Supplément Zibeline MP 2013

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Entreprises et territoires à l’œuvre


L’art et l’entreprise En cette phase de préparation de l’année Capitale, artistes et entreprises, privées et publiques, semblent apprendre à se connaître, à s’accueillir. Dans un contexte économique pourtant difficile, et un climat politique tendu. Le double président Jacques Pfister nous explique cet apparent paradoxe… entre projet culturel, finances publiques et contribution des entreprises», selon Robert Scott. Et vous avez donc continué. Tout le monde a considéré que le comité de candidature avait été efficace, et qu’il s’agissait de conserver les équipes. Je suis donc devenu président du Conseil d’administration de la Capitale.

Jacques Pfister © Agnès Mellon

Vous êtes à la fois Président de la Capitale Culturelle et de la Chambre de Commerce, ce qui est une double position peu commune. Unique même. Comment expliquez-vous cette exception ? Quand j’ai pris la présidence de la CCIMP en 2004/2005, il y avait déjà un groupe de chefs d’entreprise qui avait envie de culture. Et qui pensait aussi, pragmatiquement, qu’utiliser le levier culturel pour obtenir des résultats économiques était efficace. Par ailleurs, lorsque Jean-Claude Gaudin a pris la décision de présenter la candidature de Marseille, il a pensé que cela devait être une candidature non de Marseille mais de Marseille-Provence, et il m’a proposé de présider le comité de candidature. Qu’attendait-il de cette présidence inhabituelle ? D’une part elle représentait, je pense, une neutralité politique dans un territoire où la droite et la gauche cohabitent, et d’autre part la CCIMP travaillait déjà sur l’ensemble de ce territoire Marseille-Provence qu’il voulait pour la Capitale. Même si la Chambre de Commerce d’Arles s’ajoutait au territoire. Puis lorsque Bernard Latarjet a été choisi, également par la Ville, pour diriger la candidature, il a été très sensible à la forte implication des acteurs économiques, à ce que nous avions à proposer, en particulier les Ateliers de l’EuroMéditerranée, qui faisaient entrer les artistes dans les entreprises. Avec Bernard Latarjet nous avons introduit des méthodes de collaboration, et de conquête : il fallait montrer une cohésion forte. Nous y sommes parvenus, notre candidature présentait « un équilibre harmonieux

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Votre rôle a-t-il changé ? J’ai dû veiller à ce que la programmation soit en harmonie avec les territoires. Le partage n’a pas été facile, et toutes les attentes n’ont pas été comblées ! Ma présidence s’est focalisée sur la cohésion du CA, et la prise en compte du budget. Je reste bien sûr très en retrait, tout comme les collectivités, sur la programmation. Ce qui n’est pas non plus facile ! Mon rôle, comme président de la CCI, est aussi de soutenir l’organisation économique de l’événement. L’hôtellerie, les transports, les commerces doivent être à la hauteur de l’enjeu, et nous y travaillons avec les collectivités concernées. Le dernier volet de notre participation c’est les Ateliers. On était parti sur 150 ateliers, mais c’est plus compliqué dans la mise en œuvre que ce qu’on avait imaginé. Dès qu’on rentre dans une négociation contractuelle, il faut penser aux droits, aux problèmes de faisabilité, et trouver des artistes qui veulent entrer dans le projet des entreprises. On en aura sans doute une soixantaine, ce qui est déjà considérable. Est-ce que les entreprises y trouvent leur compte au niveau de leur désir d’art, et de la visibilité de leur participation ? Ce n’est pas le problème. Il y a eu beaucoup de demande au niveau des entreprises, et une certaine pénurie d’offres artistiques, parce que trouver 150 artistes qui puissent avoir des projets contractualisables avec des entreprises est compliqué. Et avez-vous des retours sur expérience, sur les effets produits dans les entreprises par la présence des artistes ? Il faudra faire un bilan, précis. Pour l’heure je ne peux vous dire que des généralités en la matière : ça crée un vrai trouble positif, un effet considérable de communication interne, de communion même parfois autour de l’artiste. Mais il faudra le mesurer exactement. Est-ce que ce mode de création artistique va perdurer audelà de la Capitale ? C’est difficile à dire. L’organisation de la production pourrat-elle rester à ce niveau ? Cela dépend aussi de la volonté politique. Pour l’instant il n’y a pas de réflexion sur les structures nécessaires, mais ça peut venir assez vite, et on est plutôt demandeurs !


Mais pourquoi, au fond, investir dans la culture ? C’est une respiration, dans les boîtes, de se dire qu’on fait autre chose que du chiffre d’affaires. La candidature est arrivée en même temps que certaines études sur les retombées économiques, qui avaient montré qu’un développement culturel était facile à mettre en œuvre, et générait de fortes retombées économiques, de l’ordre de six euros pour un euro investi. Un autre levier est le rayonnement, sur le long terme, de Marseille-Provence : la qualité d’un territoire perdure après l’événement. Nous allons montrer à l’Europe entière que nous sommes attractifs, et capables d’accompagner des expositions internationales d’envergure, dans le respect des budgets. Et le MuCEM, la façade maritime, tout ce qui se construit actuellement, nous le garderons aussi en héritage. Les entreprises attendent-elles aussi des retombées en termes humains ? Oui, la plupart des visiteurs viendront du territoire même, et les premiers bénéficiaires seront les citoyens. Il faut parvenir à une mobilisation populaire, c’est très important pour le « moral des troupes » et donc, bien sûr, c’est primordial pour nous. Est-ce que vous faites une différence entre une attractivité générée par un événement culturel, et celle d’un événement sportif ? Bien sûr. Un événement sportif est le même partout. Là, il est question de ce qu’on est. Le Sud, avec une tradition d’accueil. «Marseille accueille le monde», le premier temps de la Capitale, n’est pas un message consensuel, mais une signature. La coupe de foot génère aussi du chiffre, mais le rayonnement n’est pas du même ordre. Bien sûr en tant qu’entrepreneurs on veut du spectaculaire, de l’événementiel, faire venir des gens, mais par exemple on comprend qu’il faut aussi des choses plus intimistes, tournées vers les cultures méditerranéennes, ou qui apportent une dimension de solidarité. Tout ce qu’un événement sportif ne génère pas.

Supplément gratuit de Zibeline n°52 Edité en 21000 exemplaires Sur papier recyclé Imprimé par Rotimpres 17181 Aiguaviva (Esp.)

Directrice commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18

Pour ce qui est de la participation des entreprises, où en est la collecte des fonds ? On est en phase avec les objectifs. On avait prévu 15 millions, on les aura, on les dépassera même sans doute. Les grands partenaires, les mécènes des grands projets, sont trouvés. Plus difficile, mais plus symbolique aussi, est d’impliquer les PME, pour qu’elles soient fières de participer. Là c’est le nombre qui compte, la mobilisation, plus que l’argent que cela apporte. Le mécénat culturel se porte pourtant mal à l’échelle nationale. Est-ce que la capitale culturelle préserve le territoire de ce désengagement qu’on constate ailleurs ? La qualité du projet, de son organisation, a permis d’atteindre les objectifs. Est-ce que cela restera, je n’en suis pas sûr. Les grandes entreprises se détournent du mécénat culturel, elles pensent, très logiquement, à leurs intérêts : les banquiers visent le haut de gamme, parce que cela correspond à leur clientèle préférée, et que les petites gens sont source d’ennuis pour eux. La Poste, Orange, se portent vers le mécénat social : ils pensent, en contexte de crise, que c’est mieux pour leur communication interne, vis-à-vis de leurs employés, et pour leur image. Pourquoi votre Chambre de Commerce agit-elle autrement, alors ? Pourquoi organiser un concours artistique, constituer un fonds, soutenir Mécènes du Sud, accueillir des colloques sur l’art contemporain ? C’est une tradition de cette maison. Les murs sont couverts de tableaux qui sont la mémoire du port, du commerce maritime. Nous sommes la seule chambre de commerce à avoir une direction du patrimoine. Le monde économique a intégré, ici, dans sa façon de voir la vie, la culture comme un plaisir. Mais aussi comme un intérêt bien compris ! ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL ET GAËLLE CLOAREC

Directrice de publication Agnès Freschel

Rédacteurs Agnès Freschel Marie Godfrin-Guidicelli Gaëlle Cloarec Delphine Michelangeli Maryvonne Colombani

Maquette Philippe Perotti

Déjà Capitale ! Les Ateliers de l’EuroMéditerranée se poursuivent et se multiplient (p 9, 11, 13 à 23), les Actions de Participation Citoyenne mettent en place leurs collectes et leurs modalités (p 4, 5, 7), les Nouveaux commanditaires et Quartiers créatifs transforment nos usages en ancrant nos paysages réels dans un imaginaire artistique (p 7 à 11). À l’hôpital, à La Friche, nombre d’entreprises, d’administrations publiques, dans la plupart des territoires, la Capitale Culturelle prend ses marques et tisse un réseau d’actions préparatoires. Ouverture le 12 01 2013…

Couverture

CCIMP © Agnès Mellon

Zibeline 76 avenue de la Panouse n°11 13009 Marseille Dépôt légal janvier 2008


ACTIONS DE PARTICIPATION Le 26 mars Marseille Provence 2013 a lancé une vaste collecte photographique, ouverte à tous. Dans quel but ? Rien moins que trouver le midi ! Jean-Pierre Moulères, responsable du projet, nous explique sa démarche.

