Zibel64

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un gratuit qui se lit

N째64 - du 19/06/13 au 17/07/13



MuCEM Ouverture, au programme

4, 5, 6

Villa Méditerranée Théâtre, au programme Entretien avec Régis Sauder

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Fêtes et plein air TransHumance, Groupe F Anapos et Opéra d’O, Art tangent Made in Friche, Chaud dehors Tous dehors, la Folle Histoire, Chorus

10 11 12 14

Critiques Théâtre Danse Musique

16 à 24 26 à 28 30 à 38

Cahier central Festivals Cinéma

60 à 65

Arts visuels

66 à 78

Littérature Rencontres Entretien avec Molly Fournel Livres CD

79 à 82 83 84 à 86 88

Rencontres Prix lycéens Paca, Mémorial de la Marseillaise

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Sciences Science, politique et société

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Patrimoine Pont du Gard Journées de l’archéologie

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Horizons BJCEM Ancône

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Cerveau indisponible La Grèce n’a plus de télévision publique. Black out. Dans un pays en crise politique, défiant envers la presse, où une extrême droite ouvertement nazie assoit son influence, où le désespoir guette un peuple qui est passé de guerre mondiale en guerre civile puis en dictature… dans ce pays désormais la télé privée pourra profiter en exclusivité du temps de cerveau disponible, que le désespoir rend perméable à tous les aboiements. Pendant ce temps la France obtient le maintien de l’exception culturelle : l’accord commercial de libre échange entre les États-Unis et l’Union Européenne ne concernera pas les industries culturelles : le cinéma, le livre, les industries musicales mais surtout l’audiovisuel public pourront continuer à percevoir des subventions, ne pas être soumis à la concurrence, ne pas être alignés sur le fonctionnement général du marché. L’industrie culturelle américaine et ses blockbusters devront laisser vivre la production européenne indépendante et de service public ! Victoire courte, qui interroge tout de même sur le reste. Quid de cet accord de libre échange pour l’éducation et la santé ? pour l’environnement ? Les multinationales et Mosanto se réjouissent de cette soumission volontaire des États, auxquels ils pourront désormais imposer leurs règles par la loi. Car que révèle cette victoire de la France ? L’acceptation par tous les autres États d’une libéralisation totale des productions humaines. La Grèce n’a plus de télévision publique pour des raisons économiques. D’autres pays en crise risquent le même sort, avec ou sans exception culturelle, tant que les productions humaines ne serviront pas les intérêts des humains, mais du capital. AGNÈS FRESCHEL

Mensuel gratuit paraissant le deuxième mercredi du mois Edité à 32 000 exemplaires imprimés sur papier recyclé Edité par Zibeline SARL 76 avenue de la Panouse | n°11 13009 Marseille Dépôt légal : janvier 2008 Directrice de publication Rédactrice en chef Agnès Freschel agnes.freschel@wanadoo.fr 06 09 08 30 34 Imprimé par Rotimpress 17181 Aiguaviva (Esp.) photo couverture Cie Artonik, The color of time Agnès Mellon 095 095 61 70 photographeagnesmellon.blogspot.com

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www.journalzibeline.fr Secrétaires de rédaction Dominique Marçon journal.zibeline@gmail.com 06 23 00 65 42

Musique et disques Jacques Freschel jacques.freschel@wanadoo.fr 06 20 42 40 57

Philosophie Régis Vlachos regis.vlachos@free.fr

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La Régie Jean-Michel Florant laregie@gmx.fr 06 22 17 07 56 Collaborateurs réguliers : Frédéric Isoletta, Yves Bergé, Émilien Moreau, Christophe Floquet, Pierre-Alain Hoyet, Clarisse Guichard, Manon Mathieu


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© Agnès Mellon

Plus de 64 000 visiteurs pendant les journées portes ouvertes, entre 6000 et 9000 visiteurs par jour dans les collections depuis l’ouverture payante, sans compter tous ceux qui se promènent dans les passerelles et jardins en accès libre, entrent dans les salles offertes, s’attardent accoudés aux remparts du Fort Saint Jean face à une vue unique d’une baie dont on redécouvre l’exceptionnelle beauté… Le succès dépasse, deux ou trois fois, les attentes les plus optimistes. Il faut dire qu’il a fait beau ! il faut dire surtout que les Marseillais aiment leur ville, et souffrent depuis toujours des négligences de l’État à son égard, et des mauvais choix des locaux à son encontre. Ce cadeau exceptionnel, unique, de l’État à une ville qu’il a toujours méprisée, se reçoit aujourd’hui avec émotion, comme le signe d’une possible réconciliation. L’accueil de la presse nationale, c’est-à-dire parisienne, est d’ailleurs emblématique : alors que MP2013 peine à échapper aux critiques les plus diverses et souvent les plus absurdes, et mal renseignées, le MuCEM a d’emblée suscité le dithyrambe : les expositions, mais surtout l’architecture… Et la presse «nationale» n’a pas tort : le bâtiment de Rudy Ricciotti est une merveille d’intelligence inspirée, s’arpente dans un sentiment de liberté, d’espace et d’intimité pourtant. Les passerelles et l’esplanade du Fort Saint Jean offrent des points de vue insoupçonnés et stupéfiants, et la restauration du Fort est délicate et belle.

Parcours dans le Fort En entrant dans le MuCEM par la passerelle du Panier on pénètre le Fort par en haut, et un parcours historique à entrée libre est offert : l’évocation du Quartier Saint Laurent dans la Salle de Garde fait entendre et voir comment ce pan de Marseille, son cœur historique, a été soustrait à la ville. Un Parcours historique autour des remparts permet de comprendre comment Marseille s’est construite, tout en admirant les panoramas. Puis le Jardin des migrations, en quinze tableau : pour l’heure (ça pousse !) la végétation n’est pas luxuriante, mais il s’agit de plantes méditerranéennes, et d’un jardin sec, sans arrosage ni engrais. On y redécouvre ces plantes de garrigue qui poussaient sur nos collines avant

© Agnès Mellon

Le MuCEM, un nouvel horizon On attendait un bouleversement, c’est une métamorphose. Le MuCEM est un des plus beaux musée du monde, et change considérablement le visage de Marseille, lui offrant une véritable cité culturelle… que les incendies successifs ne modifient les équilibres ; on y voyage aussi, glanant ce que les migrations ont fait circuler de plantes et de savoir faire horticoles. Des sentiers ethnobotaniques expliquent, font sentir. Mais la foule dense des premiers jours rendait difficile le simple geste de s’y accroupir un instant pour voir ! La pratique du jardin, saisonnière, variée, se goûtera dans le temps… Dans le Fort l’exposition Le Temps des loisirs ouvrira début juillet, seul volet de l’ouverture ayant pris un peu de retard… Dans la Chapelle Saint Jean (entrée Tour du Roi René au niveau de la mer) les rites de passage sont exposés dans une gigantesque vitrine en hauteur, qui transforme un fatras hétéroclite d’objets populaires en œuvre sacrée : la quille des militaires, les rites de mariage, de baptême, de deuil accumulés dans les réserves du musée des arts populaires sont ici réinvestis, restaurés, offrant leur contraste joyeux sans explications, hors une tablette où le visiteur peut sélectionner et comprendre… Sur la place du dépôt un castelet invitera tout l’été, grâce au fonds unique du MuCEM en ce domaine, à découvrir des spectacles de marionnettes traditionnels à 17h30 (Cie 7e act les 29

et 30 juin, collectif Zonzons le 21 juillet, Arketal ensuite…). Tandis que le bâtiment Georges Henri rivière abrite les expositions photographiques…

Dans le J4 Les trois expositions sont de grandes réussites, presque incontestées. Le Noir et le Bleu tient toutes ses promesses : la scénographie, discrète et solide, laisse respirer les dimensions de chaque œuvre. L’essentiel du parcours que Thierry Fabre (voir interview Zib 63) propose pour découvrir les différentes périodes d’ombre et de lumière qu’ont connues les rives méditerranéennes, repose sur des œuvres artistiques incontestées : Goya, Picasso, Miro, Masson, Tapiés, Jabès satisfont les esthètes, mais aussi les plus grands photographes de presse, les plus grands artistes contemporains. Le propos, clair, s’articule en miroir dans chaque cellule de l’exposition, opposant les regards du colonisé et du colonisateur, du cosmopolitisme et du repli identitaire, de l’utopie et des violences, du progrès et du chaos. Cette exposition, qui hélas n’est que temporaire et cessera en janvier 2014 (la prolonger ?) repose peu sur des témoignages populaires, plutôt sur des objets de « Haute Culture ». En ce sens elle surprend moins que l’exposition permanente la Galerie de la Méditerranée, essentiellement fondée sur des objets populaires appartenant au MuCEM et issus du fonds des ATP (musée des Arts Traditions Populaires) dont Zeev Gourarier (voir interview Zib 63) fut le directeur adjoint. Les quatre salles de la galerie, si elles offrent au regard des Chagall, des objets archéologiques précieux, des œuvres contemporaines intégrées au propos, est formée pour l’essentiel d’objets récents qui témoignent des pratiques ancestrales, comme


Les publications

Au CCR la sakieh égyptienne qui s’impose au cœur de la première salle consacrée à l’invention de l’agriculture (et des dieux). D’autres objets sont des symboles forts, comme la guillotine ; des films explicatifs, de témoignage ou de fiction éclairent le propos, dans une foison hétéroclite qui n’a d’égale que la liberté tranquille du propos. Car au fond cette Galerie de la Méditerranée est un musée de l’homme, visant à constater à travers des preuves scientifiques et sur une grande échelle historique l’affaiblissement du divin, le triomphe de la citoyenneté athée et la naissance moderne de la raison et de la connaissance. L’autre exposition temporaire, dans un espace hélas un peu petit, propose un véritable bazar, volontairement désordonné et grouillant d’objets, sur tout un fatras de question liées au genre. On y chine comme aux puces, et ici les objets n’ont de valeur que par leur signifié, ou leur côté kitsch : difficile de passer de la révérence du Noir et Bleu à l’ironie du Bazar du genre ! mais l’oppression des femmes méditerranéennes, et des homosexuels, y trouve de parfaites illustrations, souvent décalées, parfois révoltantes…

C’est la partie cachée du MuCEM, discrète mais pas secrète pourtant. Le Centre de Conservation conçu avec modestie et lyrisme du secret par les architectes Corinne Vezzoni et André Jolivet, s’offre aussi au visiteur, étant aussi centre de Ressources. Pour les chercheurs, mais pas uniquement : les amateurs peuvent consulter le fonds d’ouvrages, visiter l’appartement témoin qui dévoile un très vaste échantillon des collections du MuCEM héritées des ATP et classées par type : fers à repasser du plus antique au calor vapeur, fleurs artificielles, bouillottes, voisinent dans les réserves avec une impressionnante série de manèges, outils agricoles, mobilier… une collection insensée, qui semble la réalisation d’un fantasme hallucinant, entre la bibliothèque de Borges et le Xanadu d’Orson Welles ! Avec en prime une salle d’exposition, au principe intéressant : le MuCEM offrira régulièrement à un commissaire la possibilité d’écrire une exposition à partir des pièces du fond. Le choix est vaste ! Pour l’heure Présentée vivante, fondé sur un récit de femme crocodile écrit pour l’occasion par Joy Sorman, à partir d’objets choisis et scénographiés par Jean Blaise et Patricia Buck… En accès libre aux heures d’ouverture du CCR. AGNÈS FRESCHEL Entree du CCR © David Huguenin

Les librairies du MuCEM (voir p 83) disposent des ouvrages relatifs à la programmation, et édités par le MuCEM. Le texte de Joy Sorman (exposition Présentée vivante) est disponible, ainsi que des «parcours» des expositions temporaires Au Bazar du genre et Le Noir et le Bleu, et un guide parcours des expositions permanentes (La galerie de la méditerranée et Le temps des loisirs) qui présente une sélection d’objets commentés. Autre est la démarche des catalogues publiés en coédition avec Textuel. Le Noir et le Bleu est une mine. Une première partie y reproduit avec une grande qualité dans le choix des formats, des respirations et de la mise en page, la quasi-totalité des œuvres de l’exposition, en expliquant succinctement le principe de chaque salle. Puis un abécédaire, en papier ivoiré élégant, explicite chaque concept, ou période historique ou artistique. La préface de Thierry Fabre est éclairante et belle. Le catalogue Au bazar du genre, plus modeste dans sa facture, n’a pourtant pas moins d’ambition. Reposant nettement moins sur l’iconographie il est un livre qui se lit comme autant de brèves études thématiques d’auteurs divers, qui viennent compléter et éclairer le Bazar : qui sont les vierges jurées d’Albanie ? quelle est la réalité des usages du voile ? de la répression légale de l’homosexualité ? quel est le paysage nouveau de la relation amoureuse ? Le choix, pour y répondre, est le texte. A.F. Au bazar du genre, Féminin masculin en Méditerranée Ed Textuel, 39 € Le Noir et le Bleu, un rêve Méditerranéen Ed Textuel, 45 €

La culture sans artistes… suite : rectificatifs, et précisions Nous écrivions dans notre numéro précédent, p6, l’article La culture sans artiste, un idéal libéral, que la subvention de l’État était supprimée. Ce qui est inexact : mais la subvention de fonctionnement de la Minoterie dispensée par la Drac, et les subventions des collectivités, ne sont pas suffisamment augmentées (diminuée même pour la Région) pour permettre le bon fonctionnement d’un lieu nouveau, plus grand, érigé à grands frais, sur lequel on fait ensuite des économies de bout de chan-

delle. Ce qui est absurde, et à l’œuvre dans tous les théâtres marseillais. Ce qui amène à se demander pourquoi on construit… pour que ça marche, ou pour faire des coups avec les coûts ? La Friche, toujours en attente de savoir quels crédits seront affectés à son pôle théâtre, est dans la même situation, et les compagnies régionales en meurent. Autre rectificatif : nous écrivions dans le même article que seuls la Criée, Le Gymnase et le merlan avaient de réels moyens de production.

Or quelques jours plus tard on apprenait que les productions du Gymnase, en difficulté financière, étaient affectées, en particulier aux dépens de Renaud-Marie Leblanc et sa Cie Didascalies, dont les prochaines œuvres ne seront pas coproduites, et qui se trouve aujourd’hui sans moyens suffisants pour créer. Quant à la Criée, il n’y aura pas durant la saison suivante de production propre, faute de budget… A.F.

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Intensités historiques 06 M U C E M

Les premiers moments de la programmation événementielle du MuCEM marquent d’emblée le champ que Thierry Fabre veut leur insuffler : festifs, et sérieux à la fois. Après le concert d’ouverture le 7 juin (voir ci-contre), le temps de Marseille Transit s’est installé sur trois jours, du 14 au 16 juin, proposant débats, projections et chansons, autour de Marseille entre 40 et 42, dans la France dite Libre. Période où l’horizon marin était le seul espoir de départ Transit de Rene Allio pour nombre de réfugiés fuyant le nazisme, juifs, intellectuels ou artistes «dégénérés», des Milles, ou à la villa Airbel. Le lendemain le opposants politiques. Mais la mer restait aussi débat avec Jean-Marie Guillon et Gérard Malune barrière imposante, et le régime de Pétain gat évoqua deux figures essentielles, qui ont une dictature aux pratiques arbitraires. Les permis de sauver des milliers de réfugiés en formalités administratives étaient longues, leur faisant accorder visa ou droit de passage : chères, et les candidats nombreux à l’exil vo- Varian Fry, qui ouvrit la porte de l’exil vers les lontaire. Vers le Mexique ou les États-Unis, ou États-Unis à nombre d’écrivains et d’intellecvers l’Afrique du Nord pour rejoindre De Gaulle, tuels. Moins connu aujourd’hui, le diplomate tous transitaient par Marseille, et y atten- mexicain Gilberto Bosquez ouvrit la voie vers daient les nécessaires cartes, visa de sortie et le Mexique, d’abord pour les Républicains Esd’entrée, et autorisation de transit par l’Espa- pagnols fuyant Franco, puis à tous ceux qu’il pouvait, moins tenu que Varian Fry à sauver gne ou le Portugal. C’est sur ce cul-de-sac administratif qu’Anna d’abord les artistes. Seghers a construit son roman, Transit, qui a La soirée 15 juin se termina en chansons avec inspiré toute la programmation. Le premier la création de Radio Transit, on chantait quand débat s’attachait à L’art en guerre, d’après même : Serge Hureau a mené un travail patril’exposition du musée d’Art Moderne de Paris, monial de collecteur de ces chansons cocasses avec Jacqueline Munck commissaire de l’ex- ou sentimentales, populaires et gouailleuse, position et Alain Paire, concepteur de ce cycle qui grâce à la radio résonnait pour la première Marseille Transit. Ensemble ils parlèrent de cet fois comme ne culture sonore commune. Une «art de la défaite», né sur les murs du camp autre manière, festive, d’évoquer Marseille à

l’époque. Car la veille le film Transit de René Allio plongeait dans l’atmosphère plus tendue du roman de Seghers. Le film modifie notablement certains personnages, en efface d’autres, mais donne plus que le roman l’atmosphère enfiévrée d’attente de Marseille. Léché, cadré, exact, le film dégage pourtant une impression de vitalité, de naturel confondante. Grâce aussi à la musique de Georges Bœuf, qui réinvente de fausses rengaines, que les spectateurs fredonnent en sortant, et qui sont très joliment ciselées. Et puis, voir sur l’écran la mer et le port que l’on voit aussi autour de soi du haut du Fort Saint Jean, constitue une mise en abime inédite… Car la magie du lieu est époustouflante, et regarder le soleil se coucher sur la mer, entendre les sirènes des bateaux qui sortent, donne ce plaisir étrange de la coïncidence parfaite entre la fiction, historique pourtant, et la réalité d’un horizon beau à couper le souffle. AGNÈS FRESCHEL ET MARYVONNE COLOMBANI

Les Intensités du MuCEM La programmation artistique du MuCEM se poursuit au Fort Saint Jean et l’Auditorium Germaine Tillion. Après Primed, une sélection de documentaires et reportages liés à la Méditerranée (remise des prix le 21 juin au MuCEM, projections jusqu’au 22 juin), Antonia Naïm initie le cycle cinéma Méditerranée(s), une traversée en images (voir p 64) à découvrir jusqu’en décembre, dont les rencontres, projections et spectacle dans le cadre de l’événement Pourquoi Camus ? (5 et 6 juillet). Le 12 juillet, concert autour de la figure de Louis Brauquier par le combo vocal Radio Babel Marseille (à 20h), suivi du ciné-concert Cœur fidèle, un sublime portrait du port de Marseille. Les 20 et 21 juillet, les films qui ont inspiré les grands cinéastes : Vengo de Gatlif, Scorsese ressuscitant Transes d’Ahmed El Maanouni

(le 20 dès 18h30), puis le dimanche à partir de 16h : Fatma d’Ahmed Badrakhan, Le Blues de l’Orient de Florence Strauss, J’ai même rencontré des Tziganes heureux d’Aleksandar Petrovic. Le 26 juillet à 18h30, l’auto-documentaire d’Agnès Varda, les Plages d’Agnès, suivi par Toni de Jean Renoir. Le 28, Honeymoons de Goran Paskaljevic (à 18h30) et L’éternité et un jour d’Angelopoulos (22h). Chaque projection est précédée d’apéro concerts au Fort St Jean : Ashes to Machine (30 juin à 20h30), Ssahha (20 juillet), Gerardo Cassiello (26 juillet), Kirika (24 août). À suivre également, en coproduction avec le Festival Mimi (voir carnet festivals p XI) la performance audiovisuelle Good Bye Schlöndorff (4 juillet), la présentation des films de jeunes réalisateurs du

Kirika © Onur Ethem Parlar

Campus Fid Marseille (7 juillet), le Forum Euroméditerranéen (10 juillet), la rencontre-débat D’où vient l’avenir dans le cadre du Festival d’art lyrique d’Aix (11 juillet) (voir p. XVI), le concert Sira de Jasser Haj Youssef Quartet (13 juillet) et la retransmission

d’Elektra de Richard Strauss mis en scène par Patrice Chéreau (19 juillet). Les Intensités de l’été jusqu’au 1er septembre 04 84 35 13 13 www.mucem.org


Au cœur de la musique… méditerranéenne

Le Grand Tour Au fort Saint-Jean, la photographie contemporaine inaugure la programmation 2013/2014 du bâtiment Georges-Henri Rivière, «inventeur de la muséologie moderne», confiée au directeur du musée Nicéphore Niepce à Chalon-sur-Saône. François Cheval, tel un architecte, pose d’abord les fondements avant de monter l’édifice, en proposant une exposition collective au titre générique Les choses de ce côté du monde- ou comment mettre en lumière «les lignes de force, les trames communes qui fondent la Méditerranée, mais aussi les contradictions et les oppositions». Comme celles qui se joueront ensuite entre Antoine d’Agata, Kathryn Cook et Patrick Zachmann, lors des expositions monographiques suivantes. Le premier épisode n’est pas seulement mis en scène, il est «construit» : par les questions qui sous-tendent l’ensemble des travaux des huit artistes invités (visions architecturales, politiques, sociétales, humaines) ; par le système de châssis en bois d’une belle simplicité imaginé par l’architecte Olivier Bedu et la scénographe Juliette Morel. Tout ici est correspondances, cohabitations ou symétries. Entre la vidéo d’Ange Leccia qui retient d’un rassemblement soufi au Caire le mouvement permanent des jeux de lumière des néons, et la précision clinique du regard d’André Mérian sur la banalité de l’architecture portuaire méditerranéenne (Marseille, Izmir, Tanger, Valence, Alexandrie, Thessalonique). Autre architecture et autre point de vue, celui de Stéphane Couturier qui filme et photographie Alger à la manière d’une frise panoramique, et muette. En face, place à la réalité d’un monde pastoral pré-chrétien dans les deux vidéos qui composent BirdVillage de Servet Kocyigit. Le dialogue, toujours ouvert à 360 degrés se poursuit avec les 21 pérégrinations de Jean-Luc Moulene en Orient «qu’il faut regarder par delà ce que l’on voit car chaque image du patchwork parle de photographie ou de l’impossibilité de la photographie». Une mise en abîme de la photographie que François Cheval tenait à souligner dans cette introduction. D’autres enjeux traversent l’exposition.

2001 © Jean-Luc La mère du King, Saida,

Moulene

Portrait double, 2002 © Patrick Tosani Adagp, Paris

2012

La «fiction», dans la pièce vidéo Telematch Sadat de Wael Shawky qui refait jouer par des gamins les grands moments de l’histoire contemporaine égyptienne... La guerre, un «jeu de gosses» ! Et la représentation de «l’Histoire» avec ces images d’enfants de Damas photographiés par Patrick Tosani où l’on dépasse l’idée martelée de l’enfant martyr, pour voir les êtres. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les choses de ce coté du monde MuCEM, Marseille jusqu’au 29 juillet 04 84 35 13 13 www.mucem.org

À venir Odyssées, Antoine d’Agata du 9 août au 23 septembre Memory of Trees, Kathryn Cook du 4 octobre au 18 novembre Mare-Mater, Patrick Zachmann du 29 novembre au 28 janvier

À la nuit tombée, alors que le bleu étincelant du MuCEM se reflète dans la mer, une couleur orangée, vive mais plus petite, fait son apparition à ses côtés. Sur l’esplanade du J4, une scène de concert en plein air a été installée pour l’occasion. Aucune barrière tarifaire à l’entrée, tout le monde est convié à la fête et se laisse entraîner par les rythmes effrénés des cultures méditerranéennes. Sur la scène, la musique arabe traditionnelle est fièrement représentée par le oud d’Elia, le qanoun (sorte de cithare sur table) d’Osama et le violon de Basil formant ensemble le groupe The Khoury Projet. Leur agilité rappelle à quel point cette musique est aussi précise que délicate. Une maîtrise qui leur permet d’adapter ces mélodies orientales à d’autres styles comme le jazz ou encore le flamenco. C’était le thème-clé de cette démonstration musicale au bord de la méditerranée : le mélange des cultures. La voix puissante de la chanteuse andalouse Estrella Morente et les rythmes endiablés du guitariste Montoyita s’entremêlent avec le swing des jazzmen Pierrick Menuau au saxophone, Guillaume Robert à la contrebasse et Gaetan Nicot au Piano. Trombone et trompette complètent cet orchestre insolite dont la mixité ne fait en aucun cas perdre de crédibilité à l’ensemble, les échanges et les relais pris entre les musiciens se faisant avec cohérence. Quand Estrella Morente se lève soudainement pour faire chavirer son châle, l’orchestre s’accorde alors au gré des pas de flamenco. Ils prennent du plaisir et le public aussi ! ANNE-LYSE RENAUT

Le concert The Khoury projet et Estrella Morente a eu lieu le 7 juin à l’occasion de l’ouverture du MuCEM sur l’esplanade du J4, Marseille

© Agnès Mellon

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Parcours

V I L L A M É D I T E R R A N É E

Culture politique À côté de l’incontestable réussite du MuCEM, il y a la contestée Villa Méditerranée. Dont l’architecte est en procès pour plagiat, qui se fait allumer dans la presse pour son coût, son esthétique, son «absence de projet». Tout cela est fort peu mesuré : initiée et financée dans un temps où le MuCEM était en panne, la Villa Méditerranée a su trouver des complémentarités culturelles, comme pour le Primed par exemple qui se partage entre les deux espaces. Et, surtout, elle inscrit aujourd’hui l’essentiel de sa démarche dans une perspective différente : «Il s’agit ici de faire de la politique» disait Bernard Morel lors de l’inauguration des parcours le 14 juin. «Par le projet, précisait Michel Vauzelle, qui s’inscrit dans une démarche de prospective, d’invention du futur ; par sa forme, qui se veut ouverte à tous et essentiellement à la jeunesse, qui doit fabriquer l’avenir et trouver un espace d’expression dans ces murs : en réunissant ici des politiques et de citoyens, on peut tourner la page de l’échec politique méditerranéen, qui repose sur une France donneuse de leçons, sur une Europe technocratique. Des réponses simples doivent être trouvées qui organisent les aides urgentes quand il en faut, si ce lieu de dialogue et de réflexion peut devenir aussi un lieu de décision concrète.» Effectivement, en dehors des rencontres et débats politiques, les propositions artistiques elles-mêmes revêtent cette dimension. Ainsi lors de la soirée d’ouverture des premières Rencontres du cinéma arabe (voir p 60) Jack Lang est venu souligner l’importance symbolique de ce festival et les liens à construire avec l’Institut du monde arabe, qu’il préside désormais. Marcel Siguret, président d’Aflam, soulignait quant à lui les difficultés que les cinémas nationaux avaient à circuler dans les autres pays arabes, désignant ainsi Marseille comme le seul lieu possible de ce festival. Et la Villa Méditerranée comme son lieu d’accueil naturel.

Théâtre et lieu d’engagement Les premières propositions théâtrales allaient dans le même sens : To Diplo Biblio, a mis en scène un roman majeur de Dimitri Hatzis, sur la génération grecque de l’exil : guerre civile,

colonels, émigration, impossible retour, le texte magnifique (en grec surtitré) s’inonde de mythes et d’histoire, et les jeunes acteurs sont bouleversants dans leur simplicité aride (le surtitrage défile pourtant à toute allure !). Invisibles de Nasser Djemaï avait précédé, mise en scène touchante de la vieillesse des Chibanis, première génération d’immigrés algériens qui n’ont jamais pu rentrer au pays, parce qu’il aurait fallu renoncer à leur retraite. En revanche la création du collectif Ildi!eldi fut décevante, superposant film de Pasolini, documentaire sur son tournage en Palestine, film palestinien sur ses traces 40 ans après, commenté par deux comédiens en décalage, mais dont on ne sait

To Diplo Biblio, PEQUOD © X-D.R. -Pequod

08

À coté de la salle au sous-sol et audessus dans l’espace du porte-à-faux deux parcours expositions ont été inauguré le 14 juin. Le parcours permanent au sous-sol porte sur les migrations et a été magnifiquement conçu, pensé et réalisé par le documentariste Bruno Ulmer. Engagé, il parle de migrations douloureuses, souligne les disparités des rives, revendique en exposant des faits… Nous y reviendrons, l’exposition étant permanente ! En haut du porte-à-faux la ligne d’horizon est sublime, et touchant le parcours imaginé par Régis Sauder (voir ci-contre).

ce qu’ils commentent. La superposition loin d’enrichir chaque œuvre la détruit, et donne furieusement envie de revoir tranquillement les images entrevues, superbes, de Repérages en Palestine de Pasolini ! Reste qu’il y a dans la Villa Méditerranée une véritable salle de théâtre, équipée, large, apte à recevoir du public et de véritables productions. Espérons que la Villa aura à cœur d’y produire aussi les compagnies régionales, et qu’avec le MuCEM qui n’a qu’un très bel mais petit auditorium une collaboration artistique efficace se mettra en place, en se gardant de la concurrence, et en cherchant la variété ! AGNÈS FRESCHEL

Béton armé C’est d’un projet avorté de Le Corbusier pour la ville d’Alger dans les années 30 que Sonia Chiambretto va faire surgir son Gratte-ciel de fiction, cadre imaginaire de la nouvelle création -collaboration avec le metteur en scène Hubert Colas. Et c’est à la Villa Méditerranée, étape aboutie de la reconquête architecturale de la ville et en coréalisation avec le Festival de Marseille que sera présenté cet opus inédit qui selon les termes mêmes d’Hubert Colas «ne dit pas autre chose que ce qui est» : la

réalité algérienne des années 80-90 à travers témoignages de terrain, entretiens par Skype avec des jeunes, rencontre avec la génération qui a vécu «d’autres guerres». De cette parole multiple doit naître un objet de théâtre dont la scénographie laissera une part généreuse à la vidéo, au son et à la lumière ; les acteurs, tous français et plutôt venus du cinéma devront porter et amplifier les échos toujours vifs de cette Alger encore si proche. MARIEJO DHO

Hubert Colas, Gratte-Ciel, Videogramme-MURS © Mehdi Meddaci, 2011-Courtesy Galerie Odile Ouizeman

Gratte-ciel sera crée à la Villa Méditerranée du jeudi 4 au dimanche 7 juillet dans le cadre du Festival de Marseille (voir pVIII) 04 95 09 45 52 www.villa-mediterranee.org

À venir Le Trait suivi de Le Temps scellé de Nacera Belaza le 28 juin à 20h30 Villa Méditerranée, Marseille 04 95 09 42 52 www.villa-mediterranee.org


Du blanc, du bleu Du blanc, du bleu, de la lumière et Régis Sauder, détendu et souriant, peaufine avec ses collaborateurs le parcours temporaire de la Villa Méditerranée, 2031 en Méditerranée, nos futurs !, proposé au public à partir du 14 juin. Zibeline : Comment ce projet a-t-il vu le jour ? Régis Sauder : Il y a deux ans, l’équipe de production de la Villa Méditerranée m’a demandé prendre en charge le parcours d’ouverture, dans l’espace d’exposition temporaire autour de la prospective en Méditerranée, un comité scientifique posant les bases d’un cahier des charges. J’avais la garantie d’un espace de création libre. Surpris par l’ampleur de cette proposition, je me suis demandé comment m’y situer… Ce qui m’intéressait était de faire une réponse artistique à un contenu qui prend en charge des questions complexes ; d’aller à la rencontre des gens, sans faire un discours d’expert, ni encyclopédique. Le lien s’est aussi fait avec Bruno Ulmer qui avait travaillé sur les mobilités dans Plus loin que l’horizon. J’avais collaboré avec lui au Maroc. Est-ce que l’association avec Benoit Bonnemaison s’est imposée dès le départ ? Durant la première année, j’ai écrit le scénario. Je ne voulais pas d’images de synthèse sous prétexte que c’était dans la prospection : je peux filmer le présent, les traces du passé mais pas le futur, j’ai donc fait appel à Benoit. Le futur on peut le dessiner, on est dans l’utopie. Pour parler d’avenir, il faut des jeunes qui vivront dans cette Méditerranée. J’ai donc mis en place un atelier et choisi le Lycée St Exupéry, face à la mer. Pendant plusieurs mois, j’ai montré à une classe de seconde des films et discuté de leur quotidien. On leur a proposé de la danse, du dessin en gardant en tête cette idée centrale : on est dans un bâtiment public, un lieu porté par un discours politique, qui est à vous, qui est à nous et ce projet on va le faire ensemble. Au bout de quelques mois, la proposition validée, on était prêt à utiliser les outils, le cinéma et le dessin avec Benoit comme dessinateur public. Benoit est venu avec une petite table et une plaque de verre sous laquelle était fixée une caméra, des calques et tout un système de prises de vue conçu avec les jeunes. À partir de grandes lignes à évoquer, on allait mettre en images leurs rêves, leurs utopies et leurs angoisses. Ils racontaient et Benoit dessinait ; parfois, ils dessinaient eux-mêmes. On a commencé par quelque chose de très simple : dessiner sa Méditerranée. Cet atelier, on l’a mis en place à Izmir en Turquie, à Tunis au lycée français et à Beyrouth avec les jeunes Palestiniens du camp de Sabra. Les jeunes Marseillais, on les a réunis en Corse en résidence. Comment aviez-vous établi ces contacts là-bas ? Par le biais des instituts français ? Oui. En termes de production, cela a été un peu lourd, en particulier à Beyrouth, dans le camp de Sabra. La production exécutive était confiée aux Films du Tambour de Soie. Dans notre périple autour de la Méditerranée il est apparu qu’une carte dessinée par un jeune palestinien ou un jeune turc, cela n’a rien à voir ! Après, on a travaillé sur deux postes ; moi, au tournage, dans le dialogue, et Benoit, à partir de la carte, reprenait la main et dessinait… Un jeune Tunisien par exemple voit la Méditerranée comme une boite de

09 V I L L A

Régis Sauder © A.G

conserve géante… Tous ces dessins sont les images mentales, les représentations non naturalistes d’une Méditerranée fantasmée, souvent très angoissante. À quel moment du projet la forme de l’exposition estelle apparue ? Après l’écriture du scenario, j’avais envie de développer quatre thématiques précises et un espace de rencontres. Le scénographe Bruno Badiche a proposé d’immerger le spectateur dans les images. Très vite, on s’est mis d’accord sur quatre unités autour des quatre thématiques avec un espace d’accueil : l’identité, l’écologie, l’engagement politique au sens large, et une boite où l’on fait une proposition de l’avenir, une boite de réunion de tous ces jeunes. Tout au long de l’atelier on a réfléchi à un slogan pour l’avenir ; Benoit est aussi un affichiste et, à la fin de la résidence, on leur proposé de réaliser une affiche avec le pigment bleu qui est le lien dans la scénographie. On retrouve dans la boite 4 toutes les affiches qui sont, en quelque sorte, des manifestes. Dans les ateliers, les jeunes ont-ils facilement adhéré à ces propositions ? Complètement. Les temps étant assez courts, tout est passé par le trait. On est arrivé très vite à une intimité. J’essaie toujours d’établir cela dans mon cinéma, qui n’est pas dans le discours ; c’est en fabricant ensemble que les choses émergent. Là, c’était par le dessin. Les plus âgés, vingt ans, trouvaient d’abord la proposition un peu naïve mais, finalement, cela marchait très bien parce qu’on mettait des images sur leurs représentations, et qu’ils étaient sidérés de l’effet ! Ces jeunes, qui sont-ils ? Ils avaient entre 15 et 20 ans. Ce qui m’intéressait, c’était l’absence d’homogénéité sociale. En Turquie, ils venaient d’un milieu favorisé, d’un lycée francophone ; à Beyrouth, les jeunes de Sabra étaient plus démunis ; à Tunis, ils étaient plus âgés, inscrits dans une dynamique d’engagement et à Marseille, la classe était socialement mixte. Quand on est revenu, j’avais des heures de rushes –pas du reportage, mais évidemment il y a un terrain documentaire-, et avec Benoit on avait collecté

un tas de matière, petits dessins, affiches. On s’est dit que les boites étaient nos murs, qu’on était dans le geste de la fresque. On retrouve dans la scénographie les câbles omniprésents des villes méditerranéennes. Le spectateur va les suivre tout au long du parcours. Les jeunes vont-ils pouvoir venir voir le résultat, ici ? Un représentant par pays est venu voir la mise en place et on prépare une rencontre, fin août, avec des ateliers auxquels participeraient d’autres jeunes de centres sociaux. Ici, c’est chez nous ! ce n’est pas de la com, les jeunes doivent parvenir à pousser la porte. Leur réunion ne doit pas rester symbolique. D’autres jeunes vont venir suivre le parcours. Leurs réactions serontelles intégrées ? Dans le dernier espace, il y a un moment de restitution où ils pourront faire un dessin ou écrire un slogan qui sera projeté sur un mur en face. Ce qui est important c’est qu’un film ou une exposition permette de ménager un espace où la pensée est au travail. Ça se construit dans une pratique partagée… PROPOS RECUEILLIS PAR ANNIE GAVA

2031 en Méditerranée, nos futurs ! Du 14 juin au 27 septembre Villa Méditerranée www.villa-mediterranee.org

M É D I T E R R A N É E


Sur le parcours du Prado © Gaelle Cloarec

10 F Ê T E S E T P L E I N A I R

Sur la Canebiere © Gaelle Cloarec

Jusqu’à Marseille Tout a déjà été dit de la TransHumance, le grand projet de Camille et Manolo, les cavaliers du Théâtre du Centaure. Son élan freiné par les impératifs sanitaires et logistiques, par la météo, par les contraintes administratives. Ses ambitions insolentes et coûteuses : mêler ville et campagne, humains et animaux, vidéos d’art et folklore pastoral dans une Capitale Européenne de la Culture controversée pour ce choix artistique. Ses faux-départs, comme celui des cavaliers du Maroc qui ont dû se retirer de l’aventure au dernier moment. Ses rendez-vous manqués, notamment l’annulation du Balbête qui devait faire danser sous les étoiles à l’Étang des Aulnes. Ses maladresses, quand pour parcourir leurs balades familières on demandait aux membres des centres équestres de la région une participation financière à leurs yeux injustifiée. Ses contradictions : comment promouvoir l’ouverture de l’urbain au naturel alors que le déplacement de milliers de bêtes s’est fait en transports polluants sur la majeure partie du parcours ?

Voire sa récupération à des fins politiques dans une période pré-électorale à Marseille... Et pourtant, et pourtant, en ce dimanche 9 juin, lorsque le défilé des TransHumans a commencé depuis la Gare Saint-Charles et le Rond-point du Prado jusqu’au Vieux-Port, puis le long de la Corniche jusqu’aux plages, 300 000 marseillais étaient présents, et ravis. Voir des troupeaux avancer dans le calme entre deux rangées de visages souriants et empreints de fierté est -n’hésitons pas à le dire !- un grand moment. Interrompre le règne de la voiture l’espace d’une matinée, ne serait-ce que cela, pour permettre aux enfants des villes d’entendre le souffle des grosses bêtes, et à certains parmi les plus utopistes de rêver au retour de la traction animale, ce n’est pas rien. Leur montrer des bergers, des conducteurs d’attelage, des adultes et des jeunes chevauchant avec dignité, portant haut les couleurs de la Provence, de la Camargue, de leur pays, c’est aussi très précieux. Rien que pour ces heures-là, pour les folâtres

petits veaux Maremme portés par leurs mères italiennes et venus naître chez nous, pour l’hymne de marche de Manu Théron, et aussi pour les poétiques traces numériques qui n’en finissent pas de se répandre sur les réseaux sociaux (animaglyphes vus du ciel, galop suspendu de la centauresse debout sur ses trois frisons noirs, petits poulains foncés accompagnant les juments blanches de la Crau aux pieds de la Bonne Mère, avec un énorme navire poussant son étrave devant le MuCEM pour décor)... on ne crachera pas sur la TransHumance. Malgré son budget, très onéreux, mais non communiqué par les équipes de MP2013. Car au final, au-delà des réticences, rancunes, et insatisfactions, on avait besoin de cet événement populaire, capable de faire rêver des gens de toutes sortes, sur tout un territoire. GAËLLE CLOAREC

La TransHumance a traversé le territoire du 17 mai au 9 juin

Paradis artifiCiels Cela a commencé sur le Rhône, le dimanche du week-end inaugural de Marseille Provence 2013 (voir Zib 59), avec le premier épisode Révélations. Les jeux entre le feu et l’eau se poursuivent à Cassis où, le 19 mai (la veille la météo avait annulé le spectacle), les évolutions du Groupe F jonglent entre la mer et la falaise du Castel. Les regards sollicités à des angles opposés, naviguent de l’une à l’autre, éblouis par les effets naturels des feux sur l’eau et des ombres mouvantes et colorées qui redessinent la pente abrupte de la montagne, la transformant en mosaïque, en pont, en rivière poissonneuse… L’histoire géologique et antique des lieux se dessine en nappes lumineuses qui apprivoisent le paysage accidenté. Les sommets s’enflamment, un village naît… des personnages aux costu-

mes de lumière traversent la foule, se livrent à d’audacieuses ascensions ou même défient la pesanteur et s’envolent au-dessus du public. Musiques contemporaines (Scott Gibbon) et traditionnelles (Le petit cabanon…), accordent au specta-

cle humour et poésie. Les effets sont spectaculaires, comme il se doit, se mesurant aux reliefs. Mais par l’inégalité des points de vue tous les spectateurs n’ont pas accès à la fête ! Les navettes d’accès sont bondées, on est ébloui, ravi, mais

Revelation episode 2 , Cassis © Emmanuelle Ruf, service de communication de la ville de Cassis

seulement une demi-heure… on regrette alors les spectacles plus aboutis que l’on a applaudis l’an passé au Pont du Gard. Mais ce spectacle pyrotechnique inventif et éblouissant, d’un groupe de la région et à renommée internationale, est offert gratuitement : en cela, la démarche est belle, et pour sept épisodes par tout le territoire : le 6 juillet sur le canal de Caront à Martigues, du 7 au 10 aoûtà l’embouchure de Port-Saint-Louis, du 4 au 7 septembre au Château d’If, du 13 au 16 novembre à la Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, et enfin le 31 décembre à Istres. MARYVONNE COLOMBANI

Groupe F 04 90 98 74 12 www.groupef.com


Tout conte fée Est-ce l’habitude de la Camargue qui donne aux créations d’Ilotopie cette poésie si naturelle ? L’inextricable harmonie végétale et animale, de l’eau et de la terre, est visiblement à l’origine de la Cité Lacustre que la compagnie des arts de la campagne (vraiment cela n’a rien d’art de la rue…) a édifiée à Martigues… Avec une bonne dose de rêve et d’enfance, Bruno Schnebelin et ses compères ont construit Anapos une ville aquatique aux formes souples et belles, où les habitats semblent des animaux fantastiques, où les humains ont des têtes de souris, des chapeaux et des costumes de contes anciens, où les étincelles font fleurir les eaux… Anapos se visitait la journée, puis des débats écologiques (la cité est énergiquement autosuffisante), fanfares et spectacles s’installaient jusqu’en soirée, avec buvettes et tables de partage. Lorsque le temps l’a permis le spectacle Opéra d’O

a réuni sur la rive de l’étang un public familial nombreux et enthousiaste… Pourtant, si la visite des installations mi-immergées était surprenante, Opéra d’O, plastiquement splendide, (quelle imagination visuelle !) était musicalement pauvre, et pas toujours captivant, reposant sur quelques gags burlesques, et sur le principe d’un défilé de carnaval plus que d’un spectacle frontal assis. Mais qu’importe, la magie visuelle était là, entrainant l’enthousiasme populaire et transformant sans doute pour toujours le regard des habitants sur leur environnement quotidien… Une Cité à exporter vers tous les étangs et lacs de la région… et darses ? AGNÈS FRESCHEL

Anapos s’est visité du 31 mai au 9 juin, Opéra d’O s’est joué les 7, 8 et 9 juin à Martigues

Valise à l’échelle Les mots recèlent des bonheurs infinis et se prêtent à tous les jeux. Celui auquel se livrent Odile Darbelley et Michel Jacquelin, héros/hérauts de l’Art tangent (soutenus par les Frac Alsace et PACA), est de ceux qui contractent ou distendent, comme vous préférez, les zygomatiques. Jubilation de l’acrobatie verbale, goût du paradoxe, du sens littéral des métaphores et réciproquement du sens pseudométaphorique des termes qui jusque-là ne prétendaient qu’à un modeste quoiqu’utile sens propre. S’emparant de termes grandiloquents, maniant le concept, jonglant entre les siècles pour composer une histoire hors norme de l’art, ils passent de la brouette inventée par Blaise Pascal à la valise montée sur roues, œuvre de Louise Poirier, qui recèle une foule d’objets que les deux conférenciers ou plutôt artistes présentent avec le sérieux d’un Francis Blanche. On découvre la sérendipité, autrement dit le fait de trouver autre chose que ce que l’on cherchait au départ, mais qui est quand même intéressant, la mouité, c’est-à-dire le principe du mou qui aurait ouvert de larges perspectives à Levy Strauss s’il l’avait connu… il y a Marcel Duchamp et surtout son frère, Duchamp-Duchamp, charcutier, qui passe du lard à l’art… il y a le noir emmental, la théorie du réplica, des questions essentielles comme «l’ombre d’une œuvre est-elle encore cette œuvre ?», le paradoxe de l’arrosoir qui n’est arrosoir que lorsqu’on s’en sert. On apprend dans cet esprit pataphysicien à se méfier des bigorneaux perceurs, des échelles identiques mais pas à la même échelle… dans ce jeu sur les mots, s’immiscent en filigrane des questions profondes sur le langage, l’art, notre perception du monde. Un régal ! MARYVONNE COLOMBANI

L’art Tangent s’est joué le 26 mai aux Jardins d’Albertas, Bouc-Bel-Air, et le 28 mai Bois de l’Aune, Aix

À lire : L’art Tangent, Actes Sud, 24,40 euros

La Cité Lacustre © G. Xuereb


Marathon à la Friche

F Ê T E S E T P L E I N A I R

Salon de micro-edition Vendetta © Gaelle Cloarec

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Passer 48h Chrono dans une Friche en pleine effervescence, c’était l’occasion de voir gratuitement l’exposition d’art contemporain la Dernière Vague, d’escalader la Tour-Panorama qui porte si bien son nom, d’assister à une démonstration de Kyudo (archerie traditionnelle japonaise), ou de croiser l’inusable et fort civil Monsieur Culbuto, l’homme aux millions de shake hands déséquilibrés. On pouvait également se presser sur les étals du Salon «de la micro-édition et du multiple» Vendetta, une initiative du collectif Le Dernier Cri rassemblant graphistes et auteurs «mal distribués, et peu couverts par la presse culturelle». Selon sa co-organisatrice MariePierre Brunel, l’événement accueillait le travail d’une quarantaine de structures dont plusieurs étrangères, venues de Londres, des Pays-Bas, de Barcelone, d’Italie, Suisse, Roumanie et Belgique. «Le Salon est gratuit pour les visiteurs, mais aussi pour les exposants, car le déplacement est déjà lourd pour les micro-éditeurs. Nous essaierons de le pérenniser ; c’est important d’avoir une visibilité, les gens n’achètent plus de livres et c’est bien domma-

ge !» Une belle collection pour ceux que l’esthétique fanzine séduit, et ils étaient plutôt nombreux en ce week-end à la météo diluvienne... «Les marseillais sont courageux, et très curieux» se réjouissait Christophe Siébert, originaire de Montpellier et auteur d’une percutante série littéraire intitulée Un texte par jour jusqu’à ce qu’on crève, vendue à prix libre.

