L'ACTE DE NAISSANCE DES TROUPES ALPINES Le contexte géopolitique Depuis le premier Empire, il n'existe plus dans l'armée française d'unités spécialisées dans le combat en montagne comme l'avaient été, depuis le XVIe siècle, les compagnies franches de Lesdiguières, les fusiliers de montagne de Berwick ou les chasseurs des Alpes de Kellermann. A partir de la défaite de 1870 la nécessité de telles unités apparaît de plus en plus évidente. En effet, si la "ligne bleue des Vosges" représente l'objectif sacré, c'est en direction de la frontière transalpine que naissent les inquiétudes. Alors que la France avait été le principal acteur de sa création et de son unification, l'Italie subit l'attraction du système bismarckien. Dès 1872, elle crée les premières unités "d'Alpini" dont quatre régiments sur sept sont positionnés face à la France. Bismarck, qui a réussi à isoler diplomatiquement notre pays en Europe, l'encourage cependant à poursuivre son expansion coloniale, en Afrique notamment. Mais l'Italie a aussi des visées africaines, en particulier sur la Tunisie, où vivent déjà dix mille de ses ressortissants. Le traité du Bardo, signé le 12 mai 1881, plaçant la Tunisie sous protectorat français, provoque une grave tension entre la France et l'Italie. Un an plus tard, le 20 mai 1882, celle-ci adhère à la Triple Alliance qui la lie pour cinq ans à l'Autriche-Hongrie, son ancienne ennemie, et à l'Allemagne. •Après la signature, en 1887, d'un accord ecret avec l'Angleterre sur les problèmes méditerranéens, l'Italie se trouve au centre un réseau d'alliances défensives t offensives toutes orientées contre France dont elle devient l'ennemi potentiel. C'est dans ce contexte diplomatique et istorique que, le 24 décembre 1888, sont . stituées les troupes alpines françaises.
La loi modifiant l'organisation des bataillons de chasseurs à pied Journal officiel de la République française 27 décembre 1888. Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté: le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit: Art. 1 - Le chiffre normal des compagnies de chaque bataillon de chasseurs à pied, fixé à quatre par le tableau C, annexé à la loi du 25 juillet 1887, est porté à six. Cette mesure sera immédiatement appliquée aux douze bataillons stationnés sur le territoire des quatorzième et quinzième régions. Les autres bataillons seront successivement portés au même effectif suivant les nécessités du service et les exigences budgétaires. Art. 2 - La composition de l'état-major et des compagnies continuera à être réglée par le tableau C précité pour les dix-huit bataillons rattachés aux corps d'année. Les douze bataillons plus spécialement chargés d'opérer dans les régions montagneuses auront un effectif eomplémentaire indiqué au tableau A annexé à la présente loi. Le ministre est autorisé, dans la limite des crédits dont il dispose, à apporter à la tenue et à l'équipement de ces derniers les modifications nécessitées par le climat des régions où ils ont à manœuvrer . Art. 3 - Les chefs de ces douze bataillons peuvent, pour moitié, être maintenus dans leur emploi, quand ils sont promus au grade de lieutenant-colonel. La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat. Fait à Paris, le 24 décembre 1888 . Par le président de la République Carnot Le ministre de la Guerre, C. de Freycinet
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ALPINS ET NIÇOIS " A LA BELLE EPOQUE ~
UN MODÈLE D'INTÉGRATION (1870-1914)
Groupe de chasseurs sur le col de Crousette (A-M). "/
1) La population du comté est de 94600 habitants en 1861, juste après le rattachement. Aux -acensements de 1889 et 1891 , on eénombre 24 367 immigrés italiens a ice, et ils seront 32 602 en "911, soit 23,5 % de la population --:içoise. En 1914, ils sont 87 000 zans les Alpes-Maritimes, ce qui en - . le deuxième département :: accueil en France. Ils . missent les manœuvres Yaccianti) dans l'agriculture, ustrie et les travaux publics. :ette souche, compte tenu des -muralisations, représente dans les ails au moins la moitié de la _ ulation du comté. On comprend c la perplexité de nos =sponsables politiques et aires. (les chiffres proviennent :e l'étude d'Anne-Marie Faidutti:: olph "L'immigration italienne zene le Sud-Est de la France", in : =evue géographique des pays -ëditerranéens, éd. OPHRYS, ~).
Se souvenir des irréductibles 'Sarbets", les chouans niçois.
Le Il juin 1860, à la suite d'un référendum ayant dessiné une t ès large majorité, un sënatus-consulte impérial entérinait la réunion à la France du vieux duché de Savoie et du comté de Nice. Cette dernière province se voyait amputée, au nom de considérations stratégiques, des cantons de Tende et de la Brig e, rattachés au royaume d'Italie. La défense du nouveau département des Alpes-Maritimes ne ta dera pas à poser un difficile problème aux responsables militaires. Ce problème se présentait sous trois aspects: - Un aspect tactique, lié au tracé de lafrontière qui procurait au Italiens un important espace de manœuvre au-delà de la ligne de partage des eaux. Maîtres des uersants niçois du Mercantour, du col de Tende, de la haute Roya, et de la chaîne du ramond, nos adversaires potentiels pouvaient presque sans obstacle percer vers le littoral et s'emparer des hauteurs de Nice; - Un aspect technique: comment, surtout après le désastre de 1870, défendre un second front sur les Alpes alors que toutes les ressources de la nation devaient se mobiliser pour affronter le Reich triomphant? Or, la frontière des Alpes-Maritimes, la plus perméable et la plus vulnérable, ne dispose d'aucune organisation fortifiée et de quasiment pas de troupes, à l'exception du Ille d'infanterie à Antibes, pour la garnir; - Un aspect olitique et. humain, découlant de la présence d'importantes minorités italiennes résidant dans le département (1). Quelle serait l'attitude de cette p ipulation en cas de conflit ouvert avec la mère pat 'e ? Pour rëpon re à ces menaces, la Ille République mettra en œ vre un ensemble de mesures dont la plus remarquable sera la création, en 1888, des troupes alpi es. Avec une population militaire de plus de 10 0 0 hommes, le département des AlpesMaritimes s ra l'un des plus marqués par ces évolutions. Et cette mili arisation si étrangère aux traditions de cette pr vince aura pour conséquence, sans doute inattendue, de jouer un rôle décisif dans son intégration u sein de la communauté nationale.
