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À Meisenthal Le CIAV.

NOUVELLE VAGUE Par Emmanuel Dosda Photos Christoph de Barry

→ 1 h en voiture

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depuis Strasbourg

Nous pourrions parler de second nouveau souffle : le site de l’ancienne Verrerie de Meisenthal (1704-1969), réactivée en 1992 par le Centre International d’Art Verrier (CIAV), est aujourd’hui métamorphosé. Visite guidée d’un bijou patrimonial du Bitcherland qui sait valoriser son passé tout en fixant l’horizon et imaginant les possibles offerts par les créateurs contemporains.

Découvrir la nouvelle configuration du Site Verrier de Meisenthal, situé au plus profond du Parc naturel régional des Vosges du Nord, débute par la vision d’une sinueuse vague vraiment béton qui marque le lien entre l’histoire ouvrière du territoire et l’inventivité d’aujourd’hui. La gracieuse enveloppe créée l’union, la fusion du récent espace boutique-accueil-billetterie, du Musée du Verre revisité, du CIAV augmenté et de la Halle verrière rééquipée. Un nouvel envol, après un chantier de quatre ans, qui n’aurait pas été possible sans l’investissement et l’engagement de la Communauté de Communes du Pays de Bitche et de la créativité dont fait preuve le CIAV. Yann Grienenberger, son directeur, insiste sur l’étendue des types de réalisations, qui ne laisse pas de place au ronronnement dans les ateliers de Meisenthal où les souffleurs sont amenés quotidiennement à changer de mode de travail, à se réinventer et réaliser les projets les plus fous. « Comme des musiciens, ils doivent bien connaître leurs instruments et les gammes avant d’improviser, expérimenter, changer de partition », par exemple lorsqu’ils accompagnent des artistes pour la création des inventives et attendues boules de Noël aux formes les plus insensées.

La tour de Pise

Au centre du site, dans la cour intérieure, nous sommes amusés par la « tour de Pise locale » – une cheminée penchée, mais renforcée, n’ayant visiblement pas apprécié tout le remueménage de ces dernières années –, puis séduits par le Jardin pour la Liberté faisant des clins d’œil végétaux à Émile Gallé et Antoine Maas, visionnaire ayant racheté la verrerie en 1936. Valérie Wagner, médiatrice, guide notre regard vers les « faux jumeaux », deux bâtisses récentes reprenant l’aspect de l’ancien portique dans le plus grand respect pour le bâti d’avant. Un des édifices siamois abrite la cantine et des bureaux administratifs tandis que l’autre est une extension de l’atelier des verriers. Passage obligé sous la vague, par « le poste d’aiguillage », comme l’appelle Anne Marchand, directrice de la billetterie du site faisant également office de boutique bien plus vaste que celle d’avant travaux.

Souffler le chaud et le froid

Caroline Duchamp, récente directrice du Musée du Verre, est heureuse du rapprochement entre la structure dont elle se charge et le CIAV, sachant que depuis 2019, la collection constituée par l’association de passionnés qui la gérait a été transférée à la collectivité. Au troisième niveau du musée est reconstitué un atelier avec ses outils « identiques à ceux utilisés aujourd’hui ». Nous découvrons le travail à chaud – soufflage, façonnage… – et à froid – taille, gravure à la roue, satinage, argenture, émaillage… – avant de poursuivre la visite de cette structure totalement rénovée. Durant le parcours, Caroline Duchamp explique : « Le verre est une matière fascinante, voire magique, nécessitant une maîtrise technique exigeante, et pourtant malléable. » Nous voici au second niveau, consacré aux ustensiles de production industrielle (bouteilles, coquetiers…) ou pièces précieuses issues des nombreuses verreries régionales : Lemberg, Saint-Louis, Lalique (qui a récemment fêté ses 100 ans), Baccarat… La dernière salle expose des merveilles fabriquées à Meisenthal et conçues par des artistes d’hier et d’aujourd’hui : du mouvement Studio Glass des nineties à l’alphabet miniature en langage des signes de Michel Paysant (Handsigns). Après l’observation d’un bol « bullé » de Daum de 1925, nous contemplons un des joyaux historiques de la collection : le Vase à la carpe d’Émile Gallé qui œuvra ici de 1867 à 1894. La directrice du Musée décrit cette œuvre exceptionnelle de 1878, du maître de l’Art nouveau, où le « mouvement de l’eau est donné par la technique des côtes vénitiennes qui consiste à lacérer les bords de l’objet avant soufflage. Il s’agit d’un beau témoignage de la phase “recherche et expérimentation” de Gallé, avant ses envies de grande production et l’École de Nancy. »

