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Un art mycélien

Originaire de Saverne, Alexandra Gerber fabrique des doudous sauvages, écrit des romans, peint ses ancêtres à coups d’aquarelle, sculpte des totems et réalise des masques avec des champignons. Rencontre avec cette plasticienne établie à Dabo en lisière de forêt. Son terrain de jeux préféré.

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Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien n’arrivera, jamais ta vie ne commencera. Va dans les bois, va.» Cette citation de la psychanalyste et écrivaine américaine Clarissa Pinkola Estés qui figure en ouverture de Faune, le premier roman d’Alexandra Gerber, résume à merveille l’univers foisonnant de cette plasticienne établie depuis un an à Hellert, Dabo.

Résidant dans un chalet de la rue de l’Ermite, qui forme un cul-de-sac en direction des maisons troglodytes situées sous le rocher du Falkenfels, elle dispose d’une vue dominante sur les massifs environnants le légendaire rocher de Dabo culminant à 664 mètres d’altitude. Comme une sorte d’atelier infini qui alimente son art protéiforme dont les ramifications trouvent sans doute leur origine dans ces quelques sous-bois majestueusement teintés des couleurs de l’automne.

Déjà son terrain de jeux préféré du temps de son adolescence à Saverne et dans les contreforts du Geissfels où elle situe le début de son roman, à quelques kilomètres à peine à vol d’oiseau de sa nouvelle résidence. Roman qui nous embarque dans l’histoire d’Emma, un tantinet gothique et qui se dévoile via son journal intime. «C’est parti de bribes remontant à mes 17 ans, révèle Alexandra. Je me suis reconnectée à cette époque, cette énergie et cette partie de moi qui était insouciante.» D’une anecdote, elle a ensuite noirci près de 200 pages pour bâtir une fiction qui oscille entre polar et conte initiatique. «J’ai eu envie de me laisser prendre par la liberté totale de faire vivre des choses à des personnages.»

En définitive, l’écriture est la partie la moins visible de l’iceberg créatif de cette quadragénaire, mère de deux enfants, même si elle vient d’être publiée par les éditions Au diable vauvert, dans le cadre du Prix de la nouvelle érotique dont elle a été l’une des dix finalistes. Un concours organisé chaque année par la maison d’édition indépendante, basée en Camargue, qui sollicite les plumes nocturnes. «À minuit, ils ont donné le thème qui était «Avis de passage» et il fallait que le récit s’achève avec le mot «bâton». Je me suis prise au jeu, j’ai commencé à écrire, c’est venu tout seul et j’ai envoyé mon texte à 3 h du matin », s’amuse celle dont la nouvelle primée s’intitule «Goûtes-y» .

De l’immortalité et des champignons

Il n’y a pas si longtemps, son site internet faisait encore état d’« art affectif » pour définir son vaste champ d’action. Une mise à jour plus tard, sûrement depuis Dabo, elle s’est appropriée le terme d’art mycélien. «J’ai enfin trouvé un mot qui permette d’effectuer des ramifications avec tout ce que je crée et qui relie toutes mes facettes», révèle l’ancienne pensionnaire des Arts Décoratifs de Strasbourg, qui semble faire corps avec son nouvel environnement. À commencer par les… champignons. Et pas forcément ceux qu’on déguste avec des spätzle dans des plats en sauce. Son truc, c’est davantage les polypores qui surgissent des arbres, des troncs et des souches et qui régénèrent leur petit monde tout en présentant quelques vertus pour la santé. À l’image des Chinois qui ont ainsi fait du reishi le champignon de l’immortalité. «Il s’agit de concentrés de nutriments qui peuvent réguler le corps. Ils le boostent quand il est trop faible, ils le calment quand il s’enflamme», assure Alexandra.

Sujet de sorties en forêt, de tisanes et de conférences qu’elle anime depuis son salon, le champignon se retrouve également dans ses sculptures et ses masques en donnant vie à de drôles de créatures dont certaines arborent les dents de sagesse de son neveu.

Du totem aux doudous sauvages

Des œuvres qui ne dépareillent pas avec la cohorte de doudous sauvages qu’elle crée depuis 2020, du temps où elle possédait une galerie (La Femme Sauvage) au centre de Colmar. «Eux aussi évoluent chaque année avec une thématique différente», glisse-t-elle.

Les dimanches 11 et 18 décembre, elles les proposera au marché de Noël de Fribourg-en-Brisgau après avoir participé à L’Usine de Noël au Pôle Konzett de Lutzelbourg. Un espace, niché entre rivière et forêt, en lieu et place de l’ancienne usine qui fabriquait des agrafes entre 1930 et 2011, et héberge désormais divers créateurs et entrepreneurs ainsi qu’un… totem sculpté à l’herminette traditionnelle indienne. Là encore, Alexandra Gerber n’y est pas étrangère comme pour la cigogne qui trône depuis peu devant l’école Gustave Doré à Strasbourg. Elle a suivi une pratique totémique en Alaska pendant deux ans, sculptant le bois à l’aide d’outils anciens qu’elle assimile au «prolongement de [sa] main ». Celle-ci s’aventure également avec des pinceaux puisqu’elle se plait à réaliser des aquarelles à partir de photos de ses ancêtres.

De cet art tentaculaire, l’artiste n’hésite pas à faire profiter les autres au travers d’ateliers via des processus où «tu dois lâcher le contrôle et te laisser guider», dit-elle. «Les gens, ça les détend. Ils aiment bien manipuler les matières, sans trop savoir et se laisser surprendre, ça marche aussi bien avec les enfants et les adultes car je n’enseigne pas vraiment de techniques.» Perchée, la miss? Un peu, mais toujours avec les pieds sur terre et cela même dans les recoins les plus glissants des forêts de Dabo.

ALEXANDRA-GERBER.COM

«J’ai enfin trouvé un mot qui permette d’effectuer des ramifications avec tout ce que je crée et qui relie toutes mes facettes»

Hébergement insolite

L’engin est situé devant le chalet de l’artiste. En l’occurrence un campingcar Peugeot J5 bleu pétrole de 1992 qui peut héberger jusqu’à quatre personnes et, idéalement, un couple avec deux enfants. Un hébergement insolite et vintage, limite rétro-futuriste et qui roule encore. «J’accueille des voyageurs, des touristes, des familles qui parfois prennent une table d’hôtes et un atelier sculpture. Pour passer la nuit ici avant de repartir avec des champignons et des doudous» , indique Alexandra Gerber qui s’est également chargée de refaire l’intérieur du véhicule qui propose un confort absolu.

À RETROUVER SUR AIRBNB:

CAMPING-CAR/CARAVANE — NID DOUILLET PRÈS DE LA FORÊT À DABO

Les champignons qu’elle trouve en forêt se retrouve dans ses masques sculptés. La plasticienne a appris la fabrication de totems en Alaska d’où elle a ramené quelques outils traditionnels pour sculpter le bois.

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