Lieutenant-colonel
Jacques Ardisson 129
"Nul ne crains" Avec le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins Guerre 1939 - 1945 Témoignages Nice - Août 1994
Analyse des témoignages Écriture : 1940 - 110 pages POSTFACE de Michel EL BAZE Le Chef de Bataillon Jacques Ardisson a signé le 1er Octobre 1940 le Journal de Marche du 22e Bataillon de Chasseurs Alpins qui est ici publié à la suite du récit plus détaillé qu'il fait de l'engagement de son unité du 10 Mai au 2 Juin de cette même année. Mais le document qui sera très apprécié des chercheurs est sans aucun doute l'historique que l'Adjudant Chef Jean-Marie Buquet a pu réaliser grâce à la passion qu'il a mise à interroger et à transcrire les relations des témoins dont il donne le liste dans la préface de cet ouvrage. Il apporte ainsi sa contribution capitale à la sauvegarde de la mémoire de ceux qui appartinrent au Bataillon de Nice. PRÉFACE DE L'ADJUDANT CHEF JEAN-MARIE BUQUET Dans une lettre, adressée en avril 1951 au Chef de Bataillon Eugène des Touches, qui venait de prendre le commandement du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins, nouvellement reconstitué, le Général de Corps d'Armée Lafont, qui avait commandé le bataillon d'avril 1916 à Juillet 1917, écrivait : "Je pense qu'au cours de la guerre de 1914-1918 sa caractéristique a été "la modestie" dans le devoir accompli avec le maximum de courage et de dévouement. "
C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture des notes et souvenirs de Mai et Juin 1940, des combattants méconnus du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins. Leur message se résume ainsi : "Nous ne sommes pas des héros. Nous avons simplement fait, le mieux possible, ce que nous devions faire, là où nous avions été placés." C'est à cette modestie que veulent, après tant d'années de silence, rendre justice ces quelques pages que les Croix de Guerre de Nice ont accepté, avec enthousiasme, de publier dans leur collection de témoignages sur les guerres du XXe siècle. Que soient ici remerciés ceux et celles qui m'ont apporté la matière première de ce récit, que ce soit sous forme de rapports, de journaux de marche, de carnets de notes, de souvenirs, même partiels et parfois imprécis, mais qui permettaient de précieux recoupements, ou de photos. Le Lieutenant-Colonel Ardisson, avec lequel je me suis longuement entretenu, m'a communiqué les rapports qu'il avait établis aussitôt la fin des combats. Je lui dois également d'avoir connu le texte des citations des gradés et chasseurs du bataillon, ce qui m'a permis de situer leur action personnelle dans la chronologie de la bataille. Madame Griolet m'a fort aimablement confié les documents hérités de son époux : le rapport rédigé par le Chef de Bataillon Désidéri, commandant la 26ème Demi-Brigade, ainsi qu'un brouillon de rapport du Capitaine Griolet sur la période du 11 au 10 Juin, pendant laquelle il commandait le 22ème B.C.A. Ces deux documents ont été rédigés au cours des premiers jours de captivité, passés au camp de Mailly. Le Lieutenant Jacques Minot, qui commandait la 3ème Compagnie, a bien voulu corriger et préciser les passages mettant en cause l'action de la 3ème Compagnie ou la sienne propre. Le Sergent-chef Bassecourt, nommé par son chef de section, le Sous-Lieutenant Escande, "historiographe de la 1ère Section de la 3ème Compagnie, a mis à jour leurs souvenirs communs. Le Sous-Lieutenant Merpillat, chef de section à la 2ème Compagnie, m'a offert son journal de marche et celui du Sous-Lieutenant Beau. Le Sergent Michel Rodde m'a donné la copie de son carnet de notes. Le Sergent-Chef Leruth et le Sergent Dory, moins prolixes, mais tout aussi précis, leur "Chronologie" des événements de mai et juin 1940. Madame Lajous et Madame Pacaud ont retrouvé pour moi dans les souvenirs de leurs époux, les notes qui ont permis de préciser certains événements. Le Sergent-Chef Lantheaume et le Sergent-Chef Le Commandeur, tous deux de la 1ère Compagnie, ont fait de même, bien que prétextant un manque de mémoire après tant d'années... André Meng, chef-comptable de la 2ème Compagnie, m'a relaté les pérégrinations de l'errance du Train Régimentaire du bataillon, de Lhéry jusqu'à Millau. Mesdames Griolet et Lajous, Merpillat, Penchenat, Minot, Dory et Truchon, ont fourni les photos qui illustrent ce récit, dont Maurice Leruth a établi la remarquable cartographie.
Table Préface 7 Concentration d'une division sur l'Aisne
- Défense d'une coupure par un bataillon de chasseurs 9 La défense du canal de l'Oise 12 Étude du terrain, mission et ordre de défense du quartier de Soupir 12 Conclusion 16
Journal de Marche du 22ème B.C.A. 17 Débarquement à Vitry la Ville et étape sur Châlons sur Marne 18 Engagement du bataillon sur le canal de l'Oise à l'Aisne 19 Organisation de la position 19 Arrivée de l'ennemi sur le Chemin des Dames - Prises de contact 20 Relève par la demi-brigade de chasseurs de la 28ème D.I. 21 Le 22ème B.C.A. passe en deuxième ligne. 21 Les Allemands passent l' Aisne 21 L'ennemi attaque nos positions en arrière de l'Aisne 22 Attaque de la crête nord de Bazoche par l'ennemi 22 Attaque de Fismes par l'ennemi - 10 Juin 23 Retraite sur la Marne et sur la Seine 24
Adjudant-Chef Jean-Marie Buquet Historique du 22e Bataillon de Chasseurs Alpins 25
1939 27 Secteur des Alpes maritimes 27 1940 32 Troyes 33 L'Alsace 34 L'Aisne 37 Paars - Courcelles - Bazoches 53 Fismes 62 La Marne 69 La fin 84
La mémoire La mémoire : seul bagage incessible Jacques ATTALI
CONCENTRATION D'UNE DIVISION SUR L'AISNE DEFENSE D'UNE COUPURE PAR UN BATAILLON DE CHASSEURS
Dans la deuxième moitié du mois de Mai 1940, le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins a eu la mission de défendre le canal de l'Oise à l'Aisne, entre Braye en Laonois et Bourg et Comin. Le 2 Juin, il a été relevé dans sa mission par une partie des 27ème et 47ème B.C.A.; ce n'est donc pas sur les bords du canal qu'il a été engagé au cours de la bataille de l'Aisne. Je ne parlerai que de la défense du canal, avant la relève du Bataillon; c'est la période où l'ennemi prend le contact sur ce point; faisant effort dans le Nord, pour régler le sort de notre armée de Belgique. Il n'a pas encore déclenché sa grande offensive vers le Sud et nos moyens de défense peuvent équilibrer ses moyens d'attaque. Par la suite au contraire, les événements se sont déroulés avec une telle rapidité, les grandes et petites unités étaient à un tel point désorganisées, les fronts avaient une telle ampleur que, malgré les efforts déployés par le commandement à tous les échelons, la bataille défensive fut difficilement conduite et le combat dégénérait vite en actions défensives sporadiques, plus ou moins énergiques, suivant la valeur des commandants de compagnies ou plutôt même des chefs de sections et il est difficile de faire une
analyse de l'évolution de la situation. Par contre, je parlerai du départ d'Alsace du Bataillon et de la concentration de la Division à l'Ouest de Reims, il y a des enseignements pratiques à mettre en lumière et surtout, il est possible par ce cas concret, de se rendre compte de l'un des rôles qu'a joué l'aviation allemande dans la conduite de la guerre par l'ennemi. L'infanterie de la 44ème division à laquelle appartenait le Bataillon comprenait la 26ème 1/2 Brigade (22ème Bataillon d'Active, 62ème et 64ème Bataillon de Formation), le 173ème Régiment d'Infanterie Alpine d'Active, et un régiment d'Infanterie de formation, le 6ème R. I. La 26ème Brigade et le 173ème étaient du type alpin, seul le 6ème R. I. était du type Nord-Est. Le IO Mai, la Division était en cantonnement en Basse Alsace, elle était employée à des travaux d'organisation d'une bretelle, au Nord de la forêt de Haguenau. La demi-brigade doit s'embarquer à Merzwiller. Le Bataillon est reparti en deux trains. Dans le premier doit se trouver l'État-major, deux compagnies et demie de fusiliers voltigeurs, une partie de la C. A. et une partie de la Compagnie Hors rangs. L'embarquement qui devait avoir lieu de nuit, ne se fit que dans l'après-midi suivant par suite du retard des trains. Le règlement sur les embarquements en chemin de fer prévoit que le quai doit rester entièrement libre et vide avant un embarquement; la troupe doit attendre dans un emplacement abrité. Lorsque le train est en gare, la reconnaissance est faite, le matériel acheminé et chargé, les animaux sont embarqués et ensuite seulement, la troupe, fractionnée à l'avance, s'approche, s'embarque et le train doit partir. Si tout est organisé et si la troupe est dressée, l'opération doit être rapidement terminée et une attaque aérienne provoquée par la visite d'un avion ennemi de reconnaissance a les plus grandes chances d'être trop tardive. Pour toutes les unités de la demi-brigade, le tonnage en véhicules autos
était bien inférieur au tonnage réglementaire, et il avait été prêté des moyens de transports supplémentaires. Mais ces moyens devaient alléger successivement plusieurs unités et il n'étaient prêtés que pour un temps très limité. Force fut donc de faire déposer sur le quai le supplément de tonnage Comme le retard des trains dépassa toutes les prévisions, et que les camions durent être libérés, l'excédent de bagages devant être chargé sur les sept trains de la demi-brigade se trouva entièrement rassemblé sur le quai Aussi, malgré les précautions prises par la troupe pour se rendre à la gare, un avion de reconnaissance ennemi passé vers le début de l'après-midi ne manqua pas de voir un tel amas de bagages et le personnel chargé de la garde. L'attaque se produisit. Elle fut menée par quatre chasseurs, qui, pendant 20 minutes balayèrent le train et ses abords. Le matériel était chargé, les animaux avaient presque terminé leur embarquement, la troupe était heureusement encore à son emplacement d'attente. Les muletiers ne pouvaient franchir la clôture avec leurs animaux, ils n'avaient donc qu'une solution à prendre, celle de continuer l'embarquement. C'est ce qu'ils firent, malgré les difficultés produites par les animaux devenus rétifs L'embarquement terminé, ils purent se mettre à l'abri. La D. C. A. active placée pour la défense du train comprenait : une section de mitrailleuses à l'avant, un groupe à l'arrière et six fusils-mitrailleurs répartis le long du train. Toutes ces armes tirèrent beaucoup ; peut-être y eut-il un résultat, car quatre avions avaient commencé l'attaque, et trois seulement la terminèrent, mais j'en doute. De notre côté, le bilan des pertes fut faible. Quatre camions en feu, dont deux furent éteints, un blessé grave et la locomotive percée comme une écumoire.
La demande à Hagueneau d'une nouvelle locomotive fit perdre encore trois heures car tous les fils avaient été coupés, probablement par la D. C. A. A la tombée de la nuit, le train partit enfin. La route fut longue et mouvementée, mais le convoi où se trouvait la portion principale du Bataillon ne fut plus directement inquiétée. La perturbation jetée par l'aviation allemande le long des voies ferrées était grande, les trains n'avançaient qu'au ralenti; j'ai compté plus de 10 trains à la suite, au passage de la Meuse. Près de Saint Dizier, un train de troupes anglaises avait été incendié, et il fallait utiliser les voies de garage pour doubler et reprendre la grande ligne. Il y a lieu en cours de transport d'observer une stricte discipline. Les wagons doivent être fermés, les hommes ne doivent pas être assis sur marche-pieds, le matériel doit être bâché, et, ce qui est le plus difficile à obtenir, les hommes ne doivent pas se répandre sur les voies pendant les arrêts. En un mot, rien ne doit différencier un train de troupe d'un train vide car l'ennemi ne pouvant frapper partout, choisit de préférence une proie intéressante Le point de première destination pour la division devait être Reims, en fait, deux trains seulement y parvinrent. L'État-major, le Général, une partie du G. R. D. et des services. Les autres furent arrêtés plus ou moins loin et le dernier, trois jours avant le premier. La 44ème Division était une des grandes unités qui devaient reformer un front défensif pour arrêter l'ennemi qui avait rompu nos lignes vers Sedan Mézières et qui avait forme une poche entre Laon et Rethel. Je dis former un front défensif et non pas renforcer une ligne, car si l'ennemi avait alors poussé dans cette direction, il n'aurait rien rencontré. Comme nous le verrons plus loin, le front imparti à la Division fut d'abord tenu par le G. R. D. incomplet, seul, renforcé peu à peu par des fractions de Bataillons qui arrivaient au comptegouttes. De plus, si les Divisions avaient pu arriver ensemble, il est probable que la ligne défensive choisie aurait été moins en arrière, la poche creusée par l'ennemi aurait été moins profonde et de ce fait, la densité défensive de notre front aurait été plus forte. Par ce cas concret, de la concentration d'une division retardée par les actions de l'aviation ennemie, on peut voir le rôle immense joué par cette arme dans la protection lointaine des offensives. Ce qui s'est passé pour la 44ème Division, s'est passé pour d'autres et il est indéniable qu'un adversaire qui a la maîtrise absolue de l'air comme les Allemands l'ont eue, à moins à craindre les réactions en retardant ou en faisant avorter même les parades. Le train contenant la portion principale du Bataillon fut arrêté à Vitry la Ville. Le débarquement se fit sans incidents à la tombée de la nuit. La circulation routière de Châlons alertée par téléphone donna l'ordre de rejoindre Reims par la route. Mais il y avait 80 kilomètres environ. Pendant que le Bataillon se repose et fait la soupe dans un bois, je me rends à Châlons en voiture de liaison. Châlons venait d'être bombardé, après une heure de recherche, je trouve un chef d'escadron du train, qui dormait dans une cave. Il n'était pas au courant de la situation, mais était très pessimiste et il avait reçu comme instruction de pousser vers Reims toutes les unités nouvelles qui se présenteraient, et par tous les moyens. Si je rentre dans tous ces détails, c'est pour bien mettre en lumière le désarroi qu'avait causé sur nos communications l'aviation allemande et montrer que dans ces conditions toute contre-offensive ou parade de notre part était difficile Le chef d'escadron me promit pour le lendemain matin des
camions pour enlever le bataillon. Je retourne à Vitry La Ville et le bataillon se met en route vers minuit pour aller à la rencontre des camions et gagner du temps. Le 62ème bataillon débarqué derrière nous à Vitry La Ville, n'ayant que des réservistes non entraînés et fatigués, ne pourra pas atteindre Châlons et prendra sur le bataillon, un retard de 24 heures. A Châlons, l'embarquement se fait en plein jour. Il y a lieu de signaler la parfaite discipline du train-auto dont les manoeuvre furent parfaitement exécutées Malheureusement, il n'y a que des cars et je me vois obligé d'abandonner les animaux. Les chasseurs chargent leurs poches de cartouches, les sacs sont abandonnés, on emporte quelques caisses de mortiers, on espère pouvoir faire suivre les animaux dans la journée. Il faut encore laisser des hommes pour le chargement des mulets et des sacs et le bataillon part avec la perspective d'avoir à combattre avec deux minutes à peine de feu et les deux tiers de son effectif. La Colonne se met en route sur Reims, je la précède en voiture de liaison. A Reims Ville personne ne peut me renseigner. Enfin à la gare, je trouve un officier de l'Étatmajor de la Division qui attendait les trains qui ne devaient plus arriver. Il m'indique le Poste de Commandement du Général, mais ne sait rien sur la situation. Je laisse un planton à Reims pour arrêter la colonne de cars et je me rends au P. C. du Général de Division. La situation est grave puisque l'ensemble du front de la Division n'est tenu depuis la veille au soir que par une partie seulement du G. R. de la Division et par un autre G. R., le G. R. 22 prêté par une Division voisine. Cependant, des éléments de reconnaissance amis, ayant poussé jusque vers la ligne Laon Rethel, n'ont remarqué aucun indice de pression dans notre Direction. Le Général estime qu'il n'y a pas lieu de précipiter le mouvement. Le Bataillon attendra donc ses animaux. Le débarquement se fait à Courlandon. Les équipages à Dhuysel, où ils doivent recevoir des ordres pour leur mise en place sur le canal. Il semble, par cet exemple, que nous n'avons pas utilisé avec assez d'audace nos moyens motorisés pendant cette guerre. Voilà un bataillon qui en est à sa cinquième nuit sans sommeil, qui a voyagé, qui a fait des étapes pénibles et qui aurait pu être conduit jusque sur ses positions par les cars, d'autant plus que l'ennemi n'est pas là et qui est déposé assez loin parce que le règlement sur les transports prévoit que les débarquements doivent se faire à quatorze kilomètres du front. J'ai vu par la suite, des camions allemands arriver à limite de défilement à deux kilomètres de nos armes automatiques, déposer leur chargement humain et faire demi-tour. C'était alors vraiment des troupes fraîches qui venaient à l'attaque. La défense du canal de l'Oise à l'Aisne A Dhuysel, un premier ordre est reçu. Une compagnie, une section de mitrailleuses et un canon de 37 doivent relever la fraction du G.R.D. de la Division qui tient l'axe Pont Arcy - Vieil Arcy. Après reconnaissance, ce groupement temporaire se met en place. Il a pour mission de tenir le pont-route sur le canal, les ponts sur l'Aisne et les deux villages. Les ponts sont solidement barricadés, des travaux de campagne sont commencés Le reste du Bataillon reçoit ensuite l'ordre de relever le G.R. 22 sur le canal de l'Oise à l'Aisne entre Braye en Laonnois exclu, et la compagnie du Bataillon déjà installée. L'ennemi n'étant pas encore là, la relève se fait sans incident, mais le front à tenir étant très grand, il faut se contenter de tenir les passages ainsi que quelques points d'appui en profondeur. Le 62ème B.C.A. qui arrive le lendemain, le 19 Mai, est