Un cordon ombilical

Il faut traverser 20 mètres sur une gracieuse passerelle, que Yann considère comme « un cordon ombilical », pour passer du Musée au CIAV. Au niveau de l’ancienne boutique (aujourd’hui située au creux de la vague), une salle d’exposition permanente dévoile tout ce qu’il est

La nouvelle spacieuse boutique du CIAV

possible de réaliser, grâce à de multiples variations techniques, avec un seul moule. La Moulothèque (fermée au public) en conserve environ 2 000, en bois ou en métal ! Les artistes hôtes du CIAV sont régulièrement conviés à y puiser leur inspiration. Suite du parcours dans la Galerie qui présente Sillages (jusqu’au 23 octobre), ensemble de créations récentes de Nicolas Verschaeve à partir d’un moule qu’il a créé en compagnie des artisans verriers. Le clou du spectacle ? Rassurez-vous, il demeure identique depuis 1997. La chaleur monte, les fours tournent à plein régime et la matière entre en fusion : nous voici sur la mezzanine de démonstration. Il suffit de baisser les yeux pour observer les verriers souffler et façonner des objets en commentant avec plaisir leurs faits et gestes précis. Curieux, nous osons nous aventurer en bas, là où ça chauffe ! Nathalie Nierengarten, directrice artistique du CIAV depuis 2020, nous présente les élèves de l’université HBKsaar de Sarrebruck, présents le jour de notre visite. Ils vivent une immersion au CIAV et s’apprêtent à présenter le fruit de leurs questionnements sur le thème Sweet Dreams : une ingénieuse coupe de glace ou un sextoy à la semblance d’une chenille. Nathalie pousse les jeunes créateurs dans leurs retranchements, leur implorant d’« essayer d’aller au-delà des limites. »

Une cathédrale industrielle

Après avoir traversé les « faux jumeaux », la visite se termine dans l’immense Halle verrière. Cette usine de 1813 à la charpente métallique, véritable « cathédrale industrielle », comme on la nomme avec révérence, accueille expositions (des œuvres monumentales des stars de l’art contemporain, Georges Rousse, Daniel Buren, Jan Fabre ou Stephan Balkenhol qui a son atelier à Meisenthal), événements circassiens, festivals ou concerts ayant lieu dans la Boîte noire (et son gradin rétractable) récemment installée ou dans la Halle elle-même pour des shows de plus grande envergure, grâce à sa capacité de 3 000 personnes. L’équipe du Cadhame qui gère le lieu de 2 400 m2 se réjouit bien sûr elle aussi de la vaste opération architecturale sur le site, aventure humaine hors du commun : « Nous avançons tous dans le même sens ! »

Ouverture du Site Verrier 1er mai → 23 oct. (mardi au dimanche 13 h 30 à 18 h)

Réouverture pour la saison hivernale 17 nov. → 30 déc. puis à partir du 1er avril 2023

site-verrier-meisenthal.fr

Les ateliers du CIAV : attention, ça chauffe → La Halle verrière : expos et concerts ↓

En + à Meisenthal

Rêver

Il y a plus d’une vingtaine d’années, une troupe théâtrale a créé un espace utopique où des artistes pratiquent de nombreuses disciplines – arts plastiques ou vivants – dans une friche réhabilitée, l’ancienne orfèvrerie Manulor, rachetée par le célèbre sculpteur Stephan Balkenhol. ARToPie est un centre de création artistique qui propose spectacles et concerts dans la « salle multifonctionnelle », ateliers de théâtre, stages de clown, expositions collectives, résidences d’artistes ou salons, comme Bazartopie, défendant l’économie créative et solidaire de créateurs indépendants. Bazartopie, marché de Noël artistique et alternatif, 3 → 18 décembre artopie-meisenthal.org