La mise en défense du département Les craintes ourries par nos dirigeants concernant la volonté d'assimilation des populations locales, qui avaient prouvé à plusieurs occasions, et notamment au cours de la Révolution et e l'Empire (2), leur détermination à préserver leurs particularismes et leur culture propre, n'étaient pas totalement dénuées de fondement. "Il n'y avait qu'à se souvenir des multiples incidents qui avaient marqué en 1861 et 1862 l'insta lation à Nice du 90e Régiment de ligne: rixes
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Les Barbets du comté de Nice.
quasi-quotidiennes, soldats consignés pour éviter les affrontements, manifestations d'hostilité autour des casernes niçoises de Saint-Augustin et de Saint-Dominique ... " (3) TIest vrai que les tensions retombèrent rapidement, et que les menées séparatistes restèrent rares. Mais il était difficile d'apprécier à sa réelle valeur le consensus populaire des Niçois autour du nouvel État. "Dans ce département annexé, tout le monde reconnaît qu'il serait utile d'avoir une très forte garnison, non pas du point de vue des dangers que peut présenter la situation actuelle, mais du point de vue des relations qu'il était essentiel d'établir entre Italiens et Français" (4). Ainsi s'exprime un haut représentant de l'administration, qui soutient qu'il faut "hanituer les gens à notre costume militaire ; dans les contrées annexées, l'œil a besoin de se faire aux uniformes nouveaux pour oublier peu à peu les anciennes couleurs nationales; au lieu d'agir ainsi on a oublié en quelque sorte que Nice était française ... les détachements qui se trouvaient autrefois à Menton ont été retirés depuis déjà quelques temps; aujourd'hui on semble vouloir encore reculer nos frontières militaires en portant à Antibes le peu de troupes casernées à Villefranche. Avant l'annexion, des détachements étaient constamment échelonnés à Breil, à Sospel et ainsi aujourd'hui la population de ces montagnes, essentiellement séparatistes, ne connaissent même pas nos uniformes mais tressaillent encore à la vue d'un militaire italien. Une exception est nécessaire pour ce département récemment annexé." On laissera au commissaire des chemins de fer la responsabilité de ses propos sur la fidélité aléatoire des locaux à leur nouvelles patrie, mais on conviendra qu'il pose une question essentielle en constatant le vide militaire de la province. ,(")
(3) Michel Bottin, "La militarisation de la frontière des Alpes-Maritimes" (1878-1889), in: "Les AlpesMaritimes", 1860-1914, Intégration et particularisme; éditions Serre, collection Actual, 1988. (4) Rapport du commissaire spécial des chemins de fer au préfet du 20 juillet 1875 ; Archives départementales des AlpesMaritimes (ADAM) 2R24179.
Les Barbets du comté de Nice.
quasi-quotidiennes, soldats consignés pour éviter les affrontements, manifestations d'hostilité autour des casernes niçoises de Saint-Augustin et de Saint-Dominique ... " (3) Il est vrai que les tensions retombèrent rapi ement, et que les menées séparatistes restèrent rares. Mais il était difficile d'apprécier à sa réelle valeur le consensus po ulaire des Niçoi autour du nouvel Etat. "Dans ce départeme t annexé, tout le monde reconnaît qu'il serait utile d'avotr une très forte garnison, non pas du point de vue des aangers que peut présenter la situation actuelle, mais du point de vue des relations qu'il était essentiel d'établir entre Italiens et Français" (4). Ainsi s'exprime un haut représentant de l'administration, qui soutient qu'il faut "habituer les gens à notre costume militaire; dans les contrées nnexées, l'œil a besoin de se faire aux uniformes nouveaux our oublier peu à peu les anciennes couleurs nationales; au lieu d'agir ainsi on a oublié en quelque sorte que Nice étaitfra çaise ... les détachements qui se trouvaient autrefois à Menton ont été retirés depuis déjà quelques temps; aujourd'hui on semble vouloir encore reculer nos frontières milita ires en portant à Antibes le peu de troupes casernées à Villefranche. Avant l'annexion, des détachements étaient constan ment échelonnés à Breil, à Sospel et ainsi aujourd'hui la population de ces montagnes, essentiellement séparatistes, ne c nnaissent même pas nos uniformes mais tressaillent encore à la vue d'un militaire italien. Une exception est nécessaire pour ce département récemment annexé." On laissera au commissaire des chemins de f r la responsabilité de ses propos sur la fidélité aléatoire des locaux à leur nouvelles patrie, mais on conviendra qu'il p se une question essentielle en constatant le vide militaire de la province. 10
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suffrage universel. ont adhéré sans réserve aux valeurs de la République.
Faut-il défendre le comté?
5) Rapport du général Ferron au conseil supérieur de la Guerre le 23 juin 1882.
6) Séré de Rivières, "Exposé du nouveau système défensif à adopter pour la France".
Charles de Freycinet, ministre de la Guerre de 1888 à 1893.
(7) Général Humbert, "La Défense des Alpes, 1860-1914"; in: Revue Historique de l'Armée 1956, n° 3, p.62.
