Zibel76

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un gratuit qui se lit

N째76 du 16/07/14 au 17/09/14

Intermittents : la lutte continue, les festivals aussi



Politique culturelle Aix-Marseille Université .......................................4 Inauguration IMMTS à la Friche, Rencontres Déconnomiques ..................................5 Gare Franche, entretien avec Alexis Moati, Rencontres Giono ................................................6 Revendications des intermittents, MOD, Festival de Marseille ..........................................8, 9

Critiques Festival d’Avignon ........................................... 10, 11 Festival Off .................................................... 12, 13 Vaison Danse, Hivernales ....................................14 Festival d’Aix .....................................................16 Musique ...................................................... 17 à 20 Cinéma FID .................................................... 22, 23

MuCEM ................................................................ 24 Festivals Musique ...................................................... 26 à 32 Rue .................................................................34

Au programme Rentrée ............................................................36 Cinéma .......................................................... 38, 39

Cinéma .......................................................... 40 à 42 Arts visuels ................................................. 43 à 54 Rencontres ......................................................... 56 Livres ............................................................ 58 à 62

Où est la gauche ? De festivals en festivals, la révolte gronde. Les spectateurs, solidaires, applaudissent aux discours qu’on leur propose au début de chaque spectacle qui se joue. Mais à Paris, des lois installent une politique libérale d’austérité désapprouvée par nombre d’élus socialistes, et pour laquelle François Hollande n’a pas été élu. Le sentiment de trahison flotte et persiste. Pendant ce temps l’ancien Président de la République est mis en examen pour corruption, et le peuple français se détourne des politiques prétendument réalistes qu’on lui impose. Il sait qu’une autre voie est possible, qui cesserait de creuser les inégalités, d’accuser les précaires, de privilégier une oligarchie qui ne défend que ses intérêts particuliers, de classe. Car la France, pays riche, abdique la notion même d’intervention publique, abandonne les pauvres, et répond à l’accroissement du nombre des chômeurs par la diminution de leurs droits. Au Sud le monde culturel serre les rangs, interpelle enfin le public fidèle assoiffé de parole politique, et dégouté par l’appauvrissement intellectuel des médias audiovisuels, et d’une grande partie de la presse. Il sait qu’il est temps de changer de cap, d’inventer des formes nouvelles de résistance, de refonder une gauche qui défende le peuple et ait soif d’égalité et de justice, plutôt que de pouvoir et de compromis. L’été passera. Il s’agira à la rentrée de ne pas baisser les bras, de reprendre la parole confisquée par des politiciens qui prétendent détenir une vérité économique d’évidence. Les alternatives existent, dans ce pays où les actionnaires et les banques ne cessent de s’enrichir. Il faut que les intellectuels construisent des réponses claires, que les artistes inventent des mondes sensibles, que la presse cesse de tenir un discours unique, que les spectateurs et citoyens s’emparent à nouveau de la chose publique, en tournant le dos au mirage mortifère du FN. Et que chacun explique encore et encore à ceux qui sont tentés par la haine que le rejet et la stigmatisation de l’autre, du pauvre, est dangereuse, immorale et triste. Parce que l’entre-soi réduit l’horizon comme un hublot sale face à la mer, et que nous avons besoin du vent du large. AGNÈS FRESCHEL


Construire le savoir P O L I T I Q U E C U L T U R E L L E

Quiconque s’est promené récemment aux abords de la Faculté de Lettres d’Aix-en-Provence aura constaté une nette agitation. Un bâtiment se construit avenue Robert Schuman, à l’entrée... et ce n’est qu’un début. Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est venue fin juin poser la 1re pierre de l’Opération Campus Aix-Quartier des Facultés, qui prévoit pour 2015 un parc de stationnement, la rénovation des locaux existants, et le réaménagement de l’ensemble des espaces extérieurs. D’autres projets concernent la Faculté de Droit, et le site scientifique de Luminy à Marseille, mais pour Hervé Isar, vice-président de l’AMU chargé du Patrimoine, «Il fallait porter intérêt aux Sciences humaines et sociales, qui ont tendance à se sentir délaissées. Aujourd’hui, on est à la limite de la sécurité. Sans l’Opération Campus, on aurait dû fermer le bâtiment». Il est certes temps de rénover cette construction des années 50, dont les façades s’effritent dangereusement, et dont les salles de cours débordent régulièrement, les étudiants prenant des notes assis dans les couloirs. En Psychologie, l’une des filières les plus engorgées, «c’est mieux depuis l’an dernier», déclare une jeune femme inscrite en Licence. Hervé Isar explique cette amélioration par une meilleure répartition des locaux, suite à la fusion des Universités intervenue en janvier 2012 : «Il n’y a plus de clivage avec la Faculté de Droit qui ne partageait rien. Le portail entre les bâtiments a été ouvert. Au début les deux communautés se regardaient en chiens de faïence, les uns craignant d’être envahis par les fascistes, les autres par l’avantgarde éclairée du prolétariat.» Une logistique optimisée, la prise en compte du facteur environnemental avec la construction de bâtiments aux normes HQE1, un soin attentif porté aux transports, pour développer la connexion entre Aix et Marseille («L’AMU pèse de tout son poids pour développer la liaison ferroviaire entre les deux villes»), tout ceci est très enthousiasmant, sur le papier. Cela ne suffit pas à convaincre les personnels de l’AMU. Un professeur déplore que l’on s’occupe plus des murs que des gens, évoque la «douce brutalité» de la direction du Pharo, dont découlerait une grande souffrance au travail, une perte de sens dans l’enseignement. Il ne souhaite pas donner son nom, «parce que des collègues ayant répondu à Médiapart ont été convoqués». Dans l’un des Centres de Formation de l’Université, le constat n’est pas plus encourageant : «Tout cela s’est fait sans concertation. On a fermé toutes les bibliothèques de section pour centraliser la gestion, et dans les

Tag Gandalf © Gaëlle Cloarec

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Aix-Marseille Université (AMU) se lance dans un programme de rénovation de grande envergure, pour accueillir ses 72 000 étudiants et asseoir sa vocation internationale

nouveaux bâtiments, il est strictement interdit de ramener des livres.» Le 10 juillet, tous les personnels étaient invités à une présentation du projet. On leur aura montré un plan du futur campus, incluant plusieurs Places : de la Connaissance, de la Culture, des Humanités. Cela suffira-t-il à dissiper leurs inquiétudes, dans un

contexte tendant à la libéralisation de l’enseignement ? On ne peut pas gérer une université comme une entreprise. GAËLLE CLOAREC 1

Haute Qualité Environnementale

L’Europe en bailleur de fonds

Le projet de rénovation du site de l’AMU s’inscrit dans le cadre du Plan Campus, une vaste opération de financement des universités françaises. Initié en 2008, avec un budget estimé à 5 milliards d’euros, ce plan est resté quasiment bloqué depuis son lancement. Nommée ministre de l’Enseignement supérieur en 2012, Geneviève Fioraso remet en question la méthode choisie par ses prédécesseurs, écartant notamment le recours systématique aux Partenariats Public-Privé (ce modèle sera toutefois conservé dans le cas de l’AMU). En outre, une modification de la loi, entérinée en 2013, vise à faciliter les réalisations à venir : les universités françaises sont désormais autorisées à emprunter directement, à la Caisse des Dépôts et à la Banque Européenne d’Investissement. Un changement radical qui ancre un peu plus les facultés sur le terrain libéral. Au-delà de la rénovation, indispensable, il s’agit aussi d’inciter l’université à entrer dans des logiques de rentabilité. Le Plan Campus est réactivé, pour une enveloppe globale de 2,6 milliards d’euros, dont 1,3 milliards financés par la BEI. Il concerne les aménagements de treize universités françaises. Pour l’AMU, le budget est de 250 millions d’euros, dont 127

millions issus d’un prêt de la BEI. L’objectif étant de faire de l’AMU un site de dimension européenne et internationale. Avec à la clef, l’opportunité de puiser de nouvelles ressources. «Si l’AMU réussit son développement, elle pourra solliciter d’autres financements européens majeurs», explique Cyril Robin-Champigneul, chef de la représentation de la Commission Européenne à Marseille. Ainsi, le programme Horizon 2020, axé sur la recherche et l’innovation, avec «l’excellence scientifique» pour priorité, représente une manne de 80 milliards d’euros, à répartir sur l’ensemble des états membres de l’UE. Quant au budget total du dispositif Erasmus, en nette augmentation pour la période 2014-2020, il est doté de 15 milliards d’euros. JAN CYRIL SALEMI


Première pierre et vieilles lunes C’est en pleine grève des intermittents qu’a été posée à La Friche la première pierre de l’IMMS, Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle. Les étudiants de L’ERAC (Ecole régionale d’Acteurs de Cannes) et de l’ISTS (Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle d’Avignon) seront donc réunis pour parfaire et conclure ensemble leur formation ; c’est la volonté conjointe de la Ville de Marseille et de la région PACA qui va permettre cela, dès la rentrée 2015.

Mais peut-on aujourd’hui se réjouir de ce désir affiché de soutenir le spectacle vivant ? Un malaise épais flottait sur les réjouissances et les agapes en ce 3 juin. Comment ne pas penser aux difficultés que les futurs élèves traverseront dans leur vie professionnelle, à l’heure où les budgets de la culture fondent comme neige au micro-onde, où les droits des artistes et techniciens sont bafoués ? Construire des murs ne suffit pas. Ni même, comme l’a dit Jean-Claude Gaudin, soutenir les intermittents en exigeant que les tournages fassent appel à des techniciens et artistes du cru. Ni même, comme l’affirma Michel Vauzelle, en portant leur combat jusque devant le gouvernement. Il est temps de se pencher sur une génération sacrifiée, celle des 25 / 40 ans sortie de ces écoles supérieures, qui

L’écho des écos Gérard Mordillat © Gaëlle Cloarec

Le 1er week-end de juillet voyait une armada d’économistes envahir Aix-en-Provence. D’un côté, le Cercle des Economistes dits «orthodoxes», 15 ans d’âge, cossu, dont les membres ne se déplacent qu’en berlines noires. De l’autre, les participants aux Rencontres Déconnomiques, rassemblés pour la 2e édition de leur manifestation anti-néolibérale, arborant un nez rouge comme signe de ralliement. Des visions radicalement différentes de l’économie, et qui se côtoient fort peu : les uns repliés dans les locaux de la fac de Droit, les autres peuplant les amphis de la fac de Lettres. Le portail qui avait été ouvert entre les bâtiments lors de la fusion des Universités était d’ailleurs refermé ce week-end... Faut-il y voir un symbole de la division idéologique qui sépare les deux cercles ?

De ces Rencontres Déconnomiques, on retiendra deux points particulièrement importants (hormis le fait déjà souligné que très peu de femmes étaient invitées sur l’estrade, et qu’aucune ne figurait au programme). En premier lieu, la présence de plus en plus marquée de l’écologie politique dans les courants de réflexion. On y arrive enfin, selon Hervé Kempf, «car on ne peut pas concevoir une alternative au dogme néolibéral sans penser l’économie avec l’écologie». Avec l’entrée dans l’Anthropocène, l’humanité constate qu’elle peut déséquilibrer la biosphère à l’instar d’une force géologique, en torpillant les ressources de la planète pour assouvir ses besoins en énergie. Le modèle de surconsommation des pays riches ne pourra pas être maintenu au niveau actuel, à mesure que la démographie

n’a jamais pu trouver sa place, et vit souvent de minimas sociaux. Par ailleurs, est-il encore raisonnable de proposer une telle représentation ? 2 élus ♂, 3 présidents ♂, 3 directeurs ♂ (La friche, l’ISTS et l’ERAC)… on espère pour nos jeunes filles que ce n’est pas un tableau de leur avenir. D’autant que Michel Vauzelle profita d’un quiproquo sur les sièges pour annoncer que, comme son ami Jean-Claude Gaudin, il allait briguer un 4e mandat. Et que la seule élue ♀ était la maire d’arrondissement Lisette Narducci, dont on ne sait pas trop qui elle représente. Beaux exemples pour nos jeunes ? AGNÈS FRESCHEL

mondiale augmente et que les inégalités sociales se font plus criantes. Or partout, les oligarchies qui détiennent le pouvoir économique, médiatique, décisionnel, «bloquent l’évolution vers un rééquilibrage». Hervé Kempf perçoit deux scénarios possibles : soit on s’achemine vers un accaparement des matières premières, avec des régimes de plus en plus autoritaires et des logiques bellicistes, soit on effectue un virage vers ce qu’il appelle une écologie équitable, les sociétés riches acceptant de réduire leur consommation, ce qui permettrait de résoudre les inégalités. Deuxième point fort de ces Rencontres : la présence des intermittents et précaires, en plein cœur de leur lutte. On a apprécié notamment le parallèle effectué par Gérard Mordillat entre le conflit irlandais, terrain d’expérimentation idéal pour l’armée anglaise qui l’a fait traîner pendant des années, et le remodelage du régime de l’intermittence, «laboratoire du patronat, qui va être généralisé et préfigure le travailleur du futur, remplaçable, déplaçable à merci». Une remarque pour finir : alors que la moyenne d’âge du public des Rencontres Déconnomiques tourne autour de la cinquantaine, on note que le Cercle des Economistes recrute massivement parmi la jeunesse. Ne faudrait-il pas s’en préoccuper ? GAËLLE CLOAREC

Les Rencontres Déconnomiques ont eu lieu du 4 au 6 juillet à Aix

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Le renouveau dans la continuité 6 P O L I T I Q U E C U L T U R E L L E

La Gare Franche prend un nouveau tournant en invitant Alexis Moati à coécrire le projet artistique de ce lieu hors norme

En 2013, après la disparition de son «capitaine» Wladyslaw Znorko, l’équipe de la Gare Franche s’est posé la question de la poursuite de son action, décidant qu’«il ne pouvait pas rester qu’un lieu de résidence d’artistes» comme le dit Catherine Verrier, sa coordinatrice générale. «Ça manquait d’un fil conducteur, de quelqu’un qui nous accompagne sur une durée significative pour impulser son énergie, et bien sûr développer son propre projet.» Après un appel à candidature, c’est le projet d’Alexis Moati qui a été retenu : la Cie Vol Plané, qu’il dirige, s’installe donc pour trois ans dans ce lieu «atypique, poétique et singulier». Une collaboration entre les deux compagnies -Cosmos Kolej et Vol Plané- s’instaure sur l’ensemble du projet artistique, «pour le faire perdurer, l’accompagner ailleurs en gardant les couleurs de la Gare Franche». L’idée première de maison d’artistes, de laboratoire, de creuset de création dans lequel «on cherche, on se trompe, on travaille», devrait s’ouvrir à des artistes de tous horizons invités pour «travailler ensemble sur des thèmes communs dans un temps qui ne soit pas uniquement un temps de production». Le lieu sera également ouvert à des architectes, des sociologues, des philosophes, des journalistes, invités à poser un regard différent, des Regards francs, pour le requestionner. Il s’agit de remettre la Gare franche au cœur d’une circulation qui comprendra le quartier, la ville, la région et la France, pour un développement à grande échelle. Depuis sa création, et selon la volonté de Znorko, la Gare Franche est un «trait d’union géographie et humain» entre le Plan d’Aou et le noyau villageois de Saint-Antoine, en plein cœur du 15e arr. ;

convaincu que l’avenir de Marseille passe par ces quartiers-là (les quartiers Nord, parmi les plus pauvres de Marseille), Alexis Moati va plus loin en souhaitant créer une «classe libre» d’une quinzaine d’adolescents, «témoins privilégiés de l’aventure», qu’il désire étroitement associés au lieu. Dans la continuité du travail entamé par Vol Plané sur cette période précise (Peter Pan en 2010, La Petite Sirène en 2013, et Et le diable vint dans mon cœur qui sera créé la saison prochaine), ces jeunes seront sollicités en tant qu’auteurs dans les domaines du théâtre, de la danse, de la photographie… devenant véritablement acteurs des projets, en sollicitant aussi tous les artistes en résidence. Et pour que l’aventure soit complète, il est aussi question de voyages à l’étranger, pour leur faire rencontrer le monde différemment, voire le réenchanter ! Toujours dans un souci de liaison avec le centreville, et pour que le rayonnement de ces actions soit le plus large possible, Alexis Moati a demandé à ce que ce «Groupe des 15» puisse avoir le label du Conservatoire de Marseille, pour devenir une «classe libre décentralisée». Tout se met en place petit à petit, et pour officialiser son implantation au cœur de ce territoire, Vol plané prépare déjà sa pendaison de crémaillère qui aura lieu le 10 octobre. Et quoi de mieux pour se présenter que de jouer ! L’Avare et Le Malade imaginaire seront donnés ce soir-là, en attendant d’autres précisions à venir. En attendant aussi de savoir si, comme le souhaite Catherine Verrier, ce projet peut «devenir un chemin intéressant à reproduire». DOMINIQUE MARÇON

Giono revient de guerre Effectivement, c’est l’année ! Centième anniversaire du début de celle que l’on nomma la Grande Guerre, la si atrocement meurtrière guerre de 14-18. Les Rencontres Giono, qui se déroulent à Manosque du 31 juillet au 4 août permettront de revenir sur les marques profondes qu’elle a laissées et qui parcourent l’œuvre de Jean Giono, lui qui écrivait en 37 dans Refus d’obéissance : «Je ne peux pas oublier la guerre. (…) Vingt ans ont passé. Et depuis vingt

ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi.» Les quatre journées s’articulent chacune autour de grands thèmes : Le retour du soldat (le 31 juillet), Penser la Paix (le 1er août), Art de la guerre/ «Guerres, objets d’art» (le 2), Ciné sous les étoiles, avec la projection de La vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier (le 3), Écrire et filmer la Grande Guerre aujourd’hui (le 4). On aura

le bonheur de retrouver un contact direct avec les textes de Giono, dits par Lélio Plotton, Je venais d’être démobilisé, Jean Giono écrits pacifistes, Bernard Paccot, Certitudes, Philippe Girard, Recherche de la pureté, Bruno Raffaelli, Le Grand Troupeau… Une analyse d’œuvres maîtresses sera proposée lors de conférences, des tables rondes chercheront à déterminer le traitement du thème de la guerre à travers ses représentations dans l’œuvre du chantre du pacifisme

que devint Giono et tenteront un prolongement contemporain dans le cinéma. Films, concerts, expositions viennent compléter ces journées denses et passionnantes. MARYVONNE COLOMBANI

Les Rencontres Giono du 31 juillet au 4 août Manosque 04 92 87 73 03 www.rencontresgiono.fr



Les intermittents du cœur

C U L T U R E L L E

© T&Y

P O L I T I Q U E

spectacles, quand justement il était vital pour ces artistes-là de le faire.

Que faire ?

Fallait-il se rendre au Festival de Marseille, lors des quelques dates qui ont pu être maintenues, encadré par 4 cars de police, et passer au-dessus des corps allongés des intermittents ? Fallait-il

déplorer l’annulation du Festival des musiques interdites, et se réjouir que le Mimi, le Charlie Free, les nuits électro du Cabaret aléatoire aient lieu sans faillir ? Fallait-il poser un lapin à la Ministre descendue parler aux intermittents marseillais, et fallait-il que les notables locaux de la culture se rendent sur la scène nationale du Merlan au pot de départ de sa directrice, signant ainsi un divorce inédit entre employeurs et employés de la culture, dans un milieu où ils ont toujours été solidaires ? Fallait-il écouter Haendel entre des haies policières, aux côtés des festivaliers internationaux de l’Art Lyrique aixois qui n’ont cure de nos problèmes sociaux ? Fallait-il simplement entrer dans les salles de spectacles en brandissant les slogans que nous distribuaient les intermittents devant les portes de Montpellierdanse ? Et écouter chaque soir le non merci au Gouvernement, ou Victor Hugo défendant l’instruction publique en 1848, en affichant sur nos poitrines le carré rouge des grévistes du Festival d’Avignon ? Et en bataillant auprès des quelques spectateurs voisins qui se prétendaient «pris en otage» ? Résister autrement est-il possible ? La question est sur toutes les lèvres. Le travail est désormais

Résister en jouant Les 17 et 18 juin, Marseille Objectif Danse programmait une pièce d’Ivana Müller. Positions consiste en un échange de pancartes représentant les valeurs de notre société marchande. C’est drôle et dérisoire, impertinent quand les possessions, qui se réduisent à un biscuit au fond de la poche et la nationalité française, s’échangent contre deux amis ou un petit bateau… Le 17 juin la compagnie annula. Le 18 juin le spectacle fut joué, puis interrompu au bout de 40 mins pour discuter avec les spectateurs de la grève, du régime de l’intermittence, des chiffres. Un débat animé et chaleureux, qui prolongeait bien ce spectacle tronqué, déjà politique. Au Festival de Marseille l’affrontement fut dur. Parce que cette édition se voulait résistante, et qu’empêcher des danseurs Palestiniens venus pour la première fois en Europe, ou le spectacle de Kentridge si politique sur Ubu après l’Apartheid, n’est pas forcément la meilleure voie de résistance. Mais aussi parce que le mouvement s’est durci, entre des grévistes qui se voyaient remplacer dans leurs tâches par des non grévistes, qui affirmaient pourtant leur solidarité avec leur cause… Un mot de ce qui a eu lieu ? Vertigo confirme la vigueur d’une danse israélienne… vigoureuse.

Très belle par moments, portée par des danseurs sublimes, la pièce de Noa Wertheim faite de moments successifs, tout en noir et blanc et Positions, Ivana Müller © Nyima Leray

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Que de tristesse et de désarroi ! En 2003 l’annulation des Festivals avait un goût amer, mais du moins le milieu avait-il su résister ensemble. En 2014 les festivals ont lieu, plus ou moins perturbés, plus ou moins solidaires. Les dissensions internes se font jour, entre les directeurs et les personnels, entre les permanents et les intermittents parfois, entre l’audiovisuel et le spectacle vivant, en première ligne des restrictions du MEDEF… Entre partisans de la grève pure et ceux qui disent qu’il faut continuer à jouer, et que la résistance est là : ne pas jouer quand le Gouvernement a signé semble ne plus servir à rien, même si la grève est le seul moyen dont les artistes et techniciens ont disposé après 10 ans de propositions concrètes et six mois de lutte. Les regrets sont nombreux. Que le Printemps des Comédiens et Uzès danse, qui ouvraient la saison, aient été sacrifiés, que les 48 heures chrono de la Friche n’aient pas eu lieu alors que le Festival de Cannes n’a pas été touché, que les lieux où l’art est le plus fragile, le plus risqué, le plus naturellement dans la résistance, soient ceux qui aient subi les plus sérieux dommages. Que les artistes n’aient pas pu présenter leurs

en sensualité musclée, paraissait parfois un peu vaine, dans ce contexte. Le programme proposé par le Nederlands


de convaincre que la lutte est juste, en prenant acte du fait que la fragilité du milieu culturel amoindrit ses capacités de lutte, et l’abandon de l’État est effectif. Que le discours sur les privilèges de ceux qui «bénéficient» du régime de l’intermittence doit être à nouveau, et sans faillir, désamorcé, en montrant les chiffres : le faible niveau de vie de la plupart de ses bénéficiaires, le peu d’économie que rapporteraient les mesures actuelles, le coût énorme sur l’économie qu’aurait une fragilisation plus grande encore du secteur… Il faut sans doute trouver de nouveaux modes de lutte, en réaffirmant l’importance de la culture, et pas seulement du régime des intermittents. Contrairement à 2003, la puissance publique ne compensera pas les pertes financières, et les responsables des structures culturelles se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Incapables de supporter de nouveaux coûts sans licencier et fermer, ils résistent aux annulations, et jouent devant des spectateurs désarçonnés. Il est temps d’édifier avec eux, avec tous, avec les médias qui le veulent, les politiques et les syndicalistes qui le souhaitent, une politique culturelle inventive, différente, solidaire, à la mesure de la richesse intellectuelle et artistique de la nation. C’est-à-dire, aussi, de la 5e puissance économique mondiale, dans un pays où les banques ont en 2013 retrouvé des bénéfices record. AGNÈS FRESCHEL

Dans Theater avait, par sa perfection sensible, une autre capacité de résistance : celle qui émeut et qui, par les vertus de l’art, peut marquer les esprits. Si Postscript, de Sol León et Paul Lightfoot sur deux musiques de Phil Glass reste un peu maniériste malgré d’indéniables qualités de composition, Gods and Dogs de Jiří Kylián tiraille magnifiquement les corps entre l’ange et la bête, rapprochant et confondant les extrêmes en un mouvement constant. Quant à la création d’Alexander Ekman sur les élans trafiqués de Haydn, c’est jeune, bouillonnant, parfait, plein de force, d’ironie et d’inventivité, fabriquant dans la fougue de ces 16 danseurs lancés avec une énergie folle des images réellement inédites de corps prisonniers dans des espaces clos et libres pourtant de leurs gestes. Un autre programme a eu lieu, sans perturbation : celui du BNM. Il faut dire que les danseurs et la plupart des techniciens y sont salariés, et non précaires. La soirée de créations fut exceptionnelle. Le soliste japonais, Yasuyuki Endo, et son complice au tambour japonais Léonard Eto, ont imaginé des pliés et déhanchés époustouflants pour une aventure des origines dans une lumière qui sculpte les corps. Puis Richard Siegal a sublimé les performances des danseurs dans les déplacements géométriques de Metric dozen. Vêtus de costumes unisexe noir et métal, dix danseurs ont fait vibrer les corps et éclater l’espace. Et nourri les esprits ? AGNÈS FRESCHEL et CHRIS BOURGUE


Avignon remet sur le T H É Â T R E

L’annulation du premier jour, puis celles du 12 juillet, quelques soirées de pluie venues compliquer le reste, ont néanmoins permis aux festivaliers de goûter à un renouveau des propositions, clairement orientées vers un théâtre «de texte». Pour la plupart réussies, et construisant pour les spectateurs un climat plus apaisé, loin de certaines querelles esthétiques : sans recherche de bouleversement des dramaturgies, et reposant sur la confiance en un «métier» et des formes théâtrales qu’on pourrait qualifier de «classiques».

