Prologue
Par David Servenay
Il est rare qu’un journaliste ait la preuve certaine d’avoir été écarté d’une enquête par sa propre direction, sur une intervention politique. C’est ce qui m’est arrivé. Une fois. Et cela a changé ma vie.
Cela faisait un peu plus de dix ans que j’étais reporter à RFI. Une belle radio du service public. Un projet éditorial ambitieux tourné vers l’international. Des moyens. Des confrères et consœurs de grande qualité, parmi les meilleurs. J’y ai fait tout ce qu’un jeune journaliste rêve de pouvoir accomplir : des reportages à l’autre bout du monde, des enquêtes au long cours sur des terrains glissants, des événements historiques à couvrir. J’étais alors très heureux de pouvoir me consacrer de plus en plus aux « affaires ». Comprenez aux vraies affaires d’États, celles qui mettent en jeu les ressorts de notre monde, sa puissance, l’argent et la force des nations. Cela faisait plusieurs années que j’enquêtais sur l’affaire Borrel, pour comprendre comment un magistrat intègre avait pu tomber dans l’un des pièges de la Françafrique, au point d’y trouver la mort. Car le doute n’était alors plus permis : Bernard Borrel n’avait pas pu se suicider en octobre 1995 à Djibouti, au pied d’une falaise face à la mer Rouge, ainsi que la justice tentait de plus en plus vainement de le faire croire. Voilà. J’avais tous les éléments en main pour pouvoir dire et écrire : c’est un assassinat – puisque
le crime a été prémédité, avec des exécutants et un ou plusieurs commanditaires. Ce sont des faits, pas une opinion ni une hypothèse. Des faits, encore des faits, rien que des faits. Dans mon métier, le reste n’a pas d’importance. Et cet assassinat mérite particulièrement notre attention, parce qu’il frappe l’un des plus éminents symboles de notre démocratie. Pourtant, un jour, mes chefs ont balayé ces faits d’un revers de main, en soutenant que j’étais de parti pris, exhibant ma prétendue incompétence aux yeux de tous. C’est comme prendre une gifle à huit ans pour une raison injustifiée : vous ne vous y attendez pas et bim !, soudain la douleur est là, doublée d’une humiliation indélébile. Cela ne s’oublie pas. Après... la vie s’est chargée de me faire passer à autre chose. Quelques courageux m’ont défendu, les lâches se sont murés dans un silence coupable et j’ai découvert de nouveaux horizons journalistiques qui donnent un sens à ce qui reste, à mes yeux, l’un des plus beaux métiers du monde. Mais surtout, j’ai continué à mener l’enquête. Et j’ai eu raison, car la réalité m’a montré que je n’avais pas fait fausse route.
Voici l’histoire... mon histoire qui est aussi désormais la vôtre.
Ă€ Philippe Couve, journaliste debout. David Servenay
DJIBOUTI, CORNE DE L’AFRIQUE, DANS LA NUIT DU 18 AU 19 OCTOBRE 1995.
À 7H20 DU MATIN, SUR LE PARKING DU GOUBET, UN LIEU-DIT QUI SURPLOMBE L’ANSE DU DIABLE SUR LA MER ROUGE. DEUX GENDARMES FRANÇAIS DE LA PRÉVÔTÉ* FONT UNE MACABRE DÉCOUVERTE.
* LA PRÉVÔTÉ EST LE CORPS DE GENDARMERIE QUI ACCOMPAGNE LES ARMÉES EN OPÉRATION POUR ENQUÊTER SUR LES CRIMES ET DÉLITS DONT LES SOLDATS SONT LES VICTIMES OU LES AUTEURS.
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UN HÉLICOPTÈRE DE L'ARMÉE FRANÇAISE SE POSE VERS 9 HEURES AVEC, À SON BORD, LE GÉNÉRAL COMMANDANT LES FORCES FRANÇAISES DE DJIBOUTI...
... CAR LA VICTIME N’EST PAS N’IMPORTE QUI.
LE CORPS EST RAPIDEMENT TRANSPORTÉ VERS L'HÔPITAL MILITAIRE FRANÇAIS BOUFFARD, SEUL ENDROIT DANS LE PAYS OÙ IL Y A UNE MORGUE.
IMMÉDIATEMENT, LA VERSION DU SUICIDE EST DIFFUSÉE PAR UN TÉLÉGRAMME DIPLOMATIQUE ENVOYÉ À PARIS.
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