La défaite de 1870, la frontière du Nord-Est fragilisée par l'annexion de l' Alsace- Lorraine, les lourdes indemnités de guerre qui obèrent nos finances, conduisent les responsables à repenser la défense nationale, avec l' hypothèse de moins en moins improba le de l'ouverture d'un second front sur la frontière Sud-Est. D'autant plus que dès 1872, sous l'impulsion du général Ricotti, ministr de la Guerre, l'Italie vient de constituer les quinze premièr s compagnies d' Alpini, dont l'effectif ne fera que croître : "le 7e jour, elles seront soixante-douze, soit dix-huit mille hommes, de la plus grandes vigueur et de la taille de nos cuirassiers." (5) Et derrière cette infanterie d'élite se pressent les trois cent mille hommes, répartis en sept ou huit corps d'armée, que l'Italie est en mesure de masser à nos frontières. Avec cette menace d'une manœuvre concertée avec les Allemands: "L'armée italienne ne saurait avoir d'autre but que de s'em arer de Lyon pour aller rejoindre les armées allemandes" (6/. La voie de cett invasion est donc toute tracée, la Tarentaise et la Maurienne. dont il suffit de barrer.les débouchés par les places fortifiées d'Albertville et de Chamousset. Et dans cette hypothèse, il n est pas question de distraire un homme en maintenant des troupes au sud de la Durance. Dès lors, on se contenterait d'assurer la sûreté immédiate de la ville par un fort sur le Mont-Leuza, mais la véritable ligne de résistance s rait fixée sur le Var, abandonnant ainsi aux Italiens la quasi-totalité de l'ancien comté. Sur les 25 millions de francs de remière urgence prévus par le Comité de défense en 1874 pour fortifier notre frontière alpine, la place de Nice ne fig e pas. Et le sursaut d'indignation du général Berthaut, ministre de la Guerre en 1876, choqué de voir "les unités italiennes se promener chaque jour sur le Gramond et capables de s'emparer en une nuit de la Turbie," restera sans lendemain. C'est alors que ce dessine une nouvelle réflexion qui prend en compte, au-delà des visées stratégiques, les enjeux politiques d'une éventuell action des Italiens, "les jugeant plus enclins à saisir Nice qu'à s'empêtrer dans les hautes montagnes", et pour laquelle il est "plus urgent d'éviter ce coup moralement et politiquement si redoutable" (7) ; cette nouvelle conception sera proclamée avec force par de Freycinet, ministre de la Guerre, le 2 mars 1899 : "Si nous laissons envahir Nice et la Provence, partout on criera à la trahison et toute la défense du pays sera compromise." S'il n'est plus question d'abandonner sans combat la rive gauche du Var, reste à réaliser les infrastructures et les moyens humains nécessaires à cette défense.
Fortifier la rontière Là aussi, deux options prévalaient, celle soutenue par le général de Berckheim et visant à transformer Nice en "un grand camp retranché extrêmement solide comme à Epinal," qui s'appuierait sur la crête Mont Boron-Mont Gros et sur le Mont Chauve, et sur lequel viendrait s'épuiser l'effort 1(")
DEFENSE DES ALPES-MARITIMES AVANT 1914
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Frontière d'avant 1947 Frontière actuelle Fort Séré de Rivières Poste d'altitude
adverse, et cell du général Ducrot, qui privilégiait la position de l'Authion, véritable clé du pays niçois, ce qu'a abondamment démontré l'histoire. Le Comité de défense aboutira à un compromis, avec la construction des trois forts de la Tête de Chien, la Revère et la Drette, qui tiennent sous leurs feux aussi bien la route littorale des Corniches que la vallée du Paillon, et la réalisatior d'un réseau des routes stratégiques sur les hauteurs de l'Ai.thion. Le programme est arrêté le 24 mai 1878. Pourtant, il ap araîtra rapidement comme insuffisant, et en avril 1882 un nouveau chantier est décidé par le Comité, avec la construction u puissant fort du Mont-Chauve d'Aspremont, celui du Mont-Chauve des Tourrettes, les forts d'arrêt du Barbonnet (l'u des premiers forts Séré de Rivières partiellement bétonné et doté de coupoles Mougin) et du Picciarvet, barrant la trou ·e de Sospel et la vallée de la Tinée, et les ouvrages de l' uthion. En 1889, on lancera les travaux du Mont Agel, au-dessus de Monaco, du Mont Ours, du Mont Toumaïret, du Mont Maccaron ; on barre le débouché de la vallée de La Vésubie sur la "Chiuse" (resserrement) de SaintJean-la-Rivière et le confluent Tinée-Var sur la "Chiuse"de Bauma Negra; enfin on prolonge le système défensif vers le haut pays avec la position du col des Fourches (haute Tinée) et celle du col es Champs (haut Var).· Les contemporains ont apprécié à sa juste valeur l'exceptionnel effort défen if ainsi mené à bien : "Depuis quelques années ces montagnes fameuses que borde la Corniche ont changé de caractère: leurs lignes pnt pris au sommet un aspect régulier, parfois rébarbatif. C'est que l'on a dû organiser 'éfensivement cette entrée de la terre de France. Des forts et de batteries s' étagent de la mer aux.plus hautes
Le fort du Barbonnet au dessus de Sospel. ')1
cimes,jerment le bassin de Nice, interdisent "entrée de la belle rade de Villefranche et des ports de Menton, Monaco et Nice, ensemble de positions maritimes dont la perte au début d'une guerre serait un véritable désastre car l'ennemi pourrait prendre à revers les positions de la vallée de l'Ubaye où nous avons établi defonnidables défenses pour empêcher Briançon d'être tourné ... Tous les accès de Nice ont été couverts et Nice, en devenant la grande cité du luxe et du plaisir se voyait transformée en gigantesque forteresse, c' est-à-dire en camp retranché" (8). Naturellement, ce travaux gigantes ues auront sur l'économie locale un impact important, puis u'ils furent le plus souvent soumissionnés à des entrepreneurs locaux. On sait que le coût moyen d'un fort Séré de Rivières était de un million de francs.
(8) Ardoin-Dumazet, "Voyage en France"; 55e série; La Provence maritime, Berger-Levrault, 1909, pp 368 sq,
Soldats du pays niçois A la vacuité militaire initiale du comté, avec la seule présence du Ille Régiment d'infanterie à An ibes après la guerre de 70, va succéder un renforcement constant de cette présence, en corrélation avec la montée es tensions avec l'Italie, qui aboutira à faire du département des AlpesMaritimes le plus militarisé des Alpes . .-----------------------------------------~ La loi du 24 juillet 1873 portant 'ARMEE DES ALPES ET LES GROUPES ALPINS (GA) réforme de l'organisation militaire créait notamment le xve Corps d'armée de Marseille, dont 1~GA BCA)ANNECY • relevait la 2ge Division d'infanterie qui installait son quartier-géné2 GA (22' BCA)ALBER1VIlLE • ral à Nice. A partir de 1877, une compagnie 3' GA sai CHAMBERY • du 24e Bataillon de chasseurs à 3' GA bis (i/97'-RJ) pied s'installait dans la vieille citadelle de Villefranche, rendue disponible par le transfert du bataillon 7'GA (JO·IlCA).GRENOBLE du Ille RI à Antibes. Il s'agit 2'RA 159' RIA maintenant de "coller" davantage \, 4' GA (12' BCA)BRIANCON. à la frontière. Rapidement, le 24 S' GA (14' BCA)ŒRVERETTE· au complet tiendra garnison à Villefranche, et inaugure dès 1880 les premières marches-manœuvres en montagne. En 1883, c'est l'artillerie qui fait mouvement avec le transfert à Nice d'un groupe du (157'RIA) EMBRUN. 13e Bataillon d'artillerie de forteresse, destiné à occuper les nouveaux ouvrages fortifiés. Il fallut les graves événements de 1887, l'arrivée de Crispi, la rupture du XVe CA traité de commerce franco-italien, et l'accueil enthousiaste réservé par Rome à Guillaume II, pour voir le processus s'accélérer, et être scellé par la loi du 24 décembre 1888 instituant les troupes alpines. (Il'
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9) Dès l'origine, et pour répondre " x nécessités de Jécentralisation qu'impliquait le contrôle des hautes vallées =ontaüères, les Alpins sont :::onstitués en unités interarmes :::omprenant un bataillon :i'infanterie, une batterie d'artillerie Je montagne, un détachement de sapeurs-transmetteurs, et des -"TlOyensdu Train des équipages.
