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Reportage
« Depuis la mezzanine, il suffit de baisser les yeux pour observer les verriers façonner des objets en commentant avec le plaisir de la transmission leurs faits et gestes précis»
Le poste d’aiguillage
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Passage obligée sous la vague par «le poste d’aiguillage» , comme l’appelle Anne Marchand, directrice de la billetterie du site faisant également office de boutique bien plus vaste que celle d’avant travaux et permettant ainsi de proposer à la vente les créations verrière du CIAV dans «une ambiance très lumineuse – idéale lorsqu’on présente des pièces jouant sur la transparence – et grâce à un mobilier plus ergonomique » : photophores «toboggans» ingénieux, boules de Noël façon traditionnelle ou moderne, vases de toutes tailles… On y dégote aussi des produits (régionaux ou tout au moins Made in France) faisant écho aux collections, des ouvrages dont une quinzaine éditée par le Centre, des goodies et autres idées cadeaux «pour les touristes, mais aussi la clientèle locale », insiste Anne en nous tendant un cahier de coloriage réalisé pour le CIAV par l’illustratrice Carole Wey.
Une collection de 600 pièces: hier, aujourd’hui et demain
Caroline Duchamp, récente directrice du Musée du Verre, est heureuse du rapprochement entre la structure dont elle se charge et le CIAV, sachant que depuis 2019 la collection constituée par l’association de passionnés qui la gérait a été transférée à la collectivité. Elle nous attend dans la cave voutée « en grès des Vosges, nécessaire à la fabrication du verre » où se trouve le premier four de la verrerie (1704), puis nous conduit sous la charpente en forme de bateau renversé, «au grenier», soit le troisième niveau du musée. Y est reconstitué un atelier avec ses outils «identiques à ceux utilisés aujourd’hui», comme la très lourde canne que nous avons soupesée avec difficulté. Nous découvrons le travail à chaud – soufflage, façonnage… – et à froid – taille, gravure à la roue, satinage, argenture, émaillage… – avant de poursuivre la visite de ce musée totalement rénové, avec une scénographie signée par l’agence parisienne Unit, un aménagement pensé par les designers strasbourgeois de V8 et Fred Rieffel et une charte graphique de Stéphane Riedinger de Strasbourg. Durant le parcours, Caroline Duchamp explique: « Le verre est une matière fascinante, voire magique, nécessitant une maîtrise technique exigeante, et pourtant malléable.» Nous voici au second niveau, consacré aux ustensiles de production industrielle (bouteilles, coquetiers, carafes, services à orangeade, vierges scintillantes de dévotion) ou pièces précieuses issues des nombreuses verreries régionales: Lemberg, SaintLouis, Lalique (qui a récemment fêté ses 100 ans, lire Zut Haguenau & alentours n°10), Baccarat… La directrice du Musée s’arrête face à un «bousillé»: objet conçu par un ouvrier en dehors de ses heures de travail: un élégant poisson argenté en verre soufflé et façonné à la pince à Goetzenbruck dans le premier quart du xxe siècle, Caroline Duchamp évoque «la coutume courante des manufactures qui permettaient à leurs employés de travailler leurs propres pièces, sur leur temps libre, pour se faire la main, de manière libre, moins calibrée», avec des résultats aussi surprenants que cet animal aquatique étincelant. La dernière salle expose des merveilles fabriquées à Meisenthal et conçues par des artistes d’hier et d’aujourd’hui : du mouvement Studio Glass des nineties (notamment les travaux de Jean-Pierre Umbdenstock) à l’alphabet miniature en langage des signes de Michel Paysant (Handsigns), la boule de neige plus vraie que nature de Fabrice Domercq (utilisant la technique du sablage, elle semble s’apprêter à fondre devant nos yeux) ou la fragile dame de verre de Françoise Pétrovitch (Ne bouge pas poupée)… Après l’observation d’un bol «bullé» de Daum de 1925, nous contemplons un des joyaux historiques de la collection: le Vase à la carpe d’Émile Gallé qui œuvra ici de 1867 à 1894. La directrice du Musée décrit cette œuvre exceptionnelle de 1878, du maître de l’Art nouveau, où le «mouvement de l’eau est donné par la technique des côtes vénitiennes qui consiste à lacérer les bords de l’objet avant soufflage. Il s’agit d’un beau témoignage de la phase “recherche et expérimentation” de Gallé, avant ses envies de grande production et l’École de Nancy.»
Un cordon ombilical
Il faut traverser 20 mètres sur une gracieuse passerelle, que Yann considère comme « un cordon ombilical », pour passer du Musée au CIAV. Au niveau de l’ancienne boutique (aujourd’hui située au cœur de la vague), une salle d’exposition permanente dévoile tout ce qu’il est possible de réaliser, grâce à de multiples variations techniques, avec un seul moule. La Moulothèque (fermée au public, mais inventoriée numériquement et en 3D : moulotheque-ciavmeisenthal.fr) en conserve environ 2 000, en bois ou en métal! Les artistes hôtes du CIAV sont régulièrement conviés à y puiser leur inspiration.