Les villes sauvages Mais 48 h Chrono, c’était aussi -et peut-être surtout- l’occasion de voir Slums au Théâtre Massalia.

Un chant d’alarme lancé par une femme à la voix puissante, splendide dans sa révolte, d’autant plus poignante qu’elle a le ventre rond et donnera bientôt le jour. Dans un monde délétère, où un milliard d’êtres humains peuplent les bidonvilles, cancer urbain de la modernité, et les camps de réfugiés. Où «les pauvres n’ont guère d’autre choix que de vivre en côtoyant la catastrophe» : la misère, l’insalubrité, les déchets toxiques provoquant des maladies étranges, les inondations, le feu, les commandos armés, escadrons de la mort et autres «grupos

de limpieza» qui se débarrassent de cadavres d’enfants au quotidien... Un monde où l’on criminalise les pauvres, car «ils ont dans leur camp les dieux du chaos». Où le Pentagone organise des stages d’entraînement au combat de rue, dans les égouts, les logements anarchiques. Bénarès, Gaza, Khartoum, Kaboul, Mexico... Les enfants des slums animés par le désespoir sont partout identifiés comme un ennemi, tout comme le sont les gosses de nos propres cités, et lorsqu’on est témoin de ce texte terrible, assis dans un fauteuil confortable au théâtre, on met un certain temps avant d’accueillir le retour à la lumière, et de pouvoir se lever pour saluer l’artiste qui vient de nous ouvrir les yeux. GAËLLE CLOAREC

Les 48h chrono ont eu lieu du 17 au 19 mai à la Friche la Belle de Mai, Marseille

À venir Prochain week-end Made in Friche les 22 et 23 juin 04 95 04 95 95 www.lafriche.org

Du carton et des plumes… Marie Maddedu et Antoine le Ménestrel, Urbanologues (vocable prétentieux à prendre au second degré !), jouent sur différents niveaux de la rue, l’un à l’ascension des façades, l’autre à l’accompagnement verbal mais aussi sonore, utilisant toutes les possibilités acoustiques des Installation d'Olivier Grossetete © Maryvonne Colombani

Le 1er juin, alors que le soleil renouait enfin avec la région, le festival Chaud Dehors d’Aubagne prenait son sens. Il faut imaginer un centre-ville parcouru par des ondes de joyeuse effervescence, alors qu’imperturbable tourne le petit manège de la place. Cette manifestation imaginée par Lieux Publics et la ville d’Aubagne parie sur une programmation variée où les compagnies régionales sont conviées à créer. Les énormes maisons de carton se construisent sur l’esplanade Charles De Gaulle. Enfants, parents, tout un monde s’active, déplie, replie, remodèle, scotche à qui mieux mieux. On commence par le toit, les structures sont entourées de collections de cartons bien solides, puis sont élevées par une multitude de mains, et la construction s’élève à de vertigineuses hauteurs. Et c’est beau ! Le soir, en apothéose, les constructions seront détruites, plaisir exutoire : Olivier Grossetête, le maître d’œuvre, sourit et parle d’«hystérie libératoire». La fontaine du cours Foch s’anime de danses avec Marcher commun et deux créations italiennes, le solo de Cosetta Graffione, La mémoire de l’eau, et ses dangereuses prestations arrosoir, et le duo Antipodes, d’une belle qualité chorégraphique. Avec humour Jean-

vitrines, tuyaux, grilles… le tout sur le mode humoristique et décalé, alors que la Cie Tandaim rend la parole aux morts sur les mots de Sophie Calle, dans une mise en scène qui invite les spectateurs à la déambulation entre des tombes trop vertes, des murmures, des faits divers glanés dans le réel, et des derniers soupirs. Macabre pour l’été, mais émouvant… Puis le Studio de cirque d’Arles, habitué aux formes grandioses, vient roder une forme nouvelle, en autobus, d’où sort une série de numéro acrobatiques impressionnants, et des volées de plume. Tous les agrès sont parfaitement maitrisés, l’esprit joyeux, la scénographie dépliée astucieuse et efficace, mais la musique digest mauvaise electro et rock mal remixé est insupportable. Les oreilles bouchées le spectacle est magnifique, et conclut dans l’enthousiasme la journée. De toute cette fête subsistent les plumes oubliées qui laissent un parfum d’ange déchu. Chaud dehors et poésie dedans. MARYVONNE COLOMBANI ET AGNÈS FRESCHEL

Chaud Dehors s’est tenu à Aubagne du 30 mai au 1er juin



Émouvantes cimes

14 F Ê T E S E T P L E I N A I R

Elle perd ses feuilles de salade une à une, jusqu’à ce qu’un piéton lui signale avec humour «Mademoiselle, vous vous effeuillez !» et déambule gracieusement dans les rues ensoleillées de Gap. C’est le 1er week-end de juin, le Théâtre la Passerelle nous invite à être enfin Tous dehors, et le public la suit avec délectation. Laure Terrier câline l’un pour mieux dérouter l’autre, se plante dans un bac à fleurs municipal, investit un magasin de mode, court sur un mur comme si le jour lui appartenait, comme si on pouvait valser librement dans l’espace public. Les passants hésitent devant cette audace, craignent un instant un coup de folie avant de sourire, conquis par l’espièglerie et la sincérité de la demoiselle. Et regardent différemment leur décor quotidien, soudainement envahi de poésie. Même effet de décalage salutaire à la suite des street-jockeys d’Urbaphonix, qui utilisent les surprenantes capacités sonores du mobilier urbain, jouent de subtils rythmes am-plifiés par le geste auguste du technicien, et laissent résonner l’émouvante apparition d’une voix humaine parmi ces bétons et métaux. En fin de journée, on fait l’ascension du Col de

Cavale, Cie Yohann Bourgeois © Gaelle Cloarec

Gleize (1696m d’altitude), pour assister dans un cadre exceptionnel aux envolées circassiennes de Yoann Bourgeois et Mathurin Bolze. Les deux hommes initient le cycle des Curieux de nature (gestes artistiques conçus spécifiquement pour le territoire des Hautes-Alpes) sur une musique pénétrante, dans l’atmosphère cuivrée du soir tombant sur les alpages. Leur Cavale épurée invoque la «vitalité désespérée» de Pasolini, suggérant que si Dieu existe, «il n’aurait pas dû créer en même temps l’amour et la mort». Elle peuple les montagnes de moelleux

Mais quelle histoire !!! e

En cette année Capitale, la 4 édition de la Folle Histoire des Arts de la rue a élargi son territoire à six villes du département : Marseille bien sûr, Marignane, Lambesc, Charleval, Port-Saint-Louis-du-Rhône et Aureille. Soit une cinquantaine de spectacles, des compagnies d’Europe et de Méditerranée, dont 46% de compagnies locales, 11 créations, dont 4 in situ, plus de 200 artistes, près de 300 bénévoles dans 6 villes, durant 18 jours. Après un démarrage enflammé les 3 et 4 mai , les spectacles se sont succédé dans le département, et Sport Fictions a réjoui plus d’un millier de spectateurs à la gare (voir Zib 63). Malheureusement le beau temps n’a pas été de la partie et certaines manifestations ont été perturbées ou annulées... Générik Vapeur a investi le J4 en installant de façon humoristique un 17e arrondissement, mini-village avec sa poste, son musée, son coiffeur, son bar.... et clôturé la manifestation avec Waterlitz, spectacle qui met en gloire son totem de métal de 19 mètres, monstrueuse vigie face au large. La Cité des Arts de la rue a proposé une soirée festive, réunissant habitants du quartier, artistes et visiteurs : Moteurs ! a proposé une déambulation ponctuée de musiques rock ou contry, chansons, dégustations avec les las Waterlitz © Jacques Nico Grandes Carrioles, spectacles déjantés. On se rappelle surtout de Rouge de Tixus Marpey de la FAI-AR, joué dans les décombres dans un bain de vin rouge (de sang ?) et une mise à feu participative ! CHRIS BOURGUE

et vertigineux suicides, annulés par la magie du trampoline, comme un montage cinématographique renversant la réalité. On soupire. Si les prochaines éditions de Tous dehors conservent cette grâce, on reviendra, c’est sûr. GAËLLE CLOAREC

Le Week-end de rue Tous dehors (enfin !) a eu lieu à Gap du 31 mai au 2 juin

Musique intergalactique

Une fois n’est pas coutume, le public de la Sirène était placé au centre du parvis de l’Opéra et non autour, pour profiter pleinement du spectacle musical de Ray Lee. Car il fallait s’immerger dans les volutes des sons... Embarquement pour des galaxies © Vincent Lucas imaginaires ou un hypothétique paradis, la création de l’artiste-compositeur propose des sons émis par des insectes métalliques à trois pattes qui tiennent autant de la girouette que des éoliennes. Cinq structures de 6m de haut où des barres horizontales portent de chaque côté un haut-parleur. Occupant l’espace, elles tournent à des vitesses inégales, donnant aux sons des inflexions et des rythmes différents. Ray Lee utilise l’effet Leslie qui filtre les graves et les aigus tout en faisant varier l’amplitude, le panoramique et la fréquence des sons avec un effet Doppler. Passionné de sciences et de magnétisme, le compositeur mêle sons et structures, pour lui indissociables. Ses spectacles se jouent dans le monde entier depuis 30 ans. Le public marseillais a lui aussi été conquis, s’attendant à tout moment à voir surgir une divinité céleste sur son char… C.B.

La Folle Histoire s’est déroulée du 3 au 20 mai

Chorus s’est joué le 5 juin sur le Parvis de l’Opéra, Marseille



Le plaisir du jeu

16 T H É Â T R E

On reprochait il y a peu à la Criée, Centre Dramatique, de ne pas programmer assez de «théâtre de texte» ? Voilà que coup sur coup deux Molière, un Marivaux, un Shakespeare et un Hugo ravissent la grande salle ! Ce qui risque de laisser penser que le texte de théâtre relève du répertoire et le théâtre contemporain de «l’écriture de plateau»… mais laisse voir des mises en scène très diverses, inventives et fraîches ! Le Shakespeare mis en scène par Clément Poirée tourne depuis deux ans. Il n’est révolutionnaire ni dans la forme ni dans le propos… mais est ébouriffant de savoir-faire, au sens noble de l’art dramatique : Beaucoup de bruit pour rien est un de ces bijoux Shakespearien que l’on prend d’abord pour des pièces légères mais qui s’avèrent surprenantes de profondeur pourvu qu’on y plonge : la variabilité du sentiment amoureux, sa fragilité, voire l’artifice qui peut le faire naître, font penser à Marivaux, tandis que la rapidité et l’incisivité des dialogues comiques les font résonner comme du Molière, et que les sentiments familiaux s’attendrissent comme dans une comédie bourgeoise. Cette pièce, qui frôle aussi les affres des grandes tragédies shakespeariennes sans y tomber, brosse au passage

Prendre la langue au sérieux © Antonia Bozzi

de très beaux portraits de femmes libres, et tout un dégradé de personnages masculins, du traitre au clown en passant par le puissant… Tous sont magnifiquement rendus par une troupe de comédiens qui travaille ensemble depuis plusieurs années, qui excelle et virevolte sans cabotiner, chante juste, n’a pas peur de s’enlaidir ou de s’effacer, joue les nuances et les revirements psychologiques (incessants !) sans caricature, et les enthousiasmes sans fausse retenue. Les deux heures passent comme un charme, et l’on se dit qu’avec des moyens, du talent et l’esprit de troupe le «théâtre de texte», de répertoire même, n’a vraiment rien de démodé ! AGNÈS FRESCHEL

Beaucoup de bruit pour rien a été joué à la Criée, Marseille, du 15 au 18 mai

Brigand et amoureux Laurent Pelly s’attaque au Théâtre en liberté de Hugo pour la deuxième fois. Ce recueil dramatique écrit pendant l’exil, sans souci d’une représentation immédiate et dans une liberté formelle qui ne s’interdit rien, ni enflure ni grotesque et surtout pas les litanies et les figures de style tapageuses, regorge de petites merveilles. Laurent Pelly l’avait prouvé avec Mille francs de récompense, il réitère avec ce Mangeront-ils ?, comédie en Grands Alexandrins, en tirades à rallonges interminables, en brisures de tons permanentes… et ancrée dans un espace dramatique impossible à figurer : forêt, monastère, rivage à quelques mètres, gibet, horizon et couchant… tout cela doit composer la scène ! Laurent Pelly s’en sort avec une scénographie habile et belle, enchevêtrée mais permettant des espaces inattendus. Il s’en sort surtout par l’intense travail sur les vers : certes la double scène d’exposition peine à accrocher l’attention, les tirades interminables étant parfois maladroitement balancées par le Roi de Man (Georges Bogot) qui gueule trop et agite ses bras pour incarner le despote. Mais c’est un enchantement dès que l’action

D’origine bulgare, Galin Stoev attache une importance particulière aux mots de Marivaux, à cette langue XVIIIe délicieusement subtile. De fait, la mise en scène qu’il propose du Jeu de l’amour et du hasard permet de savourer un texte dont le raffinement et l’intelligence sont toujours délectables. Elle donne aussi habilement à voir les montagnes russes émotionnelles auxquelles les personnages sont soumis. Dans un décor pastel de papier peint fleuri, tout en claustras, paravents et mousselines translucides, figure du labyrinthe des sentiments et des détours de la parole (dont le metteur en scène n’a pas tiré tout le parti), les figurines de ce théâtre de la cruauté se croisent selon un jeu de niveaux et d’estrades, d’allées et venues fiévreuses. La scène devient lieu de passage, espace transitoire où s’opère le changement d’identité qui va permettre aux deux jeunes premiers, Silvia et Dorante, de se découvrir. Et où éclot, pour le couple de valets qui a temporairement pris leur place, une aire de liberté appréciable quoiqu’éphémère. La pétillante Lisette et le frimeur Arlequin ne manquent pas d’en profiter. Et d’en faire profiter le public. Suliane Brahim, avec ses allures de Bécassine, ses déhanchés clownesques et sa gestuelle de marionnette, offre des moments de franche hilarité. Quant à Noam Morgensztern, il compose un amusant «soldat d’antichambre». Mais si on peut adhérer au parti pris d’une Silvia (Léonie Simaga) franchement SM, avec bottes compensées et décolleté plongeant –après tout Marivaux n’est-il pas proche de Sade ?-, on se lasse en revanche très vite des débordements hystériques de Dorante (Alexandre Pavloff). Il manque à son Jeu juste le jeu nécessaire pour qu’on s’y adonne… FRED ROBERT

© pologarat-odessa

commence, que la forêt s’anime, qu’on entend le chant des amoureux, et surtout l’incroyable brigand d’honneur incarné par Philippe Bérodot : rarement les alexandrins hugoliens, monstres difformes adorant l’incongru, auront été incarnés avec autant de distance, d’ironie et de plasticité. Il s’amuse de leurs embûches et fait sonner leurs images, et tous suivent, les amoureux, le connétable, entrainés par le flot shakespearien des sorcières, et rabelaisien des estomacs ! Au passage bien sûr une attaque en règle du pouvoir, une déclaration agnostique plus étonnante, et l’éternelle tendresse hugolienne pour les amoureux et les voleurs… A.F.

Mangeront-ils ? s’est joué à la Criée, Marseille, du 12 au 15 juin

Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux a été représenté à la Criée, Marseille, du 29 mai au 1er juin © Brigitte Enguerand



Divine party, Enfer © Patrice Giunta

18 T H É Â T R E

Fantasia On se souvient du fameux film à facettes de Walt Disney ; hé bien les Informelles 2013 ne sont pas loin de lui ressembler : expérimentation, rythme endiablé et apprentis sorciers ; danse des heures, sacre du printemps et autres menus rituels de théâtre ont rempli l’espace des deux semaines et demi de présentation.

Il a fallu suivre les artistes, de chantier en chantier, du centre-ville jusqu’à la Gare Franche, entre Bricarde et voie ferrée. Placée de force sous le signe de la crise, l’édition 2013 a eu la grâce d’offrir, à travers de petites pièces reflétant le travail d’une quinzaine de jours en moyenne, de quoi nourrir la curiosité la plus exigeante avec coups de cœur et déceptions en prime ! Évacuons prestissimo la beauté infernale de Divine Party, intrus de 4h20 conçu par Alexis Forestier, chef-d’œuvre hors norme brassant les trois territoires de La Divine Comédie de Dante et des fragments de Kafka, langues en écho, italien et allemand se mêlant à la musique omniprésente, griffant l’espace sonore comme les jets de peinture la transparence des écrans ; les quatre acteurs tous à la démesure du projet s’affairent au gré des tableaux en combinaisons de travail, blouses ou cirés, comme sur une plate forme pétrolière cernée par la tempête ; bonnets, casquettes plates ou lunettes de soudeur assurent la valse des couvre-chefs ; les râteaux à dénicher les coques côtoient les cercles des sphères célestes et les lumières stridentes un sfumato bien florentin ! Formidable plongée dans un spectacle total qui, en ouverture, a plutôt aiguisé la perception d’autres propositions plus modestes. Du collectif inventif, le Groupenfonction en a fourni dans ses deux performances festives : chanson -pop en plein air, en playback et en réunion (une trentaine de micros sur pied pour une trentaine de vous et moi qui s’exp(l)osent à travers Björk ou Eminem dans une débauche d’émotions)– et techno propice à la transe et à l’épuisement dans une mini Love parade non moins expressionniste dans la pulsation d’une belle de rage de vivre ! L’équipe toulousaine de De Quark associée au romancier Alban Lefranc dans son exploration tous azimuts du foisonnant 2666 de Roberto Bolano réussit par la parodie, l’improvisation et un sens aigu du loufoque, à transmettre un malaise identificatoire efficace en recyclant de vieilles ficelles de la représentation. Rafraîchissant, le quatuor augmenté de passants,

traversé de scooters, que Geneviève Sorin a posé sur la place des Halles Delacroix, caracole, s’ébroue, fait plateau et maison de poupée d’une table en formica. Si Garçon s’il vous plaît ne réussit pas toujours à interpeller les indifférents, son élégant minimalisme se nourrit malicieusement du bruissement alentour et le violoncelle de Bastien Bonide la perceuse des ouvriers zingueurs. Et puis des duos pour le meilleur et pour le pire : le Res Privata de Raphaëlle Blancherie et Karine Jurquet pèche par excès de tout, y compris d’intelligence ; nourri de questionnaires remplis par les spectateurs, trop plein à dire et à faire, trop long dans sa quête -de quoi ? Erratique et narcissique même dans le film (trop beau) qui redouble tous ces défauts... Aurélie Leroux, metteur en scène et Florence Pazzottu, poète-vidéaste, toutes deux ici actrices très féminines (?) dans la lumière de Marie-Christine Soma (s’)interrogent en hommes (sur) le désir. Le texte Les Heures blanches occupe la place, y compris sous forme de feuille à plier, à froisser ou à glisser dans le corsage. La scénographie encore fragile joue de la connivence entre les interprètes et doit beaucoup à l’image de paysage vu d’un train qui défile sur l’écran ; une première étape qui doit conduire quelque part. Que dire enfin d’Autopsie, pièce courte et achevée de Geoffrey Coppini ? Un joli point final plein d’humour et de déraison, porté par une actrice (Irina Solano) en apesanteur, feuilletée par tous les rôles de son rôle de comédienne, coiffée - recoiffée et reprenant sa respiration en Hedda Gabler ! ! ! Jubilatoire et opportun ! MARIEJO DHO

Les Informelles 2013, initiées par le Théâtre des Bernardines, Marseille, sous la direction artistique de Thomas Fourneau, ont eu lieu du 22 mai au 8 juin


Chaque fois que l’on s’apprête à retrouver Winnie, on est dans une attente inconsidérée : va-t-elle nous surprendre encore ? Que vat-elle nous dire que l’on n’a pas déjà entendu ? On sait déjà tout de son ombrelle, de son revolver, de sa toque vissée sur ses cheveux blonds, de son sac démesuré… On l’a vue au sommet de sa montagnette, attendant presque sereine son engloutissement : Madeleine Renaud, figure emblématique de Oh les beaux jours, Natasha Parry saisie par la prose de Beckett grâce à Peter Brook. Comment Marion Coutris trouvera-t-elle sa place dans l’épaisseur de ce texte contraignant, millimétré comme une partition musicale ? En jouant à l’unisson sa petite musique intérieure et celle de Beckett, dans une mise en scène épurée de Serge Noyelle qui laisse le chant libre à la parole, dans ses plus infimes détails. Sonnerie, deuxième sonnerie, un ciel rouge écarlate enveloppe sa frêle silhouette qui domine les spectateurs allongés dans des transats. Juste à la bonne hauteur. Avec la même légèreté que Winnie attend sa disparition, la comédienne fluctue sa voix, éthérée, rauque, sensuelle, perchée, déclame le (faux) monologue lentement, étirant les mots et habitant les silences, donnant parfois un judicieux coup d’accélérateur ou modulant son tempo pour mieux pénétrer les interstices du texte. Le temps d’une journée à ne faire presque rien, sauf l’aimé Willy qui circule à quatre pattes entre des caisses de bois recouvertes de draps blancs (excellent Noël Vergès), elle rit maladroitement, suffoque, passe en une fraction de seconde de la gravité à l’excitation de petite fille, de la folie à l’extase amoureuse. D’une gestuelle nuancée, Marion Coutris aura su offrir une palette d’émotions entre l’optimiste «Oh le beau jour encore que ça va être» et le triste «Oh le beau jour encore que ça aura été». Sonnerie, ciel rougi, Willy se relève : il a les oreilles écarlates. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Oh les beaux jours a été joué du 16 mai au 8 juin au Théâtre Nono, Campagne Pastré, Marseille

À venir En attendant Godot du 7 au 30 novembre Théâtre Nono, Marseille 04 91 75 64 59 www.theatre-nono.com

Marion Coutris © Cordula Treml

Tantôt lune, tantôt l’autre


© Raphael Arnaud

Ce qui rend humain

T H É Â T R E

Ceux qui aiment Il est rare que l’on offre aux amateurs, épris de théâtre, un tel outil de création : du temps passé avec des professionnels, Jean-Pierre Vincent en metteur en scène, des assistantes, des costumes et un décor, un accueil et une communication de pros, et le plateau du Gymnase, pour quatre représentations. Il est certain que l’aventure de ces Suppliantes restera gravée pour toujours dans la mémoire de ces quarante Marseillais et que l’on peut juger ce spectacle à l’aune des productions professionnelles ! Bien sûr certains des comédiens parlent faux, n’ont pas les physiques ou les voix des rôles, mais quel travail ! Comme ils ont appris à se déplacer ensemble, à se partager le texte, à s’écouter ! Et quel plaisir, quelle émotion de les voir donner ainsi, gratuitement, tant de leur temps, de leur être… Le texte d’Eschyle est pourtant obscur et difficile et, s’il parle d’exil, de violence faite aux femmes

et de droit d’asile, thèmes sensibles aujourd’hui, il reste dans cette traduction difficile à comprendre, inapte à captiver, et presque impossible à dire. Ce qui n’empêche pas Jean-Pierre Vincent de confier les tirades les plus ardues aux moins expérimentés de ces amateurs. Pari osé, frustrant sans doute pour ceux qui ont plus fréquemment arpenté les scènes, mais qui laisse apparaître le fondement même du projet : cette fragilité, ces maladresses sont justement ce qui touche chez ces acteurs réunis, parce que l’humain est véritablement en jeu, visible par tous dans ce don désintéressé, ce pari risqué qu’il prend à apparaître. Cette humanité d’un peuple avide de théâtre, simplement. AGNÈS FRESCHEL

Les suppliantes a été joué du 10 au 13 juin au Gymnase, Marseille

Kosice, la Reine de beauté Élue elle aussi Capitale européenne de la culture 2013, Kosice est la deuxième plus grande ville de la Slovaquie et compte parmi les six localités classées à l’UNESCO. Elle possède et cultive une richesse culturelle importante animée par son Musée technique national, le Musée de la Slovaquie orientale, et le théâtre National de Kosice qui est venu pour cette représentation unique à l’occasion de la semaine slovaque organisée par le Toursky. Récompensée aux Tony Awards en 1998 et triomphant à Broadway, La Reine de beauté de Leenane est une œuvre puissante du dramaturge irlandais Martin MacDonagh, aux dialogues percutants, à l’humour noir subtilement dosé. Dans un petit village pauvre et isolé d’Irlande, deux femmes vivent dans une maisonnette délabrée. Sous des faux airs de vieille femme fragile et maladroite, la mère despotique asservit sa fille, Maureen, à des taches domestiques qu’elle ne

peut ou veut plus faire, et repousse habilement depuis des années tous ses prétendants. Mais, un jour, le retour de Pato, un ami d’enfance exilé, redonne à Maureen l’espoir, un peu fou, de se marier. Les échanges mère-fille deviennent alors plus violents, et leur affrontement physique. L’obsessive manipulation de cette mère abusive et la passion folle que porte Maureen à Pato, emportent les deux femmes dans la démence. Mais l’égoïsme, la passion, la haine restent comme à la portée du spectateur : la justesse de l’émotion s’impose grâce à la mise en scène réaliste Michal Vajdicka, ainsi que le jeu des acteurs slovaques qui font oublier la barrière de la langue, pour laisser place à l’universalité des sentiments. ANNE-LYSE RENAUT

La reine de beauté de Leenane a été jouée le 17 mai au Toursky, Marseille

A.F.

L’enfant Sauvage a été créé au Jeu de paume, Aix, du 14 au 16 mai. Le texte de Bruno Castan est édité aux Editions théâtrales (2006) © Karine Barbier

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Quelle drôle d’idée que d’adapter L’enfant sauvage au théâtre ! L’histoire de Victor de l’Aveyron a inspiré un tel chef-d’œuvre à François Truffaut, après l’essai de référence de Lucien Malson, qu’on se demande à priori ce que Bruno Castan veut en dire… Puis on comprend : c’est aux enfants qu’il parle, de leur humanité, de leur rapport aux adultes, à l’éducation, à l’affection, à la connaissance. Son docteur Villeneuve qui remplace le docteur réel (Icard, sur le journal duquel est fondé le film) est plus humain, moins clinique, mais maladroit avec les relations humaines, alors que la gouvernante sait dispenser son affection et faire progresser l’enfant. La mise en scène de Marie Provence met en évidence cette relation de couple, père et mère de substitution, et Victor, muet, agile, ravit les yeux, fait sourire, emporte l’adhésion du public enfantin, qui ressent avec lui la difficulté de devenir humain. Flavio Franciulli, excellent acrobate aérien, donne à l’enfant un corps inadapté au monde humain mais très habile ! et dont l’évolution est visible. Mais la relation entre la gouvernante et le docteur, ambigüe, faite d’habitudes, d’agacements, de promesses non tenues et d’un peu de désir, n’est pas toujours bien dessinée par les deux comédiens, qui manquent de naturel, comme si la rigidité des personnages contaminait trop leur jeu. Il reste que le spectacle met à portée des enfants la nécessité d’apprendre, et d’être aimé, pour devenir humain. Tout en les faisant rire, et en les émouvant : le sort tragique de Victor, à la fin, n’est pas escamoté…



Émergence et distance

22 T H É Â T R E

En trois ans, le Festival Émergence(s) s’est imposé dans le paysage culturel avignonnais. À la mi-mai, alors que la plupart des théâtres ont bouclé leur saison, Surikat Production offre à la jeune création artistique un rendez-vous privilégié avec un public renouvelé dans 10 lieux du territoire. Dix jours de programmation pluridisciplinaire d’artistes émergents (locaux à 60 %), où la littérature trouve aussi sa place avec la revue de création littéraire & curiosités graphiques Le Chant du Monstre, montée par trois complices féminines et parue aux éditions Intervalles. Du bel ouvrage, bâti sur le principe de l’hybridation, qui relie auteurs contemporains et arts plastiques dans un espace nourri d’imaginaires. Ces jeunes artistes, tous rémunérés cette année, bénéficient d’une équipe de passionnés et de l’aura des premières fois. Et il en faut pour émerger ! Dans l’avenir, l’association, stimulée, mettra en place une plateforme d’accompagnement et de mutualisation des artistes émergents après une récente aide de l’Union européenne, et tentera de d’initier des évènements réguliers. Stimulant. Pour cette 3e édition, 1800 spectateurs ont suivi les propositions reliant questions sociétales, mémoire et vivre-ensemble. Dans Tout ce dont nous avons besoin, les Corps de Passage dissèquent «la victoire écrasante du parti du sou-

© Vincent Marin

rire» après une élection-mascarade. La compagnie organise autour de la «patrie mère nourricière» un défilé pour abattre un système dictatorial duquel le «peuple» cherchera à s’affranchir. Si la résistance de ces hommes déshumanisés par une société factice finit par craqueler, le souffle du désir reprenant le pas sur le contrôle des pulsions, le changement «c’est pas tout à fait pour maintenant» et l’émancipation se fait attendre pour le spectateur, impatient de voir aboutir le dérèglement annoncé. La Cie Strophe a plongé tête la première dans l’Amour de Phèdre. Monter du Sarah Kane reste un choix audacieux et la prise de distance avec l’obsession de mort

Havin’Fun aborde la Shoah frontalement, toute souffrance et égratignures dehors. Les trois breakers dansent sans filet, brutaux et impulsifs, vers la douleur. Si la littérature semble pouvoir «sauver» ces oubliés -pertinente séquence des livres qui bâtissent des remparts à la mémoire-, les corps en présence, martyrs et meurtris, mériteraient là encore de prendre quelque distance.

et de perversion de l’auteure s’avère périlleuse. Le jeune homme blasé qui nous accueille, en se masturbant (signe largement exploité et rapidement convenu), est aimé jusqu’à la brûlure par sa bellemère. Il meurt d’ennui, elle l’adore de sa folie. Hippolyte, prince décadent et «obèse qui baise», perdu dans une famille incestueuse et dans la société moderne, accusé de viol par Phèdre (pour le sauver ?) n’arrivera pas à se confesser devant le prêtre, également perverti. L’amour et le sexe ne le ramèneront pas à la vie. Qu’apporte ici l’adaptation ? Une perplexité devant la lourdeur des actes simulés... Dans les Voix sourdes, première création à peine finalisée, la Cie

DELPHINE MICHELANGELI

Émergence(s) a eu lieu à Avignon du 10 au 20 mai

L’amour plus fort que la farce ? élégance masquée plutôt rare pour le Kronope, habitué à en mettre plein la vue-, autour de la figure démultipliée du triangle amoureux

et de l’adultère à moult rebondissements. Ça rentre, ça sort, se cache et se démasque, se moque, hystérise, force le trait et jubile, © Philippe Hanula

Disons-le tout de suite, ce Dindon de Feydeau va comme un gant à la troupe du Kronope. Tous les ingrédients sont réunis pour que l’équipée sauvage, emportée par Guy Simon au mieux de sa forme, s’engouffre avec l’énergie qui la caractérise dans les rebondissements foisonnants du vaudeville. D’intrigues en aveux, de mensonges en quiproquos, la vingtaine de personnages joués par cinq comédiens tonitruants -particulièrement Anaïs Richetta qui prouve ici sa totale démesure et une vraie générosité pour la transformation et l’outrance en incarnant 5 rôles, à l’instar de ses partenaires d’une

accélère, ralentit, claque les portes et se cogne au mur : l’esprit de troupe magnifié ! Et cerise sur la farce, des boites modulables en véritables magiciennes, chorégraphiées au millimètre, démultiplient à l’envi les univers chers au Kronope : miroirs déformants de la société et confusion des sentiments à l’appui du flagrant délit. DE.M.

Le Dindon s’est joué les 24 et 25 mai à la Fabrik Théâtre, Avignon (reprise au Festival Off du 6 au 28 juillet au théâtre de l’Oulle)


Ni dieu ni maître © Christophe Raynaud De Lage

Dans La Maison d’os, adaptée de la pièce savoureusement absurde de Roland Dubillard, où le langage s’amuse à tenter d’expliquer l’inexplicable, Anne-Laure Liégeois nous plonge concrètement dans la poussière de la fin de vie. Le Maître, Pierre Richard tout en sobriété face à ses partenaires de scène formidables, regarde son monde s’effondrer à l’approche de la mort et s’interroge, en voix off, sur son intérieur : cette maison d’os à double entrée, corps et bâti, qui se plaint et crève de peur en vivant ses derniers soubresauts. L’homme entouré de quatre serviteurs insomniaques, est enfermé dans sa tour de solitude, perdu dans les couloirs labyrinthiques de sa maison-château décrépie, où des fantômes surgissent encore, entre animaux empaillés et fuites d’eau, pour finir la fête. Un Roi dépendant qui congédie un par un ses valets comme ultime domination, avant de laisser fuir son corps finissant, souffrant encore l’absence de sa mère et butant en dernière résistance sur le Notre Père. Que lui reste-t-il à son âge ? Crever ? Pas si facile… Une pièce noire et intense, à multiple tiroirs, rythmée par une mise en scène et une interprétation solides. DE.M.

La Maison d’os a été jouée les 14 et 15 mai au théâtre de Cavaillon

Ils ont pris le melon ! Après avoir couché Marseille sur le divan, et avant le Grand Paris, l’Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine s’est penchée sur le Vaucluse. Six villages psychanalysés par une équipe de doux dingues, © Charles Altorffer chacun étant le jouet de leurs diagnostics farfelus, et de leur écoute scrupuleuse, accueillant habitants et spécialistes du territoire, souvent au café du coin, à la recherche des paradoxes et névroses originelles. La conférence commence par un questionnaire chinois, où l’on apprend que s’il était un légume Le Thor serait un navet, qu’il a l’âge d’un ado «qui fait des grasses mat’, plein de potentiel», et qu’il est hypocondriaque «car il se croit malade alors que tout va bien». Le psy (Laurent Petit spécialisé dans les spectacles para-scientifiques) propose des solutions thérapeutiques nébuleuses, avouant d’emblée «encore chercher à cerner le territoire du Vaucluse», notamment les contours de l’intercommunalité dont un schéma projeté appuie l’absurdité. «L’expert» revient sur la généalogie du département, mêlant à l’histoire -l’appel à la main d’œuvre étrangère, l’effondrement de la production maraîchère, la dérivation du canal de Durance- des approximations et des lapsus hilarants. Bien sûr sa stratégie urbaine est improbable, son projet pilote immobilier immonde, sa proposition de réseau THC (transport hors du commun) en forme de melon moqueuse. Mais le public, pris entre fiction et réel, rit des propositions «mal expliquées partant d’une très bonne idée» jusqu’à «créer une communauté de commune entre les deux villes maudites de la région, Marseille et Cavaillon». Subversif, poétique et fédérateur ! DE.M.

Vaucluse sur le divan a eu lieu du 10 au 15 juin en Nomade(s) avec la Scène nationale de Cavaillon


La danse des mots de Rebotier 24 T H É Â T R E

Quand Jacques Rebotier se balade dans la langue française, c’est à la manière d’un chasseur de papillons : il attrape dans son filet toutes sortes d’histoires et volète autour des mots avec frénésie. Son amour des métaphores percutantes, des rebondissements, des raccourcis imagés, des paroles pensées tout bas et déclamées très haut, donne un éclat singulier à son spectacle Les trois Parques m’attendent dans le parking. Un «oratorio du quotidien» chanté par trois comédiennes sémillantes qui nagent comme un poisson dans l’eau dans une partition sans queue ni tête écrite sur du papier millimétré. Caroline Espargilière, Nicole Genovese et Vimala Pons servent avec une précision horlogère les mots qui se chevauchent, s’emballent ou freinent des deux fers : elles sont «trois Parques, trois Grâces, des Moïres, des Furies, des Fata du destin» qui jettent des sorts en l’air, croquent dans la pomme à pleines dents, se gaussent sans raison de tout et de rien juchées

© Victor Tonelli

sur des patins à roulettes… comme si leur débit de paroles dépendait de leur vitesse de déplacement ! Elles manient la langue (de bois) et les expressions (fleuries) avec la même dextérité que le chariot aux roues fluorescentes qu’elles tirent derrière elles, accessoirement tabouret et malle aux trésors. Dans un plateau brut, avec quelques images vidéo projetées sur un écran invisible, la langue de Rebotier joue à saute-

En 1994, pour ceux qui peuvent s’en souvenir, paraissait chez Gallimard Le premier Homme d’Albert Camus. Évènement, on se l’arrachait, bouleversés par cette voix qui, sans les apprêts de l’œuvre achevée, nous parlait encore. La Compagnie Alzhar, en coproduction avec Marseille Provence 2013, reprend ce texte, avec bonheur. Un parcours de quatre années a conduit les comédiens à travailler avec des troupes de différents pays méditerranéens, Italie, Espagne, Tunisie, Algérie, mais aussi avec des participants issus de milieux variés, prisons, écoles, centres sociaux, maisons de retraite, foyers d’accueil, hôpital psychiatrique… La lecture du livre apocryphe devient lieu de partage, d’échange. Camus est ici le ciment qui unit les gens, les générations : sa lecture interroge chacun, renvoie à chaque mémoire particulière. Jeanne Poitevin met en scène avec une belle humanité acteurs et amateurs qui se racontent, évoquent leurs racines, prennent le public à témoin. On s’interroge, la revendication des racines nous enferme-t-elle ? ou le fait de savoir d’où l’on vient permet-il une plus grande ouverture au monde ? Les spectateurs entrent en cette parole libératoire, s’ouvrent aux autres en un double et indissociable mouvement. Peu importent les défauts de rythme, de diction, de raccords, l’enthousiasme et la sincérité emportent tout ! et l’on se souvient que sur la stèle de Camus à Tipasa, est gravé cet extrait des Noces : «Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure». MARYVONNE COLOMBANI

Nord et Sud dans nos histoires le 24 mai théâtre du Golfe, La Ciotat

in Tavaron © Benjam

Éveilleurs

moutons entre le triple A, la mondialisation, la finance pervertie, la littérature ou l’Europe osant «Tenez vos enfants domestiques et vos animaux en laisse» ou «N’hésitez pas à peloter les coureurs du peloton». On n’y résiste pas ! MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les trois Parques m’attendent dans le parking a été donné les 30 et 31 mai au Théâtre Liberté, Toulon

Pagnol en plein air Dans le coin champêtre et enchanteur du Domaine de Lavalduc, à l’heure où le soleil se couche, un décor, sommaire, fait face à des gradins en bois, posés en demicercle. C’est là que la flamande Comp.Marius a posé son décor, pour jouer le quatrième et dernier volet du cycle Pagnol débuté en 1999 avec Marius. Le Schpountz fait donc suite à la célèbre trilogie (Marius d’une part, puis Fanny et César en une pièce), à Regain et Manon et Jean de Florette. Toujours jouées en extérieur, dans un décor naturel que n’aurait pas désavoué le grand Marcel, les pièces de la compagnie ont toutes une saveur particulière, celle d’une relecture et d’une adaptation libre qui permet un regard neuf, posé sur une œuvre particulièrement connue dans nos contrées. Moins «marquée» que les précédentes, Le Schpountz

permet néanmoins à la compagnie de «finir avec une pièce qui évoque le jeu, qui met un acteur en valeur, avec tous ses désirs et ses gênes». De fait, Irénée est de ceux-là, heureux naïf qui se rêve en acteur de cinéma et non pas en petit épicier comme son oncle qui l’élève, sûr d’avoir un don naturel à mettre en pratique. La grosse tête il va la prendre, lorsque les membres d’une équipe de tournage, cruels et cyniques, vont lui faire signer un contrat mirobolant… Le Schpountz prend vie, gentil «fada» qui va finir par se rendre compte qu’on le balade… Les cinq comédiens se partagent tous les rôles, dans une mise en scène sobre et un jeu généreux qui révèlent la beauté du texte. Et fait sa fête au théâtre populaire ! DO.M. © Do.M

Le Schpountz a été joué au Domaine de Lavalduc, Istres, du 6 au 9 juin



La violence faite femmes

26 D A N S E

Après ses Nuits Angelin Preljocaj revenait au GTP pour un programme où le propos, encore, tournait autour du corps des femmes. Avec un quatuor d’abord : Royaume Uni, créé à Suresnes avec quatre «guerrières» du hip hop, était ici porté avec la même force râblée, et plus de précision, par quatre magnifiques danseuses du Ballet : sur des cadres de fauteuils elles enchainent des phrases rapides, au bout des articulations. Du hip hop elles ne gardent que l’énergie bravache, une fierté de corps triomphants, reines unies d’un espace où elles n’ont pas besoin de repos, où l’assise rembourrée des fauteuils est devenue inutile, car toute la force repose dans leurs muscles affirmés et leurs jambes d’athlètes… Puis le Sacre du Printemps, sans doute mieux dansé que jamais, ce qui n’est pas peu dire. Les danseuses dès l’entrée enlèvent leur culotte, ondulent d’attente, excitent et provoquent. Mais dès que les hommes les empoignent le sexe désiré devient violence, elles échappent à l’emprise et combattent, cèdent et reviennent, cherchant le sexe et ne trouvant que la soumission. Les hommes les poursuivent, les immobilisent, les recouvrent, et les images de viol, crues, se succèdent, sans érotisme, sans plaisir, la musi-

Le Sacre... © Jean-Claude Carbonne

que de Stravinsky scandant l’espace comme un battoir qui transforme tout en combat. On ne sait comment à la fin l’Élue, nue, butant sur le groupe soudé enfin autour de son supplice, trouve la force de se relever et d’exécuter encore un solo où elle se frappe le ventre comme pour affirmer que rien ne peut la détruire, hors

elle-même. Et le voyeurisme de tous, danseurs et publics l’enclosant dans un cercle où le Printemps accomplit son sacrifice… AGNÈS FRESCHEL

Royaume Uni et le Sacre du printemps ont été dansés au GTP, Aix, du 23 au 25 mai

Entre l’or et l’ombre

À peine Israel Galván apparaît-il sur le plateau -même de dos !- qu’il galvanise les aficionados de l’art flamenco pur et de la danse contemporaine. Son inventivité est là, puisée dans les stricts codes traditionnels mais tendue vers l’épure et l’expression de son état intérieur sur scène : pièce après pièce, il peaufine sa gestuelle arc-boutée à l’extrême, perfectionne le mariage de la voix, de la danse et de l’instrument pour écrire une partition exaltée. Quasi fiévreuse ! Tout entre en jeu dans sa danse si fière, si instinctuelle : les paumes des mains frappant le torse, les cuisses, le cœur, les talons ; les mouvements rythmés en sessions coupées net ; le dialogue endiablé avec le piano (Sylvie Courvoisier), le chant rauque de Inés Bacán et les compás de Bobote, son «fidèle écuyer du rythme». Dans La Curva, née de sa «familiarité avec le silence», Israel Galván pousse l’exercice de recherche de la courbe jusqu’à son paroxysme quand il foule l’arène à corps tendu, rageur dans son zapateado (claquement des pieds pointe-talon), quand il entre au combat tel un joueur d’épée, le geste sûr, millimétré… Avec l’énergie d’un diable qui sort de sa boite, il renverse les totems de chaises, danse sur la table, s’ébroue dans la poudre de marbre répandue au sol. Autant de falsetas (phrases) aériennes et puissantes entrecoupées d’instants de solitude silencieuse, en fond de scène, le temps de se concentrer sur le piano ou le chant profond des origines.