10) Michel Bottin, op. cit. p. 108.
"Pour les Alpes-Maritimes. c'était un véritable cadeau de Noël: sur les d uze groupes (9), cinq étaient stationnés dans le département. le 23e Bataillon de chasseurs à Nice puis à Grasse dès 189C, le 7e à Nice, puis à Antibes à partir de 1896, le 24e restait à Villefranche, le 6e à Nice avec des détachements à Breil, Sospel et Saorge, le 27e à Menton". "Cinq bataillons de chasseurs à environ 900 hommes chacun, deux régiments d'infanterie, le 112e depuis 1890 à Antibes et le 15ge à Nice, à en iron 1 800 hommes chacun, dix batteries d' artillerie (trois de forteresse, deux montées et cinq alpines) à 120 hommes en moyenne, une compagnie du génie de 110 hommes, plus les états-majors du gouverneur de Nice, de la 2ge Division d'infanterie, de la 57e Brigade d'infanterie, à Nice depuis 1890, et les différents services administratifs militaires, génie, artillerie, topogra hie, intendance... Telle était la situation de 1890 : une garnison de près de 10 000 hommes" CI 0). La "Répartitior et emplacement des troupes de l'armée française" de 1 Il donne le recensement militaire suivant : - Quartier général de la 2ge DI à Nice; - Quartier général de la 57e Brigade à Nice ; - 6e BeA à Nice ; -7e BeA à Ant bes; - 23e BeA à Grasse; - 24e BeA à Vi efranche; - 27e BeA à Menton-Villefranche; - 55e Régiment d'artillerie à Orange-Nice; - 2e Régiment d'artillerie de montagne à Nice; - 7e Régiment d'artillerie à pied à Nice.
Groupe de chasseurs de la 1re c mpagnie du 6" BGA (1902).
Mais on trouve aussi les dépôts de nombreuses formations territoriales : Bataillon territorial de chasseurs à pi d à Grasse; - 6e Bataillon territorial de chasseurs à pi d à Nice; - 7e Bataillon territorial de cha seurs à pi d à Villefranche; - Groupe territorial du 2e RAM à ice; - Groupe territorial du 7e RAP à Nice. On n'insistera jamais uffi amment sur les innombrables conséquences économiques, sociales et culturelles de la présence de cette garnison considérable sur un pays qui n'avait pas connu d'antécédent historique d'une telle militarisation.
- se
L'armée, un puissant outil d'intégration On a coutume de dire, non sans raison, que ce sont les casernes et les instituteurs de la me République, le "hussards noirs", qui ont le plus contribué à forger l'identité n tionale telle qu'elle nous a été léguée jusqu'à nos jours (11). Sans doute doit-on considérer que l'implantation des troupes alpines dans les Alpes-Maritimes, plus que nulle part ailleurs, a servi de ferment d'intégration d'une population qui était, par son histoire et sa culture originale, loin de partager toutes les valeurs de notre communauté nationale. Il va sans dire que le phénomène a joué dans un double sens: les Niçois ont découvert, ~u travers notamment des corps alpins, une conception valorisante et positive de la France, et les militaires, par le soutien et l'adhésion opulaire qu'ils ont recueillis, ont pris pleine conscience de l'importance de leur mission et de la noblesse de leur action. Certes ce mécanisme d'intégration a aussi joué dans d'autres pr vinees, mais sous le généreux soleil de la Riviera, il va connaître une vigueur et une ostentation très remarquables.
(11) Se Souvenir à ce sujet de la devise que choisit Jean Macé pour la Ligue de l'enseignement: "Pour la patrie, par le livre et l'épée 1"
La gue~
(12) ADAM, 2R24179.
des garnisons
Quand les élu du comté eurent connaissance des projets que le ministère de la Guerre entrevoyait pour le département, ils tentèrent par t utes les voies possibles de se faire attribuer une formation militaire, ayant parfois recours à des arguments qui dénotent une onnaissance des problèmes stratégiques et de l'histoire locale qui ne manque pas de surprendre. Ainsi Cachiar y de Montfleury le maire de Breil-sur-Roya, petit village fr ntalier qui a pu bénéficier durant l'été 1882 d'une compagnie du 24e BCP, écrit-il en ces termes au ministre de la Guerre : "La 3e Compagnie du 24e Bataillon de chasseurs à pied est à Breil depuis le 17 avril dernier, et je puis dire, sans exagération, que jamais corps de troupe n'a été mieux reçu et n'a vécu en meilleure intelligence avec une population bourgeoise ''. Il sollicite le maintien de cette unité toute l'année, en exposant toutes les raisons qui militent en faveur de cette permanence: "C'est, quoiqu'on en puisse dire, un élément civilisateur que, pour ma part, je souhaite de voir le plus longtemps possible en contact avec la population de nos montagnes, afn de compléter l'œuvre de' l'administration civile; c'est-à-dire, leur union parfaite et indispensable avec la grande patrie française". Et s'il admet q e cette unité, trop avancée, est "à peu près inutile pour la défense réelle de l'extrême frontière qu'elle occupe, forcée qu'elle serait, en cas de complication avec l'Italie, de se replie,' immédiatement sur la vraie ligne de défense ... ". il n'en reste pas moins que cette position lui permettrait d'approfondir "l'étude de cette partie des Alpes, aussi pénible qu'intéressante, au point de vue militaire des événements qui s'y sont produits ... lors de la campagne de 1792 à 1798". Et de livrer c tte surprenante conclusion : "les lignes de défense des Alpes sont aussi impénétrables pour la France que pour l'Italie, en temps ordinaire, et (. ..) ce n'est que pendant l' hiver qu'on peut espérer de laforcer par-suçprisè. Or, depuis la création de ses compagnies alpines, l'Italie commet l'erreur de les retirer des garnisons montagneuses à l'approche de l'hiver de sorte que, le" cas échéant, ces troupes ne se trouveraient n llement préparées pour une campagne d'hiver complètement différente d'une campagne d'été ... il Y aurait un avantage réel à devancer l'Italie sur ce point, et à familiariser les troupes avec les obstacles qu'elles peuvent être appelées à vaincre" (12). Devançant de plusieurs années la pensée stratégique du général baron erge, commandant de l'armée des Alpes, les propos de ce modeste notable, qui n'obtiendra malheureusement pas gain de cause, démontrent que la réflexion sur les problèmes de défense n'est pas interdite aux élus du peuple. Autre municipalité à faire le "forcing" pour obtenir une garnison, celle de Grasse. Dès 1881, elle adresse au préfet une requête qu'elle renouvelle l'année suivante. En 1883, le souspréfet de Grasse se fait l'interprète des édiles: "Seulement cette fois-ci, le Conseil municipal ne s'est pas contenté d'un simple
Défilé des chasseurs sur la Promenade
des Anglais, devant le Casino de la Jetée.