intégré dans le dispositif entre le Bataillon et le 99ème R.I. qui tient Braye en Laonnois. Le quartier de Soupir a donc maintenant sa composition définitive, celle qu'il aura lorsque les Allemands aborderont le canal. Étude du terrain, mission et ordre de défense du quartier de Soupir
Je vais dire quelques mots sur la situation défensive du quartier de Soupir, puis je traiterai par ordre chronologique l'arrivée et les renforcements successifs de l'ennemi, en notant au passage les incidents intéressants. Le terrain où va se dérouler l'action est le même que celui où s'est déroulée l'offensive allemande de Mai 1918, qui devait enfoncer notre front et conduire l'ennemi jusqu'à la Marne. La situation de notre position de 1918 était cependant meilleure; le Chemins des Dames couvert par le canal de l'Ailette était à nous. Cette fois-ci, le front est à cheval sur le Chemin des Dames dans le secteur de la Division à gauche et dans le quartier du Bataillon il est au pied et dominé de prés. Le canal de l'Ailette d'ailleurs était le bond suivant prévu pour la Division si, n'ayant pas été retardée, elle était arrivée à temps. La mission du Bataillon est de maintenir l'intégrité de la position dont la ligne principale de résistance est le canal lui-même et dans les limites qui lui sont imparties. Le printemps est déjà avancé, la végétation est abondante et les nuits sont très courtes. Du point de vue défensif de notre part, le terrain se présente de la manière suivante : Chez l'ennemi, le Chemin des Dames et ses deux promontoires du Tilleul et de la Côte I75, dominent tout le quartier. Trois gros villages peuvent servir de bases de départ. Le canal est un obstacle assez sérieux, il est bordé d'arbres et de taillis surtout dans le milieu. Sur le front du Bataillon, il est traversé par cinq ponts et quatre passerelles d'écluses. Il est en superstructure et domine de très près par les pentes de Moussy et de Courtonnes. De notre côté, le terrain monte à gauche vers la croupe nord de Soupir, mais il faut s'écarter du canal de plus d'un kilomètre pour arriver au niveau du sommet de la digue. Le haut des pentes et le sommet de la colline sont boisés. A droite, le sol est plat, mais coupé de taillis et de marigots. Entre la colline et le bois, une large plaine dénudée qui se termine par un goulet, verrouillé par le point d'appui nature de Soupir et du Parc du Château. La ligne principale de résistance étant le canal, c'est sur l'obstacle luimême que doit être placé le maximum des feux, mais comme la digue est en superstructure, la défense doit être installée sur la berge même. Tout ce qui est en arrière, ne peut battre que les débouchés du canal mais étant lui-même dominé et de très près par l'ennemi, il est à craindre que la défense ne puisse s'y maintenir et que de ce fait, l'obstacle perde toute sa valeur. Ce genre de coupure étroite et encaissée où les défenseurs sont obligés de se placer sur la berge même pour tirer sur l'eau, n'est pas rare, et il semble constituer une ligne principale de résistance difficile à défendre. L'ennemi voulant percer, accumule ses moyens, écrase la défense à ses pieds et l'obstacle, n'étant plus battu, n'en est plus un. Par contre, un obstacle de la sorte sers d'un secours précieux sur une ligne de résistance d'avant-postes, n'ayant pour mission que d'arrêter les éléments moyens de l'ennemi. Cette idée sera à la
base des événements qui vont suivre. Tant que le Bataillon occupera la position, l'ennemi ne disposera pas de très gros moyens et toutes ses tentatives pour s'octroyer des têtes de ponts resteront vaines, mais après la relève du Bataillon, lorsqu'il fera effort dans cette direction, la défense du canal sera submergée et l'obstacle sera passé sans difficultés. La conception de la défense du quartier est la suivante : 1 - Une ligne de feux continue sur l'obstacle, donnée par des armes automatiques placées sur la berge amie et pouvant intervenir sur le bas de pentes de la rive ennemie. 2 - En arrière, deux môles de résistance sont solidement tenus, la croupe Nord-Est de Soupir et le bois entre le canal et Pont Arcy. Ces deux môles recoupent leurs feux à travers la plaine en arrière du canal. 3 - Enfin, Soupir et le parc sont aménagés en réduits. Il y a trois sous-quartiers en ligne. Celui de droite tient les points d'appui de Pont Arcy et de Vieil Arcy imposés par le Commandement. La sûreté est assurée par deux postes de surveillance en I58 et en I75. Tous les ponts et les passerelles sont barricadés par des moyens de fortune, quelques mines anti-chars sont placées devant les ponts routes. Deux canons de 25 croisent leurs feux à travers la plaine, un canon de 47 tire dans l'axe de la grandroute. L'artillerie de la défense est assez conséquente. En plus de ses moyens organiques, la Division disposera au moment de l'arrivée des Allemands de deux groupes de 75 et d'un groupe de I55. Des tirs d'arrêts sont préparés devant tous les passages et des tirs de C.P.0. sont prévus à Moussy, Verneuil, Courtonne et sur les bois des pentes de I75. Le téléphone est installé entre les P. C. de compagnies et le bataillon entre le bataillon et les quartiers voisins et avec la demi-brigade. Un code de signaux est prévu pour le déclenchement de l'artillerie. Des munitions en masse sont poussées dans les points d'appui, une forte réserve est maintenue à Soupir. Les Chasseurs s'enterrent principalement sur le canal où des trous profonds sont creusés. Quand le 22ème Bataillon sera relevé par le 27ème B.C.A., l'organisation sera assez poussée, il y aura des abris, des observatoires, des amorces de communications enterrées. Mais les défenses accessoires ne seront livrées qu'après l'arrivée des Allemands et il ne sera plus possible de placer des fils de fer avec piquets sur le canal. Les premiers éléments ennemis qui se présentent le 20 Mai au soir, sur la rive opposée sont des motocyclistes. Dans la journée, on avait reçu l'ordre de dégager les ponts pour permettre le passage d'éléments amis motorisés en reconnaissance. A la tombée de la nuit, un motocycliste et deux side-cars descendent vers le canal, le premier va s'engager sur le pont lorsque le guetteur à l'autre bout ne sachant à qui il a à faire crie : "Halte là"!. Les trois engins font demitour non sans lâcher quelques rafales. Le contact est pris. La défense avait donc été surprise et cependant, tout le monde s'attendait à l'arrivée de l'ennemi. En plus des postes de surveillance utiles surtout le jour, il aurait fallu, sur les principaux axes routiers, des éléments motorisés placés assez loin, sur le Chemin des Dames par exemple. Il semble que les éclaireurs motos de la demi-brigade auraient été là, bien employés. Une surveillance rapprochée fournie par l'infanterie de la défense n'est plus à l'heure actuelle suffisante, il faut se garder loin par des moyens rapides qui surveillent et gardent un obstacle passif sur une route. Pendant, la nuit, le Chemin des Dames retentit d'un grand vacarme de moteurs et le ciel fut sillonné par des pinceaux de phares et par des signaux lumineux de toutes sortes. Nos postes de
surveillance rentrèrent sans incidents et les ponts furent de nouveau solidement barricadés. Le lendemain, la fusillade se déclenche sur toute la ligne visiblement pour faire dévoiler notre dispositif; le piège est éventé et seuls les tireurs isolés répondent sur les objectifs visibles. L'ennemi s'organise dans les villages et sur les promontoires; la circulation continue à être très forte sur le Chemin des Dames. Pendant tout le séjour du Bataillon dans le quartier de Soupir, L'ennemi ne cessera de se renforcer, mais sans atteindre en final de très gros moyens. Le G.R.D. arrivé au contact le premier, sera remplacé par de l'infanterie sans dépasser je crois, l'effectif d'un bataillon sur le front du quartier. L'artillerie ne sera à aucun moment très fournie; mais les éléments au contact feront preuve d'une grande agressivité et tenteront à plusieurs reprises de franchir le canal par surprise ou de vive force. La première tentative est faite au soir du 2I mai, lendemain de la prise de contact dans l'après-midi. L'ennemi dont la force a été évaluée à une quarantaine d'hommes, s'approche grâce aux taillis épais d'un pont défendu par des éléments de la 2ème Compagnie et franchit en bloc l'espace dénudé. Nos armes automatiques se déclenchent. Quelques Allemands paraissent touchés, mais la presque totalité vient se plaquer contre les piles du pont et derrière la berge; et de là, s'engage un combat à bout portant avec notre point d'appui. La situation n'était pas grave puisqu'il restait à l'ennemi le principal à faire, c'est-à-dire, franchir le pont; mais le commandant du sous-quartier ne tenait pas à passer la nuit avec un contact aussi étroit. Ni l'artillerie, ni les mortiers du bataillon ne peuvent être employés par suite des limites de sécurité. On essaye le mortier de 60 de la Compagnie mais on ne peut l'amener sur la berge du canal par suite du feu ennemi, il est obligé de rester sous bois, et ne voit pas le pont; ce tir au jugé maintenu assez long, toujours pour des raisons de sécurité est sans effet. C'est finalement grâce au sang-froid d'un sous-lieutenant de la Compagnie d'accompagnement qui était dans le point d'appui près du pont que la question sera réglée. Il sort de son trou en rampant, vient trouver le commandant du sous-quartier, rassemble cinq grenadiers V.B. de la Compagnie, les conduit le long de la berge près du pont et ouvre le feu. Aussitôt tous les défenseurs de la berge qui avaient le nez dans leur trou reprennent confiance, des grenadiers à main isolés rampent même au milieu du pont, derrière les blocs de paille placés comme obstacle et l'ennemie reflue par petits paquets vers les buissons, non sans pertes. Dans la première partie de l'incident l'ennemi très agressif, a eu, malgré sa situation désavantageuse, un avantage moral incontestable; la défense s'énerve, personne n'ose bouger de son trou, mais il a suffi de l'exemple d'un chef, pour que chacun se redresse et que l'ascendant moral un moment abandonné, soit repris. La deuxième tentative importante de franchissement fut faite le 23 mai, par l'infanterie qui avait remplacé le G.R.D. Elle eut lieu sur le sous-quartier de la 1ère Compagnie. A la tombée de la nuit, des rafales d'engins à tir courbe s'abattent sur la berge du canal; ce tir n'est ni très violent, ni très fourni, et dure une dizaine de minutes; en même temps Soupir, les bois des premières et deuxième Compagnie reçoivent des rafales espacées de 105. Sur le canal, deux abris seulement se seront écroulés et il n'y aura eu que deux blessés. Puis, alors que les rafales d'engins arrivaient encore sur le canal, notre barrage d'infanterie se déclenche soudain sur le front des premières et deuxième Compagnies et une fusée
rouge de demande de barrage, monte du pont de Moussy. De l'observatoire du bataillon, on ne voit que les flammes des armes automatiques; les P.C. de Compagnie ne voient pas non plus ce qui se passe. La fumée rouge est repérée au bataillon, et par téléphone, il est précisé qu'il s'agit de tirs d'arrêt devant les deux sous-quartiers de gauche seulement, puisque la droite reste calme. Trois minutes après la première fusée, le tir est déclenché, les éclatements sont denses et serrent le canal de près, quelques coups même tombent courts en deça, mais sans mal. Quand le tir est levé, les armes automatiques ne tirent plus que par intermittence, et sur tout le front attaqué; c'est donc que tout va bien et que l'ennemi n'a pu percer en aucun point. Puis, tout se ralentit mais la nuit restera agitée. L'ennemi avait essayé de passer le canal, sur un front de 500 m environ il disposait de deux ponts et de deux passerelles d'écluse. Il devait être également muni de supports flottants car les chasseurs de première ligne affirmèrent avoir vu des groupes d'hommes porter ou jeter des fardeaux. L'ennemi avait du choisir cette heure, car il n'avait pu manquer de remarquer que c'était celle où se faisait le départ des corvées de soupe de ce sous-quartier où toute circulation entre la première ligne et les bois était impossible de jour. Il pensait sans doute que la neutralisation de la berge serait suffisante, pour permettre, à la tombée de la nuit, un passage de vive force. L'effectif attaquant a été estimé à deux compagnies mais il est difficile de l'affirmer. Les Allemands sont partis de Moussy et des pentes de I58, ils ont été entendus très nettement par notre première ligne malgré les éclatements de mines. Ils manoeuvraient au sifflet. Les tirs d'infanterie de la défense, atteignaient mais sans grande efficacité, surtout la nuit, les pentes de I58, et entre le pied des pentes et le canal, il y avait de nombreux angles morts. L'ennemi avait donc pu s'approcher du canal, et c'est lorsqu'il allait l'atteindre, qu'il fut pris sous le tir d'arrêt de 730 Il se précipite alors contre la berge du canal, mais on ne peut arriver au sommet car en fait, il n'y avait pas eu neutralisation et la défense étant intacte, l'obstacle avait gardé, cette fois encore toute sa valeur. Le lendemain de cette tentative ennemie, les explosifs arrivèrent enfin; dans la nuit les charges furent préparées, et au jour, tous les ponts avaient sauté. Mais ils n'étaient que cassés par le milieu et les piétons pouvaient encore passer. Il restait de plus, toutes les passerelles d'écluse auxquelles on ne pouvait toucher sous peine de vider le canal. Chose qui n'aurait pas été très grave d'ailleurs, car au dire des officiers de génie, la vase et la profondeur du fond sont un obstacle aussi sérieux que l'eau. Ceci est intéressant à savoir, car lorsqu'on se bat sur les bords d'un canal, il y a toujours un des adversaires qui manoeuvre une écluse. Les Allemands n'occupaient pas comme nous le bord du canal, ils tenaient les hauteurs et les villages; mais la nuit, des armes automatiques légères, isolées, se mettaient en place dans les hautes herbes de la rive adverse, dans l'intervalle de nos points d'appui, et au jour, fusillaient les imprudents. Nous eûmes de ce fait, quelques pertes jusqu'au jour où une embuscade placée par la 2ème Compagnie, dès la tombée de la nuit, sur une piste venant de Courtonne, vers le canal, fut assez heureuse pour tuer deux fantassins allemands, et ramener leurs papiers, une mitraillette et des munitions. On appris ainsi, qu'il s'agissait du 14ème Régiment d'infanterie. Une troisième tentative en plein jour, cette fois, et avec des moyens d'appui plus puissants eut lieu à cheval sur le sous-quartier de la 3ème Compagnie
et sur le quartier voisin, le 25 Mai. Mais les moyens mis en oeuvre par l'ennemi furent encore insuffisants et le canal, cette fois encore, ne fut pas traversé. Le 2 Juin, la division de gauche prit à son compte le front jusqu'à Pont Arcy. Le bataillon fut relevé par le 27ème Alpin et passa en réserve de Corps d'Armée. Peu après, l'attaque générale se produira, les défenseurs seront écrasés dans leurs trous et le canal sera passé partout. CONCLUSION Dans le première moitié de cet exposé, j'ai essayé par un exemple de montrer le désarroi qu'avait causé l'aviation allemande sur nos lignes de communications. Nos troupes sans couverture aérienne, protégées par une D.C.A. insuffisante et sporadique, n'ayant à leur disposition que des moyens actifs pratiquement inefficaces, étaient sans défense, surtout en cours de déplacements ou de rassemblements. Dans ces conditions, les grandes unités arrivant au combat dissociées et avec de gros retards enlevaient à nos chefs toute liberté d'action. et je crois que le rôle joué ainsi par l'aviation de bombardement ennemi a été plus décisif que celui joué par l'aviation d'assaut en appui de l'infanterie. Cette dernière avait des effets plus moraux que matériels, et nos troupes surprises par les premiers contacts, s'étaient vite ressaisies. J'ai ensuite essayé de faire ressortir combien un obstacle même imparfait, était un sérieux appoint pour la défense. Il oblige l'ennemi a accumuler des moyens pour le franchir et si dans la phase du combat considéré, l'ennemi ne peut accumuler ces moyens, il est tenu en échec.
Journal de Marche du 22ème B.C.A. (à partir de la période active des opérations) ORDRE DE BATAILLE Chef de Chef de Bataillon Jacques Corps Ardisson
Active
Cne AdjudantMajor
Capitaine Pourchier
Active
Officier des Détails
Lieutenant Baillet
Active
MédecinChef
Médecin-Lieutenant Reynon
Active
OfficierAdjoint C.H.R.