Il y a le silence, des corps qui créent leur propre musique reprenant inlassables des gestes phares, des gestes signes, qui, ressassés, perdent leur signification pour entrer dans un énigmatique tournoiement. Révolution, questionnements nouveaux posés de l’autre côté de la Méditerranée lors d’un printemps célèbre, et qui nous touchent tous. Les quatre danseurs de la Compagnie Anania (première compagnie de danse contemporaine fondée au Maroc) jouent avec humour et gravité des codes. De l’homme écrasé, qui baise des mains invisibles, on passe à des corps libérés, à l’explosion d’une bulle dont l’or s’échappe. Les êtres s’y plongent, une étrange statuaire se met alors en place, avec des personnages partiellement dorés. Entre l’illusion de la nouveauté et la révolution, une Rev’illusion se dessine, portée par le chant superbe, prenant, poignant, originel, de Taoufiq Izeddiou. Le début de la chorégraphie, qui avait du mal à trouver son rythme, prend alors un superbe élan magique, magnifié par de beaux clair-obscur. La danse devient le lieu privilégié de la réponse à la censure ; la multiplicité des interprétations permet tous les niveaux de lecture. Rév’illusion était donné en première mondiale au Bois de l’Aune, qui a su créer des liens forts de compagnonnage avec le jeune chorégraphe Taoufiq Izeddiou. Le spectacle est coproduit par Marseille Provence © Julie Verlinden 2013 et on le retrouvera lors du Festival Août en Danse (du 24 au 31 août).

z © Felix Vazque

L’envol d’un aigle noir

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

La Curva a été donnée les 24 et 25 mai au CNCDC Châteauvallon, Ollioules

MARYVONNE COLOMBANI

Rêv’illusion a été dansé le 8 juin au Bois de l’Aune, Aix



Boxe Boxe © M. Cavalca

D A N S E

Dans les cordes Entre la boxe et la danse, la relation n’est pas évidente, même si l’on évoque toujours l’essentiel jeu de jambes et le sautillement des protagonistes. On imagine encore moins accolée à ce monde la musique de Schubert… c’est ce pari que tient cependant Mourad Merzouki, dans Boxe Boxe, avec le soutien du Quatuor Debussy et sa compagnie, Käfig, conjuguant ainsi ses racines d’ancien boxeur (champion de France junior) et la danse. Les gestes d’attaque et de défense sont réorchestrés dans une esthétique de hip hop, alors que, sur scène, le Quatuor Varèse interprète les mélodies romantiques. Autre manière d’appréhender les schubertiades ! Décor de fer forgé, sièges incroyables des musiciens glissant sur le sol à damier… un monde étrange se dessine, digne de Lewis Caroll. Sur cet échiquier les cordes du ring apparaissent, se distendent, s’effacent. Les gants rouges des boxeurs improvisent une danse serpentine. Art de combat, art d’union, douceur, mélancolie, explosions débridées, tout s’enchâsse entre poésie et humour. Un personnage déboule, sorti tout droit d’un film de Tim Burton avec ses jambes maigres et son corps énorme, joue le rôle du cicérone, entraîneur, meneur de jeu, arbitre souvent contesté. Jouant sur les mots, les cordes du ring sont remplacées par celles des instrumentistes qui orientent l’espace et accordent un contrepoint rêveur ou rythmé, les instruments à corde devenant percussifs. La boxe, la danse, une histoire de rythme ! MARYVONNE COLOMBANI

Boxe Boxe a été dansé le 25 mai à La Croisée des Arts, Saint-Maximin

À venir Récital le 5 juillet Châteauvallon, Ollioules 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com

© Agnes Mellon

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Plaisir et douleur Au Ballet National de Marseille les ouvertures permettent à la fois de voir ou revoir des pièces créées pour les danseurs, et de découvrir le travail des chorégraphes en résidence. La 22e ouverture confrontait deux pièces que tout oppose ! Le ballet reprenait Double points : Extremalism, pièce d’Emio Greco & Peter C.Scholten créée en 2012 à l’opéra de Marseille. Plus synchrone, elle souffrait pourtant des mêmes défauts : un certain fouillis, inhabituel chez les deux chorégraphes, qui porte atteinte à leur style musclé et rentre-dedans qui ici s’exerce dans une révolte sans objet identifiable. Les danseurs pourtant semblent prendre plaisir à l’amplitude, aux placements peu contraignants et à l’énergie de la danse… Avant cela, Trikonanga, solo de la danseuse indienne Hemabharathy Palani, proposait tout le contraire ! Si la danse contemporaine indienne sait habituellement plonger dans des ses traditions multiples et fertiles, elle s’affranchit rarement avec autant de liberté de ses contraintes. La danse d’Hemabharathy Palani est indienne, mais va au sol, s’intériorise de butô, parle, emprunte à tous les vocabulaires contemporains, et surtout tient un propos limpide, sur cette tradition justement, ses gestes indiens qu’elle abandonne pour y retourner après un voyage intérieur, vers la douleur. AGNÈS FRESCHEL

Ces pièces ont été dansées du 22 au 25 mai au Ballet National de Marseille

RetrouveZnos agendas et rendez-vous ainsi que toutes les annonces du mois à venir, sur notre site mis à jour quotidiennement www.journalzibeline.fr



Jazz expressif

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On dit que la modernité puise ses racines dans la tradition. Ici c’est la mémoire musicale juive, traditionnelle et multiple, qui est révélée et convoquée au détour de parcours sonores très travaillés et qui pour la plupart atteignent une sombre gravité. Tels sont les chemins qu’emprunte le pianiste Yaron Herman pour développer son art. Dans la formation en quartet, on retrouve le talentueux saxophoniste Emile Parisien, qui a montré qu’il pouvait aussi trouver ses marques de belle manière en performant toujours de façon acrobatique, jonglant avec les modalités. Ziv Ravitz, à la batterie, a œuvré à une juste expressivité, installant une pulsation permettant les pérégrinations du piano. Florent Nisse à la contrebasse fut un relais efficace pour l’installation des climats expressifs, contribuant à l’élaboration grandissante des élans mélodiques, du feutré au déchaînement obstiné. De la musique de facture classique, qui rappelle le style français début XXe siècle, et se développe dans la mélancolie, la tristesse, jusqu’à une musique douloureuse qui s’intensifie, échafaudant des impros, faisant voler les doigts sur le clavier et construisant des motifs aux ornements old style façon piano stride, Be-bop ;

Yaron Herman 4tet © danwarzy

puis de la musique tendre, ou joyeuse… Yaron Herman est un sorcier qui dirigerait un voyage initiatique avec une parfaite maîtrise. Un musicien exceptionnel, capable de... tout !

Ce concert a été donné le 16 mai au Cri du Port, Marseille

DAN WARZY

Chanter la paix C’est à un beau croisement des cultures que nous a convié l’ensemble stéphanois Canticum Novum, au souvenir d’un temps où l’Espagne d’Alphonse Le Sage, au XIIIe siècle, était terre de tolérance, où en Andalousie cohabitaient des communautés musulmanes, juives, chrétiennes. «Paz, Salam, Shalom» fut un temps fort de la 11e édition de L’Espagne des trois cultures, manifestation annuelle organisée par Horizontes del Sur. Le 25 mai à l’Espace Julien, aux Cantigas sacrées du Roi de Castille répondent des mélopées séfarades ou des danses berbères provenant

du pourtour méditerranéen. Ces répertoires, encore vivants et expressifs après 800 ans, sont revisités par des musiciens de haut vol. Trois voix serpentent et fusionnent, d’un registre à l’autre : le contre-ténor Emmanuel Bardon (directeur de l’ensemble), la soprano Barbara Kusa et la basse locale (qu’on lit aussi dans nos colonnes) Yves Bergé. Gwénaël Bihan, aux flûtes à bec, double la mélodie ou s’évade en contrechant, Aroussiak Guévorguian en pince gracieusement pour les cordes du kanun, Philippe Roche, à l’oud, majore la toile de teintes orientales, quand Aliocha Régnard la colore à l’aide d’une étrange vièle… suédoise ! Ensemble, ils © Michel Faessel fondent un bouillon sonore universel, converti en or par un alchimiste, Henri-Charles Gaget, maître ès percussions virevoltant de peaux en calebasse, coquillages et objets sonores de tous horizons… JACQUES FRESCHEL


slameurs et autres rappeurs d’aujourd’hui ? Une filiation qui apparaît, en toute harmonie, dans les morceaux sur lesquels viennent, poser leurs mots et leur flow Impek et Packo, du groupe de rap marseillais DGT Crew. Le second épisode revient se centre sur Yvette Guilbert. À tous ceux qui ont d’elle une image surannée ou figée par les fusains de ToulouseLautrec -immortelle silhouette dégingandée aux longs gants noirs– le spectacle feu d’artifice de Nathalie Joly apporte un démenti formel ! Dans En v’là une drôle d’affaire (2è épisode des Diseuses), la drôle de dame de la Belle Epoque reprend des couleurs façon es-

Provence universelle Si le soleil n’était malheureusement pas présent dans le ciel, il l’était sur les scènes du festival Le monde est chez nous. Une manifestation qui a pour but de réunir et présenter les différentes cultures présentes dans la région PACA. Avec 40 spectacles et près de 800 artistes sur scène, ce petit tour du monde est offert dans une seule et même ville, Aubagne. À l’abri de la pluie, sous les jolies bâches de la scène Marcel Pagnol, les huit musiciens de la Maresque ont fait leur entrée sur la scène pour interpréter des morceaux de fête du croissant occitan méditerranéen, accompagnés d’instruments typiques tels que la timbale provençale, le fifre ou encore la musette. Une musique pleine d’énergie que le groupe crée et revisite en ajoutant par exemple du human beatbox. Le lendemain, les notes aigües de la flûte traversière s’associaient aux sonorités graves de l’accordéon pour interpréter du choro, l’une des premières musiques populaires du Brésil qui existe depuis 130 ans. L’ensemble de sept musiciens est dirigé avec talent par le Duo Luzi Debaa Madrassati anlaouiya de Kalliste © Anne-Lyse Renaut

agne-Palazon faire © Chantal Dep

Elle en a fait des émules Yvette Guilbert, avec son style parlé-chanté ! Dans le premier épisode des Diseuses, après avoir évoqué le parcours de cette figure emblématique de la grande époque du cabaret parisien, Nathalie Joly a choisi de rendre hommage à la tradition de la «diseuse», qui s’est répandue bien au-delà de nos frontières. C’est sur l’air de La femme à barbe que, affublée d’un postiche et de manière très circassienne, la fine équipe accueille le public. Le voyage fera inévitablement plusieurs incursions en France avec, par exemple, l’irrésistible chansonnette, Mon mari où une épouse sans complexe prévient : «Je t’aimerai mieux mort qu’en vie.» Puis, de Berlin cher à Kurt Weil au Cuba des sœurs Faez, glissant au passage un Chant des pleureuses macédo-roumain, des traditionnels grec et mexicain, la carte blanche de Nathalie Joly s’affranchit de la barrière linguistique mais aussi des époques. Car les diseurs d’hier ne sont-ils pas les

En v'la une drole d'af

Kabuki, émules et vieilles dentelles

Nascimento, Claire Luzi, une française, mandoliniste chantant d’une voix douce et en portugais les musiques composées par le guitariste émérite Christiano Nascimento. Dans la soirée, l’esplanade Grimaud a accueilli le projet «Le Vaisseau voyageur» du slameur franco-comorien Ahamada Smis. Entre les Debaa, des chants chorégraphiés à la perfection par des femmes mahoraises, il intègre avec passion les qasidas, des poèmes issus des confréries soufies aux paroles légères contrairement aux nyandous qui servaient à révéler les meilleurs orateurs parmi les guerriers, dont les paroles sont plus violentes mais aussi pleines d’espoir et de liberté : «Il suffira des mots pour que les feux s’éteignent, que les ardeurs se calment, que les armées regagnent leurs cavernes.» Il y a eu aussi les danses et les musiques de Bali, des îles créoles, de Chine, du Moyen-Orient… ANNE LYSE RENAUT

Le festival Le monde est chez nous a eu lieu les 8 et 9 juin à Aubagne

tampe japonaise grâce à la vivacité, au savoirfaire, au talent tout simplement de l’interprète et de ses comparses. Quelle surprise d’entendre sortir de la bouche de la chanteuse (celle qui est sur le plateau) une balade quasi médiévale ou un chant cousin du madrigal et quel plaisir d’être bousculé dans ses certitudes : si «la veuve rogne les gigolos» et si «les morphinées cascadent» volontiers (merci à la feuille de salle-glossaire) c’est surtout le rythme fondu, ancêtre du sprech-gesang, et la carrière newyorkaise de cette amie de Sigmund Freud (La Guilbert débuta... au divan japonais!) que Nathalie Joly nous offre dans une généreuse leçon de caf‘conç’ qui dépoussière les clichés ! THOMAS DALICANTE ET MARIE-JO DHO

Diseuses d’hier à aujourd’hui a été joué les 28 et 29 mai, En v’là une drôle d’affaire a été joué du 21 au 25 mai, au théâtre de Lenche, Marseille

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Kiosque en scène

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à la le kiosque accompagné de ses précieux vinyles avec lesquels il jongle pour mixer sur sa platine tout une palette de sons dansants, du funk 70‘s à la soul en passant par le hip hop ou encore le rock ! ANNE-LYSE RENAUT

À venir le 30 juin - Atelier Sample : crée ton tube ! / Association Mimix, jeune public à partir de 6 ans - Bal décalé #2 / Bal Rock & Swing - Nassim Dj / Dj Set le 7 juillet - Boum pour enfant, Le Petit Kiosque / Association Mimix, jeune public - Date with Elvis / Rock’n’Roll - Gaïo / Folk Soul - Del’Amott / DJ Set Rendez-vous du Kiosque jusqu’au 21 juillet Kiosque à musique des Réformés, Marseille 06 84 52 99 15 www.rendezvousdukiosque.fr

Peace love and harmony La salle Malraux de Six-Fours, dans le cadre du Festival Couleurs Urbaines, accueillait deux groupes de reggae exceptionnels : une première partie assurée par Meta Dia et les Cornerstones, très classique, dans la grande tradition de Bob Marley : un reggae superbe, le public danse, saute, au son de ce groupe venu de New York qui a enregistré son dernier album avec Sydney Mills (Steel Pulse). Le message de paix, d’entente, est repris, en deuxième partie, par Groundation. Si l’on ne sentait pas les origines hip hop du leader du premier groupe, celles jazziques du second enrichissent la base reggae, lui accordant une coloration particulière, modale, avec de superbes solos de batterie, de claviers ou de cuivres et la voix un peu nasillarde, incroyable de Harrison Stafford. Improvisations inspirés, morceaux construits au cordeau, sans doute l’un des meilleurs groupes du moment ! Le bis unit les deux formations sur un standard de Bob, Could you be loved ?... oh yes ! Un air de flûte sur la scène du théâtre grec de Châteauvallon, cavea comble… puis une rupture, un rythme plus vif s’amorce, youyous, mains qui scandent, déjà les gens descendent

au bord de la scène, dansent : Idir chante la fête, le plaisir de recevoir des invités. Le public reprend les chants en chœur, et ceux qui ne parlent pas Kabyle fredonnent le thème. Chants très anciens, évocations de la vie dans les montagnes, mélodies mélancoliques ou rythmées avec fougue, Idir, le poète, charme, apprivoise le monde par son humanité vraie, «il n’y a pas de nations, seulement des êtres humains». Sphère émotionnelle qui s’envoie, bulle d’amour pour ceux et celles qui souffrent de l’autre côté de la Méditerranée, hommage Groundation © X-D.R aux femmes, à sa fille, Tanina, qui chante à ses côtés. Ce miracle fraternel se retrouve dans le public : les uns traduisent aux autres, évoquent les réalités décrites dans les chansons, s’y retrouvent. Beau symbole, Tuyac n wanzul (Musiques du Sud) est interprété en Kabyle et en Français dans un superbe duo père fille. Et l’on repart avec en tête la célèbre et délicate berceuse A vava inouva. MARYVONNE COLOMBANI

Couleurs urbaines s’est tenu du 29 mai au 15 juin dans le Var

Friche

Des stars américaines ont fait le trajet jusqu’à Marseille grâce à This is (not) Music. Après la soul de Cody Chesnutt, le rap de Mos Def, ou encore les sons hip hop du Wu-Tang Clan, le Cabaret Aléatoire peut désormais se vanter d’avoir proposé une programmation digne des festivals les plus populaires. À défaut de la mixité, les organisateurs prônent la diversité musicale et ont trouvé la réponse grâce au trio américain Liars. Inclassables, ils ne cessent d’évoluer depuis 10 ans d’existence, du post-punk au rock expérimental pour se rapprocher finalement des musiques électroniques. Un mélange insolite qui leur permet de maîtriser et de créer toute une palette de sonorités uniques associées à la voix singulière, à la tessiture oscillant des graves profonds aux aigus, d’Angus Andrew. Mais après 47 jours d’invasion, This is (not) music a dû quitter la Friche. Le 8 juin, les organisateurs ont décidé d’organiser une Block party, fête de quartier sur le modèle américain animée par un Dj. Une soirée accessible (5€), qui laissait carte blanche à Dj Djel, l’un des meilleurs Dj hip hop de la scène française, ex-membre de la Fonky Family. Don Choa est d’ailleurs aussi à l’affiche. Le rappeur a du talent mais la fête a atteint son zénith à l’arrivée surprise de Karim Haddouche, alias Sat l’Artificier, et Mohamed Ali, alias Menzo. Il ne manquait plus que Le Rat Luciano pour reformer la Family séparée depuis 2007 ! Tout le monde apprécie d’entendre à nouveau les titres phares du groupe comme Art de Rue ou Mystère et suspense. Après les flow uniques des rappeurs marseillais, Dj Djel a continué son show hip hop pour une soirée inoubliable, en espérant que 2013 «is (not) the end» !

Sugarcraft © X-D.R

A.-L.R.

Le concert de Liars a eu lieu le 30 mai et la soirée de clôture Block party #2 s’est déroulée le 8 juin au Cabaret Aléatoire, Marseille Liars © Zen Sekizawa

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Le Kiosque à musique des Réformés se transforme pendant les week-ends de mai à juillet en véritable petite scène de concert. Pour sa 5e édition, ce festival gratuit propose de faire découvrir des artistes de la scène régionale mais aussi de prendre un verre ou même de dîner sur place... moment convivial garanti ! Sur la place Léon Blum, on retrouve les passionnés de musique, groupes d’amis ou familles, habitants du quartier ou passants qui montent les marches du kiosque pour voir... Après avoir organisé, le 19 mai, un atelier d’initiation Dj, proposé l’électro rock du groupe Ok Bonnie ou encore les mix de Girls on the rocks, le 2 juin, le Bureau Intermédiaire de Production présentait Sugarcraft formé par le duo complétement loufoque John Deneuve et Doudouboy. Sous les lumières multicolores des projecteurs, ils ensorcelaient leur public avec des objets insolites comme des jouets ou instruments pour enfants. D’une énergie débordante, les deux musiciens faisaient le spectacle avec des déguisements improbables : une paire de collants ou encore de la dentelle sur le visage, une robe parsemée de fleurs, un chapeau de Napoléon à plumes et un autre tyrolien ! Leur musique pétille et leur son, mixant les rythmes électro-pop, punk et techno, transporte les spectateurs dans une atmosphère inconnue. Puis, le tour est venu pour Nassim-Dj de faire son entrée. Fort de ses dix années d’expérience en tant que résident sur Radio Grenouille, il est venu envahir

Folies musicales



Virée macabre

assassins… À cette facture puissante, tragique, s’agrègent des «sons fixés sur bande» figurant l’onirique vent du voyage, les eaux du Gange d’où cette Médée réinventée serait issue, le feu du bûcher, autant d’éléments (purificateurs ?) auxquels s’ajoute encore la terre, froide, d’où la mère exhume ses enfants trépassé set dont on entend les voix, fantomatiques, «horschamp»… Pareil à l’homme mystérieux qui file l’héroïne

Semer des notes… Quand la ligne mélodique du saxophone de Joël Versavaud s’élève, lyrique, luxuriante, explorant enfin l’ambitus «naturel» de l’instrument, du grave à l’aigu, on comprend mieux le sens de la «partition sonore» que le compositeur Georges Bœuf a imaginée sur le texte de Jean Giono L’homme qui plantait des arbres. C’est Regain qu’il chante, et son espoir de bonheur reconquis dans les vallées alpines, après la désertification, les saignées guerrières, son Grand troupeau macabre ! Quelle prose pouvait mieux convenir au Festival de Chaillol qui, sous la houlette de Michaël Dian pollinise la vallée du Champsaur de spores en forme de notes accrochées aux reliefs du Gapençais ? Avant de prendre de l’altitude, c’est à Marseille, le 22 mai dans la Salle Musicatreize, qu’un trio d’artistes a créé l’opus. Au début, à l’image du pastoral, solitaire et taiseux Elzéard Bouffier, semant obstinément ses graines, les percussions de Claudio Bettinelli, minérales, pierres résonantes ou blocs de bois soigneusement choisis dans cette nature qu’exaltait Giono, se font minimales, pointillistes, embryonnaires d’une vaste forêt que le berger seul est capable d’imaginer… Le narrateur, d’abord extérieur, puis complice, prend vie à la mesure d’une diction travaillée (Bénédicte Debilly) qu’on écoute, comme la partition, au fracas percussif de la guerre de 1914-18, si traumatisante pour l’écrivain, aux jeux d’eau, vitale, résurgente, lorsqu’une espèce d’harmonica de verre rustique, façon «pyrex», fusionne avec les harmoniques du sax... Magique ! J.F. Joel Versavaud & Claudio Bettinelli © Alexandre Chevillard

dans l’histoire chantée, on emboite le pas à cette Médée-là, au cours de son voyage, d’un récit passionnant, dérangeant, cyclique : un aller-retour de l’Inde à la Grèce, haletant, sanguinaire, au rythme d’une alternance mixte (vocale & instrumentale, électronique & récitée) jusqu’aux portes de la folie, dans l’intimité de sa voix intérieure, indéchiffrable, de ses fantasmes, sa danse macabre… JACQUES FRESCHEL

Lullaby of Marseille Hayrabedian © X-D.R

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Medée Kali © Jimmy Valentin

Felix Ibarrondo et Roland

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Le dernier événement du Festival Les Musiques du Gmem (associé à Musiques en chantier) proposait la création d’un «Opéra de chambre» du compositeur Lionel Ginoux : une mystérieuse Médée Kali, imaginée d’après un livret de Laurent Gaudé qui s’inspire et développe le mythe de l’antique meurtrière, infanticide et magicienne trahie par Jason. Le 15 mai aux ABD Gaston Defferre, on suit un monologue tragique, puissamment servi par la soprano Bénédicte Roussenq, au fil d’une partition tendue, éprouvante, qui se souvient de Schoenberg (Erwartung) ou Strauss (Elektra). Un quatuor instrumental (Joël Versavaud aux saxophones, Adeline Lecce au violoncelle, Marion Liotard au piano et Laurent Camatte à l’alto) soutient la fureur de l’héroïne lors d’une scène orgiaque… comme dans l’attente statique… souligne la désolation statuaire du tombeau, la sensualité de l’amante ou la froideur tranchante d’une scène de crime, lorsque ses fils agonisent dans ses bras

Programmer un cycle de Berceuses, même en création contemporaine, comporte un risque : celui d’endormir… le public ! Disons que Mareta, mareta, no’m faces plorar de Daniel Tosi, conçue sur l’idée de la difficulté d’endormir un bambin (quelle résistance !), malgré une polyphonie continue, longue et répétitive, a partiellement réussi son coup… Mais seul le temps est juge de la qualité d’un opus, le propre des critiques étant de se tromper sur leur portée historique ! Quoiqu’il en soit, Musicatreize a davantage convaincu avec Lo bai lo du basque Felix Ibarrondo, en particulier grâce à l’incantatoire rituel de pleureuse, suppliant et cajoleur, de la belle mezzo Mareïke Schellenberger. On fêtait, le 12 juin Salle Musicatreize, le jour anniversaire des 100 ans de feu Maurice Ohana. De fait, le concert commençait par sa mélodieuse et tendre Berceuse (Kaoli Isshiki), œuvre de jeunesse colorée de lointaines harmonies debussyste et se poursuivait avec Sybille, classique de 1968 au geste vocal puissant (Kiyoka Okada) qu’aurait volontiers chanté la Berberian. Mais c’est Maadann de Zad Moultaka qui emporte l’adhésion finale : une pièce magnifique où les voix, dirigées par Roland Hayrabedian, se font tour à tour métaux qui, du fer à l’or, fusionnent dans un bain sonore, quand le soufre et le mercure associent leur propriété dans un alchimique tutti ! JACQUES FRESCHEL

Prochain concert du Cycle des berceuses Le 5 juillet à 20h. Salle Musicatreize (voir p XV)


Fidèle à son désir de proposer au public de l’aire toulonnaise un répertoire méconnu et hors des sentiers battus, ainsi qu’à sa volonté légitime de rendre aux musiciennes la place qu’un machisme coutumier leur refuse, la claveciniste Claire Bodin aux commandes de sa compagnie Les Bijoux Indiscrets nous a fait découvrir quelques perles baroques d’Anna Bon di Venezia. Cette compositrice injustement oubliée –d’où l’absence cruciale d’informations concernant sa biographie- naquit vraisemblablement vers 1740 à Venise et y suivit une formation musicale au réputé Ospedale della Pietà vouée au chant et à la musique de chambre qui lui valut le titre de «Virtuose» dans ce domaine. À en juger par les quelques Divertimenti opus 3 pour 2 traverso et basse continue, publiés aux alentours de sa vingtième année, cette illustre inconnue, à défaut d’audaces formelles, développait dans son écriture des techniques de jeu variées nécessitant de la part des instrumentistes un talent certain ! Derrière d’habituels contrepoints aux flûtes, truffés d’ornements mélodiques, retards et appoggiatures en tout genre, on percevait clairement la volonté de rendre au continuo une place plus importante. Les interprètes de l’ensemble se sont emparés de cette musique avec une belle complicité pour nous faire découvrir des compositions singulières et subtiles empruntes de légèreté, qui n’avaient rien à envier à celles des compositeurs masculins de l’époque. Un exploit, quand on sait combien il était difficile pour les femmes d’accéder au savoir musical ! ÉMILIEN MOREAU

Ensemble Polychronies © X-D.R

Une heure exquise

Percuter Pour son dernier concert de la saison «Les classiques», le Festival de Toulon s’est aventuré dans un répertoire singulier puisque le concert donné au collège de La Marquisanne accueillait l’Ensemble Polychronies autour d’œuvres entièrement écrites pour la percussion. Malgré un espace scénique confortable, le volume de l’auditorium était trop étroit pour contenir la charge sonore mais qu’importe, le plaisir de découvrir des univers sonores nouveaux est resté intact. Conçu comme un voyage sonore à travers le XXe siècle, au travers de figures du répertoire contemporain telles Xenakis ou Reich, le programme laissait apparaître les différents types d’écriture existant dans ce domaine : on pouvait entendre d’un côté des œuvres construites sur d’habiles et savants contrepoints rythmiques alternant phases de polyrythmie et d’homorythmie, de l’autre des pièces plus simplement élaborées autour de la notion de timbres et de propriétés acoustiques, et reléguant aux oubliettes nombre de travaux sur le son élaborés en studio depuis les années 60. Autour d’un panel complet et très diversifié de percussions qui reflétait bien un domaine sonore apparemment sans limites, Florent Fabre (fondateur de l’ensemble à géométrie variable) et ses deux compagnons d’un soir, François Combémorel et Bernard Boellinger, ont joué avec une grande complicité des œuvres idiomatiques de ce répertoire en constante exploration. E.M.

Ce concert a été donné le 16 mai à l’opéra de Toulon Ce concert a été donné le 23 mai à Toulon

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Dessine-moi un mouton !

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Le festival Autour des claviers a le don de dénicher les artistes d’exception. Le spectacle Un Petit Prince en est une preuve de plus. Sarah Lavaud, déjà présente il y a trois ans, apporte sa maîtrise, son jeu délié et précis, sa sensibilité, au service de la lecture du Petit Prince de Saint-Exupéry. Le texte est présenté en écho à un extrait de la Lettre à un otage (1940) et à la dédicace à Léon Werth, qui lui accordent une dimension supplémentaire. Pas de pathos, jamais, dans la lecture sobre de Bertrand Périer, aux couleurs de désert, qui s’efface devant les mots, leur octroyant juste ce qu’il est nécessaire d’intonation. Sarah Lavaud, vêtue de bleu et de blanc, aérienne, frêle, campe un Petit Prince passionné. Les pièces choisies par les deux artistes, de Bartók, Scriabine, Ibert, Ravel, Debussy, Milosz Magin, Brahms, s’orchestrent en un

superbe poème symphonique qu’ouvre et clôt l’Entritt de Waldszenen de Schumann. La mise en scène de Marie Tikova, qui multi-plie les pupitres, comme autant de reflets d’étoiles, souligne avec délicatesse les étapes du récit, épuré de quelques stations du voyage intergalactique du Petit Prince : seule subsiste la visite à la planète de l’homme d’affaires, si sérieux dans son compte absurde de Le Petit Prince © Brice Toul ces petites choses qui brillent au ciel et dont grâce de ces grands artistes à l’essentiel, qui il ne connaît pas le nom. On reste boule- reste bien sûr «invisible pour les yeux». versés, émus aux larmes : finesse du renard, MARYVONNE COLOMBANI caprices de la fleur si unique et si semCe spectacle a eu lieu le 9 juin au Tholonet blable… Chacun ce jour-là a pu goûter par la

Colonnes phocéennes Depuis quelques années, le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Marseille sont les piliers du Festival de Musique Sacrée qui s’est tenu, pour sa 18e édition, à l’église St-Michel. Le 17 mai, après le discours d’autosatisfaction de M. le Maire et les traditionnels remerciements à Mme Imbert, adjointe déléguée à la musique municipale, c’est Rossini qu’on a entendu dans la nef : un péché de vieillesse du musicien d’opéra qui n’en oublie pas la verve, ni le bel canto, malgré le latin d’usage, à l’image du Dona nobis pacem concluant sa Petite Messe solennelle dans un clair-obscur favorable à l’alto profond de Sara Mingardo. Pour sa version orchestrale, moins originale que… l’original, pour pianos et harmonium, la mise en place, l’équilibre des pupitres instrumentaux et

vocaux sont plus délicats à gérer, en particulier dans une acoustique n’affectionnant guère les philharmoniques volumineux. À ce jeu, Paolo Arrivabeni s’en est bien tiré : un chef à l’écoute des voix, comme celle du ténor Kenneth Tarver, souriant, captivant le regard… D’un mouvement souple, le maestro a dessiné les «sujets» fugués, placé en exergue leur attaque aux quatre pupitres scindant une cinquantaine d’habiles chanteurs… qui n’ont cependant pas évité l’écueil d’un chœur «a cappella» et quelques dissonances improbables !

Sacré Dvorak !

Michel Piquemal © X-D.R

Une douzaine de jours après, on retrouve l’Orchestre Philharmonique de Marseille, mais cette fois au service d’un chœur (près de 80 participants) aux belles qualités, malgré un recrutement «amateur» !, le Chœur Régional PACA. C’est au prix d’un travail approfondi et constant, sur les pôles d’Aix et Nice, qu’on profite, en bout de tâche, de belles œuvres, comme celles proposées au programme du 29 mai : Dvorak et son Te Deum flamboyant, sonnant comme une volée de cloches, un Psaume en tchèque déroulant une sorte de récitatif choral d’une grande originalité, preuve aussi d’un beau labeur accompli en coulisse, et une formidable Messe imposant son ré majeur à grand renfort de pathos. Un Gloria héroïque, un Amen claironnant, Benedictus caressant ou Miserere implorant, furent conduits par Michel Piquemal avec plus de pompe qu’il n’en faut, et dont le geste n’a pas toujours contribué à contenir quelques surplus orchestraux. Et c’est encore un ténor, une fois n’est pas coutume, qui se distingue par sa belle pâte vocale : Avi Klemberg. JACQUES FRESCHEL

La musique des jeunes La Criée poursuit son partenariat avec le Festival de piano de La Roque d’Anthéron, invitant David Kadouch et Edgar Moreau : un pianiste de 28 ans, pour jouer un programme de sonates avec un violoncelliste de 19 ans. On se demande s’il ne va pas manquer ça et là une certaine expression, une profondeur de son, liée à l’expérience... avec David Kadouch, pianiste, Révélation Jeune talent aux Victoires de la Musique 2010, qui mène une carrière internationale depuis 10 ans et Edgar Moreau, violoncelliste, déjà réclamé en soliste et dans les plus grands ensembles, la valeur n’attend pas ! Quelle connivence, partage, dialogue, écoute de l’autre ! Dans la Sonate N°1 de Debussy, le piano imprime de beaux tableaux impressionnistes, tandis que le violoncelle déroule de superbes arabesques en pizzicato, jeu sautillé, legato, vibrato d’une grande aisance. Pour les deux, la couleur passe avant la technique ! La Sonate Arpeggione de Schubert annonce ce thème magnifique, si plaintif au piano, repris par le violoncelle. Chacun, à tour de rôle, est soliste ou accompagnateur, élégante façon de s’effacer pour laisser vivre le thème. La Sonate en ré mineur de Chostakovitch confirme encore ce partage rare, au long des quatre mouvements très contrastés : Allegro moderato lugubre, Allegro acide, très stravinskien, Largo sombre, où les relais des deux musiciens sont très soutenus ; puis le Final, déchaînement technique époustouflant. On reste ébahis devant tant de juvéniles certitudes, et de poésie. YVES BERGÉ

Le récital Kadouch/Moreau a été donné le 21 mai à La Criée, Marseille



Stravinsky au théâtre

M U S I Q U E

© Enrico Bartolucci

par Laurent Cuniot, le Diable, rendirent une partition impeccable, parfaitement ciselée. Les couleurs obtenues par ce septuor dans le choral de la fin de l’œuvre furent magnifiques ! Projeté dans un univers de saltimbanques, chahuté par un langage d’une profonde mo-

Chef d’œuvre (misogyne) Pour sa dernière production lyrique de la saison, l’Opéra de Toulon a choisi de porter à la scène un des nombreux chefs-d’œuvre de Mozart, La Flûte Enchantée. Connu pour quelques airs à la fois inoubliables et redoutables pour leurs interprètes, ce singspiel de l’autrichien au crépuscule de sa carrière est un réel condensé de son savoir-faire mais aussi de son génie visionnaire. En effet, par le choix d’un sujet qui confine au fantastique et à la magie, il ouvrait la voie à ses illustres successeurs du XIXe siècle. Réflexion sur le bien et le mal truffée de références non dissimulées à la symbolique des nombres maçonnique, le livret distille également © Frederic Stephan

une franche misogynie faussement dissimulée par l’aspect bouffe de la pantomime d’origine, à croire que son auteur n’aimait pas plus les femmes que le compositeur, qui ne s’en était pas caché un peu plus tôt déjà avec Cosi Fan Tutte. Cela aussi, c’est notre patrimoine ! Les représentations ont rencontré un franc succès grâce à une mise en scène dynamique et enjouée portée avec ferveur par certains personnages dont le jeu théâtral faisait mouche tant il était porté par des qualités vocales remarquables : William Berger interprétait un Papageno truculent à souhait tandis que Kathryn Lewek excellait, impériale en reine de la nuit. Les autres rôles n’étaient d’ailleurs vocalement pas en reste, portés par la direction efficace de Wolfgang Doerner qui a su donner une lecture très aérée de la partition rendant à cette farce un caractère léger en guise d’apothéose. Mise en scène ? Propos? Dans la Flûte, l’essentiel reste le génie intemporel de la musique, et la beauté des voix. ÉMILIEN MOREAU

La Flûte enchantée a été donnée les 14, 17,19 et 21 mai à l’opéra de Toulon

dernité, le public du GTP put goûter au plaisir d’un spectacle total d’une qualité exceptionnelle. CHRISTOPHE FLOQUET

Concert donné au GTP, Aix, le 14 mai

Enfermement et… espoir ? Pour faire surprise avant fermeture, le Théâtre Gyptis a accueilli le 31 mai la création mondiale de Nous d’ici-bas de Thierry Machuel, compositeur au programme du bac en 2013 et 2014 : un «oratorio sur le thème de l’enfermement intérieur», qui cherche à révéler «l’humanité présente en nous-mêmes, mais profondément enfouie». Le projet généreux, préparé en amont par d’audacieux chefs de chœur (Marianne Suner et notre collaborateur Jacques Freschel), réunissait des percussionnistes en herbe de l’école de la Savine, du collège Marie Laurencin, des choristes amateurs du centre social Del Rio, des collèges Henri Barnier, Darius Milhaud (et leurs professeurs), du lycée Marseilleveyre et quatre professionnels de l’Ensemble Télémaque, tous suspendus à la baguette de Raoul Lay. L’œuvre, pour s’entendre, s’est construite sur la parole des autres, cris et chuchotements des détenus de Clairvaux, chants des solitudes de toutes sortes de Jean-Pierre Siméon, scandés, modulés par les choristes sur une partition toute d’obscure clarté, oxymore sonore où la peur cesse peu à peu… et la nuit s’illumine. Au fil de syllabes percutées, d’aériennes mélodies glissées, de récitatifs s’acoquinant à de subtiles dissonances, d’entêtantes asymétries, d’unissons ouvrant et refermant un éventail de notes dansant sur quelque valse de l’oubli, cet «empire de lumières» s’est achevé sur une volée d’espoir, échos de cloches égrenant un moderne Credo. Au cœur de l’opus, un long poème d’Amina Saïd aura serpenté, en relai mystérieux, de la voix de Brigitte Peyré à la trompette de Gérard Ocello, au gré d’une liturgie de métal (Christian Bini et Gisèle David)… S’il existe une mémoire des lieux, nul doute que cette dernière première fois, sur une scène où les créations se sont enchaînées pendant tant années, s’y inscrira naturellement ! © Agnès Mellon

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Avec L’Histoire du soldat, Igor Stravinsky, sur un texte de Charles Ferdinand Ramuz, acte la naissance du théâtre musical. Composée en 1917, à la fin de sa période russe, cette pièce hybride mêlant musique, théâtre parlé, mime et danse, narre l’histoire d’un pauvre soldat qui échange son violon (son âme) avec diable contre un livre qui prédit l’avenir. Ce conte musical d’inspiration faustienne fut l’occasion pour le compositeur russe d’affiner des techniques de composition posées dans Le Sacre ou les Noces : le développement classique qui laisse place à un mode de construction fondée sur la répétition d’éléments diatoniques courts se stratifiant par le vecteur d’un faux contrepoint, le temps linéaire chronologique violenté par la segmentation du discours en mesures composées… Cette musique, brute, dénuée de toute psychologie, dépouillée de toute la sensiblerie du Romantisme, d’une lumineuse matité, se révéla dans l’interprétation de l’ensemble TM+. Les musiciens, intégrés dans la mise en scène de Jean-Christophe Saïs, dirigés précisément

MARYVONNE COLOMBANI


Théâtre Avignon, Salon Au programme

II à V VI

Rue Festimôme, Caressez le potager, Port-st-Louis

VII

Danse Festival de Marseille, Vaison Au programme

Musique Jazz des 5 continents, Charlie Jazz Festival X Mimi, Rock Island XI Arles, Allauch XII Salon, Miramas, La Seyne XIII Au programme XIV, XV Aix, Marseille XVI Aix, Orange, Toulon XVII Chaillol, Lambesc, Pourrières, GMEM XVIII Monêtier-les-Bains, La Ciotat, De vives voix, le Thoronet, Floraisons musicales XX

VIII IX


Du passé faisons table à venir Kabaret Warlikowski © Magda Hueckel

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La 67e édition du Festival II d’Avignon, ultime F programmation de Hortense E Archambault et Vincent S T Baudriller avant l’arrivée I d’Olivier Py, mêle la découverte V A d’«artistes neufs» et le retour L de créateurs ayant marqué S la décennie

T H É Â T R E

L’édition se veut «résolument tournée vers l’avenir et la jeunesse» avec l’Afrique en tête, même si elle apparaît aussi comme un bilan du tandem, avec l’accueil de bon nombre de créateurs confirmés au Festival. Elle sera également marquée par l’ouverture de la salle de 600 places, La FabricA (voir Zib 62). Un tournant symbolique dans l’histoire du Festival qui permet l’accueil, à l’année, d’artistes en résidence logés dans 18 appartements, afin de «cultiver l’idée de troupe». Après un dialogue de deux ans pour imaginer cette programmation à la parole «poétique, mélancolique ou rageuse» et questionner l’art du théâtre à partir «de territoires d’altérité», les deux artistes associés, acteurs et metteurs en scène, Dieudonné Niangounaet Stanislas Nordey, créeront des pièces engagées en début de Festival. Avec Shéda, l’auteur de Brazzaville qui rappelle qu’«il y a des endroits où on m’aurait zigouillé pour ce que j’écris, alors qu’ici on m’applaudit», impressionnera la Carrière Boulbon, ses interventions portant l’art acéré de l’éloquence et la poésie d’un théâtre de l’urgence. Sa pièce pour 14 acteurs et musiciens, dans laquelle il jouera, mettra en dialogue «toute la violence que nos civilisations a inventé et qui n’a fait que prouver notre part d’humanité». Un poème dramatique qui questionne l’humain et sa fragilité. Il jouera également pour Jean-Paul Delore dans l’oratorio rock Sans doute. Avant d’être interprète pour Anne Théron dans L’Argent de Christophe Tarkos, Stanislas Nordey réunira ses fidèles à la Cour d’honneur : Laurent Sauvage, Véronique Nordey, Emmauelle Béart, Jeanne Balibar dans Par les villages de Peter Handke, «un texte violemment poétique et politique, fondateur du théâtre contemporain et qui a la potentialité de toucher 2 000 personnes à la fois.» Pour le lieu mythique, Jérôme Bel crée Cour d’honneur avec les souvenirs de 15 spectateurs qui témoigneront de leur expérien-

Faust II © krafft Angerer

ce, accompagnés par Isabelle Huppert, Antoine Le Ménestrel... En clôture et comme un prolongement, de la danse avec Anne Teresa de Keersmaeker et Boris Charmatz sur la Partita n°2 pour violon seul de Bach par la violoniste aixoise Amandine Beyer.

(Re)trouvailles La FabricA sera mise à feu le 5 juillet, en extérieur et en entrée libre, avec le Groupe F (voir p 10) pour la topofiction Ouvert ! résultant de 6 mois de travail avec des écoles du quartier où est installé ce nouvel outil culturel. Le baptême en intérieur aura lieu avec Nicolas Stemann qui reprend, en 8 heures, l’intégrale de Goethe Faust I + II, réputée «injouable», suivi par Kabaret Varsovie de Krzysztof Warlikowski. Nourrie à partir d’ateliers de parole autour de «l’être femme» menés par l’avignonnaise Michèle Addala dans le quartier Monclar à trois pas de La FabricA, avec la poète Valérie Rouzeau et l’écrivain Jean Cagnard, La Parabole des Papillons accueillera plus de 25 comédiens, amateurs et professionnels. Une expérience de théâtre collective débordante et humaine qui porte la rumeur du monde. Une large place est accordé à la découverte de jeunes artistes Africains, ou travaillant sur le

continent : les chorégraphes danseurs Delavallet Bidiefono, Qudus Onikeku, l’artiste Faustin Linyekula, Aristide Tarnagda et le groupe de rap burkinabé Faso Kombat, Brett Bailey qui interroge le rapport de domination entre Occident et Afrique dans l’installation Exhibit B, Monika Gintersdorfer et Knut Klassen. Théâtre documentaire avec Milo Rau autour du génocide rwandais dans Hate Radio, déambulatoire avec le Rimini Protokoll pour «tordre le cou aux idées reçues sur les rapports économiques Nord-Sud». Autre itinérance, dans la ville cette fois, avec Remote Avignon de Stefan Kaegi, une création guidée par voix artificielle pour expérimenter la perception de l’environnement et à l’école d’art avec Philippe Ducros dans La porte du non-retour, où seront exposées les photos-reflets de Kiripi Katembo Siku qui signe l’affiche. Attendus également le théâtre documentaire sur le Liban de la danseuse Sandra Iché, Myriam Mazoui qui adapte un texte de Hugues Jallon, Jean-François Peyret, le performer Lazare, Nicolas Truong et le Projet Luciole avec Nicolas Bouchaud et Judith Henry, Germinal conçu par Antoine Defoort et Halory Goerger, et le benjamin de l’édition Julien Gosselin qui monte Les Particules Elémentaires de Houellebecq.

Retours gagnants Quant aux retours, notons deux révélations du tandem : l’espagnole Angélica Liddell (dans 2 spectacles par jour) et le théâtre filmé de Katie Mitchell dans Voyage à travers la nuit. Et puis, Lear is in town par le trio Lagarde, Cadiot et


DELPHINE MICHELANGELI

Festival d’Avignon du 5 au 26 juillet www.festival-avignon.com

Les femmes du Festival

DE.M.