Novarina, Ghelderode, Hölderlin

Quelques déceptions néanmoins. Falstafe de Novarina, à destination du jeune public, est mis en scène par Lazare Herson-Macarel avec platitude. La variation autour du bouffon enflé de Shakespeare emprunte de larges passages à Henry IV, mais se concentre sur la filiation symbolique et les reniements du Prince de Galles adolescent, qui ne peut devenir roi qu’en trahissant son père de jeu. Hélas les panoplies, épées de bois, marionnettes et combats en toc parodient l’enfance sans l’intéresser forcément… Josse De Pauw réunit en Huis (clos ?) deux textes du dramaturge flamand et les relie par la musique symphonique, enregistrée mais sublime, de Jan Kuijken. Des fulgurances en résultent, la description de l’aube, les cloches de la mort, puis le récit de la mort du Christ par les femmes qu’il rencontra. L’étrangeté mystique flotte, la folie clinique, les mythes déportés de leur cadre historique… sans que l’on comprenne tout à fait pourquoi les corps s’agitent ainsi, et ce qui est dit. Peu importe ? L’échec d’Hypérion est bien plus profond. Marie Josée Malis parle pourtant si bien du théâtre ! De ses enjeux politiques, de ses conventions formelles ! Comment a-t-elle pu construire une forme qui vide à ce point la salle ? Jamais on n’avait vu à Avignon des spectateurs s’éloigner avec moins de tapage, visiblement désolés de ne pouvoir adhérer à un projet qui semblait si beau. Car Marie Josée Malis a confondu son refus légitime du théâtre de divertissement avec l’absence totale de préoccupation de lisibilité. Or le théâtre n’a de sens que devant un public, qui doit comprendre ce qui se passe. Celui d’Avignon est cultivé, et bon nombre de spectateurs connaissaient Hölderlin, ou étaient prêts à le découvrir. Pourquoi lui proposer 5h d’un texte opacifié par des coupures, prononcé avec une lenteur systématique devant un décor gris et ignoré, par des acteurs volontairement

Orlando © Agnès Mellon

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Le premier Festival d’Olivier Py se déroule dans des conditions exceptionnelles…

ternes, face public, qui ne jouent rien entre eux, n’incarnent rien, et rendent incompréhensible ce qui pourrait aisément l’être ? Le projet politique de Marie Josée Malis, qui pense qu’il faut révolutionner les comportements en rendant le spectateur sensible à la raison par l’expérience de la beauté, est mis paradoxalement en échec par son absence de préoccupation de ce qu’il vit réellement dans la salle. Hypérion devient un pensum, et risque de dégoûter de l’expérience de renouvellement des formes, pourtant nécessaire, que prône la metteur en scène.

Kleist et Py

Dans la Cour d’Honneur un autre auteur allemand de la même époque, épris lui aussi de philosophie hégélienne. Mais ayant écrit du théâtre, c’est-à-dire ayant dramatisé les concepts, politiques, de la nation, de la justice et du droit, et du recours à la violence. Le Prince de Hombourg est un chef-d’œuvre fascinant peu joué sur les scènes françaises, sans doute parce que la pièce exalte une nation allemande belliqueuse, et aussi parce que le personnage est lié à l’interprétation historique de Gérard


métier Philipe en 51. Giorgio Barberio Corsetti parvient à la fois à en rendre la lettre et la beauté poétique, mais aussi à construire un propos politique loin du romantisme de Vilar. Plongeant Xavier Gallais dans l’enfance, il souligne sa candeur, le fait monter sur un immense cheval de bois, puis passer par une bouleversante prise de conscience de sa mort prochaine, où il est prêt à tous les renoncements. L’Electeur exerce sur ce fils rêveur et trop fougueux un véritable dressage par l’injustice et l’arbitraire afin qu’il entre dans le rang, puis il le prive de ses fantasmes et le transforme en marionnette de guerre. L’espace de la Cour est peuplé d’effets scénographiques et vidéo splendides et les comédiens magnifiques subliment le texte, même si leur jeu souvent en subtiles ruptures perd sans doute de la force en haut des gradins. Autre histoire de fils perdu, le nouveau texte d’Olivier Py. Orlando nous met une fois de plus en face de son talent si particulier d’homme de théâtre, et de ses quelques défauts si persistants qu’il faut admettre qu’ils constituent son esthétique. Avec sa langue imagée, adorant l’excès et la rupture, il a écrit une quête dramatique très drôle, cruelle, fustigeant le ministre de la Culture, parlant théâtre, un peu d’un Dieu plus allégorique qu’anagogique, beaucoup d’une société dominée par l’échange marchand et

ayant perdu de vue l’idéal qui nous habite. Le Père qu’Orlando réclame avec impatience n’existe pas, sauf aux Cieux peut-être, ou en un simulacre de théâtre. Mais plus que le propos ou la langue, la maîtrise de la scène époustoufle : celle du rythme dramatique, ou quatre heures passent en un instant grâce à l’alternance d’un comique vache et d’envolées plus lyriques, à la construction d’une fable, de pacotille mais qui tient en haleine, et à un système nouveau dans l’écriture de Py de répétition/variation de la scène initiale. Et puis : la scénographie de Pierre André Weitz, qui empile le théâtre dans le théâtre de ses machines à roulettes ; et puis : le talent de comédiens en confiance qui rivalisent d’incongruités, Jean Damien Barbin en tête, et Matthieu Dussertine, si jeune et déjà si mature, avec tant de souffle…

Dante et Platel

Autre auteur/metteur en scène, Emma Dante fait aussi preuve d’une virtuosité et d’un amour du théâtre à toute épreuve. Le Sorelle Macaluso parlent, palermitain, populaire, à toute allure et toutes de front, et racontent leur vie à la manière de cette littérature du sud italien forte en gueule et en tragédie. Cela sent la méditerranée rocailleuse, celle où l’on se baigne de rires et où l’on se noie, où la pauvreté construit la tragédie et où l’amour ne sauve rien parce

que la mort guette. En une heure et quart, des vagues d’émotion surgissent et emportent, nouent la gorge, grâce une fois encore au sens du rythme, du coup de théâtre, au talent de comédiennes qui forment un chœur d’individus touchants, et maîtrisent le virage tragique, et en la capacité à raconter une histoire… L’art de Platel est tout autre, mais épate aussi par sa maestra, et sa générosité. Sur ce plateau-là il n’y a que des hommes, et rien n’est traduit. Pas de textes sinon celui des chants, pas de théâtre ni de danse sinon celui qu’entraîne la musique. Mais un projet extraordinaire : quatorze musiciens danseurs chateurs congolais interprètent notre répertoire baroque, de Porpora à Gluck, sur balafon, likembé et percussions africaines. Le contre ténor Serge Kakudgi, comme les autres, sidère par son talent musical, qui se double d’un talent de danseur… C’est la plasticité, la multiplicité, la profondeur des savoir-faire, la justesse des relectures musicales, qui subjugue, et en douceur le message passe : «Il y a des Noirs talentueux». Platel démontre une fois encore, d’un Coup fatal, combien nos scènes ont tort de fonctionner avec les seuls corps normés de nos habitudes dramatiques européennes… AGNÈS FRESCHEL

Le spectacle continue… Dans Lied Ballet, Thomas Lebrun revisitait le patrimoine chorégraphique, confrontant les deux formes majeures de l’époque romantique, et leur glissement de la notion de populaire à savante. Trois actes performatifs, d’une écriture et interprétation minutieuses, utilisant à l’extrême codes lyriques et théâtralité affectée, Schubert, Mahler, extase et volupté… au risque de pêcher par application. Une pièce élégante et érudite, sans impétuosité débordante, qui ouvrait, en étant programmée au Cloître des Carmes, à un inconfortable parallèle avec la fiévreuse Tragédie de Dubois... De danse, il sera encore question dans cette seconde partie du Festival. I am devrait être un moment fort de la Cour, le chorégraphe néo-zélandais Lemi Ponifasio, à la lisère du politique et du mystique, ayant réuni des artistes d’ici et d’ailleurs pour participer «à une cérémonie en l’honneur des vingt millions d’êtres humains morts pendant la Première Guerre mondiale» (du 18 au 23). Julie Nioche, dans une recréation de Matter (du 20 au 27) rassemble aussi une «tribu», de femmes. Et Robyn Orlin, des danseurs formés à l’école des Sables de Germaine Acogny (jusqu’au 18). Un florilège de musiques à venir : le cabaret égyptien Haeéshek… (jusqu’au 18), An Old Monk

Mai, juin, juillet © Michel Cavalca

à la Chartreuse (du 16 au 21), Cinq Chants du 20 au 24 dont Interzone (voir Zib’61), le Cycle de Musiques Sacrées (du 20 au 25), le festival électro Résonance (26 et 27) et les Têtes raides et Jeanne Moreau, en clôture le 27. Et du théâtre à foison, politique, sociétal, historique (militant ?) : Mai juin juillet par Schiaretti avec Robin Renucci en Vilar (jusqu’au 19) pourrait faire jaillir le débat attendu, Intérieur de Claude Régy (jusqu’au 27), Von Kleist (repetita) pour Corsetti dans La famille Schroffenstein (16 au 19), La Imaginación del futuro (17 au 25), Solitaritate (19 au 27), Notre peur de n’être de Fabrice Murgia (21 au 27), Henry VI en 18 heures

(21, 24 et 26), La Ronde du carré par Dimitris Karantzas (22 au 25), Thomas Ostermeier de retour avec Le Mariage de Maria Braun (23 au 27), 2014 comme possible de Didier Ruiz avec le témoignage d’adolescents d’Avignon (24 au 27), Hugo visité par Guénoun et l’ISTS dans les Pauvres gens (24 au 26), La chaste vie de Jean Genet de Lydie Dattas (26). Les enfants investiront le lieu qui leur est destiné (Pénitents Blancs), avec Même les chevaliers tombent dans l’oubli (jusqu’au 20), et les Contes de Grimm version Olivier Py, si les adultes leur cèdent la place (23 au 27). Marie-Agnès Gillot et Lola Lafon créeront pour les Sujets à Vifs (jusqu’au 24) et, jusqu’au 27, les Ateliers de la pensée accueilleront des dialogues artistes/spectateurs, et des rencontres (Notre part d’enfance, le 17, dans le cadre de la Belle Saison soutenue par le Ministère de la culture), sur le site Pasteur. DE.M

Le Festival d’Avignon se poursuit jusqu’au 27 juillet 04 90 14 14 14 www.festival-avignon.com

11 PT H O LÉ ÂI T RI E Q U E C U L T U R E L L E


Le festival Off, 12 T H É Â T R E

Des fêlures sur les planches

et ses 1307 spectacles, se déploient doucement, mais sûrement, en ce mois de juillet Le temps suspendu de Thuram © Soyle

La faute aux intempéries, à la crise, au porte-monnaie, à la lutte des intermittents qui fait reculer le public-consommateur, au trop-plein ? Certaines salles, pourtant traditionnellement remplies dès le démarrage du festival, affichent un début de fréquentation en baisse par rapport à 2013. Le festival n’est pas annulé, mais sa mise à feu traîne un air de blues général. Quelques compagnies du Off ont fait grève, le 7, puis le 12 juillet plus massivement, ralliées au collectif indépendant du In, tous dans le même bateau, pour faire corps dans la lutte. Elles mènent des actions, organisent des débats, manifestent pacifiquement, participent (parfois avec leur maigre recette) à une caisse de solidarité pour les grévistes et précaires, continuent de protester comme elles le peuvent contre l’accord général d’assurance chômage désormais agréé. Ainsi les artistes et techniciens ont choisi de jouer, de faire leur métier, la plupart piégés dans un dilemme économique culpabilisant, parce que…

…le spectacle continue

Au théâtre des Doms, des acteurs sympathiquement fêlés dans le System Failure, adeptes toqués de jeux vidéos et autres séries SF, tentent de nous embarquer dans «un autre flux temporel» à partir de leur programme informatique (à virus augmentés) pour satisfaire nos désirs de spectateurs. Bien entendu, le concept reste utopique et défaille à plaisir. Si le goût de l’absurde, signe distinctif de la création belge -qui, plus sérieusement, voit ses artistes souffrir des mêmes inquiétudes qu’en France face à leurs droits sociaux- se distille à cœur joie dans la forme (idées scénographiques sémillantes et fabriquées à vue,

comique de répétition, dialogues en voix off, travail sonore épatant), le fond sonne en creux et un peu toc à son tour. Ici, la relation humain-machine, à l’instar des hubots suédois de Real Humans qui surenchérissent dans la réflexion socio-psychologique, reste en exergue pour ne retenir que le décalage théâtralisé. Nous ne passerons pas dans la 4e dimension, toujours calés derrière notre mur invisible, mais ne resterons pas intouchables : tranche de rire assurée ! Au Festival Théâtr’enfants, un ovni, un vrai, de ceux qui touchent au cœur et font grandir, à tout âge. Une forme simple et efficace (l’installation-gigogne figure personnages et lieux), pour un texte et une interprétation en or. Vénavi ou pourquoi ma sœur ne va pas bien de Rodrigue Norman, mis en scène par Olivier Letellier qui décidément ose parler aux enfants de sujets complexes, est un conte initiatique sur le deuil et la réparation. Gaël Kamilindi, juste et sensible, tient tous les personnages de cette histoire de (faux) jumeaux, considérés comme des (demi) dieux dans un village africain. Akouété, le garçon, est mort, et raconte comment les adultes, parce qu’ils n’ont pas eu le courage de le dire à sa sœur Akouélé et omettent de lui fabriquer une statuette réparatrice et porteuse de vie (le vénavi), enferment la fillette dans un secret intenable. Ils mentent, trop longtemps, et l’attente impossible l’empêche de grandir. Combien d’arbres à abattre pour retrouver son frère sensé couper du bois dans la forêt ? Combien d’années de silence pour la «petite folle» et ses «grands yeux de solitude» coincée dans son corps de fillette ? Sans être éludée, la tristesse n’est jamais pesante, et la vérité gardienne de vie, les enfants le savent bien… «Je


DELPHINE MICHELANGELI

Festival Off, Avignon jusqu’au 27 juillet www.avignonleoff.com Théâtre des Doms 04 90 14 07 99 www.lesdoms.eu Théâtre des Halles 04 32 76 24 51 www.theatredeshalles.com Maison du théâtre pour enfants 04 90 85 59 55 www.festivaltheatrenfants.com

Dans la forêt du Off, on peut déjà remarquer le beau travail d’Alain Timar au théâtre des Halles avec sa mise en scène dynamique et déjantée de la pièce de Ionesco Le Roi se meurt par la jeune troupe de l’Académie du Théâtre de Shangaï. Ne cherchez pas un écho de la version poignante de Michel Bouquet. Les artistes sont jeunes, impétueux, jouent de la parodie du pouvoir, de l’angoisse de la mort avec une distanciation ironique vivifiante. Pas de demi-mesure, on se glisse dans les costumes, sans jamais les endosser complètement, on rit, on jubile, on danse, on est cruel avec délectation, on dépoussière, on hurle au mégaphone, on donne une dimension Tian’anmen avec une belle fraîcheur, dans la grâce juvénile d’une fausse innocence. Dans le même théâtre on se délecte du foisonnement verbal de la création de la Compagnie Art.27. À titre provisoire de Catherine Monin vaut beaucoup mieux que sa fiche de présentation ! Cela commence par un cours de «sport métaphysique» délirant, suivi d’une série d’arrêts sur image où les personnages se lancent dans de longues discussions sur la vie, la mort, l’après la mort, la mise en perspective de l’existence. C’est joué avec humour, légèreté, éclairé par la mise en scène de Thierry Otin et les lumières de Julien Rousselot, l’ingénieux et symbolique décor de Christian Eysseric et l’espace sonore dessiné par Éric Dubos. On y parodie les «groupes de paroles», les clichés, les «pensées mises en boîte», on passe du coq à l’âne, on arpente avec délectation les cheminements du langage, on infuse les mots de leur richesse polysémique. Un pur régal, fin, intelligent, écrit, avec un parfum de Big Fish détourné en hareng inquiétant et qui hante l’obscurité de la scène. Au théâtre du Chien qui fume, on retrouve la saveur de l’écriture de Jeanne Béziers dans une adaptation du roman de Bram Stoker, Dracula, avec la Compagnie Théâtre Le Cabestan. Un personnage inattendu mène le jeu, le Diable, remarquable Fabien Duprat, meneur de jeu, manipulateur des marionnettes que sont les humains, artisan des rencontres, machiavélique metteur en scène. Les trois autres comédiens endossent tous les rôles avec panache dans une scénographie inventive, décalée de David Teysseyre, qui met en scène ce bal où table, chaise, instrument à rayon hypnotiseur, s’extirpent Little Boy © X-D.R

vais bien ne t’en fais pas», pourrait au loin souffler l’âme errante du jeune garçon… Autre auteur contemporain, Véronique Kanor, à qui une commande a été passée par la scène nationale de Guadeloupe autour des mythologies sportives. Il aura fallu sept versions, dans un dialogue nourri entre le metteur en scène Alain Timar et l’auteure, avant la version scénique finale créée à l’Artchipel. Dans l’intimité de la Chapelle du théâtre des Halles, Le temps suspendu de Thuram raconte l’histoire d’Eugène, enfermé dans sa vie ordinaire, qui se pique un jour de kidnapper le footballeur Lilian Thuram, figure «mythique» après ses deux buts lors de la coupe du monde 98 et son fameux geste de «penseur» agenouillé, pour le convaincre de délivrer un message d’affranchissement au monde. Un sujet pas captivant d’emblée de jeu, pour qui n’éprouve pas la passion du foot et sent pointer le syndrome de Stockholm, mais scrupuleusement traité par le metteur en scène-scénographe qui plonge ses acteurs, impeccables, dans une cave à tiroirs où se joue un huis clos, finement huilé, en forme de thriller. L’un étouffe dans «sa vie sans vie», sa femme, ses crédits, son papier peint ; le second dans l’écran, devenu à travers son statut d’enfant prodigue et de «grand grec» défenseur des opprimés, une représentation de lui-même qui lui échappe. Une joute verbale sans répit, arrosée de rhum et de doutes, déliée jusqu’à la farce grinçante, où la réalité médiatique rattrape ces «rois du monde», pantins surtout d’eux-mêmes, gagnés par leurs fêlures. À noter que Lilian Thuram sera présent le 17 juillet à l’issue de la représentation dans le jardin du théâtre.

Carré rouge

du décor comme par magie. Le Diable est vaincu, bien sûr, et l’amour vainqueur, mais la troublante ambivalence de chaque être empêche de tomber dans une vision manichéenne. Enfin, au théâtre du Balcon, on applaudit la nouvelle pièce de Régis Vlachos, Little Boy, inspirée de la correspondance qu’entretinrent pendant deux ans le philosophe autrichien, Günther Anders, et Claude Eatherly, le pilote qui fit le repérage météo au-dessus d’Hiroshima pour déterminer le moment idéal du largage de la bombe (Little boy). Poussé par le sentiment de culpabilité, ce dernier commet des délits pour être jugé, pour que le crime de guerre soit reconnu. La scène les réunit dans l’asile de fous dans lequel C. Eatherly est interné. Le philosophe conseille, soutient, encourage l’ancien pilote à écrire un livre pour témoigner, soutenir la cause pacifiste. Christophe Luthringer met en scène cette pièce remarquablement équilibrée, avec un rythme soutenu, les dialogues entre le pilote et le philosophe alternent avec des intermèdes rondement menés par Charlotte Zotto dans le rôle de l’ouvreuse qui vous propose des bonbons à l’iode, explique, documents vidéo à la clé, les principes de l’énergie nucléaire, ou présente certains mensonges électoraux. On rit beaucoup, sans oublier la gravité du sujet, qui évoque non seulement le mensonge d’état, le crime de guerre, mais porte aussi sur le langage, l’impossibilité de communiquer, que ce soit le pilote, trop frustre, englué dans sa folie (étonnant Christophe Alévêque) ou le philosophe (Régis Vlachos) qui ne sait pas dire bonjour sans circonvolutions jargonneuses. Cette pièce forte, magnifiquement interprétée dans un cadre dépouillé, sait à la fois nous titiller les zygomatiques et nous bouleverser. MARYVONNE COLOMBANI

Théâtre des Halles 04 32 76 24 51 www.theatredeshalles.com Théâtre Le Chien qui fume 04 90 85 25 87 www.chienquifume.com Théâtre du Balcon 04 90 85 00 80 www.theatredubalcon.org

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De la fougue

14 D A N S E

Au Off d’Avignon, le Centre de développement chorégraphique Les Hivernales est le seul plateau entièrement dédié à la danse, et offre depuis le 10 juillet une vitrine bien composée, et idéale, à sept compagnies régionales. Artistes de la région Paca, Michel Kelemenis et Christian Ubl se relaient le matin dans des œuvres lumineuses et pensées (Siwa et Zoll). Les pièces de groupe, et l’envoûtant solo Dorothy d’Anthony Egéa interprété par Vanessa Petit et accessible au jeune public, se succèdent jusqu’au soir, remplissant et enthousiasmant les salles de par leur diversité. Dans le festival de théâtre, la danse s’est fait une place privilégiée ! Ainsi, dans Sillons, Brahim Bouchelaghem (région Nord-Pas de Calais), remarqué au festival d’hiver dans son solo What did you say ? sur des calligraphies de Carolyn Carlson, entraîne à sa suite cinq danseurs hip hop dans une pièce fougueuse et enlevée qui délivre, en miroir inversé, la douce sensation d’un vivre (danser) ensemble de tous les possibles. Le danseur chorégraphe aurait-il réussi à dompter le don d’ubiquité ? Les interprètes, métissés, jeunes, aériens et physiques, dont les regards étrangement fixes intriguent cependant, se lancent dans une partition maîtrisée, tracent leur chemin de liberté, se rejoignent, s’enflamment, s’endiablent, apparaissent où on ne les attendait pas, et ralentissent la cadence pour extraire,

Mas-Sacre © Silvano Magnone

et du (bon) cru aux Hivernales

muscle par muscle, le mouvement dans son essence. Des tableaux de corps qui s’ajustent, se démultiplient et écrivent dans le faisceau du temps leur histoire commune. Plus radicale et engagée, la pièce de Maria Clara Villa Lobos est un régal de subversion et de modernité ! Mas-Sacre, accueillie en co-réalisation avec le théâtre des Doms, porte la folie et l’originalité de la «belgitude» en elle. Quelle intelligence d’écriture, lorsque la chorégraphe ose porter et croiser sur scène, pour revisiter le Sacre du Printemps, un regard critique sur les abus de l’industrie alimentaire sans tomber dans la mesquinerie ou la mascarade. C’est drôle, c’est cruel et c’est beau, ça grince aux entournures, parce que nous voilà frontalement mis en face de notre responsabilité de consommateurs aveugles, et de notre lien hypocrite avec les animaux ; ça caquète, ça bêle et ça coupe des têtes, mais ça ne plie jamais. Une rigueur enthousiasmante conduite jusqu’à l’épilogue,

sur des vidéos crues et plus que parlantes, et des interprètes qui performent sans se la jouer. Et puis… ça danse (moment d’anthologie lorsque la danseuse sublimement nue rejoue l’origine du monde et confond son anatomie avec celle des volatiles), s’accordant sur Stravinsky superbement ! Une tuerie ! DELPHINE MICHELANGELI

L’été particulièrement danse au CDC jusqu’au 27 juillet (relâche le 15) Les spectacles se jouent jusqu’au 20 juillet du 22 au 27 juillet, lecture Et tu danses, Lou par Pom Bessot et Philippe Lefait CDC Les Hivernales, Avignon 04 90 82 33 12 www.hivernales-avignon.com

Éternel tango © Diego Franssens

La chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, M¡longa, ouvre le Festival international de danse de Vaison-La-Romaine. De Buenos Aires, le chorégraphe ramène l’amour du tango, et cinq couples de spécialistes de cette danse auxquels il adjoint deux danseurs contemporains. L’ensemble est accompagné sur scène par cinq musiciens exceptionnels, investis chacun dans des formations de Buenos Aires. Cette ville se retrouve aussi dans le spectacle, par la grâce de la vidéo, on court le long des rues, comme dans une comédie musicale de Gene Kelly, avant de plonger dans les antres des cafés de la cité argentine, où l’on danse encore. Et c’est la vie qui se construit, à travers la folle complexité des pas, des jambes qui effleurent le sol en caresse furtive, le pointent, s’envolent, se virgulent, agiles, pattes d’insectes si rapides que l’œil ne peut tout saisir. Technique parfaite, mais ce n’est qu’une infime partie de l’œuvre. Tous les sentiments, tous les registres se livrent

ici, dans leurs excès, leurs impatiences, leur ironie, l’infini jeu de séduction propre au genre, je t’aime moi non plus, mais plus encore le geste même de la danse où tout s’embrase. On danse dos à dos, à trois, déchirements soudains, solitudes, mouvements de foule d’une infinie complexité. Les codes des milongas sont détournés dans un nouveau langage, qui cependant sait en préserver l’esprit, dans une fluidité virtuose et sensible. Éblouissant ! MARYVONNE COLOMBANI

M¡longa a été dansé les 11 et 12 juillet au Théâtre antique de Vaison Vaison Danses jusqu’au 27 juillet 04 90 28 74 74 www.vaison-danses.com



Perturbées par des tensions avec les intermittents du spectacle, les premières représentations du Festival d’Aix ont pour la plupart eu lieu, avec le soutien affiché de la direction de Bernard Foccroulle. Retour sur une première semaine mouvementée... et trois beaux opéras

Ariodante secoué... et magnifié !

...pour Tamino, splendide Stanislas de Barbeyrac, au terme d’un parcours initiatique jonché d’épreuves qui le fit sortir progressivement de l’obscurité. Et la lumière disparut quant un néon éclata, jonchant le sol d’éclats de verre, obligeant Papageno, somptueux Josef Wagner, à différer son air final d’une quinzaine de minutes ! Cet incident qui survint au terme de l’opéra, le 9 juillet au GTP, n’entacha en rien l’extrême qualité du spectacle servi par une distribution exceptionnelle : Pamina en tête, lumineuse Mari Eriksmoen

La Flûte enchantée © Pascal Victor

Et la lumière fut...

beaux moments poétiques, en lieu et place des ballets originaux, sont réalisés par des pantomimes de marionnettes.

en contrepoint à un Sarastro marmoréen, l’imposant Christof Fischesser et à une Reine de la nuit qui ne tardera pas à faire parler d’elle, Kathryn Lewek, impressionnante de facilité dans son air de bravoure, engoncée dans un fauteuil roulant ! Intéressant parti pris du metteur en scène anglais, Simon McBurney, de représenter la reine en vieille femme, en «harpie vengeresse», en parallèle à un Papageno tout en couleurs, comique et touchant à la fois, pendant subtil au couple Tamino-Pamina quasi dépouillé, dans un blanc virginal. La magie de cette Flûte enchantée de Mozart, complexe et pleine de strates, trouva sa splendeur dans l’alchimie entre la vidéo, le jeu de scène des instrumentistes, des effets très simples, bruissement d’ailes d’oiseaux avec des feuilles de papier... Toute cette construction, dévoilée en direct, combinée à une très belle interprétation du Freiburger Barockorchester avec à sa tête l’excellent Pablo Heras-Casado, permit au public d’être totalement immergé dans cet univers poétique et magique.

JACQUES FRESCHEL et CHRISTOPHE FLOQUET

Festival International d’Art Lyrique jusqu’au 24 juillet Aix-en-Provence 08 20 922 923 www.festival-aix.com Le Turc en Italie © Patrick Berger

M U S I Q U E

Le 11 juillet à l’Archevêché, Marc Minkowski prend la parole : les intermittents occupent en grande majorité les chaises des Musiciens du Louvre Grenoble dans la fosse aixoise. «Ce soir nous jouons !» lance une représentante des personnels ayant voté le maintien de la représentation du soir. Mais l’atmosphère est tendue : il y a quelques heures, on a choisi la grève en Avignon ! Il Turco in Italia débute donc... après l’annulation de la première (le 4 juillet) et son report au GTP (le 7 juillet). Son originalité tient dans la place qu’occupe le poète Prosdocimo («Figaresque» Pietro Spagnoli) qui s’inspire, tout en les manipulant, de situations vécue dans une petite ville du bord de mer, au débarquement d’un Turc (magnifique basse Adrian Sampetrean). Christopher Alden transforme le poète en metteur en scène/écrivain, tapant sur le vif le texte d’un «work in progress» à l’usage, plus ou moins consenti, de «personnages en quête d’auteur». On est chez Pirandello, confiné dans une espèce de hall d’attente onirique.... et aussi chez Mozart et son Cosi fan tutte où marivaudent hommes et femmes. Un vieux barbon jaloux (superbe buffo Alessandro Corbelli) et sa jeune épouse capricieuse en mal de liberté (rossignol sensuel à souhait Olga Peretyatko), son amant, plus benêt que nature (ténor purement rossinien Lawrence Browlee), le Turc et sa promise délaissée Zaida (belle mezzo Cecelia Hall), tissent une comédie qui, si elle réjouit par ses aspects burlesques, n’en demeure pas moins amère. Et la mécanique musicale de Rossini enchante !