Lieutenant Ricatte
Active
Commandant Capitaine Sivade de Cie
Réserve
Officier S/Lieutenant Nicolas Appro 1ère Compagnie. Commandant Capitaine Latruffe de Cie
Active
Chef de Section
S/Lieutenant Lajous
Réserve
S/Lieutenant Ballandras
Réserve
S/Lieutenant (T.T.) Léon
Active
Active
Adjudant-Chef Rival 2ème Compagnie Commandant Capitaine Combet de Cie
Active
Chef de Section
S/Lieutenant Merpillat
Réserve
S/Lieutenant Beau
Réserve
S/Lieutenant (T.T.) Coré
Active
Active
Adjudant-Chef Lanfranchi 3ème Compagnie Commandant Lieutenant Minot de Cie
Active
Chef de Section
S/Lieutenant Escande
Réserve
S/Lieutenant Renaudo
Réserve
S/Lieutenant Darmont
Réserve
S/Lieutenant (T.T.) Tognotti
Active
C.A. Commandant Capitaine Bussat de Cie Section de Mitraille
Engins
Réserve
Active
S/Lieutenant Agard
Réserve
S/Lieutenant Elorz
Réserve
Adjudant-Chef Moulet
Active
Adjudant-Chef Martin
Active
Sergent-chef Goulet de Rugy
Réserve
Embarquement en Alsace Le I5 mai, le 22ème B.C.A. embarque à Mertzwiller. L'État-Major, deux compagnies de fusiliers-voltigeurs, une partie de la C.A. et de la C.H.R. dans un premier train. Le reste du bataillon dans un autre train, avec des
éléments du 62ème B.C.A. et de la 26ème Demi-Brigade. L'embarquement, qui devait avoir lieu de nuit, n'eut lieu que dans l'après-midi, par suite du retard des trains. Alors que l'opération touchait à sa fin, quatre avions de chasse ennemis vinrent survoler la gare et mitraillèrent le bataillon pendant une demi-heure. Cet incident me permit de me rendre compte du sang-froid et du courage de certains gradés et chasseurs, dont beaucoup firent leur devoir en accomplissant leur rôle modeste d'une façon superbe. Les muletiers avaient, au moment de l'attaque, encore une vingtaine d'animaux à embarquer. La gare était clôturée, ils ne pouvaient en sortir avec les mulets. Il ne fallait pas songer à abandonner ces derniers, qui se seraient échappés et emballés. Ils prirent donc le seul parti possible: continuer l'embarquement malgré les difficultés produites par les mulets devenus rétifs. Une fois les animaux attachés dans les wagons, les muletiers se dispersèrent dans les champs avec leurs camarades. La conduite de certains chauffeurs ne fut pas moins méritante. Alors qu'une camionnette de munitions atteinte brûlait, ils la déchargeaient sous le feu des avions ennemis, et, malgré le danger d'une explosion imminente. Les mitrailleuses et les fusils-mitrailleurs de D.C.A. ne cessèrent par un instant leur tir sur les avions ennemis descendant en piqué. Un appareil fut vraisemblablement touché dès le début, car trois avions seulement continuèrent l'attaque. Le voyage fut assez mouvementé par suite des attaques aériennes. Le train fut arrêté finalement à Vitry la Ville, alors que le point de dernière destination devait être Reims. Débarquement à Vitry la Ville et étape sur Châlons sur Marne Le débarquement eut lieu sans incident le 16 Mai à 21 H. Je fis bivouaquer le bataillon dans les bois et provoquais des instructions par téléphone. Je reçus de Châlons l'ordre d'avoir à rejoindre Reims par la route. Pendant ce temps, le groupe franc du bataillon avait été déployé pour rechercher des parachutistes signalés, mais sans résultat. Après avoir laissé deux heures au bataillon pour se reposer et faire la soupe, je mis en route en direction de Châlons vers minuit, sans attendre les moyens éventuels de transport, afin d'arriver au plus tôt. Le 22ème B.C.A., qui a débarqué assez loin, et non un des premiers, sera ainsi un des premiers à pouvoir être engagé. A Châlons, où je m'étais rendu avec la voiture de liaison à la régulatrice, des cars furent mis à ma disposition pour transporter le personnel d'abord. Des camions étaient prévus par la suite pour les animaux. Le bataillon arrive à Châlons le 17 mai, vers sept heures du matin. Il embarque en cars à onze heures. Séparé de mes animaux, j'avais donc alors la perspective d'être engagé avec une partie seulement du bataillon et avec à peine une minute de feu. Les cars furent dirigés sur Courlandon, à proximité de Fismette. Pendant le déplacement du bataillon, je pus me rendre au P.C. de la division, où je fus mis au courant de la situation. J'appris également que, l'intervention du bataillon étant moins urgente que l'on avait crû, il me serait possible d'attendre mes animaux au point de débarquement. Le bataillon fut regroupé à la tombée de la nuit et fit étape sur Baslieux les Fismes, où rejoignirent les équipages, et où je laissais quelques heures de repos, puis ensuite sur Dhuizel, où il arriva dans la fin de la matinée, le I8 mai. Engagement du bataillon sur le canal de l'Oise à l'Aisne Ce fut la 3ème Compagnie, commandée par le Lieutenant Minot, qui eut la première l'honneur d'être engagée. Je constituais un groupement temporaire avec cette compagnie, une
section de mitrailleuses et un canon de 37, avec mission de relever le G.R.D.22 aux deux ponts sur l'Aisne et sur le canal de Pont Arcy. Dans l'après-midi, renforcé par une partie de G.R.D. de la 44ème D.I., je reçus l'ordre de relever entièrement le G.R.D.22, de Braye en Laonnois exclu à Bourg et Comin exclu, et d'établir mon P.C. à Soupir. L'ennemi n'ayant pas encore pris le contact, la relève se fit sans incident. Le front à tenir était très grand et il n'était possible de tenir solidement que les points de passage. Le 62ème B.C.A. vint ensuite s'intégrer dans le dispositif entre le bataillon et le 99ème R.I. de la 28ème D.I. Organisation de la position Le 22ème B.C.A. avait pour mission de défendre le quartier de Soupir, dont la ligne principale de résistance était jalonnée par le canal de l'Oise à l'Aisne. Comme les rives du canal étaient en superstructure, la défense devait, pour donner des feux sur le canal, être placée sur la rive même. Les éléments échelonnés en profondeur ne pouvant concourir à la défense de la ligne principale n'étaient susceptibles, de ce fait, que de constituer une deuxième position. Pour cette raison, afin de faire effort sur le canal, j'avais placé sur le canal même le maximum de mes moyens, l'échelonnement n'ayant pour but que de constituer des réserves derrière les points sensibles. Le commandement s'étant inquiété de cette défense linéaire, je dus changer mon dispositif et répartir les unités en profondeur, ne laissant sur le canal qu'un tiers des forces. A mon avis, la mission n'était plus intégralement remplie, et le canal ne pouvait plus être considéré que comme une ligne d'avant-postes et non comme la ligne principale de résistance. La défense présentait en finale la physionomie suivante: - un tiers du bataillon groupé en points d'appui alignés sur le canal. - en arrière, deux môles de résistance formés, l'un par un éperon boisé, à gauche, et l'autre par une zone de taillis, à droite. Ces deux môles donnaient des feux sur les arrières du canal et croisaient leurs tirs à travers la plaine. - enfin, le village de Soupir était constitué en réduit avec des éléments prélevés sur les compagnies en ligne. J'y installe mon P.C.. Comme telle, la position présentait des points faibles, mais elle devait être solidement consolidée par les travaux d'organisation entrepris. Arrivée de l'ennemi sur le Chemin des Dames - Prises de contact Le 20 mai, l'ennemi apparût d'abord sur le rebord sud du Chemin des Dames sous la forme d'éléments de groupes de reconnaissance, donnant lieu à quelques escarmouches avec nos éléments de sûreté avancée vers Moussy Verneuil et vers Courtonne, et avec les éléments de défense des ponts qui n'avaient pas encore sauté. Le 21 mai au soir, des éléments assez sérieux parvinrent même à se glisser sur plusieurs ponts à la faveur de l'obscurité. Ils furent rejetés à la grenade et il y a lieu de signaler, à ce sujet, la belle attitude du sous-Lieutenant Lajous (1ère Cie), du sous-Lieutenant Beau (2ème Cie), de l'Aspirant Bonifassi (C.A.), et du sous-Lieutenant Elorz (C.A.). Puis l'infanterie ennemie, avec son artillerie à tir courbe d'appui, vint remplacer les G.R.D. La droite du quartier étant dénudée et très dominée fût la plus inquiétée. Le point d'appui du sous-Lieutenant Escande, dans une situation très critique, tint cependant sans pertes, grâce aux travaux d'organisation terminés et à la discipline des chasseurs, qui s'abstenaient de tout mouvement pendant la journée. La gauche du quartier, en face du sous-quartier de la 1ère Compagnie (Capitaine Latruffe) fût ensuite, le 23 mai, l'objet d'une tentative d'attaque à la faveur de l'obscurité du soir. Les tirs d'arrêt de l'artillerie, déclenchés
rapidement, et les feux de la Compagnie Latruffe rejetaient l'ennemi, dont la force avait été évaluée à deux compagnies, avec des pertes sérieuses. La droite du quartier, occupée par la Compagnie Minot fut ensuite relevée par une compagnie du 64ème B.C.A., rentré en ligne à son tour entre le 22ème B.C.A. et le 6ème R.I. de Bourg et Comin. La Compagnie Minot vint en réserve de sous-secteur occuper et organiser la région du Cimetière Italien et du pont de Chavonne. En face, l'ennemi ne cessait de se renforcer, son artillerie d'accompagnement devenait de plus en plus agressive. Cependant, toutes les passerelles du canal avaient réussi à sauter, grâce au courage et au sang-froid des détachements du Génie, qui eurent à mettre le feu, à plusieurs reprises, sous les tirs de l'ennemi. Cette période est marquée par un accident regrettable : Le 31 mai, une rafale de 105, brutale et violente, tombée sur une corvée déchargeant un camion de ravitaillement, à la tombée de la nuit, dans Soupir, fit quelques morts et de nombreux blessés. Malgré les bombardements constants et violents de minenwerfer, les rafales fréquentes et brusques de I05 sur Soupir et sur les positions, l'immobilité forcée dans les trous, à laquelle étaient astreintes les unités de première ligne, le moral restait excellent. L'exemple donné par les commandants de compagnie et les chefs de section contribuait pour une bonne part à maintenir le moral élevé. Il y a lieu de citer particulièrement le Capitaine Combet, qui avait à coeur de faire profiter ses jeunes cadres de son expérience de la Grande Guerre. Les visites fréquentes de l'aumônier de la division en première ligne, de jour et sous le feu de l'ennemi, étaient également un puissant réconfort pour les chasseurs. Plusieurs tentatives agressives de notre part sont à signaler, notamment les coups de main exécutés par les Goupes Giacomoni et Kandzia, de la Compagnie Combet. Le Sergent Kandzia fut mortellement blessé en traversant une écluse pour retourner dans nos lignes. Enfin, l'organisation de la position devenait sérieuses les P.C. étaient aménagés, je disposais d'un observatoire avec abri à l'épreuve; des réseaux entouraient les P.A. et quelques boyaux étaient amorcés; des munitions en grande quantité étaient poussées en première ligne, lorsque le 22ème B.C.A. fut relevé par des unités de la demi-brigade de chasseurs de la 28ème Division d'Infanterie. Relève par la demibrigade de chasseurs de la 28ème D.I. La relève fut très retardée par suite de l'arrivée tardive des éléments relevants. Elle se fit dans le silence le plus parfait, et l'ennemi n'amorça aucune réaction. La crête, très exposée aux vues de l'ennemi, au sud de Saint Mard, fut franchie sans incident au petit jour. Je quittais le P.C. de Soupir à 6 heures 30, toutes consignes passées. Le 22ème B.C.A. passe en deuxième ligne. Le bataillon se regroupe à Paars et dans les bois environnants. La C.H.R. est portée à Bazoche. Le bataillon se porte ensuite à Bazoche, et a pour mission d'organiser une bretelle vers l'ouest, la vallée de la Vesle, entre le village de Saint Thibaut et la crête nord de Bazoche. Cette période est troublée par des bombardements terrestres sérieux et violents sur la voie ferrée et le village de Bazoche. Pendant ce temps, l'ennemi enlevait le canal de l'Oise à l'Aisne et abordait l'Aisne. Les Allemands passent l'Aisne Le 5 juin, dans la soirée, le bataillon reçoit l'ordre de se rassembler dans les bois de Paars, en vue de couvrir éventuellement le flanc gauche de la division. Le 6, le bataillon prend un dispositif gardé autour de Paars, pouvant permettre de contre-attaquer dans les directions de Saint Mard ou de
Dhuizel. Chaque fois, à chacune de ces étapes, le terrain est solidement organisé, et la malchance fera finalement que la rencontre avec l'ennemi se fera en rase campagne. Le 7, dans l'après-midi, je reçois l'ordre de faire tenir Limé et Courcelles. Après une reconnaissance en voiture de liaison, pendant laquelle j'essayais de voir clair dans cette situation très confuse et très inquiétante, au milieu des éléments de la 28ème D.I. en pleine retraite, je fais porter, à la tombée de la nuit, le Lieutenant Minot et sa 3ème Compagnie sur Courcelles, et le Capitaine Latruffe avec la 1ère sur Limé. Ces deux officiers organisent, face au nord et à l'ouest, la défense de ces deux villages, ainsi qu'un point de liaison mixte entre eux sur la Vesle. J'installe la Compagnie Combet sur une hauteur dominant la route nationale Reims - Soissons, gardée, face au nord et à l'ouest pour soutenir le point d'appui de Courcelles. Je garde mon P.C., reste à Paars, face au nord, avec une section de F.V., un canon de 25, une S.M. et des éléments de la C.H.R. Quelques éléments regroupés, d'une unité de la Légion Étrangère, participent avec le Lieutenant Minot à la défense de Courcelles. Dans la soirée du 7 et la matinée du 8, Paars, Limé et Courcelles. sont violemment bombardés par l'artillerie et l'aviation. L'ennemi attaque nos positions en arrière de l'Aisne Un trou assez large s'étant produit entre le 99ème R.I. et la demi-brigade de chasseurs de la 28ème D.I., le bataillon est invité à parer à cette nouvelle situation dans la mesure de ses moyens. La compagnie de Courcelles seule, était à pied d'oeuvre. De plus, devant continuer à garder Courcelles face à l'ouest, je ne pouvais disposer que de deux sections et demie de cette compagnie. Dans Courcelles, très violemment bombardé, ce personnel se rassemble en vue de cette contre-attaque. Je charge le Lieutenant Minot de mener l'affaire. Dès l'arrivée du détachement sur le plateau nord de Courcelles, l'aviation d'assaut ennemie intervint, et j'assiste impuissant, pendant une demi-heure, à cette ronde infernale des appareils ennemis. Les pertes furent cependant minimes, mais, quand le détachement Minot eut atteint son premier objectif, l'ennemi avait enlevé les deux môles de résistance qui tenaient encore le plateau. Le colonel commandant la demi-brigade de chasseurs de la 28ème D.I., resté seul avec sa liaison, donne lui-même l'ordre de repli sur Courcelles. Le repli se fit sans incident, et je donnais alors au Lieutenant Minot l'ordre de se barricader dans le village et d'y résister sans esprit de recul. A la tombée de la nuit, ne pouvant plus garder Paars face au nord, (Paars est dans une cuvette entourée de bois), j'installe sur la crête nord de Bazoche les éléments que j'avais tenus en réserve pour la garde de mon P.C. à Paars, et je donne l'ordre à chacun des points d'appui suivants: Capitaine Latruffe à Limé, Lieutenant Minot à Courcelles, Capitaine Combet sur un mamelon entre Courcelles et Paars, l'ordre de s'enfermer et de résister sans chercher de liaison avec le point d'appui voisin. De même pour le quatrième P.A. créé au nord de Bazoche. Le 8, dans la soirée, je reçois l'ordre de replier tous mes éléments et de tenir le plus grand front possible entre Bazoche, occupé par le 85ème R.I. et le G.R.D. de la 44ème D.I., qui devait tenir l'axe Vauxtin - Vauxéré - Perles. Mes motocyclistes parviennent à porter l'ordre de repli aux unités, qui, sans encombre, réussissent, par des itinéraires différents, à rejoindre Bazoche à la fin de la nuit. Je place la Compagnie Combet immédiatement au nord de Bazoche, en liaison avec le 85ème R.I., et j'envoie le
Lieutenant Minot et la 3ème Compagnie faire la liaison avec le G.R.D. vers le nord. Je garde en réserve la Compagnie Latruffe, arrivée la dernière, par suite de la longueur de son itinéraire. J'installe mon P.C. dans un bosquet, au nord de la route Bazoche - Reims, à un kilomètre nord de l'entrée de Bazoche. Attaque de la crête nord de Bazoche par l'ennemi La matinée du 9 est calme. Elle permet de mettre de l'ordre dans le dispositif et de prendre la liaison effective avec le G.R.D.. A midi, l'ennemi attaque en masse, appuyé par de puissantes bases de feu, entre l'Aisne et la Vesle. La 3ème et la 2ème Compagnie subissent des assauts violents, mais résistent farouchement. Craignant que l'ennemi ne fasse effort sur la route Soissons - Reims et ne me coupe du 85ème R.I. tenant Bazoche, j'envoie deux sections de la 1ère Compagnie en réserve patrouiller dans cette direction. Le sousLieutenant Lajous, commandant le détachement, subit quelques pertes, mais rend compte que le front reste soudé de ce côté. Dans le milieu de l'après-midi, un officier envoyé par le colonel commandant le G.R.D. m'indique que le G.R.D. abandonne la crête Vauxtin - Vauxéré et va tenir solidement Perles. Pour que ma droite ne reste pas à découvert, je donne l'ordre au Lieutenant Minot, auprès duquel j'envoie mon officier-adjoint, le Lieutenant Ricatte, d'avoir à rabattre sa droite face au nord. Je lui envoie ma dernière section en réserve pour réaliser ce mouvement. Ce mouvement se réalise, mais non sans pertes ni sans difficultés, par suite de la proximité de l'ennemi, qui prend la Compagnie Minot de front et de droite sous ses feux. Vers 16 heures, je reçois l'ordre du colonel commandant le G.R.D., sous les ordres duquel le 22ème était depuis le matin, de me replier sur Fismes et de me hâter, car on attendait le passage du dernier élément pour faire sauter les ponts; puis, à Fismes, de prolonger le front du G.R.D. sur la gauche, au nord-ouest, à l'ouest et au sud ouest de la ville. Après avoir prévenu le 85ème R.I. de Bazoche, j'ordonne le décrochage, qui s'exécute facilement et sans nouvelles pertes. Il y a lieu de citer la belle attitude de l'Adjudant-chef Rival et de sa section, laissés au sommet de la croupe pendant le temps nécessaire à l'écoulement du bataillon. Le repli vers Fismes du bataillon devait, d'après l'ordre, être protégé par l'aviation amie. Il se fit sans difficultés. La Compagnie Latruffe est placée au nord de la Vesle, sur les hauteurs dominant Fismes, et à l'ouest de la route allant vers Baslieux les Fismes. La Compagnie Combet, moins deux sections que je garde en réserve, est chargée de tenir les ponts coupés de la route sur la Vesle et sur le ruisseau parallèle, et au sud de la Vesle. La 3ème Compagnie, qui a été très éprouvée, me sert à couvrir ma gauche dans les taillis au sud de la Vesle. La nuit reste calme. Attaque de Fismes par l'ennemi - 10 Juin Dans la matinée des colonnes nombreuses ennemies descendent vers la Vesle. La 1ère Compagnie réagit vigoureusement, cause des pertes à l'ennemi et fait même quelques prisonniers. Devant Fismes, malgré l'absence de l'artillerie, qui dût quitter ses positions, l'ennemi parait arrêté, mais vers l'ouest, entre Bazoche et Fismes, une forte infiltration a lieu, et, dès 10 heures, la bataille s'engage avec ma compagnie de flanc-garde gauche. Le bois au sud de la Vesle, où se trouve mon P.C., le G.R.D. et mes deux sections de réserve, est pris violemment à partie par l'artillerie ennemie. Des pertes assez sérieuses sont subies. Vers 11 heures, m'étant rendu sur le pont de Fismes auprès du Commandant Désidéri, commandant la 26ème demi-brigade, j'apprend que la situation est assez