«Un festival frémissant, modeste et libre», ainsi se définit Villeneuve en Scène, qui choisit depuis 16 ans de s’émanciper «face au In et au Off de la Cité des Papes» et accueille de l’autre côté du Rhône 15 troupes et 20 000 spectateurs. Trois semaines d’histoires d’insurrections, de luttes, d’épopées et de contes initiatiques ou philosophiques sous chapiteaux et en plein air. Un hommage à Wladyslaw Znorko sera rendu par la Cie marseillaise Cosmos Kolej avec des lectures, et chaque soir la pièce Le Passage du Cap Horn. L’agence de Voyages Imaginaires de Philippe Car présentera Antigone, conçue au Burkina Faso et mêlant à la tragédie une véritable magie théâtrale. Dans Dino fait son crooner, le duo Achille Tonic (Shirley et Dino) offrira un répertoire de chansons françaises, anglaises et espagnoles. Cinéma forain pour comédiens, musiciens, bruiteurs dans Le film du dimanche soir par la famille Annibal qui fabrique (depuis 7 générations) une fantaisie théâtrocinématographique pédagogique et burlesque. La Cie Babylone adapte L’homme qui rit, trouvant dans l’univers forain des héros de Victor Hugo un écho à ses propres interrogations. La Fabrique des petites utopies crée Nous sommes tous des K, d’après le roman inachevé de Kafka, et invite le public à un repas énigmatique. L’attentat de Yasmina Khadra sera joué par l’Humani Théâtre, Machine théâtre créera Le Tango de Satan de Laszlo Krasznahorkai tandis que le théâtre de la Massue, dirigé par Ezéquiel Garcia Romeu, donnera un Banquet Shakespeare. Acrobaties et théâtre

III te Enguerand Banquet Shakespeare © Brigit

avec la Cie Taïwanaise Mix Acrobatics Theater, théâtre d’objets avec le théâtre Mû et une «histoire simple mais vertigineuse» par le Collectif Zou dans On a fait tout ce qu’on a pu mais tout s’est passé comme d’habitude. Monique Brun jouera avec les mots de Léo Ferré, en solitaire dans Léo 38 et avec les musiciens d’Entre 2 caisses (et des invités surprises) dans La folle soirée. DE.M.

Festival Villeneuve en Scène du 4 au 24 juillet (relâche 13 juillet) Villeneuve-lès-Avignon 04 32 75 15 95 www.villeneuve-en-scene.com

Défendre ses artistes Arts Vivants en Vaucluse, qui a repris la saison dernière l’Auditorium du Thor, organise depuis six ans, en amont du festival d’Avignon, une manifestation consacrée à la création vauclusienne, soutenue par le Conseil général 84. Chaque année, les artistes du territoire ont leur espace dans le bel écrin de la Cour Saint Charles, et le public est fidèle au rendez-vous gratuit. Robert Santiago Trio ouvrira le bal avec sa musique latino. Inspiré du dernier cours de Michel Foucault au Collège de France, Michel Richard a construit la conférence théâtrale L’artiste et le Dire-Vrai. La BD, déciCie du i © Thomas O'Brien

En 10 ans le Festival d’Avignon, dirigé par Hortense Archambault et Vincent Baudriller, aura su faire évoluer l’équilibre de la parité homme/femme au sein de ses créateurs-trices, à l’image de sa codirection respectée. En 2004, aucune auteure femme, une seule metteure en scène ! En 2013, le pourcentage de femmes à signer la mise en scène, la chorégraphie, la dramaturgie, le texte, la conception, la scénographie, en collaboration ou à elles seules, sur une quarantaine de spectacles programmés, se rapproche timidement des 30%. Une parité en marche certes, encore sous équilibrée… 3 femmes seulement, sur 23 artistes, sont invitées dans le cadre «Des artistes un jour au Festival» ! Espérons qu’Olivier Py saura être attentif à parfaire cette avancée. Que l’on soutient évidemment !

Sur la rive des itinérances

dément, inspire les créateurs : le groupe jazzy Zenzika crée une BD sonore autour de Championzé d’Eddy Vaccaro sur l’histoire du premier champion du monde de boxe africain. Dans le cadre d’un projet pédagogique Musique et cinéma, 12 comédiens et 8 musiciens du Conservatoire d’Avignon, emmenés par Guigou Chenevier (Inouï Productions), Catherine Monin et Nicolas Gény, jouent dialogues, musique et bruitages d’un épisode d’une série américaine culte. Une série TV-concert (à l’univers impitoyable) savoureuse qui attribue le style d’un auteur à chaque personnage. La Compagnie du I donne sa conférence sur l’humour À quoi reconnaît-on un clown ?. Danse et musique argentine avec la Cie Pies y Manos et musique persane d’Isabelle Courroy et Shadi Fathi pour un Immobile voyage scénographié par Charlot Lemoigne (Vélo Théâtre). DELPHINE MICHELANGELI

Vaucluse en Scène du 28 juin au 4 juillet Cour Saint Charles, Avignon 06 07 50 94 84 www.artsvivants84.fr

F E S T I V A L S

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Boyer avec Laurent Poitrenaux et Clotilde Hesme, l’installation Chambre 20 de Sophie Calle à La Mirande, Christian Rizzo, Jan Lauwers et la Needcompany, Falk Richter et Anouk Van Dijk, Jean-Michel Bruyère et son film Troisième vie de François d’Assise conçu avec des jeunes Marseillais, Philippe Quesne et le Vivarium Studio dans Swamp Club ou l’histoire d’un centre d’art menacé de destruction… Après le film sur le Festival de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, un vrai jubilé pour un «geste» d’un soir à l’Opéra : Cadiot, Marthaler, Cassiers, Delbono, Waltz, Castellucci et Dréville, Fabre, Nadj, Nauzyciel, Brook, Chéreau, Régy, Ostermeier, Fisbach, Platel, Rambert et Podalydès, Mouawad… Et toujours le Théâtre des Idées, le cycle de Musiques Sacrées, les lectures de France Culture à Calvet et parmi les huit Sujets à Vif de la SACD, le duo Hassan Razak (Onstap) et Pierre Rigal.

T H É Â T R E


Le Off, de la dévotion à la dévoration 1258 spectacles, 8000 artistes et IV techniciens, 125 lieux… Chaque F année, les chiffres du Off révèlent E la dévotion théâtrale d’Avignon, S dévoreuse de troupes ! T

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I V A L S

T H É Â T R E

Des chiffres attendus lors de la conférence de presse avignonnaise du 28 mai, même si Paris, visité la veille, les avait déjà, forte des partenariats presse avec Mediapart, Marianne, Aujourd’hui en France, France TV… et même si la grande majorité du public du Off reste régionale ! Autre information évolutive, les dates de l’édition : du 8 au 31 juillet. Ou du 5 au 26. Voire du 6 au 30 selon les lieux… Le 26, une parade de Générik Vapeur devrait relancer la dernière semaine du «1er salon du spectacle vivant» (le côté marché est clairement assumé), historiquement déserté après l’arrêt du In. Autres nouveautés ? une web-tv, l’ouverture d’une agence de billetterie, un «feuilleton» par France 3 sur 5 ou 6 troupes, une édition par la Librairie Théâtrale, un concours d’affiche à la Maison Jean Vilar, une cellule juridique du CNT, un atelier avec la plateforme de financement participatif Kisskissbankbank (une centaine de compagnies y a eu recours cette année), un hommage à Aimé Césaire le 17, la reconduction des rencontres dont le think tank culture médias Altaïr (15 et 16) au Village du Off. Le public pour sa majorité féminin (65%) et de plus de 50 ans (61%, mais les adultes de plus de 50 ans représentent… 58% des Français), retrouvera tous les services d’AF&C à l’école Thiers pour vérifier «l’extraordinaire succès du cœur battant du festival».

Faire et défaire L’annonce que «le spectacle vivant en France se fait dans le Off» est franchement crâne : certes 20% des ventes sont réalisées là, et 10% des 5000 créations françaises, mais le nombre de compagnies indépendantes qui repartent défaites ou moribondes reste off. AF&C, en menant des réunions en régions, tente de préparer les compagnies, mais la participation au festival est risquée, surtout pour les plus fragiles : 20 000 euros en moyenne par compagnie pour la location de la salle et le coût du séjour. Les artistes cherchent un idéal : jouer sur la durée, avoir un article de presse, rencontrer le public, tourner après… Pour le président d’AF&C Greg Germain «si une compagnie veut avoir toutes les presta-

© Agence de Fabrication Perpetuelle

© Delphine Michelangeli

tions qu’elle mérite, il faut qu’elle paye pour ça !». Un salon, il le disait… Quant à la centaine de milliers de spectateurs, elle paye pour adhérer à AF&C (carte adhérent à 16 euros, pour 30% de réduction sur les spectacles), puis pour voir «les meilleures créations de notre pays et d’une vingtaine de pays dans le monde». Tout comme les 1066 compagnies qui doivent adhérer pour apparaître dans le catalogue du Off, et accorder 30% de réduction à leurs spectateurs. Mais c’est surtout le coût du séjour avignonnais qui pèse sur les portefeuilles : au total, public et artistes s’en vont délestés, quand les commerçants, hôteliers et loueurs de garages font en juillet l’essentiel de leur chiffre…

Que le spectacle commence Plus de 30 000 représentations seront accueillies cette année dans 10 lieux supplémentaires,

dont la salle polyvalente de Montfavet avec la pianiste Laure Favre-Kahn et Charles Berling (en voix off). Greg Germain assure que chaque ouverture est encadrée par une commission de sécurité : «Il n’y a pas de taudis malsain…». Soit, mais la liste prolifère, et il y a encore des salles indignes. De nombreux lieux accueillent, heureusement, des spectacles de qualité, à débusquer en tendant l’oreille, ou à repérer par leur constance. Les théâtres permanents regroupés dans les Scènes d’Avignon jouent, en plus d’accueillir une programmation choisie, leur création maison. C’est le cas au Chêne Noir, avec Le Lien d’Amanda Sthers (avec Chloé Lambert et Stanislas Merhar) par Gérard Gelas et un festival de têtes d’affiche : Ali Bougheraba, Zabou Breitman, Thierry Lhermitte, Patrick Timsit, Antoine Duléry... Aux Halles, deux créations d’Alain Timar : Ubu Kiraly version hongroise et Blanche Aurore Céleste avec Camille Carraz, et huit spectacles dont Illuminations de la Cie Madani, un King Lear revisité et la pièce Closer vue par Françoise Courvoisier. Chez Golovine, danse du monde et théâtre gestuel avec le Beijing Fringe Festival et Shadowrama des Eponymes, avec Yourik Golovine et Loulia Plotnivoka. Au Chien qui Fume, Moi, Dian Fossey signé Gérard Vantaggioli mais aussi Guy Carlier, Clémentine Célarié, Chris-


Le festival de tous les enfants

DELPHINE MICHELANGELI

Festival Off, Avignon du 8 au 31 juillet Parade du Off le 7 juillet à 17h30 www.avignonleoff.com

Dans les Cours du Château À Salon, le début l’été est toujours synonyme de théâtre, lorsque le Château de l’Empéri, et ses deux cours si prestigieuses, accueille le festival Côté Cour. Pour cette 24e édition, les cinq pièces proposées ont pour toile de fond cinq grands pays européens (la France, la Hollande, l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre) pris à diverses époques, à des moments stratégiques de leur histoire. La programmation fait la part belle aux textes de répertoire, toutes époques confondues. Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos fait l’ouverture (le 2 juillet), dans une mise en scène de Patrick Courtois qui, se reposant sur l’adaptation de Régis Mardon, déplace l’action de quelques années pour l’ancrer pendant la Révolution française. Le 6, place au Journal d’Anne Frank adapté par Eric Emmanuel Schmitt, avec Francis Huster et Roxane Duran. Puis Roméo et Juliette, de Shakespeare, connaitra une adaptation façon Commedia dell’arte dans la mise en scène de Luca Franceschi (le 8). Suivra une comédie peu montée de Jean Anouilh, La Belle vie, dans laquelle l’auteur caricature aristos et révolutionnaires et que Jean-Philippe Daguerre met en scène avec une belle énergie (le 10). Enfin Marie Tudor de Victor Hugo, mené par Pascal Faber clôture cette belle programmation le 12. DO.M.

Théâtre Côté Cour les 2, 6, 8, 10 et 12 juillet Château de l’Empéri, Salon-de-Provence 04 90 56 00 82 www.theatre-cote-cour.fr

V F E S T I V A L S

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Se dégourdir les jambes sous un brumisateur, créer des magnets, faire du théâtre, assister à un voyage sonore interactif, accéder aux œuvres grâce aux Souffleurs d’images (avec le CRTH) et surtout admirer les 12 spectacles proposés dès 6 mois par l’Éveil Artistique des Jeunes Publics. C’est dans un petit havre de paix à Papa est en bas © Thierry Laporte 200m des Remparts, une Maison du théâtre d’objets (chocolatés) avec Papa est en bas, visitée à l’année par des centaines d’enfants et d’images avec C’est dans la poche, d’ombres et des dizaines d’activités, que le Festival Théâtr’en- lumières avec le Prince heureux ou de papier fants est devenu le plus grand rendez-vous avec Akiko. Et encore, une adaptation de l’album jeunes publics du Off. Un lieu où se retrouvent Terrible d’Alain Serres dans un Camion à hisenfants -et adultes-, qui apprennent la citoyen- toires et de 3 histoires étranges de Philippe neté grâce à des pièces soignées et une démarche Dorin dans Le jour de la fabrication des yeux. De éco-responsable de respect de l’environnement. quoi devenir grand. Au programme de cette 31e édition : de la DE.M. musique avec le récital Concert-Tôt ou le conte Festival Théâtr’enfants et tout public, Avignon loufoque Le Papa-Maman d’Angelina Galvani, du 10 au 27 juillet (relâches 14 et 21) le concert d’histoires Shéhérazade ou la poésie Fête d’ouverture le 9 à 15h d’André Minvielle dans L’ABCD’erre de la 04 90 85 59 55 Vocalchimie. Et puis théâtre visuel avec la Cie 04 86 81 08 00 Bout d’Ôm dans C’est aujourd’hui, demain ?, www.festivaltheatrenfants.com histoire dansée par La Grande Ourse, théâtre

Les liaisons dangereuses © X-D.R

tophe Alévêque. Au Balcon, Serge Barbuscia donne sa Conférence des Oiseaux, et reçoit Philippe Person, Interface, Octavio de la Roza. Pas un Off sans aller au théâtre des Carmes (qui fête ses 50 ans le 15) avec l’Agence de Fabrication Perpétuelle qui monte 4 pièces courtes de Beckett (Souffle précédé de Cascando, Pas moi et Pas) sur une musique de Nicolas Chatenoud d’Archipass, ou les Carboni dans L’incroyable destin de René Sarvil. Blessé, Philippe Caubère ne jouera pas mais conserve une série de lectures de Memento Occitan de Benedetto (à Tavel). La TDOKompagnie présente à l’Atelier d’Art des performances, le Kronope reprend son Dindon au théâtre de l’Oulle, la clown-pianiste Anne Gastine crée Les Précieux Ridicules à l’espace Alya, et le théâtre des Doms, vitrine francophone belge, accueille 9 spectacles pour s’évader : allez-y les yeux fermés ! D’autres lieux savent dénicher des créations originales, les Hauts Plateaux avec la Cie Protéiformes, Pascale Henry ou le duo dansé franco-laotien Stylistic, l’Ajmi et ses concerts Têtes de jazz, l’Utopia avec La Passion selon Juette. À la Manufacture, un programme toujours novateur : Je deviens Jimi Hendrix d’Eric Da Silva, Italie Bresil 3 à 2 par la Cie Tandaim, Nadia Xerri-L. et le prochain directeur du Festival d’Avignon, qui présentera Miss Knife chante Olivier Py, une façon maline de relier In et Off (voir Zib 58). Le théâtre existe aussi hors Remparts, à L’Entrepôt, le théâtre de la Rotonde, la Fabrik théâtre, le chapiteau Kabarouf à la Barthelasse, consacré au partage culturel (cirque et musique). Et pour conclure, on peut suivre la chronique ironique d’un Festival hystérique dans Fuck Off saison 2 de Nicolas Maury à l’Etincelle. Une mise en abîme, hilarante, du Off et de son inévitable dévoration !

T H É Â T R E


Le monde de l’entreprise tel que vous ne l’avez jamais vu ! Dans cette «comédie surnaturelle», la troupe des Helico Presto rend irrésistible un Grand chef qui essaie de se rapprocher de ses employés, un Sous-chef qui doit se décider entre les poules de jardins et les milieux hostiles… Une farce loufoque qui s’attaque à l’engrenage aberrant des procédures et des machines… très réaliste !

VI A U P R O G R A M M E T H É Â T R E

Toutes ressemblances etc… ou les délicieuses absurdités du monde du travail le 20 juin Le Gymnase, Marseille le 25 juin Théâtre des Salins, Martigues www.mp2013.fr

Les Bonimenteurs

© Jean Reverdito

Ducci (Didier Landucci) et Marco (Jean-Marc Michelangeli), un duo d’improvisateurs de haut vol, fantasques et désopilants qui improvisent sur n’importe quel sujet, … Des Bonimenteurs dont le canevas comique rappelle la Commedia dell’arte, et donne un spectacle qui fait la part belle à la prise de risque ! du 28 juin au 6 juillet Le Gymnase, Marseille 08 2013 2013 www.lestheatres.net

Petits chocs... Fellag, coiffé d’une toque de chef cuisinier, se lance dans la réalisation d’un couscous inoubliable… Pourquoi ? Un sondage l’affirme, c’est le plat préféré des français… Voilà comment l’algérien, installé à Paris depuis 1995, fait de ce plat l’emblème d’une réconciliation entre les peuples, non sans dynamiter les peurs tenaces et les préjugés durables qui opposent les deux rives de la Méditerranée. Avec humour et émotion. Petit choc des civilisations du 9 au 13 juillet Le Gymnase, Marseille 08 2013 2013 www.lestheatres.net

© Vincent c@ctus Vanheck

La Cie réunionnaise Cirquons Flex interroge l’évolution et les contrastes de son île en posant une question universelle : comment rétablir un rapport poétique avec un monde qui perd son humanité ? Autour d’un mat de 6 mètres de hauteur, un acrobate, un musicien et un danseur se mettent en jeu, tandis qu’en fond de scène sont projetés des témoignages de vie. le 15 juin Théâtre de Verdure, Puyloubier le 16 juin Place Jean Moulin, Bouc-Bel-Air le 17 juin Bois de l’Aune, Aix le 18 juin Place Jean Jaurès, Lambesc le 19 juin Place Palmie Dolmetta, La Roque le 20 juin Place Jean Jaurès, Pertuis 04 42 93 85 40 www.agglo-paysdaix.fr

Oncle Vania Incluant les spectateurs dans l’espace de jeu, les comédiens du collectif Les Possédés transforment la scène en ring dans une interprétation du chef-d’œuvre de Tchékhov. Une proximité qui interdit les approximations et les tricheries, et rend plus réelles encore les tensions et l’énergie du texte du dramaturge russe. Dans un espace presque cinématographique, une succession de gros plans captivants happés par la fièvre de ces relations houleuses. les 5, 7 et 10 juillet Bois de l’Aune 04 42 93 85 40 www.agglo-paysdaix.fr © C. Paou-Les Possedes

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Toutes ressemblances Dobout an bout etc…

Phèdre les oiseaux «Écrire Phèdre aujourd’hui, c’est bien sûr repartir de l’histoire antique de Phèdre, épouse de Thésée, roi d’Athènes, qui tombe amoureuse de son beau-fils Hippolyte, et qui devant son refus, l’accuse à tort de viol et se suicide.» C’est ainsi que Jean-Baptiste Sastre, le metteur en scène, et Frédéric Boyer, l’auteur du texte posent les bases de ce projet hors normes. Car la pièce s’enrichit au fur et à mesure de ses représentations de par le monde, et sera, à Aix et Marseille, l’occasion de réunir tous les artistes, rôles principaux (dont Hiam Abbas qui joue Phèdre dans la version française) et chœurs (joués par les compagnons d’Emmaüs) ayant participé à l’aventure dans les différents pays. du 19 au 23 juin Emmaüs Pointe Rouge, Marseille du 28 juin au 2 juillet Bois de l’Aune, Aix www.mp2013.fr

© X-D.R

Confidences Nihil Bordures, compositeur et co-fondateur du collectif MxM, a pris le temps de la rencontre avec des habitants de Cavaillon qui ont accepté de lui confier des bouts de chemin de leur vie. La parole rendue est singulière, donnée en toute confiance à l’artiste qui crée ainsi pour chaque personnage une musique, des compositions originales qui prolongent le sens des mots. Et c’est sur un transat que chacun pourra se créer son propre ressenti… le 15 juin de 11h à 19h Place de l’église et place de l’ancien temple, Lacoste le 15 juin à 11h (apéro-rencontre avec l’artiste) Place de l’église, Lacoste du 16 au 23 juin de 15h à 19h Sous les voûtes, Lacoste 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com


DO.M.

Festimôme du 16 au 17 juillet Auriol du 24 au 26 juillet Aubagne www.arteuro.fr

VII

DO.M.

Caressez le potager du 10 au 12 juillet Parc de la Mirabelle, Marseille 12e 06 83 85 44 03 www.caressezlepotager.net

Le port emballe ! Sur le port de la bien nommée Port-SaintLouis, de grandes tables côtoient une petite scène, les bateaux sont à touché de main, et une ambiance conviviale sent bon les plats locaux… La manifestation Les Mercredis du Port, initiée et organisée par Le Citron Jaune en collaboration avec Scènes et Cinés, est bien un mélange des deux, arts du spectacle et de la bouche. C’est ainsi qu’après un bon moment passé devant les eaux tranquilles

du port, vous pourrez assister aux spectacles proposés les soirs de juillet. Le 3 avec Olivier Grossetête et son Architecture éphémère, Ilotopie et Le Lit sur l’eau ou le Lux Interior du Bestaire à Pampilles et leur concert «catastrophe». Une semaine plus tard c’est la compagnie les Baigneurs qui proposera deux de ses spectacles, Siège et Le Bain. Le 17, place à la compagnie Dynamogène : entre les facéties de Monsieur Culbuto, et les machineries hybrides de belle facture que forment la Cymbalobylette et l’Aérophone moderne qui déboulent sans crier gare la loufoquerie sera de mise ! Surtout si entre-temps vous croisez la charrette des Mercodier conduite par la Cie les UrbainDigènes… Le dernier mercredi enfin, le duo d’acrobates de la Cie La Main s’affaire précèdera le Dîner aux chandelles de la Cie Carabosse et son installation de feu ! DO.M.

Les Mercredis du Port les 3, 10, 17 et 31 juillet port-Saint-Louis 04 42 48 40 04 www.lecitronjaune.com

F E S T I V A L S

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Pépinière d’images de Sylvie Frémiot qui propose des courts métrages d’animation… Sans oublier les ateliers qui offrent des moments de partages particuliers… celui de Camille Le van sur l’environnement, de Guillaume Tocco et ses dessins qui racontent le festival au présent.

Cie les baigneurs © Jean de pena

Deux villes, 6 jours de spectacles, et une certitude : participer à un festival unique en son genre, qui n’a de cesse de promouvoir «la culture pour les enfants dans la région». En pays d’Aubagne Festimôme, organisé par l’association Art’Euro, est devenu un événement incontournable, toujours gratuit, entièrement dédié aux enfants (mais pas seulement !) avec une trentaine de spectacles de rue et de concerts proposés par des artistes français et européens, entre la Place du 4 septembre, à Auriol, et le parc Jean Moulin à Aubagne. Toute la journée, dès le matin 10h et ce jusqu’à la nuit bien installée, les spectacles cueilleront petits et grands qui n’auront qu’à se laisser porter… À Auriol tout d’abord, avec le Musée imaginaire du Cabinet Fatalia, la folie apocalyptique et burlesque du bouffon El Kardinal ou le solo de clown poétiquement incorrect de Nicolas Ferré dans Frigo. Des spectacles que l’on retrouve à Aubagne le week-end suivant, dans une programmation complétée par de nombreux autres… La Cie Odile Pinson donne sa version écolo-extrémiste d’une solution à la crise de l’énergie ; Benny Formaggio, ex-parrain sicilien mafieux troque son passé sulfureux contre un avenir fait de magie ; Chuck & Charlotte offrent l’opportunité d’une expérience extrême, et absurde !, de révolution acrobatique ; l’argentin El Nino Costrini, provocateur-né et saltimbanque déjanté déroulera ses gags malicieux sur une quête existentielle qu’il partage allégrement avec le public ; la Cie Kartoffeln propose un parcours loufoque sous moustiquaires portatives à la découverte des différentes espèces de la bestiole… Sans oublier la musique du groupe belge Big Noise et celle du collectif Le Train fatal, et encore celle de deux groupes aubagnais, invités à clôturer en after les journées bien remplies : Psyché et Les Strappers.

A Contre Courant © X-D.R

Les mômes s’éclatent !

Les bases du programme sont claires, reprises sur l’affiche : «culture de ratatouille et de rêves d’artistes, à vivre le cul dans l’herbe et la tête dans les étoiles». Autant dire que la 10e édition du festival Caressez le potager s’annonce une fois de plus synonyme de plaisirs et de découvertes ! Comme chaque année, une création prend racine dans une Ronde autour du «Continent Méditerranée», et c’est à Istanbul, entre autres, que la Cie Messieurs Mesdames ancre la sienne : Nasruddin Circum est une mise en espace et en musique, par Pascal Labbé, des contes soufis de Nasruddin Hodja, dont les récits remontent au XVe siècle, avec Stéphane Laisné au récit et le danseur Michel Raji dans le rôle du sage et du derviche (les 10 et 11 juillet à 21h45). La programmation fourmille de propositions alléchantes, parmi lesquelles Le Geste qui sauve de Denis Barré, Cie Kartoffeln, avec une démonstration de secourisme toute personnelle, les chants d’amour décalés du Cabaret «Hélas… !» d’Amélie Duval et Antoine Aubin, les mots pertinents du CRIeur Public Bernard Pedrotti à entendre autrement, l’Opéra-camping du chorégraphe Marco Becherini, La

Crieur public © X-D.R

Dégustation à ciel ouvert

R U E


D’Ouest en Est, le Festival de Marseille mène la danse VIII

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F E S T V A L S D A N S E

C’est en compagnie de deux géants américains que le Festival de Marseille ouvre et clôt sa 18e édition : l’un emblématique de la côte Est, Bill T. Jones, l’autre de la côté Ouest, Alonzo King. Deux grands absents de la scène marseillaise qui font leur premier show à l’occasion de la capitale européenne de la culture. Comme Ohad Naharin, directeur artistique de la Batsheva Dance Company, qui ne vient pas les mains vides ! Il présentera Deca Dance (extraits de son répertoire) et Sadeh21 (chorégraphie cinématographique portée par une musique qui paralyse et captive) qui donnent toute la mesure de la puissance et de la force physique de ses interprètes, de leur technique inouïe. Leur venue exceptionnelle s’accompagnera d’une méga leçon de danse publique pour s’essayer à la technique Gaga inventée par le chorégraphe… L’onde de choc se poursuit avec la scène japonaise et belge habitée par la lumière. Ryoji Ikeda et Shiro Takatani «liés par le cordon ombilical du collectif pluridisciplinaire Dumb Type» présenteront respectivement la performance Superposition, développée autour des mathématiques et de la musique électronique, et l’œuvre poétique Chroma qui déroule une vie inversée… Pierre Droulers, dont le festival suit l’évolution depuis 2004, est «un artiste phare de la nouvelle vague conceptuelle belge, souligne Apolline Quintrand, à la sensibilité enrichie par ses relations avec la

Batsheva Dance Cie, Sadeh21 © Gadi Dagon

couleur, les objets et les arts plastiques». Et la poésie, qui traverse sa pièce Soleils née des poèmes de Dylan Thomas et Emily Dickinson, et irradie l’ensemble du festival ancré dans la littérature. Celle-ci se taille une part de choix à travers une forme théâtrale : le metteur en scène Hubert Colas et l’auteure Sonia Chiambretto se donneront à nouveau rendezvous pour «raconter» la vie de jeunes Algérois dans Gratte-Ciel, et une forme opératique : 80 000 000 de vues croise le slam de Camille Case, la musique de Alexandros Markeas et le livret de Eli Commins sous la houlette de Nathalie Négro. Deux créations qui parlent autrement de la Méditerranée, soutenues par le festival qui coproduit également Univers Light Oblique de Georges Appaix (encore la lumière !) et Fama de Christophe Haleb. Si l’accompagnement des talents de la région ne date pas d’aujourd’hui, il s’est amplifié en cette

année capitale car le festival a souhaité «mettre en lumière des artistes qui comptent dans le paysage et leur donner un retentissement exceptionnel». Ce contexte particulier n’a pas tout bouleversé : «Je n’ai rien concédé car ma programmation est toujours libre, qui explore à la fois le champ de l’actualité et du répertoire». D’où la présence renouvelée de Sasha Waltz qui revisite Körper et Gregory Maqoma qui fait se rencontrer l’Afrique du sud et la Suisse par delà la danse et le jazz (Kudu avec Erik Truffaz Quartet).

dérision du rire, de la poésie, Traces par les 7 Doigts de la main envoûte les spectateurs, le quotidien prend ici une dimension onirique et jubilatoire. Six danseurs et six musiciens sur scène pour Mudejar, la composition de Miguel Angel Berna, spécialiste de l’ancienne danse aragonaise du XVIIIe siècle, la jota. Mudejar, c’est un âge d’or hispanique, période de 5 siècles durant lesquels se mêlèrent les influences des cultures hébraïque, islamique et chrétienne, fusion éblouissante de cultures. La nouvelle création enfin de Pockemon Crew, Silence on tourne, explore le cinéma des années 30 et 40. Les prémices du hip hop sont déjà là, dans l’énergie de certaines comédies musicales. Hommage au cinéma par la danse, dans une succession de tableaux variés où l’invention, la vivacité et l’humour se conjuguent avec brio. Non loin du théâtre antique, deux spectacles plus intimes se tiendront au Nymphée. Le premier, Racines croisées, se consacre à trois

jeunes artistes qui portent un regard contemporain sur les danses traditionnelles qui les ont nourris : Louis Pierre Yonsian (Côte d’Ivoire), Daniell Alnuma (Israël), Rochdi Belgasmi (Tunisie). Les musiciens Mohamed Alnuma (Irak) et Gil Hameiri (Israël) glissent entre chaque solo une harmonie idéale à laquelle on peut tous aspirer. Inspiration argentine pour le second avec Macaleambo par la Compagnie Pies y Manos. À tout cela il faut encore ajouter le cinéma et la danse, cette année Le cirque de Chaplin et The artist de Hazanavicius, des expositions de sculpture et de photographie de Nicole Brousse et Gia To. Et des stages de danse, contemporaine, africaine et orientale !

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Festival de Marseille Du 19 juin au 12 juillet, du 29 août au 22 sept, le 5 nov et le 19 déc www.festivaldemarseille.org

Vaison majeur ! Vaison Danses a 18 ans ! «L’âge de tous les possibles» affirme Philippe Noël, son directeur, en présentant un programme d’une richesse et d’une qualité exceptionnelles. Dada Masilo relit Le Lac des Cygnes en faisant exploser les frontières des genres, emportant dans une même pâte les attitudes classiques, les influences africaines et la danse contemporaine. Humour et profondeur ont rarement été aussi intimement liés. Les Nuits de Preljocaj (voir Zib 63) dessinent un Orient rêvé dans lequel les corps eux-mêmes deviennent calligraphie. Acrobatie, haute voltige au service de la Traces © ODC Photo

MARYVONNE COLOMBANI

Vaison Danses du 13 au 28 juillet Vaison-la-Romaine 04 90 28 84 49 www.vaison-danses.com


Le dense été du CDC dansées se poursuit avec Alterité de Bouziane Bouteldja et la Cie Dans6T, dirigés par Coraline Lamaison. Escapade dans la cour du Lycée Aubanel avec la Cie Ex Nihilo qui interroge la place de l’art dans l’espace public dans Trajets de Ville, et voyage avec la pièce plastique Le renard ne s’apprivoise pas par Nina Santes. Après le duo Hidden, Olga Cobos et Peter Mika rejoindront dans Choice le quintet créé par Russell Maliphant. Clôture de la journée avec les danseurs belges de Kosmocompany pour un tandem-performance sur l’existence. Emmanuel Serafini accueillera des chorégraphes lors des rencontres Reso@danse au Village du Off et Thomas Bohl exposera des photos géantes sur la façade du CDC.

L’après-midi...

Vortex Prends garde à toi Dans ce spectacle pour adultes, Phia Ménard se Chorégraphe et artiste visuelle, Olga Mesa est

du 25 au 27 juin à 20h La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

Les Nuits Inspiré par Shéhérazade «qui par le verbe, la culture et l’intelligence se dresse comme un rempart à la barbarie et nous questionne sur la place de la femme dans nos sociétés», Angelin Preljocaj crée une pièce chorégraphique qui emprunte aux danses orientales sensualité et mystère, «au plus près d’un Orient rêvé où les corps se feraient signes […]» du 10 au 13 juillet La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

MotherTongue Le Laboratoire de recherche chorégraphique MotherTongue s’inscrit dans la continuité des projets d’échanges artistiques et culturels portés par Coline (formation professionnelle en danse contemporaine à Istres), Correspondances avec Israël et l’Algérie. 12 danseurs originaires du bassin méditerranéen (Égypte, Grèce, Italie, Israël, Liban et France) se découvrent sous les incitations de 2 chorégraphes, Edmond Russo et Shlomi Tuizer. du 11 au 13 juillet Le Klap, Marseille 04 96 11 11 20 www.kelemenis.fr

My God !, Onstap © D. //////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////

L’après-midi d’un foehn du 25 au 27 juin à 10h et 14h30 La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

livre seule en scène en opérant une performance-métamorphose hypnotisante. À la recherche de son propre corps, elle se débarrasse de ses différentes enveloppes corporelles, happée par l’air propulsé par 24 ventilateurs qui l’encerclent. Sa peau de latex et de nylon s’envole alors dans un ballet aérien de toute beauté, exhibant au grand jour son identité propre.

IX L’été au CDC particulièrement danse, Avignon du 11 au 21 juillet (relâche le 17) 04 90 82 33 12 www.hivernales-avignon.com

DELPHINE MICHELANGELI

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L'apres-midi d'un foehn © Jean-Luc Beaujault

Dans ce ballet aérien pour danseuses et danseurs de plastiques, une marionnette démiurge, sur une chorégraphie de Phia Ménard, emmène petits et grands au gré du souffle chaud et sec du foehn dans une féerie de nymphes colorées et virevoltantes. Prenant pour référence l’œuvre musicale de Debussy, remaniée par le compositeur Ivan Roussel, le spectacle invite alors à une ronde inattendue et poétique. Dès 4 ans

Michelangeli

Chaque année, le Centre de Développement Chorégraphique Les Hivernales concocte au cœur du Off un programme incontournable dédié à la danse : huit compagnies européennes s’y succèdent chaque jour... Eric Lamoureux et Thierry Thieû Niang ouvrent la journée avec le poème chorégraphique Une douce imprudence. La Cie De Fakto poursuit avec N, l’étoile dansante, une rencontre entre hip hop et philosophie où Aurélien Kairo met en lumière le rapport de Nietzsche à la danse. Suivra une toute aussi sensible interrogation sur la spiritualité et le sens de la vie par la Cie Onstap. Dans My God !, Hassan Razak et Mourad Boulhali, mis en scène par Agnès Régolo, associent à leur maîtrise des percussions corporelles leur soif de liberté et leur sens du langage. L’ouverture aux autres et l’exploration de matières

l’une des figures de la nouvelle danse contemporaine espagnole. Avec Francisco Ruiz de Infante, artiste plasticien, elle crée Prends Garde à toi, dont une partie sera découverte lors de la sortie de chantier à Marseille Objectif Danse. À partir de l’opéra de Carmen de Bizet sur le roman de Mérimée, et des sonnets de Shakespeare se nouera un dialogue qui questionnera aussi, de façon poétique et politique, quelques notions telles que masculin/féminin, original/copie, analogique/numérique… le 22 juin à 19h et le 23 juin à 17h La Friche la Belle de Mai, Marseille 04 95 04 96 42 www.marseille-objectif-danse.org

Pudique acide/Extasis Créées dans les années 80 par Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, ces deux pièces chorégraphiques le furent aux belles heures de la «jeune danse française». Remontées 25 ans plus tard et confiées à deux nouveaux interprètes, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas, elles offrent toujours une danse vive, grave et burlesque à la fois, et affirmant la primauté d’un corps à corps à deux comme un acte plus théâtral que simplement formaliste. le 22 juin Châteauvallon, Ollioules 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com

© Marc Coudrais

A U P R O G R A M M E D A N S E


ou la

densité capitale !

X

M U S I Q U E

First Class for a Jazz-travelling set ! La programmation de la 14e édition du Festival de Jazz des Cinq Continents (FJ5C) est hors norme. À l’affiche : Georges Benson, Wayne Shorter, Youn Sun Nah, Archie Shepp, Biréli Lagrène, Chick Corea, Diana Krall, Gilberto Gil... autant dire un voyage musical en 1re classe ! Année exceptionnelle, programmation exceptionnelle ! Marseille honore ainsi son rang de capitale culturelle. L’École Supérieure d’Art et de Design Marseille Méditerranée s’est investie dans le Jardin Zoologique où les anciennes cages résonneront avec Jungle Music. Le Grand Hall du Théâtre de la Criée accueillera les Afters au JazzClub, pour ceux encore avides de derniers instants inoubliables, avec la pianiste Perrine Mansuy en maîtresse de cérémonie. Les nouveaux terri-

toires gagnés en bord de mer du côté du MuCEM seront aussi pimentés d’un souffle de jazz. Ainsi, c’est de l’Esplanade du J4, endroit au charme d’une grande puissance, que débutera ce Festival le 17 juillet avec tout d’abord un groupe de musiciens marseillais, le Temime-Arnaud-Zenino trio Massaliazz pour un hommage à la Provence puis ensuite Paolo Fresu, le trompettiste au son langoureux sera accompagné de Kamilya Jubran, chanteuse et joueuse de oud palestinienne. De nombreuses manifestations dans la ville, telles que Expo et musique au Pavillon M, expo à la BMVR-Alcazar, Expo, projections et concert à Maison Blanche... viendront diversifier une offre musicale déjà pléthorique ! Pour la seconde soirée (18 juillet), Guillaume Perret & The Electric Epic avec Mederic Col-

DAN WARZY

Festival Jazz des 5 Continents du 17 au 27 juillet www.fj5c.com À noter : Tram jusqu’à 1h30 et Metro jusqu’à 1h00

De l’eau au Moulin... à Jazz À Vitrolles, au Domaine de Fontblanche, l’événement met chaque saison un point d’orgue au travail de l’association Charlie Free. Et cette 16e édition du Festival de Jazz, labellisée et conventionnée MP2013, sera animée par les propositions plastiques et vidéos d’un collectif d’artistes, les Arroseurs Arts Osés. Ouverture le 5 juillet, avec le groupe de New Orleans, Les Oignons, en déambulation, puis place au Méditerranean Charlie Orchestra, tout spécialement constitué pour cette année Capitale avec la Compagnie Nine Spirit et l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (OJM), dirigé par Johan Farjot sous la direction artistique de Raphaël Imbert, avec Majid Bekkas, le musicien marocain à la dimension internationale que nous avions déjà eu l’occasion d’applaudir sur cette même scène en 2011. La Fanfare d’Occasion, organisation musicale hypermobile, s’adaptant à toutes les situations, déambulera dans le parc en ouverture de la soirée du 6 juillet. Puis la petite scène accueillera les délires imaginaires de Marcel & Solange -un trio masculin malgré son nom !- qui per-

mettra de découvrir un instrument étrange, l’Horizoncelle. On enchaîne avec la surprise d’un intermède italien, découverte du duo Antonello Salis et Fabrizio Bosso suivi en final magistral spécial trompette d’Ibrahim Maalouf et son quintet Wind. Prélude à la soirée du dimanche, Papanosh, lauréats «Jazz Migration 2013» à découvrir sur la petite scène, et en déambulation les musiques du monde entier avec La ‘Tit Fanfare. Puis la charmante Kellylee Evans et son quintet (pas encore de «Evans» au féminin dans le dictionnaire du Jazz mais cela ne saurait tarder...). Le trompettiste Roy Hargrove et son quintet au son musclé, teinté hard-bop, funk, hip hop, soul, clôturera le 7 juillet. Avis à ceux qui ne connaissent pas ce lieu délicieux : on y baigne vraiment dans un doux bien-être... DAN WARZY

Charlie Jazz Festival du 5 au 7 juillet Domaine de Fontblanche, Vitrolles www.charliejazzfestival.com

Kellylee Evans © X-D.R

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F E S T I V A L S

Chucho Valdés © Frank Steward

FJ5C,

lignon suivi du désormais habitué du Festival, Chick Corea & The Vigil ! Le lendemain, honneur à la musique cubaine avec Chucho Valdés (19 juillet) en compagnie de la chanteuse flamenco Buika et du trompettiste Roy Hargrove. Rythmes brésiliens avec Gilberto Gil et musique funk ensuite avec le groupe Chic de Nile Rodgers feront de cette soirée (20 juillet) une occasion de bouger et danser. Diana Krall présentera son dernier album, Glad Rag Doll, empli de groove et de swing (21 juillet). Début de soirée conjugué au féminin avec le trio ACS, Geri Allen, Terri Lyne Carrington et Esperanza Spalding (23 juillet) pour une célébration des 80 ans de Wayne Shorter qui clôturera, avec son quartet, cette sixième journée de festival. Le jazzman français Eddy Louiss et son septet sera suivi de Biréli Lagrène, le guitariste manouche (24 juillet). Continent noir à l’honneur avec le sud-africain Hugh Masekela et jazz militant toujours en big band avec le Archie Shepp Attica Blues (25 juillet) Une perle nous sera offerte, en 1re partie de soirée, pour ce 9e jour, en compagnie de la chanteuse coréenne Youn Sun Nah avec Vincent Peirani à l’accordéon et bien sûr Ulf Wakenius à la guitare suivie du trio de la pianiste japonaise du Hiromi Trio project (26 juillet). Une femme encore pour embraser cette ultime soirée de festival (27 juillet) avec Meshell Ndegeocello et le guitariste légendaire George Benson pour ce concertévénement qui marquera la fin cette grande fête du jazz.


Rock’n’Mix

Algecow © Marco Parronchi

Frioul en musique ! Pour la 28e édition du Festival MIMI (Mouvement International pour les Musiques Innovatrices), le centre l’A.M.I (Aide aux Musiques Innovantes) propose à nouveau un programme international, innovant et éclectique. Les spectateurs sont invités à embarquer pour un tour du monde des plus surprenants avec, le 4 juillet, Good bye Schlöndorff de l’artiste libanais Rayess Bek, une performance audiovisuelle en co-production avec le MUCEM, mêlant musique, témoignages audio et extraits du film Le Faussaire de Volker Schlöndorff réalisé à Beyrouth en 1981 ; le guitariste virtuose Noël Akchoté pour un étonnant quintette de six-cordes électriques en hommage à l’iconoclaste compositeur italien du XVIe siècle, Carlo Gesualdo. Le lendemain, la pop hybride du groupe français Algecow ainsi que la musique expérimentale de Thomas Bonvalet autour du projet L’Ocelle Mare -dans lequel métronomes, diapasons et microphones se métamorphosent en de véritables instruments ! - envahiront le Frioul. Considéré comme l’une des figures de proue du courant post-punk, le groupe américain Pere Ubu partagera son énergie légendaire pour un concert unique en France. Le 6 juillet, le chanteur lyrique et contre-ténor congolais Serge Kakudji présentera Muindaji Opéra, un récit africain construit sur le modèle

d’un opéra occidental rythmé par de la danse traditionnelle congolaise. Le même jour, première mondiale pour l’installation inédite avec projection en mapping 3D de la création du Dj américain, pionnier de la musique techno, Jeff Mils. Un spectacle aussi onirique qu’inquiétant intitulé The Gateway, sublimé par les chorégraphies de la danseuse Raphaëlle Delaunay. Enfin, la poésie sera à l’honneur pour la clôture du Festival, le 7 juillet, avec le chanteur Iraka, accompagné d’une formation instrumentale orientée hip-hop-jazz, qui slamme et rappe sur des rimes singulières aussi douces qu’acerbes. Pour le final, le musicien Rodolphe Burger mettra en lumière les textes poétiques de Mahmoud Darwich grâce à quatre musiciens et trois voix en hébreu et en arabe. D’autres surprises viendront animer le Festival, comme des balades à la découverte de la faune et de la flore du Frioul… Attention aux places limitées ! ANNE-LYSE RENAUT

Festival MIMI du 4 au 7 juillet Îles du Frioul, Marseille 04 91 465 465 http://mimifestival2013.amicentre.biz

Le fort d’Entrecasteaux accueille pour une seconde fois le festival «electro, pop rock & musiques mixées», Rock Island. Une nouvelle occasion de faire vibrer la citadelle à la forme étoilée au rythme des groupes les plus prisés de la scène internationale électro. Parmi les stars présentes on compte Kavinsky, célèbre pour son morceau Nightcall extrait de la B.O du film Drive, mais aussi Breakbot connu pour son titre Baby I’m yours, un mélange subtil et pétillant de disco, pop funk et house. Les festivaliers pourront apprécier la musique envoûtante du petit génie technique qu’est Rone, qui a produit récemment son deuxième album Tohu Bohu. Le groupe rennais Mermonte et ses 10 musiciens seront aussi présents pour partager leur énergie pop rock associée à une rythmique ingénieuse, aussi aérienne que délicate. Les islandais Fm Belfast ou encore les danois WhoMadeWho vont charmer le public par leurs musiques mixant l’électro à la pop. Il y aura aussi les étoiles

Agoria © Sylvere Hieulle

montantes que sont Villanova ou Joris Delacroix, ainsi que les pionniers de la musique électronique Scan X, Paul Virgoou Laurent Garnier et beaucoup d’autres artistes comme Nastia, Ellen Allien, Agoria, Sébastien Tellier… A.-L.R.