Ariodante © Pascal Victor

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Sur la scène, ils sont sur deux longs rangs, en silence, face au public de la première d’Ariodante. Sans eux, le spectacle n’aurait pas lieu. En silence... ou presque... car du dehors parvient un tapis de sifflets et de klaxons. La Direction d’Aix diffuse une interview d’Edwy Plenel expliquant pourquoi il faut défendre le régime de l’intermittence. Nonobstant, quelques râleurs huent, vitupèrent : STOP ! On se querelle... et le Directeur du festival court d’un siège à l’autre pour calmer les esprits ! Longtemps après le lever du rideau, le brouillage sonore contrarie la direction subtile d’Andrea Marcon. Par deux fois l’opéra s’interrompt : lorsqu’un groupe force l’accès aux coulisses et qu’une alarme retentit avant la belle aria chantée par Sarah Connolly (Ariodante). Le plateau artistique est emmené par Patricia Petibon (Ginevra), éblouissante, hypersensible... Elle affole l’écriture baroque de ses vocalises débordantes, et une partition dans laquelle se moule le soprano suave de Sandrine Piau (Dalinda). La mise en scène, sifflée par une partie du public aux saluts, décoiffe ! Le royaume d’Écosse est réduit à une maison de pêcheurs, plus proche de l’univers de Britten que des fastes baroques ! Le Roi, en kilt (Luca Tittolo), est à la tête d’une famille populeuse guidée par un tartuffe réactionnaire et intrigant (Sonia Prina). La lecture qu’imagine Richard Jones enlumine l’enchaînement un peu longuet des récitatifs et airs des opéras de Haendel, et de

Rossini «pirandellien»


Grandeur et démesure ou du baryton George Gagnidze (Nabucco), fait mouche. Mais si l’on rêvait aux Jardins suspendus de Babylone ou au Temple de Salomon, on n’est pas gâté par la scénographie minimaliste de Jean-Paul Scarpitta, son immense plateau nu rehaussé seulement de quelques projections rocailles sur le mur de scène. Reste la magie de voir quatre chœurs (opéras d’Avignon, Toulon, Montpellier et Nice) débarquer sur scène par flots ininterrompus (près de 110 voix et une quarantaine de figurants !) pour chanter le célèbre «Va pensiero»... J.F.

© Christian Bernateau

Le public a répondu présent à l’appel de Verdi pour la première de Nabucco à Orange. Le théâtre est bondé... On se serre sur les gradins romains, car la soirée s’annonce frisquette : le mistral souffle dans les dos et l’été festivalier en a pris un coup au thermomètre. Qu’importe cependant, on est là pour les fastes populaires des Chorégies vauclusiennes, ses grands chanteurs... à la (dé)mesure du lieu ! On est toujours ébahi de voir le miracle s’accomplir, d’entendre des voix exceptionnelles passer au-delà d’un rempart symphonique placé, à découvert, sur l’antique «orchestra», comme c’est le cas le 9 juillet, malgré 90 musiciens venus de Montpellier et dirigés par le maestro Pinchas Steinberg ! Faut-il le rappeler ?

Ils ne sont pas nombreux à pouvoir se faire entendre par un mur de 8000 personnes... jusqu’au dernier rang !

La Markova :

naissance d’une diva ? Aux premiers mots chantés, Zuzana Markova illumine le plateau. Son timbre est clair ; on respire au flux belcantiste de longues phrases souples parées d’un fin tissu de nuances et d’une vraie musicalité. Elle est belle en Violetta, élancée et fragile, élégante… émouvante dans ses errements lancés en vocalises ou son contre-mi bémol électrique tombant sur l’acte premier… La jeune Tchèque frappe un grand coup pour sa prise de rôle dans La Traviata, ouvrage qui clôt une belle saison marseillaise. L’Orchestre de l’Opéra est aux aguets, emmené par une jeune et sensible baguette (Eun Sun Kim), se moule dans sa grâce vocale. MUSICALITÉ est le maître mot d’une production où Renée Auphan recycle, à propos, les anciens décors de L’Héritière de Damase. Elle suit à la lettre les intentions d’un livret dont elle connaît tous les détours.

Jean-François Lapointe est dans la veine artistique qui régit le plateau. Son baryton gagne en profondeur avec la maturité ; il chante, avec un goût sûr, des aigus toujours aussi flamboyants et beaucoup de noblesse, le rôle du paternel Germont. Si le ténor Teodor Ilincai possède les atouts naturels d’Alfredo, son chant très solide souffre, en regard de ses partenaires, d’un style plus heurté qui altère l’émotion. Dans une œuvre qui fait la part belle aux excellents artistes des Chœurs l’Opéra de Marseille, les rôles «secondaires» sont à la fête avec la pulpeuse Sophie Pondjiclis (Flora) ou le jeune baryton Christophe Gay magnifiant le rôle court du Marquis. JACQUES FRESCHEL

La Traviata a été donnée à l’Opéra de Marseille du 17 au 22 juin

Le trio vocal formé de l’impressionnante soprano Martina Serafin (Abigaille), l’immense basse Dmitry Beloselskiy (Zaccaria)

Nabucco a été donné aux Chorégies d’Orange les 9 et 12 juillet

Au fin fond des royaumes

© Christian Dresse

Étrange et fascinant Fantôme, un léger roulement et sur la peau tendue qu’est notre tympan de Benjamin Dupé. Ce spectacle s’offre à une jauge réduite, on est installés au pourtour, sur des coussins dont la blancheur grège s’harmonise au revêtement de corde tressée qui recouvre l’ensemble. Une pièce est ainsi constituée, dans une sorte de non-espace, entourée de murs d’ombre. Au centre, un rectangle de sable, comme un jardin zen, des bocaux à poisson vides, dont la transparence capte la lumière… du plafond d’étranges mobiles, plâtres et cônes de papier… de fines conduites de bambou entourent la structure et aboutissent sur la grève centrale. Le tout baigne dans la lumière douce d’une fin d’après-midi. Noir absolu, frémissements d’ailes, insectes, froissements, paysages sonores… jeux délicats de lumière, écoulements de sable dans le verre des aquariums, grondements de tonnerre, tempête, mots découverts, énigmes dédiées à l’énigme, le mythe d’Orphée sous-tend cette chorégraphie de sons. L’invisible meut les objets, déclenche les mouvements, roulement léger de petits cubes de marbre (?) le long des bambous, temps qui s’égrène, pas d’un être invisible qui se dessinent sur le sable, chant de femme aérien et doux au loin, et qui s’éteint, les pas s’effacent, laissant l’infime souvenir de leurs traces… on baigne dans une poésie sensible et sensuelle. Scénographie (Olivier Thomas), lumières (Nicolas Villenave), sont orchestrées avec une subtile intelligence. Le spectacle permet la jonction entre Aix-en-Juin et le Festival d’Aix en trait d’union délicat comme une estampe. MARYVONNE COLOMBANI

Fantôme, un léger roulement et sur la peau tendue qu’est notre tympan a été donné du 25 juin au 5 juillet au Bois de l’Aune, à Aix

17 M P U O LS I Q T U I Q E U E C U L T U R E L L E


Aix lyrique Au site-mémorial du Camp de Milles, Aix-en-Juin place sous les sunlights des artistes en herbe et conclut en célébrant Rameau et Rossini sur le Cours Mirabeau 18 M U S I Q U E

L’opéra The Golden Vanity de Britten a été créé en 1967 par les prestigieux Wiener Sängerknaben et sa partie pianistique s’avère particulièrement dissonante, si bien que cela aide peu des artistes «en herbe». C’est dire si le projet éducatif du Festival d’Aix et d’«Opéra à l’école» à Gardanne était ambitieux, en plaçant sous les sunlights des bambins de l’école Albert Bayet et des ados de 5e CHAM du Collège Longchamp de Marseille. Sous la houlette d’Anne Périssé dit Préchacq (direction musicale), de Sybille Wilson (mise en scène) avec au piano Frédéric Isoletta, la jeunesse, dans la rigueur et le respect d’une œuvre fondue à d’«autres récits», a fort bien rendu les tribulations d’un jeune mousse héroïque, trahi par son capitaine, abandonné et noyé après qu’il a percé un trou dans la coque du bateau adverse. Au site-mémorial du Camp des Milles (le 20 juin), on a été bluffé par le travail accompli et la qualité obtenue. Les voix ont joliment tintinnabulé,

The Golden Vanity © Vincent Beaume

les corps, distribués par groupes mouvants, formé des tableaux éloquents où chacun a trouvé sa place. Le dernier rendez-vous (gratuit) d’Aix-en-Juin sur le Cours Mirabeau (le 29 juin) a débuté par une «parade» silencieuse, au milieu de l’artère aixoise, des intermittents du spectacle préoccupés par l’évolution de leur statut et l’avenir de la Culture. Devant la statue du Roy René, Les Musiciens du Louvre Grenoble (dir. Marc Minkowsky) jouent des danses de Rameau tirées des Boréades (au GTP le 18 juillet) et accompagnent des airs du Barbier de Séville.

Accords à cordes Entre citronnelle et cigales, le 14e Festival International de Lambesc a, de nouveau, reçu de superbes guitaristes

Une semaine durant, dans le cadre délicieux du château de Pontet-Bagatelle, les artistes offrent, avec une belle générosité, rappels, compositions personnelles, des interprétations fines des plus belles écritures pour guitare. On voyage entre classicisme et romantisme avec des œuvres de Mauro Giuliani ou J. K. Mertz, avec Giovanni Grano dont le bis virtuose de l’Etude n°4 de Villa Lobos transporte le public. On aborde le XXe siècle avec Rubén Parejo qui après un détour par Fernando Sor, Dioniso Aguado ou Garcia i Soler, interprète ses propres compositions. Fluidité, élégance, superbes contre-chants… On a aussi le privilège d’entendre une grande dame du Paraguay, Luz Maria Bobadilla, ses recherches lui ont valu parmi ses nombreuses distinctions internationales, la «Reconnaissance de son action pour le rayonnement de la culture paraguayenne dans le monde», décernée par le Sénat de la république du Paraguay en 2011. Son interprétation précise, avec de superbes trémolos, sculpte la pâte sonore avec une belle ampleur. Virtuosité aussi du Duo Thémis, de Florence

Concert de clôture © J.F

Creugny et Alexandre Bernoud. Les motifs passent de l’un à l’autre, dessinent leurs arabesques dans un tempo vif qui se coule avec allant dans les œuvres de Piazzola ou d’Eduardo Martin, avec un clin d’œil au Brésil et Sergio Assad. Et si le vent se lève, bousculant les ramures des grands arbres, leur mesure conserve sa précision de métronome. La génération montante de Guitarles Académie, sous la direction de Sylvie Dagnac, offre un bel intermède sur une partition de Jorge Cardoso. Ce dernier, avec l’Octet Aguira composé de huit chanteurs, permettait d’entendre un florilège de chants d’Amérique du Sud et une version revisitée par du Canto General de Mikis Theodorakis sur le grand poème de Pablo Neruda. Curieux reproches formulés à l’encontre du grand compositeur grec, sur la prononciation ou l’adaptation des airs. Même Carmen est surtitré ! Quant

«Fiiiigââârrrôôô !» lance le baryton Pietro Spagnoli... avant que l’espiègle Cecelia Hall (Rosine), qu’Adrian Sâmpetrean (Basile) canonnant sa grave «Calumnia», et l’«amoroso» Lawrence Brownlee (Almaviva) ne lui emboîtent la réplique. C’est le plateau du Turc en Italie (joué à l’Archevêché) qui se produit, emmené par la jeune star russe Olga Peretyatko et ses vocalises en guirlande ou le célèbre buffo Alessandro Corbelli... Car à Aix, on célèbre l’art lyrique jusqu’au cœur de juillet ! JACQUES FRESCHEL

à la composition elle-même, la version de Theodorakis est dotée d’un souffle immense à l’instar du poème nérudien… le faisant sortir du folklore et lui donnant sa dimension d’hymne à la terre comme dans le magnifique América Insurrecta. Sans doute, le manque de retour sur scène a gêné les chanteurs dont la justesse était parfois contestable. On retiendra cependant la beauté de la lecture d’Annie Balduzzi et la basse d’Yves Bergé.

Happy end

La famille des guitaristes se retrouve au grand complet pour la soirée de clôture. S’y agrège le benjamin, un interprète français hyper-doué : Jérémy Jouve a de la carrure, le geste sûr, possède une musicalité du meilleur goût et une étonnante maturité pour une carrière débutée avec précocité. Moment attendu : les musiciens se réunissent pour former des ensembles ! Du duo à l’octuor, ils font le «bœuf» à la nuit noire, balancent les cordes à la rosace, font vibrer la table d’harmonie, galopent de frette en frette sur la touche boisée... le tout sous le regard du maestro Cardoso. MARYVONNE COLOMBANI & JACQUES FRESCHEL

Le Festival International de Lambesc a eu lieu du 29 juin au 5 juillet


Moustiques et petites laines, on longe les bassins du château du Tholonet, dans la fraîcheur des grands arbres, «salle comble». Le vent sait se faire discret, sans doute effarouché par le savant dispositif d’épingles à linge, essentiel au plein air ! Parfois leurs déplacements induisent des percussions infimes, qui rejoignent les bruissements d’insectes. On est dehors, les volutes musicales prennent un air de liberté dans l’ombre du soir, c’est délicieux. L’Orchestre du Pays d’Aix se glisse avec aisance dans le répertoire mozartien, jouant des registres majeurs et mineurs. Jacques Chalmeau dirige avec enthousiasme et livre des explications nourries d’anecdotes, rappelle que la Symphonie n° 25 en sol mineur K.18 composée par Mozart à dix-sept ans, s’inscrit dans l’esthétique du drame et de la passion chère au mouvement romantique. La Symphonie concertante pour orchestre violon et alto soli permet au premier violon solo de l’opéra de Marseille, Roland Müller, et au premier alto soliste de l’orchestre philharmonique de Radio France, Jean-Baptiste Brunier, de se livrer à une joute amicale où les phrases se répondent, avec de sublimes aigus, des variations graves. Le deuxième mouvement très «slave» danse avec une discrète mélancolie, tandis que le dernier, soutenu par les cors, offre une brillante palette. Enfin, on se laisse porter par la Petite Musique de nuit, composée en

Orchestre philharmonique du Pays d’Aix, Jacques Chalmeau © Agnès Mellon

Nuit mozartienne

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quelques heures, parenthèse ludique durant le travail sur Don Giovanni. Du ultra connu décrèteront les puristes, mais si beau ! Pourquoi bouder de tels bonheurs ! Mozart for ever ? Assurément ! MARYVONNE COLOMBANI

Des Voix (très) Animées

© J.F

Ce jeune ensemble vocal varois a déjà tapé dans l’œil (et l’oreille !) de Jean-François Zygel, puisque ce dernier l’a invité à l’enregistrement de son émission La Boîte à musique (sur le thème «Guerre et paix») diffusée le 1er août prochain sur France2. Les voix a cappella dirigées par Luc Coadou y (dit-on !) réveillent l’assistance avec une magistrale interprétation de la célèbre Bataille de Marignan de Clément Janequin ! C’est dans l’interprétation de la musique de la Renaissance que se sont lancées Les Voix Animées : un répertoire qui n’a pas encore effectué le formidable bond qu’a connu la

La tournée d’été de l’Orchestre du Pays d’Aix s’est déroulée du 29 juin au 12 juillet dans les communes du Pays d’Aix

musique baroque, mais que la bande de chanteurs espèrent bien relooker ! Grâce à une web-série mensuelle, humoristique et décalée (écrite et réalisée par Jean-Christophe Mast et Denis Baronnet), ils espèrent bien totaliser autant de vue que... Stromae ! On y déniche une chanson de Pierre Certon en «Hot définition» ou un «Tube de l’été» signé Willaert (sortie le 1er août). Cela dit, ces Voix Animées savent aussi mettre en pause leur élan burlesque pour interpréter, comme à l’abbaye du Thoronet le 6 juillet, le plus sérieusement du monde, un programme de polyphonies franco-flamande autour de Roland de Lassus. Dans l’enceinte romane, le continuum sonore subtil des compositeurs du XVIe siècle a trouvé un prolongement dans la musique en création de Dimitri Tchesnokov, vaste opus d’une belle suavité harmonique à la dissonance maîtrisée. Du beau travail rigoureux sur le texte et son expression ! JACQUES FRESCHEL

Prochain concert Jardin des Saveurs dans le cadre des Soirées musicales de l’Abbaye Royale de La Celle, le 6 août à 21h15 La web-série est à découvrir sur www. lesvoixanimees.com

Re-création : Die Kathrin

Les spectacles programmés à La Friche de la Belle-de-Mai pour le compte du 9e festival Musiques Interdites ayant été reportés au week-end du 13 septembre, seul demeurait à l’affiche la création en France d’une adaptation, par Michel Pastore, de l’opéra Die Kathrin de Korngold. Dans la Cour de la Préfecture, où l’on entre exceptionnellement, les billets gratuits ont été distribués aux curieux venus, le 8 juillet, découvrir une œuvre rare, dont la création avait été annulée par les nazis, à Vienne en 1938, en raison de l’ascendance juive de son auteur. On a suivi une belle histoire d’amour franco-allemande dont une partie se déroule à Marseille... et découvert une musique épatante, très accessible, héritée du romantisme, qu’on a appréciée dans ses élans guerriers, allures mélodieuses fleurant le music-hall, des paysages sonores inquiétants, ses tensions ou atmosphères recueillies... Toute une orchestration colorée servie par l’Orchestre symphonique de la Garde Républicaine (dir. Sébastien Billard) et un plateau de chanteurs vaillants faisant les beaux jours du Volksoper de Vienne. J.F.

M P U O LS I Q T U I Q E U E C U L T U R E L L E


L’île flottante

20 M U S I Q U E

Coincé entre Manhattan, le château d’If et Sarajevo, l’archipel sonore aux 29 printemps MIMI flotte toujours et innove encore. Bien que les magnifiques vestiges illuminés de l’hôpital Caroline ne soient pas encore transformés en cimetière des éléphants, le mythique Alan Vega et ses 76 ans a eu la force de braver la scène, non sans mal, accompagné de son acolyte de toujours le non moins claviériste immortel Martin Rev. Si de l’eau a coulé entre le Frioul et New York depuis les années 70, et si Suicide n’a plus sa fougue d’antan, l’esprit du Project of Living Artists est toujours palpable. Papy Vega a mal au micro mais le clavier générateur d’idées fourmille encore d’audaces et nous rappelle que nous devons beaucoup à cette légendaire avant-garde électro-rock-minimaliste, punk et new-wave. Plus à l’est, le pianiste robotisé Nicolas Cante avait ouvert le bal avec Sevdah mon amour, un projet joué, dansé et chanté à l’accent bosnien. La belle voix de Vreco Bozo, qui n’aurait pas dépareillé chez Almodovar, et son corps tout entier dansé ondulaient au crépuscule sous les salves du batteur Nedim Zlatar. Une belle surprise frioulienne pour les adeptes de l’insularité à la sauce Mimi. Autre personnalité, le guitariste Richard Pinhas, agitateur de la scène expérimentale française des années 70, constitue aujourd’hui un duo avec Etienne Jaumet (ex Zombie Zombie), aux manettes de synthétiseurs analogiques de collection. Un alliage cosmique unissant les sons planants des cordes aux

Suicide © X-D.R

vagues hypnotiques d’une musique électronique originelle. Allant jusqu’à faire abdiquer une pluie menaçante pour laisser libre la voie vers un 7e ciel mélodique. Avant eux, Rafaelle Rinaudo et Yann Joussein, duo déjanté harpe électrique et batterie, jouent avec nos sens et parfois nos nerfs. Ce n’est pas pour rien qu’ils se dénomment Aïe. Leurs compositions offrent une musique déconstruite, à caractère répétitif, mais qui sait rester harmonieuse. Empruntant au jazz ou au funk, ils nous font entrer dans un univers délirant où se côtoient la chanson enfantine et le noise progressif.

La plus belle surprise de cette dernière soirée vient du collectif Arbuste et de son Instrumentarium. Une prestation musicale décapante articulée autour d’un parallélépipède métallique où quatre agités (un aux machines et trois aux percussions) s’abandonnent, tapant sur une série d’objets recyclés en instruments. Une musique primaire des plus sophistiquées. FRÉDÉRIC ISOLETTA et THOMAS DALICANTE

Le Festival Mimi s’est déroulé du 2 au 6 juillet au Frioul, à Marseille

Le Jardin des Miracles Le Charlie Jazz Festival a comme chaque année illuminé trois soirées de début juillet : le premier soir, la Complet’ Mandingue détend l’atmosphère avec ses balafons, puis le quintet du trompettiste Antoine Berjeaut entre en scène pour un beau moment de jazz, avec Stéphane Kerecki, Fabien Moreau, Jozef Dumoulin et surprise, Julien Lourau. Les récentes compositions issues de son dernier CD Wasteland sont minimales avec un son posé, réfléchi qui nous touche. La soirée se termine en apothéose avec Médéric Collignon, déchaîné, entouré d’Emmanuel Harang, Yvan Robillard, un ensemble à cordes et, l’élément incontournable pour ce programme autour d’une Résurrrection de King Crimson, le batteur Philippe Gleizes. Ce concert s’est transformé en une VrooomVrooom-session spectaculaire, énergisante et pleine

La dernière soirée du festival a proposé le trio Luxemburgo-New-Yorkais Reis-Demuth-Wiltgen aux compositions intimistes non dénuées de punch. Vient l’heure du 4tet de Joshua Redman, avec Aaron Goldberg, Reuben Rodgers et Gregory Hutchinson, musiciens exceptionnels. De Summertime à Barracuda, Joshua Redman porte son saxophone ténor comme un objet brûlant dans une gestuelle exubérante, entre tension et apaisement. Une 17e édition très réussie ! DAN WARZY

Médéric Collignon © danwarzy

d’humour. Le lendemain, 3 Chevaux de Front, trio de musiciens de la scène marseillaise, a joué un programme enivrant. D’une instrumentation très originale (saxophone, violon alto, violoncelle) a résulté une

musique hors des sentiers rebattus avec le concours de la voix d’Emilie Lesbros. Un public nombreux était là également pour Anouar Brahem, joueur d’oud tunisien. Quartet hypnotique, entre tradition, jazz et contemporain.

Le 17e Charlie Jazz Festival s’est déroulé au Domaine de Fontblanche, Vitrolles, les 4, 5 et 6 juillet



C I N É M A

Mercuriales de Virgil Vernier © Shellac

Stella Cadente de Luis Minarro © Eddie Saeta

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Marseille multiple Mercredi 2 juillet

Elle dit : il y aurait Axel Bogousslavsky, l’Ernesto du film Les Enfants (1985) de Marguerite Duras et Jean Mascolo, un acteur, poète, musicien, dessinateur, âgé de 76 ans, qui vit dans une maison perdue au cœur d’une forêt profonde, loin des contraintes du monde. Alexandre Barry, assistant de Claude Régy dans Tout seul avec mon cheval dans la neige, donne à voir cet homme singulier dans sa vie recluse ; il dessine, joue de la flûte, taille du bois, regarde la photo de l’enfant qu’il a été et en est ému, brûle une feuille où il avait écrit SOLITUDE, allume les bougies quand la nuit vient. Sa voix, off, nous guide dans ses souvenirs, ses rêves, son imaginaire. Il demande qu’on laisse les hommes vivre leur vie dans le secret. Alexandre Barry nous a permis de nous approcher de lui, un peu, juste ce qu’il faut. C’est ça. Elle dit : il y aurait un pays que tous croient inventé par Hergé ou Jarry, une rencontre entre Éric Baudelaire et Maxime, un futur-ex ministre des Affaires étrangères d’Abkhazie. 74 lettres comme autant de bouteilles à la mer et les réponses enregistrées de Max. Letters to Max, ce serait comme le souvenir d’un avenir.

Jeudi 3 juillet

Elle dit : j’ai passé 4 heures dans un hôpital de la Province du Yunnan : ‘Til Madness Do Us Part de Wang Bing. (À lire sur www.journalzibeline.fr) Elle dit : il y aurait, comme souvent au FID, un OVNI : Stella Cadente, premier long métrage du producteur catalan Luís Miñarro, présenté avec CineHorizontes. Il parlerait d’une Étoile filante, Amadeo de Saboya, duc d’Aoste, prince italien élu roi d’Espagne en 1870 par un parlement né de la révolution de 1868. Roi européen aux ambitions réformistes, étranger dans son royaume, vite isolé, rejeté, renvoyé. Un film en costumes (et quels !) qui reprend des événements historiques mis en scène comme une mascarade,

Il y aurait 134 films à Vendredi 4 juillet Elle dit : J’ai suivi John Calder, l’éditeur anglais Beckett dans I, of whom I know nothing, partager en six jours… de de Pablo Sigg, un réalisateur mexicain qui aime la lenteur, les cadrages serrés, les plans le flou, l’image sans le son, le son sans Il y aurait des lieux, fixes, l’image. Le vieil homme traîne les pieds dans son de Montreuil encombré de livres et une ville à parcourir du appartement de cartons, ou revenu à Londres, interroge Billie Whitelaw, une des actrices fétiche de Beckett une maison de retraite qui lui répond par MuCEM aux Variétés dans monosyllabes, si lasse, déjà ailleurs. Il parle du grand écrivain irlandais, de la souffrance en passant par la dont il a toujours été proche. Tous deux sont devenus des personnages beckettiens. Il y a des photos, des anecdotes, une voix enregistrée Villa Méditerranée, sur une cassette que personne ne reconnaît. Il y a un dialogue signé Sam, du dérisoire, de l’Alcazar, la Maison de la drôlerie, de l’absurde. Un vinyle qui tourne à vide. Puis le Winterreise de Schubert. Les inventent d’autres fantômes. la Région. Deux voix fantômes Elle dit : Dominique Auvray était là pour présenter son Duras et le cinéma et d’autres de Marguerite pour parler du sujet. s’y seraient croisées amoureux (À lire sur www.journalzibeline.fr) une comédie musicale, sentimentale, un drame politique, métaphysique dans un château quelque part en Espagne, ou peut-être bien nulle part, tant il est décor plus mental que réel. Luís Miñarro jouant des références, invitant dans son jeu le spectateur qui reconnaît, au détour, un Caravage, un Goya, un Courbet, un Manet, un Nolde, s’émerveille des tissus, des corps nus, se voit projeté dans d’autres années 70, à un siècle de là, celles de Salut les copains, sature parfois d’une sur-symbolisation mais demeure charmé. Les salles madrilènes ont refusé de programmer cette étoile jugée trop provocatrice. Pourtant, au-delà du parallèle avec la crise espagnole actuelle, de la métaphore de l’enfermement, ce film travaille bien joliment sur la mémoire et les mythes. Voilà.