critique dans Fismes. Je dois lui envoyer tous mes moyens disponibles. Je ne peux décrocher aucune de mes unités engagées, sous peine de voir immédiatement couper par l'ennemi la route Fismes - Saint Gilles. et de faire encercler toute la demi-brigade et le G.R.D.. Je lance cependant deux sections vers Fismes. Le sousLieutenant Coré, à la tête de sa section, traverse le pont et entraîne ses chasseurs à l'assaut de la colline dominant Fismette. La contre-attaque progresse, mais le souslieutenant est grièvement blessé, et sa section, prise par des feux violents, doit refluer sur Fismes La bataille se poursuit ensuite dans les faubourgs de Fismes, de maison en maison. Les sections Ballandras et Lajous tentent de nouveaux coups de main et s'emparent même de quelques matériels ennemis. De nombreux actes de courage peuvent être signalés dans ce combat de rues: C'est le chasseur Bergonis, qui dégage à la grenade le fusil-mitrailleur enrayé et encerclé d'un groupe voisin. Les chasseurs Sire et Collomb. qui continuent seuls à faire le coup de feu pour protéger le repli de leur section. Le Sergent Mansom, qui, sous une rafale violente, a porté son fusil-mitrailleur en avant pour protéger le repli de sa section et celui du groupe franc du 62ème B.C.A.. Le Sergent-chef Johansen, qui prit le F.M de son tireur, qui venait d'être tué et servit la pièce, couché sur le dos par suite d'une blessure qu'il avait reçue la veille à la poitrine. Je suis blessé vers I4 heures; le Capitaine adjudant-major Pourchier prend le commandement du bataillon. Retraite sur la Marne et sur la Seine Le bataillon, à partir du 11 Juin, combattit en retraite vers la Marne et vers la Seine. Il y a lieu, pendant cette période, de citer les actions d'éclat suivantes, dont j'ai pu avoir connaissance. Le 12 juin, vers 18 heures, la 3ème Compagnie, formée en deux sections, reçoit l'ordre de s'installer sur la gauche du dispositif du bataillon et de tenir un mamelon au sud du village d'Oeuilly, sur la Marne. Cette compagnie subit de violents tirs d'artillerie et d'infanterie, l'ennemi ayant franchi la Marne et faisant un mouvement tournant pour faire tomber la résistance du village. A la 4ème section, les chasseurs Courtes et Breton sont tués, les chasseurs Blanc et Rassat sont grièvement blessés. Le sous-lieutenant, commandant la section est blessé. Le Sergent Sigaud, blessé au ventre, tombe en criant : "Vive la France" ! Rassat, qui a une jambe coupée, refuse l'assistance de ses camarades devenus trop peu nombreux, et se rend seul au poste de secours en serrant son tronçon contre sa cuisse. A Châtillon sur Marne, la 1ère Compagnie est l'objet d'un coup de main par un corps franc allemand. Ce coup de main est repoussé après un violent engagement. L'ennemi subit des pertes, et le groupe du Sergent Dotta, dont la conduite est à signaler particulièrement, fait même un prisonnier. Le 22ème B.C.A. est dissous à Millau le 1er août 1940. Montpellier, le 1er Octobre 1940 Adjudant-Chef Jean-Marie Buquet
** Historique du 22e Bataillon de Chasseurs Alpins 1939
Secteur des Alpes maritimes Depuis le I4 août, le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins a quitté Nice et son quartier Saint Jean d'Angély, pour rejoindre le secteur de défense qui lui est imparti, face à la frontière italienne. Secteur que cadres et chasseurs connaissent bien, puisqu'il est celui de leurs manoeuvres d'été et d'hiver, au nord de Peïra-Cava, dans le massif de l'Authion. Le P.C., la 2ème Compagnie et la C.H.R. cantonnent à Cabanes Vieilles. La 1ère Compagnie bivouaque sous les marabouts au Ventabren et à l'Arbouin. La 3ème Compagnie campe à la Béole, et la C.A. au Moulinet. Officiers et sous-officiers constituent un encadrement de bonne qualité: Officiers d'active dotés d'une solide expérience, officiers de réserve jeunes et dynamiques, qui ont, soit effectué leur service actif au bataillon, soit, pour les plus jeunes, qui y servent depuis plusieurs mois déjà. Sous-officiers d'active possédant à fond leur métier, les plus jeunes étant guidés par les ancien, dont beaucoup ont connu la Grande Guerre. Sous-officiers de réserve d'un niveau rarement égalé; plusieurs sergents se présenteront avec succès aux épreuves du Brevet de Chef de Section avant que le bataillon ne soit engagé. La troupe, composée d'appelés ayant en moyenne plus de six mois de service et de rappelés, est homogène. Les chasseurs sont déjà habitués à leurs gradés, qu'ils connaissent bien. L'annonce, le dimanche 3 septembre, de la déclaration de guerre entre la France et l'Allemagne, si elle est accueillie avec calme et sans crainte, modifie les rythmes et les habitudes. Dès le soir, des patrouilles partent vers la frontière italienne, distante de quelques kilomètres, pour ne rentrer qu'au lever du jour. Le 22ème, qui, avec les 24ème et 25ème B.C.A., appartenait en temps de paix à la 6ème Demi-Brigade de Chasseurs Alpins, entre alors dans la composition de la 26ème D.B.C.A., avec son Bataillon de Réserve, le 62ème, et le 64ème B.C.A., Bataillon de Réserve du 24ème. L'encadrement du Bataillon est alors le suivant:
Chef de CorpsCapitaine Adjudant-Major
Capitaine Pourchier
Médecin Chef
Médecin-Lieutenant Reynon
Médecin Auxiliaire
Médecin-Aspirant Sidi
Compagnie Hors Rangs
Capitaine Sivade
Section d'EclaireursSkieurs
Sous-Lieutenant Causeret
1ère Compagnie
Lieutenant Latruffe
2ème Compagnie
Capitaine De Golberry
3ème Compagnie
Capitaine Rossi
Compagnie d'accompagnement
Lieutenant Baills
Tandis que les cadres et chasseurs désignés pour la formation du 62ème B.C.A. sont dirigés sur le Camp de Caïs, près de Fréjus, où se forme cette unité, les disponibles et réservistes arrivent, les 3I août et 1er septembre. Une des plus cuisantes humiliations de sa vie attend le Sergent rappelé Michel Rodde. "Une fois habillés et formés en groupe de combat, mes hommes et moi sommes conduits, pour y passer la nuit, dans un garage aménagé en cantonnement, devant la porte duquel un tirailleur sénégalais, baïonnette au canon, interdit toute sortie." "Rien dans le comportement ni dans l'esprit des rappelés ne justifiait une telle mesure." "Aussi sec, je fais mettre mes hommes en tenue de sortie. Garde à vous ! Puis, au pas cadencé, nous passons devant le factionnaire, que j'ai également fait mettre au garde à vous. J'emmène mes chasseurs passer une dernière soirée en ville." "Le lendemain, un car nous conduisait à Cabanes Vieilles." Le jour de la déclaration de guerre, le commandant donne l'ordre de raser toutes les barbes, que quelques fantaisistes commençaient à laisser pousser...pour faire plus "Poilu", sans doute. La 3ème Compagnie installe des avant-postes de surveillance avancée dans la vallée du Cayros, à la chapelle Sainte Anne, et, dans la vallée de la Maglia, au poste de douane de la chapelle Sainte Claire, en même temps qu'elle fournit au Génie la main d'oeuvre nécessaire à la construction d'un blockhaus sur la ligne de crête de la Béole. Le I5 septembre, la première neige tombe sur les cantonnements, tandis qu'intervient un nouvel ordre du chef de corps: - Rendre d'urgence visite aux coiffeurs du bataillon, pour une coupe de cheveux du type "Boule-à-zéro". Nouvelles chutes de neige au cours de la deuxième quinzaine de septembre. Une seconde section d'Eclaireurs-Skieurs est constituée le 9 octobre, sous le commandement de l'Aspirant Gilbert George. Après une dernière reconnaissance frontalière, le 22 octobre, le bataillon fait mouvement vers Nice, avec cantonnements intermédiaires à Contes et Berre les Alpes. L'étape de Berre les Alpes, au dénivelé très accentué, est rendue particulièrement pénible par un vif soleil d'arrière-saison. A Nice, le 22ème B.C.A. rejoint le quartier de la Californie (actuel aéroport de la Cote d'Azur), et bivouaque dans les boxes et locaux du champ de course. Le 23 octobre, les deux S.E.S., qui, seules, sont restées sur leurs positions, à l'Authion, fusionnent, sous le commandement du Sous-Lieutenant Causeret. Début novembre, un groupe franc est formé, dans le cadre d'un corps franc divisionnaire, commandé par les Lieutenants Agnély et Darnand, du 24ème
B.C.A. Ce corps franc est dissous quelques jours plus tard, lors du départ de la 29ème Division d'Infanterie pour la Marne, où elle devient réserve du Grand Quartier Général. La 26ème Demi-Brigade, qui a été détachée de la division, passe sous le commandement du Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes. Le Capitaine Bussat prend le commandement de la Compagnie d'Accompagnement le 9 novembre. Le Commandant Gauthier fait ses adieux au bataillon le I3. Le Capitaine Rossi assurera l'intérim jusqu'à l'arrivée du nouveau chef de corps. Au cours de la matinée ensoleillée du I5 novembre, le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins rejoint, d'une seule étape de quarante-deux kilomètres, ses nouveaux cantonnements à Spéracèdes et Cabris. Il défile, le 27, devant le Prince Louis de Monaco, général de division de l'Armée Française. Un peloton de préparation au Brevet de Chef de Section est constitué à Grasse, à l'échelon de la Demi-Brigade, sous la direction du Chef de Bataillon Brun, commandant le 62ème B.C.A. Le Lieutenant Jacques Minot succède, le 1er décembre, au Capitaine Rossi, à la tête de la 3ème Compagnie. Quelques jours plus tard, après avoir été passé en revue, à Vence, siège de l'E.M. du XVème Corps d'Armée, par le Général Mittelhauser, le bataillon prend cantonnement à Tourettes sur Loup, où l'instruction se poursuit. Le Capitaine Combet, ancien combattant de I4/I8, remplace le Capitaine De Golberry au commandement de la 2ème Compagnie. Le Capitaine Jacques Ardisson, venant du 84ème bataillon Alpin de Forteresse, prend le commandement du 22ème B.C.A. le 25 décembre. Le 30, a lieu l'Arbre de Noël du bataillon.
1940 Le 12 janvier, on tire les rois, tandis que le Sous-Lieutenant Paul-Jean Roquère quitte le 22ème pour devenir observateur d'aviation. Le I5 Janvier, embarquement en cars et camions pour La Turbie, où s'installent le P.C., la C.H.R. la 2ème Compagnie et la C.A., tandis que les 1ère et 3ème Compagnies cantonnent à Menton, à l'Hôtel Alexandra. La quatrième Section de la 2ème Compagnie, (Adjudant-chef Coré), demeurera seule à Tourettes sur Loup jusqu'au 3 mars. Les Sergents Damei, Clarençon et Hitter rejoignent le peloton d'élèves-aspirants à St Maixent le 22 janvier. Le bataillon est employé à des travaux d'organisation du terrain, face à l'Italie, dont la neutralité ne semble pas d'une absolue franchise. Il reçoit, le 23 février, des renforts en personnel provenant des 53ème et 67ème B.C.A. Les sections d'Eclaireurs-Skieurs des bataillons alpins stationnés dans le Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes sont détachées de leurs corps d'origine et entrent dans la composition d'une Brigade dépendant directement du Secteur. Celle du 22ème B.C.A., que commande l'Aspirant Gilbert George depuis le 1er février, le Sous-Lieutenant Causeret ayant été affecté à l'État-major de la 26ème demibrigade, tiendra, au cours de la Bataille des Alpes, un secteur de la vallée du Cayros, limité à l'ouest par la cime de Raus et par la Causega à l'est, face aux sommets frontaliers du Macruera et du Scandail. Les compagnies sont regroupées au Fort de la Tête de Chien le dimanche 3 mars. Au cours de la nuit du 11 au I2, il fait étape sur Nice, o ù la caserne du 157ème Régiment d'Artillerie Portée
l'accueille à 5 heures du matin. Repos dans la paille fraîche étendue à même le sol des écuries. Il pleut. A I4 heures, les vivres de route sont distribués. A I6 heures, les compagnies rejoignent la gare de Nice-Saint Roch. Embarquement des animaux, des véhicules, du matériel, de la troupe, (Chevaux: 8 en long - Hommes: 40). Dernières provisions de paille, d'eau, de vivres. Le convoi s'ébranle à 2I heures. Il pleut toujours! "Au revoir, Nizza la Bella ! " Troyes Le train s'arrête à RouillyGéraudot, au nord-est de Troyes, le 13 mars à 20 heures, sous une pluie fine et glaciale. Un vent violent succède à la pluie, tandis que s'effectue le débarquement, et accompagne les unités jusqu'à leur leurs cantonnements : État-Major, 3ème Compagnie et C.A. à Onjon, 1ère et 2ème Compagnies à Bouy-Luxembourg. Dépaysement total, dans une plaine recouverte de boue calcaire blanchâtre, où il faut réapprendre à marcher à plat, sous un ciel de grisaille. La 26ème Demi-Brigade de Chasseurs Alpins appartient maintenant à la 44ème Division d'Infanterie, qui vient d'être créée le 1er mars, et se concentre dans la région d'Arcis sur Aube, sous les ordres du Général Boisseau. Avant même que les cadres du bataillon en aient été informés, la nouvelle en avait été annoncée par le traître Ferdonnet, sur les ondes de Radio-Stuttgart. L'infanterie de la division est composée de la 26ème Demi-Brigade Alpine (22ème, 62ème et 64ème B.C.A.; le 22ème est un bataillon d'active, les deux autres, des bataillons de formation), de la 2ème Demi-Brigade de Chasseurs Alpins (qui sera dirigée sur Brest le I5 avril pour participer à l'expédition de Norvège et sera remplacée par le 6ème Régiment d'Infanterie, formé en octobre 1939 par prélèvement sur les 26ème, 94ème, 151ème et 170ème Régiments d'Infanterie), et de la 173ème Demi-Brigade d'Infanterie Alpine (active), en provenance de Corse. Les 26ème et 173ème Demi-Brigades sont de type alpin, le 6ème Régiment d'Infanterie est du type Nord-Est. La division est complétée par le 91ème Régiment d'Artillerie, les compagnies 44/I et 44/2 du Génie et le G.R.D. Le Capitaine Jacques Ardisson est promu chef de bataillon "à titre temporaire". Un groupe franc de bataillon est constitué le I8 mars. Il est commandé par le SousLieutenant Agard, dont l'adjoint est le Sergent-chef Johannsen. Il se compose d'un groupe feu (Sergent Pierre Fourastié), et d'un groupe assaut (Sergent François Dory). L'Alsace Un mois plus tard, le jeudi 11 avril, le 22ème B.C.A. embarque en gare de Rouilly - Sacey pour l'Alsace. Il débarque le 12, à 13 heures, à Ochfelden (Bas-Rhin), et rejoint à pied Quartzenheim, vingt kilomètres plus loin, près de Strasbourg, puis, le 14 Issenhausen, et Zoebersdorf le 15, pour s'installer le 17 à Mietesheim et Mertzwiller. Les chasseurs du bataillon se souviendront longtemps de l'accueil chaleureux des populations de ces villages, qui contraste avec la quasi indifférence des habitants de Bouy - Luxembourg. d'aucuns sont invités, dès le premier soir, à partager le repas familial, et, pour tous, à la moindre occasion, l'eau de vie de prunes sera généreusement offerte. Jusqu'au début du mois de mai, les compagnies travaillent à l'organisation d'une bretelle défensive au nord d'Hagueneau, face au nord-ouest, en travers de la Zinseltal. L'instruction est menée de pair. Une session de Brevet de Chef de Section permet aux meilleurs des sergents de réserve d'accéder au grade de sergent-chef. De temps en temps, lorsque le vent porte, on entend le canon tonner dans le lointain. Le bataillon est encore occupé à ses travaux d'organisation du terrain lorsque parvient la nouvelle de