Festival Rock Island du 27 au 29 juin Fort d’Entrecasteaux, Marseille http://www.marseille-rockisland.fr


Les Suds au sommet du monde

XII

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F E S T I V A L S M U S I Q U E

Avec une programmation toujours riche de sens, le festival arlésien de musiques du monde confirme sa place à part dans les événements estivaux. Invité pour la troisième fois depuis 1999, Goran Bregovic est en passe de devenir la mascotte des Suds ! Cette année, la concurrence est rude avec Melody Gardot, Rokia Traoré et le cantaor flamenco Miguel Poveda dont c’est pour l’heure l’unique date en France de la saison. Au-delà de têtes d’affiche qui sont loin d’être l’essentiel de la programmation, le festival arlésien propose des dizaines d’événements dont la cohérence offre une vision singulière des musiques du monde. Ces musiques sont avant tout celles d’une culture et d’un patrimoine en mouvement. Qu’elles soient pratiquées dans la pure tradition ou inspiratrices de nouvelles interprétations, elles n’opposent aucune hiérarchie, ni de valeurs ni d’esthétiques. Et surtout pas de continent. La folk singer américaine Alela Diane jouera ainsi d’égale à égale sur la grande scène du théâtre antique avec l’espagnole inclassable Silvia Perez Cruz. Tout comme les chants mongols d’Urna et le projet franco-palestinien Jadayel envoûteront la Cour de l’Archevêché pendant les Moments précieux. À ne pas manquer, deux OVNI de la musique africaine : Baloji et Wanlov & the Afro Gypsy band. Le premier, issu du hip hop, puise dans ses racines congolaises pour en extraire une rumba afro-funk urbaine. Le second réussit une synthèse atypique entre ses origines ghanéennes et roumaines. Coups de cœur également pour trois propositions d’artistes régionaux revivifiant sans cesse le patrimoine du vaste pays d’Oc. La nouvelle création de Saboï, horde festive créée par Christian Coulomb, est un spectacle musical ambulant qui compose avec la mythologie tauromachique. Douze musiciens, un acrobate et un comédien redessinent un parcours sonore et visuel, s’inspirant d’un répertoire méditerranéen traditionnel lié aux fêtes vernaculaires. Conçu et

RokiaTraore © Mathieu Zazz

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dirigé par Manu Théron, Madalena rassemble un chœur exclusivement féminin de 23 artistes d’expression occitane (dont des chanteuses de La Mal Coiffée, du Chœur de la Roquette et de Enco de Botte). Un spectacle basé sur une mystérieuse cantilène retranscrite en provençal et dédiée Marie-Madeleine que la légende a fait accoster aux Saintes-Maries-de-la-Mer depuis la Palestine. Le même Manu Théron avec son Cor de la Plana et Moussu T e lei Jovents fusionneront le temps d’une création dans le cadre du centenaire de la naissance de Charles Trénet. Moussu T présentera aussi son nouvel album lors d’une de ces fameuses Nuits des forges qui prolongent le festival dans une ambiance électrique, jusqu’à une heure indue de la nuit. Enfin, capitale européenne de la culture oblige, les Suds ont imaginé un événement exceptionnel, le samedi 13 juillet, sobrement intitulé [la Nuit] : douze heures de musique ininterrompue, entre 19 et 7 heures du matin, sur 15 scènes, pour 30 concerts et plus de 200 musiciens, dans des lieux inattendus dont la cité classée Patrimoine mondial de l’Unesco foisonne. Pour le coup, ne cherchez pas la tête d’affiche : c’est Arles !

Le Cargo de Nuit propose, pour cette 8e édition, 3 nuits de concerts d’exception dans le cadre majestueux du Théâtre antique. La première soirée des Escales du Cargo (le 17 juillet) est consacrée aux timbres singuliers des chanteuses Lou Doillon et Nili Hadida. Récemment couronnée artiste féminine de l’année lors des 28e victoires de la Musique, Lou Doillon possède une voix surprenante aux intonations graves. Souvent accompagnée de sa guitare acoustique, elle a le don de créer sur scène une atmosphère intime et émouvante. La chanteuse sera suivie de la douceur folk et l’énergie pop du groupe Lilly Wood and the Prick. Leurs mélodies dansantes enchantent le public depuis plus de 7 ans grâce une dynamique rythmique unique sublimée par la puissance vocale étonnante de la chanteuse franco-israélienne Nili Hadida. Pour la seconde soirée, le lendemain, l’artiste de renommée internationale Hugh Laurie revisitera une quinzaine de standards à dominante blues avec le Copper Bottom Band pour l’une des deux seules représentations de l’artiste en France cet été. Enfin, le groupe Archive, mené par Darius Keeler et Danny Griffiths entrera sur scène pour la dernière escale. En 1re partie, le théâtre antique accueillera le rock hypnotique aux vibrations électroniques du groupe Team Ghost formé par l’ex M83, Nicolas Fromageau. Le relai sera pris par cet ovni musical, et tout aussi ingénieux, Archive. L’univers psychédélique des musiciens anglais à la frontière du rock et de l’électro offrira au Cargo de Nuit l’un de ses plus beaux amarrages… A.-L.R.

THOMAS DALICANTE

Les Suds Arles du 8 au 14 juillet 04 90 96 06 27 www.suds-arles.com

Les étoiles d’Allauch Théâtre, musique, danse… Les multiples spectacles des Estivales prennent à nouveau leurs quartiers dans la somptueuse Bastide de Fontvieille et le théâtre de Nature allaudiens. Le festival débutera en douceur par le spectacle lyrique Mes Madeleines musicales (5 juillet) de la soprano Marianne Neri accompagnée au piano par Valérie Florac. Une programmation complétée par le concert classique Les sonates romantiques (8 juillet) dans lequel la pianiste Nathalie Lanoë et le violoncelliste Manfred Stilz interprètent Brahms, Schumann.... Le 10 juillet, Marie-Christine Barrault lira un texte de Giono, Pour saluer Melville, initialement prévu comme une préface à la traduction de Moby Dick, dans lequel l’auteur se confie sur la relation

Amarrage de talents !

presque intime qui le lie à ce roman de Melville. Les Carboni présenteront leur nouvelle opérette de Sarvil et Scotto, Le pays des Galéjeurs, une œuvre burlesque et originale qui nous plonge en plein cœur de Marseille avec les exceptionnels Marc Pistolesi, Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos. Le festival se terminera, avec grâce par des extraits du répertoire du Ballet d’Europe (1er août), représentatifs du travail chorégraphique de Jean-Charles Gil. A.-L.R. Estivales d’Allauch Du 5 juillet au 1er août Théâtre de Nature, Allauch 04 91 10 49 20 http://estivales.allauch.com

Les Escales du Cargo du 17 au 19 juillet Théâtre Antique, Arles 04 90 49 55 99 http://www.escales-cargo.com Lou Doillon © Kate Barry


Lo'Jo © Denis Dailleux

fondateurs du groupe angevin en 1982. D’Agadir à Chicago, en passant par Buenos-Aires et Katmandou, ils ont rapporté du monde entier des rythmes acidulés mêlant la musique créole, berbère, tsigane, rock, baroque et même raga. Des mélodies enrichies par les voix suaves des marocaines Yamina et Nadia Nid el Mourid, et la participation pour cet album d’invités de renom comme le guitariste malien Ibrahim Ag Alhabib de Tinariwen, le violoncelliste Vincent Ségal, le légendaire joueur de panduri géorgien Niaz Diasamidze ou encore le violoniste chinois Guo Gan (le16). La jeune génération sera représentée par le rappeur d’origine Congolaise Youssoupha, connu pour utiliser l’écriture comme argument de non-violence (le 18). Enfin, le trio français Pony Pony Run Run fera déferler sa popélectrique (le 23) en écho aux textes incisifs et mélancoliques du chanteur aux deux «Victoires de la musique» Benjamin Biolay (le 27). A.-L.R.

Scènes à l’Empéri Du 16 juillet au 27 juillet Château de l’Empéri, Salon-de-Provence 04 90 56 00 82 www.salondeprovence.fr

Destination Cuba ! Depuis 2007, le festival cubain Bayamo propose tous les étés une sélection musicale de qualité explorant les différentes rythmiques de la culture cubaine. En parallèle, le public est invité à participer à une conférence sur «Les influences de la culture française à Cuba» animée par André De Ubeda, ancien délégué de l’Alliance Française (le 5 juillet). Côté musique, le festival accueille en ouverture de tous les concerts le groupe Trio Caña Santa, qui maîtrise à la perfection les mélodies endiablées des célèbres danses cubaines que sont le cha cha cha, la guaracha ou encore le bolero (du 19 au 21). Parmi la programmation figure aussi l’orchestre Havana d’Primera (le 19) : ondé en 2008 par Alexander Abreu, cet ensemble a la particu-

larité de réunir une nouvelle génération de musiciens alliant avec subtilité les rythmes de salsa, jazz, funk et afro-cubains. D’autres spécialistes de la musique cubaine seront présents sur la scène du Fort Napoléon comme Pedrito Calvo Junior y su Orquesta (le 20) et le groupe Maraca (le 21), dirigé par le flutiste cubain et compositeur hors pair, Orlando Valle. A.-L.R.

Le festival qui a des idées La 20e édition, étoffée mais toujours gratuite, propose têtes d’affiche et nouveaux talents. Quarante spectacles en cinq jours. C’est l’avantage d’avoir vingt ans pendant l’année de la capitale européenne de la culture. L’équipe de Medhi Haddjeri et Marc Ambrogiani ont voulu taper fort en faisant appel à quelques noms emblématiques des musiques actuelles : Raggasonic, le duo le plus célèbre du ragga français, côtoiera Ceux qui marchent debout, les pionniers du funk fanfare, mais aussi Féfé, l’ancien du Saïan Supa Crew et L’orchestre national de Barbès, groupe non moins mythique aux influences arabo-méditerranéennes. Les musiques du monde ne sont d’ailleurs pas en reste avec les Colombiens de Boza Nueva Gaita ou les Franco-argentines Las Hermanas Caronni. Comme souvent, une large place est consacrée aux artistes de la grande région, dans leur diversité : L’homme parle, Zappia, Tchoune Tchanelas, Ba Cissoko, Gari Grèu, Gacha Empega et Dupain dont ce sera le premier concert dans les Bouches-du-Rhône depuis leur reformation. Mais on ne va pas aux Nuits Métis pour simplement écouter de la musique. C’est aussi une démarche citoyenne, voire militante, qu’il est important de rappeler et de soutenir. Animée par un attachement aux valeurs de l’éducation populaire et de la diversité culturelle, l’association Nuits Métis met en lumière, à l’occasion de son festival, un travail de terrain qui sème des graines d’esprit critique et de vivre-ensemble tout au long de l’année. THOMAS DALICANTE

Festival cubain Bayamo du 5 au 21 juillet Fort Napoléon, La Seyne-sur-Mer 04 98 00 25 70 http://www.bayamo.fr

Festival Nuits Métis du 18 au 22 juin Plan d’eau de Saint Suspi, Miramas www.nuits-metis.org

Les nuits babéliennes Salif Keita © Priscal Lobjoy

Toutes les générations seront présentes autour de ce véritable tour d’horizon des musiques contemporaines initié par le festival Les Nuits d’Istres. Pour cette occasion, les mélodies singulières aux intonations afo-pop du musicien et chanteur malien Salif Keïta (2 juillet) résonneront dans le parc du pavillon de Grignan. Après six ans d’absence, IAM (4 juillet), le groupe marseillais emblématique du rap français depuis le début des années 90, présentera son dernier combat verbal avec l’album Arts martiens. Agé de 85 ans et considéré comme le père fondateur de la musique électroacoustique, la ville d’Istres accueillera Pierre Henry

(6 juillet), particulièrement connu pour son œuvre Messe pour le temps présent créée en collaboration avec le chorégraphe Maurice Béjart. Enfin, une ambiance «Relax» englobera le public grâce à la pop pétillante du jeune auteur-compositeur-interprète Mika (9 juillet) qui a déjà confirmé son talent grâce au titre mondialement connu Relax, Take it Easy !A.-L.R. Les Nuits d’Istres du 2 au 9 juillet Pavillon de Grignan, Istres 04 42 81 76 00 www.istres.fr

XIII F E S T I V A L S

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Le Festival Scènes à l’Empéri, au château salonnais du même nom, offrira au public une palette d’artistes d’univers très différents. Avec plus de 100 millions de disques vendus, le célèbre crooner italo-belge Salvatore Adamo interprètera son dernier album La grande roue (le 20 juillet). Le groupe Lo’Jo, fort de ces trente années d’expériences, présentera son treize album intitulé Cinéma el Mundo réalisé par Jean Lamoot (Noir Désir, Alain Bashung, Mano Negra…). Denis Péan (voix) et Richard Bourreau (violon) sont les

Féfé © X-D.R

L’Empéri dans tous ses «éclats»

M U S I Q U E


A U P R O G R A M M E M U S I Q U E

Antonio Zambujo © Rita Carmo

L’étoile montante du fado interprète son 5e et nouvel album, Quinto. Il introduit dans son fado sans emphase des éléments chaleureux de jazz et de bossa nova, sur des compositions de Pedro Silva Martins, Márcio Faraco, Rodrigo Maranhão et Miguel Jorge Araújo, ainsi que des lettres de John Monk, Júdice Nuno, Maria do Rosário Pedreira et José Eduardo Agualusa. le 25 juin La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

Léo Ferré Entre Richard Martin et Léo Ferré l’histoire d’amitié et d’amour dure toujours… À l’occasion du 20e anniversaire de la disparition de l’artiste, le Toursky ouvre sa scène à une pléiade d’artistes qui lui rendront un hommage vibrant, parmi lesquels Pierre Arditi, Michel Bouquet, Sapho, Marie-Claude Pietragalla, Mickaël Lonsdale… À noter que la soirée sera retransmise en exclusivité dans quelques villes dont Marseille et Miramas. Grande Nuit Léo Ferré le 14 juillet Le Toursky, Marseille 0 820 300 033 www.toursky.org Leo Ferré © D. Minard

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XIV

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Antonio Zambujo

Se parler avec... Lives au Pont Avec les pieds, en dansant ! Car c’est bien la Pour la 3 année consécutive, la plage du Pont danse qui va permettre les rencontres, lors du Grand Bal de la Friche, «bal guinguette avec vrai orchestre, douceur de l’été et robes qui tournent», concocté avec l’A.M.I. (Aide aux Musiques Novatrices). Paso-doble, jerk, mashed-potatoes, twist et slow, autant de danses qui donneront l’occasion de créer du lien… Se parler avec ses pieds le 13 juillet La Friche, Marseille 04 95 04 95 04 www.lafriche.org

Too Much…

© X-D.R

Après 10 jours de résidence, la tribu belge des Too Much présente, en entrée libre à 18h30, son deuxième album. De quoi tester son indiefolk en public car c’est en live que le groupe prend toute son ampleur avec sa recherche musicale très personnelle, une belle place accordée aux saveurs des voix et aux impulsions percussives. Un groupe loin d’être too much ! Too Much & The White Nots le 18 juin Théâtre des Doms, Avignon 04 90 14 07 99 www.lesdoms.be

GanSan

© X-D.R

En partenariat avec ses voisins de l’Ajmi, les Doms ouvrent leur Cour ombragée dès 19h pour la fête de la Musique. Un bar, une petite restauration, l’ambiance belge… pour écouter dans les meilleures conditions le projet GanSan ou la rencontre entre deux musiciens, le ribab (sorte de violon emblématique de la culture berbère du Sud du Maroc) et le saxophone soprano. Une musique explosive et envoûtante, entre liberté jazz et énergie rock, distillée par six musiciens. le 21 juin Théâtre des Doms, Avignon 04 90 14 07 99 www.lesdoms.be

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du Gard se transforme en scène soul, hip hop, funk, rock et électro. Un beau programme qui réunit pour la 1re soirée des pointures telles que IAM, Wax Tailor mais aussi 1995 ou Azealia Banks. Même qualité le lendemain, avec Asaf Avidan, Woodkid, Vitalic Vtlzr… Une nouveauté à souligner cette année, les Before, un tremplin musical dédié aux artistes gardois. Mathis Haüg et ZOB’ lanceront donc les deux soirées du festival. les 11 et 12 juillet Le Pont du Gard, Vers-Pont-du-Gard 04 66 37 50 99 www.pontdugard.fr

L’Arlésienne

Zahia Ziouani © X-D.R

On connait la célèbre phrase que Daudet écrivit à propos de son mélodrame créé en 1872 à partir de sa propre nouvelle tirée des Lettres de mon moulin : «Il n’y a pas d’Arlésienne dans ma pièce. Il n’y a que son ombre. On en parle, on en meurt, on ne la voit pas». Son absence devenue «cliché» entretient un «mythe» qui transhume de la Crau au pays de Pagnol avec un spectacle musical, interdisciplinaire, fédérant du monde en cette année «capitale». Le metteur en scène Renaud Marie Leblanc ravive les couleurs du drame provençal, ses émotions tragiques, dans une version moderne et séduisante, au moyen de choristes du territoire, 70 musiciens de l’Orchestre Symphonique Divertimento dirigés par Zahia Ziouani, 3 solistes, 3 danseurs et 4 comédiens. Et la musique de scène de Georges Bizet livre sa leste Farandole, majestueuse Marche des rois ou son poignant Adagietto… Le 20 juin à 22h, spectacle gratuit en plein air Cours Voltaire, Aubagne www.mp2013.fr


vence), propose sa désormais traditionnelle tournée d’été du 25 juin au 12 juillet. Onze concerts gratuits sont donnés dans les communes autour d’Aix-en-Provence : des jardins d’Albertas à Bouc-Bel-Air aux châteaux du Tholonet, Trets ou Coudoux, des théâtres de verdure de Vauvenargues ou Vitrolles… Soixante musiciens, dirigés par Jacques Chalmeau, interprètent un programme intitulé Résonances de Bohême avec la Symphonie n°4 de Brahms, La Moldau de Smetana et des Danses slaves de Dvorak. À partager en famille ! JACQUES FRESCHEL

PAYS D’AIX. Concerts à 21h. Entrée libre www.orchestre-philharmonique-aix.com www.lestheatres.net

L’O.J.M. Pour MP2013, l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée s’associe à des opérateurs régionaux pour réaliser des projets favorisant les rencontres artistiques. La collaboration, avec Charlie Free et la Compagnie Nine Spiritde Raphaël Imbertdébouche sur trois concerts du Mediterranean Charlie Orchestra (les 5 juillet à Vitrolles/Fontblanche, 6 juillet à Manosque/Jean le Bleu et 7 juillet à St-Martin de Crau / Etang des Aulnes). Dans le cadre de l’Académie d’Orchestre du Festival d’Aix, le travail génère deux programmes : - Sira sur une musique de la jeune violoniste tunisienne Jasser Haj Youssef (les 13 juillet au Mucem et 15 juillet au Grand St-Jean) - Roméo et Juliette de Prokofiev avec le Groupe Grenade de Josette Baïz augmenté de textes de Frédéric Nevcherlian (les 26 & 27 juillet au GTP, 28 juillet à Manosque/ Jean le Bleu et 29 juillet à Nice/Cimiez) ; J.F.

www.ojmed.com

Jasser Haj Youssef © Fabien Lemaire

À l’initiative de l’Archevêché d’Aix, Les Festes d’Orphée lancent une manifestation permettant de valoriser, dans le cadre prestigieux de la Cathédrale St-Sauveur, la richesse patrimoniale des «maîtres de musique» qui ont œuvré en ses murs du XVIIe au XIXe siècles : Campra, Gilles, Audiffren, Poitevin, Félicien David… Un trésor musical qui reste à connaître d’une grande part de ses riverains ! J.F.

AIX. Le 28 juin à 20h30. Cathédrale 04 42 99 37 11 www.orphee.org

Les Troyens

Clementine Margaine © X-D.R

Pour clôturer sa saison, l’Opéra de Marseille affiche exceptionnellement, en juillet, la grande fresque lyrique de Berlioz Les Troyens, opéra en deux parties d’après l’Eneide de Virgile (La Prise de Troie et Les Troyens à Carthage). L’œuvre est donnée en version concertante avec une distribution royale : Roberto Alagna chante à Marseille, pour la première fois, le beau rôle d’Enée, quand Béatrice Uria Monzon incarne, dans la foulée, la prophétique Cassandre comme la reine Didon abandonnée. Le duo de stars est secondé par un plateau de haut-vol, pour le chant français en particulier (Marie Kalinine, Clémentine Margaine, Marc Barrard, Nicolas Courjal…). L’Orchestre et le Chœur de l’Opéra est dirigé par l’épique maestro Lawrence Foster. J.F.

MARSEILLE. Le 12 et 15 juillet à 19h. Opéra www.opera.marseille.fr 04 91 55 11 10

Alors que se poursuivent les représentations de Cléopâtre (jusqu’au 25 juin) à l’occasion de la Fête de la Musique, le 21 juin à 18h à l’Alcazar, la soprano Kimy Mc Laren (Octavie) et le musicologue Lionel Pons donnent un «Concert-Conférence» autour des mélodies de Jules Massenet. Entrée libre (dans la limite des places disponibles).

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Bohemian rapsodie L’âge d’or L’Orchestre Philharmonique du Pays d’Aix de St-Sauveur (en partenariat avec le Grand Théâtre de Pro-

Pas de Quartier Un conte musical urbain de Marianne Suner et Eléonore Bovon, écrit à partir d’ateliers menés avec des enfants et des adolescents marseillais. L‘histoire de la transformation d’une cité interprétée par la «troupe chantante» Le Vivier qui propose une structure musicale d’éducation inspiré par le mouvement El Sistema (système national des orchestres de jeunes et d’enfants du Venezuela) : une expérience dans les quartiers nord de Marseille à découvrir ! J.F.

MARSEILLE. Les 20 et 21 juin à 21h30. Parc de la Mairie des 13/14e Entrée libre http://le.vivier.over-blog.fr

Airs d’opéras Un concert de soutien à l’association La Bourguette, pour ses 40 années de travail auprès des autistes, avec Lucille Pessey (soprano), Ninon Dann (mezzo), Mathieu Abelli (baryton) et la pianiste Amandine Habib. Une organisation hors programmation de Marseille Concerts. J.F.

AIX. Le 20 juin à 19h30. Hôtel Maynier d’Oppède 06 31 90 54 85 www.marseilleconcerts.com www.bourguette-autisme.org

Dee Dee & China Mère & fille, divas du jazz ! Dee Dee Bridgewater & Chana Moses sur le Vieux-Port dans des standards de jazz symphonique, avec l’Orchestre Philharmonique de Marseille dirigé par Dominique Trottein et le pianiste Laurent de Wilde. Marseille. Le 30 juin à 21h30. Vieux-Port Concert gratuit http://opera.marseille.fr

Musicatreize L’ensemble vocal de musique contemporaine poursuit la création de son «Cycle des berceuses» (voir p34).On entend, en premières mondiales, celles commandées aux musiciens Miguel Gálvez Taroncher (Que velo tus sueñosy tu vigilia), Ivan Solano (Ailes de lumière) et Patrick Burgan (Les Sommeils de Sappho). MARSEILLE. Le 5 juillet à 20h. Salle Musicatreize www.musicatreize.org 04 91 00 91 31 Musicatreize © Guy Vivien

XV A U P R O G R A M M E M U S I Q U E


Sauver de l’oubli

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F E S T I V A L S M U S I Q U E

L’été du grand-Aix On n’oublie pas que le Festival d’Aix affiche une «ouverture» lyrique intéressante en juin : après des manifestations autour du cinquantenaire Francis Poulenc, on découvre une série de concerts consacrés à Mozart et Britten (centenaire oblige !) par les «Jeunes voix lyriques» de l’Académie Européenne de Musique. Le chœur multiculturel Ibn Zaydoun et les voix corses d’A Filetta s’invitent également au prélude, quand l’événement le plus attendu reste l’«Opéra pour chœur d’enfants» Brundibár d’Hans Krása (18991944). Une fable d’autant plus chargée d’émotion qu’elle fut créée en 1943 au camp de concentration de Terezin ! Elle est symboliquement représentée les 21 et 22 juin sur le site-mémorial du Camp des Milles, lieu de passage, d’internement et de déportation d’artistes et intellectuels qui y «créèrent pour résister» à l’horreur nazie. On ne manque pas non plus la désormais traditionnelle Parade[s] qui, sur le Cours Mirabeau, offre gratuitement aux aixois, en 2013, des airs célèbres de Rigoletto (30 juin).

Cinq opéras En dehors du controversé Don Giovanni (pour la mise en scène de Dmitri Tcherniakov/ production 2010 du Festival), on découvre quatre autres opéras, vitrines de la manifestation lyrique, dont un populaire Rigoletto mis en scène par Robert Carsen pour une luxueuse coproduction avec les Opéras du Rhin, Genève, du Bolchoï et de La Monnaie. À l’Archevêché, Mozart et Verdi sont servis par le London Symphony Orchestra. Dans l’écrin du Jeu de Paume on profite d’un «Dramma per musica» écrit au XVIIe siècle par Francesco Cavalli… et plus représenté depuis ! Elena, inspiré librement de l’histoire de l’antique et sensuelle Hélène est dirigé par Leonardo García Alarcón. C’est un autre mythe grec, mis en musique par Richard Strauss (qu’on a pu apprécier aussi cette saison à l’Opéra de Marseille) qui attire particulièrement l’attention. D’abord pour la puissance expressive d’Elektra, mais aussi une affiche exceptionnelle au Grand Théâtre de Provence. Cette coproduction de La Scala, du

Met, des Opéras d’Helsinki, du Liceu de Barcelone et du Staatsoper de Berlin est mise en scène par Patrice Chéreau quand l’Orchestre de Paris est dirigé par Esa-Pekka Salonen. La distribution vocale est à la hauteur de l’événement avec Evelyn Herlitzius, Waltraud Meier, Adrianne Pieczonka et Mikhail Petrenko dans les quatre principaux rôles. On se dirige enfin vers le Grand Saint-Jean pour assister à la création contemporaine du festival. Né en 1977, le compositeur Vasco Mendonça compose The house taken over «texte pour musique» d’après La maison occupée de Julio Cortázar.

Les concerts L’Orchestre de Paris, dirigé par Alain Altinoglu avec la mezzo Nora Gubitch et le violoniste Vadim Repin (12 juillet), par EsaPekka Salonen avec la basse René Pape (18 juillet), le London Symphony Orchestra dirigé par Gianandrea Noseda avec le ténor Ian Bostridge (17 juillet), offrent les grands moments symphoniques du festival au Grand Théâtre de Provence. Jean-Marc Aymes aux claviers, avec la soprano Maria Cristina Kiehr (16 juillet), ou en solo (24 juillet), occupent l’Eglise Saint-Jean de Malte pour de la musique italienne du Seicento, quand la musique de chambre résonne au Théâtre du Jeu de Paume grâce au Quatuor Jerusalem (10 & 12 juillet) ou au Camp des Milles avec le Quatuor Bela (8 juillet). L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (dir. Kristjan Järvi) et le Groupe Grenade de Josette Baïz unissent leurs talents pour une chorégraphie du Roméo et Juliette de Prokofiev augmenté de textes de Frédéric Nevcherlian (26 & 17 juillet au GTP). JACQUES FRESCHEL

Festival International d’art lyrique jusqu’au 27 juillet Aix-en-Provence 0820 922 923 www.festival-aix.com/fr

Don Giovanni © Pascal Victor - Artcomart

XVI

Le 8e Festival Musiques Interdites, dans le cadre de MP2013, propose trois créations, dont deux dans la Cour de l’Hôtel de Préfecture, à Marseille, capitale de l’exil durant le dernier conflit mondial. On découvre Die Kathrin versus Zone Libre dernier opéra de Korngold (non créé en 1938 du fait de l’envahissement de l’Autriche par les nazis), dans une adaptation, actualisation de la partition originale et du livret, interprétée par des solistes de l’Opéra de Vienne et l’excellent Orchestre Symphonique de la Garde Républicaine (6 juillet). L’opéra The Barrier versus Le Mulâtre de Jan Meyerowitz (musicien sauvé de l’internement au Camp des Milles par le réseau de Varian Fry) fut créé dans deux versions américaine et italienne. Il traite de la ségrégation raciale. On assiste à sa création/adaptation en France par des musiciens venus d’Afrique du Sud et la basse Nicolas Cavallier (11 juillet). Des opus augmentés d’installations plastique et vidéo ! Depuis 2004, l’équipe de Michel Pastore réhabilite des œuvres dites «dégénérées», générique sous lequel les responsables culturels nazis mirent à l’index, dès 1933, des compositeurs importants du début du siècle. Qu’ils aient disparu en déportation ou dans l’anonymat de l’exil, ces musiciens n’ont toujours pas retrouvé la place qui devrait être la leur dans la vie musicale de notre temps. De surcroît, le Festival initie une programmation de créations contemporaines en synergie avec les recréations d’œuvres interdites, comme l’opéra-ballet Equinoxe de Karol Beffa (Victoire de la Musique 2013) d’après l’Amérique (Le Disparu) de Kafka mis en scène par Laurent Festas avec l’Ensemble Contraste dirigé par Johan Farjot (9 juillet à St-Cannat les Prêcheurs). J.F.

Festival Musiques Interdites les 6, 11 et 9 juillet Marseille 06 87 71 42 82 www.musiques-interdites.eu Alexandra Reinprecht, soprano, dans Die Kathrin versus Zone Libre © Markus Tordic


Wagner & Verdi à l’antique accompagné par l’Orchestre National de Bordeaux (dir. Alain Altinoglu) et les chanteurs de nos Opéras de Région. Les solistes, de Kristin Lewis à Ramón Vargas, sont des experts du genre (les 3 et 6 aout). Toujours du grand spectacle populaire au théâtre de pierres !

Les concerts On attend deux beaux récitals de piano avec la star chinoise Lang Lang dans Mozart et Chopin (le 11 juillet), comme un grand pianiste français François Frédéric Guy pour un programme de transcriptions virtuoses tirées d’opéras de Wagner et l’Hammerklavier de Beethoven (le 15 juillet. Cours St-Louis).

Le Quatuor © Didier Pallages

Au cœur du patrimoine Aixois, de la Chapelle des Oblatsau Musée Granet en passant par le Pavillon de Vendôme, le Festival Côté Cour construit une nouvelle programmation sur le thème des «Chants de la méditerranée». Au rythme de l’impressionnante viole de gambe et du théorbe, l’ensemble Dulcisona interprétera avec douceur les airs baroques © X-D.R Ensemble Dulcinosa de Nicolas Saboly et d’André Campra (9 juillet). Passionnés et amateurs pourront admirer la voix puissante de la jeune andalouse Rocio Marquez, l’une des étoiles montantes du chant flamenco (13 juillet). L’ensemble Concert de l’Hostel Dieu présentera un programme autour la Ciaccona, une danse née dans l’Italie du XVIIe siècle dont la rythmique a inspirée aussi bien les musiques savantes comme les folies de Monteverdi que les musiques plus populaires avec les célèbres tarentelles (24 juillet). Enfin, pour la première fois depuis sa création, le festival proposera des chants polyphoniques corses. Enco de Botte & C° (28 juillet), un groupe mixte et atypique composé de connaisseurs de jazz, de chants des Balkans ou encore de musiques brésiliennes, a trouvé une unité autour du répertoire corse pour offrir un véritable moment de grâce !

Festival Côté court du 9 au 28 juillet Chapelle des Oblats, Pavillon de Vendôme et Musée Granet, Aix-en-Provence 06 83 60 19 80 www.festival-cotecour.org

l’inusable Leo Nucci chantent La Traviata et Rigoletto (le 5 aout). JACQUES FRESCHEL

Les Chorégies d’Orange du 11 juillet au 5 août 04 90 34 24 24 www.choregies.fr

Festival estival

Ode à la méditerranée !

ANNE-LYSE RENAUT

Francois Frederic Guy © X-D.R

Alors, comme tout va par deux sur cette côte du Rhône, on goûte aussi, sans modération, à un double duo lyrique : Anna Caterina Antonacci et Roberto Alagna livrent des airs italiens courant du bel canto de Bellini au vérisme de Cilea (le 19 juillet), quand Patrizia Ciofi et

Place à l’humour en ouverture du Festival estival 2013 de Toulon et sa région avec la tournée d’adieu (?) du Quatuor (Danseurs de Cordes, le 25 juin à 22h. Châteauvallon) et Les Pianotokés (Le match de piano, le 28 juin à 21h30. Faron/ Théâtre de Verdure) ! Le seul concert symphonique de la manifestation affiche le violoniste Valeriy Sokolov et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon dans Mozart et les britanniques Elgar et Berkeley (le 29 juin à 21h30. Toulon/Tour Royale). Le traditionnel duo François-René Duchâble (piano) & Alain Carré (récitant) trace Le roman de Venise en mêlant la musique de Chopin à la correspondance de Musset et George Sand (le 2 juillet à 21h30. Toulon/Tour Royale). Après cette page romantique on file sur les traces d’Alphonse Le Sage et de Calenda Maia… Musique des palais et du désert, d’un dialogue entre orient et occident, rêve d’une humanité réconciliée autour du bassin méditerranéen aux sons de l’oud, des ney et duduk, de

XVII F E S T I V A L S

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Il n’y aura pas de 2e représentation du Vaisseau Fantôme au Théâtre antique d’Orange cet été : plutôt navrant en ce bicentenaire Wagner ! On se précipite donc sur l’unique spectacle du 12 juillet mis en scène par Charles Roubaud avec l’Orchestre de Radio-France (dir. Mikko Franck) et les Chœurs des Opéras de Région. Une co-production avec l’Opéra de Marseille et une distribution wagnérienne triée au rayon héroïque par l’équipe de Raymond Duffaut ! Pour le bicentenaire Verdi, on conserve, au pied du célèbre mur vauclusien, un principe binaire de représentations. Un bal masqué est mis en scène par Jean-Claude Auvray,

la lire et des flûtes, le tout conduit par Jordi Savall dirigeant Hespèrion XXI (le 4 juillet à 21h. Six-Four/Eglise Ste-Anne). C’est ensuite La Follia… Le violon virtuose à l’époque baroque (sujet au programme du bac option musique en 2013 et 2014 !) qu’on écoute en variations par les archets acrobates d’Europa Galante dirigés par Fabio Biondi (le 6 juillet à 21h. Six-Four/Eglise Ste-Anne). Le Quatuor Psophos et la violoncelliste Emmanuelle Bertrand jouent le beau Quintette de Schubert ainsi que deux pièces romantiques de musique de chambre peu courues de Théodore Gouvy (partenariat avec le Palazzetto bru Zane – Centre de musique romantique française, le 9 juillet à 21h. Six-Four/Eglise Ste-Anne). Retour enfin à Toulon pour Rhapsodies… Liszt et les Tziganes avec le pianiste roumain Ferenc Vizi accompagné de cymbalums hongrois de l’Ensemble Cziffra pour des Rhapsodies et Csardas de Franz Liszt (le 11 juillet à 21h30. Tour Royale). J.F. Festival estival de Toulon et sa région du 25 juin au 11 juillet 04 94 93 55 45 www.festivalmusiquetoulon.com

M U S I Q U E


13e Festival de guitare de Lambesc

XVIII

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F E S T I V A L S M U S I Q U E

décryptent les aventures des thèmes musicaux qui voyagent entre les époques et les continents. Ryszard Balausko, maître de la guitare polonaise, donnera une large part aux musiciens de la renaissance polonaise et européenne, mais aussi, entre autres, à Villa Lobos, Fernando Sor, Albéniz, tandis que sa compatriote, Dominika Bialostocka nous emportera auprès des grands compositeurs d’Amérique du Sud. Ahmet Kanneci fera découvrir la musique populaire turque et les auteurs contemporains de son pays. José Luis Ruiz Del Puerto s’attachera à un répertoire consacré à la création espagnole et aux œuvres actuelles. Jorge Car-

La dynamique Association Aguira dirigée par Charles Balduzzi réunit cette année encore une belle brochette de guitaristes internationaux, dans le superbe cadre du château Pontet Bagatelle à côté de Lambesc. Espagne, Amérique Latine, Pologne et pour la première fois Turquie sont représentées. Musiques anciennes et contemporaines, savantes et populaires sont interprétées avec talent. Les artistes nous donnent à entendre les résonnances, les échos, tissent de subtils ponts entre les traditions,

doso, directeur artistique du festival fêtera cinquante ans de carrière et nous offrira une somptueuse rétrospective. Surprise de choix du Festival, Paco Ibañez, figure marquante s’il en est de la chanson résistante et poétique, a accepté de donner un concert au cours duquel il appellera auprès de lui Jorge Cardoso et le poète provençal André Peyron. MARYVONNE COLOMBANI

du 30 juin au 6 juillet Château Pontet Bagatelle, Lambesc 04 42 92 44 51 www.festivalguitare-lambesc.com

Don Quichotte au village Cette année, l’Opéra au village invite dans le superbe cadre du couvent des Minimes Don Quichotte, une opérette de Florimond Roger (XIXe), plus connu sous le nom de Hervé et par Mam’zell Nitouche. En fait, il y a plusieurs versions de Don Quichotte d’Hervé, dont un livret posthume, Don Quichotte Berger ou la nouvelle Arcadie, confié au compositeur et performeur contemporain Jean-Michel Bossini. Les deux œuvres, celle d’Hervé et celle de Bossini seront présentées en diptyque, la seconde comme un flash-back de la première, sous la direction de Jean-Michel Bossini lui-même, dans une mise en scène de Bernard Grimonet. Sachant que la direction musicale est confiée à Luc Coadou, on peut déjà s’attendre à un régal pour fin gourmet après les agapes proposées rituellement sous les grands marronniers du couvent.

La nuit Pastré

Photo de la premiere lecture de la partition © Bernard Grimonet

L’Opéra au village du 16 au 24 juillet Couvent des Minimes, Pourrières 06 98 31 42 06 www. loperaauvillage.fr

MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Chaillol Le sextet Astillero se définit comme «tango de ruptura», audacieux, créatif, mais qui connait son Piazzolla sur le bout de doigts dansant aux touches des bandonéons. À cet alpha du 17e Festival de Chaillol, baladant ses croches des vallées du Champsaur et Valgaudemar aux limites du pays gapençais, répond un oméga, une autre tradition réinventé par Lo Cor de la plana, hommes marseillais conduits par Manu Théron et les filles napolitaines d’Assurd et Enza Pagliara. Entre ces deux pôles se déclinent, à travers des cycles romantiques où le piano trône, «Une traversée inachevée» de Schubert (Simon Zaoui), «La folie créatrice» de Schumann (Hélène Tysman), et le regard argentin de Gustavo Beytelman sur les Tableaux d’une exposition de Moussorgski… Helene Tysman © Mateusz Zahora

Musiques d’ici et là-bas, le Quartett Drailles rend un hommage inventif aux musiques des Alpes quand le Quatuor Bela mêle ses cordes classiques à celles du griot africain Moriba Koïta. Au dépouillement minimaliste imaginé par le pianiste de jazz Guillaume de Chassy, en trio, répond un pan d’œuvres toutes fraîches. On découvre celles d’Ivan Solano, compositeur invité de la saison 2013, à la clarinette seule, ou comme lors d’un beau programme de l’ensemble C Barré qu’on a entendu à la Salle Musicatreize, à Marseille, fractionné des mois de décembre à février derniers (voir Zib 59 et 61). C’est là-même également qu’on a découvert un opus composé par Georges Bœuf sur le magnifique texte L’Homme qui plantait des arbres de Jean Giono (voir p 34). Vingt-quatre concerts, moments d’échange d’une belle diversité, entre traditions, orale, populaire ou savante, et une innovation rééchelonnant le passé ! JACQUES FRESCHEL

Du 18 juillet au 12 août Programme complet sur www.lebocage.org 04 92 51 59 86

En une nuit le Centre National de Création Musicale joue sa grande carte 2013 : le GMEM, MP2013 et Lieux publics coproduisent le 12 juillet 2013 un événement énorme ! mais chaleureux, convivial, varié et ouvert à tous, y compris aux familles et aux réfractaires à la musique contemporaine. On s’y promènera dans la campagne Pastré avec des lampes de poche, pour y découvrir ici un pianiste, là de la diffusion sous tente, des installations, de la danse aussi, et l’ensemble C Barré en plusieurs formations… Dans tous les coins, jusqu’à la salle de concert au château, chaque pièce est jouée plusieurs fois, et s’il n’y a pas d’itinéraire exhaustif il y a des chemins possibles. On y croise Guillaume Monsaingeon (conteur), Didier petit (violoncelliste jazz), Isabelle duthoit (clarinettiste) Johanne Saunier (chorégraphe) et les compositions /performances de Llorenç Barber, Wilfried Wendling, Pierre Berthet, Sébastien Rouxet Cecile Houdard... Et une restauration conviviale, des navettes, maritimes ou routières, depuis le centre et, espérons-le, la chaleur vespérale et la douce fraicheur nocturne ! A.F.

le 12 juillet Campagne Pastré, Marseille 8e 04 96 20 60 10 www.gmem.org



«Musique en vacances»

| M U S I Q U E

et le baryton Pierre Villa-Loumagne ! JACQUES FRESCHEL

Festival Musique en Vacances du 14 au 21 juillet La Ciotat 04 42 83 08 08 www.amei-festival-laciotat.com

Festival De Vives Voix Pour la 10e édition du festival De Vives Voix, l’association Les Voies du Chant a concocté trois journées festives où la qualité et l’eclectisme sont au rendez-vous. Une soirée d’ouverture avec Duo Caminantes pour un cabaret latino, rancheras mexicaines, boléros, chacareras argentines, par Chloé à la guitare et au chant, et Clément à la guitare. Une carte blanche sera offerte à Alain Aubin, pour un apéro chanté dans les jardins de la sucrière avec les Choralys puis un récital lyrique Berlioz, Offenbach, Chostakovitch, dès la tombée de la nuit, et le bonheur de la deuxième vague d’Aïodé, l’oratorio lyrique composé par Alain Aubin pour la nuit d’ouverture de MP13, avec la voix du vocaliste Gino Sitson, le tout sous la direction de Jacques Chalmeau. Enfin, Kin’Kila, quintet vocal féminin, issues de Marseille, Aix, Toulon, qui conjugue avec un talent fou des sensibilités musicales venues du monde entier. Leur répondra un sextet masculin, Radio Babel Marseille, et la

poésie du poète Louis Brauquier. Pour finir, la dernière création de Bruno Allari, Buena Sombra, avec le groupe Rassegna, poésie des chansons de Naples à l’Espagne en passant par le chaâbi algérois. Trois jours de fête vocale ! M.C.

De Vives Voix les 3, 4 5 juillet Théâtre de la Sucrière, Marseille 09 54 45 09 69 www.lesvoiesduchant.org

Floraisons Musicales Nomadeus © X-D.R

Pour leur 17e édition, les Floraisons musicales permettent d’entendre un choix éclectique avec des formations aux inspirations multiples : le groupe Nomadeus, tourné vers les musiques traditionnelles Klezmer/yiddish, le Quatuor Harold qui interprète Haydn (quatuor en sol majeur op 76 n°1) et Anton Dvorak (quatuor n°12 en fa majeur, op.96, «Américain»), Sergio Marchegiani au piano pour une soirée Chopin évènement avec l’intégrale des Nocturnes, l’orchestre de chambre éclosion et Pierre Hommage au violon pour des séré-

Sacrées cimes 15e du nom, le Festival International d’orgue du Monêtier-les-Bains s’annonce copieux ! Pas moins de 11 concerts permettront aux tuyaux mitoyens des sommets alpins de sonner sous les doigts et la houlette d’Eric Dalest, et aussi d’interprètes internationaux venus des Pays-Bas, de Pologne, d’Allemagne, de Belgique, de Suisse et d’Italie. Des formules classiques, où le roi des instruments accompagne la voix ou la trompette, tutoieront des attelages singuliers permettant de découvrir la flûte de pan ou le cor. F.I.

Kin'Kila © X-D.R

F E S T I V A L S

Edouard Exerjean, le 15 juillet © X-D.R

XX

Organisé par l’A.M.E.I. (Association Méditerranéenne d’Echanges Internationaux), le 18e festival de Musique en Vacances propose, à La Ciotat, une série de concerts au cœur de juillet. On y retrouve des musiciens qui œuvrent régulièrement dans la région, comme les violoniste Philip Bride pour un «Hommage à Zino Francescatti», ou Laurence Monti dans le Triple concerto de Beethoven en compagnie de l’Orchestre de Bryansk qui joue également la 7e symphonie de Beethoven… Un «Trio atypique» composé de bandonéon, accordéon et hautbois (Patrice Barsey) ou les «Partitions littéraires» d’Edouard Exerjean complètent une affiche augmentée de «Soirée jazz», «Voix de la Méditerranée», Gospel, Danses Celtes, conférences… Le Septuor du Parvis joue des classiques célèbres quand Opérabulles donne un show lyrique. Une manifestation qui se conclut par un duo fêtant Verdi : la soprano Monique Borelli

nades de Tchaïkovski et de Mozart, enfin, le Philippe Renault Jazz Quartet qui proposent non seulement une relecture des standards de jazz des années 30, mais aussi Bach et Debussy ! Et tout cela à Saint-Didier, Bollène, Valréas, Moustier-Sainte-Marie. M.C.

