et de l’importance croissante de ce jeune festival ! Au maire qui lui remettait la médaille de la ville, l’écrivain a d’ailleurs rappelé son engagement et son plaisir de revenir en Provence. Hélas, après ces congratulations la soirée n’a pas tenu toutes ses promesses. Le journaliste Adlène Meddi, qu’on avait hâte de rencontrer, a été retenu à

Serge Scotto avec son inséparable chien Saucisse et Yasmina Khadra © Annie Galva/Zibeline

Alger, actualité oblige. La table ronde menée par Serge Scotto s’est limitée à des généralités sur la vie et l’œuvre de Khadra, que ses lecteurs fidèles connaissent bien. On a tout de même appris la genèse du roman Morituri, écrit en un mois, dans une sorte de transe dont l’écrivain dit n’avoir aucun souvenir, à la suite d’un terrible attentat dont il avait été témoin. Première apparition du commissaire Llob, le double fictionnel de l’auteur, et satire violente de la corruption politico financière, cette œuvre âpre et sans illusions a été adaptée à l’écran par Ochaka Touita, qui était également invité. Le réalisateur de Les Sacrifiés, sorti en 1982 et évoquant les luttes fratricides des Algériens à Paris de 1955 à 1962, a choisi d’adapter en un seul film la trilogie de Khadra, trouvant que Morituri n’offrait pas assez de matière pour un bon scénario; cela a fort déplu à l’auteur et le public a assisté à un vrai règlement de comptes ! Ceci a été d’autant plus frustrant que la problématique de l’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire est une question passionnante ! Reste à espérer que les séances suivantes ont été plus éclairantes ! ANNIE GAVA ET FRED ROBERT

Polar en lumières s’est déroulé à Vitrolles du 8 au 13 février

À quoi rêve Khadra ? Et que lui arrive-t-il dans cet Olympe des infortunes, où il semble s’être égaré ? Dans ce tout dernier opus, déjà édité en collection de poche, où est la force de L’attentat, où sont passées les émotions de Ce que le jour doit à la nuit ? Khadra déclare avoir écrit un roman. Ce court texte ressemble pourtant plus à une sorte de conte philosophique (mais où est la philosophie ?), à une espèce de fable allégorique (allégorie de quoi au juste ?). Pétrie de maximes et de grandes phrases, cette chronique du royaume des laissés-pour-compte se lit du bout des yeux et se referme sans états d’âme. Mais avec l’espoir sincère que Khadra retrouve bientôt le souffle… romanesque. F.R.


LIVRES 65

Contre vous ! Rene De Ceccatty © Jean Marc de Samie

Bien malgré elle, la mairie de Marseille aura fait un beau cadeau à Jean Genet pour son centenaire. Celuici devait se fêter aux Beaux-arts à Luminy, en compagnie de Leïla Shahid, amie des dernières années de l’auteur, et de deux de ses meilleurs lecteurs, René de Ceccaty et Albert Dichy. Rebondissement : la mairie interdit la manifestation à l’École des Beauxarts, invoquant que la sécurité de Leïla Shahid ne peut être assurée. Le motif déconcerte, la présence de la déléguée de la Palestine auprès de l’Europe étant pour cette fois apolitique, et fait polémique, dans un contexte particulièrement tendu, quelques jours après l’annulation de la conférence de Stéphane Hessel à l’École Normale, en compagnie de Leïla Shahid. … . Qu’importe ! la manifestation se sera finalement tenue à la Maison de la Région ouverte par Michel Vauzelle, où on aura refusé du monde toute la journée : un succès polémique, loin du ton compassé des commémorations institutionnelles, qui aurait plu à Genet !

Les libraires de La réserve à bulles ont eu du flair en invitant Ulli Lust. L’artiste, née à Vienne, installée depuis 1995 à Berlin, n’a pas fini de faire parler : son volumineux Trop n’est pas assez (460 pages !) vient de recevoir le prix Artémisia et celui de la Révélation 2011 du festival d’Angoulême. Interrogée par Boris Henry, elle est revenue sur ce succès, son travail et ses projets. Pour cette quadragénaire qui se définit avant tout comme une professionnelle de l’art, la BD permet d’abord de «raconter des histoires». Ainsi, dans ce roman graphique fortement teinté d’autobiographie, Ulli Lust relate une période assez dure de son adolescence punk et entraîne le lecteur dans un road novel dont elle a très vite fixé la trame mais dont le dessin a demandé quatre ans de travail. Ce récit documentaire refuse les facilités du porno ou du sensationnel mais fait des clins d’œil au conte, à la mythologie, au tarot même, donnant à cette expérience individuelle une dimension d’apprentissage qu’Ulli Lust tenait à transmettre. Dessiner lui a d’ailleurs permis, a-t-elle confié, de saisir a posteriori la portée de certains épisodes de sa vie. Mais si on lui parle de thérapie à propos de cet ouvrage, elle voit rouge ! Non, Trop n’est pas assez n’est pas un ersatz thérapeutique, c’est un récit qu’elle voudrait que le

avec les Palestiniens dans ses deux dernières œuvres: Quatre heures à Chatila et le Captif amoureux. Un parcours possible se dessine : si l’écriture, comme le désir, est d’abord un moyen d’échapper à la réalité claustrale et coercitive d’une société occidentale abhorrée, elle en est venue, par un curieux renversement, à donner corps et mots à la réalité déniée des camps. Et c’est finalement la formule du «Contre vous !», invoquée par André de Ceccaty, qui résume au mieux à la fois l’ambiguïté de l’œuvre et la cohérence de la soirée : elle suggère, sur le plan de la sexualité, l’exacerbation et la mise à distance simultanées du désir ; et elle est le cri de défi que l’œuvre de Genet, sur les plans politique et moral, jette au visage des lecteurs, par refus de s’enfermer dans toute forme de consensus, fût-il louable. AUDE FANLO

Sans Jean Genet a eu lieu les 20 et 21 janvier à Marseille

Ulli Lust © Agnes Mellon

Bulles d’histoires

Leila Shahid © Jean Marc de Samie

Albert Dichy © Jean Marc de Samie

«On aura évité le pire, que tout se passe bien ! » souligne avec humour Albert Dichy le lendemain, pour la suite de la manifestation au CIPM, qui fait de nouveau salle comble, dans une ambiance électrique. En ouverture, la projection du film Un chant d’amour (1950) est une entrée saisissante dans l’œuvre de Genet par l’un de ses motifs nucléaires, le lien entre la sexualité et la dénonciation de l’enfermement. Exemple d’un académisme formel qui contient en lui-même les germes de sa propre subversion, le film est à la fois pornographique et presque sentimental, l’exhibition des corps ripe sur les murs d’une prison, et l’exaspération carcérale du fantasme oscille entre brutalité, suggestion et stylisation lissée. La discussion qui suit entrecroise l’analyse précise de deux spécialistes et la force émouvante d’un témoignage d’amitié. Elle permet de balayer l’ensemble de l’œuvre, tout en se concentrant sur la dernière période, lorsque Genet sort de 25 ans de silence pour témoigner singulièrement de sa rencontre

lecteur prenne comme un train d’où on ne peut plus descendre une fois qu’il est lancé. Elle-même s’est d’ailleurs lancée, à la demande d’une grosse maison d’édition allemande, dans une nouvelle expérience, qu’elle juge passionnante mais risquée, l’adaptation d’un roman mettant en scène les enfants de Goebbels. Toute une Histoire… FRED ROBERT

Ulli Lust était invitée en février à la librairie Goulard à Aix, puis à La réserve à bulles à Marseille, dans le cadre des Escales en librairies proposées par l’association Libraires à Marseille. Ulli Lust est également l’éditrice d’un site de BD et romans graphiques à télécharger et à lire en ligne : www.electrocomics.com À lire Trop n’est pas assez, aux éditions Çà et là, 26 € Chronique à venir dans Zib’39


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LIVRES

RENCONTRES

Hommes à histoires

Jacques Jouet © Isabelle Raviolo

Fatos Kongoli © JohnFoley

à une réalité africaine très complexe ? Riposte immédiate : ce roman n’est ni celui d’un amoureux, ni celui d’un spécialiste, il est simplement le fruit d’une vieille culpabilité de pays colon et d’ailleurs l’œuvre de Fatos Kongoli est elle aussi construite sur le concret des situations, mêlant intime et politique ; suit une liste pittoresque de thèmes récurrents : les poux, l’alcool, le sexe, la famille... Éclats de rire prolongés par la lecture d’extraits de La vie dans une boîte d’allumettes (voir Zib’ 37) marqués par la cruauté et l’émotion. C’est que Fatos Kongoli assume fort bien la part autobiographique de ses récits, jusqu’à intégrer, non sans humour, des figures d’écrivains, ratés le plus souvent, dont l’un a même le dérisoire privilège de se nommer... Balzac («Balzac, c’est moi!»). Se faisant traiter de romancier «pur» («ce n’est pas une injure n’est-ce pas ?», l’Albanais se revendique alors

Deux écrivains se rencontrent dans un train, échangent des mots et pas des moindres «Pain, amour, liberté, ça se dit comment en albanais ?» demande le Français ; émerveillé par la réponse, il en fait tout un poème et la conversation se poursuit à Marseille... Fatos Kongoli et Jacques Jouet se sourient finement et n’ont de cesse de se faufiler dans la singularité de l’autre, manifestement ravis de se retrouver sur le terrain de la différence ; par exemple le premier, celui de Tirana, croit au «style... qui fait l’homme» ; l’autre, l’Oulipien, n’y croit pas et veut les avoir tous! Lecture d’une page de Bodo, dernier roman de Jacques Jouet (voir Zib’ 37) qui déploie fastes et vicissitudes de l’Afrique de la décolonisation, commentée malicieusement par l’ami dans un français raffiné : on ne comprend pas grand chose à ce livre magnifique mais difficile à absorber, reste la beauté de la langue qui serait alors le signe d’une relation spirituelle