vœu. .. il offre à l'État de construire aux frais de la ville une caserne pour un bataillon. .. L'avant-projet est prêt, la dépense serait d'environ 100 000 francs, somme qui n'est pas hors de proportion avec les ressources de la ille" (13). Grasse obtiendra satisfaction avec l'installation en 1890 du 23e BCA. Avant cette date, une véritable campagne e presse avait été organisée à l'adresse du rninistre de Freycinet, alors que l'implantation d'une garnison à Grasse était en balance avec d'autres hypothèses : "On accusa le préfet de mettre peu d'empressement dans la transmission du d ssier de candidature, justement pour réduire les' chances e Grasse au seul profit de l'arrondissement de Nice. La "COI édie garnisons", comme l'appelait "Le Mentonnais" du 23 juin, menaçait de dégénérer en une lutte acharnée entre les villes prétendantes ... " (14) Le 27 mai 1882, c'est la ville de Sosp 1 qui réclame le maintien pendant l'hiver de la compagnie e chasseurs qui y stationne l'été. Le 6e BCA finira par y conserver un détachement permanent. Et Menton, menacé d'un transfert de "son 27e BCA n à Villefranche, s'émeut bruyamment: "Si l'on nous enlève notre 27e Chasseurs, plus de fanfare, plus d'état-major. Et beaucoup d'étrangers nous quitteront, rien que pou ce motif 1- . Mais les cités niçoises ne sont pas prêtes pour autant à accueillir n'importe qu'elle formation. Ainsi les édile anno' saisissent-ils le ministre, sous couvert du préfet. on projet d'installation des "Bat'd'Af' ''. le ba . disciplinaires, sur l'île Sainte-Marguen te _ . 23 juillet 1896). On réclame du soldat, mais pas n'importe lequel.
(13) ADAM, 2R24179.
(14) Michel Bo . ,
. p.107.
Naturellement, le patriotisme et le sens de l'intérêt national n'étaient pas le seuls ressorts de cette "guerre des garnisons". Ainsi apprend- n par une correspondance du ministère de l'Intérieur au remier bureau de la préfecture, en date du 29 juin 1881, qi e "la consommation individuelle en viande de boucherie est certainement bien plus considérable pour les troupes que pour l'élément civil" (16). Or, ces entrées de viandes représentent plus de la moitié du revenu de l'octroi d'Antibes, ce q i explique que la municipalité ne rechignait pas à acquitter ~.l'armée le paiement de frais de casernement, sur la base forfaitaire annuelle de 5 à 6 francs par homme.
La monta ne: un vaste c mp de manœuvres Général baron Berge
Les postes d'altitude Dès sa prise de fonction comme corrunandant du XIVe corps en 1889, le général baron Berge décide de faire occuper sans interruption toute l'année les forts frontaliers des Alpes, dont la batterie de Viraysse à 2 772 mètres, au nord du col de Larche. TI ordonne aussi la construction de postes d'altitude au plus près de la frontière, gardés par des détachements de chasseurs pendant la période hivernale. Sont ainsi réalisés les baraquements des Chapieux, Séloges, la Redoute Ruinée en Tarentaise, de la Turra, du col de Sollières (2 660 m) et du Fréjus en Maurienne, du camp des Rochilles et des Acles en Briançonnais, du col Agnel en Queyras, des Fourches sous le Restefond, ou de I'Authion dans les Alpes-Maritimes.
La manne éc nomique représentée par les garnisons permanentes pe dait de sa substance l'été, car l'essentiel de la population militaire partait pour le haut pays. Les quartiers d'été duraient de juin à septembre, et chaque bataillon manœuvrait le lus souvent dans sa zone de responsabilité : Haute-Tinée pour le 23e BCA, vallée de la Roya pour le 24e, Authion pour 1 6e, Mentonnais pour le 27e, Vésubie pour le T". Chaque bataillon se constituait en groupe alpin, emportant sa batterie d'artillerie de montagne et son détachement du génie. "Au total, c'étaient plus de 6000 hommes qui se répandaient dans la montagne niçoise et la sillonnaient en tous sens jusqu'à la fin de l'été. Accueillis avec chaleur par les populations, ces soldats allaient rompre pendant quatre mois avec la routine de la vie de garnison. La montagne devenait pendant l'été n champ de manœuvres permanent" (17). Le service du gnie a fait édifier plusieurs baraquements d'altitude pour loger la troupe pendant l'estivage: Peira-Cava en 1883 pour le 24, puis à partir de l'implantation des BCA, Turini, col de Braus, col de Brouis, granges de la Brasque, col des Fourches, :;01 des Champs, Mont AgeL Mais il s'en fallait de beaucoup que ces cantonnements suffisent à héberger cette masse d'hommes; aussi a-t-on recours le plus souvent au logement chez l'habitant. Toute une littérature a relaté cet estivage bon enfànt, et l'accueil fait aux chasseurs. Ainsi, à l'Escarène, sur la route du col de Braus à la fr ntière, Roge~ Lacan raconte-t-il ses souvenirs
Ces interminables hivernages, ponctués de missions de reconnaissance, de liaisons de ravitaillement et de travaux d' entretien, sont l'occasion de parfaire la connaissance de ce milieu hostile. Les batteries montées à Roquebillière.