Les Floraisons Musicales du 19 juillet au 8 août 04 90 303 600 www.floraisonsmusicales.com

Festival International d’orgue du 16 juillet au 18 août Monêtier-les-Bains, Vallée de la Guisane (05) 0607684906 www.dalest.org

Rencontres médiévales L’Abbaye cistercienne du Thoronet, à l’acoustique exceptionnelle, reçoit les 23e Rencontres de Musique Médiévale programmées depuis sa création par Dominique Vellard qui défend l’idée que «c’est dans la confrontation avec la richesse des traditions séculaires que le musicien d’aujourd’hui peut se réapproprier l’histoire de la musique européenne». Au public donc d’y découvrir des ensembles de tous pays dans un répertoire ancestral, vocal ou instrumental, monodique ou polyphoniques, sacré, profane, universel ! J.F.

Rencontres de musique médiévale Abbaye du Thoronet du 16 au 21 juillet 04 94 60 10 94 www.musique-medievale.fr



C I N É M A

Claustrophobie Jusqu’au 30 juin, Lieux Fictifs présente Frontières Dedans/Dehors, un dialogue entre l’art, la prison et la société à la Friche. Un dialogue qui se noue autour d’une exposition de films courts et d’une installation cinématographique, fruits d’un travail de longue haleine mené avec des personnes détenues et d’autre pas, avant de s’approfondir lors d’une conférence ouverte aux professionnels comme au grand public. L’exposition Images en mémoire, images en miroir a été conçue à partir d’archives mises à disposition par l’INA, les participants ayant eu pour règle du jeu de les utiliser de manière fictionnelle en y mêlant la matière de leur propre vie. Le résultat est immersif : sur les écrans inondations, avalanches, fusillades et scènes d’émeutes vous sautent à la figure, tandis que l’impact énorme du montage audio résonne dans les casques mis à disposition. Quelqu’un vous assène «tu es ce congolais, tu es cet algérien» devant l’image d’un homme menotté, molesté ; une femme évoque sa vie à attendre celui qui est en prison, tandis qu’une autre murmure en espagnol : «siento la rabia crecer1». La scénographie provoque chez le spectateur une étrange réminiscence (peut-être un cliché ?) liée au pouvoir évocateur des postes de télévision, à travers lesquels la rumeur du monde parvient aux détenus. C’est aussi la scénographie qui frappe lorsqu’on aborde Dans la solitude des champs de coton, l’installation cinématographique programmée à la Cartonnerie. Un dispositif de fauteuils

rotatifs entre quatre écrans géants donne au début une sensation de liberté : d’un mouvement du pied on passe d’un mur à l’autre, du personnage du dealer à celui du client, incarnés par de multiples visages et autant de voix. Mais très vite le procédé se révèle étouffant, la pièce semble rétrécir avec les minutes qui passent, la claustrophobie guette. Certains spectateurs émergent du spectacle deux heures plus tard avec la sensation de pouvoir enfin reprendre souffle, d’autres restent assis un petit moment, histoire de digérer tranquille cette forte impression. Le texte de Koltès, malaxé par des interprètes amateurs souvent bluffants de présence, irrite ou fascine, pas d’entre-deux. Une telle langue ne peut pas séduire tout le monde, mais ne laisse personne indifférent. GAËLLE CLOAREC 1

«Je sens la rage monter»

Images en mémoire, images en miroir et Dans la solitude des champs de coton, du 13 au 30 juin Conférence européenne sur la création artistique avec les publics sous main de justice, du 25 au 27 juin La Friche la Belle de Mai, Marseille

Dans la solitude des champs de coton réalisée par Joseph Cesarini et Caroline Caccavale © Andre Merian

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‫وه شيعي‬ Le spectateur avait l’embarras du choix pour ces Premières Rencontres des Cinémas Arabes à Marseille ! Et ses seuls regrets vont aux films qu’il n’a pas pu voir… même si beaucoup étaient projetés deux fois. Une programmation dense et riche dont a profité un public très diversifié. En ouverture, le film de Faouzi Bensaïdi s’attache au destin de trois copains, à Tétouan, entrainés dans une spirale tragique, entre délinquance, corruption policière, prostitution, trahison et fanatisme religieux. Mort à vendre, construit comme un film policier, est aussi le portrait d’une jeunesse sans avenir et sans présent, dont tous les espoirs se heurtent à des murs. Film sombre aussi nous ramenant vers les années tragiques de l’Algérie, Yema de Djamila Sahraoui nous raconte une tragédie universelle, celle d’une mère qui a deux fils ennemis. Ouardia, interprétée par la réalisatrice elle-même, a perdu l’un de ses fils, officier. Le deuxième se bat dans les maquis, dans la montagne. On retrouve dans ce film les thèmes chers à la réalisatrice, la violence de l’Algérie, de son histoire, la violence contre les femmes, l’état de désespoir total et la question de savoir comment vivre quand même. Comment vivre à 22 ans, quand on est forcée d’épouser un homme beaucoup plus âgé, et soumis à sa mère ? Ons, la jeune femme, refuse de se rendre à la noce, s’enferme dans sa chambre, provoquant la colère de son père qui commence à la tondre. Elle s’enfuit dans sa robe de mariée qu’elle a raccourcie après s’être rasé complètement le crâne. De son côté, Halim, qui a pour seules distractions le «dialogue» avec son père mort et les chansons d’Abdelhalim Hafedh, vit ce mariage raté comme une humiliation ; il s’isole puis s’enfuit rejoindre une bande de copains, marginaux, vivant dans un no man’s land près du port de Bizerte. Film déjanté sur l’absence réelle et métaphorique des pères, Où est papa ? de Jilani Saadi est d’une grande originalité, avec des séquences drôles et une mise en scène superbement maitrisée. La fin du film, où Halim se débarrasse de la «pisseuse» en la jetant dans le puits parce qu’elle n’aime pas son chanteur préféré, est troublante : sûrement au second degré ? On peut ne pas apprécier l’ambiguïté. Comment vivre et résister aux contraintes sociales quand on est une jeune femme, voilée ou non, dans une Tunisie en pleine révolution ? C’est l’idée de révolution intérieure qui nourrit le dernier film de Nouri Bouzid, Millefeuille. Car Aïcha et Zaineb, deux personnages qui se cherchent, aspirent seulement à pouvoir vivre et sont obligés de


* Eat, Sleep, Die de Gabriela Pichler

‫ةمواقم يف‬

Où est papa ? de Jilani Saadi

se battre pour cela. Tout comme la petite et courageuse Wadjda dans le film de Haifaa al-Mansour (voir Zib’61), la jeune Sabrina dans Rengaine de Rachid Djaîdani (voir Zib’58) ou les femmes yéménites du documentaire de Khadija Al Salami, Le Cri. Ou encore comme la petite Sarah du superbe film d’Uda Benyamina, Sur la Route du Paradis, Coup de cœur de deux jurys : les lycéens et les Associations. Les tables rondes du matin ont permis aux réalisateurs des différents cinémas arabes -le cinéma de chaque pays circule très peu dans les autres- de s’étonner des points communs de leur thématiques, et de dégager l’idée d’une vraie unité, dans la résistance, la place des femmes, la pauvreté, la révolte et la tragédie. La religion aussi. «Quel cinéma faire aujourd’hui ?» a permis de poser aussi des questions formelles importantes : Que veut dire filmer dans les pays arabes ? Quels outils utiliser ? Quel statut pour les images faites par les téléphones portables ? À l’heure d’internet le cinéma reste-t-il l’art du recul et de la distance ? Ces échanges donnent tout leur sens à ces Premières Rencontres des Cinémas Arabes : Marseille, malgré les réticences de la Ville, est la seule cité où ces cinémas peuvent aujourd’hui se rencontrer, et résister aux forces tragiques qui contrecarrent aujourd’hui les élans des révolutions. ANNIE GAVA

* Vivre, c’est résister Les Rencontres des Cinémas Arabes ont eu lieu du 28 mai au 2 juin Aflam, Diffusion des Cinémas Arabes, Marseille 04 91 47 73 94 www.aflam.fr

Noire Suède

Si le festival nouv.o.monde de Rousset a commencé par emmener son public à Tétouan avec Faouzi Bensaïdi et son beau film sombre Mort à vendre, c’est en Argentine avec le film de David Maria Putorti, La guerre au cochon, et en Suède que le voyage s’est achevé, dimanche 2 juin. En effet, Silvia Vaudano et son équipe des Films du Delta ont programmé le 1er long métrage de Gabriela Pichler, une jeune réalisatrice suédoise, qui a travaillé dans l’industrie alimentaire avant de faire des études de cinéma. Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : Eat Sleep Die (Äta sova dö), un film à la fois coup de poing et bijou d’humanité, a reçu à juste titre plusieurs Guldbagge -les César suédois-, Le Prix du Public à la Mostra de Venise et le Grand Prix au festival Premiers Plans d’Angers. Raisa, jeune ouvrière, originaire du Monténégro dans une petite ville de Suède, fait partie des plus rapides pour mettre en carton les barquettes de salade, travail à la chaîne peu gratifiant mais qui lui plait et lui permet de soutenir son père, malade, avec qui elle vit et auquel elle est très attachée. La bonne humeur règne dans cette usine familiale jusqu’au jour où… crise oblige ! un responsable annonce aux ouvriers qu’une partie d’entre eux va être licenciée. La séquence où le contremaitre vient chercher, un par un, ceux qui sont concernés, est d’une violence terrible. La caméra portée scrute les visages, dans un silence de mort. Quand Raisa s’aperçoit qu’elle va être une des victimes, elle prend la fuite pour ne pas entendre le verdict. Raisa, sans diplôme et sans permis de conduire, va se battre pour trouver un nouveau travail, sans baisser les bras. Malgré son physique ingrat (Gabriela Pichler a mis plus d’un an pour trouver Nermina Lukac, son actrice non professionnelle), on s’attache à ce personnage, la suivant pas à pas dans son parcours de la combattante, au gré de la caméra portée qui ne la lâche pas : démarches, réunions de soutien psychologique aux personnes licenciées, cruels jeux de rôles auxquels elle doit participer, rencontres avec ses anciennes collègues qui ont conservé leur travail et deviennent distantes. Mise en scène nerveuse ; on pense à Rosetta des Frères Dardenne et à Sur la Planche de Leila Kilani. La grande acuité du regard de cette jeune réalisatrice nous fait découvrir sans manichéisme une Suède noire que le racisme gangrène, qui écrase les plus fragiles. Pourtant, on ne sort pas désespéré de ce film bouleversant car Gabriela Pichler a aussi montré la solidarité entre immigrés -la séquence finale en témoigne- et la grande humanité de ses personnages. ANNIE GAVA

Le festival nouv.o.monde a eu lieu du 30 mai au 2 juin à Rousset Les Films du Delta 04 42 53 36 39 www.filmsdelta.com

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Revoir Pasolini

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C’est au cipM, au milieu des livres de Pier Paolo Pasolini, qu’a été lancée, le 14 mai, La Force scandaleuse du passé La soirée était prévue initialement à l’Institut Culturel Italien qui s’est retiré à cause de la participation à la manifestation de Toni Negri, refusant d’être associé à la «personne d’un repris de justice condamné pour délits de terrorisme commis en Italie.» Cet événement -car c’en est un !-, coproduit par MP 2013 et quatre structures, Alphabetville, le cipM, le FIDMarseille et l’INA Méditerranée va célébrer jusqu’au 8 juillet l’œuvre d’un artiste exceptionnel, homosexuel et communiste, qui a embrassé et transcendé l’écriture -romanesque, journalistique ou cinématographique-, en la chargeant toujours de poésie, c’est-à-dire de révolte. La manifestation propose expositions, conférences avec des intervenants italiens et français, lectures, tables rondes et la projection de l’intégralité de ses films, sans oublier la soixantaine de vidéos sur des bornes interactives. Et pour commencer, au Miroirde la Vieille charité, deux films : un documentaire d’Andrea Salerno, Via Pasolini et La Ricotta, un des premiers films, que Pasolini a réalisé en 1963.

Portrait

Via Pasolini construit, à travers des documents d’archives que relient de longs travellings sur des routes, le portrait de l’artiste. L’écrivain parle de ses rapports avec son père, «la relation la plus dramatique que j’ai eue dans ma vie», de son premier livre, un livre de poésie, «écrit en frioulan, le dialecte de ma mère», de ses premiers rapports avec le réel et la politique, de l’unification de la langue italienne, de l’auteur comme contestation vivante, «Le fait d’ouvrir la bouche est scandaleux !», de son passage de la littérature au cinéma, «langue transnationale et universelle», de son film Accatone, comme «occasion donnée aux Italiens de montrer leur racisme», du néoréalisme comme «premier acte de regard de l’Italie sur elle-même», des gens qu’il aime le plus, les gens simples, de son regard sur les choses «non confessionnel mais un peu religieux : L’Evangile régénère et met en mouvement les pensées», de ses premiers films sous le signe de Gramsci, «qui s’adressent à l’élite, pas l’élite classique des privilégiés», du cyclisme qu’il aime depuis tout petit. On le voit clouer le bec à des journalistes, interviewer des gens au sujet du divorce, sur une plage, ou filmer au mieux la forme d’une ville. Même si le

La ricotta de Pasolini

recours systématique aux travellings sur la route est lassant, les documents d’archives sont passionnants et permettent d’approcher cet homme qui a fait l’objet de 33 procès de 1949 à 1975 et dont la mort le 2 novembre 1975, sur la plage d’Ostie, n’a pas encore été élucidée.

Peinture, cinéma et réel

La Ricotta, tourné en noir et blanc, fait partie d’un film à sketches, RoGoPaG, composé de quatre histoires dont le titre est constitué des premières lettres de ses quatre réalisateurs : Rossellini, Godard, Pasolini et Gregoretti. Un cinéaste, interprété par Orson Welles, essaie de tourner une Passion du Christ, recréant cinématographiquement en couleurs deux tableaux maniéristes, La Déposition de Le Rosso et La Déposition de Pontormo. Un des figurants, pauvre, Stracci (loques) qui incarne le bon larron et ne pense qu’à trouver de quoi manger, finit par mettre la main sur de la ricotta et en dévore, réfugié dans une grotte, jusqu’à en mourir. «Pauvre Stracci ! Dire qu’il aura fallu qu’il meure pour que l’on s’aperçoive de son existence» commente le réalisateur. Ce film qui accumule gags et fait sourire, est aussi une critique radicale de la société capitaliste et de la religion : «Blasphémateurs, vous ne respectez rien !» hurle lors d’une prise le cameraman. C’est aussi ce qu’en a conclu la censure puisque le film a été mis sous séquestre pour «offense à la religion d’état». Mais La Ricotta, qu’on pourra revoir le 20 juin au CRDP commentée par Xavier Vert, historien de l’art, est aussi une réflexion matérialiste, profondément irrévérencieuse, sur la création artistique… ANNIE GAVA

jusqu’au 8 juillet www.mp2013.fr

A queer affair Le dernier film d’Alain Guiraudie L’inconnu du lac donne dans le polar. On y trouve un serial killer, une enquête, une fausse piste, un véritable suspense et même l’ancrage dans un microcosme d’estivants homosexuels à la recherche de corps-frères à défaut d’âmes-sœurs. L’action se concentre sur quatre lieux : la plage où ces corps s’étalent, le lac où ils s’immergent, le sous-bois où ils se consomment, le parking, jauge des départs et arrivées, en plans récurrents rythmant la succession des jours et des nuits. Le dispositif tient de la chorégraphie, ballet des corps masculins nus, beaux, bronzés, désirants. Associations, dissociations, répétition des mêmes thèmes, des mêmes gestes, des mêmes phrases banales dans un jeu d’approche codifié. C’est drôle, décalé mais inquiétant aussi : verra-t-on le silure de cinq mètres dont parle Henri, l’hétéro égaré sur ce terrain de chasse homo ? Qui est l’inconnu du lac ? Quel prédateur se cache dans les bois ? Qui voit qui ? Qui voit quoi ? C’est drôle mais grave. Les personnages qui se prénomment sans se nommer, n’existent que dans ce marathon du sexe, dans l’ici et le maintenant, enfermés dans une liberté de jouissance devenue diktat. Un voyeur pathétique erre la main dans le maillot. Insatisfaction de Franck amoureux de Michel, le bel assassin moustachu, solitude d’Henri avec son gros ventre, sa démarche balourde quand il s’éloigne et son cœur qui se serre quand apparaît Franck. Eros et Thanatos liés là, sous le soleil exactement. Georges Bataille en écho. Le thriller se fait existentiel, méditatif. Partis-pris minimalistes : ligne horizontale de la surface miroitante du lac, verticale cachée de sa profondeur. Lumière naturelle, crue ou crépusculaire. Absence de musique. Le vent, les oiseaux, les halètements de plaisir. Fellations, érections, pénétrations, masturbations se donnent à voir dans une obscénité assumée autant que le trouble subtil de la passion amoureuse. «Je voulais, dit le réalisateur, réunir la grandeur des sentiments et la trivialité des organes.» Pari audacieux tenu ! L’inconnu du lac présenté à Cannes dans la sélection Un certain regard et soutenu par la Région PACA, n’a pas volé sa double récompense : la Queer palm 2013 et le prix de la Mise en scène ! ÉLISE PADOVANI

Sortie en salles le 12 juin Interdit aux moins de 16 ans

L’inconnu du lac d'Alain Guiraudie


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Yolande Moreau © Annie Gava

C I N É M A

Se construire une âme Deux jours après le palmarès, à 165 km des filles de la Croisette titubant sur leurs Louboutin, et loin des enjeux commerciaux de la compétition cannoise, l’Alhambra, pour la 9e année, a offert à son public une reprise de la Quinzaine des Réalisateurs. 14 films dont beaucoup ne sortiront en salle que dans le courant de l’été ou de l’automne.

Au pays de la frite Le 28 mai, le délégué général de la Quinzaine Edouard Waintrop et Yolande Moreau étaient là pour ouvrir le bal avec Henri, 2e long métrage de la comédienne passée à la réalisation, «un travail complet, moins reposant que celui d’actrice» avoue-t-elle avec sa bonhomie malicieuse. Henri se déroule au pays de la frite, dans un resto italien, hors des chemins battus. Le temps y prend son temps, les relations s’y tissent à petits gestes. On y retrouve les modestes, ceux qui n’ont pas de longs violons pour bercer leur mélancolie. Lui, immigré italien, l’esprit voyageur comme ses pigeons, un nœud de sentiments fiché dans le corps empâté et massif. Elle, handicapée mentale, «papillon» surgi dans sa vie de nouveau veuf. Pipo Delbono et Candy Ming pour incarner au plus juste ces deux-là qui font la paire. Le ringard, le trivial prennent un sacré coup de poésie sous le regard de la Moreau et Rosette la simplette se drapant dans les voilages bon marché de la chambre d’hôtel où Henri dort, devient une mariée sublime.

Qualité France La sélection a proposé trois autres films, français, dont on se réjouit de la qualité. Celui de Gallienne (récompensé par le prix SACD et l’Art Cinéma Award) Les garçons et Guillaume à table ! Auto-analyse burlesque d’un Pierrot efféminé, à la face ronde et lisse, ou comment découvrir son hétérosexualité quand sa propre mère, grande bourgeoise follement aimée et admirée, vous instille depuis toujours l’injonction d’un désir à peine refoulé : tu seras une fille, mon fils ! Celui

de Serge Bozon, l’insolite Tip Top, pseudo polar décalé, antinaturaliste, jouant sur le ticket gagnant Kiberlain-Huppert en inspectrices de l’IGPN carrément fêlées. Celui de Thierry de Peretti, Les Apaches, imaginé à partir d’un fait divers tragique, symptomatique du malaise d’une jeunesse corse en quête de sens, entre mythologies insulaires et clichés de séries américaines, dans une économie tournée vers un tourisme qui fait de la vacance une vacuité.

Bonheurs d’ailleurs Grands bonheurs de la semaine autour de Jodorowski : Jodorowski’s Dune, documentaire de Franck Pavich, la genèse de l’adaptation avortée du roman-culte de Herbert. Jodo, octogénaire élégant, toujours passionné, raconte comment il a recruté ses «guerriers», les plus grands de l’époque : Mœbius, Giger, Dan O’Bannon, Magma, les Pink Floyd, David Carradine, Dalì pour la bataille de Dune. Bien qu’on sache que ce projet trop ambitieux, trop libre, a échoué devant la frilosité des «boutiquiers» d’Hollywood, on partage la tension du combat dont il reste ce storyboard de 500 pages, source d’inspiration pour les réalisateurs de science-fiction qui suivront. La danse de la réalité, autobiographie imaginaire de Jodorowski revenu au cinéma pour cet émouvant opus, manifeste et testament. Convoque son carnaval intime, baroque, violent et tendre. On pense à l’Amarcord de Fellini, à Buñuel, à ces grands cinéastes qui proposent par leur vision du monde, une philosophie du cinéma et de la vie. «Vivre, c’est se construire une âme» dit Jodorowski. Quand le cinéma est un art, il y contribue. ÉLISE PADOVANI

La reprise de La Quinzaine des Réalisateurs s’est déroulée du 28 mai au 4 juin à l’Alhambra Cinémarseille


A U P R O G R A M M E C I N É M A

Midnight in Paris de Woody Allen e

Le parc de la mairie accueille la 18 édition du festival Simiane sous les étoiles. Une nouvelle programmation à ciel ouvert, introduite par le concert de l’ensemble Kirby Memory (5 juillet), en hommage aux orchestres swing des années 40. Le duo complice formé par Jean Marc Marroni (accordéon) et Cécile Becquerelle (chant, danse) offrira un tour du monde musical à travers un concert théâtral, Accordéon, l’accroche au cœur (6 juillet). La comédie romantique Minuit à Paris de Woody Allen sera projetée gratuitement, le 7 juillet à 22h. Dans le cadre du Festival d’Aix, le quatuor Tana (8 juillet) proposera un programme mêlant subtilement les univers de Debussy et Yan Robin. du 5 au 8 juillet Parc de la mairie, Simiane Collongue 04 42 22 62 34 www.simiane-collongue.fr

Escales en plein air Écrans voyageurs propose à nouveau de grands moments cinéphiles à savourer en famille et en plein air. La première escale de juillet, se déroule à Martigues (le 5) pour la projection, sous le viaduc ferroviaire, au bord du chenal de Caronte, de Toni de Jean Renoir sur le lieu même du tournage de la scène finale ! La seconde escale aura lieu le 12 juillet à Gardanne au carreau de la mine du puits Yvon Morandat, où sera présenté 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Avant la projection, une visite du site minier et de l’exposition, interactive et ludique, Tribul@tions d’une goutte d’eau sera possible jusqu’à 21h30. 04 91 91 07 99 http://ecransvoyageurs.blogspot.fr Toni de Jean Renoir

Les intensités de l’été Vive la culture gratuite et en plein air ! Le MuCEM propose quinze rendez-vous culturels dans les espaces extérieurs du Fort Saint-Jean. Il y aura parmi les films projetés Bal el Oued City de Merzak Allouache (le 30 juin) ou encore L’Étranger réalisé par Luchino Visconti (5 juillet). Ce dernier fait partie d’un temps fort intitulé Pourquoi Camus ? programmé les 5 et 6 juillet. Pour cette occasion, des projections, rencontres et débats seront proposées autour de l’œuvre d’Albert Camus. Sera proposée le 29 juin, dans le cadre du cycle cinéma Méditerranée(s), une traversée en images, une soirée dédiée à l’actrice emblématique Lucia Bosé, avec des films rares tels que Mort d’un cycliste de Juan Antonio Bardem (1954). du 14 juin au 31 août Fort Saint-Jean, Marseille 04 91 59 06 88 www.mucem.org

L’Etranger de Luchino Visconti

Force scandaleuse du passé Le FIDMarseille, Alphabetville, l’INA et le cipM continuent de rendre hommage à l’œuvre de Pier Paolo Pasolini jusqu’au 8 juillet. Parmi les films du cinéaste projetés au CRDP, il y aura par exemple La Ricotta le 20 juin ou encore La Terre vue de la Lune le 29 ainsi qu’une autre projection de Mama Roma au MuCEM, le 28 juin. La Friche Belle de Mai accueillera les Nuits des lucioles, les 22 et 23 juin. Un programme nocturne composé d’archives audiovisuelles, de textes lus, d’entretiens autour de l’œuvre de Pier Paolo Pasolini, et d’une projection unique du film Cendres de Pasolini d’Alfredo Jaar. 04 91 91 26 45 www.mp2013.fr

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Simiane sous les étoiles

Robert Guédiguian à l’Alhambra Du 19 au 23 juin à La Criée puis 23 au 30 à l’Alhambra, soit 12 jours retraçant trente années de carrière à travers l’intégrale des films de Robert Guédiguian. Du quartier de l’Estaque où fut tourné son premier film Dernier été en 1980 (23 et 29 juin) à Martigues pour Dieu vomit les tièdes (20 et 27 juin ) en passant par Aix-en-Provence avec Lady Jane (20 et 24 juin). Au total, ce sont 17 films qui seront projetés en présence de membres de la «tribu». Des séances en plein air sont également organisées ainsi que des visites guidées sur les lieux des tournages ! du 19 au 30 juin La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com L’Alhambra, Marseille 04 91 03 84 66 www.alhambracine.com www.mp2013.fr

Les classiques de l’été Chaque été, l’Institut de l’image propose une programmation des grands classiques du cinéma tels que Miller’s crossing des frères Cohen (du 26 juin au 11 juillet) ou encore L’étrange créature du lac noir de Jack Arnold (11 et 16 juillet). Les spectateurs pourront aussi découvrir trois œuvres restaurées de la réalisatrice italienne Lina Wertmüller parmi lesquelles Chacun à son poste et rien ne va (6 au 22 juin). La sélection «ciné des jeunes» permettra aux apprentis cinéphiles de visionner des œuvres telles que La dernière licorne d’Arthur Rankin (8 juillet). Pollack, Ozu ou Pasolini, autant de réalisateurs qui seront à l’honneur ainsi que la première adaptation de Gatsby le magnifique par le cinéaste anglais Jack Clayton en 1974. du 5 juin au 30 juillet Institut de l’image, Aix-en-Provence 04 42 26 81 82 www.institut-image.org

Projection à la Villa Méditerranée La Villa Méditerranée projettera le premier long métrage de Lamine Ammar-Khodja, Demande à ton ombre, qui a obtenu le prix du meilleur film au FID de Marseille 2012. Après avoir passé huit ans en France, le cinéaste retourne en 2011 à Alger, au moment même où l’Algérie connaît une révolte éphémère. Perdu, il s’interroge sur les tensions qui l’entourent et décide de donner à voir une autre vérité que celle des médias. le 25 juin Villa Méditerranée, Marseille 04 95 09 42 52 www.villa-mediterranee.org


Celestial Wives of the Meadow Mari d’Alexey Fedorchenko

FID sous influence Le FID Marseille, sous la présidence d’honneur du cinéaste taïwanais Tsai Ming-liang, accueillera pour sa 24e édition près de 150 invités, 124 films venus de 36 pays… Un festival de premier plan, mêlant depuis peu fictions et documentaires, «pour partager avec tous les publics les aventures artistiques d’aujourd’hui.» Avec en ouverture, à La Criée, un film russe, Celestial Wives of the Meadow Mari, 23 portraits d’épouses du peuple mari, d’Alexey Fedorchenko.

En compétition Le jury de la compétition internationale présidé par le cinéaste japonais Nobuhiro Suwa devra choisir entre 16 films, venus de Slovénie comme A girl and a tree de Vlado Škafar, du Chili comme Ver y escuchar de Jose Luis Torres Leiva, ou de Belgique avec The Joycean Society de l’artiste espagnole Dora Garcia, qui nous fait partager la vie d’un groupe de lecteurs de Finnegans Wake de James Joyce, qu’ils commentent page par page. Quant au jury de la compétition française, composé d’une majorité de femmes, «parce que le regard des femmes est très important» précise le Délégué général Jean-Pierre Rehm, il est présidé par la cinéaste suisse Ursula Biemann : il aura 11 films à voir dont 4 premiers films parmi lesquels Instructions pour une prise d’armes de Laurent Krief, ou La Buissonnière de Jean-Baptiste Alazard, périple de deux jeunes sur les routes de France.

Pasolini, Saint-Patron 2013 L’évocation de Pier Paolo Pasolini marque cette édition, on le devine dès l’affiche, qui reproduit et détourne un article publié au lendemain de la mort du cinéaste, intitulé «Come esem-

pio, no !». Tous les écrans parallèles confirment l’hommage rendu. Théorème, titre du film emblématique proposera outre des œuvres du cinéaste, des classiques comme Duo de Nobuhiro Suwa et des films récents comme Dans un jardin je suis entré d’Avi Mograbi ou Annonces de Nurith Aviv, une séance SCAM. Dans Lucioles, on pourra voir, outre La Ricotta ou Il Decamerone, Femmes femmes de Paul Vecchiali qu’admirait beaucoup Pasolini, et In The Land of the Head Hunters, un film muet d’Edward S. Curtis accompagné par Rodolphe Burger. Autres écrans ? Descriptions de descriptions avec Tarr Béla, I used to be afilmmaker de JeanMarc Lamoure ou Ramallah de Flavie Pinatel. Inferno avec une séance exceptionnelle accueillant Rabih Mroué pour une performance sur les images contemporaines de la guerre. L’écran Chœur, consacré au son, permettra de voir, outre Accattone et Mama Roma, The Breath Courses Through Us, un documentaire d’Alan Roth sur le New York Art Quartet, avec le FJ5C. Dans le programme Les Sentiers, la Terre vue de la lune, Fotokino propose des courts métrages pour petits et grands. Sans oublier le Fid lab, Fid Campus, les rencontres avec réalisateurs, la table ronde Festmed, les séances spéciales comme Los ultimos Cristeros de Matias Meyer avec l’ASPAS, Le Pendule de Costel de Pilar Arcila avec MP2013 ou les séances en plein air, au Théâtre Silvain ; L’étroit mousquetaire de Max Linder accompagné au piano par Nicolas Cante. ANNIE GAVA

FID Marseille du 2 au 8 juillet 04 95 04 44 90 www.fidmarseille.org


Annoncée comme l’événement de l’année Marseille Provence Capitale européenne de la Culture 2013, le Grand Atelier du Midi assume ! Et bien que partagée entre les deux principales villes régionales, l’exposition joue bien son rôle d’évènement à grande visibilité

66 A U P R O G R A M M E

Peindre au soleil

A R T S

La modernité est-elle née dans le sud de la France ? Le Grand Atelier du Midi tend des pistes avec une importante et réjouissante sélection de près de deux cents peintures réparties entre Marseille et Aix-en-Provence, et complétée avec un petit tour par Martigues.

Scénographie

Dès les premiers pas les visiteurs, très nombreux dès les premiers jours, peuvent apprécier la scénographie élégante à la hauteur des œuvres présentées : elle est d’une facture devenue un classique du genre aujourd’hui, et signée pour les deux expositions par l’agence Saluces Design et Loretta Gaïtis. Même si on peut ergoter sur l’aspect monumentalisant de certaines cimaises et portiques, des rehauts dorés un tantinet provinciaux, quelques reculs étroits malgré les jeux de perspective, le travail sur la mise en lumière est des plus remarquables, comme on aimerait le voir plus souvent de ce côté-ci des musées.

Forme et/ou couleur

V I S U E L S

Raoul Dufy, Bateaux et barques à Marseille, 1907, huile sur toile. Coll. privée © Adagp, paris 2013

La répartition thématique forme/couleur voulue par les commissaires Marie-Paule Vial et Bruno Ely ne saute pas franchement aux yeux de l’amateur. La question de la forme devait apparaître au Musée Granet, celle de la couleur plutôt au Palais Longchamp ; de fait elles travaillent bon nombre de ces artistes, qu’il s’agisse du paysage et de la structuration du tableau initiée par Cézanne, la valeur expressive de la couleur réclamée par Van Gogh, l’incidence de la lumière sur cette dernière mais aussi sur la forme et la perception/restitution de l’espace. Matisse résoudra à sa façon ce dilemme historique dans la dernière partie de sa vie avec ses papiers découpés. Le catalogue est alors un précieux auxiliaire pour qui souhaite cerner plus avant les nombreux enjeux esthétiques entamés dès la fin du XIXe siècle avec toutes les incidences sur l’art à venir. Pierre Bonnard, La terrasse ensoleillée, 1939-1946, huile sur toile. Coll. particulière © Adagp, Paris 2013


Plusieurs publications accompagnent l’évènement L’Atelier du Midi, avec la complicité de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn) : ☛ le catalogue commun aux deux expositions, ouvrage collectif, 304 pages, 320 illustrations, 39 € ☛ l’album de l’exposition par Cécile Maisonneuve, Rmn et Communauté du Pays d’Aix/Ville de Marseille, 9 € ☛le DVD , coédition Rmn/ARTE France, de Florence Mauro, 19,90 € ☛ hors série Découvertes-Gallimard, Les ateliers du midi, par Marie-Paule Vial, 8,90 € ☛ et le catalogue de l’exposition martégale Dufy, de Martigues à l’Estaque, Editions Snoeck/Musée Ziem Maria Elena Viera Da Silva, Marseille Blanc, vers 1931, huile sur toile. Baden Baden, Musée Frieder Burda. © Museum Frieder Burda, Baden-Baden © Adagp, Paris 2013

Au bonheur des œuvres

Ce grand atelier du midi, comme le rêvait Van Gogh lui-même, constitue aussi l’occasion d’estimer ces expérimentations multiples empruntées par les peintres. On peut suivre ainsi l’itinéraire de Raoul Dufy présent dans les trois musées, dont une exposition monographique au musée Ziem de Martigues : on aimerait plonger plus avant, et on regrette qu’elle soit contenue à un seul étage ! Parmi les Impressionnistes, Nabis, Pointillistes, Fauves ou Cubistes, l’opportunité nous est donnée de voir des tableaux plus rarement montrés tel ce vibrant Henri-Edmond Cross ou les Rysselberghe, Soutine, Camoin, comme la rencontre avec des œuvres plus singulières comme cet ésotérique Paysage méditerranéen de Victor Brauner ou l’hallucinante Pêche au thon de Salvador Dali. La beauté lumineuse et encore préservée, de la côte catalane à la Provence et la Côte d’Azur, aurait suggéré quelque utopie d’Eden pour Bonnard, Friesz ou Picasso, l’Arcadie retrouvée comme le souligne Marie-Paule Vial.

Dernier coup d’œil

Le musée des Beaux-arts/Palais Longchamp vient de bénéficier d’une très longue mais heureuse restauration, après une très très longue et malheureuse fermeture… On pourra dès février 2014 y voir enfin exposer le fonds romantique et classique des Musées de Marseille, enfin restauré, dont seuls les Marseillais de près d’un demi-siècle se souviennent de la richesse. Avant de quitter se retourner vers les fresques de Puvis de Chavannes, dont Signac s’imaginait poursuivre le projet de grande peinture décorative. Mais en ignorant le dauphin rose bonbon pataugeant tout seul dans le bassin principal de l’arrivée des eaux de Marseille, fonction première du Palais Longchamp. L’opiniâtre pourra poursuivre jusqu’à Aubagne pour les céramiques picassiennes (voir Zib’63) voire jusqu’au Cannet où s’est ouvert récemment le musée Bonnard, puis à Nice qui cet été célèbre Matisse en différents lieux. CLAUDE LORIN

67 A U P R O G R A M M E A R T S V I S U E L S

Le Grand Atelier du Midi jusqu’au 13 octobre De Cézanne à Matisse Musée Granet, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32 www.museegranet-aixenprovence.fr

De Van Gogh à Bonnard Palais Longchamp, Musée des Beaux-arts, Marseille 04 91 14 59 18 www.marseille.fr Exposition associée Dufy, de Martigues à l’Estaque Musée Ziem, Martigues 04 42 41 39 60 www.ville-martigues.fr www.grandatelierdumidi.com

Max Beckmann, Paysage de Cannes, 1934, huile sur toile. The San Francisco Museum of Modern Art – don de Louise S. Ackermann. © VG Bild-Kunst Bonn, Germany © Adagp, Paris 2013


Marseille

entre terre et ciel

A U P R O G R A M M E A R T S V I S U E L S

Adrian Paci, Home to go © Olivia Mistrih

to go où l’homme, dénudé, porte sa maison sur son dos courbé. Icare aux ailes plombées. Le même Adrian Paci qui, dans Back Home, recompose le passé de familles albanaises exilées en Italie à travers leur portrait photographique, la peinture des intérieurs de leurs anciennes maisons et le télescopage des deux «images» en une seule ! Saisissantes tranches de vies reconstituées. Quel que soit le chemin emprunté, il est ponctué d’œuvres «en mouvement» qui disent les enjeux du monde. The Complete 21th Century de Dan Perjovschi, installation de 13 parois de verre à traverser autant qu’à déchiffrer ; le mur brulé du collectif Claire Fontaine dénonçant les propos de G. Bush après le 11 septembre («They hate us for our Freedom») ; le poème en verre de Giuseppe Caccavale et Erri de Luca (Scrittoio, Istituto di traduzione, parte II). De contrepoints en contrepoints les œuvres

abordent la spiritualité, l’écologie, la mémoire familiale, la confusion des genres… C’est le dernier voyage filmé par Mounir Fatmi (Sleep Al Naim), le geste chorégraphique dessiné à la craie blanche par Robin Rhode (vidéo Harvest) ou la nature qui reprend ses droits, surgie d’un mur de défense monté à l’extérieur par Mona Hatoum (Jardin suspendu)… Toutes invitent à traverser le pont pour atteindre le monde ! MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Exposition, projections vidéos et films au ciné[Mac] avec le FID Marseille jusqu’au 20 octobre [Mac], Marseille 04 91 25 01 07 www.lepontlexpo.com http://mac.marseille.fr

En plein dans la mire ! Yazid Oulab avait déjà investi les quartiers nord marseillais en 2009 en accrochant sur les murs de la Cité de la Bricarde des «étagères de curiosités». Au Centre Richebois l’artiste franco-algérien a animé un atelier artistique pour sept hommes et une femme en formation FLB (français langue de base), d’origines et de langues différentes. Ce centre spécialisé pour l’insertion de personnes handicapées veut aussi socialiser les stagiaires et les ouvrir à l’art et la culture. Durant 6 mois Yazid Oulab a créé avec eux des outils adaptés, qui ont fait naître des œuvres. Ainsi ils ont dessiné avec des perceuses, en remplaçant la mèche par un bâton de graphite, donnant un trait tremblé et habité. Partant de L’homme de Vitruve de

Leonard de Vinci ils ont réalisé des dessins très personnels exposés dans le conteneur qui leur a servi d’atelier. Ils ont aussi fabriqué et Yazid Oulab, centre Richebois © Chris Bourgue

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New York et son célèbre Brooklyn Bridge, Marseille et son Pont Transbordeur. Deux métropoles façonnées par les flux migratoires qui ont inspiré à Thierry Ollat, directeur du [Mac], l’exposition Le Pont : «Les artistes ont été les éclaireurs d’un mouvement global qui concerne aujourd’hui tout le monde.» Deux villes qui fascinent et ont en partage le même questionnement sur la complexité du melting-pot : «Comment les gens vivent l’expérience du déplacement, de la migration, de l’invention du monde ? Comment la parole de l’artiste appréhende l’espace public ? Quelle énergie vitale les habite ? Comment s’exprime le sentiment d’appartenance ?»… En invitant 145 artistes de 40 nationalités, en associant 22 projets disséminés dans la ville, le [Mac] renoue avec l’ancien pontos des Grecs qui évoquait la mer «comme un lien entre les civilisations et sa traversée comme une aventure». Ici l’aventure commence avec des murs peints en jaune Gauguin éclaboussés des tracés fracassants de Mitja Tusek : Heaven/Hell/ Earth, Liberty/Tyranny et Luxury/Poverty. Puis deux possibles parcours s’offrent au voyageur. L’un évoque l’idée du chemin collectif vers la liberté en questionnant les raisons qui propulsent les gens à quitter leur pays, et prend son envol dans le face-à-face entre le film de Moholy-Nagy Marseille Vieux-Port réalisé en 1929 et In the Street de Helen Levitt de 1943. Un bref aller-retour Marseille-New York en quelques images noir et blanc. L’autre est intrinsèquement lié à l’expérience intime et interroge l’individu face au monde, à l’instar de la sculpture de Adrian Paci Home

façonné du fil de fer barbelé pour former des mires. Disposées sur la rambarde de la terrasse qui domine la mer, elles visent le large

en une métaphore du dépassement de soi. Parallèlement Yazid Oulab a réalisé deux oeuvres personnelles : une sculpture de métal qui tient de l’astrolabe et de la boussole tout en reprenant l’image de la mire, et un abri de tuiles en hommage aux maghrebins venus travailler dans les Tuileries Monier, partenaires du projet. Un beau travail qui parle d’horizons nouveaux, réalisé dans le cadre des ateliers de l’Euroméditerranée. CHRIS BOURGUE

jusqu’au 31 décembre (sauf en août) Centre Richebois, Marseille 16e www.voyonsvoir.org www.centre-richebois.com


Le PACte de confiance Felix Pinquier a la galerie Karima Celestin, en arriere-plan oeuvre de Mustapha Sedjal, PAC 2013 © MGG Zibeline

3 jours, 3 parcours, 3 quartiers et un vrai coup d’éclat ! C’est désormais une réalité : la greffe du Printemps de l’Art Contemporain a pris tant du côté du public en progression constante (5 000 visiteurs en 2010, 14 300 en 2012 et plus de 19 000 en 2013) que des lieux (40 membres de Marseille Expos ou cooptés pour l’événement). Dont certains ne devraient pas tarder à intégrer le réseau à l’instar de la galerie Karima Célestin qui, en moins d’un an à La Plaine, s’avère être une vraie tête chercheuse. La preuve avec cette production collective où s’entrecroise Mustapha Sedjal dont les sculpture, dessin et vidéo usent de l’origami pour aborder le thème douloureux de l’exil, Félix Pinquier qui entretient «un rapport quasi typographique avec (ses) images associées aux sons», Cari Gonzalez Casanova qui évoque le Triangle des Bermudes, de la naissance du mythe à son rapport à la réalité. Ou encore la Straat galerie qui présente les Tas sériels de Nicolas Nicolini, jeune artiste marseillais installé à Berlin, objets «défigurés dans le cadre de l’expérimentation picturale». Ainsi le PAC donne aux artistes l’occasion de dialogues féconds ! Cécile Beau et Mayura Torii (à l’affiche de l’expo Le Pont au Mac) investissent la galerie des Grands bains douches de la Plaine avec maestria tandis qu’à la galerie Territoires partagés, Lorraine Châteaux, Géraldine Py & Roberto Verde et Justin

Sanchez tirent leur épingle du jeu de l’étroitesse du lieu en combinant formes et propositions. En solo show, Séverine Hubard casse la baraque à l’Histoire de l’œil avec l’installation

d’un tunnel, Ni vu ni connu, reliant visuellement la rue au jardin intérieur par le jeu d’une passerelle en bois. Vidéos de ses performances et sculpture complètent cette proposition forte et singulière. Impossible, donc, d’ignorer cette 5e édition qui tisse une toile bien visible à travers un parcours balisé de galeries en atelier (occasion rare de pousser la porte de Tohikebe, spécialiste de la sérigraphie, pour sa Carte blanche à Berdaguer & Péjus), d’institutions (Cirva, Cipm, Frac) en boutique (street art chez Agnès B. avec Dépaysement, escale 3 de Lek et Sowat), de maisons d’édition (Le Dernier cri avec Hollywoodoo et Panos, les éditions P avec Fournitures de Mathieu Provansal) en extérieur (Voyons voir-art contemporain et territoire)… Le petit plus du PAC ? Il donne le temps au public de se familiariser avec la création contemporaine dans toute sa diversité et sa vitalité -plus de 150 artistes- puisque certaines expositions jouent les prolongations jusqu’au 29 juin. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Le PAC a eu lieu du 17 au 19 mai à Marseille Programme complet sur www.marseilleexpos.com

Cueillez dès aujourd’hui... Pour sa 5e édition, le Festival des Arts Éphémèresa choyé son public. Dans une verdure particulièrement éclatante cette année, le magnifique parc à l’anglaise de Maison Blanche déployait les œuvres d’une vingtaine d’artistes reconnus, ainsi que celles de plusieurs étudiants et élèves des ateliers publics de l’École Supérieure d’Art et de Design Marseille-Méditerranée. Pour Jean-Louis Connan, directeur de l’ESADMM et commissaire de l’exposition, l’important est de concilier lors de cet événement exigence artistique, transmission des savoirs, et pratiques amateures. Un pari tenu, avec l’ambition de présenter à chaque fois un travail original, qui s’intègre dans ce contexte particulier : «Et pas seulement du land art, comme on le pense souvent quand il s’agit d’œuvres exposées en milieu naturel. Elles sont parfois très industrielles ou architecturales !» C’est le cas de la carcasse de jetski de Boris Chouvellon, fossile d’une «nuisance bruyante» per-

chée dans le silence des feuillages, ou bien de la serre élaborée par Frédéric Pradeau, aux dimensions précises : 31,3 m2, soit l’espace moyen par habitant de Marseille. Un «révélateur de frustration, ce sentiment éphémère -heureusement !- car c’est ce qui nous permet de tenir le coup». Sur la pelouse un peu plus loin, les Ongles de Laurent Perbos, plaques de métal vernies évoquant aussi bien une denture rouge de bétel, et une fiction provocante : Didier Tallagrand a posé un panneau prévoyant «Ici et bientôt» la construction d’un canal et la «reconstruction paysagère» du site, avec rapprochement artificiel... de la Sainte-Victoire. Le parcours sous les couverts du jardin est l’occasion d’une belle découverte : réalisation collective de l’atelier La Sauvagère dirigé par Christiane Parodi, son Cabinet de curiosités happe le passant avec délicatesse pour lui laisser un parfum salé d’aventures marines. C’est la trace du projet Ulysses, l’itinéraire d’art contem-

ne Parodi © G.C ere dirige par Christia tes, atelier La Sauvag le Cabinet de curiosi

porain conçu par le FRAC PACA pour la Capitale européenne de la culture. Notre principal coup de cœur va cependant à la motte de terre qui respire de Caroline Le Méhauté intitulée Grow grow grow, dont on ne sait si elle prélude à l’extraction d’un golem ou si elle figure Gaïa en pleine méditation. Une œuvre dotée d’un impact profond, qui ne

se donne pas instantanément, mais trouble autant qu’elle invite au recueillement. GAËLLE CLOAREC

Le Festival des Arts Éphémères a eu lieu du 23 mai au 13 juin dans le Parc de Maison Blanche, Marseille

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Fondus au noir Pour leur 44e édition les Rencontres Arles Photographies se la jouent au noir et la font sans blanc à l’anglaise pour s’intituler Arles in black. Avec du beau monde et inévitablement de la nostalgie (Lartigue, Larrain, Bourdin), de l’inédit pour une série de tirages signés Hiroshi Sugimoto en guest star (et des impressions Hermès sur soie, un des mécènes ?) ; de l’historique, Gordon Parks ; de la facétie, Gilbert Garcin ; des virages couleur au N&B, Pieter Hugo ; les étonnements des nominés du Prix Découverte 2013… On s’interrogera au théâtre d’Arles avec un colloque : Peut-on penser aujourd’hui encore une esthétique du noir et blanc pour la photographie ? (réponses dans les expos ?) et un séminaire pour suivre La photographie à rebours : Les Paradoxes des pratiques d’aujourd’hui. Côté nouveautés : une Vente aux enchères publiques de photographies des 19e et 20e siècles le 3 juillet et sur le net Les Rencontres on line : plateforme multimédia et de partage donnant accès à l’histoire des Rencontres, en particulier les archives audiovisuelles Ina à partir de 1970. La Nuit de l’année se déplace aux Salins de Giraud comme les Voies Off sacrifient au rituel de la cour de l’archevêché : les fameuses populeuses projections migrent nuitamment du centre pour le quartier Griffeuille (lire aussi p. 71) sous la thématique Rester Partir, le voyage impossible : Brigitte Bauer avec un documentaire de création Three of us, des projections en partenariat serbe, turc et égyptien. Dans la galerie le photographe turc Yusuf Sevinçli expose Good Dog. Avec L’Atelier du Midi on part en Caravanes, mêlant clichés d’amateurs et professionnels (Clergue, Aroussi, Milovanoff, Plossu…) sur la route des vacances, des migrations ou vers des refuges plus défavorisés. L’Atelier Archipel en Arles accueille François Talairach puis Caroline Robe, Fabrice Poiteaux et Patrice Deregnaucourt. Thibaut Cuisset est au Magasin Electrique et à la galerie Espace pour l’art avec un nouveau livre consacré à la Camargue aux éditions Actes

© Arno Rafael Minkkinen, Fosters Pond, 1989, au Parc des Ateliers/Arles in black

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à partir du 1er juillet Les Rencontres Arles Photographie www.rencontres-arles.com

Festival Voies Off www.voies-off.com L’Atelier du Midi www.atelierdumidi.com Atelier Archipel en Arles www.atelierarchipelenarles.com

Comptoirs Arlésiens de la Jeune Photographie www.comptoirsarlesiens.com Espace pour l’Art www.espacepourlart.com

! cid © Bertrand Desprez à L'Atelier du Midi pour le projet Caravanes 2013

© Boris Eldagsen, Poem #55, sélection Prix Voies Off 2013

Sud. Marie Maurel de Maillé, Françoise Nuñez, Jean-Michel Fauquet passent un Étrange Été aux Comptoirs Arlésiens. C.L.