«Ça pleut direct !» Front couronné d’étoiles… comme un vrai poète à l’ancienne, Bernard Noël porte les stigmates nobles de sa fonction : front large et haut, gloire de cheveux blancs et regard dévoreur d’espace. Invité de marque au «cabanon des auteurs» du Théâtre du Petit Matin, l’homme amène avec lui la paix des profondeurs et l’inquiétude fervente d’un présent qui va vite. L’œuvre est célébrée, connue pour de bonnes ou de mauvaises raisons : l’auteur rappelle, sourire en coin, après lecture d’un extrait de l’Outrage aux mots, les circonstances de la condamnation du Château de Cène pour «outrage aux mœurs» et sa réaction contre son propre avocat Bernard Noel © X-D.R

Robert Badinter plaidant son caractère inoffensif ! La voix vient de loin, traine un peu, remonte dans la tête et fait de la place au silence et à l’autre ; lectures choisies, plutôt politiques (La Peur de l’autre ou Le Grand massacre) et plutôt de la prose respirée, vibrante et mesurée («il est juste et raisonnable d’en finir avec la servilité») en écho à l’actualité immédiate. Suivant la règle du lieu, l’auteur s’est présenté comme un chantier de fouilles, corps et langue stockant du «passage», du temps, des gens... «Écrire, c’est poser des traces d’où se lèveront des ombres». Le livre est la tombe de la belle au bois dormant qui attend d’être réveillée par le lecteur. Ils sont là les lecteurs, tout près et le dialogue, doux et patient, construit par petites touches le portrait d’un homme-poème, sa quête de sens «interminable», son désir jamais arrêté, son attente de l’événement verbal, de la «précipitation de mots», son accueil respectueux de ce qui vient. Le travail en cours scelle la fidélité au «nous» impossible et toujours à l’horizon espéré : 7 monologues nés des 7 pronoms personnels ! En guise d’au revoir généreux, le poète lance une invitation à la rencontre et... au silence «La civilisation peut recommencer dans les couvents». MARIE-JO DHÔ

Le Théâtre du Petit Matin a invité Bernard Noël le 11 février. La rencontre a été suivie le 12 février de la présentation de la Langue d’Anna dit par Agnès Sourdillon.

comme écrivain «d’un petit pays» et qualifie l’ami français, à l’aune de son territoire natal, d’écrivain «large», ce qui n’est pas pour déplaire à Jacques Jouet qui se lance alors dans un éloge vibrant de la diversité, et ranime pour l’occasion le manifeste Oulipien : refus de l’essence ou de l’être «qui fait le style», mise à distance par la multiplication des attaques et points de vue, travail collectif pour désamorcer le singulier, réconciliation du conceptuel et de l’artisanat et méfiance permanente contre le ludique. Surtout quand on se nomme comme il se nomme ! Après quelques élégantes considérations sur la langue française, héritage paternel et espace de liberté dans l’espace clos de Tirana, Fatos Kongoli reconnaissant son attachement à des thèmes personnels comme celui du pays meurtri lance un «je ne peux pas écrire autre chose» qui sonne comme un bel aveu de puissance littéraire ! MARIE JO DHO

La rencontre du 25 janvier aux ABD, Marseille, était présentée par Pascal Jourdana dans le cadre d’Écrivains en dialogue

Libre et laïque L’écrivain Ahmed Kalouaz, inaugurait le 8 février une nouvelle formule de rencontres intimistes à la Bibliothèque départementale de Marseille. Il a rappelé ses débuts dans l’écriture avec des pièces de théâtre commandées et diffusées sur France-Culture, puis de nombreuses nouvelles, avant d’aborder le roman. Celui sur son père (Avec tes mains, Le Rouergue, voir Zib’37) s’est imposé un jour ; il l’a écrit très vite, en deux mois. Portrait d’un père mutique, ignorant les caresses. Mais partageant des gestes, ceux du labeur. Encore aujourd’hui quand il bricole, fait du ciment, Ahmed Kalouaz est avec son père, ces gestes lui appartiennent et sont les mots de leur dialogue. Le livre est aussi le portrait d’une génération, celle de la guerre d’Algérie, celle qui donnait «l’impôt révolutionnaire» au FLN sous peine de mort. Selon l’écrivain le danger aujourd’hui c’est l’islamisme politique, ceux qui veulent imposer des lois religieuses, voilent les femmes et cloitrent les filles. Ahmed Kalouaz, algérien français et laïque, se bat pour la liberté des corps et des esprits avec des romans qui traitent des femmes battues, de la drogue, de l’enfermement. CHRIS BOURGUE Ahmed Kalouaz aux ABD © X-D.R


LITTÉRATURE

LIVRES 67

Canal historique Le nouveau roman de Juan Gabriel Vásquez nous entraîne à nouveau dans l’histoire Colombienne, et Panaméenne. Mais il remonte plus loin que Les Dénonciateurs (Actes Sud), un magnifique petit roman centré sur un père et un fils, la délation, et le comportement criminel du gouvernement colombien envers les réfugiés juifs allemands pendant la 2nde guerre mondiale. Histoire secrète du Costaguana est plus ambitieux, et un brin moins réussi. Plus épais, embrassant une période nettement plus large, plusieurs événements historiques qui sont autant de péripéties nécessaires à l’avancement de la narration, il a quelque chose des grandes fresques de Gabriel Garcia Marquez. Avec même parfois une tentation pour le fantastique, volontairement inassumée, il est fondé sur l’histoire des vaincus, les racines de la main mise américaine sur le Canal panaméen, les fausses révolutions fomentées par les capitalistes, les utopies

La vie des bêtes

Olivia Rosenthal n’est pas à proprement parler une amie des animaux, même si Les Félins m’aiment bien, monté au théâtre Gérard Philipe de Saint Denis en 2005, a permis à un public élargi d’entendre cette parole à fictions singulières, traversée, façonnée par la part animale de tout un chacun ; l’œuvre passée et présente carbure au «vivant», dans sa version collective et partagée : son précédent roman On n’est pas là pour disparaître mettait en scène la douleur de connaître une vie en pointillés en compagnie de la maladie d’A... ; le dernier, au titre rigolo-métaphysique Que font les rennes après noël ?, bien plus complexe que ne le laisse craindre la 4ème de couverture «ni les animaux ni vous, ne savez comment faire pour vous émanciper» ne fonctionne justement ni par simple analogie ni par interpellation directe ; le «vous» de la narratrice est un «je» d’écriture et un pacte de lecture scellé dès la case départ Vous ne savez pas si vous aimez les animaux, mais vous en voulez absolument un, vous voulez une

des français déclassés trompés par Ferdinand de Lesseps, et les luttes fratricides de Colombiens fanatiques de Dieu ou de la révolution. Là encore l’auteur choisit de mettre en scène un père et un fils narrateur, invente autour d’eux une atmosphère épaisse, odorante et une foule de personnages attachants. Joseph Conrad n’est pas le moins intéressant, et Nostromo ainsi que Cœur des ténèbres interviennent comme des matrices qui ponctuent à l’envers la vie du narrateur… qui hélas intervient trop systématiquement dans son récit, commentant lourdement parfois les structures qu’il met en place sans laisser tout à fait se dérouler le plaisir de la fable. Comme si l’auteur avait eu peur de se laisser emporter par les flots trop puissants et l’atmosphère délétère d’un Canal embourbé depuis toujours dans les replis fangeux de l’histoire.

Juan Gabriel Vásquez était l’un des invités des Belles étrangères 2010, consacrées aux écrivains colombiens (voir Zib 35) Histoire secrète du Costaguana Juan Gabriel Vásquez Ed du Seuil, 22 €

AGNÈS FRESCHEL

bête. C’est l’une des premières manifestations de votre désir, un désir d’autant plus puissant qu’il reste inassouvi ». OK, c’est parti pour une traversée implacable des steppes de la vie débutante et c’est la mère qui conduit le traîneau. On se laisse glisser de paragraphe en paragraphe sur une écriture rythmée comme des stances sans trop savoir à qui ou à quoi l’on a affaire : les «je» successifs sont les autres, des «il» ou «elle», des voix de dompteur, soigneur, équarrisseur, boucher même - tout le cycle jusqu’à la viande refroidie ! - qui exposent méthodiquement leur expérience et la croisent avec celle de la narratrice qui se cherche une identité sexuelle entre King-Kong et la Féline de Jacques Tourneur ! Drôle et brillant, intellectuel et sensible, franchement sans histoire, ce roman suggère simplement que se libérer c’est apprendre à trahir !!

Que font les rennes après noël ? Olivia Rosenthal Verticales 16,90 €

MARIE-JO DHO

La clé des songes Zuo Luo, Zorro chinois, est inspiré d’une réalité sombre de la Chine : un curieux justicier libère les femmes qui, vendues par leur famille pauvre, sont ensuite séquestrées et battues par leurs maris. Mais il apprend au cours de l’histoire qu’il est lui-même le personnage du jeune chaman écrivain du précédent roman de Christian Garcin, La Piste mongole. Des femmes disparaissent, c’est donc d’abord un roman policier, à la façon de Chandler ou Melville : un héros taciturne et massif se lance sur la piste d’un yakusa sanguinaire lié aux trois femmes disparues de sa propre vie. Et si tous les ingrédients du genre sont réunis - du suspens, des interrogatoires musclés, des bars enfumés et des ruelles sombres, une intrigue qui nous emmène de la Chine au Japon en passant par le Chinatown new-yorkais, c’est pour mieux être déjoués : des yakusas impotents ou réincarnés en vieux chien

fouineur, des rituels ancestraux de mort par enfouissement, une enquête qui se transforme en quête intérieure, le but se dissipant comme un mirage au fur et à mesure qu’on avance, le tout sous le regard sans âge d’animaux dubitatifs, la voix sans visage de contes traditionnels, et le rythme exotique d’opéras chinois… Ainsi l’œuvre de l’auteur se construit-elle comme un labyrinthe aux bifurcations multiples, où les personnages circulent d’un récit à l’autre, dans la réflexion curieuse de la réalité et des fictions qui s’engendrent en se réinventant. Et par la puissance chamanique d’une écriture drôle et mélancolique, où la clé de l’intrigue tient - et se dérobe - dans la coïncidence mystérieuse de destins croisés, et dans la convergence sans pourquoi des souvenirs, du passé et du présent, des mondes extérieurs et intérieurs. AUDE FANLO