d'enfance : "Comme l'hirondelle annonçait le printemps, le garde municipal. .. faisait le tour du village pour distribuer les billets de logement chez les particuliers: les chambres chez l'habitant étaient réservées aux sous-officiers. Et cela faisait ainsi une petite rentrée d'argent chez les villageois qui vivaient en autarcie à peu près complète" (18). En effet, pour les ruraux du haut pa) s, soumis à une économie de subsistance, outre la distraction qui procurait l'arrivée des fringants alpins, les indemnités de séjour représentaient un appoint des plus substantiels: 1 franc par jour pour un officier, 50 centimes pour un sous-officier, 10 centimes pour un soldat, 5 centimes pour un cheval. Si le cantonnement se prolongeait, l'opération devenait fructueuse. Aussi nombre d'habitants aménageaient-ils des pièces en vue d'y abriter des militaires, souvent selon des normes de confort auxquelles eux-mêmes ne pouvaient prétendre : 'La présence des troupes a métamorphosé la notion du confortable dans maints hameaux" (19). Mais aussi l'arrivée des chasseurs générait-elle toute une économie improvisée: " ... partout où peut passer un Alpin avec un mulet, le mercanti arrive avec les provisions de bouche. Les artilleurs n'auront pas encore dëbâte leurs animaux et monté leurs petits canons pour constituer le parc et déjà le mercanti, gras, fleuri, aura fait un étalage alléchant : saucisson et fromage, pain blanc, raisins, pêches et melons, tomates, aubergines, haricots verts, piments, concombres, tout ce qui peut rapidement frire, rissoler Olt accompagner le mouton de l'intendance. Non loin, un autre industriel s'installe: quelques piquets et des clous fichés dans les murailles d'une maison lui permettent de dresser une tente forte de grosse toile ou de vieux sacs; il a hissé à ces hauteurs, sur des mulets, des tables et des bancs; entre quatre pierres il fera bouillir l'eau destinée à une gigantesque cafetière; sur un banc s'aligne l'armée innombrable des apéritifs inventés par les liquoristes du Midi, trônant autour de la reine Absinthe... Dans ce café une partie spéciale est réservée aux officiers. L'établissement est naturellement le centre de la vie au cantonnement. Fourriers et sergents-majors y viennent aux ordres; on va y chercher les officiers pour les communications. Le tableau est presque partout le même 1" (20) Et l'image que propagent, à leur insu, les Alpins, celle de la rigueur dans l'instruction, de l'accent porté sur l'entraînement physique, mais aussi de l'absence de formalisme, de la convivialité, et de l'exemplarité nécessaire des cadres qui montrent le chemin, revêt aux yeux des locaux une connotation très positive, et l'armée, l'ure des plus hautes institutions de la République, se révèle ici sous un jour particulièrement avantageux.
Des soldats bâtisseurs L'estivage des alpins dans le haut pays a une autre conséquence, l'ouverture d'immenses chantiers auxquels est consacrée une grande partie des manœuvres. Au moment du rattachement de 1860, les Alnes-Maritimes son certainement l'un des départements les plus arriérés en
(16) ADAM. 2,'''''(17) Michel
-. p.109.
(18) Roger Lacan. "Chasseurs à l'Escarène, in : 1.ou Sourgentin", le magazine du pays niçois, n° 96, avril 1991.
(19) Henri Duhamel, "Au pays des Alpins", Grenoble, 1899 ; p. 30.
(20) Ardoin-Dumazet, p.342.
op. cit.
La grande route
des Alpes On reconnaît aux troupes de montagne un rôle important dans le désenclavement des hautes vallées alpines, avec notamment la construction, étalée sur une trentaine d'années, de la Grande route des Alpes. Il s'agit en effet pour l'état-major de disposer d'une rocade à grand gabarit permettant de basculer des forces d'une vallée à l'autre en fonction de la menace adverse. Du sud au nord on ouvre en 1891 la route du col d'Allos, doublée en 1913 par celle de la Cayolle; en 1898 c'est le col de Vars qui est rendu carrossable; pour diminuer sa vulnérabilité on le flanque à l'ouest du tunnel du Parpaillon à plus de 2 700 mètres d'altitude. En 1894, la route de l'Izoard est livrée au trafic, tandis que trois années auparavant, le tunnel du Galibier avait permis la liaison entre Romanche et Maurienne. Parallèlement sont entreprises les premières études pour la route de l'Iseran.
matière de communication, et il avait fallu attendre l'invasion de 1792 pour qu'un pont, enfin, franchisse le Var. "Nous savons, 'après les témoignages les plus certains et les plus concorda ts, qu'au début du siècle dernier, les AlpesMaritimes avaient conservé un système de communications tout à fait archaïque, réduit à ses éléments les plus simples: des sentiers de montagne, conçus et entretenus en vue de besoins locaux, uniquement accessibles aux piétons et aux bêtes de somme, et qui ne pouvaient se prêter qu'à grande peine à un trafic normal et étendu" (21). Or, la mise en défense du département requiert de pouvoir transporter rapidement troupe et charroi vers tout point menacé. Il s'agit notamment de rendre carrossable la "Grande rocade alpine" définie par le général baron Berge laquelle, par la Cayolle, Allos, Vars, Parpaillon, Izoard, Galibier et Iseran, devrait permette de rejouer sur une toute autre échelle les "navettes" de Berwick. Afin d'économiser les deniers de la République, on écide que la Main d'œuvre militaire (MOM) fournira une partie du personnel des chantiers.
C'est à la main d'œuvre et au génie de l'armée des Alpes gu' on doit donc l'essentiel de cette grande voie touristique.
(21) L. Imbert, "La route de Nice au Piémont du XI!" au Xlxe siècle" ; in : Nice historique, 1938.
Ouverture du tunnel du Parpaillon à 2 700 mètres d'altitude.