Samedi 5 juillet

Elle dit : j’ai rencontré le cinéaste chilien Patrizio Guzman par le film de Boris Nicot, Filmer obstinément, qui en fait le portrait, revisite l’histoire du Chili de 1972 à nos jours. (À lire sur www.journalzibeline.fr ) Elle dit : Il y aurait deux jeunes femmes, une Moldave et une Française, qui se rencontrent à Bagnolet dans ces deux tours, les Mercuriales, où elles sont hôtesses et qui rêvent d’ailleurs et d’autre chose. «Cette histoire se passe en des temps reculés, des temps de violence. Partout à travers l’Europe une sorte de guerre se propageait…» Tourné en 16 mm, le film de Virgil Vernier, Mercuriales, entre documentaire et fiction, entraîne dans des lieux que son regard


transforme, y insérant une dimension mythologique. Mystère, merveilleux, onirique et quotidien s’y côtoient, soutenus par la musique de James Ferraro. Un film qui surprend. Oui.

Dimanche 6 juillet

Elle dit : il y aurait Le souffleur de l’affaire, un film-ventriloque au montage virtuose d’Isabelle Prim, jouant, rejouant, déjouant un mystère de Paris, au temps des anarchistes, de Méliès, d’Edmond Rostand et de Sarah Bernhardt. Elle dit : je me suis un peu égarée dans les strates du temps et les voix dans El viaje de Ana, qui nous emmène sur les traces d’Andréa Alfonse, femme du poète Francisco Contreras dont le poème Luna de la Patria est le fil conducteur du film. Et c’est à une jeune photographe, Ana, incarnée par Astrid Adverbe, que Pamela Varela fait effectuer, en 2012, le voyage de Dordogne jusqu’à Quirihue, un village perdu du Chili où s’est retirée Andrea à la mort de son mari en 1933. Entre documentaire et fiction. Un voyage nostalgique.

Lundi 7 juillet

Elles disent : nous sommes devant un texte à faire et nous devons abandonner mille et une images, images qui transportent, qui dérangent, interrogent, images qui poursuivent, hantent ou éclairent dans le noir. Oui c’est ça. Un sentiment d’abandon et de persistance. Le FID 2014 s’achèverait sans finir… ANNIE GAVA et ELISE PADOVANI

Palmarès

Compétition internationale : Jury présidé par Wang Bing et composé de Shaina Anand, Dora Garcia, Andrea Lissoni et Manuel Mozos.

☛ Grand Prix :

Our terrible country de Mohammed Ali Atassi et Ziad Homsi - Syrie / Liban

☛ Prix Georges de Beauregard :

Ming of Harlem-Twenty storeys in the air de Phillip Warnell - Belgique / Etats-Unis

Compétition française :

Jury présidé par Valérie Massadian et composé d’Elise Florenty, Hubert Colas, François Cusset et Yves Robert.

☛ Grand Prix :

Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaise

☛ Prix Georges de Beauregard

Trois contes de Borges de Maxime Martinot

☛ Prix Premier, attribué par le Jury de

la Compétition Française à un premier film présent dans la Compétition Internationale, la Compétition Française et les Écrans Parallèles : YximallooTadhg d’ O’Sullivan et Feargal Ward – Irlande Le palmarès complet est à lire sur www.journalzibeline.fr


Été et rentrée au MuCEM

M U C E M

Penser, (ne pas) manger, chanter Penser l’altérité, l’étranger, l’indésiré, et les frontières du «nous», en une Nuit des Idées où la parole s’échange entre chercheurs, musiciens, et auditeurs installés autour de tables conviviales… Le Théâtre National de Bordeaux l’a fait, en sa ville qui a prospéré de la traite négrière, le MuCEM l’a proposé à Marseille, porte des colonies, face à la mer, le 27 juin. Un apéritif, deux irruptions sonores de Forabandit dont les trois compères croisent vigoureusement subtilité occitane et âpreté anatolienne ou l’inverse tout aussi bien ; enfin et surtout quatre tables rondes qui interrogent. Sur «notre» rapport avec l’Algérie, sur ce qu’on appelle un «immigré de troisième génération», ce qui évidemment n’a pas de sens. Sur l’histoire du rejet de l’Islam, peu à peu déclaré «insoluble dans la République». Sur les Harkis, les Chibanis, les musulmans français, l’histoire des colonies. Plus analytiquement grâce à Fethi Benslama sur la nécessité de l’altérité et les frontières mouvantes du «nous». De belles idées finement exposées, sur le cosmopolitisme et les échecs du présent, laissaient cependant une impression étrange : l’hospitalité, maître-mot de la rencontre, paraissait quelque peu vidée de son sens (hormis l’apéritif offert par le MuCEM) lorsque l’on sait que Gérald Passédat, qui a l’exclusivité de la restauration, propose des jambons beurre à 6€50 avant de fermer à 21h les soirs de nocturnes ! Il est regrettable que le MuCEM ne parvienne pas davantage à métisser son public ; si les intervenants venus de toute la Méditerranée étaient entendus par des convaincus, attentifs et approbateurs, une fois encore les seuls noirs et arabes étaient les vigiles, miroir ironique d’un «entre-soi» pas forcément choisi… Bref, convivialité et métissage étaient

Conférence chantée © MuCEM

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dans les mots, les esprits et sur scène, mais pas dans le public. Ce qui dénotait bien des concepts absents du débat : il ne fut que très peu question de la correspondance du rejet de l’étranger avec celle du pauvre, par sa classe voisine tout juste sortie de la pauvreté ; assez peu du rôle aliénant des médias ; et pas du tout, parmi ces intervenants majoritairement masculins, de la disparition des femmes de la sphère publique dans les quartiers où ceux qui sont perçus comme «étrangers» dominent en nombre. Dès lors le rappel historique de ce que les «étrangers» ont apporté à la France sonnait comme un argument défensif, justifiant l’autre en tant qu’élément bénéfique, sans énoncer cette vérité simple : un homme vaut un homme, et n’a pas à être vertueux pour mériter d’être traité comme tel. Seule peut-être la dernière table ronde, «Faire monde commun face au vertige des identités», a dépassé le couple infernal hospitalité / hostilité en donnant la parole au «souci de l’autre» sorti du concept-light par l’expertise de Fabienne Brugère et le réalisme tout terrain du sociologue Christian Laval membre du CA de Médecins du Monde. Le lendemain le public n’était guère plus métissé ni plus jeune, mais la conférence chantée proposée par Naïma Yahi, spécialiste de l’histoire de l’immigration et formidable animatrice, était propice à un partage plus immédiat, et sans doute plus juste. Certes les seuls à savoir chanter en Arabe étaient des Libyens de passage… mais le rappel en acte de cette mémoire partagée, de Dalida, Aznavour à Idir ou Khaled, montrait mieux que des mots comment l’immigration avait construit notre culture populaire. Celle qui constitue un «nous» ouvert, chantant, mixte, mouvant…

Après un mois de juillet riche en événements, le mois d’août au MuCEM sera lui aussi très animé. La programmation Jeune Public et Famille sera notamment mise à l’honneur : débuté le 5 juillet, le parcours interactif L’Odyssée des enfants se poursuivra jusqu’au 31 août. Les 2, 8, 10, 17, 22 et 24 août, les plus jeunes pourront découvrir Le Monde à l’Envers pour les petits, une exposition rythmée de jeux amusants et instructifs. Après avoir découvert tous les secrets de l’art de la marionnette lors de l’atelier Le secret de Polichinelle les 30 juillet et 13 août, les enfants pourront percer les mystères de l’univers du cirque le 27 août avec, au programme, de nombreux numéros entre boules d’équilibre, assiettes chinoises et pédalgo. Enfin, toute la famille partira au carnaval à l’occasion de l’atelier Derrière les masques les 6, 16 et 20 août. Les adultes ne seront pas non plus en reste, plusieurs rencontres et débats seront en effet organisés, avec notamment deux soirées sur le thème Chroniques de Mars II – Conscience hip-hop à Marseille et en Méditerranée les 29 et 30 août. Pour l’occasion, le MuCEM accueillera DJ Rebel le 29, suivi d’une table ronde autour de l’histoire de la culture hip-hop avec Olivier Cachin, avant de finir avec les représentations du groupe marocain Shayfeen et de l’artiste marseillais MOH & CO. Le 30, le hip-hop se déclinera à travers le clip vidéo et les multimédias, avant la performance à quatre mains de DJ Rebel et Dj Djel. Une dernière table ronde intitulée La culture hip-hop, une question de valeurs…, modérée par Olivier cachin, clôturera le programme estival.

Le MuCEM fait sa rentrée

Les Intensités de l’été terminées, le MuCEM reprendra une activité normale en septembre. Deux évènements majeurs sont à noter : du 5 au 14 septembre, les créations sonores de Marseille Résonance prendront place dans différents endroits du musée et de la cité phocéenne. Au programme, entre autres, une rencontre avec Michel Péraldi pour la sortie de son ouvrage Une sociologie de Marseille et la projection de la série documentaire Marseille contre Marseille de Michel Samson et Jean-Louis Comolli. Lors des Journées Européennes du patrimoine les 20 et 21 septembre, le MuCEM ouvrira ses portes au public. L’occasion de découvrir les secrets de l’architecture du J4, ou encore de visiter le site historique du fort Saint-Jean. ESTELLE BARLOT

AGNÈS FRESCHEL et MARIE-JO DHO

Ces soirées se sont déroulées au MuCEM, Marseille, les 27 et 28 juin

MuCEM, Marseille 04 84 35 13 13 www.mucem.org



Les orchestres à La Roque !

Musique Médiévale

Kremerata Baltica © Andreas Malkmus

Dominique Vellard, directeur artistique du festival varois, invite en 2014 des ensembles français témoignant de la vitalité des recherches et de l’interprétation concernant les musiques du Moyen Âge dans l’Hexagone. On part du XIIe siècle, appelé parfois la «première renaissance», avec des œuvres rares dont l’Ensemble Gilles Binchois s’est fait une spécialité (le 29 juillet). On poursuit avec Thibaut de Champagne, l’un des plus grands trouvères du XIIIe siècle, ses chansons interprétées par l’ensemble Alla Francesca (le 23 juillet) et, datant de la même époque, les Carmina Burana manuscrit festif ou la dévotion côtoie la dépravation, Ange et Démon voisinent. Ce sont les «jongleurs» modernes d’Obsidienne qui mêlent les langues, la poésie et la musique (le 30 juillet – Église du Vieux Cannet) ! On file enfin vers la polyphonie complexe et subtile du XVe siècle, en particulier conçue sur les textes bibliques des Lamentations de Jérémie qu’on prête volontiers aux célébrations de la Semaine Sainte. Les chanteurs de Diabolus in Musica font le voyage de leur ville de Tours (le 25 juillet). L’«Académie de chant ancien» qui se tient du 16 au 24 juillet, travaille sur les Laudes italiennes des XIIIe au XVe siècle et donne également un concert sur ce répertoire en fin de stage (le 24 juillet). On retrouve enfin les Russes de l’ensemble Sirine pour des «Chants spirituels du peuple russe» (le 26 juillet) et les Espagnols de Cinco Siglos avec la soprano Delia Agùndez dans des «Musiques pour la chambre d’Isabelle de Castille» au XVe siècle (le 30 juillet). Un précieux voyage dans les temps anciens !

26 F E S T I V A L S M U S I Q U E

C’est là : on y est ! On le dit et redit... (voir Zib 75). Le rendez-vous des aficionados des claviers de l’été est immanquable : il commence, comme souvent, par un récital de Berezowsky dans le décor magique du Parc du Château de Florans (le 18 juillet), sous son immense conque acoustique offrant la possibilité d’accueillir un orchestre symphonique au complet, dans d’excellentes conditions sonores, à la nuit tombante, quand le silence se fait dans la nature, comme pour laisser la place aux musiciens... Et des orchestres il y en aura, en dialogue avec Chamayou, Neuburger, Repin, Kniazev, Lugansky, Andsnes, Heisser, Pletnev, Laloum, Géniet, Ott, Queffélec, Désert, Boffard, Angelich, Geniusas... : les percussionnistes de l’Orchestre National de France (le 24 juillet), l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo (les 27 et 28 juillet), l’Orchestre de Chambre de Bâle (le 29 juillet), Kremerata Baltica (du 3 au 5 août), Sinfonia Varsovia ( les 7, 9, 10, 11, 13, 14 août), I Culture Orchestra (le 12 août) et l’Orchestre Symphonique Tchaïkovski de Moscou en clôture (les 16 et 17 août). Festival International de Piano du 18 juillet au 17 août La Roque d’Anthéron 04 42 50 51 15 www.festival-piano.com

En 2014, la dizaine de soirées se décline en deux volets. Des «Cartes blanches» à 18h à l’église St-Michel permettent de découvrir des artistes de la nouvelle génération et d’entendre, en trois volets, l’Intégrale des Six suites pour violoncelle seul de Bach par Julian Steckel (le 31 juillet), Zvi Plesser (le 1er août) et Raphaël Perraud (le 8 août). Les concerts dans la Cour historique du Château de l’Empéri affichent à 21h, autour des directeurs artistiques du festival le pianiste Eric Le Sage, le clarinettiste Paul Meyer et le flûtiste Emmanuel Pahud, des fidèles comme le pianiste Frank Braley, les violonistes Guy Braunstein et Daishin Kashimoto, le violoncelliste François Salque... ou un nouvel invité comme Adam Laloum au piano. Sur le thème Salon de musique, Salon d’amour, on revisite la passion de Clara et Robert Schumann... et celle de Brahms, les

Julian Steckel © Marco Borggreve

Musique à l’Empéri

Rencontres de musique médiévale du 23 au 30 juillet Le Thoronet 04 94 60 10 94 www.musique-medievale.fr

mythes amoureux de Roméo et Juliette (le 8 août), Carmen (le 2 août) ou Porgy and Bess (le 7 août), au moyen de transcriptions, musiques de genre, de mélodies, de Lieder et des grands cycles de Schumann, Schubert, Debussy ou Fauré par la mezzo-soprano Karine Deshayes (Bilitis et La bonne chanson le 31 juillet, L’Amour et la vie d’une femme le 1er août), le ténor Julian Prégardien (Dichterliebe le 6 août). À coté de sonates, trios ou quatuors de Mozart à Messiaen, on découvre des opus rares, voire des créations (Jerôme Combier le 30 juillet). JACQUES FRESCHEL

Festival International de musique du 29 juillet au 8 août Salon-de-Provence 04 90 56 00 82 http://festival-salon.fr



L’Opéra au Village

F E S T I V A L S M U S I Q U E

choisi. Mais voilà que le second roi s’aperçoit qu’il s’agit de son propre fils… Quoi ! une opérette qui finirait mal ! N’ayez crainte, on n’en est pas à une loufoquerie près, tout se termine dans la bonne humeur. À cela ajoutez la superbe direction d’orchestre de Luc Coadou, chef du magnifique ensemble Les Voix Animées, la mise en scène de Bernard Grimonet, une distribution brillante… un repas convivial qui précède le spectacle… Immanquable ! Vent du Soir, Opéra au village © X-D.R

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Tous les étés voient à Pourrières, dans le cadre de l’Opéra au Village, de petits bijoux rares dans l’écrin du couvent des Minimes -bâtiment du XVIe siècle, classé monument historique et restauré avec goût par Jean de Gaspary-, qui chaque année accueille cette dynamique association. L’édition 2014 rassemble deux opérettes en un acte au propos fantaisiste et déjanté. En première partie, une commande d’Offenbach pour les Bouffes-Parisiens, Les Pantins de Violette d’Adolphe Adam (sur un livret de Battu et Halévy), ultime œuvre du prolifique compositeur qui mourut quatre jours après la création de la pièce (1856). On se retrouve sur une île déserte pour assister aux démêlés entre Alcofribas, l’enchanteur, son fils Pierrot et la charmante Violette. Un Polichinelle passe par là… ce qui permettra plus tard la réduction pour piano en un quadrille endiablé. Puis, d’Offenbach, sur un livret de Philippe Gille, Vent du soir, créé l’année suivante en 1857, présente le «nec plus ultra de la musique anthropophage», dixit le critique Paul Smith. On est encore dans une île (depuis La tempête, c’est la mode !) où sévit la tribu cannibale des Gros-Loulous (vous voyez déjà comme le thème est grave !), dirigée par Vent du soir,

chef éponyme de l’opérette. Ce dernier reçoit son ami Lapin-Courageux, roi des Papas-Toutous (on reste dans le drame !). Les deux larrons s’entendent à merveille depuis qu’ils ont dégusté leurs femmes respectives. Que manger ? Question existentielle s’il en est… un étranger, un certain Arthur qui ose faire la cour à la fille du premier, Atala, semble être particulièrement bien

M.C.

Opéra au Village du 20 au 28 juillet Couvent des Minimes, Pourrières 06 98 31 42 06 www.loperaauvillage.fr

Festival Durance-Luberon 17e édition et toujours le même enthousiasme, le même investissement des bénévoles passionnés… Le Festival Durance Luberon accorde au mois d’août le bonheur de découvertes éclectiques, dans des cadres de choix pour une dizaine de manifestations. On voyage en Turquie avec l’Ensemble Tsigane d’Ahirkapi issu des générations de tsiganes venus de Thessalonique dans les ruelles du quartier historique du palais de Topkapi à Istanbul ; la musique traditionnelle turque, nourrie d’influences tsiganes, balkaniques et orientales, emplira les rues de Cucuron (le 8 août) avant de s’installer pour un cabaret au centre de Mirabeau puis, délices !, au château de Mirabeau (le 9) où les plaisirs de la table accompagneront clarinette, percussions, saxophone et accordéon. On baroquise avec verve le 15 août au temple de Lourmarin avec le Café Zimmermann qui interprète des cantates comiques extraites d’œuvres de Courbois, Corette, Racot de Grandval, Marin Marais, Pierre de la Garde. Puis les Jardins de Magali, à Lauris (le 14) et le Château de la Verrerie, à Puget-surDurance (le 17) accueillent ApérOpéra, avec le pianiste que l’on a déjà applaudi l’an dernier, Vladik Polionov, virtuose dans la Grande paraphrase de concert

Café Zimmermann © X-D.R

sur Rigoletto de Liszt, la soprano lyrique Claudia Sorokina et le baryton Patrick Agard. Le flamenco passionné du Trio Fernandez et Sarah Moha offrira ses compositions et de grands classiques au Château Paradis du Puy-Ste-Réparade (le 16). Didier Huot et son Middle Jazz Orchestra rendront hommage dans une première partie à Glenn Miller, et, comme il s’agira d’un ApérOjazZ, fera danser le Château d’Arnajon (le 21 au Puy) et la place de l’église de Grambois (le 24), rock’n roll et boogie-woogie à la clé. Enfin, théâtre et musique se fondent dans la pièce musicale créée en 1929 par Bertolt Brecht et Paul Hindemith, L’importance d’être d’accord. Questions de l’utilité du progrès

scientifique, de la vanité de l’héroïsme, de l’entraide humaine, par l’ensemble Ad fontes dirigé par Jan Heiting et mis en scène par André Lévêque. Du rire et la réflexion se conjuguent alors pour notre plus grand bonheur (le 22 à Saint-Estève-Janson). Quel bel été ! MARYVONNE COLOMBANI

Festival Durance Luberon du 8 au 24 août Cucuron, Mirabeau, Lourmarin, Puget-surDurance, Puy-Ste-Réparade, Grambois, SaintEstève-Janson 06 42 46 02 50 www.festival-durance-luberon.com


Jeunesse musicale Orchestre français des jeunes © Sylvain Pelly

Depuis prés de quarante ans, l’Orchestre Français des Jeunes (OFJ) forme à la discipline orchestrale des jeunes musiciens qui, dans les conservatoires, ont été surtout confrontés au jeu individuel. Sous la responsabilité d’artistes de très haut niveau, il contribue à l’insertion professionnelle des instrumentistes et, par la qualité de ses prestations, au rayonnement de l’enseignement musical français. L’orchestre symphonique (il existe aussi un orchestre baroque) se réunit deux fois l’an au Grand Théâtre de Provence. Cet été les jeunes travaillent sur un programme qui court de Saint-Saëns (Symphonie n°3

OJM

L’orchestre des jeunes de la Méditerranée, désormais totalement intégré à la programmation et à la gestion du Festival International d’Art Lyrique, présente le résultat de sa session d’été : 92 jeunes musiciens issus des conservatoires d’une vingtaine de pays de la Méditerranée, ont eu la chance de travailler plusieurs semaines sous la direction d’Alain Altinoglou. Ils joueront de grandes œuvres appartenant au tournant du vingtième siècle et à ses avant-gardes françaises et allemandes : Debussy et Ravel (Prélude à l’après-midi d’un faune et Daphnis et Chloé), Richard Strauss et Webern (Vier letzte lieder et

avec orgue) à Thierry Escaich (Suite tirée de l’opéra «Claude»), en passant par Richard Strauss (Ainsi parlait Zarathoustra)... Dans la foulée l’OFJ part en tournée et débute par son lieu de résidence. On n’attend donc pas la rentrée pour vivre encore Un été au Grand Théâtre en compagnie de cette belle jeunesse musicale, bourrée de dynamisme et de talents, dirigée par Dennis Russell Davis. JACQUES FRESCHEL

le 20 août Grand Théâtre de Provence, Aix 08 2013 2013 www.lestheatres.net

Im Sommerwind), précédé le 24 juillet d’une courte pièce de commande à Francisco Coll : Hidd’n Blue. Un programme peu méditerranéen, mais sublime, et tout à fait propice à l’apprentissage du métier de musicien d’orchestre. A.F. le 24 juillet Grand Théâtre de Provence, Aix le 25 juillet Villa Méditerranée, Marseille le 26 juillet Place de la Mairie, Savines-leLac (05) 04 42 17 34 93 www.ojmed.com


30 F E S T I V A L S M U S I Q U E

Entre les grands concerts et les animations au Village du Festival ou dans la ville, tous les folklores du monde s’installent chaque année en Provence, sur les canaux de Martigues ! Du 20 au 28 juillet, tous les jours de 10h à 21h30, 450 bénévoles œuvrent pour offrir aux artistes un espace digne de leur talent. Après l’édition exceptionnelle des 25 ans en 2013, les habitués du Festival de Martigues vont vivre cette année un véritable tournant ! Changement de dates, de lieux, d’horaires, le festival se déploie dans l’espace public, sur un temps plus long, et au fil de chaque journée. Ainsi les 11 ensembles des 5 continents envahiront les rues et les places de Martigues dès le 20 juillet ; le Village s’installe à proximité du Centre-Ville dans un lieu ombragé et ouvert dès 15h, la restauration change de formule et la soirée des adieux est avancée au lundi… Des concerts exceptionnels, une journée dédiée à nos voisins italiens, des animations de rues, des spectacles corses, un temps consacré au centenaire Frédéric Mistral, divers folklores plus chaloupants ou mystérieux venus de contrées lointaines. De l’Esplanade des Belges en passant par la Rue Lamartine, jusqu’à la Place Mirabeau sans oublier le Cours du 4 septembre et le Canal St Sébastien, des Parades colorées auront lieu ainsi que des Bals nombreux dont le Bal des Nations le 20 juillet ou encore le Bal des Minots le 26 juillet. Dans

© Alain Espinosa

Venise et provençale

la journée il y aura des ateliers pour peindre, dessiner, chanter et danser avec les artistes afin de partager une formidable aventure humaine, toujours populaire. Cela dans un espace de rencontres, où l’authenticité de minorités culturelles côtoie la renommée de ballets nationaux. Le tout s’achèvera le 28 juillet par une Parade de clôture sur le Canal St Sébastien dans le Village

aménagé pour l’occasion, entre la mer, l’étang et les canaux. ALICE LAY

Festival de Martigues du 20 au 28 juillet 04 42 49 48 48 www.festival-martigues.fr

Week-end en régions Découvrir ou redécouvrir la richesse des patrimoines artistiques issus de la diversité culturelle qui irriguent le territoire régional, tel est le parti pris de cette nouvelle manifestation, Le Monde est en région, initiée par la Région PACA et dont la réalisation a été confiée à la Régie Culturelle Régionale. Elle fait suite à l’opération Le Monde est chez Nous, réalisée à Aubagne dans le cadre de MP2013 en juin 2013, qui mettait à l’honneur les danses et cultures du monde et soulignait déjà l’apport précieux que représente cette diversité culturelle. À Digne-les-Bains, le temps d’un week-end les 13 et 14 septembre, des groupes provenant de toute la région, et notamment des Alpes de Haute-Provence et de Digneles-Bains, vont se succéder sur les scènes extérieures et celles du Palais des Congrès,

Vaisseau Voyageur © G. Bonnet

faisant se côtoyer les danses provençales et les tarentelles calabraises, les musiques et danses des Balkans, les chants comoriens… Le week-end commencera dans le centre-ville avec les Violons du Rigodon dans un répertoire traditionnel des Alpes du Sud, Batuc Calu, la Batucada de

Digne, les cornemuses d’Alerte Rouge, et le groupe folklorique dignois La Belugue. Sur les scènes se succéderont, entre autres, le groupe Coucou de Berra avec le spectacle Miédjoù, Fouad Didi avec une dizaine de musiciens et chanteurs avec Arabesques, dans un répertoire de musique

arabo-andalouse, les chants et danses d’Italie du sud de Gli Ermafroditi, le Baleti Gafieira franco-brésilien avec 7 musiciens amateurs de choro, le Grand Baleti, bal traditionnel de France et des Pays d’Oc, le groupe Draille Quartette qui s’inspire des musiques de violon des Alpes du Sud, la quarantaine de danseurs et musiciens de TovaE, création balkanique «made in Provence», Le Vaisseau Voyageur orchestré par le slameur franco-comorien Ahamada Smis, l’Inde de Jhankar… Une belle façon de mettre en valeur les nombreux patrimoines culturels immatériels coexistant sur le territoire ! A.L.

Le Monde est en région les 13 et 14 septembre Digne-les-Bains www.laregie-paca.com/



F E S T I V A L S M U S I Q U E

qui revient aux sources de la soul avec l’album Home pour lequel les cinq membres se sont servi de micros, amplis et instruments vintages utilisés dans les années 70 (le 15 août) ; et le DJ marseillais Mam’s enfin, qui enflammera les Allées comme il se doit (le 13 août) ! À noter que du 1er au 3 août, l’association Etoiles 2 rue, en partenariat avec la ville de Bandol, organise la 3e édition de Trafic de Styles, festival de danse qui propose des démonstrations et des soirées chorégraphiques, et s’adresse aussi bien aux amateurs qu’aux professionnels ! Do.M.