Des Femmes disparaissent Christian Garcin Verdier, 16 €


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LIVRES

LITTÉRATURE

Haletant

Abandonnant le polar marseillais Philippe Carrese livre un livre-choc, qui met en scène la folie du pouvoir et sa perversion. Comment un homme prend la direction de ses compagnons prisonniers dans un camp de travail que les SS viennent de déserter, fuyant l’avancée des troupes soviétiques, en 1945. Dans la neige et le froid des monts Tatras à la frontière de la Slovaquie, sans aucun moyen de communication avec le monde extérieur, il faut survivre. Quelques femmes réservées au plaisir des soldats, des enfants sélectionnés pour leur type aryen, des tchèques, des hongrois, des italiens, et un savant polonais constituent ce peuple perdu. Le jeune Matthias, âgé d’une douzaine d’années, est chargé de tenir le journal de l’organisation de la survie du camp rebaptisé «République». Dankso prend en main le destin de ses camarades, organise travaux et repas. Mais très vite on sent que son autorité et le pouvoir qui en découle l’enivrent, et il va jusqu’à

s’installer dans le bureau et les appartements abandonnés du chef des bourreaux. Désormais il régente, condamne. Malgré son jeune âge, Matthias, le narrateur, est de moins en moins dupe et va écrire un cahier secret dans lequel il relate ses observations sur la folie de Dankso. Il ne reste qu’à tenter l’impossible : la fuite. D’une redoutable efficacité, le récit de Carrese fonctionne comme un feuilleton, ménageant régulièrement des rebondissements qui tiennent en haleine, transportant le lecteur d’horreur en abomination, jusqu’à son dénouement implacable. Un faux témoignage qui fait froid dans le dos.

Ouvrage sélectionné pour le Prix des lycéens et apprentis de la Région Paca

CHRIS BOURGUE

Enclave Philippe Carrese Plon, 20 €

Confort, vraiment ?

Pour mettre en garde ses contemporains contre les technologies nouvelles au service de la surveillance, Grégoire Hervier les plonge dans la fiction d’un monde super-fliqué qui, sous couvert de recherche du bonheur et du confort, détruit les libertés individuelles. Dominique Dubois, homme ordinaire, retrouve un emploi après 6 mois de chômage et s’installe à Zen City, restant en contact avec ses copains par l’intermédiaire de son blog. Il leur raconte le confort de son nouvel univers aseptisé avec frigo automatiquement réapprovisionné, surveillance et sécurité. Un coup de blues ? Aussi sec un coach en image personnelle propose nouvelle garde-robe, nouvelle voiture, nouveau look ! Mais le vernis se craquelle très vite et Dominique entre en résistance sans le vouloir : à la suite du branchement de sa vieille

guitare électrique il fait sauter tout le système RFID (identification par radiofréquence) de son immeuble. Espionnage, découverte d’un réseau d’expérimentation de neurosciences en laboratoire, double-jeu, le roman ménage de grands moments de suspens. Dans la forme il alterne les dialogues enlevés, les restitutions d’enregistrements, les échanges sur le blog, les comptes-rendus de l’éditeur du journal de Dominique. L’ensemble est saisissant : cette fiction terrifiante deviendra-t-elle réalité ? Nos choix les plus banals ne sont ils pas déjà surveillés et répertoriés ? C.B.

Zen City Grégoire Hervier Le Diable Vauvert, 18,50 €

Deux femmes puissantes Parmi tous les romans primés à l’automne dernier, beaucoup ont été chroniqués par Zibeline. Mais il nous en manquait un, et non des moindres ! Voici cet oubli réparé, et l’occasion de découvrir un auteur et une œuvre remarquables. À tout juste 34 ans, Sofi Oksanen, née en Finlande d’un père finlandais et d’une mère grandie en Estonie durant l’occupation soviétique, est déjà dans son pays une figure des lettres et de l’engagement politique et social. De son énergie à secouer la langue de bois, de sa révolte contre une certaine fascination européenne pour les totalitarismes de gauche, on trouve de nombreuses traces dans son 3e roman, Purge, qui accumule les prix depuis sa parution en 2008. Prix Finlandia (l’équivalent de notre Goncourt) dès sa sortie, prix Rutenberg en 2009 ; et en 2010, le prix du roman Fnac, le prix du livre européen, plus le Fémina étranger ! Impressionnant… et mérité. Car Purge est un grand roman. De ceux qui accrochent et ne lâchent plus ; de ceux qu’on ne peut pas simplement refermer pour passer à autre chose. Comme beaucoup de jeunes écrivains actuels, Oksanen s’empare de l’Histoire pour écrire son histoire,

qu’elle situe pour sa majeure partie en Estonie occidentale, et qu’on pourrait résumer à la rencontre de deux femmes. 1992 : la vieille Aliide aperçoit dans sa cour une fille inconnue, «boueuse, loqueteuse et malpropre», Zara. Elle la recueille, la soigne, la cache ; elle a senti sur elle l’odeur familière de la peur, venue rôder à nouveau. Tandis qu’Aliide vaque à ses conserves de légumes, passés le mutisme méfiant et les mensonges, peu à peu se dévoilent les secrets de chacune et commence un éprouvant voyage dans le temps et la mémoire d’un pays qui a payé cher sa liberté. Deux femmes, deux époques, mais toujours la violence, la honte et le silence. La description crue des objets et des gestes quotidiens, le rendu minutieux des sensations soulignent avec force ces deux caractères que la vie a trempés. Au risque de les contraindre à trahir, à tuer… FRED ROBERT

Purge Sofi Oksanen Stock, La Cosmopolite, 21,50 €

Ouvrage sélectionné pour le Prix des lycéens et apprentis de la Région Paca


LIVRES

Totem et papous Dès La première empreinte, un «paléo thriller» édité en 2002 par l’Écailler du Sud, Xavier-Marie Bonnot s’est fait une place dans la littérature policière de qualité. Ce docteur en histoire et en sociologie, titulaire d’un master de littérature, journaliste et documentariste a tout de suite su concocter des romans à déguster sans modération. Intrigues efficaces et documentées, enchâssements subtils, style vif, personnage récurrent attachant, tout pour accrocher l’amateur de polar. Mais pas seulement. Comme les précédentes, la cinquième enquête de Michel de Palma, alias Le Baron, entraîne le commandant atypique de la SRPJ de Marseille, ses coéquipiers, et le lecteur à leur suite, dans une traversée au long cours, une remontée des fleuves et du temps. À la rencontre des sociétés traditionnelles de Nouvelle-Guinée cette fois-ci. Car, par leur mise en scène macabre, le meurtre augural du Dr Delorme, et les autres ensuite, ressem-

blent à tout sauf à de banals règlements de compte entre caïds et trafiquants d’arts premiers. Le Pays oublié du temps touche à cette dimension mercantile (c’est tout de même un polar !) mais convie à une réflexion plus large, étayée par des références à Freud, LéviStrauss, Mead, à des récits et des documentaires aussi. Méditer sur les notions de civilisation et de barbarie ; remettre en cause la suprématie occidentale et ses modèles imposés ; visiter les maisons des hommes, rencontrer les Big Men, entrevoir le sentier des fantômes, c’est à tout cela qu’invite ce roman ambitieux. Ce n’est pas peu. FRED ROBERT

Le Pays oublié du temps Xavier-Marie Bonnot Actes Sud, actes noirs, 21 €

Instantanés du temps Les écorchés, les cabossés de la vie, Marie-Sabine Roger a le don de les mettre en scène, avec tendresse, dans des nouvelles dont la chute surprend souvent : une vieille, tordue comme un vieux cep, dans un fauteuil roulant, une bande de vieux cramés du bulbe comme les définit Vince, la Castagne qui a soixante ans, n’est pas vieux mais a de l’âge, une jeune femme qui, après avoir accompagné dans son dernier voyage son oncle, André qui a vécu sa vie, alors qu’elle occupe le terrain, va avorter ; un homme toujours en manque d’elle, pour qui vivre est un exil depuis huit ans. Et puis il y a tous les gestes de la vie qu’elle décrit avec justesse et sobriété : la valse de deux mariés dans un village l’été ; la joie d’un vieux conducteur de poussepousse qui a gagné en une course de quoi manger pour dix jours, les derniers adieux d’une femme à son

père ; le sourire d’une petite fille de quatre vingt dix ans qui tient son premier nounours serré entre ses bras. Une vieille paysanne qui a toujours travaillé dur et qui, partant dans une résidence pour vieux, découvre qu’il ne fait jamais noir en ville et qu’à présent elle va vivre… Chacune des dix nouvelles douces-amères du dernier recueil de Marie-Sabine Roger nous offre une émotion, comme le souvenir d’un instant que chacun a vécu, comme une photographie de Doisneau ou de Sabine Weiss. À découvrir et savourer. ANNIE GAVA

