Les Racines du chaos

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Jamais je n’oublierai que c’était un lundi. Le lundi 16 mars 1953, très exactement.

Les quartiers de Londres les plus proches de la Tamise étaient couverts d’un épais brouillard qui s’y était accumulé tout au long de la nuit…

… et qui n’était pas près de se lever malgré l’heure avancée de la matinée.

Essayant d’afficher une sérénité que j’étais loin de posséder, je marchais vers le quai de Westminster. Je savais bien, pourtant, que la police y avait délimité un périmètre de sécurité de plusieurs mètres.

Le président balkanique avait déclaré avec insistance qu’il ne s’agissait pas d’un voyage officiel mais d’une simple visite de courtoisie. Mais, de fait, le gouvernement britannique l’avait comblé d’honneurs tout au long du voyage de sa goélette.

De temps en temps, j’entendais une escadrille de la RAF survoler la zone. Elle faisait partie du cérémonial d’accueil qu’on s’apprêtait à offrir au maréchal Tito, chef d’état de la Yougoslavie.

C’était un fou, sans aucun doute.

Un fou qui n’avait pas trouvé de meilleure manière de protester. L’Angleterre sera punie pour ce qu’elle fait.

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Dieu ne pardonnera jamais aux anglais leur complaisance pour le dictateur rouge qui persécute avec rage Les prêtres et Les fidèles.

Le fou se perdit dans le brouillard en vitupérant contre le maréchal : antidémocrate, antireligieux, antimonarchique, antibritannique !…

Bénis soient les persécutés et les emprisonnés ! Bénis soient ceux qu’on prive de leur culte !

Je savais que la police contrôlait tous les ponts et débarcadères du fleuve…

… qu’il serait reçu par le premier ministre, Winston Churchill, et le Duc d’Édimbourg, époux de la jeune reine.

… mêlé à la foule, agitant le petit fanion que je tenais dans ma main gauche.

Bénis soient enfin les milliers de frères yougoslaves qui prient et implorent pour que ce monstre de Tito soit rendu au règne des ténèbres !

Mais, avec un peu de chance et malgré l’énorme dispositif policier qui protÉgerait la Rolls blindée du maréchal, je serais suffisamment près…

Je ne vous ai pas encore dit que je m’appelle AlexandRE Ostojic, que je suis né à Belgrade il y a un peu plus de trente ans...

… et que dans le sac qui pend à ma main gauche, je porte une bombe.

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Mais ce que je dois vous raconter avait commencé quelques mois auparavant…

Attention !

C’est à peu près comme ça que ça s’est passé, d’après ce qu’on m’a raconté. HÉ, reviens, salaud ! Ne te tire pas !

Appelez une ambulance ! Madame, Madame !…

Je ne crois pas qu’ils pourront faire grandchose…

Le chef m’a répété qu’il est urgent que nous trouvions une piste sérieuse.

Je travaillais au département de Chimie du Laboratoire de Médecine Légiste de Scotland Yard avec mon ami Gregory…

Tu as vérifié les traces de peinture qu’on a trouvées sur les restes d’explosif ?

Elle ressemble beaucoup à celle utilisée pour certains avions, mais ce n’est pas exactement la même composition.

Apparemment, ce type n’était pas un simple bookmaker, il nous servait aussi d’informateur.

Surtout s’il saute dans les airs avec sa voiture.

Et tu sais dans quel état ça les met de perdre un mouchard.

Je n’aimerais pas que nous ayons à recourir à ces petits fanfarons du Ministère de l’Intérieur.

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Alexandre, il y a un moment que j’essaye de vous passer un appel…

Tu l’as encore laissé décroché, il me semble…

Eh oui. En ce moment, je suis encore plus dans la lune que d’habitude.

Qu’est-ce qui se passe, Alex ?

Allô ?… Oui, c’est ma mère…

Je n’y comprends rien. C’était un agent du commissariat de Kilburn.

Il affirmait que ma mère a été renversée dans le quartier par une voiture qui a pris la fuite.

Comment ? Non. Il doit y avoir erreur. Elle est internée dans une institution de Cannon Hill… Ça n’a pas de sens. Qu’est-ce que ta mère serait allée faire seule, si loin de la résidence ?

Oui, s’il vous plaît, je voudrais parler à Sofia Banovic… Chambre 432… Je suis son fils…

C’est ce que je lui ai dit.

Que dites-vous ? Elle n’est ni dans sa chambre ni dans aucun des espaces communs du centre ?

Je pars, Gregory. Il faut que je parte.

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Ce devait être une erreur : ma mère avait peur de sortir, même dans le petit jardin de cet endroit où je l’avais fait admettre quand son esprit avait commencé à lui jouer de mauvais tours.

Je vais aller à l’hôpital où ils m’ont dit qu’on a emmené cette femme.

Elle croyait que ces arbres allaient l’attraper et l’enterrer sous leurs racines. Et moi je tremblais en l’écoutant raconter ses hallucinations…

… mais pas pour elle, pour moi. Car je voyais dans cette angoisse une prémonition de quelque chose qui un jour pourrait m’atteindre…

… qu’on l’appelle folie ou, comme dans son cas, démence sénile précoce.

C’est pour cette raison que mes visites s’étaient de plus en plus espacées avec le temps.

Mon nom est Alexandre Ostojic.

Je crois qu’on a amené ici une femme du nom de Sofia Banovic…

Oui, c’est bien vous. Suivez-moi, s’il vous plaît.

C’est à vous que j’ai parlé tout à l’heure ?

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