Suite du parcours dans la Galerie qui présente Sillages (jusqu’au 23 octobre), ensemble de créations récentes de Nicolas Verschaeve à partir d’un moule qu’il a créé en compagnie des artisans verriers. Le clou du spectacle ? Rassurez-vous, il demeure identique depuis 1997. La chaleur monte, les fours tournent à plein régime et la matière entre en fusion : nous voici sur la mezzanine de démonstration. Il suffit de baisser les yeux pour observer les verriers souffler et façonner des objets en commentant avec le plaisir de la transmission leurs faits et gestes précis.
Photo: Léonor Anstett
Sweet dreams are made of this…
Curieux, nous osons nous aventurer en bas, là où ça chauffe! Le regard espiègle, Nathalie Nierengarten, créatrice de la boule de Noël 2018 en forme d’artichaut, Arti, devenue directrice artistique du CIAV depuis 2020, nous présente les élèves de l’université HBKsaar de Sarrebruck, présents le jour de notre visite. Ils vivent une immersion au CIAV et s’apprêtent à présenter le fruit de leurs questionnements sur le thème Sweet Dreams: une ingénieuse coupe de glace ou un sextoy à la semblance d’une amusante chenille qui ne demande qu’à redémarrer. Nathalie pousse les jeunes créateurs dans leurs retranchements, leur implorant d’«essayer d’aller au-delà des limites. Ça n’est pas le Concours Lépine: l’objectif est d’expérimenter, quitte à se planter!»
Après avoir traversé les « faux jumeaux», la visite se termine dans l’immense Halle verrière. Cette usine de 1813 à la charpente métallique, véritable «cathédrale industrielle» comme on la nomme avec révérence, accueille expositions (des œuvres monumentales des stars de l’art contemporain, Georges Rousse, Daniel Buren, Jan Fabre ou Stephan Balkenhol qui a son atelier à Meisenthal), événements circassiens, festivals ou concerts ayant lieu dans la Boîte noire (et son gradin rétractable) récemment installée ou dans la Halle elle-même pour des shows de plus grande envergure, grâce à sa capacité de 3 000 personnes. L’équipe du Cadhame qui gère le lieu de 2 400 m2 se réjouit bien sûr elle aussi de la vaste opération architecturale sur le site, aventure humaine hors du commun : « Nous désirons dévoiler les nombreuses possibilités de ce site à un maximum de monde. Les visiteurs peuvent ainsi parcourir le Musée, rencontrer les verriers et assister à un spectacle en une même journée. Nous avançons tous dans le même sens!»
OUVERTURE DU SITE VERRIER 1ER MAI ---> 23 OCTOBRE DU MARDI AU DIMANCHE DE 13H30 À 18H
RÉOUVERTURE POUR LA SAISON HIVERNALE 17 NOVEMBRE ---> 30 DÉCEMBRE, PUIS À PARTIR DU 1ER AVRIL 2023
CENTRE INTERNATIONAL D’ART VERRIER 1, PLACE ROBERT SCHUMAN À MEISENTHAL 03 87 96 87 16 CIAV-MEISENTHAL.FR SITE-VERRIER-MEISENTHAL.FR
Prochainement à la Halle verrière
— Salto Robotale (cirque contemporain) d’Ulik Robotic Circus, samedi 8 octobre — Le Grôs Tour (chanson festive), samedi 15 octobre — Cats On Trees (chanson), samedi 22 octobre — Hubert-Félix Thiéfaine (version unplugged) vendredi 11 novembre — Slim Paul (blues), samedi 19 novembre — Rouquine (electro-pop), samedi 10 décembre — Gandini Juggling (cirque contemporain), samedi 17 décembre — Stephan Eicher (chanson, rock), samedi 4 février — The Stranglers (rock), samedi 18 mars
halle-verriere.fr
Verre l’inconnu!
Les Étoiles terrestres? Une invitation à cheminer au cœur du Parc naturel régional des Vosges du Nord. Un riche parcours à la découverte de l’épopée verrière de la région, l’incroyable patrimoine industriel et artistique propre à cette «réserve mondiale de la biosphère» classée par l’Unesco. Les Étoiles terrestres, c’est une constellation de trois sites dédiés aux métiers du verre et du cristal: le Site Verrier de Meisenthal, le Musée Lalique de Wingensur-Moder (plus de 650 œuvres retraçant la carrière de René Lalique et ses successeurs) et le Musée du Cristal de Saint-Louis (2000 pièces anciennes!). Un bond de cinq siècles dans le temps et deux actualités: Petites Histoires des Vosges du Nord (série de rencontres avec sept conteurs et conteuses, en différents lieux, jusqu’au 23 octobre) et l’exposition 100 ans de Lalique en Alsace au Musée Lalique.
etoiles-terrestres.fr
La Halle verrière. © David Foessel La Boîte noire. © David Foessel
Nathalie Nierengarten, directrice artistique du CIAV. Yann Grienenberger, directeur du CIAV et David Suck, président de la Communauté de Communes du Pays de Bitche. Caroline Duchamp, directrice du Musée du Verre.
«Meisenthal, “la Vallée des mésanges”, connait aujourd’hui un nouvel envol»
Photo : CloudyProd