La route national 210, d'Entrevaux à Barcelonnette, sera l'une de ces grandes réalisations. Elle présente pour nos stratèges un intérêt évident, puisqu'elle a surera, par ne vallée éloignée de la ligne de résistance, une liaison rapid et sûr entre la XVe et la XIVe Région militaire. Le 26 janvier 1 94, une conférence mixte entre le chef de Génie et l'ingé ieur des Ponts et Chaussées définit le tracé de la route et la répartition des charges. On apprend ainsi que ce tracé, pour la partie sornmitale du moins, "est fait dans les conditions les plus économiques en évitant autant que possible les ouvrages d'art, ce qui permet d'en confier l'exécution presque entière à la main d'œuvre militaire" (22). Bien, d'autres routes sont réalisées par la MOM, notamment tout le réseau stratégique tracé autour de la position-clé de l'Authion, à partir des Mille-Fourches ver Colla-Bassa et vers le col de la Gonelle, la route du col de' Champs, entre le haut- Var et le Verdon, la route de Colmars à Aspremont; si l'on ajoute la construction des cantonne ents d'altitude, au Tournaïret, à Turini, Cabanes-Vieilles, col de Brouis, camp des Fourches, camp d'Argent, on conçoit que os Alpins aient été bien employés.
Le poste de Plan-Caval
(hiver 190::'-1904).
"On comprend qu'on ne trouve guere de traces de mécontentement. L'armée est trop étroitement unie au pays, un pays qu'au demeurant elle finit par bien connaître et dont elle contribue année après année à améliorer le réseau de communications, élargissant un chemin ou réparant son empierrement entre deux exercices. Qui sorgerait à se plaindre d'une armée qui travaille, paye, indemni: e ses dégâts, et en prime régale les populations de ses airs de fanfare ... " (23).
Le chemin des cœurs Mais au-delà des considérations économiq es, le mérite le plus éminent des Alpins est d'être parvenu à se faire adopter et servir de référence à des populations ba11cttées par l'hi toire. aux particularismes marqués, et instinctivement défiante vis-à-vis de l'ordre établi et des institutions de l'État Le rituel fascinant de ces sociétés militai es, la prestance et l'efficience de ces unités d'élite, leur capaci é d'adaptation. leur respect des populations frontalières, leur sens du en; e e ?f\
(22) ADAM, Fonds Travaux publics, 3051.
Le poste d'altitude des Granges de la Brasque (hiver 1902).
(23) Michel Botf
op. ciL p. 111.
de la collectivité leur assurent une place à part dans l'imaginaire populaire. Les témoignages abondent de cette symbiose si exemplaire : "E en avant! touta la rafatàia, lu enfant dou vitage, partiavan entousiast au rescontre dei (24) Carletou, "Lou Sourgentin" chas sus !" (24/ n° 94, P 32 : "Et en avant! Toute la Toute une gén 'ration a vécue ainsi dans cette communion et marmaille, les enfants du village, cette concord avec ses défenseurs. Les "chapatouns" nous partions enthousiastes au devant des chasseurs alpins". (garnements) d s villages s'émerveillaient du spectacle haut en couleur des -nanœuvres alpines: "Ils étaient là, le long de la route au mil.eu d'un nuage de poussière, suant, soufflant, se soulageant e leur barda, fusils rassemblés en faisceaux, sacs à dos posés au sol, le fameux sac carré entouré de la pèlerine roulée avec bouteillons et gamelles plaqués autour, les bidons métalliques de deux litres à deux goulots, les innombrables musettes ... Et puis l'on allait rentrer dans le village qui servirait pour une ou deux nuits de cantonnement; et il fallait étaler le prestige des Diables bleus auprès des jeunes villageoises, qui prudemment et discrètement, jetteraient un regard au 'Tavers des jalousies, les volets à lamelles (25) Roger Lacan, op. cil. soigneusement aissés à moitié" (25). Sur les basque' des chasseurs, les gamins observent avec intérêt l'organi ation du cantonnement; et se précipitent vers le bidon vide tendu par un soldat qui réclame, moyennent dix centimes, du "pinard bon et pas cher". "Et le lendem iin, les yeux pleins de sommeil, nous nous retrouvions dans notre village de vacances où le rêve "bleu-jonquille " les couleurs des chasseurs alpins, s'étaient évanoui: Pendant quelques heures ces jeunes hommes avaient bouleversé la routine quotidienne du village qui reprenait, rythmé par le pas lent des -ânes et le chant des coqs" (25). Rarement troup ne suscita un tel engouement et une telle popularité. Au p int que se développe sur la Côte tout un réseau d'entraide et de soutien, notamment destiné aux chasseurs isolés l'hiver dans les postes d'altitude. Dans un livre paru en 1905, Théodore Valentin raconte ainsi le Noël de 1904 à Peira-Cava: "<tl'occasion de lafête de Noël nos chasseurs La montagne est pleine de périls ont réveillonné avec ce bel entrain qu'ils savent retrouver au (ascension région du Caire-Gros). bon moment. L'ordinaire de nos Alpins, dont ils ne se plaignent jamais, avait changé du tout au tout", par la grâce surtout d'un éleveur de dindes qui les avait abondamment pourvus. Le bulletin paroissial de Lucéram, dans son numéro de mars 1905, évoque aussi ces festivités: "Nos Alpins de Peira-Cava n'ont pas à se plaindre, on les soigne comme jamais soldat n'a été soigné ... Nous souhaitons que la maison du soldat de Nice leur distribue des jeux et des livres avec lesquels, durant les longues heures de l'hiver alpin, ils oublient un peu la monotonie, la tristesse, et le danger de leur La fanfare prépare son aubade au village. existence. "
MO TGENÈVRE 1907 Premier concours international de ski
Le saut, discipline reine du concours.
Arc de triomphe avec la devise du CAF.