Bandol Surprise jusqu’au 23 août Bandol 04 94 29 41 35 www.bandol.fr

Zik Zac n’attend plus la rentrée Installé dans le paysage musical aixois du mois de septembre, le festival des musiques mondiales en mouvement devance l’appel. Une 17e édition qui prend donc ses quartiers d’été et renoue, après un nomadisme chronique imposé, avec son site originel : le quartier populaire du Jas de Bouffan. Populaire, le qualificatif est l’ADN de ce festival en marge de la tradition culturelle plutôt bourgeoise d’Aix-en-Provence. La deuxième ville du département compte pourtant au sein de sa population un grand nombre d’habitants aux moyens modestes. Zik Zac nouvelle formule s’inscrit donc dans la gratuité afin d’en encourager l’accès. Au fil de la quinzaine de concerts programmés par les infatigables de La Fonderie d’Aix, le public pourra découvrir des artistes de qualité aussi bien français qu’internationaux, balayant tous les rythmes des musiques actuelles. Parmi eux : l’afro-groove de Bko Quintet (Mali), Natalia Doco (Argentine) et son folk latino, le nouveau prince du raï’n’b Ya’Seen (Aix), la fusion gnawa de Djmawi Africa (Algérie), la soul de The Excitements (Espagne), Ezza (Niger) et son blues du désert, le collectif latino-explosif Che Sudaka (Argentine/ Colombie/Barcelona) et l’électro-rock saharien des désormais incontournables Temenik Electric (Marseille/Algérie). Les amateurs de la planète reggae ne seront pas en reste avec le phénomène Brushy One String, l’étoile montante du new roots à la française Naâman, les Allemands de Illbilly Hitec et le mythique Clinton Fearon et son Boogie Brown Band, échappé des Gladiators. THOMAS DALICANTE

Temenik Electric © Jean de Peña

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À Bandol, l’été se passe en musique, avec des concerts, gratuits !, qui rythmeront les Allées Vivien jusqu’au 23 août. Et pas n’importe lesquels, car les grands noms de la chanson française seront présents, au côté de groupes internationaux. À commencer par deux grandes artistes connues de tous : Sylvie Vartan tout d’abord, qui chantera les chansons de son dernier album, Sylvie in Nashville, dans lequel elle rend hommage à l’Amérique (le 27 juillet) ; Jeanne Manson ensuite, en vedette du Sun Tour Var Matin, qui reprendra à n’en pas douter les standards indémodables de son répertoire (le 18 août). Autres grands noms : Emmanuel Moire, de retour avec l’album Le chemin (le 23 juillet) ; les stars bien connues de comédies musicales tout aussi connues (Daniel Levi, Pablo Villafranca, Ginie Line) seront accompagnés sur scène par une centaine de choristes de la plus grande chorale de France, Le Chœur du Sud (le 20 juillet) ; le groupe Voca People, soit 3 chanteuses (alto, mezzo et soprano) et 3 chanteurs (basse, baryton et ténor) accompagnés de 2 artistes de beat box (le 16 août) ; le groupe Electro Deluxe, explosive formation

André Manoukian et China Moses © Gwen Lebras

Bandol Surprise

Festival Zik Zac du 17 au 19 juillet Jas de Bouffan, Aix 04 42 63 10 11 www.zikzac.fr

Un verre, ça va ! Electro Deluxe © X-D.R

Pour cette 8e édition de Music en Vignes, Château Paradis remet le cap sur le jazz et le rock. Trois concerts auront lieu du 23 au 25 juillet dans l’environnement accueillant du domaine viticole du Puy-Sainte-Réparade. Fidèle à sa tradition, le festival propose, à la belle étoile, de commencer par un verre de vin... Le 23, China Moses et André Manoukian présenteront dix-sept chansons de torch song, dont les célèbres My funny Valentine de Frank Sinatra ou encore la fameuse What a wonderful world de Louis Amstrong. Le 24, ce sera au tour du groupe Electro Deluxe d’entrer en fanfare. Fondé en 2001 et composé de cinq musiciens, le groupe s’est fait connaître grâce à un son électro-jazz original, entre héritage et modernité. Le festival s’achèvera le 25 par Les légendes du Rock. L’ensemble de

basse/guitare/batterie est emmené par Ilyès Yangui, Dimitri Reverchon, Laurent Elbaz et Emmanuel Soulignac qui enchaîneront les tubes rock, blues et rock’n’roll des années 50 à nos jours, faisant revivre les grands moments de l’histoire du rock de U2, Queen, Police, Clapton ou encore Elvis Presley. Music en vignes prouve qu’avec un peu de vin le cocktail «jazzy et rock’n’roll» a du corps et de la longueur en bouche ! ALICE LAY

Music en Vignes du 23 au 25 juillet Le Puy-Sainte-Réparade 04 42 54 09 43 www.musicenvignes.com



F E S T I V A L S R U E

Tous à la mer !

Cette année la ville d’Auriol ne sera malheureusement pas de la partie pour la 13e édition de Festimôme ! Seule Aubagne accueillera l’évènement. Pourtant la culture pour enfants y a toujours été défendue par l’association Art’Euro, avec une belle programmation de spectacles de rue et de concerts, proposés par des artistes français et européens… Mais pas de réduction en nombre ! Pour cette édition, Aubagne accueillera à nouveau quatorze compagnies qui se produiront dans le Parc Jean Moulin. Au programme, Zoo Déglingo, manège à pédale écolo-rigolo-déglingo de la Cie L’Echappé Belle qui fonctionnera toute la journée du 30 juillet. Le même jour auront lieu Écoute ton cœur de la Cie de la chouette, Histoire à dormir debout, installation sonore de la Cie l’oisiveraie, Trasphalt qui durera par ailleurs jusqu’au bout du festival ; Caroussel de la Cie BazarPalace, et un concert intitulé BAB et l’orchestre des chats, qui sera présenté par AMJ Productions. La Cie Principo Attivio Teatro, venue d’Italie, présentera deux spectacles : Hanna e Momo et Histoire d’un homme et de son ombre durant les trois jours du festival. La Cie BICEPsuelle proposera elle Les Deux du stade les deux premiers jours, tandis que la Cie l’Afrique dans les oreilles jouera un spectacle de marionnettes intitulé Soundjata, l’enfant Lion, et que Giolisu/Teatro Pachuco fera danser ses clowns pour un Coup de foudre et verra La vie en rose le 31 juillet. La Cie Les Philosophes Barbares donnera Volatiles et féculents, la Cie 25 watts Mythologie, et la Cie chemin de Terre Le polichineur de tiroir, le 31 juillet et le 1er août. Le 1er août, la Cie La Générale Electrique déroulera son histoire d’Ulysse et fils, une épopée

faite de marionnettes et de machines… Le tout s’achèvera par une chorale de 80 enfants issus de centre aérés et de jeunes des maisons de quartier d’Aubagne durant la nuit du 1er août, pour clôturer le festival en musique.

Pour la 3e année, la ville de Port-Saint-Louis s’engage dans la manifestation Septembre en mer qu’organise l’Office de la Mer Marseille Provence depuis 16 ans, et qui essaime depuis peu sur un plus grand territoire maritime. Le programme est copieux et s’étale sur le mois, alternant découvertes et promenades, sorties en mer et initiations aux sports de mer… Parmi les sorties phares : la découverte des cabanons du bord du Rhône vous permettra de découvrir, lors d’une traversée du fleuve, les berges, l’île aux topies, la ville se déployant le long des quais ; dans le même esprit, l’accueil des cabanonniers de l’anse de Carteau et la balade dans les parcs conchylicoles pour une rencontre avec cette communauté généreuse qui aime raconter l’histoire de ces micros-paradis, sur la route de la Plage napoléon, avec apéro-dinatoire à l’arrivée ! Une double découverte sera aussi possible avec la sortie à bord du Chourmo, organisée par Voies Navigables de France (VNF), pour tout savoir du réseau fluvial, des projets de développement, de la vie au long cours sur les péniches de transport de marchandise, mais aussi de l’histoire des salines et des saliniers. Dans un autre genre, plus original, la balade à bord d’un nego-chin (embarcation rustique à fond plat) vous permettra d’appréhender différemment les roubines et les étangs, avant de visiter l’exposition de peintures marines de Jean-Marie Fraysse, président de l’association Hisse et Oh, et de maquettes de voiliers de Jean-Marc Lecullée. Enfin, si vous voulez faire œuvre de salut public, retroussez vos manches et enfilez vos gants pour aider à nettoyer les berges du canal Saint Antoine et rendre au littoral marin sa splendeur naturelle !

ALICE LAY

Do. M.

Les Deux du stade, Cie BICEPsuelle © Camille Havas

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Sans Auriol mais toujours là

du 30 juillet au 1er août Aubagne 04 42 72 75 51 www.festimôme.fr

Septembre en Mer du 6 au 25 sept 04 42 86 39 11 www.portsaintlouis-plaisance.fr

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Dominos géants

36 A U

surveiller, afin que le trajet ne soit pas interrompu intempestivement. L’ambition de Dominoes est de «transformer la ville en gigantesque terrain de jeu de construction». À 16h tapantes, le premier domino s’abattra sur son voisin, qui à son tour s’abattra sur le suivant, etc. Cette performance monumentale a déjà eu lieu dans plusieurs cités européennes, notamment à Londres en 2009, lors des manifestations liées au Jeux Olympiques, et à Copenhague l’an dernier. Remportant un succès considérable lors de chaque édition, elle s’inscrit pour Lieux Publics dans la continuation des grands événements accueillis par Marseille lors de l’année 2013, où elle était Capitale européenne de la Culture. GAËLLE CLOAREC

Dominoes le 28 sept Parcours entre la Gare St Charles et l’Ombrière du Vieux-Port, Marseille 04 91 03 81 28 www.lieuxpublics.com

R E N T R É E

Régionale imagine, comme chaque année, une série d’événements musicaux qui valent le détour. Juste après la présentation de saison (le 13 sept à 11h), où l’on attend les ensembles Musicatreize, Concerto Soave, le Gmem, l’Opéra de Marseille et l’Odéon, le musicologue Lionel Pons... c’est l’opérette marseillaise revisitée par Moussu T e lei Jovents et présentée par Jacques Bonnadier que l’on découvre autour de Vincent Scotto et Alibert (le 18 sept à 17h). MARSEILLE. Alcazar. Salle de Conférence 04 91 91 80 88 www.bmvr.marseille.fr

Cité de la Musique Dominoes à Helsinki © Simo Karisalo

P R O G R A M M E

D’aucuns s’amusent à aligner morceaux de sucres ou dominos en un parcours sinueux, pour avoir le plaisir de suivre du regard les parallélépipèdes tombant les uns sur les autres, dans un mouvement progressif, très agréable à l’œil. Jusqu’à ce que plus un seul ne soit debout, et qu’il ne reste qu’à recommencer ! Plus longue -et donc potentiellement jouissivesera la chute le 28 septembre prochain : 2,5 kilomètres précisément, c’est la dimension de la trajectoire prévue par le dispositif Dominoes, entre la Gare Saint-Charles et le Vieux-Port de Marseille. Conçue par le britannique Julian Maynard Smith, de la compagnie Station House Opera, à l’invitation de Lieux Publics, une ligne composée de 5000 blocs de béton cellulaire parcourra la ville. L’installation nécessitant la mobilisation de centaines de bénévoles, le Centre National de Création en Espace Public a lancé un appel à participation. Pour cet «acte collectif», les biceps seront certes bienvenus lorsqu’il s’agira de mettre en place les blocs, mais les moins sportifs pourront également participer, en se chargeant par exemple de les

Une saison à l’Alcazar La Bibliothèque Municipale à Vocation

Avant le concert de Moussu T e lei Jovents, autour de chansons marseillaises que le joyeux groupe s’approprient (le 19 sept – voir ci-dessus la présentation à l’Alcazar), on déambule, hors les murs, dans les rues de Digne pour le Monde est en Région (voir p 30), au son des musiques orientales de Fouad Didi, des cornemuses d’Eric Montbel, de concerts et du bal sur la Grande scène du Palais des Congrès (les 13 et 14 sept). 04 91 39 28 28 www.citemusique-marseille.com

Arabesques, Fouad Didi © Bonnet

Festival d’Orgue Les festivités à Roquevaire débutent avec

Soirée d’ouverture Dirigée désormais par Didier Le Corre, la Scène nationale de Cavaillon présentera sa saison le 5 septembre lors d’une soirée d’ouverture en forme de pochette surprise. Le nouveau nom du théâtre sera dévoilé, en compagnie de certains des artistes invités cette année. Une soirée de fête pour découvrir une programmation sensible et accessible, avec l’accueil, entre autres, de plusieurs pièces destinées à un public familial, et de nombreux visages féminins : Anne Nguyen, Marion Levy, Colette Garrigan, Catherine Riboli,

Pauline Bureau, Sandrine Bonnaire et Raja Shakarna, Pascale Daniel-Lacombe, Angélique Clairand… Mais encore, Gilles Cailleau, La Mondiale générale, la Cie Arcosm, Les Anges au plafond, Joan Mompart, Dorian Rossel, Olivier Letellier, Aurélien Bory, Christian Ubl… De.M.

Théâtre de Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com

le Quintette de Cuivres de Marseille emmené par le tubiste Thomas Leleu. Les trompettes et trombones rivalisent avec les tuyaux de Cochereau manipulés de la console mobile par Maurice Clerc (le 12 sept). C’est ensuite Musica Antiqua Mediterranea (dir. Christian Mendoze) qu’on entend dans un programme baroque autour du Stabat Mater de Pergolèse interprété par la soprano Lucille Pessey et la mezzo Patricia Schnell. Nicolas Loth est aux claviers (le 14 sept). ROQUEVAIRE. du 12 sept au 19 oct 04 42 04 05 33 www.orgue-roquevaire.fr



Couturiers et Costumiers

L’Odyssée de Pi de Ang Lee © 20th Century Fox

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Jusqu’au 20 septembre, Tilt présente la 19e édition de Ciné Plein-Air Marseille ; des projections du nord au sud de la ville, à partager à la tombée de la nuit, sous les étoiles. L’occasion de (re)découvrir de grands classiques tels que Le Gentleman d’Epsom de Gilles Grangier avec Jean Gabin et Louis de Funès, ainsi que le premier volet de Retour vers le futur de Robert Zemeckis, les 17 et 18 juillet. À voir également, le génie comique des Marx Brothers dans Un jour aux courses de Sam Wood le 23 juillet, le multi-oscarisé L’Odyssée de Pi de Ang Lee le 25, ou la comédie ensoleillée de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, 30° Couleur, le 31 juillet. Les fans d’Audrey Hepburn et Jean-Paul Belmondo seront à la fête les 7 et 8 août avec Drôle de Frimousse de Stanley Donen et L’homme de Rio de Philippe de Broca. Pour les plus jeunes, des films d’animation Les Enfants Loups, Ame & Yuki de Mamoru Hosoda le 15 août, et Moi, Moche et Méchant 2 de Chris Renaud et Pierre Coffin le 5 septembre. La Vieille Dame Indigne de René Allio clôturera l’événement le 20 septembre. Ciné Plein Air, Marseille 04 91 91 07 99 www.cinetilt.org

Le 6e Festival en plein air de Visan qui se tient jusqu’au 17 août, sur le thème Couturiers et Costumiers, propose cinq projections à 21h30, place du Jeu de Paume : le 8 août, le chef-d’œuvre de Blake Edwards, Diamants sur canapé avec Audrey Hepburn ; le lendemain, Peau d’Âne de Jacques Demy ; le 10 août, Le Couturier de ces dames de Jean Boyer. Puis ce sera L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot et pour finir, Ridicule de Patrice Leconte, en présence de Christian Gasc, César des meilleurs costumes pour le film et invité d’honneur du festival.. Ciné-Visan 07 82 11 80 11 www.cine-visan.fr

Cotoyez ceux qui font le cinéma Yoyo de Pierre Etaix © Les Films de la lune vague

Ciné Plein-Air à Marseille

Du 12 au 14 septembre, Cotoyez ceux qui font le cinéma à la 11e édition des Rencontres Cinématographiques de Cavaillon organisées par Ciné Plein Air et animées par le critique Xavier Leherpeur. Au programme, les films cultes de Pierre Etaix, invité ainsi que Jean-Claude Carrière, Pascal Elbé dont on pourra voir Tête de turc (2009), au total une douzaine de longs métrages, 9 tables rondes pour mieux connaître les «coulisses» du cinéma et une exposition. Ciné Plein Soleil, Cavaillon www.rencontrescine-cavaillon.fr

Instants d’été

Peau d’Âne de Jacques Demy © Ciné Tamaris

Écrans sous les étoiles Jimmy’s Hall © Sixteen Films

Jusqu’au 27 juillet, L’Alhambra Cinémarseille présente Écrans sous les étoiles 2014 ; une tournée de cinéma en plein-air dans les cités et quartiers des 15e et 16e arrondissements. Au programme notamment, la comédie Afrik’Aïoli de Christian Philibert le 24 juillet, le drame historique Jimmy’s Hall de Ken Loach du 23 au 27 juillet, ou encore Black Coal de Yi’nan Diao, lauréat de l’Ours d’Or Berlin 2014, du 16 au 22 juillet. Les spectateurs pourront également (re)découvrir le dernier Jean-Luc Godard, Adieu au Langage, lors de séances spéciales en 3D les 17 et 24 juillet à 21h. Le Jeune Public n’est pas oublié avec entre autres, Maléfique de Robert Stromberg du 16 au 22 juillet, Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata du 23 au 27 juillet et, du 16 au 27 juillet, le Cinéma des Minots, quatre courts-métrages d’animation pour les enfants à partir de 2-3 ans. Cinéma Alhambra, Marseille 04 91 03 84 66 www.alhambracine.com

Tout au long de l’été, la ville d’Aix-en-Provence, l’Institut de l’image et l’association Tilt proposent des projections cinématographiques en plein air à la tombée de la nuit, au cœur des parcs et jardins de la ville. Les spectateurs pourront notamment (re) découvrir Mud de Jeff Nichols avec Matthew McConaughey et Reese Witherspoon le 20 juillet, le ciné-concert Maciste (de Luigi Romano et Vincento Derizot) par le duo Archipass (le 24 juillet), ainsi que le chefd’œuvre de Jacques Demy, Lola, le 27 juillet. Le 3 août, les courts métrages du Festival Tous Courts seront à l’honneur avec, entre autres, Abu Rami de Sabah Haider, Les Lézards de Vincent Mariette ou Los Retratos de Iván D. Gaona. Au programme également, la comédie déjantée de Richard Curtis Good Morning England le 10 août et le long métrage d’animation Une vie de chat d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli le 24 août. Enfin, la programmation se terminera le 31 août avec un classique du cinéma : La fureur de vivre de Nicholas Ray avec James Dean et Nathalie Wood. Entrée gratuite. jusqu’au 31 août Aix-en-Provence 04 42 91 99 19 www.aixenprovence.fr www.citedulivre-aix.com La fureur de vivre de Nicholas Ray © Carlotta films


Lussas in docs

Du 17 au 23 août, se tiendra la 26e édition des États Généraux du Documentaire à Lussas, petit village près d’Aubenas, en Ardèche. On y retrouve comme chaque année deux ateliers auxquels il faut s’inscrire rapidement pour pouvoir y participer : le 1er, Le cadre, entre intuition et intention, essaiera de cerner les enjeux du cadre au cinéma et le 2nd, Soulèvements, révoltes, le sursaut des images, s’intéressera aux images d’amateurs ou de cinéastes qui tentent de représenter les bouleversements de l’histoire. Expériences du regard réunira une vingtaine de films de l’espace francophone. La Route du doc explorera la production documentaire néerlandaise récente, et Histoire de doc fera connaître l’histoire du cinéma documentaire italien méconnu, en Italie comme ailleurs. Fragments d’une œuvre montrera le travail de deux cinéastes, le Suédois Eric M. Nilsson, auteur de documentaires classiques, de films de cinéma direct, d’opus poétiques sans commentaire et d’essais ; et Sándor Sára, cinéaste majeur dans l’histoire du cinéma hongrois des années 60 aux années 2000. Dans Tënk, qui signifie en wolof «résume-moi ta pensée», on verra venus de l’Océan indien, du Caucase, de Sibérie, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et d’Europe francophone, des films qui émergent des rencontres de coproductions équitables. Et bien sûr, la journée SCAM-Brouillon d’un rêve, des rencontres professionnelles et après la journée SACEM, la traditionnelle Nuit de la Radio à SaintLaurent-sous-Coiron, un programme radiophonique tissé avec les archives de l’Ina, en partenariat avec Radio France, où les festivaliers sont invités à se perdre dans «L’Esprit des lieux». De quoi finir l’été en cinéma ! ANNIE GAVA

États généraux du film documentaire, Lussas du 17 au 23 août 04 75 94 28 06 www.lussasdoc.org Spartacus et Cassandra de Ioanis Nuguet

Erratum

Dans Zibeline 75, nous avons écrit Tsai Ming Liang au lieu de Wang Bing, président du Jury de la Compétition Internationale du 25e FID. Nos excuses confuses aux cinéastes ! A.G.


Les Chibanis oubliés

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Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés de Rachid Oujdi

Ils marchent à petits pas, les Chibanis, quand ils le peuvent encore, appuyés sur des cannes, des béquilles. Ils vivent à Marseille dans des foyers, des centres d’accueil, en butte à des tracasseries administratives indécentes. Ils sont vieux, pauvres, seuls. De 50 à 70, ces

travailleurs immigrés, gens de peine, gens de peu, sont venus d’Algérie pour construire nos routes, nos immeubles. Espérant un retour rapide au pays, ils ont laissé au bled femmes et enfants, ne les revoyant qu’une fois l’an, au mieux. Ils ont connu l’indigénat de la France coloniale, la guerre d’indépendance, les Trente Glorieuses, n’ont pas bénéficié du regroupement familial, sont devenus des pères et des époux absents, pourvoyeurs de mandats. Ils ont traversé l’Histoire s’effaçant peu à peu de la mémoire collective. «Émigré» là-bas, «Bougnoule» ici, «rêvant en français, pleurant en kabyle». Piégés à la fois par le temps qui les a éloignés définitivement des leurs et par la loi française qui les contraint à demeurer sur le territoire pour percevoir les maigres allocations complétant leur retraite-aumône. Dans Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés, Rachid Oujdi reconstitue leurs parcours singuliers, juxtaposant témoignages et images d’archives. Il les saisit frontalement en gros plans, ou de dos, face à la mer de l’impossible retour, élargit

le cadre pour suivre leurs corps rompus, à la démarche incertaine, ou bien, les filme, attablés, derrière les vitres embuées d’un bistrot de Belsunce, jouant aux dominos du destin, et déjà s’estompant. Ni colère, ni ressentiment en eux, de l’humour malgré la souffrance et une dignité qui force le respect. Présents avec le réalisateur, ce 27 juin, aux Variétés, ils ont bouleversé le public venu découvrir, à guichets fermés, en avant-première, ce film made in Marseille et le cadeau de Rachid : un clip tourné pour le groupe toulousain Zebda dont un extrait du futur album en résonance directe avec le travail du cinéaste, sera en ligne début juillet. ELISE PADOVANI

Le film Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés a été projeté le 27 juin au cinéma Les Variétés, à Marseille, et diffusé le 4 juillet sur France 3

Je t’ai (encore) dans la peau En 1988, Jean-Pierre Thorn tournait à Marseille Je t’ai dans la peau, un film «délibérément hybride, impur, sur la corde raide entre réalité et fiction», inspiré par l’histoire de Georgette Vacher, une militante syndicale qui, s’étant vu retirer ses responsabilités en 1981, a fait «une dernière action libre» : se suicider. «C’est la fin d’une grande histoire d’amour avec la classe ouvrière, je suis le dos au mur» écrit-elle dans sa dernière lettre. Dans le film de Thorn, Georgette est Jeanne Rivière, incarnée magnifiquement par Solveig Dommartin (Marion, la belle trapéziste des Ailes du désir de Wim Wenders). Directeur de la photo, Denis Gheerbrant, assistants à la réalisation, Jacques Reboud et Achille Chiappe qui a filmé repérages et tournage : quinze heures de rushes. Le film est sorti le 15 juin 1990 dans 4 salles, «peu de chance à cette histoire d’une nonne devenue ouvrière et syndicaliste.» Plus d’un quart de siècle après, Film flamme et Les Éditions Communes décident de faire resurgir ce film, «rayé de la carte», disparu des mémoires de beaucoup de Marseillais. Comment ? Et bien

Je t’ai dans la peau de Jean-Pierre Thorn Cinéma hors capital(e) numéro 3, 208 pages DVD encarté Je t’ai dans la peau de Jean-Pierre Thorn (118’) et Traces de Je t’ai dans la peau d’Achille Chiappe (29’15’’), 25 euros

Je t’ai dans la peau de Jean-Pierre Thorn

en éditant un livre-DVD, «un travail d’artiste sur mon propre travail» a précisé Jean-Pierre Thorn, présent le 28 juin, pour sa sortie, au Polygone Étoilé, où l’on a pu voir le documentaire que Chiappe a réalisé avec ce matériau précieux qui fait revivre le cinéma à Marseille à la fin des années 80. Le livre donne la parole à des militants ouvriers qui ont participé à cette aventure, refusant l’effacement de la mémoire, aux cinéastes Jean-François Neplaz

et Kiye Simon Luang (dont la chronique du film Tuk tuk est à lire sur le site www.journalzibeline. fr) et propose une conversation passionnante entre Jean-Pierre Thorn et Serge Daney en mai 1990. Saluons donc cette heureuse initiative de Film Flamme et de Martine Derain des Éditions Commune qui permet à tous ceux qui s’intéressent au cinéma de (re)voir ce film oublié et de revisiter l’histoire du cinéma. ANNIE GAVA