Il ne fait jamais noir en ville Marie-Sabine Roger Thierry Magnier, 16 €

Si vivre est difficile…

Huit petites nouvelles composent Les petits de Frédérique Clémençon dont les figures héroïques sont des enfants. Toutes, réalistes et cruelles, relatent avec détachement les faits de petites vies ordinaires, des micro-événements vécus parfois comme des tragédies, ancrés dans une banalité partagée. C’est d’autant plus effroyable que l’auteure émaille ses récits de minuscules détails et de longues descriptions, et se plaît à détricoter tous les fils des relations filiales et amoureuses. Les pères sont souvent des personnages en creux, absents ou pensés comme tels, faibles par incuriosité (Le bannissement de Jean) ou irresponsabilité (dans Les mains de maman Paul ne comprend pas sa désertion) ; la vie n’est que renoncements et ennui et les souvenirs heureux flottent comme «des rêves mauvais» (Les pianistes) ; l’incapacité à grandir et à être heureux écrase également les êtres (l’homophobie détruit Salim dans Deux tu l’auras). Suprême acidité la mort rôde partout, en rêve ou pour de vrai, dans la

disparition de l’être aimé ou haï, dans l’espoir de sa mort même, ultime délivrance. La jeune Adèle ne souhaite-t-elle pas ardemment la mort de sa mère car elle l’empêche de rêver (Le rêve de Lazare) ? Tous, petits et grands, étouffent, asphyxiés par l’amour ou le désamour, la jalousie ou l’abandon : l’amour est amer, mesquin, réduit à son plus simple appareil, convenu, si rarement partagé… Même l’amour maternel est désossé jusqu’au sang de manière clinique par Frédérique Clémençon qui ose écrire l’inavouable (Les Petits). Le recueil condense une telle souffrance que l’on s’inquiète : si le ton était moins neutre et l’écriture moins blanche, ces huit petites nouvelles seraient-elles supportables ? MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les petits Frédérique Clémençon L’Olivier, 18 €

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LIVRES/DISQUES

L’année Liszt commence… avec quelques publications et enregistrements nouveaux,

Le Pèlerin

Les Années de Pèlerinage constituent une œuvre monumentale que le jeune Franz Liszt entreprit de composer lors de sa fuite amoureuse avec la pianiste et future romancière Marie d’Agoult. De cette cavale de cinq ans naquirent trois enfants et l’ossature de l’opus (Album d’un voyageur), en particulier pour les deux premières «années», Suisse et Italie, dont La vallée d’Oberman ou Après une lecture de Dante demeurent des têtes de programmes de récitals. C’est à l’âge mûr que Liszt mit un point final à cette architecture pianistique unique dans l’histoire de la musique avec son troisième volet : Rome. Le compositeur ayant connu une autre

femme fascinante, la princesse Carolyne Wittgenstein, ajouta Venezie e Napoliz à sa fresque, puis, l’exaltation mystique prenant le pas sur la vie amoureuse, il reçut les ordres mineurs. La pianiste lituanienne Mûza Rubackyté possède naturellement, dans son jeu flamboyant, les qualités techniques propres à l’interprétation des morceaux de bravoure du Hongrois. Son jeu d’une grande clarté demeure infaillible dans les pages virtuoses. Son cantabile est fluide, fin et profond, doublé d’une expression qui gomme tout pathos excessif. Une belle interprétation qui retrace, avec justesse, un voyage initiatique conduisant

un homme, ayant vaincu ses passions premières, vers les voies de la spiritualité et du divin. JACQUES FRESCHEL

Coffret 3CD (SACD) Lyrinx LYR 2216

Flamboyant Lorsqu’elle enregistre en 1996 ces Études de concert pour la firme dirigée par les Gambini, Mûza Rubackyté est peu connue dans l’hexagone. Débarquée en France depuis la chute de l’Empire soviétique, la Lituanienne a rapidement étonné le public occidental par sa fougue exubérante au clavier. C’est que, depuis son entrée au Conservatoire Tchaïkovski (1976) et son Grand Prix à Budapest (1981), on l’avait surtout entendue à l’Est !

Avec à propos, la maison d’enregistrement marseillaise pensa que les voltiges digitales et flamboyantes de Liszt lui iraient comme un gant. De fait, quinze ans après, on redécouvre avec bonheur les tierces et sixtes, gammes, arpèges, trémolos et variations d’après Paganini, glisser des noires aux blanches comme en lutinant sur un tapis de velours.

CD Lyrinx LYR 156

J.F

Rigutto 91 Ce disque a été gravé il y a vingt ans par Bruno Rigutto, pianiste français qui fut l’un des rares disciples de Samson François et lauréat en son temps des concours «Marguerite Long» et «Tchaïkovski». Cet enregistrement est une «référence» de la maison d’édition Lyrinx qui, depuis de longues années, s’évertue à placer sous les feux de la rampe des pianistes de talent. Le choix de pièces de Franz

Unité ?

Les mots de Robert Schumann «Sa propre vie est dans sa musique» apportent un éclairage manifeste à l’œuvre singulière de Franz Liszt (1811-1886). On connaît finalement assez mal, en dehors des sentiers convenus, l’œuvre monumentale (plus de mille partitions) de ce musicien majeur du courant romantique. Il écrivit dans tous les domaines, du piano virtuose, Lieder, poèmes symphoniques, aux grandes fresques religieuses… JeanYves Clément, nommé Commissaire général de l’Année Liszt en France, livre sa contribution à la collection biographique de Classica. Il synthétise ce qui, dans la vie

Officiel

Cette biographie a été sélectionnée pour La Folle Journée de Nantes 2011. Comme à son habitude la collection Horizons (25 titres disponibles) propose des ouvrages bien réalisés, synthétiques, comprenant des éléments biographiques académiques, une iconographie conséquente, des analyses succinctes de partitions, tableau synoptique, bibliographie et discographie sélectives… Le Franz Liszt d’Isabelle Werck se structure selon trois périodes : de l’enfance prodige à la période brillante du pianiste nomade, les années majeures à Weimar, et celle

Liszt résonne, sous les doigts de Rigutto, avec une rare profondeur. Son jeu ardent rayonne dans les pages de jeunesse, lorsque le compositeur partait à la conquête de l’Europe (Sonnets de Pétrarque), s’assombrit à souhait dans Funérailles, La Notte ou Lugubre gondole n°1, s’enflamme (Méphisto-Valse) ou se dépouille (Nuages gris, En rêve)…J.F

et l’œuvre révolutionnaire du Hongrois, grand voyageur européen, pourrait sembler dispersé, mais qui génère, en fait, une improbable unité. J.F

Franz Liszt Jean-Yves Clément Actes Sud / Classica, 18 €

de l’abbé vieillissant. Des chapitres analytiques s’intercalent avec à propos dans cette chronologie suivant trois axes musicologiques relatifs à ses œuvres pour piano, symphoniques et vocales. J.F.

Franz Liszt Isabelle Werck Bleu minuit éditeur, 20 €

CD Lyrinx LYR 112


DISQUES71

ou réédités !

Credo

«Il faut donc bien le constater : malgré la belle tenue des études lisztiennes, la gêne est partout palpable en ce qui concerne la question religieuse. Rien d’étonnant : le sentiment religieux qui se trouvait déjà en contradiction avec le temps de Liszt, l’est plus encore avec le nôtre». Alain Galliari pose en ces termes les bases d’une approche biographique peu abordée dans la vaste production musicologique sur le pianiste, compositeur qui se fit abbé la cinquantaine venue (provoquant des commentaires sarcastiques). L’auteur dépasse la contradiction apparente d’une vie duelle : une jeunesse galante éloignée de l’idée de vertu défendue par l’église, au regard d’une vieillesse toute de contrition charitable. De fait, l’auteur défend l’idée que le désir qu’éprouvait Liszt de se donner à Dieu ne l’avait jamais quitté depuis sa jeunesse «quoique sa vie d’artiste l’eût amené sur un chemin tout autre». L’ouvrage chronologique est très argumenté : il s’appuie sur des textes historiques, témoignages, manuscrits (son «testament» de 1860 en particulier), revient sur une vocation précoce, avortée à l’age de 17 ans. Il se nourrit des deux grandes passions féminines qui influencèrent le musicien (Marie d’Agoult et Carolyne Wittgenstein), mais aussi du monde des idées qui ébauchèrent sa pensée : de Saint-Simon à Lamennais ou la franc-maçonnerie… Débordant du cadre musical, Galliari commente certains thèmes de la croyance de Liszt : l’amour de la Croix, le mystère de la mort, le péché et la sainteté, jusqu’au Bon Larron… Éclairant ! JACQUES FRESCHEL

Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron Alain Galliari Fayard, 22 €

2011, année Tomasi

Il y a quarante ans disparaissait Henri Tomasi (1901-1971). Depuis, grâce à l’obstination de proches, musiciens, journalistes, musicologues, son œuvre lumineuse retrouve les feux de plateaux qu’elle n’aurait pas dû quitter. En même temps que le radicalisme avant-gardiste de la seconde partie du 20e siècle passe de mode, on redécouvre des factures certes plus classiques, mais nondénuées d’expression, de savoir-faire et de talent. 2011 fournit donc l’occasion d’entendre derechef des opus du musicien corse adopté par Marseille. Ainsi le 5 février à l’Opéra de Marseille (voir p 36) a-t-on ouï des pièces de sa musique de chambre. Le 6e Concours de Quintette à Vent lui est également dédié (du 21 au 25 fév à la Cité de la Musique de Marseille). Cette commémoration est couronnée par un concert de l’Orchestre de Radio-France (dir. Wyung-Whun Chung) à Paris où l’on entend son Concerto pour trompette (le 4 mars à Pleyel) quand, à l’Opéra de Marseille, Emmanuel Rossfelder

joue son Concerto de guitare à la mémoire d’un poète assassiné, Federico Garcia Lorca (le 14 mai)... Comme on n’est d’ordinaire que peu prophète en son pays, c’est en Allemagne (Trio d’anches d’Hambourg, German Strings dirigés par Olivier Tardy) qu’on exhume ses trois magnifiques Concertos pour hautbois (Nicolas Thiébaud), basson (Christian Kunert) et clarinette (Rupert Wachter), ainsi que le Divertimento Corsica. Tout un langage immédiatement abordable, nourri par la Méditerranée, un lyrisme sensuel au chant naturel, à l’harmonie opulente, la texture orchestrale étincelante… et qui vise le cœur ! JACQUES FRESCHEL

CD Farao classics B108062

Rossini napolitain Sur la quarantaine d’opéras composés par Rossini, seule une poignée est couramment représentée, avec pour figure de proue Le Barbier de Séville. Nombre d’entre eux ont disparu du répertoire depuis la moitié du 19e siècle, peut-être à cause de la virtuosité technique, des tessitures larges qu’ils exigent, pour les mezzos et ténors qui ont pris le pas, à la fin du 18e siècle, sur les voix baroques. C’est à Naples, où neuf des ses opéras ont été montés entre 1815 et 1822, que Rossini a connu une troupe extraordinaire de chanteurs emmenés par la Colbran. PaulAndré Demierre ouvre des perspectives historiques et

documentées sur les représentations théâtrales au San Carlo, ainsi que sur l’art vocal, orchestral, l’interprétation et le chant rossinien. J.F.