3888. Sports Il'/uver à PEfj(Yl-O'I'J/Y!
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Les al ins précurseurs du s . en France Le ski, pra .iqué depuis l'antiquité par les populati nordiques (le roi scandinave Svère possédait au Xlfl" iècle un orps de skieurs mi .taires), ne pénètre les Alpes qu' à l'e: trême fin du XfX" siècle, sous l'impulsion de mouvemen rtifs, Club alpin français d'Henri Duhamel, Rocher Club d'Ernest Thérant, mais surt ut à l'instigation de militaires couvain de l'intérêt tactiqu de cet accessoire. En 1897 le lieutenant Widmann, du 28e BCA de Barcelonnette, rédige le premier rapport sur l'utilisation militaire du ski. En 1902, le capitaine Clerc démontre dans un document célèbre l'évidente supériorité du ski sur la raquette. Son action reçoit la caution de l'état-major qui décide de la création. à Briançon, de la première "École normale de ski" en 1904. Elle sera successivement dirigée par les capitaines Bernard et Rivas. auquel on doit le premier manuel technique du ski, ain i que le premier atelier de fabrication au 15ge RIA en 1906. TI sera également l' ar ent propagandiste du ski : « Soyez le,' apôtres du ski dans vos villages, montrez à vos amis le parti que vous êtes capables de tirer de ce moyen de locomotion; formez des élèves ... » L'armée discerne tout l'intérêt qu'elle trouverait à favoriser la propagaticn de cette pratique; ainsi que l'écrit Duhamel« maintenant, c est dans la population civile qu'elle cherche à répandre le ski car ... cette diffusion constitue le seul moyen efficace de préparer les quelques milliers de skieurs militaires qui seraient nécessaires à nos troupes de couverture dans une campagne d'hiver ». En 1907, les recrues sont ainsi autorisées à rentrer ch z elles avec leur matériel pour en promouvoir et répandre l'usage, tandis que de nombreuses paires de skis sont distribuée' gratuitement aux guides, gardes-forestiers, chefs cantonnie-s, instituteurs, et autres "relais d'opinion". Les besoins des troupes alpines sont donc, dans une large mesure, à l'origine de la démocratisation du ski.
'Environs Ife 9{jce [alt. 1500 mJ.
Sur le thème: "Un siècle de ski ou les pistes de la mémoire", édité en 1996 est entièrement consacré au ski cvit et militaire. (Disponible
le numéro 4 des gCahiersn• au Musée des Troupes de montagne)
(26) Michel Bottin, op. cit., p. 111-
112.
27) l'historiographie des Alpins s'est, curieusement, rendue coupable de complicité, au moins par omission. Ainsi Henri Duhamel, dans "Au pays des Alpins", consacre la quasi-totalité de son ouvrage aux sept groupes alpins du XIve Corps, et seulement trois oages aux cinq groupes alpins du xve Corps.
Réparation de la ligne téléphonique de l'Authion.
Dans chaque village, on veut sa fanfare et son détachement de chasseurs pour r ehausser l'éclat de la fête patronale. Les Alpins prennent part à l'organisation des batailles de fleurs, et le général Lescan se remémorait le spectacle d'une compagnie, assise en rond dans la cour du quartier, occupée à lier les petits bouquets destinés à cette manifestation. Et même le carnaval de Nice ne pouvait plus se concevoir sans les chasseurs. Sur ces terres arides de la montagne niçoise, que les Alpins ont si profondé ent marqué de leur empreinte, l'armée, "en devenant familière, en partageant la vie des ruraux, a fait pénétrer l'idéal patriotique auprès de populations jusque-là indifférentes". Ion ne peut que) mesurer à sa juste valeur l'omniprésence militaire dans le département et ses conséquences sur la rapide intégration de la partie rattachée en 1860" (26). Cette assimilati n si parfaitement achevée, sans doute est-elle en partie à l'origine de la césure culturelle, aux relents parfois ségrégationnist s, qui a longtemps opposé alpins du Nord et alpins du Sud placides et robustes Savoyards, austères Dauphinois, aux populations hâbleuses, aux fidélités incertaines, et a courage parfois défaillant, au sein desquelles se recrutaient les "bataillons des fleurs." (27). Ce procès, qui prit une dimen ion nationale lors de la polémique sur le XVe Corps en 1914, est doublement injuste: - D'abord parce que le recrutement était loin d'être aussi régional qu'on ne li-nagine ; - Ensuite parce que l'attitude au feu des alpins méditerranéens pendant la Grande Guerre n'a rien à envier à celle du XIve Corps. Dans l' ffensive meurtrière et inepte de la ne Armée, du 20 au 22 aout 1914, sur la 'ligne Morhange-Sarrebourg, le XVe Corps lancé, sans appui d'artillerie, sur des positions inexpugnables, a perdu la moitié de ses effectifs. On ne put reconstitu er que 17 des 28 bataillons composant l'infanterie du corps d'armée, et les quatre bataillons de chasseurs engagés (6,23,24,27) perdirent en deux journées 3 400 hommes 'ur 6 800.
Les 6e et 27e BCA, deux bataillons niçois, reçurent la fourragère aux couleurs de la Légion d' honneur, le premier ayant compté pendant le conflit 44 officiers, 139 sous-officiers et 1 227 caporaux et chasseurs tués, soit une fois et demi son effectif initial. Le 24e BCA de Villefranche et son bataillon dérivé, le 64, furent cités 15 fois, et perdirent 85 officiers, 156 sous-officiers, 2586 chasseurs, et plus de 6000 blessés. Non, le xve Corps n'a pas démérité, et les Azuréens ont payé le prix fort pour que le prestige de ses bataillons ne soit entaché d'aucune arrière-pensée. A l'he.ire où la totalité des formations alpines atteint. en effectif, à peine la moitié de la population militaire du comté d'avant 19 4, interrogeons-nous légitimement sur les moyens de substitution à cette formidable machine à intégrer que fut l'armée de la me République.
Lieutenant-colonel
Jean-Pierre Martin
L'auteur dédie cette étude à son grand-père Jacques Martin, capitaine au 6e Bataillon de Chasseurs alpins, mort pour la France le 29 septembre 1914 à Avocourt (Meuse).
Les 6e et 27e BCA, deux bataillons niçois, reçurent la fourragère aux couleurs de la Légion d'honneur, le premier ayant compté pendant le conflit 44 offici rs, 139 sous-officiers et 1 227 caporaux et chas eur tués, soit une fois et demi son effectif initial. Le 24e BCA de Villefranche et son bataillon dérivé, le 64, furent cités 15 fois, et per 'rent 85 officiers, 156 sous-officiers, 2586 chas eurs, et pl de 6000 blessés. e on, le XV Corps n'a pas démérité, et les Azuréens ont payé le prix fort pour que le prestige de s s bataillons ne soit entaché d'aucune arrière-pen ée. A l'he re où la totalité des formations alpines atteint, en effectif, à peine la moitié de la population militaire du comté d'avant 19 4, interrogeons-nous légitimement sur le moyens de substitution à cette formidable machine à intégrer que fut l'armée d la République.
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Lieutenant-colonel
J an-Pierre Martin
L'auteur dédie cette étude à son grand-père Jacques Martin, capitaine au 6e Bataillon de Chasseurs alpins, mort pour la France le 29 septembre 1914 à Avocourt (Meuse).