La Blanche de Gallimard C. Honoré © AS. Le Boursicaud

Brillant, avec un esprit à sauts et gambades, Christophe Honoré a fait le bonheur des dernières Écritures Croisées de la saison à la Cité du livre. Sa pensée chatoyante sans cesse reformule, recherche au plus près la justesse, recontextualise, dans une perpétuelle remise en question. Il est vivifiant de le voir secouer la tête lors de certaines citations, évoquées en argument d’autorité, «qu’est-ce que j’ai pu dire comme conneries à l’époque !», ou encore à la suite d’une lecture (celle d’un extrait de Torse nu) : «Je viens de voir la réalité, que c’est mal écrit ! Un enfant ne dit jamais ça.» Lors de la Rencontre Littérature jeunesse, avec Dominique Masdieu (L’école des Loisirs) qui évoque sa voix nouvelle destinée aux ados, frontale, drôle, il précise les conditions de ses premiers pas dans la littérature jeunesse, son désir de partir à Paris faire du cinéma son travail d’animateur qui lui permet de rencontrer la littérature jeunesse, l’écriture de Tout contre Léo, son édition par Geneviève Brisac ; «en 1995 le sida était très présent, un livre pour enfants avec maladie et deuil s’imposait». Il raconte son irritation de voir ce livre réduit à un fait de société quand il est étudié dans les classes, «je voulais parler de littérature, le vrai sujet du livre repose sur le fait que pour préserver un enfant, on érige le mensonge en vertu, et le lien familial devient empoisonné». D. Masdieu pose la question de la mort fondatrice dans ses livres : «J’ai perdu mon père à 15 ans, longtemps j’ai cru que je me suis mis à écrire pour ça… Le rapport entre la littérature et la mort est essentiel, ce n’est pas tant comment on se construit, mais comment on vit avec cette rupture à porter, comment continuer après. Quand la télé a voulu porter le livre à l’écran, Léo ne mourait pas. J’ai refusé. Il faut faire preuve de loyauté envers les enfants. Il faut suivre la construction de la tragédie : la catastrophe annoncée doit avoir lieu.» Honoré explique ensuite qu’il ne croit pas au rôle pédagogique des écrivains jeunesse, mais que l’exercice de chercher qui a écrit et pourquoi est fondateur. «Si on veut réfléchir

sur la littérature jeunesse, il faut avoir une vision de la littérature adulte. Les livres jeunesse sont aussi des réponses de leurs auteurs à la littérature adulte.» Au cours de la discussion à bâtons rompus avec Marie Desplechin, les deux écrivains évoquent leur relation à l’écriture, se demandent pourquoi ni l’un ni l’autre n’écrit plus de livre pour adulte depuis des années, préférant d’autres formes, dont le documentaire. Dans l’époque quelque chose nous fait douter de nous en tant qu’auteurs. Y aurait-il un affadissement de l’idée du grand écrivain, modèle XIXe ? «Quand tu réussis une vraie fiction, c’est beau car tu es passé dans le symbolique». Marie Desplechin souligne qu’elle n’a pas envie de s’enfermer dans un genre. Écrire sur soi ? Oui, certes, mais aucun des deux n’apprécie la suite donné dans la critique, on vous parle de vous ensuite, au lieu de votre écriture, est-ce bien intéressant ? La forme littéraire interroge le monde, insiste Honoré, «quand je lis Sarraute, cela m’apporte autant sur la vision du monde qu’un roman américain sur la guerre du Vietnam». Il faudrait un Zibeline entier pour transcrire la richesse de cet extraordinaire duo… Un simple conseil : lisez-les, leur écriture ouvre des portes. Eux aussi devraient avoir la consécration de la Blanche de Gallimard ! MARYVONNE COLOMBANI

À la rencontre de Christophe Honoré a eu lieu du 25 au 27 juin, à la Cité du Livre, Aix-en-Provence


En Méditerranée, des femmes… 42 C I N É M A

Amira Chaibi, Méditerranéennes, mille et un combats de Serge Moati © Image & Compagnie

La Villa Méditerranée a fait salle comble le 29 juin pour la projection, proposée par le CMCA, de Méditerranéennes, mille et un combats, en présence du réalisateur Serge Moati Michel Vauzelle, Président du Conseil régional PACA, arrivé de Camargue et s’excusant… de sa tenue décontractée, a rappelé que la Villa Méditerranée, un rêve d’enfant, était le lieu où la «diplomatie participative des deux côtés de la Méditerranée pouvait se

réunir, lieu de rencontres, de conférences et de débats». Serge Moati a évoqué son fort attachement à la Méditerranée et a présenté son documentaire, tourné entre janvier et mai 2013, dans l’espérance après les «révolutions de la dignité» et la nouvelle inquiétude surtout pour l’Égypte, un hommage à des femmes belles, qui ont pris des risques et qu’il veut nous faire rencontrer. Effectivement, c’est une mosaïque de portraits qu’il nous présente, commentant, en voix off leurs «mille et un combats», voix dont on aurait pu aisément se passer, tellement forte est la parole de ces Égyptiennes, Israéliennes, Marocaines, Grecques ou Espagnoles engagées. Que ce soit l’Égyptienne Shahinaz

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Abdel Sala, ingénieure et blogueuse, la chanteuse Emel Mathlouthi dont le tube Kelmti Horra, symbole musical de la révolution tunisienne, fait vibrer, l’Israélienne Daphni Leef, initiatrice de la révolte des tentes à Tel Aviv, Asma Agbarieh, Arabe vivant en Israël qui réclame la justice sociale, ou l’Espagnole Ada Colau, «indignée» par les expulsions, toutes évoquent leurs luttes contre le régime, la politique de leur pays et les injustices. Elles parlent aussi beaucoup du corps des femmes, caché, voilé, surveillé, enfermé, utilisé, violé et que certaines ont osé dénuder comme Aliaa Elmahdy, jeune étudiante cairote ou la Tunisienne Amina Sboui. Ce corps qui sert aussi à exprimer leur révolte, comme l’actrice et danseuse tunisienne Amira Chebli, ou la danseuse égyptienne Sama Al-Masri qui se moque des islamistes. Et on n’oubliera pas non plus cette travailleuse sociale marocaine de 72 ans, Aicha El Feena, attaquée pour «incitation à la débauche» quand elle lutte pour les enfants nés hors mariage. «On se doit de rêver en Méditerranée» suggère l’écrivaine tunisienne Fawzia Zouari. Alors rêvons avec elles et ne baissons pas les bras ! ANNIE GAVA

Le documentaire Méditerranéennes, mille et un combats de Serge Moati a été projeté le 29 juin à la Villa Méditerranée, à Marseille CMCA, Marseille Centre Méditerranéen de la Communication Audiovisuelle 04 91 42 03 02 www.cmca-med.org


Entre vous et moi Le village plan, Alain Pontarelli, jardin d’Arteum,Châteauneuf-le-Rouge, 2014 © X-D.R

Dans la continuité du cycle «Le chez soi et l’ailleurs» initié en 2012, Arteum propose à Chloé Fourestier, Raoul Hébréard, Amandine Maria et Alain Pontarelli d’investir le parc du château et les salles d’exposition. À leur côté, deux artistes présentées par deux nouvelles structures partenaires : Karimah Ashadu (voyons voir, art contemporain et territoire) qui explore dans son film expérimental Re-trace une performance hautement physique réalisée en extérieur dont on saisit les mouvements et les sons ; Julie Perrin (Hydrib) qui dépose au sol les restes d’un banquet que l’on imagine sensuel : objets, accessoires, aliments, détritus et annotations manuscrites décapent la représentation par Manet d’un déjeuner sur l’herbe paisible. Dedans/dehors, intérieur/extérieur, architecture/paysage : «l’appropriation du lieu en tant qu’abri, toit, hébergement» qui constitue le socle de l’exposition Toits et moi se décline dans un jeu de correspondances entre les œuvres in situ et sur les cimaises. Un carreau de fenêtre a été brisé pour jeter une passerelle visuelle, le déjeuner a été déplacé sur le parquet, l’arbre du dehors pénètre dans le musée par l’entremise des photographies de Chloé Fourestier qui déplacent le point de vue. Prises dans son atelier, les photographies des Archicages et des Cages laborieuses d’Alain Pontarelli emprisonnent son propre corps tandis que

un chapitre de la série Généric House avec Un jour, le début constitué d’une cabane de jardin aux murs aveugles, en plaques de zinc, de silhouettes d’arbres en caoutchouc dilué sur papier calque, et de continents à la dérive, en céramique, haut perchés sur de fines tiges de bois. Étrangement, on quitte Toits et moi avec une sensation d’insatiabilité, d’incomplétude. Pourtant ni la qualité des œuvres ni le choix des artistes ne sont remis en cause, l’ensemble est cohérent et juste. On espérait plus d’œuvres éphémères en extérieur pour dessiner un véritable parcours, mais à l’heure des restrictions budgétaires, difficile pour Arteum de vivre en 2014 la belle envolée de 20131. Pour mettre en œuvre sa nouvelle programmation et assurer sa pérennité, il lui faudra nouer de nouveaux partenariats, inventer de nouvelles formes d’échanges. Déjà Paréidolie et l’École d’art d’Aix ont répondu à ses attentes. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI 1

Le village plan posé sur la pelouse fait barrage à notre regard, sauf quand de petites meurtrières multiplient les perspectives. La série de dessins finement exécutés par l’architecte-paysagiste Amandine Maria absorbe la réalité géographique de la barrière du Cengle à Châteauneuf-leRouge, créant un paysage imaginaire aux légendes poétiques. Raoul Hébérard écrit

En 2013, Arteum participait au projet du Frac, Ulysses Toits et moi jusqu’au 19 juillet en intérieur jusqu’au 26 septembre en extérieur Arteum, Châteauneuf-le-Rouge 04 42 58 61 53 www.mac-arteum.com

Vue d’ensemble © P. Dallanegra

salle, pour un défilé passionnant : Collection Moyen Âge du XIIIe au XVe. Une première étape que l’on pourrait qualifier de théorique, présente de grands panneaux explicatifs, dessins à taille humaine remarquablement documentés de Patrick Dallanégra qui use de tout son talent d’illustrateur pour rendre avec une méticuleuse précision les parties des costumes de cour, des armures. On perçoit les constantes, les évolutions, on se laisse séduire par le vocabulaire, gambison, heaume dit tête de crapaud... puis, c’est la merveille des costumes reconstitués par Nathalie Harran, richesse des tissus, beauté des drapés. Le vêtement détermine les groupes sociaux, les époques… les serviteurs du Roi René adoptent le noir et le gris, la houppelande du XIIe s’ouvre par un col en «v» au XVe, les physiques changent, les épaules des messieurs s’élargissent, les tailles des femmes s’affinent, on porte en collier ou à la manche une «pomme de senteur», les coiffes se modulent, on rase le haut du front pour le hennin, les robes se raccourcissent pour les messieurs, sauf les vieillards et les sages dont la longue robe subsiste chez nos magistrats. Les salles se peuplent, prennent

A U P R O G R A M M E A R T S V I S U E L S

De la chimère à l’autruche La magie du château de Tarascon, outre son architecture de conte de fée, ses dédales, ses retournements, ses escaliers dérobés, tient aussi au fait qu’il est habité par de remarquables expositions. Cet été, le touriste gâté pourra en découvrir deux, qui tissent entre elles et le lieu de singulières correspondances. La première, composée par l’association Artesens, Les ailes du serpent, nous introduit dans un bestiaire fantastique du Moyen Âge suivant un parcours qui convoque tous les sens, si bien que voyants ou non-voyants y trouvent le même intérêt. Expérience à vivre plus qu’à décrire, il faut fermer les yeux pour voir avec les mains, reconstituer du bout des doigts basilic, centaure, licorne, dragon, sirène, griffon, chimère, sphinx et bien sûr tarasque (sic !). Leurs échos se dévoilent au cours d’un vrai jeu de piste, (grâce à l’excellent fascicule destiné aux enfants À la recherche de l’œuf mystère). Les mythes traversent les époques, nos monstres s’inscrivent dans la continuité des chimères. Puis, on respire les parfums de l’Orient, l’imaginaire se nourrit des fragrances de terres lointaines… on abandonne le scriptorium magnifié par l’ampleur de la

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leurs véritables dimensions à l’aune de ces personnages qui leur rendent leur lustre. On apprend, on admire, on s’étonne. L’érudition se met à notre portée. Un régal ! MARYVONNE COLOMBANI

Visites thématiques tous les jeudis matins (compter 1 à 2 heures) Les ailes du serpent jusqu’au 30 septembre Mode et costumes, collection Moyen Âge jusqu’au 31 octobre Château de Tarascon 04 90 91 01 93 www.chateau.tarascon.fr


Vibrations

Un des papes de l’Op Art dans le temple aixois de l’art cinétique : Carlos Cruz-Diez. Une exposition qu’on aurait appréciée plus dense. Mais la Fondation Vasarely en rénovation poursuit sa résurrection

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Dans la querelle historique du dessin et de la couleur, cette dernière, cherchant son autonomie, trouve à la mi-temps du siècle dernier un de ses points d’orgue avec l’art cinétique et l’Op Art. Face aux usages conventionnels de la couleur, nombre de plasticiens dont Victor Vasarely ou Carlos Cruz-Diez (né en 1933) proposent de nouvelles esthétiques en vue de s’émanciper des diktats dessin/forme/ couleur et de l’image bidimensionnelle, de la narration ou l’anecdote pour s’intéresser aux effets perceptifs, aux mélanges optiques, aux jeux des couleurs complémentaires (jaune/violet, rouge/vert, bleu/orangé) et de vibrations dans des dispositifs visuels complexes, pour construire aussi des espaces ou des environnements immersifs incitant le visiteur à des expériences nouvelles, lui-même appelé à devenir un acteur nécessaire de l’œuvre. Il s’agit aussi de l’avènement d’une autre modernité qui semble aujourd’hui un peu daté. Ainsi les Chromosaturations ou les Douches d’Induction Chromatique qui apparaissent élémentaires à l’heure des

Une des Chromosaturation montrée pour la première fois en 1969 à Paris, Carlos Cruz-Diez, Fondation Vasarely, 2014 © C. Lorin/Zibeline

environnements multimédia. Pourtant dès 1995, avec l’Expérience Chromatique Aléatoire Interactive, Carlos Cruz-Diez proposait déjà une application numérique interagissant avec certaines de ses œuvres. «J’ai créé une partition chromatique que l’on peut utiliser pour interpréter mon œuvre, comme un musicien ou un chef d’orchestre peut interpréter une composition musicale.» On aurait aimé en découvrir plus -plusieurs panneaux pédagogiques présentent des intégrations architecturales et urbanistiques- mais nous butons ici sur les limites de l’exposition itinérante présentée dans un bâtiment en cours de réhabilitation. Nonobstant, on se plaît à imaginer les potentialités pour le futur

avec des événements conçus spécifiquement pour cette institution, lorsque la rénovation de la fondation sera enfin parvenue à son terme. CLAUDE LORIN

Cruz-Diez Circonstance et ambiguïté de la couleur jusqu’au 10 septembre Fondation Vasarely, Aix-en-Provence 04 42 20 01 09 www.fondationvasarely.org

À lire Carlos Cruz-Diez, Réflexion sur la couleur 1989, réed. 2013, Édition des Beaux Arts

Henry Pearlman,

un collectionneur avisé Portrait de jeune femme de Courbet, Jeune femme au chapeau rond de Manet, La diligence de Tarascon de Van Gogh, seize aquarelles de Cézanne, sculpture et peintures de Modigliani, bas-relief de Gauguin, un bel ensemble de toiles de Soutine… c’est dire si la collection Pearlman met l’eau à la bouche ! Le musée Granet à Aix semble s’être spécialisé dans l’accrochage de chefs-d’œuvre appartenant à la sphère privée internationale : après la collection de Frieder Burda, Philippe Meyer et Jean Planque, celle de l’américain Henry Pearlman s’offre pour la première fois deux haltes en Europe, à Oxford et à Aix… c’est dire si l’événement est exceptionnel ! D’autant que le musée Granet rassemble la quasi-totalité de la collection. Au seuil de l’exposition, un portrait peint par Kokoschka, un autre gravé dans le bronze par Lipchitz révèlent la bonhommie de celui qui aura une véritable révélation face à Soutine, qui deviendra collectionneur sur le tard, garnira son bureau de ses acquisitions pour profiter de leur proximité et entretiendra avec les artistes installés en France -notamment Léo Marchutz à Aix- des relations privilégiées. Subjugué par la force souterraine des toiles de Soutine dont la Vue de Céret fut l’élément

déclencheur de sa passion, arpenteur des sites cézaniens, co-fondateur du comité de sauvegarde de l’atelier des Lauves, le new-yorkais n’hésitait pas à bousculer le conformisme de la société américaine de son époque. N’a-t-il pas fait entrer aux États-Unis Te Fare Amu de Gauguin, un bois polychrome à la nudité sans équivoque ? Le fil chronologique de la scénographie souligne l’habileté de ses choix, leur cohérence, son attention particulière aux bruissements de l’avènement de l’art moderne. Car Henry Pearlman fut bien plus qu’un amateur d’art : il s’intéressa rapidement aux courants d’art en devenir, enrichit ses connaissances historiques et esthétiques, fréquenta les ateliers et les musées. C’est sans doute ce «supplément d’âme» qui entoure d’une ombre particulière cette collection exemplaire. Bien avant que l’art ait la cote au CAC 40. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Chefs-d’œuvre de la collection Pearlman, Cézanne et la modernité jusqu’au 5 octobre Musée Granet, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32 www.museegranet-aixenprovence.fr

Paul Cézanne (1839-1906), Baigneur debout vu de dos, 1879-82 (huile sur toile, 27 x 17,1 cm) © Fondation Henry et Rose Pearlman – Prêts de longue durée au Princeton University Art Museum


Ateliers en plein Cours Robert Doisneau, Georges Braque, 1953. Collection Musée d’art Moderne de la ville de Paris © Agence Gamma Rapho

Une fois encore, mais pour la dernière fois (voir Zib’75), la Galerie d’Art du Conseil Général propose en plein Cours Mirabeau, à la portée des passants curieux, des vacanciers et des amateurs d’Art, une exposition qui éclaire intelligemment le travail des artistes. Les Ateliers d’artiste de Picasso à Warhol permettent d’entrer dans l’intimité des peintres et de les surprendre à l’œuvre, mais aussi de voir évoluer le regard de très grands photographes. Car le regard qu’ils portent sur ces ateliers, la façon dont ils composent leurs images et mettent en abime la création, les créateurs, retrace autant l’évolution intime des grands artistes, que l’histoire de la photographie de cette période. Ainsi c’est à travers une porte ouverte qu’on aperçoit Matisse croquant son modèle nu (Brassaï, 1933) tandis que Klein invite tranquillement le sien, barbouillé, à venir se frotter contre sa toile pour y laisser son empreinte (Hans Shunk, 1962). Clovis Prévost photographie l’œuvre de Miro perturbée par une chaise, tandis

qu’André Villers cadre Picasso à l’œuvre sur un escabeau, ou méditant debout, que Doisneau éclaire les mains et le visage de Braque, qu’Hans Namuth capte le geste large de Pollock. Quant à Cartier Bresson il met ironiquement en scène, représentant Avidgor Arikha mimant son autoportrait, alors que Gautier Deblonde fait disparaître ses artistes, s’attachant au seul rythme rangé de leurs œuvres. Puis l’atelier évolue vers le large, le Land art, le désaffecté, puis disparaît… Comme toujours, mais pour la dernière fois, la Galerie d’Aix propose un très beau catalogue, des ateliers pour enfants, une véritable médiation vers la facture de l’Art. Une fermeture décidément regrettable. AGNÈS FRESCHEL

L’œuvre photographiée : Les ateliers d’artiste de Picasso à Warhol jusqu’au 21 septembre Galerie d’Art du CG 13, Aix-en-Provence 04 13 31 50 70 www.galerie-art-cg13.fr


Buren terrasse Le Corbusier Au MaMo, après Xavier Veilhan, Daniel Buren bouleverse la terrasse rigoureuse du Corbu

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Au sortir de l’ascenseur au neuvième étage de l’Unité d’Habitation de Marseille (dite Cité Radieuse), on débouche sur un des points de vue culminant remarquable de la ville. Non que le béton brut historique, austère et vieillissant, soit des plus réjouissants. Mais l’installation conçue par Daniel Buren a transformé cette terrasse (accessible gratuitement) en une cour de jeux comme un écho au projet corbuséen de crèche-garderie aujourd’hui désaffectée (idem du gymnase devenu salle d’exposition occupée par une monumentale installation vitrail/miroir). D’emblée le travail du maître de l’in situ contraste avec le lieu comme celui-ci rompt avec le ventre orthogonal du bâtiment clos sur lui-même. Cette occupation complexe bouleverse l’axe nord/sud de l’architecture, avec comme acteurs principaux, couplés aux éléments colorés reprenant les mosaïques murales originelles, les miroirs. Ceux-ci redoublent d’effets : inclusion extérieur/ intérieur, intégration/fragmentation, démultiplication/éclatement des perspectives, condensation/expansion des espaces, captation/renvoi/perdition du regard, admission des modifications atmosphériques dans le permanent. L’idée même de point de vue et du pittoresque en prend un sacré coup dans ces renvois d’infinis reflets. D’où l’«infini» contenu dans le titre quelque peu sibyllin ? Il ne nous a pas été possible lors de notre visite de recueillir les éclairages de l’auteur

Daniel Buren, Fini, Défini, Infini, travail in situ, MaMo, Marseille, 2014, vue partielle © C.Lorin/Zibeline

sur ce point, comme sur l’ensemble de sa démarche. Dommage. Car Daniel Buren n’en est pas à sa première réalisation dans la région. La confrontation avec ses projets récents à Istres (voir Zib’65 et 70) aurait pu être fructueuse, ou, encore, avec cette commande plus ancienne, à Marseille, de 1989, disparue depuis, et conçue pourtant pour être pérenne, le Mât des Fédérés. On s’interrogera sur un autre point mis en avant dans le dossier de presse : «Cette nouvelle exposition a été rendue possible grâce au programme Audi talents awards -mécène

principal du MaMo- dont la vocation est de détecter, soutenir et accompagner des talents émergents depuis 2007.» Daniel Buren, un artiste prometteur. CLAUDE LORIN

Défini, Fini, Infini jusqu’au 30 septembre MaMo, centre d’art de la cité Radieuse, Marseille 01 42 46 00 09 www.mamo.fr

Se vêtir pour les courses À partir du XIXe siècle, les courses hippiques ont fait fureur en France, comme ailleurs en Europe, et les grandes villes se sont dotées d’équipements adéquats pour accueillir sportifs et spectateurs. Lieux de rendez-vous des classes aisées, sans que les couches populaires n’en soient exclues, les hippodromes déclenchent autant le frisson du jeu que celui de la séduction. La tenue vestimentaire joue un grand rôle dans la sociabilité de l’époque : on se retrouve aux courses pour parader, décocher des oeillades -voire des regards verts de jalousie- et échanger des adresses de modistes. À tel point qu’à la fin du siècle, pour appâter les élégantes, les jeunes maisons de haute-couture y envoient leurs mannequins, revêtus de leurs dernières créations. On apprendra tout ceci et bien plus encore en se rendant aux abords de l’Hippodrome Borély, entré en service le 4 novembre 1860. Le Musée des Arts décoratifs, de la faïence et de la mode accueille une

Hippodrome Borely en 1860 © Gaëlle Cloarec

exposition rafraîchissante, parfaite en saison estivale, au Château Borély. Répartie au cœur des collections permanentes du musée, elle permet de découvrir l’évolution de la mode aux courses entre 1850 et 1950, période où le faste vestimentaire s’est quelque peu terni. La commissaire d’exposition et directrice du Château Borély, Christine Germain-Donnat, a composé un parcours chronologique érudit sans être pesant, pétillant sans futilité. Grâce

à sa collaboration féconde avec Alexandre Vassiliev, collectionneur passionné, qui lui a apporté de nombreuses pièces exceptionnelles, on passe ainsi des crinolines aux immenses chapeaux ornés de parures exotiques (notons qu’au temps des colonies, 500 tonnes de grandes plumes d’autruches étaient importées en France chaque année !), pour en arriver aux robes confectionnées en recyclant des nappes, conséquence de la pénurie de tissus en temps de guerre... GAËLLE CLOAREC

La mode aux courses, un siècle d’élégance 1850-1950 jusqu’au 12 octobre Musée des Arts décoratifs de la faïence et de la mode Château Borély, Marseille 04 91 55 33 60 www.marseille.fr


La question du dessin a toujours été présente dans la programmation du Château de Servières. Déjà, à la Bastide, l’artiste plasticien-sculpteur Raoul Hébréard présentait des dessins préparatoires qui avaient acquis un statut autonome. Comme Émilie Perotto ou Caroline Le Méhauté des années plus tard au boulevard Boisson, et tous ceux accueillis par Martine Robin : «Étant attirée personnellement par le dessin, j’avais envie de le valoriser et de le promouvoir en lui offrant un temps ouvert sur l’extérieur. J’ai d’ailleurs constaté que cette relation intime au dessin était très partagée». D’où l’émergence les 30 au 31 août à Marseille du premier salon international du dessin contemporain Paréidolie et le lancement de La Saison du dessin à laquelle adhèrent le Frac (L’aube incertaine d’Emmanuel Régent jusqu’au 30 août), la Galerie du 5e (Le dessin, un genre ? du 29 août au 20 septembre), Arteum à Châteauneuf-le-Rouge (Le dessin et l’objet du 20 septembre au 22 novembre), la Fondation Vacances bleues (Esquisse d’une collection du 26 août au 26 septembre). Sans oublier, bien sûr, la Galerie du Château de Servières qui proposera deux expositions d’ici fin décembre, et tous les projets à

Les Naufragés, 2013, Ink on paper, 72 x 102 cm © Nicolas Puyjalon, Atelier KSR-Berlin

Rendez-vous avec le dessin

venir du Réseau Marseille Expos. Les fées se sont penchées sur le berceau de Paréidolie si l’on en juge par le casting de prestige de son comité de sélection constitué des collectionneurs Josée Gensollen et Sébastien Peyret,

de l’artiste et fondatrice de la revue Roven Marine Pagès, de l’artiste Gérard Traquandi, et de son comité de pilotage composé de l’éditeur d’art Bernard Muntaner, de la directrice de Hybrid Lydie Marchi, de l’artiste Michèle

Sylvander et de Françoise Aubert, déléguée Fondation Vacances bleues. De quoi convaincre les dix galeries nationales et internationales «choisies pour la qualité de leurs projets» qui n’ont pas craint d’essuyer les plâtres d’une première édition. Avec Paréidolie, Martine Robin conjugue son désir de multiplier les échanges internationaux comme ceux initiés à Lisbonne, Dublin et Turin dans le cadre des Ouvertures d’ateliers d’artistes, et sa volonté de donner de la visibilité à la scène artistique régionale au-delà du territoire. Quant au choix de coller au timing d’Art-O-Rama, plus que le Printemps de l’art contemporain, celui du «plus petit salon d’art contemporain» lui a paru le mieux adapté pour «créer une synergie et cheminer main dans la main afin d’offrir au public, aux collectionneurs et aux professionnels une émulation supplémentaire». D’autant que quelques minutes de marche seulement séparent la Friche de la galerie du Château de Servières. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

www.pareidolie.net

Paradoxe franco-marocain

Le MuCEM continue de se consacrer au Maroc contemporain, avec le deuxième volet des artistes dans la cité, qui s’attarde cette fois sur les Passerelles artistiques entre le Maroc et la France, et leur étrange paradoxe. Clairement politiques, cinq vidéos exposent avec force les contradictions d’une société marocaine qui ne dit pas ses manques, et couvre sa misère. Ainsi Hassan Darsi filme un ouvrier qui repeint une façade délabrée avant le passage du cortège de Mohammed VI et François Hollande : son geste dérisoire est restitué au ralenti, pour que la portée du paradoxe s’imprègne, et le danger de ce travail inutile en hauteur et sans mesure de sécurité. La vidéo d’Yto Barrada semble lui répondre : une maquette de ville s’anime au passage d’un convoi officiel puis retombe dans la décrépitude d’un paysage urbain désert. En une métaphore encore de la relation au pouvoir, Mohammed Laouli filme les mains d’une femme écrivant inlassablement au Roi, devant son palais, sans lui envoyer sa lettre. Coupée en deux la vidéo montre la femme perdue et ses mots solennels… Plus frappant encore, le long panoramique de

Martine Derain, Paradise Casablanca © Martine Derain

Younes Baba-Ali sur la palissade d’un chantier mirifique : on y voit des familles riches, européennes, vivre une vie de luxe, au musée, à l’hôtel, au spectacle, au cinéma. Mais la caméra passe devant une vieille arabe pauvre, puis la palissade s’efface sur un chantier à l’abandon, vague friche boueuse… La vidéo de Martine Derain, plus longue, documentaire, sonorisée, montre de ses images troublées un groupe de marocains qui disent les impasses de leur société, celle qui exploite les sub-sahariens,

qui n’a pas de trace de son histoire, qui entretient avec sa mémoire et Marseille un rapport ambigu. On y voit aussi des Chibanis à Marseille, qui disent le passé des relations entre les deux rives. Car le paradoxe de cette passerelle artistique est bien dans cette ambiguïté que le Maroc entretient avec le pays «étrange» qui l’a colonisé, et auquel il veut finalement ressembler. AGNÈS FRESCHEL

Des artistes dans la cité, Volet II Passerelle artistique : étrange paradoxe Exposition conçue en collaboration avec le Source du Lion, Casablanca jusqu’au 27 oct MuCEM, Marseille 04 84 35 13 13 www.mucem.org www.lasourcedulion.com

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Tours, détours, retours A U P R O G R A M M E A R T S V I S U E L S

Lucien Clergue, Vent sur les sables, Camargue, 1972, portfolio Langage des sables, 1975, épreuve argentique, Arles, musée Réattu, don du photographe en 1980 © Clergue 2014

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Monsieur Lucien

Inconcevable de passer à côté de l’hommage rendu à Lucien Clergue. Au musée Réattu avant tout où Pascale Picard avec la complicité d’Andy Neyrotti réussit une très juste mise en place. La sélection regroupe les œuvres du maître arlésien avec celles d’autres auteurs de la collection du musée amenés par Lucien Clergue lui-même dès les années soixante. De larges vitrines et meubles-tiroirs noirs permettent de (re)découvrir les portfolios d’auteur tels Née de la vague, Corps Mémorable (avec Eluard), Genèse (St John Perse) ou les tirages des Weston, Mappelthorpe, Steichen, Man Ray, Ansel Adams... Puis passer au parc des Ateliers, notamment pour les plans serrés sur des taureaux agonisants et les séries de Polaroïds rarement montrées. Au Théâtre de la Calade, photos du César créé par Jean Renoir en 1954. À noter, la rencontre-dédicace du catalogue éponyme Les Clergue d’Arles (éditions Gallimard), le 9 octobre à 18h30, au Réattu. 04 90 49 31 14 www.museereattu.arles.fr

Bonnes et mauvaises Rencontres

La dramaturgie de succession mise de côté, les Rencontres c’est par exemple de confronter le subtil Chema Madoz (éditions Actes Sud) vs les Mazaccio et Drowilal plus pop’ and digital ou encore les portraits tirés par David Bailey, Vincent Perez, Denis Rouvre, Patrick Swirc, Mélanie Bonajo (et quelques culs de pisseurs impénitents) mais ne pas supporter l’infernale mise au rouge et lampe en main au bureau des Lices (ancien Crédit Agricole). La suite sur www.rencontres-arles.com.