Aux éditions Papillon www.editionspapillon.ch

Et maintenant le chaos Les Monstroplantes contre DR Larsen ? Non, ce n’est pas un film de série Z ou le retour du dessin animé Jayce et les conquérants de la lumière (on croisait ces espèces mi-végétales mi-animales sorties d’un laboratoire…) mais bien d’un objet sonore non identifié. Ils ont débité comme une fanfare brûleuse de planches mais désormais le collectif lyonnais agrège des musiciens d’univers divers et variés, et visiblement les Monstroplantes sont imbibés de SF, version Comics ! Au nombre de neuf si l’on compte le préposé aux sons en tous genres d’une musique véritablement mutante, les membres de ce groupe omnivore présentent douze titres, un remix et un inédit live dans une ambiance funky soul

survitaminée et pleine d’énergie rythmique. Jazzy à souhait avec une section cuivres omniprésente, mais les scratches et les boucles ne sont pas en reste. Ils concoctent un surprenant revival arachnéen avec Spiderman VS les Monstroplantes funky pur et dur où le déhanché fait office de dogme ! FRÉDÉRIC ISOLETTA

Les Monstroplantes / Épisode N°1

Check point «Chanter dans différentes langues est un premier pas quant à l’intégration culturelle». La charismatique chanteuse Sista K explique tout naturellement le choix de Radio Babel, nouvel album des cosmopolites Watcha Clan. La musique a le pouvoir de passer à travers les frontières, et les quinze titres (+ une vidéo) corroborent ce pouvoir du son et des mots à outrepasser les cloisons culturelles, de l’Orient proche à l’Est européen en passant par le sud de l’Europe, sans oublier de se ressourcer à certains fonds électro très bien pensés (Fever is rising). Avec le concours du génial oudiste Mehdi Haddab, le casting multiculturel prend son envol et laisse à point nommé son

empreinte dans un registre qui a besoin de renouveau. La présentation de ce petit joyau à l’Affranchi le 25 fév et un mois plus tard (le 26 mars) sur la scène du bien nommé Babel Med Music aux Docks des Suds donnera l’opportunité de découvrir en live son énergie effervescente. F.I.

Radio Babel Watcha Clan Piranha –Free Promo Disc


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LIVRES/ARTS

Périls en la demeure

À l’heure du formatage mondial, les Habitants atypiques ne sont pas toujours les bienvenus. On est en droit de s’interroger (seraient-ils les derniers irréductibles gaulois ?), de réfléchir plus largement à la question du droit inaliénable au logement et, plus particulièrement, à cet habitat synonyme d’indépendance et de liberté auquel Alexa et Irène Brunet consacrent un ouvrage. Quatre années de voyage «à la rencontre des bâtisseurs de tous poils» et des centaines de clichés plus tard, elles racontent l’inventivité, la précarité, l’incompréhension des riverains, la démarche éco-responsable, la naissance d’un nouveau patrimoine à travers des portraits à triple détente. Les photographies d’Alexa Brunet témoignent d’un choix architectural comme d’un mode de vie, revue de détails et de mises en situation, intérieurs-extérieurs, avec ou sans les auto-constructeurs. Iconographie

vivante qui trouve un écho contrasté dans les illustrations de Maude Grübel en ouverture de chaque séquence : ses planches révèlent les lignes de force de chaque «maison» dans ou hors de son environnement naturel ou urbain. Oui, il existe au cœur des villes, comme à Brest, des empêcheurs de tourner en rond comme autant de manières différentes d’habiter le monde… Souvent décalés, les courts textes d’Irène Brunet saisissent l’ambiance, creusent l’intimité, fouillent les âmes, personnalisent l’édifice, condensent quelques bouts de vies avec humour, tendresse et quelques saillies parfois… Bref, roulottes, maisons sur pilotis, huttes éphémères, yourtes ou habitat troglodyte : dis-moi où tu habites, je te dirais qui tu es ! MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Habitants atypiques Alexa Brunet, photographies et Irène Brunet, textes Préface de Joy Sorman, illustrations Maude Grübel Images en Manœuvres, 25 €

Hors champ et grand écart Deux ans après son exposition à la galerieofmarseille, le Bureau des compétences et désirs publie Story Mapping de l’artiste vidéaste franco-marocaine Bouchra Khalili, trip en gris-noir-rouge-blanc raconté par Philippe Azoury (Mobiles), Pascale Cassagnau (Les cartographies aléatoires ici et là-bas), Omar Berrada (Le contraire de la voix-off). Leurs écrits fonctionnent sur le même principe que les vidéos de Bouchra Khalili où les «images et les sons taillent leur route séparément». Des voix hors champ, pas off, qui disent les strates enfouies derrières les images, leur montage et leur collure : signes, frontières physiques ou imaginaires, passages, clandestinité, expériences humaines. Et la traversée toujours, épine dorsale d’une œuvre écrite à la source d’une enfance nomade. Qu’il s’agisse des films Anya et Straight Stories. Part 1 ou des installations vidéos comme Circle Line, son travail naît de l’intrication d’éléments réels et fictionnels, se construit à partir d’un récit et d’une parole, se conceptualise,

élabore une narration, avant de donner corps à une partition filmique subjective. Le découpage déséquilibré du livre entre textes, photos tirées de ses œuvres et photos pleine page de ses exhibitions en France et à l’étranger rend compte de l’impossibilité à classifier son œuvre, à la lisière du cinéma, de la vidéo, du documentaire, du reportage… Philippe Azoury ignore quel est le meilleur espace pour la présenter : la salle de cinéma «qui impose la vision bloquée» ou la galerie qui «pose la question d’une distance cultivée» ? rêvant même d’une devanture de vitrine… En attendant cette rencontre inopportune, ce livre est l’occasion d’une autre traversée. M.G.-G.

Story Mapping Bouchra Khalili Co-édition Bureau des compétences et désirs, Nouvelles Donnes productions/Les objets en plus, 14 €

Post it L’œuvre-livre de Vincent Bonnet, Pense • bête, opère délibérément un changement de statut du livre en posant la question de son rapport au medium photographique, transformant un recueil lambda en imagier répétitif dans sa combinaison interne, entêtant dans l’alternance de bandes blanches, muet par l’absence de repères. Aucun commentaire aucune date aucune référence. Seul un texte manifeste de Jean-Marie Gleize court le long de la couverture et zigzague entre les mots : lignes, polaroïd, écran, «à la recherche de l’image nue (moins le son), de l’écran nu (moins l’image)», graphie colorisée, chromos lavés. La liberté est immense ! À nous de folâtrer entre les photos opérées entre 2010 et 1995 avec la tentation d’en repérer certaines car l’artiste est prolixe et régulièrement exposé. Extraites des séries Des conversations et

On ne vit qu’une fois vues à La Compagnie ? dans la vitrine de la galerie Où dans le cadre d’un projet avec Les Instants Vidéos Numériques, l’Atelier Ici et La Maison du Chant ? à moins que ce ne soit à Puyloubier pour son exposition Liquidations avec Voyons voir… Qu’importe, ce tout en image composite est un pur concentré de ses théories et de ses recherches plastiques sur l’image - Vincent Bonnet prépare une thèse d’esthétique sur la littéralité de l’image - et un jeu de piste entre ses multiples travaux : contributions à des revues artistiques, éditions de cartes postales ou d’affiches, actions dans l’espace public… Toutes d’une hyper efficacité, comme ce livre nu (moins le mot). M.G.-G.

Pense • bête Vincent Bonnet Éric Pesty éditeur, 18 €


20 par 2 mn «Le projet de notre association est depuis l’origine de promouvoir l’œuvre des artistes plasticiens travaillant dans la région Paca, de différentes pratiques, qu’ils soient reconnus ou non» rappelait Jacqueline Reynier de Contre Vents et Marées lors de la présentation de leur nouveau Dvd Instants d’Art volume 2 aux ABD de Marseille. La série Instants d’Art a été conçue dans cette intention avec un premier Dvd paru en 2004 réalisé par le cinéaste Jean-Michel Perez. Celui-ci a reconduit le protocole minimaliste du précédent opus : deux minutes pour chacun des vingt artistes, filmés pour la majorité dans leur atelier, mouvements de caméra au minimum, sans commentaire autre que celui offert par l’artiste lui-même, apports choisis et discrets au montage image/son. Ce dispositif dépouillé évite toute intrusion ou brouillage dans la compréhension des démarches et des œuvres et renforce l’empathie envers celles-ci et leurs créateurs. Instants d’Art s’offre ainsi comme une succession de rencontres, une mise en bouche incitant à découvrir plus avant vingt esthétiques portées selon différents médiums parfois mêlés, de la peinture (Ceccarelli, Surian, Fabre, Balthazar, Fages, Thébault) à la sculpture/installation (Coadou, Agate,

Goulois, Luu, Duskova), la céramique (Larpent), le dessin (Houssin, Gouvernet), photo et vidéo (Hetzel, Galle, Duchatelet, Lejeune, Nahon), la poésie visuelle (Lenzi). Cependant le budget de fabrication réduit impose l’absence de livret : seulement quelques renseignements d’usage en quatrième de couverture avec la liste des vingt artistes ! Léger en mains, l’objet fait un peu cheap et un peu chic : titre en découpe, la couverture cartonnée souple est d’un blanc nacré séduisant. Les meilleurs instants sont à l’intérieur… CLAUDE LORIN

Instants d’Art volume 2 Les films de Nemo, Contre vents et marées, 10 €

Total manga Le manga, et la bande dessinée japonaise font l’objet de nombreuses études. Mode d’expression graphique protéiforme, phénomène social, objet consumériste et industriel planétaire, le manga révèle «les évolutions de la société et des mentalités collectives japonaises» comme ses réceptions par les différents groupes sociaux à l’étranger. Spécialiste du Japon contemporain, passionné de ce médium populaire (il est fondateur du réseau de recherche Manga Network auquel est renvoyé le lecteur pour certaines précisions) Jean-Marie Bouissou nous livre une étude approfondie et lourdement documentée. Pour ce faire il croise les différents domaines d’analyse : esthétique et sémiologie de l’image, linguistique, histoire et sociologie, économie et politique, philosophie, psychanalyse. Mais bien que redevable à la méthode universitaire ce travail, qui veut visiblement faire obtenir des lettres de noblesse au genre, constitue en tous points une plongée captivante en eaux profondes d’un mode d’expression souvent constaté comme stéréotypé et vecteur d’acculturation. Mais n’en était-

il pas déjà ainsi dès les années soixante lorsque les chercheurs se sont intéressés à la bande dessinée occidentale dans les labos des universités ? C.L.