l'offensive allemande du 10 mai. Toute la nuit, on avait entendu les vagues d'avions passer au dessus des villages, en direction du sud-ouest. Le 11, le bataillon est regroupé à Mietesheim, où lui parvient l'ordre d'embarquer pour être jeté dans la bataille déchaînée par la percée des Panzerdivisionnen. Le 13, le "cuistot" Lambert, de la 2ème Compagnie, est blessé par une balle perdue, au cours d'un duel aérien, que se livrent deux avions au dessus du village. L'embarquement est prévu pour la nuit du 14 au 15 mai, en gare de Mertzwiller. L'état-major du bataillon, deux compagnies, une partie de la compagnie d'accompagnement et la compagnie hors rangs doivent occuper un premier train; le reste du bataillon et des éléments du 62ème B.C.A. un second convoi. Les rames de wagons ne sont pas encore à quai lorsque les compagnies arrivent. Elles gagnent les couverts environnants pour se camoufler. Le matériel, amené par plusieurs rotations de camions, s'entasse sur les quais. Le jour se lève... La matinée du 15 est presque écoulée lorsque les deux rames arrivent. Le chargement du matériel commence aussitôt. Un avion de reconnaissance allemand rôde au ras des arbres, puis s'éloigne. Il revient encore avant de disparaître. Soupir de soulagement! Les muletiers commencent à faire grimper leurs bêtes dans les wagons. Les postes de D.C.A., une section de mitrailleuses en tête du train, un groupe à l'arrière, et six fusils-mitrailleurs répartis le long de la voie, scrutent attentivement le ciel. Venant du nord, quatre points grossissent rapidement dans le ciel et piquent dans un déchaînement de moteurs. Quatre Messerschmidt 109 attaquent de toutes leurs mitrailleuses. Du sol, les pièces ripostent. Après un mouvement instinctif pour se mettre à l'abri, les muletiers du Sergent Bouniol, dont le calme est contagieux, continuent l'embarquement. "On ne peut tout de même pas laisser s'échapper les "miaules". Les avions reviennent à l'attaque... Ils piquent de nouveau... Ils ne sont plus que trois!...Aux mitrailleuses comme aux fusils-mitrailleurs, les gars se regardent, une flamme dans les yeux: "On en a eu un!" De la fumée, puis des flammes montent soudain des plates-formes sur lesquelles sont arrimés les camions. Quatre d'entre eux commencent à brûler, dont la camionnette de munitions. Le chasseur Maurice Bezios bondit. C'est sa voiture!... et puis, il y a les munitions... Si tout ça sautait! Il grimpe sur le "bahut" et passe les dangereuses caisses aux camarades qui l'ont suivi. Une fois encore, les Messerschmidt reviennent. On courbe la tête, et, dès qu'ils sont passés, le travail continue. Les mulets sont enfin enfermés dans leurs wagons. Les muletiers peuvent aller se mettre à l'abri. Les avions ennemis, à court de munitions, repartent vers le nord. L'attaque a duré vingt minutes, qui ont paru des heures. Le chasseur Joseph, de la C.H.R., blessé à l'épaule, gémit doucement, tandis que le Médecin-Lieutenant Reynon se penche sur lui. Deux camions achèvent de brûler. Les deux autres ont pu être sauvés. Mais la locomotive, percée comme une écumoire, laisse échapper un dernier jet de vapeur par ses multiples déchirures. Il faut en demander une nouvelle à Haguenau. On perd encore trois heures. Enfin, à la tombée de la nuit, le personnel peut embarquer, et le train part. Premier contact avec l'ennemi, premier contact avec son aviation, dont on a tant entendu parler. Plus de bruit que de mal. Les jeunes chasseurs se sont révélés calmes et courageux. Le Commandant Ardisson peut être tranquille: Ils seront dignes des Anciens! Le trajet fut long et mouvementé. Si le convoi qui emmène le bataillon n'est pas directement inquiété,
chacun peut se rendre compte de la perturbation apportée au trafic ferroviaire par l'aviation ennemie. Les trains n'avancent qu'au ralenti. Au passage de la Meuse, dix convois se succèdent à distance de sécurité. Près de Saint Dizier un train de troupes anglaises, incendié, obstrue la voie. Il faut manoeuvrer pour emprunter l'autre voie. L'encadrement du bataillon est alors le suivant : Chef de Bataillon Ardisson, commandant le bataillon (active). État-Major Capitaine Pourchier
Adjudant-major
Lieutenant Baillet
Officier des détails
MédecinMédecin-chef Lieutenant Reynon Médecin-Aspirant Sidi
active
active
Médecin auxiliaire
Lieutenant Ricatte Officier-Adjoint C.H.R. Capitaine Sivade Commandant de Compagnie
active réserve
Sous-Lieutenant Officier Nicolas d'approvisionnement 1ère Compagnie Capitaine Latruffe Commandant de Compagnie
active
Sous-Lieutenant Lajous
réserve
Sous-Lieutenant Ballandras
réserve
Sous-Lieutenant Léon
active
Adjudant-Chef Rival 2ème Compagnie Capitaine Combet Commandant de Compagnie
active
Sous-Lieutenant Merpillat
réserve
Sous-Lieutenant Beau
réserve
Sous-Lieutenant Coré
active
Adjudant-Chef
active
active
active
Lanfranchi 3ème Compagnie Lieutenant Minot Commandant de Compagnie
réserve
Sous-Lieutenant Escande
réserve
Sous-Lieutenant Renaudo
réserve
Sous-Lieutenant Darmont
réserve
Sous-Lieutenant Tognotti Compagnie d'Accompagnement Capitaine Bussat Commandant de Compagnie
active
Sous-Lieutenant Agard
réserve
Sous-Lieutenant Elorz
réserve
Adjudant-Chef Moulet
active
Adjudant-Chef Martin
active
Sergent-Chef Goulet de Rugy
active
active
L'Aisne La 44ème D.I. doit participer à la constitution d'un front défensif, face à la ruée des Panzerdivisionnen qui ont bousculé nos troupes à Sedan et foncent vers l'ouest et le sud, entre Rethel et Laon. La destination du train qui transporte le bataillon est Reims, mais la voie est coupée bien au sud de cette ville. Le convoi s'arrête à Vitry la Ville, le I6, en début de soirée. Le deuxième train arrive à son tour, à la nuit tombée. La ville est en flammes. La gare a été bombardée. Sur une voie parallèle, un train est stationné, toutes vitres brisées, parois des wagons criblées de mitraille. Nouvel aspect de la guerre. On apprend qu'elle ne se manifeste plus seulement sur une ligne de front, mais s'étend à tout le territoire. Le débarquement a lieu sans incident à 21 heures. Les compagnies gagnent les couverts voisins pour, tant bien que mal, organiser un repas et se reposer quelques heures. Le groupe franc, alerté, est découplé à la recherche de problématiques parachutistes. Des sentinelles sont détachées à la garde du matériel débarqué sur le quai. Les véhicules ne seront débarqués qu'au jour. Les mulets sont mis à la corde dans le sous-bois. La nuit est claire. Quelques dégourdis ont découvert un étang tout proche, et, nus, profitent d'un bain réparateur. Le Commandant Ardisson téléphone à Châlons sur Marne pour demander des instructions. Il reçoit l'ordre de rejoindre Reims à pied....Quatre-vingts kilomètres! Il se concerte avec le Capitaine Diot, commandant du 62ème B.C.A., arrivé avec le deuxième convoi. Puis, tandis
que ses chasseurs se reposent un peu, il se rend en voiture au P.C. de la Circulation Routière à Châlons. La ville vient d'être bombardée au cours de la soirée. Des ruines encombrent les rues; les maisons brûlent encore. L'officier du Train qui le reçoit lui promet des camions pour le lendemain matin. Dès son retour à Vitry la Ville, peu après minuit, il fait partir le bataillon à pied, en direction de Châlons sur Marne. Le Capitaine Diot, pour sa part, préfère accorder une nuit de repos à ses hommes. Les compagnies arrivent à Châlons vers 6 heures 30, le 17 au matin. Elles se dispersent et s'abritent en attendant les véhicules, qui ne sont pas encore en place. Le repas de midi est plutôt succinct... On grignote quelques biscuits des vivres de réserve Vers 14 heures, arrivent des autocars, alors que l'on attendait des camions. Chacun s'allège au maximum et bourre ses poches de cartouches et de grenades, de quelques biscuits. On arrime des caisses d'obus de mortier et de cartouches de mitrailleuses sur les toits des autocars. Le train auto du bataillon n'a pas rejoint, et il faut maintenant abandonner les mulets, ces mulets, sans lesquels un bataillon alpin se retrouve plus nu qu'une unité de biffins. Ils rejoindront plus tard... en camion. Le Commandant Ardisson envisage avec angoisse d'être engagé avec seulement une partie de son bataillon et quelques minutes de feu. Le convoi se met en route à I5 heures, à destination de Reims, où il a rendez-vous avec le chef de corps, parti en avant pour prendre les ordres de la Division. Reims a été sévèrement bombardée. La ville est déserte, rues jonchées de pans de murs et de toitures effondrées. Tout ce qui reste de la population semble s'être rassemblé à la gare, dans l'attente de trains qui ne viendront plus. Le commandant y trouve un officier de l'E.M. de la division, qui, stoïque, continue d'attendre les trains arrêtés à Vitry-la-Ville, et qui le fait conduire au P.C. de la division. Il y est accueilli en sauveur par le général Boisseau, qui commençait à désespérer de voir arriver sur le terrain les troupes placées sous ses ordres. Le Groupe de Reconnaissance Divisionnaire, (G.R.D.41), tient, seul avec le G.R.D.22, de la 28ème D.I., le front imparti à la 44ème Division. Il a poussé assez loin de l'autre côté de l'Aisne, sans rien rencontrer. Le 22ème B.C.A. doit aller le renforcer. Le Commandant Ardisson retrouve ses compagnies et leurs véhicules
abrités tant bien que mal sous les arbres des squares et des avenues de la ville. Embarquement. Sur la route, le convoi croise des éléments débandés de toutes armes, rescapés de l'Armée Corap, encore sous le choc des attaques en piqué de l'aviation ennemie. Nombreux sont ceux qui n'ont plus d'armes. Ils avancent lentement, assommés par le sort et par la fatigue, au milieu de la cohue angoissée des populations qui refluent devant l'ennemi. Tout cela donne une pénible appréhension aux chasseurs, sans pour autant entamer leur moral. Les autocars s'arrêtent à Courlandon et Romain, où l'on met pied à terre pour attendre de nouveaux ordres, car les règlements interdisent aux véhicules de s'approcher à moins de quatorze kilomètres du front!!! Ces villages viennent d'être évacués. Dans celui où arrive la 3ème Compagnie, le maire, qui s'apprête à partir à son tour, autorise les chasseurs à se ravitailler en vivres à l'épicerie. Dans la soirée, le train muletier rejoint, transporté par camions, ce qui permet d'alléger les hommes et de remettre en ordre le matériel des sections lourdes, mitrailleuses, mortiers et canons. Dans l'attente des ordres de départ, les compagnies se sont étirées le long de la route, bordée d'arbres hauts et feuillus, qui protègent des vues aériennes. Un ordre
inattendu arrive: Chacun, officier, sous-officier ou chasseur, doit remettre au chefcomptable de sa compagnie son argent, ses papiers personnels. La situation seraitelle grave à ce point? A 20 heures 30, commence une étape de nuit, qui amène les compagnies à Blanzy et Baslieux les Fismes, où elles arrivent vers 2 heures. Quelques heures de repos, et, de nouveau, dans la nuit noire, par des chemins mal commodes, avec un sac qui se fait de plus en plus lourd, nouvelle étape jusqu'à Dhuizel, où les hommes, écrasés de fatigue, s'endorment sur place, au revers du talus. On y récupère les derniers éléments du Train Régimentaire... mais le ravitaillement n'a pas suivi. A Dhuizel, le Commandant Ardisson reçoit, à 6 heures du matin, le 18, l'ordre suivant: -"Tenir l'axe Pont Arcy - Vieil Arcy, ainsi que ces deux villages et les ponts sur le canal et sur l'Aisne, en y relevant les éléments du G.R.D. qui s'y trouvent."Sept kilomètres de front! Le commandant désigne la 3ème Compagnie, que commande le Lieutenant Minot, pour effectuer cette relève et progresser jusque-là en avant-garde du bataillon. Elle sera renforcée d'une section de mitrailleuses et d'un canon de 25 Tandis que la 3ème Compagnie se met en route vers Pont Arcy, une vague de bombardiers allemands attaque la ville de Fismes, à une dizaine de kilomètres au sud-est. On peut voir les appareils piquer, lâcher leurs bombes, et reprendre de l'altitude. L'un d'eux, pour la plus grande joie des chasseurs, est abattu par un avion français et vient tomber non loin de Dhuizel. Le Sous-Lieutenant Elorz, de la C.A, et sa section, capturent deux membres de l'équipage. Les trois autres sont morts. Le Lieutenant Minot prend contact, à Vieil Arcy, vers 7 heures, avec l'officier du G.R.D. qu'il doit relever, et qui ne peut fournir aucun renseignement précis... Le front serait très proche. Il faut donc progresser avec précaution. La 1ère Section, que commande le Sous-Lieutenant Escande, servira d'avant-garde à la compagnie La chaleur devient vite accablante pour ces hommes chargés de tout leur barda. Arrivée à proximité du canal latéral de l'Aisne, la section prend position. Le canon de 25 est mis en batterie, prenant en enfilade le pont sur le canal, la grand'rue de Vieil Arcy et le pont sur l'Aisne. Deux sous-officiers du G.R.D. apprennent alors au Lieutenant Minot que des éléments motorisés ennemis, venus en reconnaissance aux abords du canal de l'Oise à l'Aisne, ont été repoussée jusqu'à une dizaine de kilomètres. Des cavaliers du G.R.D., très décontractés, pêchent à la ligne dans l'Aisne. Minot décide d'occuper immédiatement Pont-Arcy et de pousser la Section Escande jusqu'aux rives du canal de l'Oise à l'Aisne. Faute de pouvoir les faire sauter, il entreprend de barricader les ponts sur le canal latéral et sur l'Aisne. Au pont sur l'Aisne, une chicane permet le passage du groupe motocycliste du Lieutenant Gilette, qui effectue une reconnaissance sur le R.N.325, en direction de l'est. Le groupe revient peu après, ayant repéré des Allemands au-delà de Bourg et Comin. La chicane est condamnée. Le Lieutenant Minot effectue, dans Pont Arcy, le tour du propriétaire. Le village est abandonné, maisons aux portes béantes. Les animaux domestiques ont été lâchés dans la nature. Ils errent, ça et là, à la recherche d'eau. Des vaches aux pis gonflés meuglent lamentablement, appelant pour être soulagées. Dans une cuisine, un cheval boit à même l'évier. En avant du village, l'Aisne coule entre des berges boisées. Vers 17 heures, la Section Escande repart. Aux abords du canal, elle rencontre un officier du Génie, chargé d'étudier le minage des ponts. Après une
rapide reconnaissance des lieux, effectuée en compagnie de son adjoint, le Sergentchef Bassecourt, il procède à une première implantation de ses groupes sur la rive ouest : deux sur la droite du pont, l'autre sur la gauche, après avoir réuni tout son monde, qu'il met, en quelques phrases, au courant de la situation, et à qui il résume la mission de la section... - Les gars, c'est fini de rire. Repas rapide. Les gorges et les estomacs sont noués... Chacun se met ensuite au travail pour creuser les premiers emplacements, tandis que les hommes de garde scrutent la rive opposée, dans la nuit qui tombe. Escande établit le plan de feu de ses armes automatiques, et, par coureur, rend compte au Lieutenant Minot, en demandant le renfort d'un canon de 25 et d'un groupe de mitrailleuses; renfort qu'il recevra le lendemain matin. Le Commandant Ardisson et le reste du bataillon se sont arrêtés à Pont Arcy, où parvient, en cours d'après-midi, un nouvel ordre: "Le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins, renforcé des éléments du G.R.D.22, relèvera la totalité du G.R.D.41 entre Braye en Laonnois à l'ouest, et Bourg et Comin à l'Est." Vers I6 heures, les 1ère et 2ème Compagnies, la C.A. et la C.H.R. font mouvement vers Soupir, où le Commandant Ardisson établit son P.C. (P.C. du Sous-Secteur de Soupir). La 1ère Compagnie passera la nuit dans le village, tandis que le Capitaine Combet pousse les Sections Merpillat et Coré jusqu'au canal. Lui-même et le reste de la 2ème Compagnie s'installent pour la nuit dans une grange, entre Soupir et le canal. Le I9 mai, au petit jour, les 1ère et 2ème Compagnies sont réveillées par des explosions de bombes, qu'un avion allemand vient de lâcher. L'une d'elles est tombée au milieu du cimetière de Soupir. La relève du G.R.D.41, le long du canal, s'effectue sans incident au cours de la matinée. La 1ère Compagnie, au nord, avec deux sections , assure la liaison avec le 99ème Régiment d'Infanterie Alpine, de la 28ème D.I. A la 2ème Compagnie, la Section Beau relève la Section Merpillat, le long du canal. Le Lieutenant Minot vient, le matin, inspecter la Section Escande, maintenant renforcée d'un groupe de mitrailleuses et d'un canon antichars. Les travaux d'aménagement du terrain sont déjà bien avancés. L'après-midi, Escande envoie Bassecourt établir la liaison avec les voisins. Sur la gauche, le contact est pris de suite avec la Section Coré, avec laquelle on est en liaison à vue. A gauche, c'est le vide. Plus d'un kilomètre de vide. Deux ponts-passerelles ne sont pas gardés. Seul, le pont sur la R.N.235, vers Bourg et Comin, est occupé par une compagnie du Génie. Immédiatement avisé, le Lieutenant Minot rend compte au Commandant Ardisson. Ces deux ponts recevront, dans la matinée du 20, une garnison du 6ème Régiment d'Infanterie. Le 62ème B.C.A., qui arrive en cours d'après-midi, est intégré dans le dispositif, entre le 22ème B.C.A. et le 99ème R.I.A., avec P.C. à la Ferme de Soupir (Sous-secteur de la Cour de Soupir). La 1ère Compagnie lui cède ses positions et roque vers le sud, où la 2ème resserre son créneau. Les premiers jours, les trois compagnies sont en ligne sur le canal. Chacune a poussé une "sonnette" sur l'autre rive: la 1ère, au Tilleul de la cote I58; la 2ème au village de Courtonne; la 3ème, en avant du pont dont elle a la garde Le bataillon reçoit de la Demi-Brigade le renfort de deux canons de 25 et d'un canon de 47. Quelques éléments réservés, dont le groupe franc et une section de mitrailleuses, assurent la protection du P.C. du bataillon, installé dans une maison
du village de Soupir. Le P.C. de la Demi-Brigade est implanté à Chavonne, celui de la Division à Baslieux les Fismes. Le secteur est difficile. Dominé au nord par les hauteurs du Chemin des Dames, où l'ennemi va bientôt prendre position, relié à l'autre rive du canal par cinq ponts et une douzaine de passerelles d'écluses, que le Génie n'a pas encore fait sauter, il oblige à une défense linéaire le long du canal, et, loin en arrière de celui-ci, laisse la possibilité d'aménager quelques môles de résistance: croupe N.E. de Soupir, bois entre le canal et Pont Arcy, château de Soupir. A vingt-cinq kilomètres dans l'est, se profile la sinistre cote 108, où, un matin de mai 1917, l'explosion d'un gigantesque fourneau de mine a volatilisé deux compagnies du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins de la Grande Guerre. Soussecteur de Soupir (22ème B.C.A.) Soupir : P.C. du Bataillon 1