Le Site des Chercheurs de Midi www.mp2013.fr/ chercheursdemidi

D’où vous vient cette idée de récolter les photos de nos tiroirs ? De l’envie d’amener les gens à avoir une parole, et à la mettre en valeur. Généralement les formes des amateurs ne sont pas mises en scène comme les professionnelles. Or je pense que l’espace qu’on accorde aux choses fait que le regard ne se pose pas avec la même qualité. C’est pourquoi j’ai choisi la photo, parce que c’est sans doute la pratique artistique la plus répandue, quotidienne. Que ce soit la photo de famille, vernaculaire, la photo d’identité, utilitaire, ou celles où le photographe cherche volontairement à capter une beauté, une incongruité… Que voulez-vous apporter, ou faire voir, par cette collecte ? Le projet n’est pas spécialement innovant dans son concept, même s’il est exceptionnel à cette échelle. Nous venons à peine de lancer l’appel à participation et nous avons déjà plusieurs centaines de photos, que nous avons commencé à classer. Mais quel midi cherchez-vous ? MP2013 travaille beaucoup sur les identités, sur la Méditerranée, la circulation. Cette action s’attache plutôt

Le chariot magique, 23 juin 2011, Marseille, collection Paysages, série Petits commerces © Pierre P. Heimbay

Les Chercheurs de Midi

à ce qui nous réunit, la méridionalité. À la notion de recherche, aussi. Ces photos racontent une histoire commune dont nous n’avons pas tout à fait conscience. Certaines sont trouvées, à Emmaüs, d’autres sont des souvenirs de

Ce petit chemin, printemps 1962, Campagne Aixoise, collection Usage, série Pique-nique © X-D.R

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CITOYENNE famille. Des paysages que tous les habitants d’ici connaissent. Des visages qui pourraient être ceux de toutes les généalogies. Des usages qui sont ceux que nous partageons. Un en-commun ? Oui, du Sud, de la mer et des terres. Plutôt diurne et ensoleillé, de midi, même si nous avons déjà une magnifique photo de nuit. Un album des possibles joies, construit sur des nostalgies qui sont des nourritures. Le midi veut dire cela, la joie ? Oui tout à fait… Il ne s’agit pas de photodocumentaire mais de ce que l’on se raconte, de ce que l’on veut montrer et garder de soi. Pour tenir droit. Et que ferez-vous de ces photos ? La collecte qui était un moyen est devenue notre objet même ! Je me suis replongé dans la Chambre Claire de Roland Barthes, qui dit si bien comment l’image familière nous touche. Dans Penser/Classer aussi, de Perec, pour affiner la méthode : il s’agit de faire des récits mais sans toucher aux choses, simplement en les posant ensemble. Nous avons au départ trois séries. Les paysages, les usages, les personnages… Oui, et à l’intérieur déjà des collections se dessinent. Qui s’affineront à mesure que nous avancerons, pour se resserrer autour de thèmes précis. De figures récurrentes, qui cerneront l’en-commun. Nous demandons simplement aux gens de donner un titre à leur photo, de mettre un texte avec s’ils le veulent, de les scanner et de nous les envoyer. Nous ne les sélectionnons pas, sauf lorsque plusieurs se ressemblent trop, et nous les publions sur le site dans la série qui leur correspond. Le site reprend donc l’intégralité des images collectées ? Oui. Nous arrêterons la collecte quand nous en aurons recueilli une quantité que nous ne pourrons plus gérer. Ces séries constituées seront-elles exposées ? Oui, bien sûr, en 2013, et dans des conditions professionnelles. Non comme des murs d’images comme on le fait souvent lorsqu’on expose des photos amateurs, mais avec des cadres, des lumières. Par séries thématiques, à Aubagne, Aix, Arles, et à Marseille dans l’Atelier du large. Avez-vous un projet d’édition ? Nous verrons ! C’est une question de droits aussi : il n’est pas question d’utiliser les photos des gens pour un autre usage que celui des Chercheurs de Midi, puisque c’est à ce titre qu’on nous les envoie…

Le Zine 2013 Une autre Action de Participation Citoyenne va concerner tout le territoire, et passer par le web, mais elle sera réservée aux lycéens, apprentis et collégiens. Ceux-ci sont invités, dans le cadre scolaire, à se transformer en reporters de l’année capitale, pour créer un magazine en ligne alimenté uniquement par leurs chroniques, entretiens et reportages. L’initiative, portée conjointement par le CLEMI et Marseille Provence 2013, veut impliquer les jeunes dans le projet culturel de la capitale, mais affiche aussi des objectifs pédagogiques : il s’agit d’approcher et de pratiquer l’écriture journalistique, d’en cerner les enjeux, les codes et les rythmes, tout autant que de se frotter aux artistes et à la vie culturelle. Deux dispositifs sont mis en place : une trentaine de Classes Correspondantes seront sélectionnées pour contribuer de façon régulière dès la Cérémonie d’Ouverture le 12 janvier 2013. Elles recevront en amont, en classe, un accompagnement des journalistes du Ravi et de Zibeline, en collaboration avec leurs professeurs, et bénéficieront de rencontres avec des artistes, accès aux conférences de presse et diverses invitations. Par ailleurs toutes les classes du territoire pourront contribuer ponctuellement au webzine, et devenir des Classes Pigistes : ce dispositif est destiné à la participation de tous les élèves du secondaire, quels que soient leur classe et leur établissement : toute proposition d’article sera reçue, relue et publiée si le comité de rédaction le juge publiable. Car ce comité, composé de journalistes du Ravi et de Zibeline, de membres du Clemi et de l’équipe MP2013, opèrera un suivi rédactionnel, et une sélection par rapport au choix des sujets et à l’intérêt de l’avis critique ou de sa formulation : il ne s’agit pas de transformer tous les élèves en journalistes, mais de leur donner envie d’écrire au quotidien, de leur apprendre à distinguer avis critique et expression subjective, de leur donner une connaissance suffisante de la presse pour qu’ils aient envie de la lire, et une curiosité pour des manifestations culturelles vers lesquelles ils n’iraient pas toujours spontanément. Un concours d’articles sera également mis en place, ouverts aux pigistes et aux correspondants, et les lauréats seront publiés dans Zibeline et le Ravi.

Repères L’appel à candidature des Classes correspondantes est lancé par le Clemi, et les inscriptions seront reçues jusqu’au 15 juin 2012 clemi@ac-aix-marseille.fr La sélection des Classes correspondantes se fera en fin juin, l’accompagnement débutera en septembre 2012 et les chroniques seront publiées tout au long de l’année 2013 Les Classes pigistes pourront intégrer le processus tout au long de l’année.

Le CLEMI Le Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information, qui existe en France depuis 1983, a pour mission de favoriser une pratique citoyenne de la presse par les élèves, et de constituer un centre de ressources pour les enseignants. Dans chaque Académie les antennes du CLEMI organisent des projets médias, la Semaine de la Presse, le Concours des journaux lycéens… www.clemi.ac-aix-marseille.fr

LE RAVI Mensuel satirique, le Ravi est un journal indépendant qui enquête, propose un regard acerbe et jamais convenu sur la vie politique, sociale et culturelle de la Région PACA. Il aime s’illustrer de dessins de presse et s’intituler satirique, mais est de fait d’une grande rigueur dans ses enquêtes exclusives mensuelles, ses émissions politiques sur Radio Grenouille, et ses débats publics organisés régulièrement. www.leravi.org

ZIBELINE Mensuel culturel en région PACA, Zibeline est un gratuit indépendant distribué à 30000 exemplaires, dans un esprit de partage de la vie culturelle, et de réflexion sur les enjeux politiques, esthétiques et sociaux de la culture qui se fabrique ici, et de celle qui y passe. www.journalzibeline.fr

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LES NOUVEAUX COMMANDITAIRES Repères 2010/2011 Jacques Siron / Les Musicollages Marseille, Cité de la Musique Olivier Bedu / Le Banc de sable Marseille, Écoles François Moisson Krijn de Koning / To make a place Marseille, Collège Notre-Dame de la Major

Le Vaisseau © Mathieu Briand

2012 Mathieu Briand / Le Vaisseau Marseille, Crèche Belle de Mai Tadashi Kawamata / Les Sentiers de l’eau Camargue, Six observatoires Lucy et Jorge Orta / Le Chemin des fées Vallée de l’Huveaune, Rives et cultures

© DeKoning

2013 Didier Fiuza Faustino / L’Écume des jours Marseille, Hôpital Nord Le Cabanon vertical / Limites floues Salon-de-Provence, Espace Francis Baron Berdaguer & Péjus / Place Lulli Marseille, Les commerçants du Centre Ville

© BCD Musicollages

© SebastienNormand/Moisson

Partenariats Fondation de France Marseille-Provence 2013 Bureau des Compétences et désirs et autres partenaires selon les projets

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L’action Nouveaux Commanditaires proposée par la Fondation de France depuis 1990 permet à des citoyens de passer commande d’une œuvre à des artistes contemporains. Écoliers, salariés, habitants, groupements d’associations peuvent ainsi répondre aux enjeux de société ou de développement d’un territoire qui se posent à eux. Sur le territoire Marseille-Provence, le Bureau des Compétences et désirs est, en sa qualité de producteur exécutif, l’un des trois acteurs de cette construction commune. Dans le cadre de MP2013 le programme a changé de rythme sur le territoire et voit ses moyens amplifiés : «Les projets grandissent généralement de manière organique, souligne Anastasia Makridou, co-directrice du Bureau : les fruits sont mûrs au bout de 3 ou 4 ans et tombent de l’arbre naturellement. Avec MP2013, l’impact des projets dans le temps est différent, ils sont structurants et s’intègrent dans un contexte à valeur d’usage indéniable.» Sur neuf projets validés par la Capitale Culturelle, trois ont été réalisés en 2010/2011 tandis que celui de Mathieu Briand à la crèche de la Friche Belle de Mai a été inauguré en avril 2012 : clin d’œil au bâtiment qui l’accueille (ancien bassin de rétention d’eau), l’installation baptisée Le Vaisseau invite les jeunes occupants à un voyage-découverte du monde intérieur et extérieur à travers des dispositifs vidéo et numériques, un aquarium, un mur végétal, des périscopes… Au Collège Notre-Dame de la Major, To make a place de Krijn de Koning «a pris racine dans un manque exprimé par l’équipe enseignante» auquel le cahier des charges a répondu ; le choix de l’artiste et la mise en œuvre du projet ont dû ensuite rencontrer l’adhésion des commanditaires pour être finalisés. Neuf projets et autant de situations et de désirs multiples, même si des réflexions communes les traversent, sur l’espace public, l’environnement, la gestion de l’eau, la question du patrimoine naturel et historique, la création d’un maillage entre usagers… «Chaque projet nous amène ailleurs» remarque Anastasia Makridou qui voudrait établir «une porosité entre eux». Le lien du désir ?


UNE COLLECTION DE COLLECTIONS Collectionner est-il un art ? Et exposer ses collections dans un espace public leur confère-t-il un autre statut ? Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon ont eu envie de vérifier leurs intuitions en invitant tous les obsédés de la série et de ses variations, depuis celui qui garde d’insolites capsules de canettes jusqu’au collectionneur de voitures de luxe, à partager leur passion en terrain commun. La Logirem, qui va installer Boulevard National ses futurs locaux, a mis à leur disposition ses 8000 m2 de terrain pour l’heure inconstruits, et 12 algeco, vitrés, sécurisés, prêts à servir d’espace paradoxal d’exposition. Les collectionneurs, intrigués par l’aventure, se sont laissés convaincre de confier les objets de leur passion, et durant deux week-ends, fin juin 2012, les visiteurs pourront y passer d’une collection à l’autre, se balader de série en série, établir entre elles des liens analogiques, en cherchant ce qui rapproche et définit cette passion commune aux objets dissemblables. Radio Grenouille, qui va interroger les collectionneurs sur leurs motivations, sur ce qui constitue à leurs yeux une collection, diffusera ses enquêtes, et une publication est prévue pour garder

une trace de cette expérience éphémère. Une façon pour la Logirem, et les deux artistes, de commencer à s’installer dans le quartier de la Belle de Mai, réputé aujourd’hui le plus pauvre de France…. et de préparer le terrain pour le Quartier créatif du tunnel du Boulevard National. © Le Laboratoire

à juin 2013

MARYVONNE ARNAUD et PHILIPPE MOUILLON, Ex voto Le tunnel du Boulevard national est une cicatrice douloureuse de Marseille. Séparant la ville en deux, frontière sensible d’une zone particulièrement pauvre de la métropole, elle est aussi liée à un souvenir traumatique : durant les bombardements américains du 27 mai 1944, une des 800 bombes larguées sur la ville atterrit à l’entrée du tunnel où des Marseillais s’étaient réfugiés, et y fit plus de 300 morts. Aujourd’hui l’interminable tunnel sale et irrespirable, Tunnel des facultes / Alger-2003 © Philippe Mouillon

Repères Résidence de mai 2012

assourdissant, va se transformer en cathédrale laïque… Au-delà de l’indispensable rénovation, éclairage, nettoiement opérés par les services compétents, les artistes veulent que la traversée du tunnel ne soit plus un moment que l’on oblitère mais un temps où l’on espère, où l’on formule un souhait comme dans les rites païens des églises, ou dans les contes. Travaillant durant leurs périodes de résidences avec des groupes d’habitants (Planning familial, Foyer Saint Honorat, scolaires…) ils veulent fabriquer 150 caissons lumineux qui contiendront leurs vœux, l’écriture de leurs souhaits, des photographies de parties anatomiques sur lesquels ils portent, des objets qui les symbolisent. Des cadenas aussi qui, comme sur les ponts, scelleront les serments amoureux. Autant de projections imaginaires, personnelles, universelles, décalées, qui feront de ce lieu hostile une grotte mystérieuse, une caverne ouverte sur tous les imaginaires… que l’on traversera enfin comme un récit !