Manga Histoire et univers de la bande dessinée japonaise Jean-Marie Bouissou Philippe Picquier, 19,50 €


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RENCONTRES

Libraires du sud /Libraires à Marseille - 04 96 12 43 42 Rencontres avec le pasteur Frédéric Keller et le père Paul Bony sur le thème : 50 ans de traduction œcuménique de la Bible, le 17 fév à 18h30 à la librairie Saint Paul (Marseille) Avec René Lenoir et son fils Frédéric pour une conférence, suivie d’un débat, sur le thème Quelles valeurs universelles pour surmonter la crise mondiale, le 24 fév à 20h30 à la Manutention (Embrun) Itinérances littéraires : rencontre avec Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian pour Nos terres d’enfance L’Arménie des souvenirs (Parenthèses, 2010), le 16 fév à 17h30 à la librairie Prado Paradis (Marseille), le 17 fév à 18h30 la librairie La Carline (Forcalquier), le 18 fév à la librairie Masséna (Nice) ; avec Mathias Énard pour Parleleur de batailles, de rois et d’éléphants (Actes Sud), le 9 mars à la librairie Maupetit (Marseille), le 10 mars au Forum Harmonia Mundi (Aix), le 11 mars à la librairie Actes Sud (Arles). AIX Bibliothèque Méjanes – 04 42 91 98 88 Rencontre-débat, animée par Nathalie Guimard de l’association Fotokino, avec Aline Ahond, réalisatrice de courts métrages en animation, photographe, auteur-illustrateur de livres jeunesse aux éditions Mémo et Mango, le 2 mars à 16h. Fondation Vasarely – 04 42 20 01 09 Ateliers d’arts plastiques pour les enfants autour des notions de formes et de couleurs, les 22, 24 et 25 fév de 14h30 à 16h30, et les 1er et 2 mars de 14h30 à 16h30. Centre aixois des Archives départementales – 04 42 52 81 90 Dans le cadre de la Journée internationale des femmes, regard sur CarmenSeitas et les femmes ouvrières : performances autour de la pièce d’Edmonde Franchi, Carmenseitas, avec les comédiennes, le 9 mars à 18h30 ; débat sur la femme et le monde du travail animé par les comédiennes et les historiens Philippe Mioche et Robert Mencherini, le 9 mars à 19h30. ARLES Atelier Archipel – 06 21 29 11 92 Exposition de Sarah Dorp, sculptures, installations, du 6 au 27 mars. Musée Arlaten – 04 90 93 58 11 Programmation hors les murs : Ethno’ balade : Sur la trace des marins dans le quartier de la Roquette, dès 14h30 le 16 fév. AUBAGNE Médiathèque - 04 42 18 19 90 Du 26 fév au 12 mars, installation participative de Marie-Pierre Florenson, photographe : médiathèque, un espace et ses mondes. Des photogra-

AU PROGRAMME

phies de lecteurs seront présentées sous forme de mosaïque, et les visiteurs pourront choisir une citation sur la lecture et la placer sous l’image de leur choix. Le 26 février de 15h à 17h, café-rencontre avec Marie-Pierre Florenson. GAP Litera 05 – 04 92 51 13 96 Livres nomades, rencontrer des livres, des lecteurs, des écrivains : rencontre avec Denis Grozdanovitch pour son livre Rêveurs et nageurs (éd. Points, 2007) et son dernier ouvrage La secrète mélancolie des marionnettes (L’Olivier, 2011), le 9 mars. ISTRES Centre d’art contemporain intercommunal – 04 42 55 17 10 Exposition de Bruno Peinado, Les trois princes de Sérendip, près de la fontaine moussue. Du 18 fév au 3 avril. LA SEYNE Les Chantiers de la lune – 04 94 06 49 26 Exposition de Rustha Luna, Armée de femmes, jusqu’au 12 mars. MARSEILLE La Marelle/Des auteurs aux lecteurs – 04 91 05 84 72 Lieu de résidences d’auteurs, de rencontres et de productions littéraires : François Beaune entame une résidence qui prendra fin mi-juillet. Dans le cadre du programme Entre les lignes, rencontre avec Maïssa Bey, le 4 mars à la médiathèque Louis Aragon à Martigues ; rencontre avec Maïssa Bey le 2 mars à la librairie Le Grenier d’abondance à Salon. CIPM – 04 91 91 26 45 Exposition Claude Royet-Journoud, The Time Literary Supplement, jusqu’au 19 mars. Black Mountain College, présentation des dernières traductions de Robert Creeley et Charles Olson, avec J. Daive, M. Richet, Auxemery et S. Bouquet, les 18 et 19 fév. Import/export – Bombay-Marseille, le retour : 2e session, à Marseille, après Bombay en sept 2010, de l’atelier de traduction mené par 3 poètes indiens et 3 français, Sampurna Chattarji, Mustansir Dalvi, Hermant Divate, Franck André Jamme, Danielle Mémoire et Caroline Sagot-Duvauroux. Institut Culturel Italien – 04 91 48 51 94 Exposition Il Risorgimento histoire de l’unità, personnages, batailles et allégories de l’Italie unie organisée en collaboration avec Le Museo Centrale del Risorgimento de Rome, du 22 fév au 31 mars. Exposition des photos prises sur les plateaux des films de Pupi Avati, du 1er mars au 19 avril. Conférence d’Angelo Vergari sur La

danse aujourd’hui en Italie et en France, le 3 mars à 18h. Conférence de Raffaele de Ritis, historien du spectacle populaire, sur le cirque, le plus grand spectacle du monde, le 17 fév à 18h. Echange et diffusion des savoirs – 04 96 11 24 50 Conférences à l’Hôtel de région à 18h45 : Charles Malamoud, indianiste, sur Vérité, fiction, connaissance : que nous dit l’Inde ?, le 3 mars ; Henri Atlan, bilogiste et philosophe, sur La fraude, demi-vérités et mensonge total, le 10 mars. BMVR Alcazar – 04 91 55 90 00 Exposition de Marcel Bataillard, Narcisse, Méduse, Icare, Sisyphe, le peintre aveugle et autres mythes, jusqu’au 26 fév. Exposition Planète mode : modèles sur mannequins créés par les sections Mode des lycées d’enseignement professionnels et par les jeunes créateurs indépendants, jusqu’au 26 fév. Galerie Juxtapoz – 09 51 23 10 09 Exposition de l’artiste peintre Virginie Biondi, jusqu’au 2 mars. Regards de Provence – 04 91 42 51 50 Retrospective Félix Ziem, jusqu’au 22 mai au Palais des arts de Marseille. ABD Gaston Deferre - 04 91 08 61 00 Om al hikaya, la mère des histoires : spectacle littéraire proposé dans le cadre de l’exposition Un lieu des liens, de Lamine Diagne, comédien et musicien, inspiré des contes de la Tunisie, accompagné du chant des tisseuses berbères et des paysages sonores tunisiens, le 23 fév à 14h30 dans l’autorium Dans le cadre de Marseille la Méditerranéenne, table-ronde sur Progrès techniques et conflits d’intérêt : l’exemple des Arméniens et des Catalans, avec Olivier Raveux et Daniel Faget, le 17 fév à 18h30 ; conférence de Jocelyne Dakhlia, directrice d’études à l’EHESS-CRH, sur Langue, commerce et cosmopolitisme, le 10 mars à 18h30. Dans le cadre de Ces étonnants archivores, balade-atelier avec Nicolas Mémain à Saint-Mauront, quartier marseillais extra-pur, le 26 fév de 10h à 16h30. Dans le cadre de la Journée internationale des femmes, regard sur CarmenSeitas et les femmes ouvrières : expo sur l’histoire d’une manufacture des tabacs de 1890 à 1990, du 1er au 7 mars ; performances autour de la pièce d’Edmonde Franchi, Carmenseitas, avec les comédiennes, le 7 mars à 18h30 ; débat sur la femme et le monde du travail animé par les comédiennes et les historiens Philippe Mioche et Robert Mencherini, le 7 mars à 19h30. Association pour l’Intégration des personnes en situation de Handicap – 04 91 13 41 30 Exposition réalisée en collaboration de Jean-Jacques Surian : Regards, gestes et signes, jusqu’en mai.