Section Léon
1ère Compagnie
2
Section Lajous 1ère Compagnie
3
Section Beau
2ème Compagnie
4
Section Coré
2ème Compagnie
5
Section Escande
3ème Compagnie
Partout on s'affaire à perfectionner les travaux d'organisation du terrain, déjà entrepris par les cavaliers: emplacements d'armes automatiques, défenses accessoires, réseaux de barbelés, tranchées et abris, abattis sur l'autre rive, tandis que les hommes des Transmissions tirent leurs lignes entre les compagnies et le P.C. Le canal, s'il est un obstacle réel que l'ennemi devra franchir, ne présente pas une position de défense idéale. Il est en superstructure et traverse la plaine entre deux remblais, hauts par endroits de deux à trois mètres. Une plaine marécageuse, truffée de trous d'obus de la "dernière", remplis d'eau et partiellement camouflés par un taillis épais. Les relèves de nuit s'y perdront. Il est délicat de creuser abris et tranchées dans le flanc du talus. L'eau s'infiltre rapidement au fond des trous et suinte sur les parois, y rendant le repos suprêmement inconfortable. Les armes automatiques n'ont qu'un champ de tir limité. Il faudrait être sur le chemin de halage lui-même pour obtenir des tirs rasants sur le plan d'eau. Vers MoussyVerneuil, les positions sont franchement dominées par les cotes 158 et 175, derniers ressauts du Chemin des Dames sur la rive adverse. A l'extrémité sud du sous-secteur, la Section Escande se trouve dans une situation particulièrement difficile. Le remblai du chemin de halage dépasse à peine le niveau de la prairie marécageuse. Il ne peut être question d'y creuser de véritables abris. Dans chaque groupe, les trous individuels ont été reliés entre eux par d'étroites saignées. Les hommes devront y vivre, pendant tout leur séjour en première ligne, dans des conditions très précaires, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En outre, l'ensemble du point d'appui est dominé, à six ou sept cents mètres, par l'éperon sud-ouest de la montagne de Comin. Le chef de section et son adjoint ont installé leur "P C " contre le talus du petit chemin qui accède au pont sur le canal, et l'ont renforcé par un mur de caisses à munitions remplies de terre, camouflé par des branchages. Pour
effectuer les rondes et visites d'un groupe à l'autre, Escande et Bassecourt devront, la plupart du temps ramper ou marcher à quatre pattes dans l'herbe du marécage. L'artillerie divisionnaire a rejoint. Deux groupes de 75 du 91ème R.A., et un de 155, qui mettent en place des tirs d'arrêt en avant de la ligne tenue par le bataillon. Courteline pas mort !... Les fusils Lebel et les mousquetons, qui tirent la cartouche à balle de 8m/m, sont remplacés par des Mas 36 de calibre 7m/m5. L'échange se fait jusqu'aux avant-postes... et les munitions n'arrivent que le lendemain. Par chance, l'ennemi ne se manifeste pas. Mais si... Mieux vaut n'y point penser. Les compagnies reçoivent enfin des mines, qu'il faut installer d'urgence sur les voies, d'accès aux ponts Des blindés ennemis ont été signalés sur les hauteurs du Chemin des Dames. On attend également le repli de la 4ème Division Cuirassée du Général De Gaulle. Au petit jour, le 20 mai, des équipes installent les champs de mines. Celle de la 2ème Compagnie, que commande le Sergent Michel Rodde, se fait prendre à partie par un point d'appui de la 1ère, alors que, travail terminé, elle rentre dans nos lignes. Pas de casse, mais quelques instants de vive émotion. Pour la première fois depuis la mise en place des compagnies, dès six heures du matin, le "mouchard" tourne au dessus du canal. Dès lors, il sera là tous les jours, dès l'aurore, énervant par son indiscrète et continuelle présence, épiant toute modification apportée au terrain et tout mouvement, même individuel. Les gars de la 3ème Compagnie l'ont surnommé "Ernest". C'est peut-être plus familier, mais il n'en est pas moins malfaisant. En fin de matinée, les sonnettes placées en avantpostes sur 158 et à Courtonne sont au contact avec des motocyclistes allemands, qui se replient après un échange de coups de feu. Le groupe franc effectue une patrouille de l'autre coté du canal, jusqu'au village de Moussy-Verneuil. Au cours de leur progression, les chasseurs assistent de loin à un combat qui met aux prises, sur les pentes du Mont de Beaulne, une section de vieux chars F.T.Renault, type 1917 avec des blindés allemands. L'un après l'autre, ces chars, qui ne possèdent qu'une mitrailleuse Hotchkiss, ou, pour les mieux armés, une pétoire de 37 court, sont touchés par les projectiles de leurs adversaires et brûlent. L'un d'entre eux, cependant, qui a réussi à esquiver les tirs ennemis, débouche en cahotant en face d'Escande, tentant de rejoindre nos lignes. Une des mines, posée le matin même, lui arrache une chenille. Les deux hommes d'équipage en jaillissent d'un trait et rejoignent en courant les chasseurs, qui, à grand renfort de cris et de gestes, les guident vers une passerelle. Peu après, une patrouille allemande arrive jusqu'au char. Ses mitrailleuses interdisent désormais tout débouché du bois. A la tombée de la nuit, une motocyclette et deux side-cars descendent de Moussy-Verneuil vers le canal. Alors que le motard s'engage au ralenti sur le pont, la sentinelle, qui se croit en présence d'éléments de la 4ème D.C., crie: - "Halte-là!" Les trois engins font demi-tour dans un déchaînement de moteurs, tandis que les passagers des side-cars lâchent des rafales de mitraillettes. Toute la nuit, le Chemin des Dames est balayé des pinceaux lumineux des convois ennemis, dont le bruit des moteurs tisse un fond sonore dans la nuit. Les deuxième et troisièmes sections de la 2ème Compagnie ont eu affaire, au cours de la nuit, à des isolés infiltrés sur leurs arrières. Au Jour, le 21, le Sergent Guy ratisse la zone, à la tête d'une patrouille de dix hommes, tandis que le Sergent Rodde et quatre chasseurs sont en bouclage. Sans résultat. Au retour, la
patrouille est saluée d'un coup de 77 fusant. Le chasseur Boutin s'écroule, le crâne ouvert par un éclat; Molinier est blessé à la jambe. Le corps de Boutin est ramené au P.C. de la compagnie. Sa section présente les armes, tandis que les brancardiers emportent la dépouille du sympathique titi parisien, aimé de tous. Il sera le premier et le dernier à recevoir ces honneurs. Par la suite, on n'aura plus le temps. Au petit Jour, le 21, le chasseur Andrévie, la "longue carabine" de la Section Escande, découvre un guetteur ennemi, qui tente de se camoufler dans les branches hautes d'un peuplier, et l'abat d'une balle. Au cours de la journée et les jours suivants, il se spécialisera dans ce genre de sport. Chacun de ses coups de feu est ponctué d'un: "Encore un, mon lieutenant." Vers sept heures, le guetteur du groupe de mitrailleuses signale des groupes de fantassins, qui progressent sur le versant nord de 1a Montagne de Comin. A la jumelle, aucun doute n'est possible: ce sont des Allemands. - "Hausse 2000 mètres." Escande fait tirer quelques rafales de mitrailleuses, qui doivent leur siffler aux oreilles, car les groupes se dispersent. A chaque mouvement, la mitrailleuse tire quelques cartouches. Trois minutes plus tard, la riposte arrive; une rafale de mitrailleuse lourde claque dans les branches des peupliers qui bordent le canal. Escande choisit parmi les volontaires qui s'offrent pour une patrouille. Le petit groupe franchit le canal et disparaît dans les taillis. Dix à quinze minutes se passent, longues comme des heures pour ceux qui attendent. Brutalement, quelques claquements secs de mousquetons, auxquels ripostent des rafales de pistolets-mitrailleurs. Les patrouilleurs se replient en courant vers le pont. Au sifflet, Bassecourt donne le signal du tir de barrage pour les armes automatiques du point d'appui. Deux minutes de feu, pendant lesquelles le chasseur Peyre, resté de l'autre coté du canal, s'incruste dans le sol, sous les rafales qui le frôlent désagréablement près. Le tir terminé, d'un bond, il franchit le pont, souriant, mais un peu pâle tout de même. C'est à qui racontera le coup. La patrouille a surpris les voltigeurs de pointe ennemis. Deux d'entre eux sont tombés, tués sans doute; deux autres auraient été touchés. C'est maintenant, par dessus le canal, un échange continu de coups de feu isolés, de courtes rafales. L'ennemi occupe la ligne de buissons, à une quarantaine de mètres, sur l'autre rive. Les corvées de soupe commencent à arriver de façon irrégulière. Celle de midi vers 18 heures, celle du soir tard dans la nuit. Il est vrai que les gars doivent à tout instant se plaquer au sol sous une rafale de mitrailleuse ou l'explosion d'un obus. Il faut le faire! A 10 heures 30, un Stosstrup à l'effectif d'une section s'approche du pont tenu par la Section Beau, de la 2ème Compagnie, en progressant dans les taillis épais, puis, d'un bond, franchit l'espace découvert en direction du pont. Les fusils-mitrailleurs tirent de longues rafales Quelques Allemands tombent, mais les autres parviennent jusqu'à la berge et à la pile du pont. Le Sous-Lieutenant Elorz, qui commande les mitrailleuses du point d'appui, rameute cinq grenadiers V.B. et commence à arroser l'ennemi de grenades à fusil. Les Allemands reculent dans les buissons, par petits groupes, poursuivis par le tir en écharpe des mitrailleuses de l'Aspirant Bonifassi, qui fait de nouvelles victimes. Nous n'avons que quelques blessés. Au cours de l'après-midi, une équipe du Génie fait sauter le pont que garde la Section du SousLieutenant Lajous (1ère Compagnie). Celui que vient de défendre la Section Beau saute à son tour, le 22, à 3 heures 30. Avant chaque explosion, le personnel du
point d'appui se replie de cent cinquante mètres, tandis que l'artillerie applique un tir de barrage sur la rive adverse. Sitôt après l'explosion, nos gens reprennent leurs positions. L'ennemi modifie son dispositif. Ses éléments de reconnaissance, avec lesquels nous étions au contact, sont relevés par de l'infanterie, dotée de Minenwerfer, et accompagnée par de l'artillerie. De notre côté, la 44ème Division d'Infanterie passe sous les ordres du VIIème Corps d'Armée. Le soir, à 20 heures, nos 75 appliquent leur tir sur l'autre rive. La nuit du 22 au 23 est relativement calme, si ce n'était cet énervant harcèlement de coups de feu. Le 23, au matin, le point d'appui de la Section Escande est encadré par un tir de mortiers, vraisemblablement un réglage. Faute de pouvoir riposter avec un matériel similaire, Bassecourt propose à son chef de former un groupe de contrebatterie avec les grenadiers V.B. de la section. Un emplacement leur est assigné un peu en arrière du P.C. de section, de part et d'autre du chemin d'accès au pont. Et l'on procède au repérage des objectifs éventuels. L'ennemi poursuit ses tirs de harcèlement et ses patrouilles de contact contre nos avant-postes, aux abords des passerelles d'écluses. Au cours de l'après-midi, un violent orage s'abat sur la région. Dans le sous-quartier de la 1ère Compagnie, la foudre frappe mortellement le Caporal-chef Lattés, de la section de l'Adjudant-chef Léon, auprès de son fusil-mitrailleur, dont un des servants est blessé. Le Sergent-chef Lantheaume sert de guide aux brancardiers qui viennent chercher le corps. L'un d'entre eux, le chasseur Aimé Barelli, deviendra, après la guerre, un célèbre chef d'orchestre. A la tombée de la nuit, la densité des tirs de Minen augmente soudain sur la berge du canal, tandis que des salves de 105 s'abattant en arrière autour des P.C. de compagnies. Le bombardement dure une dizaine de minutes, puis, sur un front de cinq cents mètres, deux compagnies allemandes se ruent vers les deux ponts et les deux passerelles du canal, en face des points d'appui de la 1ère compagnie. Des groupes traînent avec eux des canots pneumatiques. Le tir des armes automatiques se déchaîne. Deux abris seulement se sont effondrés, et la 1ère Compagnie n'a que deux blessés légers. Une fusée rouge monte, demandant l'appui de l'artillerie. Les chasseurs de la section de l'Adjudantchef Brun tirent, presque à bout portant, sur les silhouettes qui se pressent sur l'autre rive du canal. Le chasseur de 1ère classe Briols, qui a pris le commandement du groupe du Caporal-chef Lattés, tué cet après-midi par la foudre, refoule à la grenade l'assaillant qui cherche à prendre pied dans sa position. Trois minutes seulement après le lancement de la fusée rouge, les premiers obus de 75 s'abattent de l'autre côté du canal. Leurs explosions serrent la berge de très près, hachant les groupes ennemis, qui refluent. Les explosifs attendus pour faire sauter les derniers ponts, en particulier celui du point d'appui de la 3ème Compagnie, arrivent enfin le 24. Vers midi, le premier groupe de la Section Escande est pris sous un feu continu et ajusté d'armes individuelles et automatiques. Chaque mouvement, qui dépasse le maigre parapet, est sanctionné d'une rafale. Le sous-lieutenant, qui est debout depuis la veille au soir, vient à peine de rejoindre son abri, pour, si possible, prendre un peu de repos. Bassecourt décide alors de transporter le groupe dans des emplacements creusés à quelques dizaines de mètres de ceux qu'il occupe, et qui n'ont jamais été utilisés. Pour permettre ce mouvement, il faut neutraliser pendant quelques minutes les tireurs adverses. Le Sergent Truc fait démonter les
mitrailleuses installées sous abri, et les fait remonter sur le parapet. Au coup de sifflet, les deux pièces ouvrent le feu, en fauchant, sur la ligne de buissons suspects, tandis que les hommes du premier groupe s'éjectent de leurs trous et bondissent dans leurs nouveaux emplacements. Le fusil-mitrailleur du groupe, de nouveau en batterie, reprend son tir. Les mitrailleuses ont tiré plus de cinq cents cartouches. La "soupe de midi", qui arrive sur le coup de vingt heures, accompagnée de quelques sapeurs du Génie, chargés comme des mulets alpins, apporte un ordre du Lieutenant Minot: - " Faire sauter le pont cette nuit, SANS FAUTE." A la nuit tombée, une première mise à feu est effectuée, après que la garnison du P.A; et son matériel aient été repliés d'une centaine de mètres. Long feu ?...Même pas. La mèche s'est éteinte aussitôt qu'allumée. Un essai avec un morceau prélevé un peu plus loin sur le rouleau confirme qu'elle est de mauvaise qualité. Tandis qu'un sapeur part vers l'arrière à la recherche d'un autre rouleau de mèche lente, le Lieutenant Escande décide de demander le tir de rupture repéré à l'avance sur le pont. Le signal en est une fusée à trois feux verts. Nouvelle évacuation des positions. La fusée s'élève, les trois étoiles vertes effectuent de gracieuse trajectoires dans le ciel nocturne avant de s'éteindre. En rigolant un peu nerveusement, un gars chuchote : "Ça ne vaut pas le 14 juillet à Nice". Les minutes s'écoulent. Les canons restent muets. Deux autres fusées - les dernières - sont tirées à leur tour, sans plus de résultat. Mais que foutent donc les artilleurs ? Cinq minutes passent encore. Cela fait un quart d'heure que le point d'appui est désert. Dangereux, ça. La section retourne occuper ses positions au bord du canal. Le sapeur revient enfin. Le cordon est installé. Bassecourt réveille Escande qui s'était assoupi. Pour la troisième fois, on évacue le P.A. La mèche est mise à feu. Trente secondes plus tard, une explosion formidable secoue le sol. La terre tremble. Des débris de toute sorte pleuvent autour des chasseurs qui foncent dans le fumée pour reprendre leur poste. Le tir reprend par dessus le canal, dans lequel le pont s'est effondré, cassé par le milieu. Le chasseur Coularou, agent de liaison de la section, a parcouru cette nuit trois fois le trajet aller et retour du canal jusqu'à Pont Arcy, pour porter au Lieutenant Minot le compte-rendu de chacune des péripéties. Trois fois huit kilomètres, de nuit, par le petit chemin qui traverse les marais. Brave Coularou! Tout est réinstallé pour le petit jour. La matinée s'étire sans incident notable, si ce n'est que la soupe n'arrive pas. Au cours de l'après-midi, des rafales de mitraillettes claquent tout près, au ras du pont, de plus en plus nourries. Escande et Bassecourt se concertent. Comment les faire taire ? - J'y vais, mon lieutenant. Le chasseur Antoine Sansoni, tireur au F.M. est une force de la nature. Rien n'arrête jamais ce niçois solidement charpente, au cou de taureau, que surmonte un visage rougeaud...Il se saisit de son arme, escalade le talus de la route, appuie son fusilmitrailleur sur la poutre métallique du pont, tordue par l'explosion, et vide d'un trait une boite chargeur entière, en balayant la ligne des buissons. Son chargeur l'a suivi et réapprovisionne l'arme. Nouvelle longue rafale, qui écrête, en face, le chemin de halage. Tout l'après-midi, grandiose d'inconscience, il répond à chaque coup de feu de l'adversaire, et, de temps à autre, se retourne en rigolant. Sansoni se régale. Les échanges de coups de feu augmentent avec la nuit qui vient. Un groupe arrive de l'arrière. Ce n'est pas la corvée de soupe tant attendue, mais un renfort envoyé par le