Le Laboratoire est dirigé conjointement par les plasticiens Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon. Depuis une vingtaine d’années, leurs interventions artistiques s’ancrent dans les territoires qu’ils traversent, marqués par l’histoire, la guerre, la pauvreté: ainsi ils ont installé leurs oeuvres, toujours fondées sur des enquêtes et des rencontres, dans les espaces bouleversés de Tchernobyl en 1992, Sarajevo en 1996, Rio en 1997, Johannesburg en 2000, Alger en 2004, Grozny en 2007. Ils tentent de renouveler le regard des habitants sur l’espace public qui est le leur, en redécouvrant les mythes qui le fondent, et en transformant les représentations. Le groupe LOGIREM, constructeur et opérateur du logement en méditerranée, gère 21000 logements sociax en PACA, et en construit 450 par an. Soutenant les actions pédagogiques du Ballet National de Marseille depuis plusieurs années, le groupe s’est engagé aux côtés de Marseille Provence 2013 pour plusieurs projets, en particulier pour un Atelier de l’Euroméditerranée à la Cité HLM de la Bricarde, et pour ce Quartier Créatif valorisant le Boulevard National : un ensemble de 350 logements sera construit, à l’emplacement de la Collection des collections, à partir de fin 2012, et les Ex votos perdureront à partir de 2014 dans l’ensemble immobilier achevé.

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LA FRICHE, un nouveau Quartier en 2013 Les projets liés à Marseille Provence 2013 se multiplient à La Friche Belle de Mai, en transformation incessante, come si l’ancienne manufacture des tabacs cherchait à retrouver ses racines industrieuses. Des Ateliers de l’Euroméditerranée y produisent des œuvres (Alexandre Périgot, Anne Valérie Gasc, groupedunes) et trois Quartiers Créatifs sont destinés à compléter et orienter le chantier en cours. Alain Arnaudet, directeur de La friche, Béatrice Simonet, secrétaire générale et Véronique Collard-Bovy, directrice de Sextant et plus, producteur délégué des Quartiers créatifs, nous expliquent dans quel sens souffle ce vent nouveau.

Cela ne relève-t-il pas plutôt de la politique publique ? A.A. : La Ville et Marseille Provence Métropole en ont pris conscience et y travaillent. Sans volonté publique, sans transport urbain, sans sécurité nocturne, sans nouveau traitement piéton de nos abords le projet Friche ne serait pas viable. Mais dans les Quartiers Créatifs, l’intérêt est que l’intervention artistique précède le projet urbain, modèle la réflexion. Qu’elle lui donne une identité picturale, une force de signal, et s’inscrit dans un projet collectif, dont elle précise les choix. La Friche par exemple a clairement une politique envers les jeunes publics, avec Massalia, mais aussi avec le Skate Park, la crèche : l’aire de jeux pensée par un artiste, avec les habitants, va dans le sens de cette préoccupation.

La transformation de la Friche est-elle Alain Arnaudet © Agnès Mellon destinée à en faire un lieu de production artistique ou un lieu de vie ? Alain Arnaudet : Les deux ! C’est un bout de ville, qui a son originalité de par ses habitants, liés à la vie artistique, mais En quoi cette aire de jeux sera différente de celles que les dont nous voulons multiplier les usages. Pour les mixer. villes construisent ? Ainsi, faire une vraie crèche, une aire de jeux, un jardin Béatrice Simonet : Le projet se nourrit du passé de la partagé, un restaurant, un marché paysan, mais où on Friche. À la Seita trois voies de chemin de fer amenaient parle culture… Nous voulons poursuivre ce qui a été directement le tabac vers la gare, et une est toujours là. Or entrepris depuis 20 ans pour que cet espace ouvert le train fait aussi partie de l’imaginaire enfantin… Le devienne vraiment un espace public. Pour cela il nous faut collectif Encore heureux a conçu un dispositif ludique autour tout d’abord désenclaver la Friche et son quartier. La de wagons immobiles, et de modules de jeux où il faudra traversée du tunnel est terrible, il est nécessaire de ramper, sauter, glisser. Les enfants participent à l’élaboration de ce projet, conçu avec et pour eux. Des groupes repenser les transports, la voirie, l’éclairage… de femmes aussi, qui doivent y trouver leur espace, comme dans les jardins partagés de Jean-Luc Brisson qui entoureront l’aire de jeu, et où chacun, résident de la UNFRAMED-Man Ray revu par JR, "Femme aux cheveux longs, 1929", Vevey, Suisse, 2010 Friche ou habitant du quartier, pourra venir planter, arroser, récolter, en partenariat avec les étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage. Les autres Quartiers créatifs sont-ils ainsi pensés par et pour la population ? Véronique Collard-Bovy : Oui, toujours autour du projet d’un artiste. JR est un photographe qui travaille à partir de détails agrandis et exposés dans des lieux inattendus. Souvent il conçoit ses grands formats à partir de ses propres clichés, mais dans sa série Unframed les photos Vue Tunnel Blanc © X-D.R

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ne sont pas les siennes. Il vient par exemple de réinterpréter à Vevey, en formats gigantesques, des photos de Salgado ou de Capa, dont le promeneur découvre au coin des rues de très gros plans… À la Friche il va collecter des photos personnelles, sur la base du volontariat des habitants : les gens vont faire des photos, il va les retravailler, et choisir avec eux où les afficher, faire avec eux les découpages et les collages, et transformer ainsi le quartier pour en donner une narration contextualisée. Il affichera aussi sur la façade de la Friche que l’on voit de la voie ferrée. Pour une œuvre qui sera le plus pérenne possible… A.A. : et devrait agir comme un signal de 2013 et de La Friche pour tous les visiteurs qui arrivent par train à Marseille. Le dernier Quartier Créatif veut également changer l’image de la Friche et de ses abords… A.A. : Oui, dans le Tunnel Benedit, Frédéric Clavère travaille directement sur la signalétique … V. C-B. : Cet artiste qui emprunte et détourne habituellement les pictogrammes, les symboles, les abréviations, va concevoir une mosaïque de panneaux de signalisation, une constellation de signes qui va couvrir l’ensemble de la voûte du tunnel, transformée de fait en espace d’exposition, en grotte de Lascaux dont il faudra déchiffrer les inscriptions. Car elles indiqueront vraiment des réalités du quartier, dans quelle direction est le palais Longchamp, la Maison pour tous, qui sont certains acteurs de la Friche … Ce seront des vrais panneaux de signalétique routière, en métal peint ? V. C-B. : Oui, avec des cercles, des triangles, des rectangles, et les couleurs de la signalétique routière. Le projet en est à sa phase d’étude, Frédéric Clavère rencontre les résidents et les habitants pour savoir ce qu’ils voudraient signaler… Et pensez-vous que le fait de transformer la Friche en lieu convivial, et ludique, amènera les habitants à fréquenter aussi les propositions artistiques ? B.S. : On l’espère, mais on n’a aucune raison de ne pas le croire !

GROUPEDUNES, De cet endroit

© Groupedunes

Difficile pour le groupedunes d’imaginer quitter le toit-terrasse de la Friche en raison des travaux de réhabilitation ! C’est là qu’en 2008 il jetait les bases de son jardin multimédia D’ici là, suivi en 2009 par D’ici là un point zéro, en 2010 par D’ici là - le toit vu d’en haut et en 2011 par Sur le toit à l’heure creuse… penser un espace où le temps miroiterait. Autant d’occasions pour l’IMBE et Apical Technologies de découvrir ces expériences sur la présence du végétal et de l’eau dans ce lieu, qui s’apprête à devenir une terrasse publique en plein ciel de 8000m2. Dans le cadre de l’Atelier de l’Euroméditerranée, les deux entreprises accompagnent le groupedunes dans son «travail exploratoire évolutif», depuis la mise en œuvre d’une interface web où l’on découvre sons, films, incrustations de spots sur l’évolution du chantier et de captations d’événements, jusqu’à la réalisation d’une nouvelle installation à l’été 2013. Sans compter de futures interviews de scientifiques, sociologues ou habitants et «d’autres choses encore à imaginer»… De cet endroit permet «de garder un lien avec le lieu via son observation» et revêt plusieurs formes : une présence virtuelle au long cours (depuis juillet 2011 une caméra balaye le paysage en panoramique et en hauteur toutes les demi-heures), une restitution sur le web et une réflexion «sur le temps du chantier, le temps du végétal et l’espace public expérimental». Un travail qui se poursuivra par la création d’un documentaire à partir de l’interface.

Repères

Artistes pluridisciplinaires ou multimédia, Madeleine Chiche et Bernard Misrachi développent leurs œuvres au sein du groupedunes : réflexion sur l’espace, le mouvement et le temps, création d’installations visuelles et sonores in situ autour du paysage urbain, écriture multimédia qui place le public au cœur du dispositif. La ville est leur champ d’observation et leur source d’inspiration, et leur approche artistique transdisciplinaire les conduit à travailler avec des scientifiques, architectes, urbanistes … Depuis 1992, ils sont résidents à la Friche.

Apical Technologies

Apical Technologies (Marseille) développe des systèmes innovants dans le domaine de l’optique de pointe. Le partenariat avec le groupedunes est fondé sur des échanges de compétences : elle met à sa disposition une partie du matériel, participe aux différents modes programmatiques de la caméra, aux traitements des données et à leur mise en réseau ; de son côté elle teste de nouvelles applications de son matériel d’optique ainsi que les modes d’exploitation en ligne.