De pierre et d’art Pendant que les préparatifs des festivités photographiques battent leur plein au centre d’Arles, plus loin l’unique projet de la ville labellisé Quartiers créatifs/Marseille 2013 n’est pas perdu pour tout le monde À l’écart du centre de toutes les attentions culturelles et touristiques le quartier populaire Griffeuille, en cours de réhabilitation renoue avec une certaine joie de vivre en commun. Pour quatre mois encore. Le collectif artistique Les Pas Perdus s’y est installé pour développer un projet spécifique avec ses habitants dès 2012. On avait pu suivre un parcours composé de panneaux figurant un arlésien(ne) en prise avec un gros rocher, pour débouler dans cet ensemble HLM des années soixante, sans qualité architecturale, encore moins patrimoniale, plutôt morose, avec sa cohorte de dérives sociales. Et le résultat visible n’avait pas plu à certains : des bassines en plastique rose ou bleu vif, panières désuètes maronnasses, gamelles bosselées, guidon de vélo, plaques de formica, miroirs piqués, amassés autour d’une hallucination de cabanon (plutôt qu’un mas), le MasToc, qu’entourent une centaine de blocs de pierre (allusion aux anciennes carrières proches) complétés d’objets incongrus. Support d’inventions créées par les habitants accompagnés dans

leurs désirs sur le mode «épouser la proposition de l’habitant» aime à dire Guy-André Lagesse : «Le rocher est ici un objet d’ancrage, une forme particulière d’objet transitionnel pour un collectif constitué le temps d’une rencontre entre artistes et «occasionnels de l’art»». De pesant et inconfortable il est devenu léger, transformé en lieu d’accueil comme cette brouette pivotante inclinée pour voir vers le ciel, le soleil, les étoiles, «pour s’échapper de tout ça» (Françoise montre le quartier). Car pour quelles raisons, selon quels modèles culturels, ces pierres brutes aménagées par ces MastoCoeurs seraient-elles moins authentiques qu’une fraction de César exhibée à l’envie dont la vérité n’est pas intégralement attestée ? Il y a là erreur sur la beauté, l’officielle, reconnue, échangeable -à moins que ce ne soit sur la question du laid-. Sur la place Jules Vallès la concrétude et la symbolique du roc outrepassent l’idéal antique taillé dans le marbre ou la destinée dramatique de Sisyphe (le vélo selon Janine). Il est aussi une voie pour conju-

71 le MasToc, Les Pas Perdus, Griffeuille, Arles, 2013, vue partielle © C. Lorin/Zibeline

rer ce qui semble fatal : «Ce qui me plait c’est que ce n’était pas écrit d’avance» insiste JeanPierre. Ce que la créativité vernaculaire nous apprend de chacun réactivant lien social et bienveillance, bouscule aussi les habitudes de nos représentations. Certains tiquent sur ce Mas (soi-disant) Toc et notamment sur son coût (1) attendant légitimement autre chose des plans de rénovation. Mais contribuer à revaloriser ce qu’il y a chez et en soi n’est pas inutile pour retrouver un peu de dignité. Ne masquons pas les rôles. Ni l’art, ni la culture, ni l’éducation ne peuvent se substituer aux responsabilités et aux décisions de l’économique et du politique.

«L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art» exauçait Robert Filliou. On a commencé à Griffeuille. CLAUDE LORIN 1 Budget en cours : 225 000 € dont 100 000 MP13, ville d’Arles 45 000, ACCM 28 000, SEMPA 15 000, Les Pas Perdus 15 000 + appuis techniques et matériels d’entreprises

Le MasToc jusqu’au 29 septembre Quartier Griffeuille, Arles 04 91 50 07 38 www.lespasperdus.com www.MP2013.fr

Photo’med… et le temps se fige

S’il ne fallait retenir que trois expositions parmi la myriade proposée par Photo’med, c’est sans nul doute le focus sur la scène libanaise, la rétrospective Nino Migliori et l’hommage à Gabriele Basilico, décédé le 13 février alors qu’il préparait Ossessione Urbana. Une exposition qui, à l’Hôtel des arts, résonne comme un testament photographique : Gabriele Basilico avait choisi neuf villes méditerranéennes dont il avait réalisé des «relevés photographiques» à différentes époques de sa vie. Valence, grand corps malade dont il souligne le désarroi, la solitude et le gâchis immobilier ; Beyrouth, Palerme, Rome, Naples… villes fantômes, meurtries, endormies où il traquait l’humain, désespérément, et où le jour ressemble à la nuit. Autre géant italien, Nino Migliori dont l’exposition embrasse 65 années de travail quotidien, sans cesse renouvelé : «La photographie, dit-il des étincelles plein les yeux, est plus proche de la littérature que du monde de l’art. C’est une manière de tra-

Signatures © Fouad Elkoury (Liban)

vailler qui correspond plus à une recherche linguistique qu’esthétique.» À regarder ses travaux, depuis Gens d’Emiglia de 1957 jusqu’à ses dernières expérimentations, on mesure son désir «de faire un pas en avant à chaque fois» et son immense curiosité pour les tendances les plus modernes. Celles exprimées notamment par les jeunes pousses

repérées par Tony Hage, photographe et commissaire de l’exposition La jeune photographie libanaise qui met en lumière les broderies surréalistes de Lara Zankoul («une mise en scène qui contredit la photographique qui documente la réalité»), les photos sombres et théâtrales de Joanna Andraos prises à l’intérieur du Palais Linda Sursok («ce qui m’intéresse ce sont les traces, pas la guerre»), les scènes sociales contrastées de Mazen Jannoun et, à l’opposé, les autoportraits arides de Tanya Traboulsi «sur le thème de la solitude et de l’intimité avec soi-même». En marge de cette scène émergente, la présence de Fouad Elkoury témoigne de la longue tradition de la photographie libanaise. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Photo’med a eu lieu du 23 mai au 16 juin à Sanary, Bandol, Bendor et Toulon www.festivalphotomed.com

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Un Granet XXe siècle est né !

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Une chapelle du XVIIe entièrement dévolue au XXe siècle, tel est le nouveau visage du musée Granet à Aix qui s’offre une extension pérenne à deux pas de la place Saint Jean de Malte. La chapelle des Pénitents blancs a connu de multiples vocations (magasin de fourrage, école communale, palais des congrès) puis un long trou noir pour cause de désamiantage, jusqu’à sa réhabilitation lancé en 2007 par la ville puis la Communauté du Pays d’Aix en 2010. L’année où la Fondation Jean et Suzanne Planque de Lausanne signa une convention de dépôt pour 15 ans des œuvres réunies par son fondateur. Il ne restait plus qu’à métamorphoser la chapelle pour qu’elle accueille une partie de la collection en alternance : soit 166 œuvres sur 300, dont certaines ont été dévoilées en 2011 lors de l’exposition Collection Planque, L’exemple de Cézanne… Deux ans de travaux par l’équipe d’architectes de Jean Paul Bernard et Jérôme Duran on fait renaître la chapelle dans le respect des Bâtiments de France, démolir les ajouts bétonnés datant de 1971, dégager 700 m2 d’exposition (le musée Granet en compte donc au total 5 200 m2), redonner aux voûtes sur croisée d’ogives leur magnificence originelle. Sans oublier le travail scénographique de l’agence avignonnaise Saluces qui «a abordé l’architecture de manière simple et modeste en prenant le parti de se mettre au service des œuvres». D’où une signalétique sobre, des

© Carbonne JC service communication ville d'Aix

vitrines cloche avec verre antireflet pour le confort des visiteurs, des rails d’éclairage noirs visibles depuis les hauteurs qui valorisent les volumes, des cimaises verticales décollées des murs qui accentuent l’espace. Son inauguration est «l’aboutissement d’un vœu que Jean Planque formula quand il avait 40 ans, se réjouit le conservateur de la Fondation Florian Rodari, quand il voulut revoir Cézanne et s’installa à Puyloubier». Grâce à cette scénographie silencieuse, peintures (de Van Gogh à Dubuffet son ami), sculptures (Sorel Etrog ou Kosta Alex), œuvres sur papier respirent, leur lecture est limpide. Et la déambulation aisée parmi ses «artistes préférés», entre la nef centrale, les bas-côtés, la

Du bonheur dans la cité

Pendant que l’œuvre de Vasarely joue à Paris les premiers plans de l’exposition Dynamo, d’autres évènements plus discrets mais essentiels occupent la fondation d’Aix-enProvence Classée monument historique depuis mars 2013 et intégrée au plan Musées en Région, la Fondation Vasarely entame enfin sa première étape de réhabilitation. Parallèlement une exposition présente différents aspects de la démarche du pape de l’Op Art depuis ses premières recherches jusqu’à ses préoccupations architectoniques. Comme le soulignait son commissaire Jean-Claude Ameline, conservateur au Musée national d’art moderne, cette exposition prend tout son sens dans le lieu même où se sont finalisées les recherches du plasticien avec les quarante deux Intégrations monumentales. On a que trop retenu les jeux géométriques colorés, envahissant en leur temps l’espace marchand et occulté la dimension théorique et utopique dont le bâtiment aixois dans sa totalité se voulait une des manifestations exemplaires, ouvert en 1976. Le projet, confiait Pierre Vasarely, bien plus ambitieux, devait s’étendre au-delà sur le site du Jas de Bouffan, dans la perspective utopique de La Cité Polychrome du Bonheur qui ne vit pas le

jour tombée dans la nuit des promoteurs. L’exposition, qui commence fin années 30 avec les zèbres noir et blanc et un surprenant autoportrait à la technique perlée, jalonne les différentes étapes avec dessins, multiples, recherches plastiques et Prototypes-départ, outils d’exploration comme les loupes, matériaux de travail (papiers colorés prédécoupés par estampage manuel), docu-

Loupes de travail utlisées par V. Vasarely devant un Prototype-départ, Fondation Vasarely, 2013 © C. Lorin/Zibeline

«sacristie» tout entière consacrée à Picasso (un havre de quiétude) et les tribunes à l’esprit intimiste. C’est une belle ascension qui mène aux portes du cubisme et de l’abstraction, à l’image du chemin parcouru par Jean Planque qui abandonna sa pratique picturale pour devenir collectionneur, d’abord pour la galerie Ernst Beyeler, puis pour son seul plaisir. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Granet XXe siècle, collection Jean Planque Place Jean Boyer, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32 www.museegranet-aixenprovence.fr

ments audiovisuels, illustrant une approche méthodique développée à partir des années de formation au Mühely, une variante de Bauhaus hongrois. La partie plus didactique sur sa démarche et préoccupations sociétales est apportée dans le catalogue et un programme de médiations tous publics (1). La fondation devrait retrouver peu à peu sa vraie nature après une traversée du désert. En s’étonnant tout de même de l’absence de mécénat des grandes entreprises françaises de stature internationale dont l’activité serait naturellement en lien avec l’œuvre de Vasarely (bâtiment, industrie, chimie…) pour venir en soutien à ce projet de réhabilitation, eu égard à ce dessein novateur pour l’époque et exemplaire encore aujourd’hui. CLAUDE LORIN

conférence Denise René, vendredi 27 juin à 18h par Domitille d’Orgeval, commissaire associée de l’exposition Dynamo. 1

Victor Vasarely, de l’œuvre peint à l’œuvre architecturé jusqu’au 18 septembre Fondation Vasarely, Aix-en-Provence 04 42 20 01 09 www.fondationvasarely.org


Zône rouge

Invité de Salon-de-Provence dans le cadre de MP2013, l’artiste suisse Felice Varini s’offre une vue quasi imprenable depuis les hauteurs de la ville Deux cercles évidés par les toits mêle efficacement concept et signature artistiques (Viallat et ses haricots, les bandes de Buren…), prouesse technique, phénomène évènementiel (buzz photographique sur les réseaux sociaux assuré !). Le procédé employé par Felice Varini est connu (récemment à Paris, Genneviliers, Nantes). La formule ne surprend pas tout à fait mais fait son effet. Confronté à la multiplicité des plans contradictoires des façades et des toits, l’effet d’anamorphose ne se laisse pas entrevoir si facilement. Les tondi virtuels en feuilles d’aluminium autocollant semblent se disperser. Le contraste du vermillon est atténué par les nuances des toitures rouge brique quand un aplat semble manquer pour parfaire l’illusion circulaire de droite. Cependant le point de vue est photogénique qui ne pouvait échapper à l’artiste. Le visiteur, en position touristique sur ce site patrimonial est d’évidence sollicité par la vue panoramique. Cherchant à distinguer ces deux formes simples l’observateur se prend à scruter plus avant la canopée de tuiles anciennes, plans d’architecture de pierre jaune, examine le patrimoine bâti par le revers, les détails quotidiens fortuits, les modénatures sous d’autres lumières, poursuit à imaginer d’autres perspectives -sans atteindre pour autant le frisson des vertiges plafonnants du Baroque-. Qu’à cela ne tienne, tout l’été chacun pourra approfondir son expérience auprès de la médiatrice Joanne Romezin, sur réservation à l’Espace Robert de Lamanon. Après l’exposition Taysir Batniji, inaugurant ce nouveau lieu dédié aux arts visuels (voir Zib’63), les responsables de la culture prenaient sur les hauteurs de l’Empéri un autre risque avec cependant une certaine lucidité calculée. «La culture est là aussi pour bousculer les habitudes, pour faire découvrir d’autres façons de voir et de créer et surtout avec l’art contemporain. Il a sa place pour participer du renouvellement de la ville comme actuellement au quartier des Canourgues avec les réalisations de requalification conçues avec les gens du Cabanon Vertical» faisait remarquer Jean-Claude Fabre, élu à la culture et porteur d’autres projets dont la programmation n’est pas à ce jour tout à fait finalisée. Début juillet l’Espace Robert de Lamanon accueillera le salonais Raymond Reynaud pour une exposition monographique. C.L.

Double disque évidé par les toits jusqu’au 1 décembre Terrasse du château de l’Emperi, Salon-de-Provence 04 90 44 72 80 www.salondeprovence.fr

Felice Varini, Deux cercles évidés par les toits, Château de l'Empéri, Salon-de-Provence, 2013 © C. Lorin/Zibeline


Le temps de la marche

© Eric Bourret - Sainte-Victoire, Col de Vauvenargues, 1 janv 2011

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du 25 juin au 10 août Archives départementales 13, Aix 04 13 31 57 00 http://lefactotum.blogspot.com www.cg13.fr

Surgis de l’ombre La Galerie Alain Paire présente une exposition d’exception consacrée aux dessins, gravures et photographies en noir et blanc. Une chromatique réduite qui questionne le conservateur Florian Rodari sur les différentes façons de «transcrire la réalité à l’aide d’un seul binôme noir/blanc». La sélection d’œuvres illustre cette maîtrise… ce don développé par Claude Garache, Stéphane Brunner ou encore Henri Michaux. A-L.R. jusqu’au 27 juillet Galerie Alain Paire, Aix 04 42 96 23 67 www.galerie-alain-paire.com

A R T S

Pour Mandelstam © Pietro Sarto

Ann Veronica Janssens © Ann Veronica Janssens, Eglise Saint Honorat, Arles, 2013

V I S U E L S

Dans le cadre du programme «Images contemporaines/ Patrimoine» conçu par Le Factotum, l’exposition propose une vision intériorisée du territoire de notre département. Pendant trois hivers, Eric Bourret a arpenté la Sainte-Victoire, la Sainte-Baume et les Alpilles, trois montagnes emblématiques des Bouches-du-Rhône. Le photographe-marcheur réussit à sublimer ces paysages dans son rapport au corps et au temps méditatif. A-L.R.

Délaissant momentanément les cryptoportiques du centre ville, Laetitia Talbot (Espace pour l’art) a proposé à Ann Veronica Janssens de concevoir une œuvre in situ pour la chapelle Saint Honorat des Alyscamps. Ce lieu de spiritualité ultime résonnera avec l’esthétique habituellement lumineuse, quasi immatérielle de l’artiste. Vernissage le 4 juilllet à 18h15. C.L. du 5 au 31 juillet Chapelle Saint Honorat, Arles 04 90 97 23 95 www.espacepourlart.com

la Carte de Désorientation indispensable pour ces périgrinations camarguaises, dans tous les bons lieux d'Arles

In Situ 08 Habituellement centré sur le Mas du Grand Arbaud, Cultures Nomades Production étend son évènement annuel à la Camargue. Lors d’une carte blanche en résidence le Collectif Lieux Dits Scénographiques a conçu des éléments signalétiques et symboliques ponctuant trois parcours originaux pour renouveler notre regard sur le territoire. Lancement le 22 juin à 17h30 au Mas. C.L. La désorientation du 22 juin 31 août Arles et Mas du Grand Arbaud 04 90 49 89 10 www.culturesnomades.org



Christophe Bourguedieu De ses immersions à Marseille entre 2001 et 2009, le photographe se souvient «d’expériences très dures, même physiquement, car c’est une ville fermée, difficile à montrer». Il conserve une trentaine de clichés : virées en mer, séances de boxe, portraits, attachants dans leur banalité. Amis et lectures l’ont conduit à découvrir la cité phocéenne qu’il situe «au croisement de la métaphysique et du Mia»… M.G.-G. Serie Marseille © Christophe Bourguedieu

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Hors Série 4 Marseille hors du cliché ciel bleu et soleil au zénith… la ville s’explore aussi aux premières lueurs matinales ou sous les ambiances orageuses, temps gris et pluvieux que traduisent les tirages argentiques en noir et blanc du Collectif Hors Série. Signature du livre Un jour gris de pluie lors du vernissage le 28 juin à 18h30. C.L.

Barbidoll de Luc Barras © L. Barras

A U P R O G R A M M E

Marseille jusqu’au 13 juillet Atelier de Visu, Marseille 6e 04 91 47 60 07 www.atelierdevisu.fr

La lumière de Marseille du 28 juin au 5 juillet La Poissonnerie, Marseille 06 13 14 68 85 www.lapoissonnerie.wix.com © Xavier Vanlaere, tirage 24/30 manuel sur papier Ilford baryte Warmtone

Zarbie Dolls Artistes, anthropologues, philosophes et autres doctes personnes se penchent sur la poupée icône de la petite enfance au féminin et ses représentations. Les canons de beauté soufflés par les 29 cm de plastoc risquent de péter lors des trois temps forts les 20/6, 20/7 et 20/8 et les œuvres de Rebufa, Barras, Dumonteil, Garam, Peteuil, Bœuf, Grivaud, Piet, Megalo Raëpsaët, Vicedo, Maurel, Thiault, Govin Sorel. C.L. jusqu’au 31 août Galerie Andiamo, Marseille 04 91 95 80 88 www.assopoc.org

Marseille © Pablo Guidali

Marseille intime Deux photographes contemporains sont invités à partager leurs visions «intimes» de la cité phocéenne à la Galerie Hélène Detaille. Animés par la même passion, ils portent un regard aiguisé mais différent sur Marseille. Jean-Christophe Béchet redécouvre sa ville natale qu’il a quittée à l’aube de ses 21 ans. Pablo Guidali, quant à lui, tombe sous le charme d’une ville qui lui rappelle un peu Montevideo à l’énergie pourtant si particulière ! A-L.R.

du 20 juin au 24 août Galerie Hélène Detaille, Marseille 04 91 53 43 46 www.galeriedetaille.com



gethan&myles Comme un écho, une réponse, un questionnement du paysage formé par le travail de l’homme, Aevum -le passage de tempsest une suite d’œuvres créées aux Domaines Bunan par gethan&myles pour L’Art prend l’air. Avec, au cœur de chacune d’elles, le jeu entre la nature, l’humain et le temporal en hommage au terroir devenu un calendrier et le vin un témoin des saisons. M.G.-G.

Aevum du 4 juillet à fin septembre Domaines Bunan, La Cadière d’Azur 06 18 43 46 06 / 06 89 76 01 36 www.lartprendlair.fr

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Précarité, installation éphémère, Le Panier, gethan&myles, Marseille 2012 © gethan&myles

Patrick Sirot Dessinateur, plasticien et professeur à l’École supérieure d’art de Toulon, Patrick Sirot met en perspective une cinquantaine de dessins zoomorphes inédits avec des œuvres contemporaines du Musée d’art. Et réalise un dessin mural à l’échelle 1 d’un éléphant d’Afrique auquel il adjoint, au gré de son inspiration, quelques éléments perturbateurs… Autant d’interventions à découvrir en sauts de puce ! M.G.-G. La vie est un zoo jusqu’au 4 août Musée d’art, Toulon 04 94 36 81 01

© Patrick Sirot

A R T S V I S U E L S

A-part Devenu incontournable en quatre années d’existence sur le territoire des Alpilles, le festival pour sa quatrième édition interroge notre nature selon quatre axes : Mutations de notre nature humaine, animale végétale ou spirituelle/Cadrages et décadrages de tous nos sens/Manger et méditer sens dessus dessous : des natures digestes et indigestes/ La nature réinventée par elle-même : des sons et des formes. Réjouissances d’ouverture du 5 au 14 juillet. C.L. Réinventons notre nature par tous les sens du 5 juillet au 25 août Alpilles www.festival-apart-2013.com We come from nature, but..., 2011, installation néon. Courtesy de l'artiste et Anyspace gallery © Frederic Fourdinier

Centre Pompidou mobile à Aubagne © Sébastien Dugauguez

Pompidou à Aubagne Après Le Havre, Libourne, Nantes, le Centre Pompidou mobile effectue la dernière étape de son tour de France à Aubagne. Ce musée unique au monde, itinérant et gratuit, propose à travers le parcours Cercles et carrés de découvrir les œuvres majeures de la collection du Centre Pompidou. Les berges réaménagées de l’Huveaune auront la chance d’accueillir les artistes emblématiques de l’art abstrait des 20e et 21e siècles tels que Duchamp, Kandinsky, Buren, Morellet… A-L.R. du 29 juin au 29 septembre Les Berges, Aubagne 04 91 13 20 13 www.2013-paysdaubagne.com


© Ernest Pignon-Ernest

Mahmoud Darwich Qui mieux que Mahmoud Darwich pour représenter l’unité des peuples, et celle du peuple Méditerranéen en particulier ? Le poète, figure de proue de la poésie palestinienne disparu en 2008, fut à de nombreuses reprises l’invité des Écritures croisées, en 2003 notamment pour une rencontre entièrement dédiée à son œuvre. C’est donc tout naturellement que la Villa Méditerranée et les Écritures croisées soulignent la nécessité de rappeler le symbole qu’il fut et continue à être : celui de la poésie arabe et de la cause palestinienne, mais plus encore celui d’une légitime et pacifique revendication, celle de la dignité de son peuple. Pour poursuivre et approfondir la connaissance de cette œuvre, des écrivains, poètes, artistes et comédiens sont présents : la poétesse américano-libanaise Etel Adnan,

l’éditeur et essayiste franco-syrien Farouk Mardam-Bey et le voyageur et écrivain français André Velter ; Anne Alvaro, actrice, lira des extraits d’œuvres. En parallèle sont exposées les œuvres de Ernest PignonErnest, Parcours Mahmoud Darwich, Ramallah, 2009, des dessins qui rendent le poète vivant, présent sur les murs du check point de Qalandia, au coin d’une rue de Bethléem ou encore contre le mur de béton qui isole la Cisjordanie… Et c’est le Trio Joubran qui clôturera cet événement en musique. Mahmoud Darwich, un indien dans la ville le 23 juin de 18h à 22h Villa Méditerranée, Marseille Les Écritures croisées 04 42 26 16 85

Culture : 2014 ? La friche La belle de Mai et Marseille Provence 2013, en partenariat avec La Provence, Le Ravi, Libération, radio Grenouille et Zibeline, proposent 3 débats sur ce sujet. La première rencontre se penchera sur La reconquête des espaces publics, et sera animée par Olivier Bertrand, Libération, et Stéphane Sarpaux, Le Ravi, avec JeanLouis Fabiani, sociologue membre de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Nicolas Memain, improvisateur promenadologiste, guide touristique spécialisé dans l’attention pour les situations construites, enseignant marcheur à l’école d’Archi, et Corinne Vezzoni, architecte installée à Marseille qui a construit le Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM. Depuis le début de l’année, Marseille se découvre de nouvelles déambulations, de nouveaux publics. S’étonne

de se trouver si belle et si nombreuse en son miroir. Mais ce qui se passe en 2013 sera-t-il possible en 2014 ? Et comment comprendre les replis de certains territoires, confrontés à d’autres urgences que la culture ? Lorsque la Capitale sera finie, que restera-t-il ? Quels usages, quel partage, de l’espace public ? Quelles appropriations collectives ? La culture servira-t-elle la gentrification de la ville, ou ce que Marseille, grande ville populaire, a de profondément différent ? Qui cofonde la transformation de cet espace public ? Comment s’y empare-t-on de la question culturelle ? le 27 juin à 18h30 La Friche, Marseille 3e 04 95 04 95 04 www.lafriche.org


Il fait flamber Marseille

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Licencié en histoire, diplômé de l’école de journalisme de Marseille, Cédric Fabre vit de sa plume depuis vingt ans. Entre critiques littéraires (spécialité polar et SF), chroniques pour la presse institutionnelle et pour la presse rock, ateliers d’écriture, il a tout de même trouvé le temps d’écrire cinq romans, dont quatre sont aujourd’hui édités. Le premier est paru en 2000 dans la prestigieuse Série Noire (La commune des minots, SN 2577). En avril 2013, il publie Marseille’s burning, un polar stylé fortement empreint de ce qu’il nomme «surréalisme social». Cédric Fabre en parle comme d’une «caricature». Vraiment ? Ce roman qu’on lit d’une traite se situe à Marseille juste avant le début de l’année capitale et le regard qu’il porte sur la ville, sur les enjeux politiques et culturels locaux, est aigu.

Fabre Cedric Fabre © Caroline

fidèle aux mouvements rock et punk, pour leur puissance de subversion, leur insoumission. Phil, mon personnage, est un rocker dans la capitale du rap. Une façon pour moi de rendre hommage à tous les groupes rock marseillais. Des projets ? Une suite. J’aimerais tenir une sorte de chronique de Marseille et de ses contradictions. En m’orientant sans doute vers l’anticipation, ce qui me permettrait d’aborder des questions plus philosophiques. PROPOS RECUEILLIS PAR FRED ROBERT

À lire Marseille’s burning Cédric Fabre La manufacture de livres, 20,90 €

FRED ROBERT

Jonathan Coe était invité pour des Escales en librairies les 7 et 8 juin La plupart de ses romans sont disponibles en Folio (Testament à l’anglaise, Bienvenue au club, Cercle fermé…). Désaccords imparfaits est édité chez Gallimard (8,90 €)

Jonathan Coe © C. Helie Gallimard

Zibeline : Pourquoi avoir situé l’action de ce roman à la veille de 2013 ? Cédric Fabre : Parce que je trouve les politiques culturelles locales absurdes. Cette année, entre deux spots, il se passe quoi ? Où est la vraie convivialité ? Faire du minimal dans une ville voluptueuse comme Marseille me paraît un non sens. Je regrette aussi qu’on continue à ne pas favoriser les créateurs qui vivent et travaillent à Marseille. Le personnage du Gabian que j’ai introduit dans le livre est d’ailleurs inspiré d’un artiste d’ici, qui vend ses œuvres dans le monde entier mais n’a jamais pu exposer dans sa propre ville ! Votre roman brosse un portrait de la ville sans concession. Pourtant, on sent un véritable amour. Oui, j’aime cette ville. Outre son site merveilleux, elle offre un contre-modèle à la folie et à l’urgence ambiantes. J’aime les gens. C’est pour cela que je suis en colère contre les édiles, qui privent les Marseillais de leur ville, de leur espace public, de leur culture. Dans mon livre, derrière la farce et le jeu, se posent les questions de la communauté, du vivre-ensemble. Qu’est-ce qui se joue exactement avec l’idée de «métropole» ? C’est ce à quoi j’essaie de faire réfléchir. Plusieurs personnages sont originaires de Bosnie. Pourquoi ? Marseille’s burning fait suite à Dernier rock avant la guerre (éd. Rail noir, ndlr), qui se passait entre la Croatie en 1995 et Marseille en 2007. En 1995, dès qu’il y a eu le cessez-le-feu, je suis parti là-bas. Encore aujourd’hui, j’ai une histoire personnelle très sensible avec l’ex-Yougoslavie. Il y a aussi une BO importante, dont on trouve la playlist à la fin du livre : pas vraiment l’ambiance jazzy de certains romans noirs ! Le titre du roman fait référence, entre autres, au London’s burning des Clash. Je reste

So british

Les fans n’ont pas été déçus. L’escale de Jonathan Coe à Histoire de l’Œil, en VO brillamment interprétée par Marguerite Capelle, a été un grand moment d’élégance et d’humour britanniques. Teint très clair, yeux très bleus, cheveux très blancs, Coe incarne, verre à la main, cette Angleterre qui «craignant d’être considérée comme prétentieuse, envisage toujours les choses sérieuses selon le prisme de l’humour». Autodérision, tel semble être le maître mot de ce romancier célèbre (il est aujourd’hui étudié à l’université) à la modestie délicieuse. Interrogé par Pascal Jourdana à propos de Désaccords imparfaits, un recueil tout récemment paru de quatre textes courts, il déclare avoir «un peu honte» de cet ouvrage qu’il appelle une «plaisanterie». Lui qui écrit généralement des sommes et juge «plus facile d’écrire long» avoue avoir du mal à atteindre la concision, la simplicité et l’élégance nécessaires à l’écriture de textes courts. Il persiste pourtant et a révélé en avoir rédigé deux autres, non encore édités en France. Certains personnages de ses nouvelles se retrouvent d’ailleurs dans ses romans ; son projet étant de proposer un «panorama de la famille et de la société anglaises depuis les années 50», une sorte de Comédie Humaine ou de Rougon- Macquart à l’anglaise. Amateur de musique, il se passionne pour la composition. Voilà sans doute pourquoi il a consacré une très longue biographie à B.S. Johnson, auteur expérimental des années 1960 tombé dans l’oubli. Son «livre le plus personnel», un dialogue entre lui et Johnson sur la fiction romanesque. Afin de poursuivre une œuvre forte, pétrie d’humour et de cruauté, mais jamais cynique.


Makenzy Orcel © Chris Bourgue © Marit Roloff

Quinquennat Le 5e Festival du Livre de la Canebière vient de s’achever, et un tournant s’amorce. Cécile Silvestri, qui en assure la direction, le dit franchement : «La Canebière, c’est fatiguant. On se dirige de plus en plus vers des formes itinérantes, ce qui correspond de toutes façons à notre thème initial, le voyage. L’idée est de partir à la découverte de notre propre ville.» L’association Couleur Cactus qui porte l’évènement déploie énormément d’énergie, et reçoit peu d’aides : «Opter pour le nomadisme allège la logistique, les coûts, favorise les partenariats, permet de mélanger les publics, ce qui est au coeur de notre projet associatif.» Il est vrai que le format actuel semble avoir atteint ses limites : les libraires présents sur les stands vendent peu, car «les gens n’ont pas d’argent» ; les performances et conférences se font dans des conditions difficiles pour cause de pollution auditive importante, et les organisateurs sont las d’avoir à écarter les «cramés» du quartier ayant élu le kiosque à musique comme pissotière. Dès que le festival prend un peu le large, par contre, le public suit, alors même que la programmation a été étoffée pour l’année capitale. La rencontre littéraire avec René Frégni à l’Anse du Pont de la Fausse Monnaie a été un succès, de même que l’Atelier d’Écriture Nomade. On sent un appétit d’expression personnelle dans la population, de plus en plus prononcé ces dernières années. Parmi les partenariats noués par Couleur Cactus, l’Établissement Péniten-

cier pour Mineurs de Marseille, qui a créé un Pôle Artistique où l’écrit, «la forme la moins chère et la plus immédiate», est favorisé. Le dimanche 9 juin, l’atelier d’écriturepeinture-lessive proposé par l’association Tatem collait à merveille au thème de cette édition 2013 : le silence. Secrets légers, colères rentrées, non-dits à crier et maux à effacer ont retrouvé le chemin ancestral du lavoir en Provence. Et l’esprit collectif, ce qui était aussi le point fort de la performance pâtissière d’Özlem Sulak la veille, où chacun par solidarité a pu manger un morceau de livre censuré. Un partage de gâteau évoquant irrésistiblement le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury : en assimilant chacun sa part, on préserve le patrimoine de tous. Le 14 juin, c’est dans le quartier Belsunce à La Compagnie que le festival a lié cinéma et littérature, avec des courts-métrages et des livres filmés (ah, Le petit bal perdu de Bourvil version Philippe Découflé !) avant de migrer le lendemain pour une «journée estaquéenne» à l’invitation de la Mairie des 15e et 16e arrondissements. Et afin de conclure en beauté, quel meilleur présage de futures pérégrinations que d’embarquer à bord du voilier le Don du Vent pour la journée de clôture ? GAËLLE CLOAREC

Le Festival du Livre de la Canebière s’est tenu du 7 au 16 juin à Marseille, divers lieux

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La parole des femmes L’association Couleurs Cactus et le collectif PACA Pour la mémoire de l’esclavage ont accueilli l’auteur haïtien Makenzy Orcel pour une rencontre, en amorce du Festival du livre de la Canebière. Dans son premier roman, Les Immortelles, écrit dans l’urgence de réagir au cataclysme du 12 janvier 2010 (voir Zib’57), le jeune auteur trentenaire met en scène Shakira, morte dans le séisme, prostituée dès l’âge de 12 ans, passionnée de littérature et notamment des romans d’Alexis, l’écrivain haïtien opposant à Duvalier. «J’ai voulu trouver des phrases coups de poing et dire les choix de cette fille, la petite, qui a choisi le livre et la prostitution alors que sa mère lisait la Bible.» Son livre veut «rendre vivantes» toutes ces femmes, leur donner enfin la parole. Lorsque Marion Cordier, modératrice, lui fait remarquer que les hommes sont absents, violeurs ou incestueux, il affirme que la société haïtienne repose sur les femmes : «Les hommes partent toujours, il y a 18% de matriarcat en Haïti. J’ai moi-même été élevé par ma mère... La voix des femmes est plus juste... Je ne peux pas écrire à la place de l’homme.» C’est de sa mère que viennent les contes qui ont éclairé son enfance et guidé son écriture. La violence de la misère éclate dans Les latrines, son second roman, en un souffle qui vient de la poésie, un cri qui libère, un lieu qui délie les voix. À la question de Jonas Jolivert, haïtien et neurochirurgien, sur l’engagement pour la reconstruction de l’île, Makenzy Orcel a souligné la difficulté de sa mise en œuvre, étant donné les manœuvres permanentes des puissances étrangères pour garder la mainmise sur le pays. Qu’il combat par un long chemin d’écriture, au service de ses sœurs de misère... CHRIS BOURGUE

Cette rencontre a eu lieu le 21 mai aux Grands terrains à Marseille www.couleurs-cactus.com Les immortelles Zulma, 16,50 € Les latrines Mémoire d’encrier, 24 €

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D’une Wilderness Jeux d’eaux à l’autre

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«Je voulais écrire la plus belle histoire qui soit sur un chien.» Le chien est bien là, mais pas tout seul, dans ce premier roman époustouflant de Lance Weller. Car en parallèle de ce travail d’écriture, l’auteur avait «entamé une passion pour la guerre de Sécession», qui le mena bien vite à envisager l’ampleur d’une histoire. Il y mettra en scène un vieil homme, Abel Truman, vétéran de cette guerre, dont le centre de gravité, lieu des réminiscences de «toutes les émotions de son âme» est la bataille de la Wilderness, lieu d’un des plus sanglants et décisifs combats de cette guerre qui fit des États-Unis une nation. Autour de lui des hommes, des femmes, qui jalonnent le récit, maillage indispensable à la compréhension d’une quête vitale qui lie les deux histoires, la sienne et celle de Do.M son pays. Lance Weller © Qui est donc Abel Truman ? Un vieil homme au corps cabossé qui vit seul dans une cabane faite de bois flottés avec son chien, au bord de l’océan pacifique, et que les souvenirs déchirent. Qui vont le pousser à prendre la route, tout laisser derrière lui, pour un ultime voyage. Rapidement le cours des choses va déraper lorsque deux hommes volent son chien, le destinant à des combats. Abel, ne craignant plus personne, ni la mort, se lance à leur poursuite… Lance Weller prend tout son temps pour déployer le récit, le décompose en séquences qui font alterner le temps présent (1899), et les scènes de guerre (1864), d’une beauté à couper le souffle, Lance Weller ayant mêlé aux scènes de combat ultra-réalistes des images de toute beauté d’une nature tout aussi souffrante. Il scrute l’esprit d’Abel pour en comprendre les blessures, entre errance et compassion, espoir et rédemption. Et c’est au cœur de la nature que le récit prend toute sa dimension, dans sa longue et solitaire pérégrination ou lors des combats. Une nature intimement liée à son histoire, qui lui permettra de faire son deuil de la Wilderness (littéralement «Les espaces sauvages»), et de la sauvagerie des hommes. Gageons que le deuxième roman de lance Weller, dont l’écriture est en cours et pour lequel il a d’ores et déjà dévoilé un petit aperçu (deux jeunes hommes en route pour l’Ouest américain durant la guerre américanomexicaine) confirmera ce talent. DOMINIQUE MARÇON

Lance Weller était invité par la librairie Goulard, à Aix, le 21 mai Wilderness Gallmeister, coll. Nature Writing, 23,60 €

Le rendez-vous des Eauditives s’installe vraiment dans les coutumes des festivités de juin, pour leur cinquième édition, le succès est au rendez-vous, «il y a même des gens que l’on ne connaît pas !» se réjouissent Claudie Lenzi et Éric Blanco, la présidente et le directeur artistique des éditions Plainepage, à l’origine du projet. Deux fois deux journées sont consacrées dans deux villes du Var, Brignoles et Barjols. Leur point commun : l’eau des fontaines autour desquelles s’orchestre le thème. Poètes, plasticiens, rêveurs, sculpteurs de temps, de mots, d’espaces, accordent leur force créatrice pour des instants où l’art se partage avec une qualité d’écoute et de convivialité rare. Coralie Barthélémy se transforme en Douche au rond-point créée par Christian Nironi à la fontaine du Caramy ; Patrick Sirot s’emporte dans ses lipogrammes et les jeux où le poème éponge les sens qui se catapultent avec jubilation ; Antoine Simon s’adonne aux miracles des ondes ; Alain Freixe nous entraîne dans une poésie plus lyrique teintée d’un «bleu d’encre fine» alors que les «odeurs cuirassent l’air». Dans l’ombre de la cour du musée, Micheline Simon présente avec pertinence les poètes : Maxime Hortense Pascal qui offre en lecture des extraits de Nostos, inspiré par les Ulysse de la littérature, où l’on «coud les mots avec les vents», et Pierre Guéry, qui livre avec Deuil d’œil, une interprétation où les mots deviennent scansion rythmique. Au Pôle Culturel des Comtes de Provence l’exposition Délits de l’eau rassemble deux artistes : Christian Nironi aime, dit-il, la force suggestive des objets, qui tous sont porteurs de mémoire, il se plaît à les réintroduire avec d’autres, leur donnant ainsi une seconde vie. Il propose du rêve, rarement des titres, le spectateur doit faire une partie du chemin… Claudie Lenzi joue sur les décalages, les glissements de sens, les homophones, les incertitudes le la matière, ses œuvres se délitent, travail de l’eau sur le savon, reste la trace, souvenir de la matière… Poésie transcrite dans les choses, dans leur renouvellement, comme cette eau qui nourrit les paroles miellées des poètes. MARYVONNE COLOMBANI

Les Eauditives ont eu lieu les 7 et 8 juin à Brignoles et les 14 et 15 juin à Barjols

À lire Nostos Maxime H. Pascal, 10 € Deuil d’œil Pierre Guéry, 3 € L’os à la bouche Sophie Braganti, 7 € Éditions Plainepage © M.C


Un fonds MuCEM à la sauce libraire

Zibeline : Pourquoi Damien Bouticourt a-t-il fait appel à vous ? Molly Fournel : Sans doute à cause de mon expérience de Regards. La librairie était spécialisée dans l’histoire et les cultures du pourtour méditerranéen. J’étais tout indiquée pour m’occuper du fonds du MuCEM. Par ailleurs, durant ma vie personnelle comme professionnelle, j’ai beaucoup circulé en Méditerranée et j’y ai tout un réseau. Je connais beaucoup d’artistes, d’auteurs, d’éditeurs des pays méditerranéens. Ma connaissance de ce territoire n’est donc pas seulement livresque. Comment avez-vous procédé pour constituer ce fonds très spécialisé ? Comme quand je cuisine ! J’ai d’abord rassemblé les ingrédients avant de chercher à les marier. C’est aussi comme cela que j’ai appris à travailler pendant mes études d’histoire : l’analyse d’abord, la synthèse ensuite. Dans un premier temps, j’ai voulu avoir une idée de ce qui allait se passer dans cet espace, en termes d’expositions et d’animations, et j’ai collecté tous