La photo ? C’est à Arles (ou presque) dit-on. Bonnes pioches L’année passée Caravane(s), une singulière exposition à l’Atelier du Midi recevait un franc succès. Une 2014 marquera donc un cap. forme éditoriale en a été tirée sous forme de petits carnets souples sympa avec le concours Baroud d’honneur pour Monsieur Hébel des éditions L’erre de rien. Faciles à feuilleter comme de mini albums familiaux à mettre dans sa quand Monsieur Clergue est toujours là. poche. Patrick Ruet en propose trois rassemblés sous emboîtage cartonné dans sa maison galerie à deux pas du musée Réattu (35 euros). L’occasion Pour tous les autres, on s’obstine aussi de découvrir les photos de quatre jeunes auteures de l’ENSP, Hélène Bellanger, Elsa et continue. Et pour l’avenir il faudra Leydier, Emanuela Meloni, Margaux Meurisse jusqu’au 23 juillet et reprise le 11 septembre. compter avec la Fondation Luma www.atelierdumidi.com


arlésiens Serge Assier, Mylène Zizzo à la Maison de la Vie Associative ; Bernard Langenstein à l’Hôtel Divonne ; Kate Daudy, Martial Lorcet à la galerie Anne Clergue ; Thibault Yevnine, Gilles Magnin à l’Atelier Cinq ; Baudrillard, Ren Hang, TTY au Magasin de Jouets... Photos de l’Abbé Pierre et de sans-abri par Isabel Garrido et Gilbert Scotti chez Emmaüs. Luigi Ghirri, Plossu, Annabelle Amoros à l’Espace pour l’art. Pendant ce temps, Voies Off s’obstine à raison en portant son choix sur David Monteleone et David Favrod, multiplie les projets notamment à Griffeuille, inaugure une série de portfolios d’artistes en édition limitée. CLAUDE LORIN

Pour en savoir toujours plus sur l’ensemble des événements off arlésiens : www.voies-off.com et www.arles-contemporain.com. Caravane(s) dans la cuisine de L’Atelier du Midi © C. Lorin/Zibeline

Arles refondée ?

Alors que dans les Arènes on ramasse les cocardes sur les cornes taurines, la nouvelle Reine en costume tient en provençal un discours ouvert à l’autre, plus près de l’esprit occitan que de la célébration du félibrige. Signe d’une métamorphose ? Le score du Front national dans cette ville qui avait su s’en préserver jusqu’ici a-t-il agi comme un électrochoc ? En tous les cas, avec l’installation de la Fondation Van Gogh, et les actions de la fondation Luma, il est clair que la spécificité arlésienne attire les investisseurs, et devrait changer encore cette ville qui recèle des trésors, et dont le tourisme culturel est la seule industrie. Pour l’heure Luma Arles poursuit son installation au Parc des Ateliers, un immense espace qui devrait dès fin 2017 abriter un Centre de formation inédit, accueillant en ses murs, pour y vivre et y travailler ensemble, des artistes de toutes les disciplines. Le bâtiment principal, conçu par Franck Gehry, sera impressionnant : 16 000m2 d’espace de représentations et d’expositions, un centre ressources, des lieux de résidence… Pour l’heure l’Atelier des Forges accueille une exposition des maquettes de l’architecte, aptes à faire comprendre l’esprit du projet : précises, à grande échelle (1/50 pour la plupart) elles sont aussi mises en scène dans un projet de dialogue entre les arts : ainsi Cai Guo-Qiang a conçu des «performances explosives» entre les maquettes, qui dansent aussi sur le Rituel in memoriam Maderna de Boulez, ou sous les marquises clignotantes

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© A.F

Et ailleurs...

de Philippe Parreno. Deux nouvelles maquettes sont venues le 6 juillet s’ajouter à l’exposition : une, aérée et horizontale, conçue pour la compagnie Facebook ; une autre, courbe et ocre, du musée de Quanzhou. De quoi prendre le large, entrer dans le volume, le peupler de sons et de mouvements… À voir juste à côté des Rencontres de la photo, et avant un concert aux Suds ? AGNÈS FRESCHEL

Solaris Chronicles jusqu’au 28 septembre Parc des ateliers, Arles www.luma-arles.org

Cercles de Thierry Olivier, alias Epi2mik, La nature dans la ville, In Situ 09, Arles 2014 © Cultures Nomades Production

Nature dans la ville

Après huit ans en Camargue, In Situ, festival d’art contemporain éphémère concocté par Cultures Nomades Production, rejoint la ville avec le même objectif : changer les regards. Sculptures du collectif AL2, Xavier Rus, cercles peints d’EPI2MIK, intervention sur mobilier urbain du Cyklop, installation lumineuse de Gilles Brusset quai de la Roquette et Street Tricot participatif dans les arbres. C.L. In Situ 09 La Nature dans la ville jusqu’au 30 septembre Divers lieux, Arles 04 90 49 89 10 www.culturesnomades.org

A R T S V I S U E L S


Sculpture du Sud, et autres propos…

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Deux sculptures de Bernard Pages et Jaume Plensa prennent la pose au pied de l’escalier de la Villa Datris. Le ton est donné : place à la Sculpture du Sud. Le tour d’horizon méditerranéen imaginé par Danièle Kapel-Marcovici embrasse toutes les rives, toutes les générations, et n’exclut aucune thématique. Le propos est historique, culturel, sociologique, politique. C’est là toute sa force. Si les têtes d’affiche attirent l’œil -il faut séduire le visiteur- il est toujours plaisant de côtoyer Arman, César, Klein dans une salle placée sous le signe des dieux grecs et des mythes, surtout quand le jeune artiste marseillais Laurent Perbos s’y introduit avec aplomb. Ses sculptures Niobé et Calydon sont à la hauteur de ses illustres compagnons. J.-P. Raynaud, Kounellis, Escribà, Fanconi et Viallat font exploser toutes les couleurs de tous les suds. Mais cet hymne joyeux s’assombrit vite lorsque l’ombre des religions fige la photographie : l’interprétation baroque et chatoyante faite par Hervé Di Rosa des Madones vénérées dans l’Espagne catholique contraste durement avec le rosaire d’Austin Camilleri aux perles en forme de têtes de bébés, chauves, bouches criantes. Sa dimension «monumentale» démultipliant le choc visuel et émotionnel ! La permanence d’un monde fragile, d’une fêlure toujours béante, de crises sous-jacentes habite les œuvres de Safaa Erruas qui, dans La Robe, déstructure et épingle des bandes de gaze plâtrées à la manière d’un lépidoptériste. De Karim Ghelloussi qui fait éclater en

Austin Camilleri, l’Oeil d’Osiris, résine, diamètre 200 cm, jardin de la Villa Datris, Isle sur la Sorgue, 2014 © MGG/Zibeline

morceaux deux étoiles en miroir comme si la réalité n’était qu’illusion. D’Aicha Hamu, autre artiste installée à Nice, qui déploie une pelisse de cheveux irréguliers signifiant que «vues de dessus, les émeutes sont toujours plates». Le combat est donc sans fin. Sur le mode ludique, les Virus de la Révolution de Rym Karoui le martèlent aussi : alignés en file indienne dans le jardin, les carapaces laissent entrevoir les inscriptions «Dégage», «Help !», «Wikileaks». D’autres thèmes encore traversent les salles et les allées verdoyantes : l’idée de terre d’échanges et de transhumance chère à Yazid Oulab (Marseille) et Nakis Panayotidis (Grèce) ; le mariage surnaturel du drame et du sublime dans une Méditerranée

en guerre/révolution transcendé/dénoncé par Mounir Fatmi (Égypte) ou Hakima El Djoudi (Paris) qui fait défiler une Petite armée en billet de banques turcs… La richesse de ce melting-pot d’artistes laisse place autant aux retrouvailles qu’aux découvertes, aux artistes de la région qu’aux internationaux qui, ensemble, redessinent les contours d’une Méditerranée contemporaine. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

jusqu’au 11 novembre Villa Datris, Isle-sur-la-Sorgue 04 90 95 23 70 www.villadatris.com

Au vif de l’esquisse Toujours sur les rives de la Sorgue, le centre d’art Campredon met à l’honneur les artistes dits de la «déconstruction» qui, dans les années 70, ont fait de l’esquisse et du geste inachevé une nouvelle forme plastique. Ni croquis, ni dessin préparatoire, ni travail de recherche : des œuvres en suspens, comme Cézanne avant eux dont 80 % des œuvres sont «inachevées». Le Sermon sous l’olivier réalisé en 2013 par Jean Le Gac prouve que le geste fondateur a la peau dure : sur le papier Canson suspendu et la bâche plastique, le dessin ouvre le regard sur un horizon infini, il glisse, s’accroche, divague, combine trait solitaire et aplats de couleur. L’artiste en héros solitaire prend la pose du sage à moins qu’il ne joue au super-héros de comics perché dans l’olivier… Dans sa Grande bibliothèque de 2007, il creuse la relation image-texte, plus précisément le chemin de l’image qui appelle le texte,

traçant le nom de ses écrivains de chevet, Pessoa, Echenoz, Tabucchi ou Lobo Antunes. Là encore chez Gérard Collin-Thiébaut le mot et l’image sont indissociables, mais la combinaison relève du puzzle, du rébus, d’associations et de copies pour détourner les phrases cultes en devinettes. L’autel rituel sied aux installations de Christian Jaccard : au centre, une projection vidéo témoigne de l’embrasement d’un lieu promis à la perte (ses «tableaux éphémères»), entourée de sculptures de nœuds enchevêtrés à l’infini. Travail qui libère l’énergie, évoque la perte, confronte combustion et vivant. La question n’est pas celle du geste inachevé mais celle de la disparition et de la trace, à l’instar d’Alain Fleischer qui, dans sa vidéo L’homme dans les draps de 1999, «rend visible ce qui n’est pas visible à l’œil nu» par l’évocation, la suggestion, le glissement des lumières et des ombres. Illusion parfaite ! La peinture

coloriste de Gérard Titus-Carmel est une invitation constante à se perdre dans le lointain, à rendre les lieux inscrutables, à effacer les cadres. Sa série Figure du Double de 2013/2014 en est une fois encore la preuve. Nous pourrions également évoquer les pièces de François Bouillon, Ernest-Pignon Ernest, Pierre Buraglio, Daniel Dezeuze, Jean-Claude Lefevre, Bernard Pages et Claude Viallat sélectionnées par Evelyne Artaud, commissaire de l’exposition L’Esquisse ou l’élégance du geste inachevé, car de leur cohabitation surgit une fructueuse dialectique entre les formes et les intentions, les écritures et les concepts, les techniques et les nécessités intérieures. M.G.-G. L’Esquisse ou l’élégance du geste inachevé jusqu’au 5 octobre Campredon centre d’art, Isle-sur-la-Sorgue 04 90 38 17 41



Chiharu Shiota

Chiharu Shiota, Labyrinth Memory, 2012 © VG Bild-Kunst

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Les fils sont tissés l’un dans l’autre/Ils s’enchevêtrent/Ils se déchirent/Ils se dénouent/ Ils sont comme un miroir des sentiments... L’artiste japonaise Chiharu Shiota, qui place le corps au centre de son œuvre, investira la chapelle Puget avec une installation arachnéenne monumentale. Projet conçu avec le Ballet National de Marseille en référence au spectacle Le Guépard (Il gattopardo) créé par Roland Petit avec les costumes de Luisa Spinatelli en 1995 à Palerme. C.L. State of beeing (il gattopardo) du 18 juillet au 19 octobre Centre de la Vieille Charité, Marseille http://musees.marseille.fr

Art-O-Rama

Aucune raison pour Art-O-Rama de déroger à son principe originel intimiste et à ses projets sur mesure car il lui assure son succès. Rendez-vous pris, donc, pour découvrir les propositions spécifiques d’une dizaine de galeries nationales et internationales, de deux projets invités (Gasconade à Milan, Samuel Levack & Jennifer Lewandowski de Londres/Berlin), de l’artiste en guest (Sergio Verastegui) et de la jeune création conviée à un show-room. M.G.-G. du 29 août au 14 septembre La Cartonnerie, Marseille 3e 04 95 04 95 36 www.art-o-rama.fr

A R T S

Pat McCarthy, CheeseBike © Delire Gallery - Pat McCarthy

Rêves d’un collectionneur

V I S U E L S

Arts décoratifs, peintres provençaux, collections privées : les grandes orientations de l’industriel avignonnais Louis Vouland, fondateur du musée éponyme installé dans l’intimité d’un hôtel particulier au charme raffiné, se retrouvent dans cette exposition d’été issue d’une collection vauclusienne. Faïences des grands ateliers de Moustiers et de Marseille côtoient une cinquantaine de tableaux et dessins de peintres des écoles marseillaise, aixoise et avignonnaise du XIXe à nos jours, inspirés par les paysages et la lumière de Provence (Ambrogiani, Ziem, Chabaud, Guigou, Monticelli, Manguin, Augustin, Suchet…). DE.M.

J.B. Olive, Coucher de soleil sur Marseille © X-D.R

jusqu’au 26 octobre Musée Vouland, Avignon 04 90 86 03 79 www.vouland.com

Christian Tagliavini

1503, l’année de naissance de Bronzino, a suggéré à Christian Tagliavini une série inspirée par l’esthétique maniériste de la Renaissance italienne. Le photographe s’est attaché à construire des artefacts composés de photographies, de découpes minutieuses au laser en papier et carton, d’effets de matières et textures confondantes, chaque image requérant plusieurs semaines de travail. Entre fictionnel et vraisemblable, neuf photographies se confrontent aux portraits peints, ou au pastel, appartenant à la collection du Pavillon de Vendôme. C.L. Collection de Portrait, portraits de collection jusqu’au 12 octobre Pavillon de Vendôme, Aix-en-Provence 04 42 91 88 75 www.mairie-aixenprovence.fr

Christian Tagliavini, Série 1503, Lucrezia, 2010 © Christian Tagliavini, courtesy Galerie esther Woerdehoff


Thibault Laget-ro

Qu’il s’agisse des conflits en Centre Afrique, des conditions d’existence des exilés syriens, entre autres drames humains, Thibault Laget-Ro mène depuis plusieurs années une réflexion sur les perceptions et les sentiments que suscite la liberté, réinterprétant les images rapportées par des photo reporters. Pour l’exposition, il réalisera un travail en liaison avec le cimetière américain de la ville et une installation en fibres optiques inspirée d’une armure du XVe siècle. C.L. Normalement, la vie continue du 26 juillet au 30 septembre Musée municipal d’art et d’histoire, Draguignan 04 98 40 26 85 www.ville-draguignan.fr

A U

Thibault Laget-ro, Zaatari waterfall, 162x130cm, acrylique, 2014 © X-D.R

Troublions de l’art

P R O G R A M M E

L’art révélerait-il d’une légère divergence de strabisme ? Les artistes réunis ici le sont sans thématique commune, si ce n’est l’argument que chacun participe de «l’accomplissement d’un exercice du regard qui se joue des repères habituels». À chacun sa vision, décalée s’il le fallait, comme pour le fauve paisible dans la série Daktari. Avec Jochen Dehn, Seulgi Lee, Nicolas Momein et Céline Vaché-Olivieri. C.L.

© Bernard Tribondeau

Clarence, le lion qui louchait jusqu’au 31 août Centre d’art contemporain Les Capucins, Embrun 04 92 54 45 57 twww.lescapucins.org Le lion qui louchait, vue partielle de l’exposition, Centre d’art contemporain Les Capucins, Embrun, 2014 © Solenn Morel

Bernard Tribondeau

À 6 ans déjà, Bernard Tribondeau ne quittait pas son Brownie Kodak 4X4 offert par ses parents, puis ce fut le premier Polaroïd, puis des milliers de photos réalisées au gré de ses rencontres et de ses voyages, histoire de raconter des histoires ! Comme celle qu’il nous révèle, secrète, de La Chartreuse, photographiant les «contre-jours et les failles de lumière», les espaces abandonnés, les jardins secrets des cellules, les coursives. Tel le fantôme de l’opéra se glissant dans les entrailles de ce lieu si secret. M.G.-G. Une part d’ombre jusqu’au 24 août La Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon 04 90 15 24 24 www.chartreuse.org

M. Pistoletto, C’è dio, si ci sono, Chapelle Saint Martin du Méjan, Arles 2014 © C. Lorin/Zibeline

Michelangelo Pistoletto

Le troisième paradis est un des concepts critiques développés par Michelangelo Pistoletto (Actes Sud, 2012). L’artiste symbolise celui-ci par une triple boucle, sous des formes variables, et pour l’occasion à travers une installation monumentale réalisée avec le fonds d’ouvrages de l’éditeur. Un choix d’œuvres historiques, tableaux-miroirs, cagemiroir, films/installations et la célèbre Venere degli stracci ou Vénus aux chiffons... complètent l’exposition. C.L. Michelangelo Pistoletto, le Troisième Paradis Chapelle du Méjan/Actes Sud, Arles 04 90 49 56 78 www.lemejan.com

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A R T S V I S U E L S


Gilbert Pastor

Jean-Pierre Sintive et Anne Bernou éclairent, par le choix des peintures, dessins et livres d’artistes, le parcours de Gilbert Pastor, né en 1932 à Marseille et installé depuis 1975 à Aups, dans le Var. Son œuvre où «la couleur est insaisissable» et la lumière diffuse, où les personnages, à peine perceptibles, «transmettent la lumière de l’invisible, de l’en-dedans» sont un écho vibrant à la collection Max Ernst-Dorothea Tanning nichée en permanence à La Maison Waldberg. M.G.-G. Gilbert Pastor, parcours d’une œuvre du 26 juillet au 11 octobre Maison Waldberg, Seillans 04 94 76 85 91 www.seillans.fr

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Gilbert Pastor, atelier © Leopold Trouillas

Auguste Chabaud

On croit tout connaître d’Auguste Chabaud et pourtant l’exposition réserve des surprises, comme des dessins inédits. Avec Chabaud, de la terre à la mer, le centre d’art Sébastien met en lumière celui qui sut célébrer la Provence pastorale tout autant que celle des baigneuses et des marins et clôt son cycle consacré aux grands maitres de la peinture provençale : René Seyssaud et Louis-Mathieu Verdilhan. En attendant d’admirer ce précieux Monticelli… M.G.-G. Chabaud de la terre à la mer jusqu’au 14 septembre Centre d’art Sébastien, Saint-Cyr-sur-Mer 04 94 25 04 86

A R T S

Marins au port © Auguste Chabaud

Roger van Rogger

V I S U E L S

Roger van Rogger (1914-1983) avait son atelier à Bandol, à quelques kilomètres de Toulon, là où la galerie des Riaux s’attache désormais à perpétuer sa mémoire, à promouvoir son œuvre plastique et littéraire. Cet été, place aux Abstractions plutôt qu’à «l’abstraction» dont l’artiste n’avait que faire… L’abstraction ? L’art moderne ? La figuration ? Peu lui importait les mouvements, les dénominations, les «cases» de l’histoire de l’art : seul l’art comptait. M.G.-G.

Sans titre, gouache 245, 1982 © Roger van Rogger

Stéphane Couturier

Fruit d’une commande passée par le centre d’art du Conseil général du Var à Stéphane Couturier sur la cité emblématique «Climat de France» réalisée par Fernand Pouillon entre 1954 et 1957, ses photographies et vidéos dressent un portrait singulier, inédit, en forme d’hommage. «Une radiographie humaine et architecturale» d’un paysage urbain intimement lié à la mer, à l’infini… M.G.-G. Alger - Climat de France jusqu’au 28 septembre Hôtel des Arts, Toulon 04 94 91 69 18 www.hdatoulon.fr

© Stéphane Couturier

Abstractions jusqu’au 20 septembre Galerie des Riaux, Toulon 06 62 98 64 08



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Ni les bourrasques qui s’engouffrent et font envoler livres, flyers et sérigraphies, ni l’annulation du 48heures chrono de La Friche pour cause de mouvement des intermittents. Vendetta n’a décidément peur de rien. Normal : ce salon de la microédition et du multiple rassemble des collectifs rompus à une pratique artisanale, à des démarches collaboratives et engagées ; des gens qui luttent pour exister en sortant des processus habituels de production, en refusant un système éditorial de masse, qui normalise et qui formate. Alors, 48h chrono ou pas, en ce samedi matin venté, on s’installe, on accroche tant bien que mal affiches et sérigraphies, on aide le voisin à récupérer ses feuilles volantes ; de stand à stand, on s’interpelle, on se file un coup de main. Dès le début, le ton est donné : entraide, dialogue et convivialité. Do It Yourself bien sûr, mais Do It Together aussi! Et c’est un vrai plaisir d’être ici. Nos compères du Lièvre de Mars le confirment, qui n’auraient pas voulu rater cette deuxième édition de Vendetta. De nombreux libraires et surtout éditeurs alternatifs sont venus de Marseille et de la région, mais aussi de toute la France et de toute l’Europe, pour présenter leurs livres réalisés à la main de A à Z, leurs

objets, leurs fanzines… et les sortir de leur relative confidentialité. Alors on flâne entre les étalages, souvent un peu trash sur les bords, toujours insolents et provocateurs, à l’image des noms de certaines structures : Mauvaise Foi, Du crack, Échec scolaire, El petit comité del Terror, Psoriasis éditions entre autres… On croise les Genevois d’Hécatombe et leur fanzine carré. On discute un moment avec les Italiens de Strane Dizioni, qui fabriquent de superbes cahiers et carnets avec les restes de leurs sérigraphies. On feuillette le fanzin de tela (fanzine en tissu) de Jessica Espinoza, talentueuse illustratrice chilienne installée à Barcelone, avant de s’intéresser au Projecte Uter qu’un collectif catalan porte et que Carles décrit avec fougue (et en très bon français !) : des années de travail pour réaliser une sorte de maxi poster consacré à l’avortement, une cartographie flamboyante qui retrace graphiquement la lutte des femmes pour conquérir leur droit à décider et les violences dont elles sont victimes (en réaction à la récente loi espagnole visant à restreindre le droit à l’IVG). Un projet à soutenir (projecteuter. hotglue.me) et un salon à suivre : inventif, créatif, collectif. FRED ROBERT

© Clarisse Guichard

Ils craignent dégun

La deuxième édition de Vendetta s’est déroulée à La Friche La belle de Mai, les 28 et 29 juin

L’homme poème Artaud © Pastier (coll. Patrick Dhuisme)

Le Momô revient à Marseille où il est né en 1896 et si ce n’est lui c’est bien un peu de cet Antonin-là que nous font entrevoir les documents de la collection Patrick Dhuisme exposés pour l’été au centre international de poésie Marseille. De la carte aux anges doubles, souvenir de première communion, aux célèbres photos d’Artaud par Georges Pastier, tout évoque la passion du collectionneur pour cet homme singulier qui affirmait «oui vraiment je ne suis pas au monde» : les lettres à l’écriture élégante, à la sage signature prénom-nom sans majuscule, pour commander des sandales à semelles de crêpe (souligné dans le texte) ou remercier d’une livraison de drogue ; les dessins -gris-gris propitiatoires ou menaçants venus de tous ces hors-lieux en lui- ; les mots du sorcier (aliénation et magie noire) qui côtoient ceux de l’ami et le Marat poignardé sur son photogramme sont autant de signes de piste d’une

l’incandescence des mots proférés au micro ; belle façon de réinventer un corps à celui qui se voyait/rêvait en «spasme flottant». Exposition intime qui ne bouleverse pas les savoirs mais déplace le regard sur le désir d’un collectionneur libre pour un artiste et individu complexe, farouche pratiquant d’un «ordre fulminant». MARIE JO DHO

Antonin Artaud Poète CipM, centre de la Vieille Charité, Marseille jusqu’au au 20 septembre 04 91 91 26 45 www.cipmarseille.com

vie en composition/décomposition qu’Evelyne Grossman a fixée intensément dans sa communication d’ouverture comme «théâtre» du corps projeté sur la page. Alain Paire a brossé ensuite dans les huit minutes de son webdocumentaire Antonin

Artaud à Marseille le portrait posé d’un jeune homme «secret», frappé d’un mystérieux coup de couteau entre Cinq Avenues et Vieux-Port, tandis que le performer Philippe Pigeard éclaboussait l’écran de mille Fragments d’Antonin vibrant de

Numéro Spécial «Cahier du Refuge» -232Le documentaire d’Alain Paire et François Mouren-Provensal est visible sur www.mativi-marseille.fr


Char d’assaut

En raison d’un mistral persistant, le public venu en nombre assister à la soirée consacrée au poète René Char au MuCEM, a dû se replier dans l’auditorium Germaine Tillion, autre figure héroïque de la Résistance. Sans doute pour le mieux, car la qualité acoustique de la salle a permis de savourer pleinement les lectures données par Jean-Luc Debattice. Il fallait son brio pour restituer avec toute leur verve les poèmes, extraits de lettres et feuillets choisis de l’illustre Islois. La formule retenue par Thierry Fabre, qui entrelaçait ces moments de fiévreuse immersion dans le phrasé du poète, et des tables rondes toutes plus riches les unes que les autres, était particulièrement équilibrée. On a eu ainsi le plaisir de découvrir un René Char complexe, nuancé, assez éloigné finalement du tableau brossé à grands traits par la légende. Son épouse Marie-Claude Char étant présente, entourée d’une dizaine d’invités ayant connu de près le poète au fil des années, le portrait en creux d’un homme exceptionnel s’est lentement dessiné. «Géant hiératique sans emphase, ni suffisance», pour le philosophe Michel Guérin, «révolté contre sa propre douleur» selon Philippe Castellin, 25 ans après sa mort, René Char habite toujours avec force les gens qui l’ont aimé. Barbara Cassin l’a découvert en hypokhâgne, elle est venue directement jusqu’à l’Isle sur la Sorgue pour tenter de faire sa connaissance, persuadée qu’elle reconnaîtrait au premier coup d’oeil la maison d’un tel écrivain... Cette soirée était aussi l’occasion de replacer précisément dans son contexte historique René Char le résistant, sous le pseudonyme de Capitaine Alexandre. Selon Jérôme Prieur qui lui a consacré un film, et l’historien Jean-Marie Guillon, le poète s’est opposé d’emblée au régime de Vichy, et fut l’un des rares intellectuels de l’époque à s’être impliqué physiquement dans la lutte contre l’ennemi. GAËLLE CLOAREC

La soirée Présence(s) de René Char a eu lieu le 11 juillet, dans le cadre des Intensités de l’été au MuCEM © G. Cloarec


Préférer le chagrin à l’oubli

58 L I V R E S

De livre en livre, Maurice Gouiran poursuit sa quête inlassable : sonder les silences de l’Histoire, en traquer les secrets les plus sombres, afin d’éveiller les consciences. Infatigable empêcheur d’oublier en rond. Passionnant raconteur d’histoires aussi : ses romans noirs se lisent à longues gorgées, comme se déguste le Penedès blanco à Barcelone. C’est d’ailleurs dans la cité catalane que Clovis Narigou, l’alter ego à peine voilé de l’auteur, son héros récurrent, va cette fois-ci mener l’enquête. À la demande de Samia, la femme de son ami François Maréchal qui semble avoir disparu là-bas alors qu’il enquêtait sur deux accidents suspects. Deux morts liées sans doute au dossier brûlant des enfants volés aux familles républicaines par les franquistes. L’hiver des enfants volés, c’est d’abord cela : le retour très documenté sur un infâme trafic

d’enfants qui a duré jusque dans les années 1980, c’est-à-dire bien après la mort de Franco, avec la complicité active de l’Église, et que les instances dirigeantes espagnoles aimeraient bien laisser dans l’oubli. Au-delà de l’intrigue centrale, d’adroits changements d’époques et de points de vue exhument d’autres pans d’une mémoire collective que certains désireraient voir perdue à tout jamais : l’existence de lebensborns français jusqu’en 1946, les massacres de Sabra et Chatila en 1982. Cela donne un roman poignant, profondément humain, empreint d’un pessimisme lucide. Si le bonheur réside dans l’oubli, comme se le rappelle Samia, alors il n’est ni pour elle, ni pour François, ni pour Clovis… Mais qu’importe le bonheur à qui garde la mémoire ?