IMBE

L’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale de ChâteauGombert collabore à la mise en place de «carrés d’observation» en lien avec d’autres expériences menées sur le toit-terrasse, et accueille le groupedunes dans son laboratoire pour la collecte d’images, de sons et de données.

Coproduction

Apical Technologies, IMBE, Marseille Provence 2013 et groupedunes Avec le soutien de la SCIC SA Friche la Belle de Mai

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Cultiver en milieu médical Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille

Premier centre hospitalier de la Région PACA (3 514 lits sur 5 sites, 15 000 salariés), l’AP-HM est investie de trois missions : soins, enseignement, et recherche. Elle invite la culture à l’Hôpital à travers le programme Santé e(s)t culture(s), en accueillant des artistes, en impliquant patients, visiteurs, personnels administratifs et soignants dans un processus d’échange et de

réflexion créative. L’AP-HM œuvre avec MP2013 à des Actions de Participation Citoyenne : Un air de famille (voir Zib’46) autour de la pratique chorale. Plusieurs Ateliers de l’EuroMéditerranée sont prévus jusqu’en 2013, notamment avec le metteur en scène Marco Baliani… à suivre !

YMANE FAKHIR Faites vos vœux Repères Née en 1969 à Casablanca, Imane Fakhir réside à Marseille. Son œuvre photographique explore la frontière entre l’espace public et l’espace privé, et la question du féminin dans un univers méditerranéen.

Atelier de l’EuroMéditerranée Résidence d’octobre 2011 à mai 2012

Rencontrer les patients et le personnel, observer le geste technique, le protocole hospitalier et sa lourdeur, ne pas juger, être «l’écouteuse». Ymane Fakhir a passé un mois au Pôle Neurosciences de l’hôpital de La Timone, sans sortir un appareil photo ou une caméra. Sa résidence se poursuit dans le respect de la routine et de la répétition : «Je n’entre pas dans la narration, sauf par le corps. Je ne filme pas un soignant et un soigné, mais deux être humains qui se rencontrent, je cadre leurs mains en gros plan.» Elle prévoit de tourner de petites vidéos de moins de 3 minutes, le récit d’une infirmière, les tâches ménagères, la façon de plier un grand drap pour remplacer les taies d’oreiller coincées depuis plusieurs années dans les rouages administratifs. D’origine marocaine, l’artiste s’interroge sur les rituels sociaux dominants : «Dans ma culture on accompagne les malades jusqu’à leur dernier souffle, la famille est

Ymane Fakhir, La réeducation 2011 © Ymane Fakhir

très présente. Et l’hôpital accepte ça, les sandwichs, les thermos... c’est presque festif. Ici, c’est inconcevable.» Porter un regard sensible sur la détresse, souligner l’humanité là où c’est nécessaire, voilà qui éclairera sans aucun doute le milieu médical.

CABANON VERTICAL En observation Repères Le Cabanon Vertical est un collectif pluridisciplinaire : des architectes y côtoient des spécialistes de l’art visuel, plasticiens et photographes. Leur approche privilégie la place de l’usager dans l’espace urbain, et sa liberté d’action. Action de Participation Citoyenne Ateliers février et avril 2011 Réalisation des projets de février à novembre 2012

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Cabanon Vertical, service medecine interne et medecine geriatrique © Cabanon Vertical

L’Hôpital Nord : une barre et une vague de béton dominent froidement les quartiers «redoutables» de Marseille. Olivier Bedu, architecte et co-fondateur du collectif Le Cabanon Vertical, y a animé pendant 6 semaines une Action de Participation Citoyenne avec les patients et le personnel (voir Zib’46). «Ces bâtiments ont un côté très fonctionnel, mais peu convivial. La place des accompagnants a notamment été négligée.» D’où l’idée de travailler sur le cadre de vie pour en limiter l’inconfort : «On s’est donné la liberté de faire des propositions non réalisables, mais aujourd’hui on va en concrétiser au moins une dans chaque service.» Une signalétique ludique en pédiatrie, un espace bibliothèque et jeux, des tableaux que l’on poserait sur les portes pour que les enfants personnalisent leur chambre avec des craies liquides…


ATELIER JARDIN Pierre Rabhi le disait récemment : «Cultiver la terre aujourd’hui est un acte de résistance, un acte politique.» Pour s’en convaincre il suffit de voir l’enthousiasme avec lequel tous les participants de l’atelier jardin à l’Hôpital Saint-Marguerite se sont emparés du réaménagement de la cour centrale. Divisé sur le papier en 4 parcelles : culture vivrière avec potager et verger, partie ornementale (pelouse, vivaces et graminées), plantes aromatiques et espace forestier (clairière incluse !), le futur jardin est encore nu, mais bruissant d’activité. S’y croisent les jardiniers de l’APHM, les 3 étudiants de l’ENSP chargés de la maîtrise d’œuvre, des élèves infirmiers, des patients... tous armés de pelles et les mains dans la glèbe. Mathieu Gontier, qui encadre les jeunes paysagistes, est satisfait: «C’est un travail d’équipe, le concepteur n’est pas indispensable à tout moment, et tout le monde se l’approprie.» Les étudiants de 1ère année se réjouissent: «C’est un contexte très professionnalisant, mais sans les impératifs de rendement qui existent dans le privé.» Même contentement du côté du personnel soignant. Josianne Cassin est psychologue, dans le service du Pr Naudin, et elle a accompagné plusieurs de ses malades sur la base du volontariat : «Pour les psychotiques qui souffrent tellement de solitude, le travail en groupe est précieux, et puis si l’on fatigue le corps, les idées

Repères L’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles-Marseille forme des paysagistes diplômés d’État, à même de concevoir des projets de paysage et leur maîtrise d’œuvre opérationnelle, et d’animer des politiques publiques de paysage et de patrimoine. Jardin de la cour centrale de l'Hôpital Sainte-Marguerite © Service communication, AP-HM

tournent moins vite. Il est question de nous attribuer une bande de terrain, nous nous sommes tous projetés dans la perspective de planter des fraises, pour les manger au goûter avec de la chantilly.» Yves Fabre, le jardinier de la Timone, trouve pour sa part «intéressant de travailler avec des jeunes». «On échange, nous on a plus de pratique, eux ont des idées. La cour était triste sans arbres et sans fleurs !» À terme, l’objectif est de transmettre cet espace à ses usagers, tout en créant une ouverture vers les initiatives riveraines, comme les Jardins Familiaux Aiguier ou le Jardin d’hospitalité à l’Hôpital Salvator.

Chantier : du 20 février au 4 mars 2012 L’AP-HM et l’ENSP collaborent depuis 2010, avec la Ville de Marseille et MP2013, à un projet euro-méditerranéen d’ateliers jardins

GILLES CLÉMENT, Le jardin d’hospitalité Cet été débuteront les travaux de transformation du parc de l’Hôpital Salvator, soit 7 hectares de verdure. Dans une ville aussi dense que Marseille, c’est un environnement exceptionnel, qui se déploiera aux portes du futur Espace Méditerranéen de l’Adolescence. Gilles Clément croit en « la capacité du jardinage à rééquilibrer les individus de manière inconsciente.» Il s’agira donc pour les usagers de planter, de voir pousser, de récolter. Les plantations et le reboisement commenceront à l’automne, sous forme d’ateliers auxquels participeront les jeunes volontaires du service civique. Sont prévus un jardin partagé avec les riverains, une quarantaine d’arbres TheI atre © Gilles Clément

fruitiers, la reconstitution de lisières. Le paysagiste souhaite « inviter à une interaction, un rapport ludique, des projets presque artistiques ». Il est aussi question d’ateliers de sensibilisation à la nature, de construction de mobilier. Sur l’emplacement de l’ancien bassin (« à partir du moment où l’on a arrêté l’eau, le site s’est progressivement banalisé, par une succession de petits abandons »), un théâtre de verdure accueillera une programmation culturelle proposée par l’APHM. En attendant le début des travaux, le temps long de la végétation est déjà mis à profit : cette année, les pelouses n’ont pas été tondues, et la biodiversité comme la poésie y ont indéniablement gagné.

Repères Gilles Clément est ingénieur horticole, paysagiste, écrivain et jardinier. Il enseigne à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage, et poursuit trois axes de recherche : le Jardin en Mouvement (accompagnement des dynamiques d’un lieu), le Jardin Planétaire (projet politique d’écologie humaniste), et le TiersPaysage (l’espace délaissé comme lieu d’accueil de la diversité biologique).

Atelier d’octobre 2010 à décembre 2013

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AUBAGNE ET L’EN-COMMUN

L’an d’exception

Au-delà de ces participations, l’agglomération a élaboré des propositions uniques destinées à marquer durablement son territoire : le Pompidou mobile, durant 3 mois, permettra le contact direct avec des œuvres majeures de l’art moderne et contemporain ; l’exposition Picasso céramiste la précèdera durant six mois, avec 120 pièces jamais rassemblées. Le Colossal d’Art brut de Danielle Jacqui, projet sur lequel la céramiste singulière travaille depuis 4 ans, dans un esprit qui l’habite depuis toujours, installera ses 4 000 pièces à l’entrée de la ville… Les arts du spectacle ne seront pas en reste, avec des propositions participatives comme celle de l’orchestre Divertimento qui rassemblera les musiciens du territoire, la Ville invisible qui mobilisera les citoyens autour d’Hervé Lelardoux, Nous serons tous d’ici qui veut créer un nouveau festival multidisciplinaire autour des douze médiathèques de l’agglomération, des Rencontres d’Averroès et de la culture de paix… Lancement du programme Vers l'An Commun avec le Freaks band © Jean-Pierre Vallorani

L’implication de l’agglomération d’Aubagne et du Pays de l’Étoile est exemplaire, et impressionnante. Dans son ampleur, puisque près de 30 projets sont prévus durant cette année de Capitale Culturelle, mais aussi par ses partis-pris particuliers. «Il faut que cette année nous éblouisse, nous transforme, et conjugue profondément la beauté particulière de notre territoire avec son formidable capital humain», déclarait Magali Giovannangeli, Présidente de la communauté d’agglomération, le 23 février, lors du lancement de leur programme intitulé si joliment Vers l’An Commun... Et JeanFrançois Chougnet d’approuver : «L’engagement de l’ensemble du Pays de l’Étoile est cohérent, participatif, généreux et joyeux : un grand sujet de satisfaction et d’encouragement pour Marseille Provence 2013 !»