Lieutenant Minot , qui s'est rendu-compte de l'état d'épuisement physique et nerveux de la section. Bassecourt installe personnellement les nouveaux arrivants dans les emplacements initialement occupés par le premier groupe, puis ensuite abandonnés. Il donne au Sergent Fourrés, qui les commande, tous les renseignements sur l'ennemi : - ...en face... à une quarantaine de mètres. - C'est pas vrai ! Les heures nocturnes s'écoulent, interminables. Les nouveaux venus ont le visage déjà marqué par la nuit blanche qu'ils viennent de passer. Ils n'en reviennent pas d'apprendre "que c'est comme ça depuis le premier jour." La soupe de midi est apportée, presque à l'heure, par une corvée de la compagnie. Miracle! les gamelles sont encore chaudes. La répartition entre les groupes s'effectue rapidement. Le sous-officier qui commande les ravitailleurs remet un pli au Sous-Lieutenant Escande, qui l'enfouit sans rien dire dans sa poche après l'avoir lu. L'après-midi traînaille dans le calme et la chaleur. Par roulement, les hommes dorment, réveillés de temps à autre par quelques rafales d'armes automatiques ou quelque explosion isolée. Le soir, tandis qu'il pioche avec les doigts dans la boite de "singe" qu'il partage avec Bassecourt, Escande lui tend le papier qu'il a sorti de sa poche. "Vous serez relevés ce soir à 22 heures par le 54ème B.C.A." Bouffée de chaleur. La fatigue s'envole. - Faites la tournée des groupes, vérifiez les munitions. Mais, surtout, ne dites rien. Pas même aux chefs de groupes. On ne sait jamais. En rampant, ou presque, Bassecourt fait sa tournée, compte les grenades, les munitions de réserve, blague avec les hommes, et revient rendre compte. La nuit est déjà là. 22 heures. Rien. 23 heures. Toujours rien. Bassecourt esquisse une grimace. Avec la nuit, les échanges de coups de feu ont repris. des isolés viennent, en face, au ras du canal, vider par courtes rafales leur chargeur de mitraillette, avant d'aller un peu plus loin reprendre leur petit jeu. - Allez vous reposer, mon vieux, je vous réveillerai. Bassecourt s'effondre entre deux caisses de munitions remplies de terre et sombre . Il se réveille d'un coup. Il est deux heures du matin, et la relève n'est pas venue. Escande est un peu plus loin, près du pont, accompagné du Lieutenant Minot, qui est venu réconforter ses gens lorsqu'il s'est rendu compte que la relève n'arrivait pas. Presque au même instant, un officier de la Compagnie Becq du 64ème B.C.A. se présente, s'excusant du retard. On l'embrasserait! Pendant que les chefs de section se passent les consignes, Bassecourt conduit les groupes qui arrivent à leurs emplacements. Il doit insister pour que les consignes soient passées dans tous les détails, tellement les gars sont pressés de quitter le coin. La relève se fait lentement. Au lever du jour, la section est regroupée, en marche vers Pont Arcy. Andrévie, qui manque à l'appel, rejoint en cours de route. Les maisons de Pont Arcy. Une soupe bien chaude attend la section, qui arrive à 6 heures, mange, et s'effondre dans la paille d'une grange. Quelques raffinés ont pris le temps de se laver. Le Lieutenant Minot offre le champagne aux gradés souriant, détendu, soulagé. Au cours de ce dur séjour au contact de l'ennemi, la section n'a eu ni mort, ni blessé. Il plaisante Bassecourt, qui, vraiment, a une sale gueule. Pas rasé depuis huit jours, le visage verdâtre, comme les mains d'ailleurs et la capote, d'avoir rampé de jour et de nuit dans l'herbe du marais. Mais il s'en fout, Bassecourt. Est-ce le champagne ou cette sensation grisante d'être délivré de cette hantise quotidienne qui l'habitait ? Avisant un vélo posé contre le mur de la ferme, il l'enfourche et se
met à pédaler à toute vitesse, comme un fou, sur la route, heureux de se sentir libre, le vent dans la figure. L'après-midi, la section rejoint Cys la Commune. Le P.C. de la compagnie et les autres sections sont déjà installées à Chavonne. Le 64ème B.C.A. a implanté son P.C. à Pont Arcy. Sur ordre de la division, le Commandant Ardisson doit remanier son dispositif. Seules les 1ère et 2ème Compagnies restent en position sur le canal. Chacune des deux compagnies met en ligne deux sections, renforcées par une section de mitrailleuses; les deux autres sections s'installent légèrement en retrait. La compagnie de droite dispose en outre d'un canon de 37. La 3ème Compagnie, après son repli sur Chavonne et Cys la Commune, est chargée de la garde des ponts et passerelles d'écluses sur le canal latéral de l'Aisne, ainsi que de patrouilles dans les villages alentour. La C.H.R. et le train régimentaire du bataillon, cantonnés à l'origine dans Soupir, à proximité du P.C., sont repliés sur Chavonne, où se crée une base arrière, sous les ordres du Capitaine Sivade. Durant ces quelques jours, la 2ème Compagnie s'est livrée à plusieurs coups de main rapides et brutaux, pour dégager les extrémités des passerelles d'écluses, où l'ennemi tente de s'implanter. Les groupes du Sergent Kantzia et du Caporal-chef Giaccomoni s'y distinguent. Au cours de l'un de ces accrochages, le 25 mai, Willy Kantzia est grièvement blessé à la gorge. Il meurt au cours de son évacuation en ambulance. Le sergent mitrailleur Pourtout, qui s'est déjà distingué à Mertzwiller, lors de l'attaque de la gare par l'aviation allemande, participe aux patrouilles. Le fusil-mitrailleur du groupe s'étant enrayé au cours d'un accrochage, il en protège le repli à la grenade. Le Commandant Ardisson visite fréquemment les points d'appui de première ligne, et peut se rendre compte que cadres et chasseurs sont "gonflés", calmes et résolus, malgré le manque de sommeil et les conditions précaires d'installation dans un terrain marécageux, où l'on cohabite un peu trop étroitement avec des nuées de moustiques. Le 26, au petit jour, un petit groupe de soldats français se présente devant le point d'appui du Sous-Lieutenant Beau, et se fait reconnaître. Les chasseurs leur font franchir la passerelle d'écluse. Il y a là un capitaine, blessé aux genoux, deux lieutenants et quatre soldats. Ils errent au travers des lignes ennemies depuis le 15 mai, et sont hirsutes, affamés et épuisés. Ils indiquent avoir repéré, à quelques dizaines de mètres du canal, les cadavres de deux Allemands. Tandis qu'on les guide jusqu'au P.C. de la 2ème Compagnie, le Caporal-chef Giaccomoni et le chasseur Volgouris se faufilent, par delà le canal, jusqu'à l'endroit où gisent les corps. Ils en ramènent un pistolet-mitrailleur, des munitions, des grenades à manche, et divers papiers qui permettent d'identifier le vis-à-vis : le 14ème Infanterie Régiment, de Postdam. Le soir, le chasseur Antoine Lucchini, de la Section Beau, est tué au cours d'une patrouille. Les jours suivants se passent dans un calme relatif, haché de salves d'artillerie et de tirs de minen aux heures des corvées de soupe. Le 26, un obus de 105 tombe sur l'abri de l'Aspirant Bonifassi, en crève la voûte de terre et de rondins, pour terminer sa course à l'intérieur, sans exploser. D'un même élan, les occupants se retrouvent dehors, sans trop savoir comment cela s'est fait. L'aspi, encore sous le choc, téléphone au P.C. du bataillon : - Que dois-je faire de l'obus ? La réponse l'achève définitivement : Laissez-lui votre abri et trouvez en un autre. Le 31 au soir, c'est au tour de la 3ème Compagnie d'assurer le ravitaillement en matériel et barbelés des compagnies
avancées du bataillon. Le responsable du convoi ne connaît pas bien le parcours et ignore le danger que représentent les observatoires que les Allemands ont installé sur les crêtes. Il part de Chavonne alors que la nuit n'est pas complètement tombée, et est rapidement repéré par les guetteurs ennemis. Une salve d'artillerie encadre les véhicules alors qu'ils pénètrent dans le village de Soupir. Les obus éclatent dans les arbres et hachent les chasseurs qui se sont jetés contre les talus. Trois hommes sont tués, d'autres blessés, dont le Sergent Brodnick, jambe gauche broyée. Au cours de la nuit du 1er au 2 juin, la 28ème Division d'Infanterie prend en charge le secteur jusqu'à Pont Arcy. Le 22ème B.C.A. est relevé par des unités des 27ème et 47ème Bataillons de Chasseurs Alpins, qui appartiennent à la 25ème Demi-Brigade, que commande le Lieutenant-Colonel Bel, et passe en réserve de Division. La relève, qui devait s'effectuer en début de nuit, traîne en longueur par suite de retard des unités relevantes, plus ou moins égarées dans les dédales du marécage. les compagnies quittent leurs positions l'une après l'autre, pour se regrouper dans les bois de Paars. Elles y arrivent, épuisées par cette marche de nuit, venue s'ajouter aux fatigues accumulées au cours des journées passées en première ligne. La dernière franchit au petit jour seulement la crête très exposée de Saint Mard, sans attirer de réaction ennemie. Les Sous-Lieutenants Agard et Beau, ainsi qu'une dizaine de sous-officiers, qui sont restés en postcurseur auprès des unités de relève, rejoignent le lendemain seulement Bazoches, où le P.C. et la C.H.R. sont cantonnés. Comme les précédents, Soupir, Bourg et Comin, Moussy-Verneuil, ce village a été complètement pillé. Par les fuyards de l'Armée Corap ?... Par les réfugiés ?... Les boches n'y trouveront pas un gros butin. Paars - Courcelles Bazoches Le 2 juin, le Chef de Bataillon Ardisson reçoit l'ordre "d'organiser solidement Bazoches et de constituer une bretelle pour barrer la vallée de la Vesle entre Saint Thibaut et les hauteurs situées au nord de Bazoches ' Deux jours durant, les compagnies s'emploient à des travaux de campagne, tranchées et coupures de route, malgré la présence permanente des avions d'observation ennemis et des tirs d'artillerie, qui occasionnent des blessés légers: le Sergent-Chef Chamayou, chef comptable de la C.A., et le chasseur Edouard Coste. La 3ème Compagnie barre la route nationale par un dispositif antichars et se fait livrer des bidons d'essence, qui doivent servir à enflammer les blindés ennemis. Une compagnie de chars Hotchkiss, flambant neufs, traverse le chantier en cours et se dirige vers Braine. Le 3 au soir, le commandant se rend en voiture à Courcelles. Le village est désert. Il pousse jusqu'à l'entrée de Braine, où ne se manifeste aucune présence de troupe française. Il semblerait que le bataillon soit complètement en l'air vers l'ouest! Le groupe franc est dissous le 4 juin. Gradés et chasseurs rejoignent leur unité d'origine. Gardé en réserve de bataillon dès l'installation sur le canal, il avait été découplé à la recherche d'hypothétiques parachutistes, cette obsession de tous ceux qui ont vécu cette époque. Le 20 mai, il a poussé une patrouille jusqu'à MoussyVerneuil, de l'autre côté du canal, et, le 21, pris contact avec le groupe franc du G.R.D.. Hormis ces quelques patrouilles, il a été employé, le 22, en couverture d'un canon de 37, en batterie au carrefour du chemin départemental 88, en deçà du canal, face à Moussy-Verneuil, (les ponts n'ont pas encore sauté), et, du 26 mai au ler juin, alternativement à des travaux de pose de barbelés et à quelques patrouilles.
Le 5 juin, à l'aube, les Allemands attaquent avec d'importants effectifs en face de la 28ème D.I. sur le Chemin des Dames et sur le canal de l'Oise à l'Aisne, en particulier contre les positions que les 62ème et 22ème B.C.A. avaient occupées jusqu'au 1er juin. Malgré une résistance acharnée, les unités en ligne sont débordées. Dans la soirée, le bataillon est remis à la disposition de la 26ème DemiBrigade. Il reçoit l'ordre de couvrir le flanc gauche de la 44ème Division dans les bois de Paars, avec possibilité d'intervention en direction de Saint Mard et Dhuizel. Il est relevé, à Bazoches, par le 85ème Régiment d'Infanterie, nouvellement arrivé dans le secteur. Le 6 juin, la ligne de feu se rapproche. Certaines unités de la 28ème D.I., écrasées par l'artillerie et l'aviation ennemies, continuent à se replier pas à pas, au cours d'âpres combats. D'autres sont déjà dispersées. Le 7 juin, a lieu dans les compagnies une première remise de Croix de Guerre, gagnées sur le canal. Le reflux des unités de la 28ème D.I. s'accentue. Le Sergent François Dory, de la 1ère Compagnie, qui protège avec son groupe une équipe du Génie, occupée à miner le pont sur la Vesle entre Limé et Courcelles, voit défiler, tout au long de la matinée, des groupes de toutes armes, les uns encore armés et à peu près en ordre, d'autres en pleine débandade. Une batterie d'artillerie hippomobile traverse le pont au grand galop de ses attelages. Au milieu des Alpins du 99ème R.I.A. qui se replient, Dory retrouve son frère dont il était sans nouvelles. Embrassade rapide. Puis chacun retourne à son devoir. En fin d'après-midi, à la réception d'un nouvel ordre, le Commandant Ardisson envoie la 1ère Compagnie (Capitaine Latruffe) à Limé, et la 3ème (Lieutenant Minot) à Courcelles, avec mission de s'y établir face au nord et à l'ouest, en assurant la liaison entre elles sur la Vesle. Le Capitaine Combet et la 2ème Compagnie occupent une hauteur qui domine la Route Nationale 31, Soissons-Reims, en appui des compagnies de première ligne. Le P.C. est maintenu à Paars, protégé par une section de la 2ème Compagnie, une section de mitrailleuses, Un canon de 25, quelques infirmiers et transmissionistes, et une automitrailleuse Hotchkiss isolée, venue se rallier au bataillon. L'essentiel de la C.H.R. et le train régimentaire se replient vers Mont Saint Martin, et ultérieurement sur Lhéry Le Lieutenant Minot, qui a installé son P.C. dans une cave proche de l'église de Courcelles, a, de son coté, récupéré quelques hommes de la Légion Étrangère et les a incorporé à son dispositif. La 3ème Compagnie a pris position: deux sections de part et d'autre de la R.N.31, face à l'ouest, d'où, pense le lieutenant, doivent arriver les chars allemands, une section au nord du village, la quatrième en retrait, vers la sortie est. Tandis que les sections aménagent leurs positions, deux chevaux allemands, ayant perdu leurs cavaliers, entrent au grand galop dans le village. Les chasseurs s'en emparent après quelques minutes de rodéo. L'ennemi n'est donc pas loin. A peine cet incident réglé, brutalement, une pluie de bombes s'abat sur le centre du village. Les sections sont heureusement en dehors de l'agglomération. Il n'y a pas de pertes, mais le village est devenu méconnaissable. Chacun son tour, les villages de la région sont pris à partie par l'aviation et l'artillerie allemandes. Des incendies éclatent un peu partout. Le bombardement se calme tant soit peu avec la nuit, pour reprendre avec la même violence le 8 au lever du jour. Notre artillerie est désespérément muette En avant du bataillon, la 25ème Demi-Brigade (28ème D.I.) a établi son P.C. à la Ferme de Crévecoeur, sur le
plateau, au nord-ouest de Courcelles. Sur la gauche, le 99ème R.I.A. devrait défendre Braine, appuyé par le 59ème Bataillon de Mitrailleurs. Or, une brèche importante se produit, le 8, en cours de matinée, entre le 99ème R.I.A. et la 25ème Demi-brigade. Le Lieutenant-Colonel Bel, qui commande celle-ci, sollicite l'appui du 22ème B.C.A., pour permettre le décrochage de ses éléments encore au contact de l'ennemi, menacés d'encerclement. En voiture, le Commandant Ardisson se rend à Courcelles, pour donner personnellement au Lieutenant Minot l'ordre de se mettre, avec deux sections, à la disposition du commandant de la 25ème D.B.C.A.. Minot donne aux Chefs de Sections désignés, Escande et Beau, les directives pour leur marche d'approche. Les hommes doivent s'alléger au maximum et n'emporter que la toile de tente en sautoir, leur arme, et le plus de munitions possible. Conduit par le motocycliste de la compagnie, Minot va se présenter au Lieutenant-Colonel Bel. En approchant de la Ferme de Crévecoeur, il est pris sous le bombardement qui écrase le plateau. Dans les ruines de la ferme, mi P.C., mi poste de secours, il trouve le colonel entouré de blessés. Tandis qu'il prend ses instructions, les deux sections, en formation diluée, gravissent les pentes qui conduisent à la ferme. La progression est rapide, dans les blés de juin, qui montent à hauteur de poitrine d'homme. Alors que les chasseurs abordent le plateau, ils sont pris à partie par une vague d'avions, qui attaquent en piqué à la bombe et à la mitrailleuse. Sous l'avalanche, chacun se terre de son mieux, s'incruste dans le glacis découvert, se protège comme il peut. Bien mieux ! Le Sergent-Chef Karl Johannsen - il a été blessé ce matin à la poitrine, au cours du bombardement de Courcelles - se saisit d'un fusil-mitrailleur dont le tireur vient d'être touché à ses côtés. Couché sur le dos, les genoux supportant l'arme, il ouvre le feu sur les avions qui piquent à nouveau. Son exemple est contagieux. Le Caporal Georges Rival, lui aussi, tire au F.M., d'autres au fusil. Lorsque les avions disparaissent enfin, Escande s'aperçoit que dans sa section les pertes sont minimes: Un tué et un blessé. Le mort est le clairon Baumelle, à qui un éclat de bombe a pratiquement sectionné un bras au niveau de l'omoplate. Mais, tandis qu'ils étaient neutralisés par le bombardement, l'ennemi a submergé les deux points d'appui de la 25ème Demi-Brigade, qui résistaient encore au nord du plateau. Les 27ème et 44ème Bataillons de Chasseurs Alpins se sont durement battus et ont terriblement souffert. La ferme de Crévecoeur déborde de blessés. Le Lieutenant-Colonel Bel donne lui même au Lieutenant Minot l'ordre de ramener ses sections à Courcelles, et remercie le Commandant Ardisson de son aide. Avec l'aide d'un chasseur, Bassecourt a roulé le corps de Baumelle dans la toile de tente que le mort portait en bandoulière. Ils le traînent plutôt qu'ils ne le portent pendant quelques dizaines de mètres. En avant d'eux, quatre chasseurs transportent dans une toile de tente un camarade blessé aux reins, et qui hurle sa douleur. Les avions réapparaissent et les obligent à se plaquer de nouveau au sol. L'alerte passée, ils s'éloignent, laissant le corps sur place, pensant pouvoir revenir un peu plus tard avec les brancardiers. Un début de flottement se produit. Revolver au poing, Escande regroupe sa section, la remet en ligne face au nord. A la jumelle, on voit apparaître à quelque quinze cents mètres les Allemands, dont les silhouettes se découpent sur l'horizon, en direction de Saint Mard. Alors qu'ils s'attendent à une reprise du feu, leur parvient l'ordre de repli sur Courcelles.