L’hiver des enfants volés Maurice Gouiran Éditions Jigal, 18,50 euros

FRED ROBERT

Confidences d’une fashionista

Comment lutter contre l’ennui d’une existence morne de femme au foyer ? Comment oublier les désillusions dues à un mariage précoce et à un mari trop souvent absent ? Comment faire fi de voisins trop curieux ? En devenant membre d’un club ultrasecret, celui des «passionnées de beauté», de ces femmes pour qui l’apparence devient le but ultime et la course aux ventes privées la passion essentielle. Avec tout ce qui s’ensuit de dettes et de lendemains qui déchantent. L’histoire pourrait se passer dans n’importe quelle capitale moderne. Elle aurait aussi bien pu se dérouler au XIXe siècle en Normandie et son héroïne aurait pu s’appeler Emma. Sauf qu’on est à Tokyo, aujourd’hui, et que si la narratrice souffre d’un certain bovarysme, sa vie, qu’elle révèle à un «vous» dont on ne sait pas grand’chose (un «vous» qui s’adresse de

fait tout autant au lecteur), a peu à voir avec le destin tragique de l’héroïne de Flaubert, quoiqu’elle ne soit pas des plus gaies non plus. Comme dans L’odeur (prix Guerlain 2002), la jeune romancière indienne Radhika Jha donne la parole à une femme qui choisit de s’en sortir seule et ne manque pas d’un certain cynisme (pragmatisme, diront certains). On appréciera donc diversement le personnage de Kayo. On pourra même juger le propos un peu superficiel. Cette confession d’une fashion victim offre toutefois une intéressante vision du Japon contemporain, de ses mutations irréversibles. Et le style en est remarquable : rédigé en anglais, très bien traduit, il se lit absolument comme un roman japonais.

La beauté du diable Rhadika Jha Philippe Picquier, 19,50 euros

F.R.

La subtile grammaire du monde De roman en roman Christian Garcin s’attache à déchiffrer le monde et ses «passerelles invisibles». Pour le plus grand plaisir du lecteur qui se perd avec délices dans l’entrelacs des lieux, des signes et des fictions de ces textes composites, habités par les régions que l’écrivain arpente, peuplés de personnages étranges et attachants, d’histoires surtout. Selon Vincent pourrait s’inscrire dans la lignée de ces romans picaresques dans lesquels le héros est amené, au fil de ses aventures, à rencontrer des gens qui lui font le récit de leur vie. Ici, deux voix principales se font entendre, celles de Rosario et de son ami Paul, dont la quête et le voyage constituent le fil rouge du roman. Tous deux partent au fin fond de la Patagonie à la recherche de Vincent, l’oncle de Rosario qui a disparu depuis vingt ans mais vient d’envoyer un signe, une sorte de nouvelle qu’il

a écrite pour expliquer à son neveu préféré son exil subit «à l’envers du monde». Ce récit dans le récit est loin d’être le seul. Au fil des pages, on découvre d’authentiques lettres d’un soldat de l’armée napoléonienne, le journal de bord du chef d’une mission scientifique du XIXe siècle, des bribes de la fiction chinoise que Paul est en train de traduire, l’histoire de Wilfried La Bréa «propriétaire de la Lune de Mars et de Vénus»… Et cela sans compter les objets (ici une médaille) et les phrases qui circulent, se font écho d’un personnage à l’autre, par-delà les époques et les lieux. Un univers unique, empreint de magie, de poésie. Et auquel ne manquent ni l’humour ni l’observation engagée de certaines dérives du libéralisme mondialisé. F.R.

Selon Vincent Christian Garcin Stock, 19,50 euros En librairie dès le 20 août


Les mots et la chose Oh que voilà un ouvrage stimulant sinon excitant à lire des deux mains tous neurones en action : les éditions de La Musardine, «spécialisées» en un domaine que suffisent à suggérer les guillemets à la française, ont construit en leur sein une collection bien nommée «L’attrape-corps» dévolue à la réflexion sur les questions de sexualité ; c’est donc dans ce cadre rigoureux mais pas triste que Marie-Anne Paveau, entre autres professeure en sciences du langage à Paris XIII, sème aux quatre vents de l’esprit le «dirty little secret» en analysant les formes et les fonctions du discours pornographique, stigmatisé de longue date par le double (parfois duplice) ordre moral et social. Visite guidée heureuse d’une terra quasi incognita en dehors de la visibilité «main stream» pas

universitaire) présente un balisage serré des quatre cents pages en une approche éclectique quelque peu vertigineuse qui aboutit à la mise au clair du «post-porn» féministe et à l’affirmation qu’un autre porno est possible. Il ne manque pas un bouton de culotte à cet ouvrage qui sort les «porn studies» du monde anglo-saxon et gratifie de surcroît lecteur et lectrice d’un humour discret loin de toute connivence extérieure. Saluons donc l’avènement de cette épistémopornologie libératrice et constructive !

Elise Padovani et Marie Jo Dhô plongées dans le discours pornographique © Agnès Freschel

toujours affriolante ; déployée entre une préface du pragmaticien Dominique Maingueneau et une postface de la sexperformeuse Wendy Delorme, l’exploration loin d’être une simple recension

Imposture

Un Grand Livre du Théâtre ? L’entreprise a de quoi séduire. Las, seul le titre a quelque prétention… Outre le fait que l’ouvrage survole en gros caractères, et dans une maquette trop aérée pour contenir une pensée honnête, les seuls théâtres antiques puis français, comme si l’histoire faisait un bond puis se restreignait à nos frontières, l’ouvrage est extrêmement mal écrit, et surfe sur les temps comme sur un lame de fond. Exemple (transcription sans coquille) : «En 1662, Molière épouse la jeune Armande Béjart qui avait vingt (centimètres ?) de moins que lui, jeune sœur de Madeleine Béjart. (Ah, Molière était donc la sœur de Madeleine ?). En 1673, lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire il ressentit un fort malaise mais termina (sic) cette représentation. Plusieurs heures plus tard il décèdera à son domicile.» Tout

(passage néanmoins méthodologiquement obligé) aborde avec une aisance et une liberté réjouissantes les formes spécifiques et pourtant diverses de la pornographie ; la table des matières (du grand art

cela serait drôle, si ce Grand Livre ne s’étalait pas dans bon nombre de librairies, et n’était pas présenté comme un possible ouvrage de référence pour étudiants. Le plus grave étant sans doute la manière expéditive et totalement injustifiée avec laquelle Luc Fritsch expédie le théâtre contemporain en quelques lignes de conclusion (là encore, citation sans coquille, dans la prose approximative du donneur de leçon) : «Au cours des premières années du XXIe siècle, aucune évolution ne s’imposa, bien au contraire, d’une sclérose endémique, les pratiques théâtrales entrèrent dans une authentique phase de régression pour le moins inquiétante, voire désastreuse.» Comme sa syntaxe ? Les éditions Eyrolles pourraient relire ce qu’ils publient…

MARIE JO DHO

Le discours pornographique Marie-Anne Paveau La Musardine, 18,50 euros

Le grand livre du théâtre Luc Fritsch Éditions Eyrolles, 23,90 euros

AGNÈS FRESCHEL

Poétique de l’encre violette Les treize nouvelles du dernier ouvrage de Joëlle Gardes, À perte de voix, se répartissent entre Version rose et Version grise. Treize portraits dessinés par les personnages eux-mêmes, le plus souvent à la première personne, dans une délicate mise en soupçon des mots, des choses, des gens. La banalité prend un tour d’aventure, la distance entre vie rêvée et vécue se creuse, ciselée dans un style alerte dont la légèreté de surface laisse percevoir des abîmes pascaliens. On entre dans «la forteresse de chacun de nous», on apprend à se méfier de l’écriture comme Blanche, le personnage de la nouvelle éponyme, éprise, en grammairienne, de la clarté du langage, de ses règles subtiles, mais aussi découvrant le cri poétique, au-delà du corset des règles. Qu’est-ce qui fait que l’on est un auteur, un artiste, entre les

velléités de création du Barbouilleur et Cézanne ? Joëlle Gardes interroge le monde par le biais de l’intime, du quotidien, effleure d’une douce ironie ses personnages. On sourit des fantasmes de l’héroïne de Eddie B. dont la plume s’emporte comme «un cheval fougueux», aspire à des amours échevelées en smoking blanc, et se contente des «slips bleus et des voitures cabossées» de Robert. Un parfum de Virginia Woolf plane sur la fabrication des crêpes ; la folie guette celui qui s’acharne à vouloir transcrire ses souvenirs et qui jamais n’en retrouve la saveur dans ses écrits… l’ouvrage se savoure jusqu’à la chute délicieusement féroce du Béret de ratine. Pour l’encre violette ? Lisez ! Vous la trouverez essentielle ! MARYVONNE COLOMBANI

À perte de voix Joëlle Gardes Éditions de l’Amandier, 18 euros

59 P L OI V L RI ET SI Q U E C U L T U R E L L E


Rendez-vous avec Paul

60 L I V R E S

Ni transposition du film en vignettes, ni story board, ni making-of, ni biopic, et un peu tout cela à la fois, l’album de Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas consacré à Paul Carpita et au cultissime Rendez-vous des quais, se veut un docu-fiction, nourri de témoignages, d’archives, et d’imagination, cherchant comme le cinéaste à placer «la fiction dans la réalité». La réalité ici est à la hauteur de la fiction ! Quel scénario ! Quel rocambolesque destin pour ce film initialement intitulé Le printemps des quais ! Tourné de 53 à 55, parfois clandestinement, sur fond de guerre d’Indochine, monté avec les moyens du bord, l’aide des Camarades mais aussi de Pagnol, censuré en juillet 55 parce que «de nature à présenter une menace pour l’ordre public», trop amateur, trop provincial, trop peu normatif au goût du Parti qui ne le défend guère, mutilé, confisqué, oublié, et salué, 35 ans plus

Fortes têtes !

C’est comme si tout recommençait à jamais : les naissances, le travail aux champ, les mariages, les espoirs, les guerres, les états de grâce, les rivalités familiales… C’est d’ailleurs ainsi que s’achève le roman générationnel de Nathalie Bauer, Les Indomptées : «Qui a dit que cela s’arrêterait, que cela devait s’arrêter un jour ? Car, justement, voici qu’à cet instant tout recommence.» Tout ? C’est-à-dire la saga de la famille Randan, longue lignée de propriétaires terriens aveyronnais dont on suit les méandres par la grâce d’une écriture ample, foisonnante, au classicisme savoureux. Nathalie Bauer s’inscrit dans la lignée des textes qui creusent la mémoire, mêlant histoires intimes et Histoire, et donnent l’eau à la bouche tant elle parvient à faire ressentir chaque atermoiement, chaque élan du cœur, chaque fêlure, chaque soubresaut du monde. Un roman dominé par les femmes,

tard par la critique, comme «le chaînon manquant entre Renoir et la Nouvelle vague» ! Dans l’album, c’est Carpita lui-même, Séraphin, devenu Paul pendant la Résistance qui, en 1956, alors que les certitudes de bien des communistes vacillent devant les chars russes violant Budapest, un an après l’interdiction d’exploitation, raconte, en flash-back, le parcours du film et son parcours personnel d’homme et de cinéaste, revenant sur les différentes époques d’une vie ancrée à Marseille, au fil des luttes et des métamorphoses de la ville. Vie modeste d’instituteur, de réalisateur, de militant fidèle à ses engagements et à son amour du cinéma, à laquelle cette bande dessinée rend hommage. Un rendez-vous plus intéressant que ne le laisse présager la couverture au style désuet. ELISE PADOVANI

ces fameuses indomptées qui, en dépit des diktats sociétaux et culturels, tracent leur sillon ; des fortes têtes jusque dans l’accomplissement de leur devoir familial et des esprits libres jusque dans leur dévotion religieuse… Puisant à la source de sa propre histoire, l’auteure réussit une photographie sépia aux multiples nuances à coup de dialogues piquants, de remarques de bon sens fichées dans la vie domestique, une verve bouillonnante et des descriptions sensibles d’un paysage qui forge les bêtes et les hommes. Les épisodes s’entremêlent, les souvenirs s’entrecroisent mais le puzzle se reconstitue aisément grâce aux photos d’époque et à l’arbre généalogique qui sont un vrai bâton de pèlerin pour le lecteur pris au jeu de l’écriture dans l’écriture. Car, parmi ces indomptées, une auteure est née… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Le printemps des Quais Dessin : Olivier Thomas Scénario : Pascal Génot, Bruno Pradelle Couleurs : Bruno Pradelle Édition Quadrants/Soleil, 14,95 euros

Les Indomptées Nathalie Bauer Éditions Philippe Rey, 20 euros

Carnets de route Les éditions Privat proposent en cette année anniversaire des cent ans des débuts de 14-18 une collection intitulée Destins de la Grande Guerre, qui regroupe des témoignages de contemporains de la période. Trois frères en guerre donne accès à des textes privés, mis en perspective par Serge Truphémus, professeur d’histoire. Le projet prend naissance avec la publication d’une lettre d’Antoine Martin-Laval dans le recueil Paroles de poilus de Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume (Tallandier, Paris, 1998). Le fonds Martin-Laval déposé aux archives départementales à Marseille occupe environ dix mètres linéaires. Si l’épaisseur du livre vous rebute, imaginez tout ce qui a été laissé ! Les documents présentés, photographies, journal de bord, carnets de routes, lettres, nous livrent un aperçu vivant et passionnant de la vie quotidienne à l’arrière ou au front, rendant sensible la perception du

conflit qui devait s’achever en quelques semaines et qui s’installe. Rien de révolutionnaire, nos héros (ils se comporteront en effet comme tels) sont patriotes, critiquent vertement les pacifistes qui manifestent dès les premiers jours, mais leur récit en est d’autant plus terrible, évoquant les erreurs d’appréciation des chefs, les trajets inutiles, l’incurie «des stratèges en chambre» (lettre d’André à sa fiancée Jeanne le 18 avril 1917). On est séduit par la qualité d’écriture, la finesse des correspondances, l’intelligence des analyses, de l’amour enfin qui, à chaque page, unit les membres de cette famille. Une belle manière d’aborder l’histoire avec un grand H. MARYVONNE COLOMBANI

Trois frères en guerre Serge Truphémus Éditions Privat, Destins de la Grande Guerre, 28 euros


Des fous d’écriture

La Zone d’Intérêt Poétique de Plaine Page s’étend depuis 2008 sur la commune varoise de Barjols, embrassant auteurs, lecteurs, plasticiens, vidéastes dans un même élan autour des écritures contemporaines. Les plus diversifiées, versifiées ou non, toujours plus libres comme en attestent les collections Résidence, Courts circuits, Connexions, Les Oubliés. Les récentes livraisons sont un florilège du catalogue des éditions qui collent aux projets de leurs auteurs, inventant chaque fois maquettes, typos, respirations. Dans Courts circuits, Katy Remy pénètre tous les interstices de la poésie pour louer le geste de l’écrivain pareil à celui du sculpteur et dire la difficulté d’écrire Journellement ; l’architecte-enseignant Yves Perret conjugue à tous les temps poèmes et équations dans L’évier à deux trous sans jamais se déparer d’un humour intrépide ; Raoul Hébréard délaisse installations, performances et sculptures pour s’offrir une Promenade de rien illustrée par Sophie Menuet. Plus atypique, Le Film des questions de Frank Smith -collection Connexions- alterne minuscules et majuscules avant même que les images ne voient le jour, livre-film tiré d’un fait divers américain rapporté par une succession de «On dit que», «Le fait est», «Il est dit», «Il a été établi que» dont l’objectivité est vite contrecarrée par ses questionnements. Quinzième dans la série Les Oubliés, Carnets de l’oriental d’Hervé Brunaux est un Petit Poucet littéraire retraçant par petites pierres (notes, dessins, photos) un voyage poétique dans le Haut Atlas. Chemin inverse pour l’auteure libanaise Ritta Baddoura qui scelle sa résidence de 2012 par un petit chef-d’œuvre, Arisko Palace, au nom en forme de miroir aux alouettes. Pas de clinquant mais du glaçant, pas de cornet glacé mais des éclats de vitres, et le souvenir d’un hara-kiri qui a stoppé net son enfance. Un après-midi d’avril enneigé au cinéma. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Catalogue complet sur www.plainepage.com

À voir Il n’y a guèr(r)e plus de cent ans Thierry Azam, Éric Blanco, Raoul Hébréard, Claudie Lenzi, Sophie Menuet Pôle culturel des Comtes de Provence, Brignoles du 11 juillet au 18 novembre 04 94 86 22 14


Wang Bing

62 L I V R E S

Wang Bing est le Président du Jury International de la 25e édition du FID. Caroline Renard, universitaire, entourée d’Isabelle Anselme et François Amy de la Bretèque, a consacré un livre à ce cinéaste chinois, né en 1967, formé aux Beaux-Arts de Luxun, puis à l’Académie de films de Pékin, auteur de douze films «du côté du peuple», dont dix documentaires, tournés avec une caméra numérique, films interdits de projection publique dans son pays. Trois parties dans cet ouvrage comportent à la fois des analyses d’universitaires et trois interviews du cinéaste, menés par Isabelle Anselme. Dans le premier entretien de juillet 2013, elle l’interroge surtout sur Le Fossé, fiction réalisée en 2010, à partir de documents dont des lettres de prisonniers des camps de travaux forcés de Jiabianjiou de 1957 à 1961 ; certaines y sont reproduites en fac similé. Wang Bing y parle de ses intentions, de sa méthode de travail, du montage et de la production. Le deuxième entretien (Pékin, août 2013) aborde à travers quatre de ses films, À l’ouest des rails (2003), L’Argent du charbon (2009), Les trois sœurs du Yunnan (2012) et Til madness do us part (2013), sa conception du cinéma documentaire. Le troisième a eu lieu à Paris, après la projection à Venise de

Til madness do us part, tourné dans un espace clos, quasi carcéral, un hôpital psychiatrique. Le cinéaste y explique les conditions de tournage et ses choix de réalisation. Isabelle Anselme donne quelques clés pour saisir la société chinoise, en pleine mutation, des analyses sur les conditions de production cinématographique, soumise à un contrôle «liberticide». Hélène Puiseux analyse le film le plus long du cinéaste (9h11min), À l’ouest des rails, histoire d’une gigantesque reconstruction. François Amy de la Bretèque approche les films à travers l’espace, «métaphore de la condition humaine et du peuple dans le monde post industriel». Et Corinne Maury étudie l’Homme sans nom, en mettant en évidence le choix radical du cinéaste à l’opposé du portrait documentaire classique. Dans la dernière partie, Julie Savelli analyse les séquences d’ouverture de quatre films, dont Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007), pour mettre en lumière la «creativ method» mise en œuvre pour traduire la réalité des peuples. Quant à Caroline Renard, elle montre comment la dialectique du cinéma de Wang Bing établit un dialogue avec le passé et porte «les traces des méandres de l’histoire de la Chine à l’époque de la mondialisation, mais moins pour les reproduire que

Harmonie Harmonie «La musique d’Arnold, les gens n’y comprennent rien» écrit Vincent Jolit (écrivain né en 1978, vivant à Toulon et bibliothécaire à la médiathèque d’Hyères) dans les premières pages de son roman inspiré de la vie du musicien d’avant-garde Arnold Schoenberg (Vienne1874, Los Angeles 1951). Cette affirmation a été vraie (dure réalité qu’a connue tout au long de sa carrière, l’émancipateur de la musique atonale et inventeur du dodécaphonisme) par le passé, certes, mais est encore valable pour la plupart des oreilles contemporaines. C’est qu’on est plus à même de supporter aujourd’hui l’abstraction plastique d’un Mondrian ou Kandinsky, plutôt que le chaos sonore de l’École de Vienne dont Schoenberg a été le chef de file. Alors de deux choses l’une... pour peu qu’on

s’intéresse à une figure incontournable de la création au XXe siècle ! Soit l’on s’envoie à un pavé «bio» façon Fayard, ses écrits théoriques (Le style et l’idée) en s’abrutissant à l’écoute du Pierrot lunaire, son 2e Quatuor ou ses Klavierstücke op.11... Soit on lit cette biographie romancée, poétique... et l’on se laisse porter par un style soigné, une écriture remarquable, au gré du parcours du Viennois, juif, dont le dessin, tracé à coup d’analyses sensibles de ses opus, tranche avec la figure anguleuse habituelle de ses portraits. À traverser un bout de siècle aux côtés de Freud, Mahler, Schnitzler, Loos, Schiele... À côtoyer ses disciples Anton et Alban. À sentir poindre la menace et éclater la Barbarie. À prendre la route de l’exil, géographique et artistique, car «il respire l’air d’une autre planète

pour inventer une forme de présence au monde…». L’ouvrage se termine par la note d’intention que W. Bing a rédigée en octobre 2012 pour Past in Presence Tense, un projet de documentaire consacré aux survivants de Jiabianjiou, un film inachevé. Cet ouvrage, très documenté, s’adresse surtout à ceux qui, ayant vu les films de Wang Bing, souhaitent en connaître la genèse mais aussi à ceux qui ont envie de découvrir un cinéaste qui pense que l’art est le réel des gens, une interrogation et un regard sur soi-même. ANNIE GAVA

Wang Bing sous la direction de Caroline Renard, Isabelle Anselme et François Amy de la Bretèque, Arts, Presses Universitaires de Provence, 22 euros

et ne veut plus redescendre» Arnold ! «Harmonie Harmonie» aurait dit le musicien sur son lit de mort, emportant avec lui un mystère... À lire... comme un roman ! JACQUES FRESCHEL

Harmonie Harmonie Vincent Jolit Éditions de La Martinière, 15 euros

Mensuel gratuit paraissant le deuxième mercredi du mois Édité à 32 000 exemplaires imprimés sur papier recyclé

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Musique et disques Jacques Freschel jacques.freschel@wanadoo.fr 06 20 42 40 57 Dan Warzy danwarzy@free.fr Thomas Dalicante thomasdalicante@gmail.com Cinéma Annie Gava annie.gava@laposte.net 06 86 94 70 44 Élise Padovani elise.padovani@orange.fr

Philosophie Régis Vlachos regis.vlachos@free.fr Sciences Christine Montixi christine.montixi@ac-aix-marseille.fr Polyvolants Chris Bourgue chris.bourgue@wanadoo.fr 06 03 58 65 96 Maryvonne Colombani mycolombani@yahoo.fr 06 62 10 15 75 Gaëlle Cloarec ga.cloarec@gmail.com

Marie-Jo Dhô dho.ramon@wanadoo.fr Marie Godfrin-Guidicelli m-g-g@wanadoo.fr 06 64 97 51 56 Alice Lay alicelay0@gmail.com 06 26 26 38 86 Jan Cyril Salemi jcsalemi@gmail.com Maquettiste Philippe Perotti philippe.zibeline@gmail.com 06 19 62 03 61

Directrice Commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18 La régie Jean-Michel Florant laregie@gmx.fr 06 22 17 07 56 Collaborateurs réguliers : Frédéric Isoletta, Yves Bergé, Émilien Moreau, Christophe Floquet, Pierre-Alain Hoyet, Aude Fanlo, Laurence Perez, Anne-Claire Veluire, Maurice Padovani, Estelle Barlot




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