L’an courant

Pendant l’année capitale, les événements culturels nombreux qui ont cours régulièrement dans les 12 communes prendront une ampleur inédite : le Festival International du Film qui sait mettre l’accent sur le son du cinéma, Grains de sel (Salon du livre d’enfants) et Festimôme (art de rue jeune public) sont labellisés, Argilla (marché de la céramique et des arts de la terre) sera le terrain de création potière mais aussi chorégraphique, et le Festival d’orgue de Roquevaire passera commandes à des compositeurs… Mais l’année déclinera aussi les propositions du programme commun en participant aux grands rendez-vous de la capitale : Cuges les Pins sera le départ de la TransHumance des chevaux, le Festival des randonnées suivra le nouveau GR2013, un épisode «aux herbes» des Arts et Festins de la Méditerranée passera par Aubagne… Et le projet Ulysse du FRAC s’installera aux Pénitents Noirs avec l’exposition monographique de Mona Hatoum…

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L’an qui dure !

Ici comme ailleurs, Marseille-Provence 2013 n’a pas attendu le top du départ pour commencer… Trois Ateliers de l’EuroMéditerranée s’y sont installés : Waël Shawky a su y mener un projet particulièrement ambitieux, qui a apporté beaucoup de bonheur à tous ses participants : le tournage de son film Cabaret Crusades (voir supplément Zib’46) s’est poursuivi jusqu’en avril, et a permis de créer plus d’une centaine de marionnettes en céramique avec Pierre Architta, de faire travailler les étudiants de l’École de céramique, ceux du SATIS (cinéma et son) pour mettre en image le roman d’Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes… Et les résidences ne sont pas finies ! Alexandre Perigot va réinventer la Maison du Fada du Corbusier avec les élèves du Lycée professionnel Eiffel, Mona Hatoum sera en résidence dans l’entreprise de Chaudronnerie Arnoux et au CIRVA pour fabriquer les oeuvres qui seront exposées dans le cadre d’Ulysse… En dehors de ces AEM, un auteur jeunesse viendra écrire une nouvelle dans le cadre de Roman-Feuilleton, et une des plus ambitieuses actions des Nouveaux Commanditaires aménagera la Vallée de l’Huveaune pour en faire, définitivement, le Territoire des fées : car Jorge et Lucy Orta installeront des œuvres d’art, commandées par les citoyens, sur les berges de ce fleuve modeste, à Saint Zacharie, Auriol et Aubagne ! www.2013-paysdaubagne.com


VANESSA SANTULLO, Le parcours du bijou, d’une tribu à l’autre Le projet de Vanessa Santullo est le fruit d’une série de rencontres : avec Mécènes du Sud d’abord, puis avec Richard Frojo. Séduit par son idée de mettre la femme au cœur de sa création, sans lien avec la féminité ou les bijoux, et désireux de mieux connaître l’art contemporain, ses enjeux, et les artistes, le bijoutier accepte son immersion dans La Maison Frojo. Vanessa Santullo va ainsi rencontrer les 50 salariés, munie d’un carnet de notes, d’un magnéto et d’une caméra, collectant leurs paroles, leurs souvenirs, leurs témoignages. Elle dialogue avec les vendeuses, se faufile dans les coulisses et l’atelier, découvre © Vanessa Santullo le travail des pierres précieuses, consulte les archives et les anciens catalogues des collections… «Avec la caméra, dit-elle, les langues se sont déliées. Elles parlent de leurs vies, de leurs parcours singuliers même si toutes luttent pour leur indépendance. Elles accompagnent ces hommes qui dirigent avec la conscience de leur place et de leur rôle». Riche de ses conversations avec Richard Frojo sur l’histoire familiale de l’entreprise, l’idée

Repères

Vanessa Santullo, née en 1975 à Lyon, vit et travaille à Marseille. Son diplôme de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles en poche, elle se forme à la réalisation de cinéma documentaire aux Ateliers Varan. En 2011, elle est nominée pour le Prix HSBC pour la photographie et son travail vidéo est diffusé sur Arte pendant la FIAC. Fin 2012 sortira son premier court-métrage de fiction Les Deux tableaux produit par Belabox Films et acheté par France Télévisions, projet lauréat Mécènes du Sud soutenu par la Région Paca.

Résidence

De janvier à décembre 2012

Bijouterie Frojo

de la transmission et du patrimoine ; forte de son «enquête auprès de différentes individualités qui cohabitent et défendent de vraies valeurs familiales», son projet peut prendre forme «dans un rapport de confiance mutuelle». Mais le choix définitif du médium se fera en fonction de l’avancée du projet : photo, vidéo, son, écriture… elle «se laisse la liberté de les mixer selon ses intuitions».

L’histoire de La Maison Frojo 4 bijouteries dont 2 à Marseille s’écrit de génération en génération depuis 1854. Implantée d’abord Porte d’Aix, puis sur La Canebière et rue Saint-Ferréol, elle est actuellement rue Grignan et envisage d’ouvrir une nouvelle enseigne dans le nouveau quartier de La Joliette.

Coproduction

Bijouterie Frojo et Marseille Provence 2013

Médiateur

Mécènes du Sud

MUSTAPHA BENFODIL, L’anti-livre

ou le farfelu opuscule borgésien qui s’évada de la gueule du Pilon La destruction des livres a quelque chose de douloureux, renvoyant à des autodafés, des censures, des échecs. Pourtant nombre de documents partent au pilon, cauchemar des auteurs ! C’est au contraire une conservation infinie, qui ne jette rien, traduit tout, garde chaque glose, que Jorge Luis Borges a imaginée dans sa Bibliothèque de Babel, par nature inclassée, donc impensable. Une utopie qui a inspiré à Mustapha Benfodil son Atelier de l’Euroméditerranée dans la bibliothèque universitaire de Saint Charles. Un atelier d’écriture mais aussi de lecture, qui va chercher des pages à sauver, dans ces ouvrages qui passent habituellement au pilon. Parce qu’ils sont obsolètes, jamais consultés, surnuméraires, trop abîmés, inutiles. L’Anti-livre sera donc une œuvre qui, « symboliquement, s’inscrit en faux contre les lois du marché éditorial et remet dans le circuit quelques-uns de ces condamnés à mort en papier pour réaliser un livre vivant ». Évitant ainsi aux mots le « purgatoire éditorial », il leur permet de « gambader à nouveau dans la Cité, de respirer un air nouveau. ». Et sans doute, au terme, une des alvéoles de la Bibliothèque de Babel, chargé d’Anti-livres, installera son espace surnaturel dans le Service de documentation…

Repères

L’œuvre de Mustapha Benfodil, écrivain algérien familier des scènes françaises, aime à changer de point de vue, à s’ancrer dans la réalité sociale pour mieux rebondir dans l’onirique, à se partager haute voix. Plusieurs de ses textes ont été lus ou joués sur le territoire de MP2013 depuis 2008 : Les Borgnes, De mon hublot utérin, Archéologie du chaos amoureux…

Résidence

de janvier 2012 à juillet 2012

Service Commun de Documentation de l’Université de Provence

Portrait de Mustapha Benfodil par Helen Rinderknecht

Le Service, situé pour le site Saint Charles dans l’Espace Fernand Pouillon, contient une documentation scientifique rare (planches et manuscrits de Vayssière, Gassendi, Derbès…), plus de 55 000 volumes imprimés, 27000 thèses, un fonds de périodiques scientifiques… Le SCD souhaite développer un programme qui exploiterait ses pilons comme une ressource intellectuelle et plastique. Producteur délégué : Galerie Art-cade

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KITSOU DUBOIS, sans titre

Repères Kitsou Dubois est la première chorégraphe à travailler avec la recherche spatiale sur la gestuelle en apesanteur. Docteur en Esthétique, Sciences et Technologie des Arts, lauréate de « la Villa Médicis hors lors murs » en 1989 pour un séjour à la NASA, elle collabore depuis sur différents programmes avec le CNES et mène pour le laboratoire de Neurophysiologie Sensorielle CNRS des expériences scientifiques. Elle crée des pièces oniriques qui troublent la perception et invente des nouveaux rapports entre le réel et le virtuel en provoquant une perte de repères pour reconstruire une expérience commune.

Résidence D’avril 2012 à mai 2013

La Patrouille de France L’équipe de voltige de la Patrouille de France est la prestigieuse formation d’élite de l’Armée de l’Air. Cette unité participe au rayonnement de l’Armée de l’air en France et à l’étranger.

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La chorégraphe de l’apesanteur Kitsou Dubois développe un travail sur le corps confronté à des situations de gravité altérée. Elle a participé à plus d’une dizaine de vols paraboliques et expérimenté l’apesanteur. «Je suis allée au bout de mon fantasme» avoue-t-elle en évoquant sa transformation après la découverte de l’apesanteur. «Ça a remis en cause beaucoup de choses, c’est un phénomène infini pour poser les questions sur notre manière d’être sur terre». Toujours à la recherche d’un processus de création artistique expérimental, elle relève, avec sa compagnie Ki Productions, le défi d’une collaboration originale avec la formation d’élite de l’Armée de l’air, la Patrouille de France, pour un ballet aérien exceptionnel de technicité. La chorégraphe propulsera dans le ciel «un corps de ballet et un duo» en cochorégraphiant le ballet 2013 des huit avions de la Patrouille de France et en créant un duo de voltige. Depuis le début de sa résidence, Kitsou Dubois est en immersion tous les 15 jours à la base de Salon de Provence, pour inventer avec les pilotes cette chorégraphie d’un nouveau genre, qui sera inaugurée en mai 2013. Des «danseurs du ciel» que Kitsou Dubois doit d’abord apprivoiser dans une phase d’acculturation, «même si le fait d’avoir déjà été en contact avec le milieu militaire et scientifique a rassuré l’escadron», puis observer dans leur création de la série 2012 donnant lieu à des meetings, «pour comprendre le système et trouver une méthode de travail», avant de travailler en octobre la nouvelle série avec le «charognard», futur leader 2013. «J’ai une faculté mentale à envisager le mouvement dans l’espace, je travaille sur la cohésion avec le milieu pour trouver des endroits de liberté. Derrière les avions et les fumigènes tricolores, il y a des hommes qui pilotent, qui évoluent au son de la voix du leader. Il y a un souffle qui dégage quelque chose de très organique». Avec le ciel pour plateau, Kitsou Dubois fera appel à des compositeurs pour une musique originale, travaillera la rythmique et la dramaturgie «en dehors des messages de virtuosité et de puissance de l’armée», pour faire ressentir l’inaccessible dans le corps du public.

© Patrouille de France

Repères Résidence de mai 2011 à mai 2013 Célia Houdart Après des études de lettres et de philosophie, Célia Houdard s’oriente vers la mise en scène, puis l’écriture de romans, et revient vers le spectacle en écrivant pour le théâtre, l’opéra, la danse, des performances radiophoniques, des parcours sonores. Récompensée par de nombreux prix pour ses projets innovants et ses romans, Célia Houdart a aussi été lauréate de la Villa Médicis hors-les-murs, de la Fondation Beaumarchais-art lyrique, du Prix Henri de Régnier de l’Académie Française pour son premier roman Les merveilles du monde, et de la mission Stendhal-Institut Français 2012 (Japon). Sébastien Roux Guitariste dans divers groupes de rock, Sébastien Roux s’intéresse rapidement à la composition contemporaine : musique électronique, acousmatique, improvisation, performances audio visuelles, musique pour la danse, design sonore, art radiophonique, installations sonores… Assistant musical à l’IRCAM avec Gérard Pesson et Georges Aperghis, il travaille avec Célia Houdart depuis 2008, diffusant dans l’art du spectacle l’esprit de la radio de création.