Art-Cade – 04 91 47 87 92 Archipélique 3 : l’ESBAM présente une sélection des travaux de la promotion 2010 des options Art et Design dans 3 galeries de la ville : Montgrand, galerie de l’ESBAM et galerie des Grands Bains Douches, jusqu’au 25 fév. Alphabetville – 04 95 04 96 22 Le 8 mars à 18h30, Jean-Paul Fourmentraux présente Art et Internet (éd. CNRS), Anne Laforest présente Le net art au musée. Stratégies de conservation des œuvres en ligne (éd. Questions théoriques). Office du tourisme et des congrès – 0826 500 500 Activités pour les enfants : jeu de piste Entre pierre et mer : itinéraire pédestre autour du Vieux-Port à la découverte des sculptures de façades sur le thème de la mer, les 10 et 23 fév et le 3 mars ; chasse au trésor autour du Vieux-Port, les 19 et 26 fév et 12 mars ; visites du stade vélodrome, du 28 fév au 11 mars. MARTIGUES Musée Ziem – 04 42 41 39 60 Exposition De la réalité au rêve, l’objet ethnographique et sa représentation, du jusqu’au 12 juin ORANGE Librairie l’Orange bleue – 04 90 51 78 59 À l’occasion de la journée de la femme, lecture d’extraits du dernier essai de Christine Bard, Une histoire politique du pantalon (éd. Seuil) par la compagnie Labo T., le 11 mars à 19h. SAINT-VINCENT-SUR-JABRON Association Terre d’encre – 04 92 62 08 07 Veillées d’écriture : deux ateliers d’écriture séparés et reliés par un repas, de 19h à minuit les 25 fév et 18 mars à la salle Gonsaud TOULON Compagnie Les Bijoux indiscrets – 06 42 12 32 31 Dans le cadre du 1er festival musical Présences féminines, conférences, au Conservatoire national, de Florence Launay, historienne de la musique, sur Les compositrices françaises de 1789 à 1914, le 11 mars à 18h, et de Bertrand Porot, musicologue, sur Être femme musicienne sous l’ancien régime, le 12 mars à 14h30. TRETS Maison de la culture et du tourisme – 04 42 61 23 75 17e journée des écrivains de Provence : rencontres et dédicaces avec notamment Gilles Ascaride, Henri-Frédéric Blanc, Sylviane Reboul, Serge Scotto, Jean Contrucci, André Fortin, Maurice Gouiran… Le 13 mars au Château des Remparts.


Esquisses d’exquises vacances des skis ? Février ne fait pas fièvre de ferveurs scientifiques et techniques. Rien sur la glisse ! Ceci permet de glisser un mot sur certaines associations sur lesquelles parfois nous dérapons faute de blancs espaces

Levez le voile sur Petits Débrouillards

L’Association Les Petits Débrouillards a été créée il y a sept ans à Marseille sur la conviction que la culture scientifique et technique apporte une contribution fondamentale à l’éducation et à la formation des citoyens. Culture qui «ne peut s’acquérir que par la pratique, l’échange, le débat et ce à tout moment de la vie et en étroite liaison avec le quotidien». À cet effet, l’association s’emploie à favoriser auprès de tous, et plus particulièrement des enfants et des adolescents, l’intérêt pour les sciences et techniques. Pour faire accéder le plus grand nombre à la connaissance et la pratique, elle fait appel à tous les moyens pédagogiques en privilégiant la démarche participative, expérimentale et ludique. Cette association n’accueille pas de public dans ses locaux mais intervient dans diverses structures de toute la région pour démontrer que la science n’est pas réservée aux seuls spécialistes et qu’elle est omniprésente dans notre vie quotidienne. En 2002, l’association a ouvert une antenne dans le Vaucluse désormais localisée à Caumont sur Durance près d’Avignon, puis une antenne varoise à Toulon en 2003. L’association cherche en permanence de nouveaux «animateurs scientifiques». Sa prochaine formation se déroulera du 23 au 28 avril en internat dans le Vaucluse. Pour tout renseignement : www.lespetitsdebrouillardspaca.org/spip.php?page=calendrier&id_evenement=48 Siège social et Antenne Bouches du Rhône : Frais Vallon, Marseille 13e 04 91 66 12 07 / 06 16 43 01 88

Brevet supérieur ?

Dans le cadre de son cycle de conférences Horizon des savoirs qui a pour thème cette année «peut-on faire l’économie de la science ?», Christophe Bonneuil, chargé de recherche au CNRS au centre Alexandre Koyré de recherche en histoire des sciences et des techniques et («sous réserve» ?!) Fabienne Orsi, économiste, chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement [IRD] exciteront nos inquiétudes à propos de «l’appropriation» du vivant à l’échelle de l’ADN ou de la remise en cause de l’accès des populations les plus pauvres du monde aux médicaments. Doit-on pour autant remettre en cause les brevets qui sont devenus des éléments incontournables de la recherche, de l’innovation et de l’industrie ? Graves questions abordées dans la conférence : «Vers une privation de la connaissance ? Médicaments, vivant : les brevets ont-ils tous les droits ?». Espace Ecureuil, Marseille 6e, le 15 mars 2011 à 18h30

CONCOURS AGGLOPOLE PROVENCE Service culture – 04 90 44 77 41 Dans le cadre de la 6e édition de la manifestation Lire Ensemble qui aura lieu du 1er au 16 avril, lancement des concours de nouvelles et de marque-pages, dont la date limite d’envoi est fixée au 1er mars : concours adulte, ouvert à toute personne de plus de 18 ans n’ayant jamais publié sur le thème Bleu(s) à l’âme ; concours jeunes sur le thème Peur bleue(s), concours de marque-pages pour les enfants de 3 à 8 ans et de création de poésie libre illustrée pour les enfants de 8 à 11 ans sur le thème du bleu. MARSEILLE Couleurs Cactus – 06 98 72 29 07 Dans le cadre du 3e Festival du livre de la Canebière qui aura lieu en juin : concours de nouvelle sur le thème Vers d’autres rivages ouvert à tous les auteurs n’ayant jamais publié. Date limite d’envoi, par courrier et mail) le 2 mai. Appel à candidature pour une œuvre d’art originale, en volume, destinée à l’espace public, date limite de réception des dossiers de candidatures le 28 fév. FAIAR Cité des Arts de la rue – 04 91 69 74 67 Appel à candidature pour la 4e promotion, date limite de remise des dossiers fixée au 31 mars. SIMIANE-COLLONGUE OMC – 04 42 22 81 51 Concours de nouvelles sur le thème L’enfance, un droit ? 3 critères à développer : l’art descriptif, l’art du dialogue et l’art de faire passer des émotions et son ressenti. Forme libre, ouvert aux non professionnels. Exposition des textes et remise des prix le 14 mai lors de la Fête des tout-petits. Date limite d’inscription : le 6 mars.


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HISTOIRE

ÉCHANGE ET DIFFUSION DES SAVOIRS

Franco Farinelli, géographe italien de son état, était convié à s’exprimer sur les bouleversements actuels de la cartographie La cosmogonie grecque pensait la distinction à partir de trois entités originelles : Ciel, Terre, Océan permettent de sortir du chaos où tout est confusion. L’union du Ciel et de la Terre entraîne le don d’un manteau qui recouvre Chton (terre) et sur lequel on peut distinguer montagnes et fleuves, ses formes dessinées : elle change alors de nom et devient Gê. Dans la pensée occidentale, ce manteau implique symboliquement que l’on ne connait pas les choses mais seulement leur forme. Anaximandre (VIIe s avant J.-C.), lui, construit la première carte géographique de la terre, en bronze. Il fixe les choses et, en contrepartie, en interdit le changement.

État et perspective Cette méditation sur l’espace conduit, plus tard, à une autre construction, celle de l’État moderne. Comme la carte, il est né de la logique géométrique, et réduit la réalité à l’espace. Il est continu, c’est-à-dire que son territoire tient en un seul bloc. Il est homogène, autrement dit peuplé de gens d’une même culture. Il est isotropique, centré

La carte et le territoire

monde est un regard spatial, un monde qui se transcrit par la carte.

Monde sphère

Decouverte de l'Amerique Christophe Colomb debarque sur l'ile de San Salvador en 1492

autour d’une capitale. Ainsi, la notion d’espace remplit le cadre de pensée occidental. Elle émerge réellement à partir de la renaissance italienne. À Florence, au XVe siècle, Brunelleschi édifie le portique de Lo spedale degli innocenti. Il rompt avec le passé et impose ce que nous appelons, depuis, la perspective : le sujet, immobile, voit instantanément ce qu’il a devant lui, et, d’un seul coup d’œil, embrasse ce qui est visible. La relation du sujet avec la réalité en est changée : entre l’être et l’objet naît une distance, mesurable, qui permet de connaître, et l’œil tient la place essentielle dans cette appréhension. Les villes, l’urbanisme, reprennent ce modèle florentin : on construit et l’on perçoit selon la géométrie linéaire. Lorsque Christophe Colomb découvre l’Amérique, il décrit sa vision comme un point qui apparaît sur l’horizon : un point de fuite, celui-là même qui règle la perspective moderne. La découverte du nouveau

Aujourd’hui, nos conceptions sont bouleversées par l’informatique : l’espace et le temps se confondent. Les lieux s’inscrivent comme une série de points indépendants. Mieux, avec le Web, tout tient dans un seul lieu, la distance s’est anéantie dans l’immédiateté. La globalisation a fait de l’espace une annexe dans l’explication du fonctionnement du monde. La terre de carte est devenue sphère, et la sphère ne peut être réduite à la carte car certains points disparaissent. C’en est fini d’une mondialisation constituée de flux et organisés par des points, les villes, sur la surface de la terre. Notre fonctionnement économique crée une instantanéité des événements et supprime, de ce fait, la distance du sujet à l’objet. Dans notre mondesphère, nous avons les objets en face de nous sans pouvoir les reconnaître. Tous les points y sont à la même distance, et en mouvement, en même temps, contrairement à l’organisation de la perspective. Comment alors se représenter et décrypter le monde actuel ; comment alors éviter les crises ? Même soutenu, le débat n’apporta pas de réponse. RENÉ DIAZ