S’émerveiller

Comme un aimant, Meisenthal attire bien des artistes : Balkenhol, bien sûr, mais aussi Damien Deroubaix qui s’y était installé durant quelques années (après une résidence au CIAV) et de nombreux autres plasticiens fourmillant dans leurs ateliers. Un petit air berlinois plane sur Meisenthal… Depuis peu, une joyeuse bande de créatrices et créateurs a pris ses quartiers en « son petit coin de paradis », le Chalet de Saupferch retapé par les membres du collectif Bitchissime : jardin en permaculture et terrasse avec vue sur la vallée, pièces à vivre, ateliers partagés… Des portes ouvertes et événements culturels sont organisés dans cette charmante habitation éco-citoyenne et solidaire, permettant de découvrir les peintures et dessins de Thomas Rebischung, les céramiques de Mélodie Meslet-Tourneux, les photos de Manya ou l’incroyable travail verrier de Simon Perot… « À ma sortie du Bastion, impossible de trouver un atelier à Strasbourg ! Nous avons eu l’opportunité de monter ce projet, dans un cadre naturel où il y a une belle dynamique », témoigne Mélodie Meslet, les mains dans la terre. Cerise sur le gâteau vosgien, les habitants semblent ravis de la présence du collectif dans le village : « Beaucoup nous témoignent leur sympathie en disant “Nous sommes venus nous rencontrer en voisins et repartons en amis.” » 24, rue de Bitche à Meisenthal

Se loger / se sustenter

Séjourner à Meisenthal ? L’Auberge des Mésanges est le lieu idéal pour poser ses valises et se délasser dans la quiétude de la nuit mosellane après avoir dégusté une tarte flambée ou des légumes de saison « façon baeckeoffe » en son restaurant. Pour une ambiance plus royale, rendez-vous au Château Hochberg, merveilleuse maison de maître décorée de manière cristalline par Lalique Interior Design Studio, faisant face au Musée de Wingen-surModer. À quelques pas seulement du Site Verrier, pour un plat du jour entre collègues ou un dîner entre amis, une assiette de grumberknepfles aux lardons ou une blanquette de veau à l’ancienne, Le Meisenthal est le resto qu’il vous faut. Climat sympathique et cuisine authentique, une bonne adresse testée et approuvée par notre équipe. aubergedesmesanges.fr chateauhochberg.com Le Meisenthal (03 72 29 06 98)

Visiter, sabots aux pieds

Le cadre idyllique du Parc naturel régional des Vosges du Nord est une invitation à la balade et de nombreux sentiers forestiers permettent d’aller randonner sur les pas des verriers et des sabotiers. Une visite du Musée du Sabotier à Soucht permet de se familiariser avec l’artisanat local de la fabrication de souliers de bois. Cet art d’antan se découvre grâce à un espace ludique avec la reconstitution d’un atelier manuel, un équipement mécanique et une collection de modèles venant du monde entier. museedusabotier.fr

Aller verre la voie lactée

Les Étoiles terrestres ? Une invitation à cheminer au cœur du Parc naturel régional des Vosges du Nord. Un riche parcours à la découverte de l’épopée verrière de la région, l’incroyable patrimoine industriel et artistique propre à cette réserve mondiale de la biosphère, classée par l’Unesco. Les Étoiles terrestres, c’est une constellation de trois sites dédiés aux métiers du verre et du cristal : le Site Verrier de Meisenthal, le Musée Lalique de Wingen-sur-Moder (plus de 650 œuvres retraçant la carrière de René Lalique et ses successeurs) et le Musée du Cristal de SaintLouis (2 000 pièces anciennes !). Un bond de cinq siècles dans le temps et deux actualités : Petites Histoires des Vosges du Nord (série de rencontres avec sept conteurs et conteuses, en différents lieux, jusqu’au 23 octobre) et l’exposition 100 ans de Lalique en Alsace au Musée Lalique jusqu’au 6 novembre.

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