© Agnès Mellon

Tous ceux qui s’intéressent aux livres et à la Méditerranée connaissent Molly Fournel. Pendant plus de vingt ans, après de nombreux voyages et des métiers divers, cette historienne de formation a pris la direction de la librairie Regards, à la Vieille Charité. Très active au sein des associations de libraires, elle a organisé dans sa librairie des rencontres mémorables, soutenu les événements importants liés au livre et au pourtour méditerranéen. Cette époque est révolue. Regards a fermé. On est loin aujourd’hui des années 1990 : à la Vieille Charité, les expositions de haut vol sont rares, les horaires d’ouverture des musées aléatoires. Rien qui permette à une librairie de survivre. Mais Molly Fournel ne pouvait pas partir à la retraite sans transmettre son savoir faire : sollicitée par le directeur de Maupetit, Damien Bouticourt, pour constituer le fonds de la toute nouvelle librairie Actes Sud du MuCEM, elle a dit oui.

ces éléments. Dans un musée de civilisation, on ne peut pas ignorer l’histoire et la création anciennes ; il faut partir des origines pour aller jusqu’à la société contemporaine. Ensuite, j’ai repris ces éléments par blocs de pays afin d’en repérer les constantes. C’est à partir de cela que j’ai constitué les bibliographies. J’ai souhaité éviter le cloisonnement, je voulais que la librairie propose une vision d’ensemble, en accord avec ce qui allait être montré dans le musée, de façon permanente ou temporaire. Satisfaite du résultat ? Le lieu est beau et grand, plus de 200m2, et on y propose environ 12 000 titres, ce qui est bien. Damien Bouticourt en a confié la gestion à Carole Mir, qui ajustera au fur et à mesure. Ce qui me paraît essentiel, c’est que cette nouvelle librairie soit accessible à tous les publics du musée. Chacun doit pouvoir y trouver un livre qui lui convienne, en termes de contenu comme de prix. Une librairie de musée se doit de ne pas exclure les visiteurs. D’où la diversité des ouvrages proposés. PROPOS RECUEILLIS PAR FRED ROBERT


Éloge du royaume des fées…

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Dans Les Billets de la Bibliothèque on compte déjà le Supplément inactuel au bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés de François Kasbi. Auquel il faut ajouter, pour lecteurs amoureux d’érudition fantaisiste et d’une mécanique des mots parfaitement huilée, Nymphes, sirènes, poupées, anges et autres larves de Jean-Roch Siebauer dédié «à la femme de Nicolas Vassiliévitch Gogol et aux Vivan Girls». Dès sa préface écrite sous le signe du chaos, du cosmos et de l’ornementation, et les auspices du médecin et alchimiste suisse Paracelse, des Grecs et du jésuite portugais Antonio Vieira, l’auteur nous avertit : ceci est «un chaos d’objets, d’images, de textes, de mots - des fragments de lectures, de regards, de trucs et de machins». Un petit livre comme un grand cabinet de curiosités

littéraires. Où l’on s’embarque avec Alice pour une promenade à fleur d’eau ; où l’on assiste au désespoir de Kokoschka face à sa poupée de chiffon ni vivante ni morte ; où l’on croise «Ulysse, l’Odieux, lié au mât» puis, à quelques sauts de lignes, Mélusine, Actéon, une poignée de mathématiciens, d’obscurs entomologistes, d’illustres scientifiques et photographes, quelques libertins du XVIIe siècle, un céroplasticien florentin, un polygraphe byzantin du XIe… Belle assemblée qui pénètre l’antre des nymphes, chimérique et ô combien charnelle, peuplée de sirènes, de vierges, de poupées, de chrysalides, d’anges et de dragonnes, de démones et de chasseresses. Et autres créatures d’un monde flottant dans lequel on s’immerge avec délices. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Nymphes, sirènes, poupées, anges et autres larves Jean-Roch Siebauer La Bibliothèque, 12 €

Papa coq Texte après texte, Sabine Tamisier n’en finit pas de dire l’intime, la famille, de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, qui n’en ont plus. Issu d’une commande du Théâtre de la Tête noire à Satran, Galino restitue ainsi la parole du père bien-aimé disparu. Car Galino, petit coq, est son surnom, et c’est donc lui que ce monologue fait parler, mais pas seulement : comme le précise la dramaturge en exergue «quand il se souvient, ou qu’il entend parler, tous parlent à travers lui.» Ce texte simple, touchant par sa simplicité même, par sa justesse, va et vient entre deux lieux et deux moments : Villelaure, août 2009 et la HauteSavoie, printemps-été 1967. Allongé sur son lit «la veille du jour où», puis le matin, puis l’aprèsmidi «du jour où» jusqu’«au moment où», le vieil

homme attend et se souvient. Par petites touches, à mots comptés. Quand son souffle le lui permet. Il se rappelle en particulier ce mois de mai 1967 où il a dû quitter femme et enfants pour aller soigner sa tuberculose au sanatorium de Sancellemoz. Souffrance physique, séparation douloureuse, mais aussi découverte de la magnificence du massif du Mont-Blanc. De ce combat-là, il était revenu vainqueur… Avec Galino, Sabine Tamisier, la petite dernière, pas encore née en 67, rend hommage à cette «belle personne» qu’était son père. Elle tresse aussi une couronne à l’amour de ses parents, aux liens forts qui unissent les membres de la famille. Sobre et très émouvant. FRED ROBERT

Galino Sabine Tamisier Éditions Théâtrales, 14 €

La main de l’autre Le thème de la main qui échappe à son propriétaire et connaît une vie propre, est récurrent en littérature. Manière de s’observer, de se trouver autre tout en étant soi-même, introspection qui dessine les limites de notre connaissance curieusement dans le domaine qui devrait nous être le plus familier, nous-mêmes… L’auteure argentine, Fernanda Garcia Lao, en compose un court roman construit sous la forme d’un journal intime. L’ellipse y règne en maître : de longs mois sont oubliés, le décompte des jours est absent, mais les têtes de chapitre, toutes baptisées du nom d’un mois, annoncent le titre des sous parties, avec une clarté obscure qui titille l’imaginaire du lecteur, «passion mise à tremper», «des raviolis dans la pénombre», «peinture fraîche»… La narratrice a une vie qui semble ne connaître que des impasses, comédienne sans engagements, vie sentimentale qui pourrait ressembler

à une chanson de Fréhel… jusqu’à un accident stupide, manque de soins au départ qui correspond à l’état de son existence, Violeta se retrouve à l’hôpital, amputée d’une main et bénéficiaire d’une première mondiale, la greffe. À qui cette main appartenait-elle ? Elle semble avoir une vie propre. Notre personnage très romanesque va tenter de le découvrir, ce qui donne la dimension d’une enquête policière au texte. Son imagination débordante nourrie de cinéma et de littérature la pousse à élaborer les hypothèses les plus rocambolesques. On sourit beaucoup, on se laisse porter par cette fausse légèreté. La peau dure, on retrouve le titre du roman dans une citation au cœur du roman, un extrait de Copi : tout l’art de Fernanda Garcia Lao est d’avoir su transposer l’esprit du dramaturge dans le domaine romanesque. MARYVONNE COLOMBANI

La peau dure Fernanda Garcia Lao La dernière goutte, 16 €


Pour qui sonne le glas ? Le nouveau roman de Marc Biancarelli garde son titre corse, comme un coup de poing, Murtoriu, c’est-à-dire Glas ou avis de décès. Le sous-titre, Ballade des innocents, est à prendre avec précaution, une baddata (ballade) note l’auteur est «un chant funèbre, entonné ou improvisé notamment lors des morts violentes». Le cadre ainsi posé, peu d’échappatoire ! Le narrateur, Marc-Antoine Cianfarani, «libraire raté» de son état et «poète raté à ses heures», vit à l’inverse des courants qui animent la Corse. Son ami, journaliste, est hanté par la nostalgie de rêves irrédentistes. Lorsque les vagues de touristes déferlent, il ferme boutique et remonte dans la montagne où il habite la maison familiale et partage sa vie entre l’écriture et ses deux amis Trajan, agriculteur et lettré, et le frère de celui-ci, Manzuetu, berger, infirme, peu loquace, qui est le symbole dans le roman des vestiges de la civilisation ancestrale décimée par la première guerre mondiale. Celle-ci est évoquée à travers des analepses qui montrent le grand-père, un Marc-Antoine aussi, (à l’instar de l’illustre romain) engagé dans le 173e régiment d’infan-

terie et qui survit à la boucherie. Le retour n’est pas celui des héros attendus. Parallèlement se dessine l’histoire de deux petits malfrats, couple comique au départ, mais d’une violence extrême. Les destins des personnages se croisent. Comme dans toute bonne tragédie, dès le début, on sait, la victime est désignée, la plus innocente, les rouages implacables sont en marche. Dès le début du roman, le village était «asphyxié entre les pins et les châtaigniers». Le départ est-il la seule réponse ? Être loin permet-il de mieux comprendre ? Le roman de Biancarelli échappe avec justesse aux clichés courants, et dans une prose nerveuse et poétique construit un ouvrage bien charpenté nourri d’échos, et d’une réflexion qui va bien au-delà des frontières, fussent-elles d’une très belle île. Trois traducteurs pour ce texte paru en langue corse aux éditions Albiana, dont Jérôme Ferrari, le dernier Goncourt. La langue corse par de tels ouvrages prend ses lettres de noblesse. MARYVONNE COLOMBANI

85 Marc Biancarelli était invité au Festival du Livre de la Canebière (lire p. 81) Murtoriu Marc Biancarelli Actes Sud, 22 €

Circoncis et baptisé Le roman de Jabbour Douaihy, écrit en 2010, nous plonge vertigineusement vers les racines de la tragédie libanaise, ce moment des années 50 où un peuple cosmopolite sortait par endroits, à Beyrouth, de l’emprise des religions, mais qui s’est conclu par la fracture et la guerre. À aucun moment pourtant, durant les 25 années que le roman traverse, le récit n’apparait comme une métaphore : ancré dans le réel c’est une histoire singulière qu’il déroule. Saint Georges regardait ailleurs est construit comme un grand roman classique et on y suit de l’enfance à la mort, le destin d’un personnage indécis et opaque : Nizam garde jusqu’au bout son mystère, balancé entre deux maisons, le village et Beyrouth, entre deux familles, entre deux mères, deux femmes, deux pères, tous aimants, tous méfiants et cherchant à l’attirer vers

leur pôle… Musulman et chrétien, Nizam ne choisit pas, ou plutôt opère une série de choix au gré des lieux qu’il traverse, puis rattrapé par la guerre qui éclate, massacré par une société qui ne peut plus tolérer les indécis. Le roman enchaîne le lecteur à la narration, chronologique, par une pléthore de détails savoureux, de goûts et de saveurs, d’oiseaux, de personnages annexes qui reviennent et habitent l’histoire, d’évocations minutieuses d’un jardin aux poires, d’une guinguette où l’on danse, d’un bas-fond… Par une ironie aussi très particulière, qui surgit dans les moments les plus émouvants pour prendre une distance étonnante avec l’histoire. Salutaire, sans doute tant le destin est noir, du jardin d’Eden au supplice…

Saint Georges regardait ailleurs Jabbour Douaihy Traduit de l’arabe (Liban) par Stéphane Dujols Actes sud, Sinbad, 23,80 €

AGNÈS FRESCHEL

Ode à la haine Gilles Ascaride déteste les pigeons et les clubs échangistes, mais aussi le travail ou, plus étonnamment, les rêves. À travers l’énoncé joyeux de ces haines irraisonnées, le chef de file de l’overlittérature Marseillaise nous emmène dans les méandres de sa vie, de sa jeunesse en solitaire jusqu’à la retraite. Ce recueil d’instants et d’histoires personnelles ressemble à des secrets confiés en vitesse à son journal intime par un bulldozer qui aurait du style, puisé dans les textes qu’il a mâchés au long de sa vie. Après Amours modernes, son précédent roman aux éditions Folies d’Encres, place aux Haines postmodernes, incontrôlables, presque inavouables : Gilles Ascaride

n’y va pas à demi-mot, et il sait que la défense du postmoderne peut ressembler parfois à du passéisme, et construire une pensée réactionnaire… Alors il choisit l’éclatement et la déconstruction, et c’est sur un rythme soutenu et par un phrasé acerbe qu’il dépeint par touches épaisses notre univers peuplé d’objets qui «nous aliènent, nous contraignent […] prennent de la place et ne donnent rien» : des pigeons, «ces saletés emplumées» aux bibliothèques, «plutôt la cité de l’angoisse»… Reste à la fin, indéniablement, malgré la haine de Zola, l’amour des mots. L’overlittérature ? MANON MATHIEU

Haines postmodernes Gilles Ascaride Folies d’encre, 16 €

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Un mook pour franchir le détroit

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Un nouveau mook (nom créé par la contraction de «magazine» et de «book») vient de voir le jour. Le premier numéro de Gibraltar est paru en janvier dernier. Cette revue semestrielle toulousaine n’entend vivre que grâce à ses lecteurs et à ses abonnés, et ne prévoit pas de pages de publicité. Un pari audacieux, et une ligne éditoriale engagée pour une revue consacrée aux mondes méditerranéens. Voilà pourquoi, début mai, son directeur Santiago Mendieta est venu la présenter à la librairie Maupetit. Journaliste, directeur de la publication, Mendieta assure également, et avec beaucoup d’enthousiasme, la promotion et la diffusion de son «bébé», né de son admiration pour des revues comme XXI et de sa volonté de tendre «un Pont entre deux Mondes» ainsi que l’affirme le sous-titre. Il n’a pas tort d’y croire : le magazine est réussi. Couverture souple, grand format, large place faite aux illustrations et à la

photographie, on se plaît à naviguer entre documentaires et fictions, au sein d’une publication de qualité. Au sommaire de ce premier numéro, un important dossier sur les migrants, mais aussi un voyage dans le Rif, une escale dans la communauté autogérée de Marinaleda en Andalousie… Et puis deux sujets sur notre région, l’un sur l’étang de Berre (très éclairant sur les véritables causes de la pollution de «la petite mer») agrémenté des photographies de Franck Pourcel, l’autre sur le phare de Planier, joliment intitulé «L’impossibilité d’une île». Deux raisons supplémentaires pour nos lecteurs de découvrir et de soutenir ce nouveau magazine qui souhaite privilégier «l’humain plutôt que le sensationnel» et dont le deuxième numéro est en instance de bouclage. FRED ROBERT

Santiago Mendieta était invité à la librairie Maupetit, à Marseille, le 2 mai Revue Gibraltar, premier semestre 2013, 17 € www.gibraltar-revue.com

Les crayons et les masques En 1971 Picasso faisait don au musée Réattu, grâce à son conservateur et proche du peintre Jean-Maurice Rouquette, d’une série de cinquante sept dessins. Cette édition revue et augmentée d’un ouvrage plus ancien -auquel il se substitue sans conteste- brosse dans les détails l’histoire de ce geste généreux. Il suffit d’en apprécier dès la prise en mains le soin apporté à la reproduction des œuvres pour lesquelles le rendu des matières, couleurs et techniques (support cartonné, craie, lavis…) ne saurait souffrir l’à peu près. En dehors de quelques légères concessions sur les formats, les images restent proches des dimensions originales si bien que le lecteur pourrait imaginer être en présence des originaux. Ce corpus iconographique est com-

plété par d’autres reproductions d’œuvres (Maria Picasso Lopez, maman du peintre, Lee Miller en Arlésienne, gravures et peintures) et de photographies de Picasso par Clergue, Villers, Ronis, Doisneau, Julia Pirotte, Denise Colomb, appartenant toutes elles aussi au musée. Cet ensemble retrouve les textes originaux de J.M. Rouquette, L. Clergue, A. Villers et reçoit le renfort des analyses récentes de Michèle Moutashar, précises, éclairantes et par endroits émouvantes. CLAUDE LORIN

Les Picasso d’Arles Divers auteurs en français et en anglais Actes Sud/Musée Réattu, 33 €

Le GR2013 à l’an 0 C’est une entreprise humaine et temporelle folle conjuguée à une entreprise éditoriale aussi folle ! Étape n°1 : avant son ouverture au public, Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth ont usé leurs chaussures sur le sentier métropolitain GR2013 et réalisé durant un an des centaines de photos pour en sélectionner 100 «qui documentent les paysages vus du sentier et le sentier lui-même, explorent la variété des relations entre ville et nature dans la métropole Marseille-Provence». Étape n°2 : ils restituent une partie de cette commande publique du CNAP coproduite par MP13 sous la forme d’un coffret jaune à bande rouge édité par la maison marseillaise Wildproject, comprenant 100 cartes postales numérotées (à conserver comme une relique ou à envoyer à ses amis) et une carte mentionnant sur le tracé rouge du GR2013 les points de vue pris entre le point 01

à Vitrolles (D9, plateau de l’Arbois, 12 mars 2012 à 11h45) et le point 100 à Aix-en-Provence (Le Petit Arbois, 16 octobre 2012 à 12h). Toutes les stations étant indiquées avec une extrême précision : 43°19, 983’ N - 005° 23, 659’ E pour La Busserine le 24 septembre 2012 à 16h05… La sincérité de leur pérégrination transpire dans ce jeu de cartes aussi insolite que sans concessions vis-à-vis des zones traversées : banlieue pavillonnaire, sous-bois, zone industrielle, chemin vicinal, périphérie, jardin public sont regardés objectivement. Étape n°3 : ils reconduiront ces 100 points de vue qui constituent l’année zéro de l’Observatoire photographique du GR2013 à raison d’1 fois par an pendant 10 ans ! Bref une collection de 10 coffrets de Paysages usagés est en marche… M.G.-G.

Paysages usagés, 100 points de vue depuis le GR2013 Photographies de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth Wilproject, édition limitée numérotée à 250 exemplaires, 40 €



Marseille la belle en chansons

88 L I V R E S E T C D

Capitale du Music-Hall des années 30, Marseille a toujours été un creuset où les connaisseurs du Bel Canto ne dédaignaient pas de fredonner les chansons d’Alibert ou de Fernandel. À l’occasion de Marseille Provence 2013, et d’un spectacle théâtral et plurilingue du Lycée Lumière de La Ciotat et joué au Toursky (Marseille 2013, un regard euro-méditerranéen sur l’histoire de Marseille) labellisé MP13, Jean-Marie Oliva et son complice Guy Perfumo, ont concocté un CD qui évoque l’histoire de Marseille en 14 chansons écrites et composées par J-M Oliva et illustré par le peintre Idi Eder. Un panorama de l’histoire massaliote est brossé, des vaticinations de la Pythie à la Reine Jeanne, de Pythéas à l’exposition coloniale et son pavillon du Tonkin, de la grande peste de 1720 au panier des commères ou au cinéma des Frères Lumière, des Italiens envoyés

au camp des Milles en 1940 aux Pieds Noirs. Certains faits émergent que les cours d’histoire oublient, comme l’épisode de Charles de Casaulx, qui fut le cauchemar d’Henri IV et fit de Marseille au XVIe siècle, une république indépendante et catholique… Particulièrement réussie, la chanson sur l’Alcazar qui fait penser aux airs de Fréhel ou Damia ou l’orchestration de l’Italiano, avec son côté western, lointain écho de Rocky Racoon, ou encore la chanson en anglais hommage à Varian Fry. Un travail fort sympathique, qui témoigne que Marseille inspire toujours ! MARYVONNE COLOMBANI

JIMMO, Histoire de Marseille en Chansons Jean-Marie Oliva Studio Squirrel AUDIO (Saint Zaccharie), 15 €

Igor Stravinski C’est Bertrand Dermoncourt, directeur de la revue Classica (critique musical à l’Express) qui s’attaque, dans la déjà riche collection d’Actes Sud/Classica du volume consacré à un géant de la musique du XXe siècle (après un Chostakovitch en 2006). Son Igor Stravinski est digest, c’est la règle… qu’il règle précisément en 150 pages. L’originalité tient au fait, qu’hormis un chapitre chronologique, habilement synthétique (pour 89 ans de vie !), l’organisation thématique parvient, dans une large mesure, à brosser un

portrait juste, moderne, une mosaïque dont on saisit le sens, au final… auquel s’agrègent de précieux index, discographie, bibliographie… Le style est clair, les comparaisons pertinentes, transdisciplinaires… À lire d’un trait ! JACQUES FRESCHEL

Igor Stravinski Bertrand Dermoncourt Actes Sud/Classica

Centenaire Trenet C’est Olivier Chauvel, d’une voix un rien désuète qui raconte l’histoire du «fou chantant», écrite pour les bambins par Stéphane Ollivier après celles de Tchaïkovski, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Django Reinhardt ou Elvis Presley. Au fil des illustrations de Lucie Durbiano et de photos d’archives, on suit la vie de Charles Trenet depuis sa naissance un 18 mai 1913… il y a un siècle ! Et les enfants découvrent sa voix ancrée dans la mémoire populaire, et des airs qui «cou-

rent encore dans les rues» avec l’âme du poète disparu en 2001. Des chansons qui disent aussi l’esprit d’une époque, autour de la seconde guerre mondiale, de Je chante, Boum !, Y a d’la joie, Le Soleil et la Lune, à Douce France, La Mer ou Que reste-t-il de nos amours… J.F.

Livre CD aux éditions Gallimard Jeunesse www.gallimardjeunesse.fr

Authentique mais virtuose Si le patronyme Parnassie du Marais peut paraitre mystérieux, les enregistrements de l’ensemble mettent tout le monde d’accord. Gravée aux éditions Parnassie sous l’impulsion de la claveciniste Brigitte Tramier, produite au cœur d’une Provence chère à cet ensemble de musique ancienne à géométrie variable, la réédition remasterisée du Stabat Mater de Pergolese et du Salve Regina d’Alessandro Scarlatti, également disponible en album dématérialisé, sont à ranger en tête de gondole. Soutenus sans artifice, les solistes Catherine Padaut et Michel Géraud allient homogénéité et luminosité.

Dans un esprit d’authenticité, de recherche et de… virtuosité, le violoniste Flavio Losco accompagné du guitariste (et preneur de son !) Jean-Michel Robert a gravé Le carnaval de Venise, véritable récital composé d’opus du fameux Paganini. Ici, la restitution relève de la prouesse pour ce premier enregistrement mondial avec techniques et instruments originaux ! Notamment les redoutables sons harmoniques doubles... La technique incroyable de Flavio Losco associe pureté, légèreté et musicalité, sans aucune âpreté dans les suraigus. À découvrir ! FRED ISOLETTA

Se trouve à la librairie du J1, à la Fnac du Centre Bourse de Marseille, à l’Office de Tourisme du Pavillon M, chez Massilia Records et chez les libraires de La Ciotat



90 R E N C O N T R E S

La fête pour la remise du 9e Prix littéraire des lycéens et des apprentis de la Région Paca s’est déroulée dans une atmosphère festive, électrisée par le groupe Kabbalah. Cette année les élèves de 26 établissements scolaires, dont un CFA, ont participé à l’aventure grâce à l’investissement de leurs enseignants et des animateurs de 29 librairies et 23 bibliothèques. Tout au long de l’année ils ont rencontré et questionné des écrivains et des auteurs de bandes dessinées, découvrant ainsi des aspects insoupçonnés de la création contemporaine. Les auteurs apprécient ces contacts directs dans les établissements, les questions inattendues qui les obligent parfois à un nouveau regard sur leur création. Et les enseignants s’y retrouvent quand ils voient l’année suivante des élèves aller plus spontanément au CDI et prendre plus facilement la parole. La fête a donc battu son plein autour des réalisations artistiques préparées par les élèves sur les contenus des livres de la sélection, avec l’attention de leurs

enseignants et des artistes associés. Le développement de la créativité est en effet un des buts essentiels de cette action, avec la lecture ! Enfin la remise des Prix est faite par Cécile Helle et Gaëlle Lenfant, respectivement Vicesprésidentes de la Culture et de la Jeunesse au Conseil régional. Les lycéens ont effectué un choix surprenant, qui ne relève ni de légèreté ni de sentimentalisme : les récits de Laurent Mauvignier et Gilles Rochier sont des coups de poing qui bouleversent et dérangent (voir Zib’57 & 60). La misère, la violence et la mort y sont présentes avec l’injustice et la révolte ; néammoins ils ont été choisis. Preuve que les lycéens portent un regard aigu sur notre société malade et qu’ils ont au coeur non seulement une exigence de justice, mais une ambition de vie meilleure. Chapeau ! CHRIS BOURGUE

© Chris Bourgue

Construire sa vie

La remise des prix s’est tenue au Dock des Suds le 23 mai Prix du roman : Ce que j’appelle oubli Laurent Mauvignier Éd. de Minuit, 7 € Prix de la BD : TMLP-Ta mère la pute Gilles Rochier 6 pieds sous terre, 16 €

ue © Chris Bourg

Comment naissent les révolutions Pierre Serna et Michel Vovelle n’ont après tout «qu’un an de retard sur l’horaire prévu», puisque leur intervention prévue en avril 2012 au Lycée Saint-Exupéry avait été reportée... en raison d’un fait divers sanglant dans le quartier, bouclé par la Préfecture. Les deux brillants universitaires se succèdent au micro, dans ce qui ressemble fort à une joute amicale commencée lorsqu’ils étaient encore maître et disciple. Un jeu que les historiens affectionnent, celui des étiquettes : des différents épisodes insurrectionnels que le monde a connus depuis le XVIIe siècle, lesquels sont une révolte, une émeute, une simple guerre d’indépendance ? On pardonnera aisément à Michel Vovelle sa petite pointe d’orgueil lorsqu’il place notre Révolution nationale dans la catégorie hors concours, d’autant qu’il accorde avec humour aux mouvements arabes contemporains un accessit : «Nous pouvons donner à ces révolutions actuelles, dans l’état où elles sont, parfois désespérant, du temps. Somme toute, 2 ans après le début de la nôtre, en 1791, après la tentative d’évasion manquée du roi, on le rétablit dans ses prérogatives.»

Du temps, c’est aussi ce que réclame un membre du public lorsqu’il prend la parole : «Je suis professeur d’histoire dans le secondaire, et je

crois que le gouvernement a peur des révolutions. La Révolution Française est reléguée à la fin du programme, on ne parle plus de la Commune, la révolution russe n’est traitée qu’à partir de Staline, et on veut nous faire enseigner la «morale laïque» à la place, pourquoi ? Pour rendre nos élèves gentils ?» Que voilà une bonne question à poser, avec à l’arrière plan les vertigineux enjeux d’une nécessaire culture historique en matière d’éveil de l’esprit critique ! Pierre Serna le confirme : «Un processus révolutionnaire ne naît que si les gens descendent dans la rue, prêts à en découdre. Et pour cela il faut qu’ils aient l’impression que le réel peut changer.» GAËLLE CLOAREC

La conférence-débat de Pierre Serna et Michel Vovelle a eu lieu le 6 juin au Mémorial de la Marseillaise, Marseille

À lire Pour quoi faire la révolution Agone, 15 €

Pierre Serna et Michel Vovelle © Gaelle Cloarec


Science, politique et société : le paradoxe démocratique Quels rapports science et société entretiennent-elles ? La science est-elle un bien commun ? C’était en substance le débat auquel invitait l’association Les petits débrouillards au Point de bascule mardi 14 mai. Au siècle des Lumières, la science promettait d’être source de vérité et d’objectivité absolues, en refusant la domination des préjugés populaires et le joug de l’ignorance : elle incarnait des valeurs libératrices. Aujourd’hui encore s’en maintient une représentation fantasmatique : elle est censée produire du vrai incontestable, au cœur de tout progrès et de tout savoir… c’est du moins l’idée qui se dégage du débat, largement entretenue par les scientifiques eux-mêmes quand ils évoquent leurs méthodes et leurs pratiques. On peut dès lors s’interroger sur l’existence d’une alliance naturelle entre l’objectivité de la connaissance scientifique et la démocratie… et on se trouve confronté à un apparent paradoxe : vouloir convaincre par la preuve laisse assez peu la place au débat démocratique, puisqu’ainsi on attend des sciences qu’elles guident la démocratie en garantissant la victoire de la vérité, de l’égalité et de la justice. Mais le paradoxe n’est finalement qu’apparent car à y regarder de plus près, à l’ère des technosciences où les problèmes scientifiques sont plus que jamais contextualisés, si les sciences produisent des résultats utiles, les avis des experts sont multiples. La science n’est donc pas cette source sacrée et infaillible de vérité théorique ! Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les crises sanitaires, alimentaires et environnementales répétées, qui ont remis en cause, en matière de politique scientifique et technique, le schéma de décisions fondées sur une science neutre et objective. S’il est clair que nul ne remet en cause la capacité de la science à produire -par ses méthodes- des résultats valides, il n’en va pas de même quant à la pertinence de ces mêmes résultats, au choix de ses orientations et aux formes de son organisation. Un nouveau modèle de gouvernance délibératif semble vouloir émerger, laissant leur juste place aux dimensions socio-politiques, socio-économiques et environnementales. Mais là encore -dans les discussions et dans les faits- prévaut l’idée qu’il faut être compétent scientifiquement pour se prononcer sur les

Souk des sciences © C.M

orientations «sociales» de la science. La surreprésentation des scientifiques, médecins et experts au sein du Comité Consultatif National d’Éthique, chargé «d’éclairer les progrès de la science, soulever des enjeux de société nouveaux et poser un regard éthique sur ces évolutions…», est de ce point de vue éclairante. Pourtant, comme le défend Jean-Marc Lévy-Leblond1 : «L’exigence… qui voudrait que chacun soit, sinon expert, du moins compétent en sciences, techniques et médecine avant qu’il puisse légitimement donner son avis en ces matières, est en définitive absolument contraire au postulat fondamental de l’esprit démocratique. C’est que la démocratie est un pari risqué : le pari que la conscience prévaut sur la compétence (énoncé de Blandine Barret-Kriegel).» Loin d’écarter la nécessité d’un développement du niveau de culture scientifique de nos concitoyens, l’épistémologue souligne que «devant nous prononcer en relative méconnaissance de cause, la démocratie, c’est le pari que la «moins pire» des solutions est de le faire collectivement et d’assumer ensemble les risques de ces décisions». Mais, avant d’avoir envie d’en débattre, sans doute est-il nécessaire d’abord de s’intéresser aux questions scientifiques. Hassane Bitar (AMU) a proposé il y a déjà 10 ans d’aller à la rencontre du plus large public pour parler de science autour d’étals de marché. Le Souk des sciences, labellisé MP2013, s’est ainsi installé quartier Belsunce le 22 mai pour le plus grand plaisir des passants venus nombreux parler mathématiques, cristallisation, parfums, climat et plantes, matériaux et… zététique ou «art du doute» : de quoi inspirer les veilleurs de demain ! CHRITINE MONTIXI 1

Jean-Marc Levy-Leblond est invité à l’École Nationale des Mines de Gardanne, site Georges Charpak, pour le congrès de l’AMCSTI sur le thème des médiations [Arts et Sciences] du 1 au 3 juillet (voir ci-contre)

AGENDA

Arts et Sciences L’Association des Musées et Centres pour le développement de la Culture Scientifique, Technique et Industrielle (AMCSTI) tiendra son 31e Congrès à Gardanne, sur le thème des médiations [Arts et Sciences]. Seront présents le physicien et épistémologue Jean-Marc Levy-Leblond, la sémiologue Judith Larnaud-Joly, l’écrivain François Bon et la plasticienne Martina Kramer. Jean-François Chougnet, directeur de MP2013, interviendra également. du 1er au 3 juillet École Nationale des Mines, site Georges Charpak, Gardanne 06 82 72 12 99 www.amcsti.fr/

Délices botaniques à Digne

Pour sa 4e édition, le festival de la biodiversité Inventerre a choisi un thème aussi léger que plaisant, inspiré par un ouvrage du botaniste Jean-Michel Groult : des plantes à délices et des plantes à malices. Conférences, films, balades, expositions, ateliers, plus un salon du livre et un forum sont programmés lors de ce festival de culture scientifique entièrement gratuit et accessible à tous. du 11 au 14 juillet Digne-les-Bains, divers lieux www.festival-inventerre.com

L’épopée des couleurs Pour découvrir Les couleurs de l’Univers depuis le Big Bang il y a 13,7 milliards d’années, une exposition gratuite et tout public proposée par le CG13 en coproduction avec l’Institut Pythéas et MP2013, permettant d’aborder les sciences de l’univers à travers de multiples animations (cabinet de curiosités, films, outils numériques). Chercheur référent : Michel Marcelin, Directeur de recherche au CNRS. jusqu’au 29 septembre Maison de la Sainte-Victoire, Saint Antonin sur Bayon 04 13 31 29 47

91 S C I E N C E S


Un Pont jeté au-dessus des frontières 92 P A T R I M O I N E

Depuis des années le Pont du Gard s’impose en lieu de mémoire mais aussi en creuset culturel bien actuel. Pourtant, lorsque Zibeline rencontre Paolo Toeschi, directeur de l’Établissement public de coopération du Pont du Gard (EPCC), celui-ci sort, indigné, d’une réunion avec un élu. Qui lui demande la gratuité totale de l’accès au site… Zibeline : Pourquoi cette gratuité n’est-elle pas envisageable ? Le Pont du Gard est avant tout un lieu de coopération culturelle. Il apporte une vraie richesse au territoire, grâce au monument lui-même évidemment, mais aussi par ses 180 hectares mis en valeur avec le parcours Mémoire de garrigue, les aménagements des rives du Gardon, ses musées… il s’agit d’un site exceptionnel, inscrit depuis 1985 au patrimoine mondial de l’Humanité et labellisé Grand site de France : une double référence, nationale et internationale, dont seul le Pont du Gard peut se prévaloir ! Une contribution est normale pour accéder à un établissement de cette ampleur, conçu comme un tout. On ne peut pas dire qu’elle soit excessive, 18€ pour une voiture pleine, 3€ par personne pour les groupes… Bien sût le Pont du Gard n’est pas un lieu de consommation, et nous voudrions l’offrir. Mais le site occasionne une multitude de frais, ne serait-ce que ceux liés à l’entretien des 180 hectares, aux dégradations naturelles… Le Pont du Gard s’autofinance à 76%, nous ne pourrions le faire vivre, ou même l’entretenir, sans la contribution, somme toute normale, des visiteurs. La fréquentation ? Nous accueillons 1 300 000 visiteurs par an, ce nombre n’a cessé de croître, sur les espaces aménagés aussi. Le droit d’entrée ouvre à toutes les activités proposées (il fut un temps où il fallait payer chaque animation !). Le public est constitué à 80% par des familles, avec 60% de français et 40% d’étrangers. Et les écoles ? 60 000 enfants sont venus l’an dernier dans le cadre scolaire, gratuitement. Nous effectuons un gros travail avec l’éducation nationale, concevons des fiches pédagogiques, des pré-visites, des animations spécifiques, adaptées aux différents âges, des parcours thématiques… Nous entrons ainsi totalement dans notre rôle d’établissement public, qui a pour vocation d’éveiller les esprits. Il ne s’agit pas de parler de gains financiers, l’éducation ne se mesure pas à l’aune de la rentabilité. Une société tolérante et ouverte passe par l’éducation. Et le regard de tous ces enfants a quelque chose de formidable ! La recherche et la formation s’inscrivent aussi dans les missions d’un Établissement Public. Qu’en est-il du Pont du Gard à cet égard ? Des chantiers école travaillent à la mise en perspective du site dans le cadre du programme Chemins de l’Histoire du Sud de la France. Nous travaillons

Groupe F © Thierry Nava

aussi avec des écoles d’insertion : le but est de former des jeunes au travail de la pierre. Pour ce qui est de la recherche archéologique nous avons rouvert des chantiers de fouille sous l’autorité de la DRAC, par exemple celles de la grotte Salpêtrière (plongée dans le Paléolithique supérieur méditerranéen). Nous menons également des expertises régulières de l’état des pylônes du pont, qui souffrent de l’érosion provoquée par le Gardon. Quelle est la place de l’art contemporain dans une institution patrimoniale comme le Pont du Gard ? Il y a en effet une controverse entre art contemporain et patrimoine. On peut parler d’une certaine esthétique de la surprise pour les visiteurs qui ne s’attendent pas à trouver de l’art contemporain dans un lieu antique. On peut s’en réjouir, comme les gens sont surpris, on en parle ! J’ai souvent remarqué que les enfants y étaient particulièrement sensibles, sans doute, parce qu’ils n’ont pas d’a priori culturel, et ils offrent un regard neuf dans lequel ils entraînent leurs parents. Il serait ridicule d’opposer les arts ; l’aqueduc s’est ouvert à de nombreuses expositions, nous avons eu l’an dernier Dezeuze, Saytour et Viallat… Vous mettez aussi le site en spectacle… Oui, il est essentiel pour nous de renouveler les activités, de surprendre, d’émerveiller aussi le visiteur. Nous ne sommes pas le seul site exceptionnel dans le monde et nous sommes obligés de nous remettre en question pour attirer le public et aussi conserver le label de Grand site de France et même l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. Rien n’est jamais gravé dans la pierre, même ici !

D’où votre implication dans l’anniversaire des 30 ans des FRAC… Cet anniversaire m’a fait accepter le principe de l’interface entre les deux régions, Languedoc-Roussillon et PACA, et le Frac de Bretagne partenaire de l’opértion. Il s’agit de promouvoir la culture du Grand Sud. La bonne entente entre les deux régions méditerranéennes est un véritable enjeu. Quel beau symbole du Pont pour les réunir ! Les échanges sont nécessaires absolument. D’ailleurs c’est un petit clin d’œil à Marseille Provence 2013 que d’avoir pris comme parrain cette année le groupe IAM. Nous sommes un lieu privilégié pour recevoir des manifestations des arts vivants, le cirque (même si le temps d’avril n’a guère été clément !) avec le Pôle National des Arts du Cirque, le Frac, le Cratère (scène nationale d’Alès), les ATP d’Uzès, le Groupe F… Et pour créer le lien entre PACA et Languedoc Roussillon, qui ont tout, culturellement, pour s’entendre ! ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI


© M.C

Neiges d’antan Pour leur quatrième édition, les Journées nationales de l’Archéologie permettaient au public de découvrir des chantiers de fouilles, des expositions, des conférences, des animations, des archéobalades, des rencontres avec des archéologues, des ateliers ludiques ouverts aux plus jeunes, histoire de toucher au plus près la matérialité de ce que l’on n’étudie que d’une manière lointaine, lorsque le sujet ne disparaît pas des programmes d’histoire. Passionnante pourtant, cette étude mobilise de nombreuses qualités d’observation, de déduction, de prudence, d’humilité, de patience, nécessitant la convergence de domaines aussi différents à première vue que les sciences physiques ou la biologie et l’histoire, oblige à contextualiser, bref, le début de la sagesse… En région PACA, 30 communes accueillaient l’évènement. Certes, il y avait les grandes structures comme le musée bleu d’Arles qui présentait en avantpremière les prémices de l’exposition du chaland du Rhône, les fouilles de la colonie antique de Forum Julii de Fréjus, les fouilles préventives au métro Bougainville à Marseille… Mais de petites merveilles se découvrent partout. Ainsi à Brignoles, les archives, outre une intéressante exposition sur le contexte archéologique de la ville, de la protohistoire à l’époque médiévale et aux graffitis du XIVe, proposaient une visite qui ouvrait de larges perspectives. Initiation à la préservation, au classement : série BB (délibérations), EE (affaires militaires)… Les imposants volumes (plus de 30 cm d’épaisseur) des anciens cadastres depuis le XVe siècle alors que la notion de parcelle n’existe pas encore, voisinent

ceux du début du XIXe qui ont connu la révision napoléonienne. Les délibérations municipales depuis 1387 attendent d’être compulsées, de même que plus tardivement les journaux assemblés en volumes et qui donnent une bonne idée de la vie quotidienne, à partir de 1893. Bien sûr, il y a les registres paroissiaux puis l’état civil, les cartes, jalousement gardées, qui présentent les trois époques des remparts de la ville, s’élargissant en cercles concentriques du XIe, au XVIe. Puis, Anne-Flore Viallet, responsable des archives, enfile une paire de gants blancs et dévoile l’imposant rouleau du parchemin de 30 mètres (XIVe) avant d’ouvrir le coffre-fort où se trouve le livre rouge… Rien de maoïste ! Il s’agit du recueil des privilèges de Brignoles de 1294 à 1554. Pour l’anecdote, il est transcrit livre vert… Enfin, Maeva Guerlava faisait découvrir les fouilles préventives et les diagnostics de fouilles au collège de Brignoles et au voisinage de l’ancien couvent des Ursulines. La mémoire rencontre alors le problème matériel non seulement de son coût, mais des implications dans les modifications des lieux existants pour son exhumation. L’archéologie s’avère un sujet bien contemporain ! MARYVONNE COLOMBANI

Les Journées nationales de l’archéologie se sont déroulées du 7 au 9 juin © M.C


Le Mole Vanvitelliana © Espaceculture

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© Espaceculture

Errare humanum est Les habitants d’Ancône n’avaient sans doute pas la tête à faire la fête et ne se sont pas rendus nombreux à la 16e Biennale des Jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée. Dommage pour les délégations présentes au Mole Vanvitelliana où se déroule la majorité des événements (concerts, performances, lectures...) et des expositions. Il faut dire que la situation en Italie n’est pas propice aux réjouissances festives, particulièrement dans ce port marchand accroché à la côte adriatique, déclaré en faillite et privé d’équipe municipale depuis février... À Ancône donc, seulement quelques affiches éparses et des bâches accrochées aux murs du Mole annoncent la manifestation. Bref, malgré l’environnement économique morose, la BJCEM atteint son objectif premier de faire se rencontrer et confronter 250 artistes -20 pour la sélection française coordonnée par l’Espaceculture Marseille- autour du thème Errors allowed [les erreurs admises].

Un Pentagone à l’italienne Le bâtiment qui autrefois abritait les lépreux en quarantaine ressemble étrangement au Pentagone avec ses remparts fortifiés ! Transformé en pimpant pole culturel, c’est là que bat le cœur de la BJCEM : salles de conférence, auditorium, Teatro Mobile, ateliers pédagogiques et espaces d’exposition équipés de hautes cimaises modulables offrent les conditions optimales de monstration des œuvres sélectionnées par 8 curators internationaux nommés par le Réseau Biennale. Eux-mêmes s’appuyant sur des comités de présélection spécialistes du tissu artistique de leur territoire. Tel est le dispositif mis en place à titre expérimental qui permet aux regards critiques et esthétiques de construire avec les œuvres une narration per-

ceptible autant dans l’organisation spatiale des expositions que dans la lecture du catalogue. De fait Errors allowed [les erreurs admises] développe plusieurs sections qui structurent la pensée et les réflexions des jeunes artistes sur «les systèmes de connaissance et les stratégies éducatives produites par les arts et leur reflet dans la société en général». Comme Vanishing Utopias qui s’ouvre avec la sculpture de l’algérien Oussama Tabti, The Amsterdam Treaty, attractive par son scintillement et repoussante par ses pointes effilées : «On ne voit que les étoiles qui brillent sous la lumière. C’est un peu ça l’Europe depuis les pays du Maghreb ou d’Afrique : l’Occident c’est l’Eldorado, mais quand on y est cela devient tout autre chose». Et se poursuit notamment avec Voice of Invisibles du libanais Charbel Samuel Aoun qui partage par voix interposées le vécu des peuples déshérités du Liban et de Syrie, collectées dans les jardins publics : «C’est une invitation faite aux passants de répondre ou non aux téléphones [12 vieux modèles qu’il a remis en marche, ndlr]. C’est eux les acteurs... Ce travail m’a appris beaucoup sur les relations. Le monde ne peut changer qu’en écoutant ces invisibles». Deux français trouvent aussi leur juste place : les photographies de Léna Durr, Teen Age, dans la section Schizopolis et les Vanishing People d’Aurélien David présentés dans Something making something leads to nothing. Mais tout n’est pas si simple.

Le Pavillon français Si la cohérence des choix et la qualité des regards des curators n’est pas remise en question, l’existence d’un «pavillon français» rassemblant une large majorité d’artistes de Marseille-AixToulon l’est au contraire. D’autant que l’appellation Memory of Present ressemble à un étrange fourre-tout... dont se défend Alessandro Castiglioni : «Cette catégorie est née quand on a vu les œuvres. C’était important d’avoir une réflexion sur la relation entre le présent et le classicisme car le travail de beaucoup d’artistes français dialogue avec la mémoire et les problématiques que la relation à la mémoire crée. Ils ont tous une grande capacité à la réinterpréter». Explication qui apaise le sentiment de certains d’être «relégués» dans un espace excentré qui plus est... Martin Lewden et son Sweet Madness révélé sous tous les angles malgré un accrochage qu’il juge inadéquat, Kathialyn Borissoff et sa série Ostéogenèse imparfaite qui pâtit d’un éclairage direct, Julie Balsaux (Cloud) et Jane Antoniotti (Potemkine), Arthur Sirignano dont l’installation The Recumbent Figure aurait mérité un environnement plus approprié ou Elvia Teotski qui jette la zizanie dans ses Petites perceptions instables en projetant à terre quelques cubes de papier enzyme... Geste artistique ou geste symbolique qui perturbe un ordonnancement que l’on imagine immuable ? MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Inauguration les 6, 7, 8 et 9 juin, expositions jusqu’au 7 juillet www.bjcem.net www.espaceculture.net




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