La crise de la raison cartographique, conférence du 3 février

Un magistrat à la voix claire Quel orateur, ce Denis Salas ! Une conférence d’une heure et demie que l’on ne voit pas passer, un propos lucide, nuancé et convaincant... Cette fois encore un intervenant du cycle Échange et Diffusion des Savoirs force le respect. Frisson, lorsque le magistrat évoque Mama Galladou, immolée en 2006 dans un bus marseillais par une bande de jeunes incendiaires. Une question est alors apparue centrale : la victime demandait à connaître la vérité, elle voulait savoir qui avait jeté le chiffon imbibé d’essence. Or «le droit n’a pas besoin d’aller chercher cette vérité-là», puisque tous les jeunes étaient reconnus «co-auteurs» des faits. La vérité judiciaire «n’est pas un fait, une donnée accessible ; elle est toujours de l’ordre du récit, de la représentation, du témoignage.» C’était aussi la demande des familles lors de l’affaire des hormones de croissance ; même sans condamnation pénale, les accusés sont confrontés aux

victimes, «et ce n’est pas rien, cette confrontation cognitive, cathartique.» C’était le cas lors des procès des dignitaires nazis après-guerre, lorsqu’il a fallu identifier l’inextricable faute, car du côté de l’accusation on attendait la réponse de la justice à l’irréparable, une narration intelligible, la qualification des actes. «Les mots du droit se posent sur des crimes sans nom.» Denis Salas questionne la preuve, le passage du temps de l’écrit, du dossier, à celui du débat contradictoire où «l’oralité des débats secoue l’écrit», l’intime conviction, et décrit le mécanisme de l’erreur judiciaire «cristallisée sur une vérité emportant tous les acteurs de la justice dans son sillage.» L’affaire Outreau a laissé des traces, et le magistrat souligne l’articulation délicate entre l’intérêt des victimes et celui des prévenus, autour de la notion de vérité. Il nous dit le rôle des médias dominés par l’émotionnel, l’importance cruciale d’avoir une

justice indépendante face aux compromissions politiques et aux intérêts financiers. Parle de démocratie, autre frisson... Et revient à Mama Galladou, qui a eu sa réponse lorsque l’un des jeunes incendiaires a fini par avouer. «Cette demande des victimes a un sens. Jetées hors de l’humanité, avec un corps souillé, elles espèrent une part d’humanité chez leurs agresseurs, qui leur permette de retrouver la leur. Mettre un visage, un nom sur cette violence anonyme. Cette demande inédite de vérité est le défi que la justice doit relever.» Une part d’irréparable demeure, seulement on peut alors se dire : c’est toujours un monstre, mais il appartient au genre humain. GAËLLE CLOAREC

Qu’est-ce que la vérité judiciaire?, conférence du 27 janvier


ABD GASTON DEFFERRE | LE PHARO

Tenir aux autres

La Bibliothèque Départementale des Bouches-duRhône héberge jusqu’au 16 avril une exposition magnifique. Magnifique, parce que ce que l’on y voit est beau : les photographies sont expressives, bien cadrées, bien construites, et les textes, maquettes et illustrations sont tous de grande qualité. Mais elle est surtout magnifique par ce qu’elle offre généreusement : un accueil et une chaleur humaine rares. La scénographie inventive et empreinte de sens du détail invite au voyage tout autant qu’à s’attarder auprès de chacune des personnes rencontrées. Dépaysement : le «bled» est loin, on est invité à s’y rendre via différents itinéraires, par le Sahara et les oasis ou par la côte. De Bou Saad, petit village du sud tunisien, on dirait que les artistes ont tiré la substantifique moelle ; riche idée d’associer images fixes et sons ! Quelques réglages techniques et l’iPod gracieusement prêté à l’accueil nous transporte à l’ombre d’un palmier. Des enfants © S. Keller

s’ébattent, un mécanicien fait vrombir un moteur (la 404, le dromadaire du désert), l’instituteur du village murmure, un slammer écrit à sa mère et une vieille dame évoque le passé en caressant son chat. Il est aisé de s’attarder ici ou là, selon qu’un visage soudain se met à nous parler intimement, ou qu’un objet détourné de sa fonction première avec ingéniosité aura retenu notre regard : ah, poésie des coussins-millefeuilles en boîtes d’œuf, du kanoun fait avec une jante en métal ! On est loin de notre culture de l’abondance et du gaspillage…

Au-delà du bled Car cette exposition nous parle aussi, par hasard (mais les coïncidences ont souvent du sens), de la révolution tunisienne. Conçue avant les événements, les portraits de Ben Ali y apparaissent au détour des images, la pauvreté s’affiche aussi, les conditions de vie qui fleurent la misère, et puis ce mot, «bled», et son histoire, qui d’un terme © S. Keller

HISTOIRE 77

Arabe connotant l’attachement et l’appartenance a fait, en Français des colonisateurs, un mot péjoratif et méprisant… L’exposition élargit son champ, passe les frontières. Du récit et de la musique partout, de vieux écouteurs en bakélite, une chanson de Pigalle, Dors petit bled, plus loin quelques portraits en pied et la possibilité d’entendre chaque homme et chaque femme vous livrer son histoire dans le creux de l’oreille. Voilà la cornemuse traditionnelle dite «mezwed», dont le nom signifie viatique, la provision que l’on emporte pour la route ; elle est arrivée ici au temps des croisades. Et l’art postal, l’atelier d’écriture, les planches de bandesdessinées... Qui eût cru que le mot «bled, évocateur de grammaire ou de mal du pays, éveille tant d’échos ?» C’est qu’il y en a des choses à voir dans cette exposition, à tel point que l’on se demande si l’on n’a pas réellement été embarqué en voyage, le temps d’une visite ! À l’heure du retour on a encore en tête la voix douce d’un adolescent chantant en arabe le dépaysement. À l’origine de ce beau séjour, deux jeunes gens, Samuel Keller, Michaël Zeidler, partis de la Drôme pour découvrir le monde. Ils l’ont fait avec grâce, pudeur et générosité, et rigueur scientifique. Sans oublier le ludique, pour qu’à tout âge on puisse en profiter. Ne vous en privez pas. GAËLLE CLOAREC

Un lieu, des liens Jusqu’au 16 avril ABD Gaston Defferre, Marseille 04 91 08 61 00 www.biblio13.fr

Écologie de Fos(se) Sous l’égide du commandant de la marine de Marseille, une conférence organisée par Jean Boutier, infatigable animateur et chercheur renommé, a permis d’assister à l’exposé de Daniel Faget spécialiste des relations entre les écosystèmes et les sociétés. Dans le golfe de Fos, dès le XVIIIe, les populations parlent de dépérissement. Dans les archives, le mot «stérilités» traduit l’inquiétude des pêcheurs devant la raréfaction des espèces. Il semble que la «pêche aux bœufs», en fait un chalut, véritable révolution sur les côtes méditerranéennes, ait fortement augmenté les prises mais aussi dégradé les fonds. Parallèlement, seuls les plus fortunés ont pu investir dans les nouveaux bateaux, laissant pour compte les plus modestes des marins. À Marseille les industriels du savon se sont installés sur le quai de Rive Neuve, au début du XVIIIe siècle, et génèrent des résidus acides très corrosifs, les

«cendres» ou «terres» de savonnerie. Ces déchets, encombrants et dangereux, sont jetés dans le port. La protestation des autorités municipales, suite à l’obstruction générée dans le bassin, oblige les savonniers à déverser leurs rejets dans les anses voisines : la Réserve, le Pharo, les Catalans. Autant de zones dévastées pour la faune et la flore ! La troisième source de dégâts provient de l’urbanisation et de tous les détritus que l’on immerge sans précautions. L’ensemble de ces atteintes provoquent une raréfaction des espèces comme le phoque moine ou la datte de mer. Au XIXe siècle, une étape est franchie dans le saccage. La surpêche entraîne une hausse des prix du poisson, la baisse de la consommation au profit des coquillages et, désormais, la confection de la bouillabaisse avec des espèces venues de l’Atlantique, acheminées par le fameux P.L.M ! Les anses se remplissent de «terres» de savonnerie, tandis que l’extension du port vers la Joliette aura l’heureux effet de les faire disparaître dans les nouveaux aménagements. Quant aux eaux usées, abondantes, elles bénéficieront d’un nouvel émissaire, à Cortiou, pour diffuser la pollu-

tion à l’Est de la ville. Ces atteintes au milieu conduisirent la population à une réaction paradoxale : il fallait détruire les prédateurs marins qui menaient une concurrence déloyale ! La Royale et les techniques de guerres furent mobilisées pour détruire dauphins, marsouins et autres phoques ; même la baleine prend place dans le panorama des monstres (en 1870, on exhibe dans les rues de Marseille un cétacé échoué dans une crique du Château d’If) ! Fort heureusement, dans cet âge de ténèbres écologiques, des naturalistes, comme Antoine Marion et Paul Gourret, œuvrèrent pour établir les responsabilités. Prise de conscience ténue mais vouée à de grands développements… On attend avec impatience la sortie du livre de Daniel Faget et la suite de ses développements ! RENÉ DIAZ

Transformations de l’environnement maritime dans le golfe de Fos depuis le XVIIIe siècle, conférence du 20 janvier au Pharo, Marseille


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ADHÉRENTS

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Le 8 mars à 20h30 Le 9 mars à 20h30 pour Un cri Le 11 mars à 20h30 Le 12 mars à 19h30 0811 020 111 Le Sémaphore (Port-de-Bouc) Tarif préférentiel à 8€ pour Hey Mambo ! ou le métier de vivre le 11 mars à 20h30 04 42 06 39 09 Tamdem (Var) 5 invitations pour le concert de The Legendary Tiger Man Le 18 fév à 21h au théâtre Denis (Hyères) pour le concert de Fredrika Stahl le 18 mars à 21h au théâtre Denis 04 98 07 00 70 3bisf (Aix) Entrées et visites gratuites sur réservations 04 42 16 17 75 L’institut culturel italien 3 adhésions annuelles d’une valeur de 32 €, cette «carte adhérent» vous donnera accès à tous les services de l’Institut, médiathèque et programme culturel. Demande par mail : iicmarsiglia@esteri.it ou au 04 91 48 51 94 Librairie Apostille (Marseille 6e) 104 Cours Julien 5% de réduction sur l’ensemble du magasin

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Ont également participé à ce numéro : Yves Bergé, Aude Fanlo, Emilien Moreau, Pierre-Alain Hoyet, Christophe Floquet, Christine Rey, Rémy Galvain, Gaëlle Cloarec, Jean-Mathieu Colombani

Photographe Agnès Mellon 095 095 61 70 photographeagnesmellon.blogspot.com Directrice commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18 Chargée de développement Nathalie Simon nathalie.zibeline@free.fr 06 08 95 25 47




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