Entreprises du Puits Morandat Gardanne, ville minière, meurtrie par la fermeture progressive de ses mines, a refusé l’effacement de son passé industriel. En 2007, elle rachète le site du dernier puits de la ville, fermé en 2003 alors qu’il était le plus moderne d’Europe. Elle y installe par l’intermédiaire du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) une Unité Territoriale Après-mine (UTAM) chargée de la surveillance et de la prévention sur le site. En 2008-2009 des entreprises innovantes y conçoivent le scooter électronique pliable ou un lavevaisselle économe en eau… En 2010 se dessine un projet culturel, orienté principalement vers les domaines scientifiques, techniques, industriels. Gardanne se propose de consacrer le puits Morandat à la science avec, outre cet Atelier de l’Euroméditerranée, des expositions de préfiguration, la restauration des vestiaires des mineurs… pour garder une trace active de leurs usages.

Producteurs Marseille-Provence 2013, les entreprises du Puits Morandat. Coréalisation le GMEM et la Muse en Circuit, Centres nationaux de création musicale. Participation de l’ERAC, Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes.


CÉLIA HOUDART et SEBASTIEN ROUX, Oiseau tonnerre © X-D.R

Cette installation artistique, sonore, poétique et lumineuse, va jongler entre les murmures intimistes de l’écrivaine, et les volumes impressionnants du musicien qui jouent avec la réverbération des lieux. Le parcours sonore cheminera dans les anciens vestiaires des mineurs, « la salle des pendus », et s’inscrira en diptyque avec la Sainte Victoire, en vis-à-vis du puits Morandat, la hauteur de plus de 1000 m d’altitude de l’une répondant à la profondeur de 1100m de l’autre. Les promeneurs, équipés de casques et de mp3, se baladeront aux flancs de la montagne de Cézanne pour une nouvelle appréhension du paysage, la voix des comédiens résonnant dans leur tête comme un souvenir rendu présent.

TAYSIR BATNIJI, L’homme ne vit pas seulement de pain #2 Après l’installation éphémère en 2007 à Lancy qui présentait les lettres de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, moulées dans du chocolat suisse, l’artiste palestinien Taysir Batniji investit la Savonnerie Marius Fabre à Salon de Provence. Il créera une sculpture dans le savon en s’inspirant à nouveau de l’article 13 : «Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays». Une variation/répétition, insistante, pour rappeler que ce texte de loi, si universel qu’il soit (en Suisse où siège l’ONU, à Marseille, ville portuaire emblème dans l’histoire de l’immigration française), trouve une application et un sens variable en fonction du lieu de son inscription. Une allusion non dissimulée à l’expression «s’en laver les mains» qui place le

spectateur face à ses responsabilités. Lors du premier volet, au troisième jour de l’exposition, les lettres en chocolat avaient totalement disparu, les visiteurs les ayant consommées librement. S’il part de la même idée, Taysir Batniji devra intégrer à son œuvre sculpturale une autre variante, puisque par déperdition d’eau le savon est voué à transformation. Une pièce non alimentaire, qui se conserve très bien dans le temps mais reste une matière vivante, voilà tout l’enjeu de la résidence et une composante que l’artiste étudie en lien avec les employés de la savonnerie. L’homme ne vit pas seulement de pain #2 sera présenté au sein de l’exposition collective sur l’art contemporain en Méditerranée Ici ailleurs au Panorama de la Friche Belle de Mai du 13 janvier au 7 avril, puis à Salon de Provence en avril 2013 pour une exposition personnelle que la ville lui consacrera. © Taysir Batniji

Repères Taysir Batniji est né à Gaza en 1966, a débuté ses études d’art en Cisjordanie entre 1985 et 1992, poursuivies à l’Ecole des Beaux-Arts de Bourges de 1995 à 1997. Résidant entre l’Europe, en France notamment, et la Palestine, il développe dans cet entre-deux géographique et culturel, une pratique artistique pluridisciplinaire (peinture, arts plastiques, vidéo, photo). Il a participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives, festivals, workshops et rencontres en Europe et dans le monde. Il est aujourd’hui représenté par la galerie Sfeir Semler à Hambourg et à Beyrouth et à Paris par la galerie Eric Dupont.

Résidence

D’avril à juin 2012

La Savonnerie Marius Fabre Implantée à Salon de Provence, la Savonnerie Marius Fabre transmet son savoir faire artisanal depuis plus d’un siècle : le vrai savon de Marseille fabriqué exclusivement à partir d’huiles végétales, d’olive, de coprah ou de palme, sans colorant ni adjuvant, dans le respect des techniques de saponification en chaudron.

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KARINE ROUGIER Le temps des vacances Repères

Diplômée en 2005 du DNSEP à l’École d’art d’Aix-en-Provence, Karine Rougier, née à Malte en 1982, participe à de nombreuses expositions individuelles et collectives en France, et encadre divers workshops et ateliers de dessin/ peinture/ collage/volume. En 2010, elle est Lauréate de Mécènes du Sud et bénéficie d’une aide à l’édition et à la production d’œuvres; en 2011 paraît chez Sextant et Plus une monographie

Résidence

de décembre 2011 à mars 2012

Partenaires

Depuis sa création il y a 40 ans à Marseille, la chaine hôtelière de loisirs et tour opérateur Vacances Bleues s’est investie dans des actions de mécénat artistique, social et humanitaire, regroupées depuis 2006 au sein d’une Fondation d’entreprise. Dans le domaine des arts visuels, celle-ci soutient la création émergente par l’organisation d’expositions, l’achat ou la commande d’œuvres, la production et l’édition. Vacances Bleues fait partie des membres fondateurs de Mécènes du Sud, qui soutiennent cet atelier. www.vacances.bleues.com Fondation Vacances Bleues et Marseille-Provence 2013, avec le soutien de Mécènes du Sud.

Repères

Elle a pris ses quartiers d’hiver à Vacances Bleues pour une résidence de création de près de quatre mois. Là, elle réenchante l’espace nu, accroche aux murs photos et planches de dessins, accumule sur une étagère bouquins et menus objets, range sur le tréteau ses crayons gris à pointe fine. Un univers personnel hétéroclite appréhendé quotidiennement par les salariés qui peuvent suivre son processus de création : un dessin de 190 x 140 cm épinglé au mur, évolutif, qui laisse en évidence les chemins sinueux de sa pensée et de son geste, intitulé, provisoirement, Le temps des vacances. L’œuvre prend ses racines dans un fourbi d’objets récoltés par les employés au gré de leurs pérégrinations; souvenirs de vacances auxquels elle invente un nouveau destin sur le papier : «Cela pouvait être troublant, confie-t-elle. Je n’ai pas dessiné chaque objet exactement, même si c’était l’attente de certains salariés. Je me suis emparée de leurs histoires…»Le projet fait mouche au sein de l’entreprise dont le fer de lance est le voyage. Chacun projette dans l’œuvre en cours un peu de ses parenthèses extraordinaires, de ses rêves… Les 350 œuvres de la collection de Vacances Bleues sont exposées dans les sièges sociaux et les hôtels, mais travailler à la lumière d’œuvres d’art accrochées dans les bureaux est une chose, faire l’expérience de la création vivante en est une autre ! Soutenue par Mécènes du Sud, la résidence devrait trouver un prolongement en 2013 dans une forme non encore définie. Pour l’heure, Vacances Bleues lui a consacré une exposition monographique à l’occasion du Printemps de l’art contemporain.

Kathryn Cook est née au Nouveau Mexique et a fini ses études de journalisme en 2001. Depuis, ses photographies documentaires sont régulièrement publiées dans le New York Times, Newsweek, Time, Stern… Elle fait partie de la prestigieuse Agence VU.

Résidence De septembre 2011 à juin 2012 Jeunesse Arménienne de France L’association, née après la seconde guerre mondiale, œuvre en particulier au développement de la culture, de la langue et des arts arméniens. Coproductrice de cet Atelier, elle a également ouvert ses archives et permis à la photographe de rencontrer les Marseillais d’origine arménienne, une des plus anciennes et importantes communauté de France. www.la-jaf.com Le Bec en l’air Maison d’édition d’ouvrages d’art, de photographie, Le Bec en l’air met en pages de façon élaborée, et contemporaine, la relation entre texte et image. Basée à La Friche, elle compte aujourd’hui plus d’une soixantaine de publications à son catalogue. www.becair.com

© Marie Deruffi

Repères Née en France dans une famille algérienne, Zineb Sedira vit à Londres après avoir étudié au Royal College of Art. Elle a été nommée en 2009 Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres. Plasticienne, photographe et vidéaste, elle travaille notamment sur la mémoire et les flux migratoires.

Atelier Résidence d’octobre 2011 à l’automne 2012 Ici / Ailleurs, en janvier 2013 Espace Panorama de la Friche - Belle de Mai

Grand Port Maritime de Marseille Le Port de Marseille Fos est le premier port français, et l’un des plus grands pétroliers au monde. Il assure le transport des marchandises, minerais, matières premières et passagers entre l’Europe et la Méditerranée, et dessert 400 destinations sur la planète. Ses deux bassins couvrent une superficie de près de 10 500 hectares au total.

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KATHRYN COOK, Memory of trees

© Kathryn Cook

© Kathryn Cook

C’est par hasard, au cours d’un voyage en Turquie en 2006, que la photographe américaine a senti une absence. Et a découvert qu’il était interdit de parler du génocide arménien. Alors elle s’est mise à chercher les traces de ce peuple, en Syrie, au Liban, à Jérusalem, en Arménie, pour comprendre l’ampleur du silence et documenter sa vision. Puis elle est parvenue dans un petit village turc peuplé de Kurdes et planté de mûriers, et de vers à soie. La mémoire d’un artisanat arménien, dans les arbres. Depuis elle a séjourné à Marseille, rencontré Ovsana Kaloustian, centenaire qui a vécu l’exil en 1915… Ses photographies, d’un magnifique lyrisme et d’une rare humanité, s’accompagnent de commentaires succincts mais éclairants sur une histoire qui n’est pas la sienne, mais qu’elle rend comme un témoin infiniment sensible, et entêté. Elles feront l’objet, en 2013, d’une exposition monographique au MuCEM, et d’une publication au Bec en l’air.

