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Patrimoine
Arrêt sur images
Il y a 150 ans, Wissembourg était l’un des fleurons de l’imagerie populaire. Un patrimoine lithographique à redécouvrir par le biais de l’imposante collection d’Anmarie Bendel en attendant que le projet de musée consacré à l’œuvre de Jean-Frédéric Wentzel voit le jour.
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C’est de ce jeu de tir, appellé aussi passe-boules, que provient l’expression «tête de Turc». L’image doit être collée sur une plaque de bois découpée selon son contour et fixée sur une caisse. Il s’agit de lancer une balle dans la bouche ouverte du personnage. Renvoyée par le fond de la caisse, elle ressort par l’une ou l’autre des ouvertures. Anmarie Bendel dispose d’une collection de près de 500000 lithographies provenant de l’atelier d’imagerie fondé par Jean-Frédéric Wentzel en 1837 à Wissembourg.
Une collection, cela peut rapidement s’avérer encombrant. À Wissembourg, Anmarie Bendel en sait quelque chose. Un bâtiment de 300 mètres carrés abrite sa collection de près de 500 000 lithographies de Jean-Frédéric Wentzel et de ceux qui ont perpétué son savoir-faire. Un fonds convoité depuis quelques années déjà par la municipalité pour un projet de musée en hommage à cet illustre imprimeur qui fit la renommée de la ville sous le Second Empire. Au point d’en faire l’un des principaux centres lithographiques et imagiers de France avec une production annuelle estimée à deux millions d’images entre 1860 et 1870. De quoi concurrencer la célèbre maison d’édition d’imagerie Pellerin à Épinal. Jusqu’à l’annexion de l’Alsace-Moselle à l’Empire allemand en 1871 où l’imprimerie se détourne progressivement du marché français. Les aléas de l’Histoire se conjuguent avec ceux de cette entreprise prospère qui change une première fois de nom en 1880 (F.C. Wentzel – C. Burckardt Nachfolger) avant d’être rachetée par l’imprimeur wissembourgeois, René Ackermann en 1906. La production variée d’images religieuses, militaires, d’estampes, de livres d’images, de personnages, de jeux de société et de construction à découper commence à s’estomper avec l’apparition de la photographie. Jusqu’à cesser en 1930.
Des sujets à découper
En 1955, Charles Muller, le papa d’Anmarie Bendel, rachète l’imprimerie. À l’intérieur, il découvre du matériel typographique ancien, des pierres lithographiques et une quantité astronomique d’images produites 100 ans plus tôt par Wentzel et sa cohorte de dessinateurs. «Tout était en vrac. Il a d’abord mis cela de côté puis son passe-temps fut de ranger et trier
Les images à découper avaient valeur de jouet pour les jeunes générations.
Anmarie Bendel
les lithographies», raconte sa fille qui l’aidera ensuite dans cette tâche considérable. D’autant que cette ancienne pensionnaire d’une école d’arts graphiques à Bâle n’est pas insensible à la qualité du dessin qui se dégage de ces images autrefois vendues pour quelques centimes par des colporteurs.
Une période qui ne laisse pas non plus de marbre Alain Berizzi, collectionneur strasbourgeois, dont la passion pour l’iconographie trouve sa source dans les figurines militaires. D’abord peintes à la main puis au travers de soldats à découper, émanant de planches lithographiées que Wentzel et d’autres produisaient en masse. « Cette imagerie a beaucoup touché des générations d’enfants. Avec ces planches à découper de soldats ou de poupées, l’image avait aussi valeur de jouet », raconte-t-il. Lui s’intéresse à l’évolution du dessin et du graphisme ainsi qu’à «la représentation d’une époque qui inclut une espèce de distanciation avec la réalité d’alors, ce qui n’est pas le cas de la photographie. L’illustration avait tendance à enjoliver certains points de vue. » Suffisamment pour enrober l’expression «image d’Épinal» d’une connotation aujourd’hui péjorative relevant du cliché.
En-dehors de cette considération lexicale, l’œuvre de Jean-Frédéric Wentzel semble avoir retrouvé une certaine noblesse depuis le début des années 2000. Sa production figure allègrement sur les sites de vente en ligne avec des pièces oscillant entre une dizaine et plusieurs centaines d’euros selon les sujets abordés.
En 1999, le Badisches Landesmuseum de Karlsruhe avait consacré une première rétrospective à l’imagerie populaire de Wissembourg avec l’exposition Saints, souverains, pantins avant que le Musée Alsacien de Strasbourg célèbre à son tour Des Mondes de papier en 2011. «Cette collection, c’est un vrai patrimoine alsacien», loue Anmarie Bendel. Un patrimoine qui ne demande plus qu’à être mis en valeur au cœur de ce territoire d’Alsace du Nord.
De gauche à droite:
– Pierrot, René Ackermann –
Chromolithographie entre 1906 et 1918 – Cible Femme à l’ombrelle, René
Ackermann – Chromolithographie entre 1906 et 1918 – Polichinelle, René Ackermann –
Chromolithographie entre 1906 et 1918
Dénouement espéré en juin pour le projet du musée Wentzel
C’est l’un des projets phares de la nouvelle municipalité. Wissembourg ne désespère pas d’acquérir une bonne partie de la collection Wentzel, au travers de 100 000 lithographies notamment, afin de lui consacrer un musée dans l’ancienne sous-préfecture. Un projet de longue date, souhaité en son temps par Charles Muller qui fut le premier à exhumer ce patrimoine en rachetant l’imprimerie en 1955, mais qui s’éternise en raison de désaccords entre ses trois héritiers. «On leur a fixé un ultimatum pour le mois de juin, indique Jean-Louis Pfeffer, premier adjoint au maire. On l’a budgétisé pour cette année, on espère tous que ce projet aboutisse.» Le montant de l’acquisition s’élève à 225 000 euros, financée en grande partie par des subventions de l’État, de la région Grand Est et de la collectivité européenne d’Alsace. «Notre objectif est de faire connaître la ville et de la faire rayonner au-delà du plan local, poursuit l’élu. On considère que cette collection à une valeur équivalente ou peut-être supérieure à l’imagerie d’Epinal.» S’il voit le jour, ce projet trouverait également toute sa place dans le cadre du réseau Micro-Folie que Wissembourg a intégré en novembre dernier, et qui s’apparente à un musée numérique permettant d’accéder aux chefs-d’œuvre du monde entier.