ZINEB SEDIRA Sans titre (provisoire) Le projet de Zineb Sedira pour les ateliers de l’EuroMéditerranée est de conclure son triptyque vidéo consacré aux ports d’Alger et de Marseille. Dans le deuxième volet, intitulé MiddleSea, l’artiste filmait le ferry circulant entre les deux villes, ses gerbes d’écume et coursives désertes, dans une puissante évocation de l’expérience du transit... Attente comprise, corne de brume et regard perdu dans les vagues, le mazout laissant une tache sale dans le sillage du bateau. «La plupart de mes recherches portent sur le mouvement, les flux, les déplacements, les exodes.» Jean-Claude Terrier, Directeur Général du Grand Port Maritime de Marseille, se dit ravi d’accueillir Zineb Sedira : «Pour nous qui le connaissons comme un outil, ce sera enrichissant de découvrir le regard d’une artiste sur le Port.» L’artiste quant à elle espère aussi accéder aux archives, ce qui n’est pas évident dans un cadre industriel, et rencontrer les salariés, marins, dockers, pour les faire parler de leur lieu de travail, de leur rapport à la mer. «Je m’intéresse à l’histoire orale. Le son est important dans mon processus de création.» Les repérages auront lieu cet été, le tournage en septembre, en fonction des arrivées de bateaux, puis l’œuvre sera intégrée à l’exposition inaugurale du nouvel espace de la Friche en janvier 2013. Afin de prolonger son immersion dans l’univers salé du Port,

le public pourra accéder exceptionnellement et durant toute l’année à la totalité du hangar J1, et même à une partie de la Digue du Large.

Série Alger-Marseille, 2008 © Courtesy Zineb Sedira et galerie Kamel Mennour, Paris

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Repères Jean-Michel Bruyère est membre très actif du groupe d’artistes LFKs, dont le siège est à Marseille et les ateliers principaux à la Friche la Belle de Mai. Les domaines d’activité de LFKs vont du cinéma aux arts électroniques, en passant par la vidéo, la musique et la littérature. Le groupe LFKs est international : ses membres sont de 14 nationalités différentes, et ils ont participé à des résidences de création dans 34 pays depuis sa fondation. Atelier Résidence de juin 2011 à juin 2012 École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne Fondée en 1816 par Louis XVIII, l’École des Mines a accompagné la révolution industrielle en formant les ingénieurs de l’époque. Aujourd’hui, elle est l’une des institutions les plus prestigieuses de France, et propose une formation complète, entre recherche, technique et monde de l’entreprise. En 2002, elle a ouvert un second site à Gardanne, dont la spécialité est la microélectronique.

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Repères

© JM Bruyère

JEAN-MICHEL BRUYÈRE It’s now baby ! Marseille Provence 2013 accompagne Jean-Michel Bruyère depuis 2011 sur ses projets en région, avec une installation (bouleversante !) lors du dernier Festival d’Avignon, un opéra dans le cadre du prochain Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, et à Arles en 2013 «un grand polyptyque vidéo, conçu spécialement pour la halle des Ateliers SNCF et exploitant les dernières capacités de l‘image en très haute définition.» Conçues comme «un cycle de créations, intitulé vitaNONnova et dont l’histoire du Black Panther Party est le fil», ces œuvres ont donné lieu à une collaboration entre l’artiste et les élèves de l’École des Mines. Encadrés par un enseignant, Laurent Freund, trois groupes d’étudiants se sont penchés sur un projet «d’édition pour tablette numérique : la conception artistique et technique d’un «livre enrichi» c’est-à-dire exploitant les possibilités offertes par ce support électronique en matière de navigation dans un contenu articulant textes, photos, illustrations, films, musiques…» Le public aura par exemple la possibilité d’accéder à certaines archives qui ne sont physiquement consultables qu’à San Francisco. Jean-Michel Bruyère commente sobrement son travail : «Beaucoup d’expériences sont menées en ce moment à travers le monde dans ce domaine, nous ne faisons que nous inscrire dans ce mouvement général.» Mais l’expertise de la prestigieuse École des Mines est certainement un atout en matière d’innovation technologique…

Après une maîtrise en Arts Plastiques à l’Université d’Aix-en-Provence, Étienne Rey a poursuivi ses études en architecture ; il a également tâté du dessin industriel et des sciences dures avant de débuter sa carrière d’artiste plasticien en 2001. Son travail explore le mouvement et l’espace, en filiation directe avec l’art cinétique. Le projet Tropique a été lauréat du Réseau Arts Numériques en 2011.

Atelier

Résidence de mars 2011 à janvier 2012

IMéRA

L’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées, fondé par les Universités d’Aix Marseille et le CNRS, accueille en résidence des chercheurs, scientifiques et artistes, afin de mettre l’accent sur «la condition humaine des sciences». Son objectif est de favoriser leur rencontre, en leur évitant toute contrainte administrative ou d’enseignement le temps nécessaire à leurs travaux.


FRANCK POURCEL, Constellations

Repères Franck Pourcel vit et travaille à Marseille, et pose depuis toujours sur sa Méditerranée un regard très personnel. Ses photographies, traversées par une sensibilité d’anthropologue, font ressentir l’épaisseur du temps, des paysages… et des gens.

Sur la mezzanine de la société nautique, Franck Pourcel trace des lignes entre les étoiles… Pour 2013 il conçoit 13 Constellations, sortes de voyages récits photographiques sur les traces d’Ulysse, de Troie à Ithaque, de Charybde en Scylla, chez les Lotophages de Djerba ou Calypso à Gibraltar... Des séries qui organisent l’espace autour de thèmes, la mythologie, les rivages ou les terres, les corps et les conflits… Une façon d’écrire des «récits» avec des images. Le travail réalisé par les élèves de 6ème reprenait ces principes : il s’agissait de photographier vite, en traversant la ville en deux heures du Port à leur Collège, chaque enfant muni d’un appareil jetable. Puis à partir de ces clichés il leur a fallu opérer des choix, fabriquer des séries narratives, thématiques. Et dessiner leurs propres constellations

Le FRAC Pour le Fonds Régional d’Art Contemporain PACA, financé conjointement par l’État et la région, l’année 2013 s’annonce capitale : inauguration du nouveau bâtiment sur la Joliette, pilotage du projet Ulysse… c’est dans ce cadre que le FRAC produit cet Atelier de l’EuroMéditerranée, accompagnant également son volet pédagogique.

Collège Cluny

Constellation, Messine © Franck Pourcel

ÉTIENNE REY Tropique L’atelier d’Étienne Rey est tendu de draps noirs, une bouche d’aération crache des flots de vapeur qui envahissent lentement l’espace, et trois vidéoprojecteurs sculptent cette matière impalpable à l’aide de la lumière. Pour le visiteur, c’est une sensation physique unique en son genre, les murs et le sol disparaissant pour laisser la place à un non-lieu défini par des rais lumineux et les volutes du brouillard. Dans la version finale, un dispositif de capteurs Kinect et caméras 3D infrarouges permettra au public d’interagir avec ces flux, les plus infimes mouvements entraînant une réaction en écho à sa présence. Derrière cette installation subtile, une collaboration fructueuse entre le plasticien et Laurent Perrinet, chercheur en neuroscience, spécialiste de la perception et de la cognition. «Le cerveau humain évalue constamment son environnement : ça c’est lumineux, ça non. Ça c’est en mouvement, ça non, ça ça n’existe pas, ça oui... D’où parfois la reconstitution faussée, les illusions d’optiques !» Mais l’artiste n’a pas cherché à mettre en scène un mirage, il évoque

plutôt les hologrammes ou la transformation de la lumière par la matière, son dessein étant de révéler... une structure à l’état de vapeur. Le visiteur ne percevra peut-être pas que l’univers dans lequel il plonge est le fruit de savants algorithmes issus de la mécanique des fluides, et c’est tant mieux : il pourra ainsi absorber avec l’esprit libre des enfants une atmosphère onirique, contemplative et ludique à la fois. Tropique 2011 © Etienne Rey

Établissement privé confessionnel catholique, qui a engagé deux classes de 6ème dans l’atelier photographique de Franck Pourcel, accompagné de Laurie Corso (prof d’histoire) et Audrey Monnier (prof d’arts plastiques).

Société Nautique de Marseille La SNM est une société créée en 1887 qui organise des régates et manifestations nautiques, gère les places de port et l’école de voile. Elle regroupe 22 clubs nautiques, compte 528 sociétaires et 10 salariés, gère 564 bateaux, ouvre ses archives au public, et son restaurant, situé sur le Pavillon flottant du Vieux Port, aux gourmets.

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MOHAMED BOUROUISSA L’utopie d’August Sander

Visuel L'utopie d'Auguste Sander © Mohamed Bourouissa

August Sander est ce portraitiste allemand de la première moitié du XXème siècle, célèbre pour avoir amené une pratique documentaire sur le terrain de la photographie artistique. Il a inspiré des générations de photographes avec son « portfolio archétypal », regroupant des portraits de paysans, artisans, ouvriers et membres d’autres couches sociales en tenue quotidienne. Mohamed Bourouissa s’inscrit dans la filiation de ce témoin de la crise de 1929, en choisissant de centrer son œuvre sur la figure du chômeur ; une autre manière d’aborder le monde du travail dans une période mouvementée. Il s’est installé pour deux mois sur le site du Pôle Emploi de la Joliette, à la rencontre des personnes qui le fréquentent au jour le jour. « Je parle beaucoup avec les employés et les usagers, et je demande l’autorisation d’assister aux entretiens. La plupart acceptent, mais je me pose la question : est-ce qu’ils ne jouent pas un rôle parce que je suis présent ? » Eternelle interrogation des sociologues sur le terrain ! Dans son camion, véritable fab-lab mobile équipé d’un scanner corporel, d’une web cam et d’une imprimante en 3D, Mohamed Bourouissa capture « la physionomie, la corporalité » d’un individu, pour « revenir à l’essentiel de sa posture » sous forme de statuettes

en résine. Le caractère flouté, l’absence de précision sont volontaires, dans la continuité de la démarche qu’il avait déjà adoptée lors de la réalisation de son film Temps mort : « J’ai voulu aller vers une image détériorée, pixellisée. La perte de définition correspond à une déperdition d’identité, j’ai cherché la même chose en volume. » Son matériel, presque artisanal (on peut se procurer une imprimante 3D pour moins de mille euros), et sa méthodologie élaborée à partir d’éléments trouvés sur internet correspondent au mouvement du Do it yourself, dont le développement pourrait secouer les logiques traditionnelles de l’offre et de la demande mis en place par l’économie de marché en matière de production et de diffusion des artefacts. L’artiste interviendra sur le territoire de la Capitale dans le cadre d’ateliers conçus sur ce principe et centrés sur le thème du travail, jusqu’à l’automne 2013, à la rencontre d’employés, étudiants et demandeurs d’emploi. L’idée étant d’intégrer les outils technologiques de manière autonome dans une démarche artistique. Une partie du projet sera présentée lors de l’exposition Ici, Ailleurs à la Friche en janvier 2013, la deuxième partie s’exportera à Gennevilliers au mois de septembre.

© Yazid Oulab

YAZID OULAB, Sans titre

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Le projet de Yazib Oulab est évolutif, c’est-à-dire «perméable» aux gens qu’il rencontrera au Centre de rééducation Richebois et à l’entreprise toute proche, les Tuileries de Saint Henri. Inspiré par la situation géographique du Centre en promontoire, en position de guet face à l’autre rive (Alger), il sera comme un écho à la magie du lieu : «quand j’aurai intégré ce site qui domine Marseille, quand j’aurai dialogué avec les gens, les choses se mettront en place. Le lieu définira la forme de l’œuvre». Ce qui est certain, c’est qu’il utilisera la terre comme médium, cette même argile que les ouvriers sont venus travailler dans les Tuileries de Saint Henri, regroupés en habitat précaire… À travers des ateliers autour de l’invention de l’écriture cunéiforme ils pourront, ensemble, remonter le temps et l’histoire du lieu, des gens, de l’immigration… pour inventer une forme plastique. Yazid Oulab imagine déjà «construire des murs, comme une petite ville, avec des tablettes de terre cuite mises debout, évoquant des cloisons, des labyrinthes…». Une déclinaison de la matière pensée «comme une réponse aux Gourbis de terre crue». Ce projet fera également l’objet d’une autre production qui s’inscrira dans le parcours ULYSSE proposé par le Frac : «Ulysse et Sindbad, dans la tradition arabe, ont vécu des voyages presque similaires. Je souhaite travailler sur l’idée d’un patrimoine universel des cultures à travers les figures mythologiques».


Repères

MONA HATOUM, Sans titre

Lauréat du Prix Voies Off aux Rencontres Photographiques d’Arles en 2007, Mohamed Bourouissa est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Son œuvre s’inspire souvent de celle de peintres et met en scène de manière très précise un environnement urbain contemporain, plaçant la photographie de reportage dans le champ de l’art.

Atelier janvier à mai 2012

Mona Hatoum. Bunker, 2011, © Hugo Glendinning. Courtesy White Cube, London

Repères Né à Alger en 1958, Yazid Oulab vit et travaille à Marseille. Une exposition personnelle est programmée en 2013 dans le nouveau bâtiment du Frac.

Résidence

avril à octobre 2012

Centre de rééducation Richebois Le Centre a pour objectif d’entraîner ou de ré-entraîner les personnes handicapées au travail, en vue d’une insertion ou d’une réinsertion professionnelle. Production déléguée Association Voyons voir art contemporain, en partenariat avec le FRAC Paca

Pour mener à bien son projet de créer une pièce unique alliant le métal et le verre, Mona Hatoum procède par résidences de recherches successives et de partages de compétences. À plusieurs reprises, elle s’immerge chez ArnouxIndustrie, au plus près des ouvriers spécialisés, pour appréhender toutes les possibilités techniques offertes par le métal. Là, elle apprend à tordre le métal, à tailler de grandes cages en acier réalisées à partir de fer à béton armé… De la même manière, Mona Hatoum se fondra dans l’équipe de souffleurs de verre du Centre international de recherche sur le verre de Marseille (Cirva) pour résoudre d’autres problèmes techniques, de cuisson, ou encore pour travailler sur le rapport à la couleur… Mona Hatoum a utilisé dans un premier temps la performance avant de se tourner vers la vidéo, l’installation et la photographie, et aujourd’hui la sculpture : ses œuvres abordent des problématiques liées à la confrontation, à la violence, à l’oppression, au voyeurisme, souvent en relation avec le corps, mais également des thèmes comme l’exil, l’enfermement, la frontière… À l’instar de l’ensemble de son œuvre, cette nouvelle création s’inscrit dans une démarche très engagée. L’œuvre réalisée grâce aux savoir-faire des équipes d’ArnouxIndustrie et du Cirva sera présentée en janvier 2013 à la Friche dans le cadre de «Ici et Ailleurs». Dans le même temps, une exposition monographique sera organisée à la Chapelle des Pénitents noirs à Aubagne par le Frac dans le cadre du projet Ulysse.

Repères Née en 1952 à Beyrouth de famille palestinienne, Mona Hatoum n’a jamais cessé de voyager pour des raisons historiques (la guerre civile au Liban), universitaires (enseignement à Londres, Maastricht, Cardiff, Paris) ou artistiques (résidences en Grande-Bretagne, Canada, Etats-Unis…). Aujourd’hui elle habite à Londres et à Berlin. En 2004, Mona Hatoum reçoit le Prix Sonning pour sa contribution majeure à la culture européenne, ainsi que le prix Roswitha Haftmann décerné chaque année à un artiste contemporain. La fondation Querini Stampalia lui a consacré une exposition personnelle dans le cadre de la Biennale de Venise de 2009.

Résidence

De mars à juillet 2012

Arnoux-Industrie Installée à Aubagne depuis 1894, cette entreprise est spécialisée dans la chaudronnerie industrielle inox : mobilier industriel, usinage mécanique, découpe de tôle acier et inox, pliage de tôle acier fine, confection de passerelles acier, de containers… Arnoux-Industrie a déjà accueilli en résidence l’artiste Sarkis pour la réalisation des décorations du Parvis de la Défense à Paris.

Cirva Créé en 1983 et installé depuis 1986 dans un ancien bâtiment industriel de Marseille, le Cirva est un atelier de recherche et de création contemporaine qui accueille des plasticiens, des designers ou des architectes ayant des pratiques variées et désirant introduire le verre dans leur démarche créatrice.

Coproduction MP 13, Arnoux-Industrie, Cirva

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ROBIN DECOURCY, sans titre

Etudes www (Who Where When) 8 regards sur le bureau de l’artiste en résidence / Bleu Ciel Art In Progress © Robin Decourcy

Bleu ciel et Robin Decourcy n’étaient pas faits pour se rencontrer. La première est une agence spécialisée dans les relations média et le lobbying dirigée par

Nathalie Dunoir et Magali Triano ; le second «vient d’un milieu lyrique, du point de vue artistique, et est désillusionné par le libéralisme». Pour lui le mot «entreprise» est synonyme de «planète Mars» ! Ce qui le pousse, justement, à réfléchir sur les notions d’entreprise, de hiérarchie, de productivité, de marché… Grâce à Mécènes du Sud, les voici œuvrant ensemble, et ce qui peut paraitre antinomique est devenu une véritable force : un levier de création chez l’un et de remise en question chez l’autre. Depuis février il observe, note, confronte, provoque, soulève des interrogations, pousse dans leurs retranchements la direction et l’équipe (8 personnes) sans savoir encore quelle forme définitive donner à l’œuvre. Nathalie Dunoir n’en revient pas du séisme positif provoqué par sa présence : «C’est une opportunité formidable qu’il puisse intégrer l’agence et gommer l’effet pyramidal de l’entreprise dans une relation horizontale (…) Robin a une forte capacité d’empathie et d’écoute. Il sait, sans être intrusif, obtenir tout ce qu’il veut». À savoir inverser la relation mécène-artiste en confiant à Bleu ciel la réalisation de son propre portrait ! Pour opérer ce détournement, Robin Decourcy respecte l’organisation pyramidale mais l’inverse, s’appuyant sur les compétences de chacun, et l’accompagnant dans le processus de création et sa mise en exécution.

ANTOINE D’AGATA, Odyssée L’odyssée d’Antoine d’Agata n’est pas uniquement la sienne, mais celle de 9 migrants qui veulent tenter leur chance dans cette Europe tant convoitée, 9 migrants qui espèrent franchir clandestinement les portes de l’Europe, aux confins de l’espace Schengen. Ils viennent de Tanger et de la côte ouest de l’Afrique, d’Algérie, de Turquie, d’Albanie, de Roumanie ou d’Afghanistan… Sur la route par intermittence depuis mai 2011, le photographe, à chaque voyage, remonte les filières, rencontre les passeurs, entre dans le quotidien des hommes et des femmes qui ont tout quitté. Et à chaque © Antoine D'agata / galerie les Filles du Calvaire

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fois il partage avec eux le chemin de l’aller, celui qui les mènera jusqu’à l’île de Lampedusa ou ailleurs. Car Antoine d’Agata connaît l’existence des centres de rétention administratifs aux frontières de l’Est et du Sud, il sait le terrible accroissement de leur population (26 CRA en France métropolitaine ont vu défiler 33600 personnes en 2010, soit plus du double de 1999)… L’immigration, la clandestinité sont des thèmes qui traversent son œuvre, au point qu’il ancre son propre quotidien «dans le vif de la réalité des itinéraires», qu’il expérimente ces situations critiques, se confronte à cette réalité sociale et économique qui conduit à l’exil des milliers de personnes chaque année. Il a besoin d’éprouver en son corps les expériences humaines et artistiques. Le temps de cette errance volontaire, Antoine d’Agata écrit comme un reporter, avec son appareil photo et, pour la première fois, une caméra vidéo. Comme une énième mise en danger de son travail et de lui-même. Son projet devrait aboutir à la réalisation de 9 courtsmétrages de 5 minutes et 9 séries d’images photographiques dont l’ambition est de documenter «neuf fragments d’itinéraires, neuf odyssées contemporaines». Les lieux captés seront volontairement non identifiables : installations portuaires, aires d’autoroute, cales de bateau, routes, foyers, centres de rétention, camions… Deux lieux de résidence lui permettent de couvrir ce vaste territoire : Marseille pour le Sud et Kosice pour l’Est, Kosice étant également capitale européenne en 2013.


Repères Robin Decourcy, lauréat 2010 Mécènes du Sud, a suivi des études aux Beaux-arts de Mexico et à la Villa Arson à Nice où il a créé un lieu d’art participatif, Le Désappartement. Dans sa pratique, il s’adapte à des situations particulières à travers des travaux contextuels aux formes variées : mise en scène, performance, chorégraphie, photo, peinture.

Résidence

De mi-février à juin 2012

Bleu ciel L’agence, née en 1995, est spécialisée dans la communication institutionnelle, industrielle et corporate. Elle ouvrira prochainement un Pôle Art destiné à promouvoir artistes et festivals ainsi qu’une résidence d’artistes pour «apporter du business dans l’art et aider les artistes à se développer».

Coproduction Bleu ciel et Marseille Provence 2013

Repères Photographe associé de l’Agence Magnum Photos, Antoine d’Agata, né à Marseille, est l’auteur d’une œuvre radicale, inclassable. Depuis les années 90 il alterne expositions, enseignement, ateliers photographiques, commissariat d’expositions, jurys… En 2009, à l’occasion de la parution chez Actes sud/Atelier de Visu de son ouvrage Agonie (texte de Rafael Garrido), l’éditeur arlésien écrivait : «Antoine d’Agata a depuis longtemps perverti les codes de l’acte photographique et vise peut-être à les abolir aux risques et périls d’une vie mise en jeu».

Résidence

De mai 2011 à mai 2012

Coproduction Bibliothèque et Archives départementales de Marseille, MP 2013, MuCEM

Production déléguée Atelier de Visu

Programmation 2013 Exposition diptyque au MuCEM et aux Archives départementales



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