La quatrième section s'est établie en recueil, au défilement de la crête. Les premiers Feldgrauen apparaissent en face du Caporal-chef Robert Amann, qui les reçoit par le feu nourri de ses deux fusils-mitrailleurs. Car ce débrouillard a récupéré en cours de mouvement un F.M. abandonné. Un fusil-mitrailleur, ça peut toujours servir, n'est-ce pas ?... qu'il porte lui-même, pour épargner les gars de son groupe, déjà bien chargés. Puis, la quatrième section se replie à son tour. Courcelles est en ruines. Pendant qu'ils étaient sur le plateau de Crévecoeur, les bombardiers se sont acharnés sur le village, ensevelissant dans les caves les capotes et les sacs qu'ils y avaient déposés à l'abri. De retour à Courcelles, le Lieutenant Minot fait reprendre position à ses gens et se prépare à recevoir l'assaut ennemi. Ce que font, de leur coté, le Capitaine Latruffe à Limé, et le Capitaine Combet, dont la 2ème Compagnie a pris position sur une croupe boisée, entre Courcelles et Paars. Mais le choc ne se produit pas, et, le soir, le Commandant Ardisson replie son P.C. sur la crête nord de Bazoches, le village de Paars, au centre d'une cuvette entourée de bois, constituant un véritable traquenard. Il y reçoit l'ordre de passer sous le commandement du colonel commandant le Groupe de Reconnaissance Divisionnaire 41, et d'aligner le 22ème B.C.A. entre Bazoches, toujours tenu par le 85ème R.I. et les éléments du G.R.D., installés sur l'axe Vauxtin, Vauxcéré, Perles. La 2ème Compagnie prend position sur la crête nord, en liaison à gauche avec le 85ème R.I.. A sa droite, la 3ème Compagnie, qui prend contact avec le G.R.D. vers Vauxtin. La 1ère Compagnie abandonne Limé, et, dernière à s'être repliée, demeure en réserve, à la disposition du chef de corps . La matinée du 9 est relativement calme. Chacun en profite pour s'assoupir un peu, casser une croûte. Le commandant fait le tour des compagnies. En dehors du Storch d'observation, aucun avion allemand ne se manifeste. Il fait très beau et le soleil plombe terriblement. Vers I3 heures 15, la Deuxième Compagnie vient occuper une nouvelle position sur la croupe nord-est de Bazoches, cependant que l'infanterie ennemie, après une préparation d'artillerie d'une rare intensité, passe à l'attaque. Les fantassins allemands sont amenés en camions au plus près de la ligne de combat, jusqu'à ce que sifflent les premières balles. Ils sautent alors des véhicules, manches retroussées et col largement ouvert, et montent à l'attaque, frais et dispos, après une bonne nuit... Tandis que nos chasseurs... La 3ème Compagnie est rapidement au contact et résiste farouchement. Devant la 2, à deux kilomètres de distance, des colonnes d'infanterie, d'artillerie automobile, et quelques automitrailleuses défilent en direction de Paars. Le Commandant Ardisson, craignant d'être coupé du 85ème R.I., envoie une patrouille, forte de deux sections de la 1ère Compagnie, en direction de Bazoches. La patrouille subit quelques pertes, du fait de l'artillerie, mais, à son retour, le Sous-Lieutenant Lajous, qui la commande, peut rendre compte que le 85ème se bat durement, lui aussi. La 2ème Compagnie est attaquée à son tour, débordée sur sa gauche par des éléments ennemis, qui ouvrent le feu, à courte distance, sur le P.C. de la compagnie. A la troisième section de mitrailleuses, que commande le Sergent-Chef Maury, instituteur dans le civil, et qui est en batterie à la charnière entre les Deuxième et Troisième Compagnies, un coup direct frappe la première pièce et blesse grièvement le tireur Vincent Molteni. La deuxième pièce, commandée par le Caporal-chef Arnaldi, tire bande sur bande, puis
s'enraye. Hâtivement, on change le canon, et le tir reprend, fauchant la vague d'assaut qui croyait déjà passer à l'abordage. Mais l'ennemi est bien trop près. Sous un feu nourri, les mitrailleurs démontent les pièces et se replient. Le Sergent-Chef Maury a ramassé un fusil-mitrailleur abandonné sur le terrain, et, debout, par dessus les blés, il fauche à pleins chargeurs les fantassins vert-de-gris qui montent à l'assaut. A la 3ème Compagnie, les Sergents Knaebel et Fourastié en font autant, insoucieux des projectiles qui les cherchent. Le Sergent Marty est blessé au mollet. Sur la crête, le canon de 37 est volatilisé par un obus qui enterre à moitié le Sergent Osteng, chef de pièce, sans le blesser. Le Sous-Lieutenant Escande contre-attaque à la tête de sa section et reprend une partie du terrain perdu. Imperturbable sous le feu, le Sergent-chef Goulet de Rugy dirige le tir de ses pièces. Son groupe de mortiers de 81, que commande le Caporal-chef Cabanel, ne se repliera, sur ordre, qu'à vingt heures, après avoir tiré les cent quarante quatre obus de sa dotation, et raménera à Fismes son matériel au complet. Le chasseur Hoffmann, tireur d'élite, décime, par son tir ajusté, un peloton cycliste qui venait prendre position. Les pertes sont lourdes à la 3ème Compagnie, attaquée de front, et maintenant menacée d'encerclement sur sa droite, car le G.R D. vient d'abandonner Vauxtin et de se replier sur Perles. Le commandant envoie le Lieutenant Ricatte et une section de renfort au Lieutenant Minot, avec l'ordre de rabattre sa droite face au nord. Le mouvement s'effectue sous le feu rapproché de l'ennemi, qui cause de nouvelles pertes dans les rangs de la 3, mais ne poursuit pas son avantage. A 16 heures, le colonel commandant le G.R.D. transmet l'ordre de se replier sur Fismes, où le 22ème B.C.A. doit prolonger, du nord-est au sud-ouest, le front du G.R.D.. Il faut faire vite, car les ponts sur la Vesle sont minés et n'attendant que le passage du bataillon pour être détruits. Le Commandant Ardisson envoie un motocycliste à Bazoches, pour prévenir le 85ème de son repli. Mais le 85ème a déjà abandonné Bazoches! Les compagnies décrochent par échelon, sans difficulté majeure, sous la protection d'une section de la 1ère Compagnie, commandée par l'Adjudant-chef Rival. Celui-ci, très affaibli par la maladie qui le mine depuis le séjour sur le canal, sera évacué dès son arrivée à Fismes. Son adjoint, le Sergent Chef Hugues Le Commandeur prendra le commandement de la section. L'excitation du combat tombée, la fatigue s'abat, brutale, sur les hommes. Il y a cinq jours maintenant que l'on ne dort pas, ou si peu... , et le dernier ravitaillement en vivres, pain et boeuf de conserve, remonte au 7 juin. Deux chasseurs, qui s'étaient endormis lors d'un arrêt de la colonne, rejoindront, après que les ponts aient sauté, en traversant la Vesle à la nage. D'autres ne rejoindront pas. Fismes Fismes est en ruines, où fument encore des incendies qui cheminent sous les décombres. Dans la nuit, les compagnies prennent position. La 1ère, sur les hauteurs qui dominent Fismettes, dans la tête de pont qui subsiste au nord de la Vesle, à la gauche du G.R.D.. Cette tête de pont est placée sous le commandement du Capitaine Griolet, capitaine adjudant-major du 62ème B.C.A. La mise en place est effectuée par le Sous-Lieutenant Laroque, du G.R.D. A l'ouest de Fismes, au sud de la Vesle, la 2ème Compagnie assure la garde des ponts : Section Beau au pont de la Route Nationale - pont sauté -, Section Merpillat au pont sur l'Ardre. Les Sections Coré et Lanfranchi sont en réserve vers la sablière, sur la départementale 367. La 3ème Compagnie, très éprouvée par les
combats des 8 et 9 juin, couvre le dispositif sur sa gauche, dans les taillis au sud de la Vesle La nuit est très claire et permet la mise en place d'une organisation improvisée. Pour le reste, on verra au jour... , qui se lève à 3 heures 30 ! Quelques brefs instants de sommeil. Lundi, 10 juin. Le calme, entrecoupé d'explosions isolées de projectiles de 105, donne la possibilité d'établir des plans de feu, bien précaires, et de vérifier les liaisons. Au petit jour, le Capitaine Griolet remanie le dispositif de la tête de pont. Il dispose de la 1ère Compagnie du 22 à l'ouest, en barrage de route, face à Bazoches, du G.R.D. au centre, en bouchon au carrefour de Fismettes, et d'éléments regroupés du 62ème B.C.A., qui après les durs combats que ce bataillon a livré depuis deux jours sur l'Aisne et à Longueval, tiennent, au nord de Fismettes, la route de Baslieux les Fismes et les chemins venant de Blanzy . Entre deux explosions d'obus, on peut entendre le bruit des moteurs des camions, qui, en amènent en face, au défilement de la crête, leur chargement de troupes fraîches. Bien reposés, en bras de chemise, les fantassins allemands surprennent les chasseurs de la 1ère Compagnie, harassés des incessants combats de ces jours derniers et boudinés dans leurs lourdes tenues de drap. La compagnie doit céder du terrain. Les Sections Ballandras et Lajous contre-attaquent. Les chasseurs Lerda, Michel, Guyot et Ferrère, s'emparent de prisonniers et de leurs armes. Le chasseur Bergonis dégage à la grenade un groupe voisin, dont le fusil-mitrailleur est enrayé. La lutte continue, acharnée. La 3ème Compagnie est à son tour au contact, sur sa gauche, où s'est produite une importante infiltration ennemie, entre Fismes et Bazoches. Le P.C. du bataillon est à plusieurs reprises encadré par des salves de I05, qui font des tués et des blessés. Le sentier qui y conduit est d'ailleurs situé dans l'axe de tir de mitrailleuses lourdes installées sur les côtes qui dominent Fismettes au Nord. Vers 10 heures, le commandant de la Demi-Brigade demande au commandant du 22 de lui envoyer le maximum de monde, pour dégager la droite du secteur, d'où l'escadron motocycliste du G.R.D. vient d'être retiré pour intervenir en direction de Bazoches. Il s'agit de permettre le repli des éléments des 62ème et 64ème B.C.A, ainsi que de ceux du 6ème R.I., qui combattent encore entre l'Aisne et la Vesle Au passage de ces unités, le Capitaine Griolet renforce son dispositif du groupe franc du 64ème B.C.A., commandé par le Sous-Lieutenant Gesta, et le groupe franc du 62ème, du Sous-Lieutenant Fritsch. Le Commandant Ardisson met à la disposition du Commandant Désidéri ses deux sections de réserve, dont le Sous-Lieutenant Coré prend le commandement. En formation d'approche très diluée, le détachement franchit le pont du chemin de fer, puis le carrefour de Fismettes, et aborde les pentes de la cote I62. Le soleil est maintenant très haut dans le ciel, et la chaleur est étouffante, malgré les manches de vareuses retroussées et les cols largement ouverts. Arrivé à la crête, Coré a sous les yeux le spectacle du fourmillement de centaines - plus d'un millier, peut-être - de fantassins allemands, qui viennent de quitter leurs camions et qui progressent vers lui, par dizaines de files parallèles. Mise en batterie discrète et rapide des fusils-mitrailleurs, puis, lorsque l'ennemi est bien engagé, à bonne portée, sur le terrain découvert qu'ils dominent, au signal, ils ouvrent le feu. En face, des files d'hommes, prises de flanc, culbutent. Quelques obus tombent sur la crête. L'adversaire fait face et amorce un vaste mouvement en tenaille par les ailes. Les F.M. commencent à chauffer, et les
munitions diminuent terriblement vite. Coré ordonne le décrochage : "En rampant, par demi-groupe !" Le mouvement s'effectue, méthodiquement, comme au champ de manoeuvre. Au chasseur Cantergiani, qui s'affole, il crie : "Rampez correctement, ou je vous fais recommencer". Ce qui fait rire Picauron, d'un rire un peu trop nerveux. Pendant cette contre-attaque, un bataillon du 6ème R.I. s'est présenté pour traverser le pont sur la Vesle, maintenant sous le feu des armes automatiques adverses. L'opération s'effectue par petits groupes, en courant. Lorsque la Section Coré arrive au pont, le Capitaine Griolet lui fait prendre position pour protéger le repli de la 1ère Compagnie, qui traverse le pont, homme par homme. Les chasseurs Sire et Collomb, restés seuls en arrière, protègent le décrochage. Passent ensuite des groupes du 62ème, puis le Groupe Franc du 64ème B.C.A., dont le chef, le Sous-Lieutenant Gesta, atteint à la poitrine par plusieurs projectiles, s'écroule au milieu de la rue. Le Sergent Rodde le traîne dans le couloir d'une maison voisine, où il ne peut que constater la mort. Le Sous-Lieutenant Garzulino et quelques chasseurs du 62ème se joignent aux défenseurs du pont Jusqu'à ce que tous les blessés aient été évacués. Seuls, ont encore sur la rive nord les gens du Groupe Franc du B.C.A , ils sont couverts par le F.M que le Sergent Masson a mis en batterie au débouché du pont. Au signal - une sonnerie de clairon tout le monde traverse le pont en trombe pour se mettre à l'abri. Il doit sauter une minute après ce signal. Le chasseur Vigroux revient sur ses pas pour rechercher, de l'autre côté, un camarade blessé. Il le ramène, mais est soufflé et blessé lui-même par l'explosion. Des débris tombent de toutes parts. Le tir reprend, par dessus la rivière. Une certaine pagaille se produit, dans les rues de Fismes, parmi les éléments d'origines diverses qui viennent de franchir le pont. La Section Coré se replie par les rues montantes de la ville. Le chasseur Enfantin, en queue de section, recule pas à pas, monstrueux de désinvolture, son fusil-mitrailleur sous le bras, tirant de courtes rafales sur l'ennemi qui se presse maintenant sur l'autre rive. Marcel Scheffer ravitaille son tireur avec le même calme qu'au stand de tir, remettant au fur et à mesure les boîtes-chargeurs vides dans sa musette. Les chasseurs Radez et Pont, agents ce liaison, parcourent vingt fois les rues balayées par la mitraille, pour porter les ordres aux unités en ligne. Le Sergent Bernard sert lui-même une mitrailleuse dont le tireur vient d'être tué. Au P.C., le Sergent-Chef Marx, secrétaire du chef de corps, rameute plantons et dactylos pour faire face à l'ennemi. L'Adjudant Conan fait de même avec ces transmissionistes. L'ennemi jette toujours de nouvelles forces dans la bataille. Rageurs, à un contre dix, les chasseurs ne reculent que pas à pas. Vers I3 heures, la 3ème Compagnie reçoit l'ordre de se replier sur le P.C. L'opération s'effectue section par section, Quelques minutes de calme, à l'abri d'un ravin, puis l'artillerie ennemie reprend son pilonnage. La 1ère Compagnie tiraille toujours dans les faubourgs de Fismes. Les Sections Beau et Merpillat sont touchées à 13 heures 30 par un ordre qui leur indique Saint Gilles comme point de rassemblement. Il est 14 heures, lorsque le Commandant Ardisson est sérieusement blessé au bras et au côté gauche par l'explosion d'un obus de 105. un infirmier lui pose un premier pansement, tandis que, très calme, il transmet le commandement du bataillon au Capitaine Adjudantmajor Pourchier. Il est ensuite évacué en side-car. Le Médecin-auxiliaire Sidi
l'accompagne; il rejoindra le bataillon le lendemain à Oeuilly Toutes les compagnies refluent maintenant vers le sud de la ville. La section de mortiers tire ses derniers obus pour protéger le repli, puis elle détruit ses pièces avant de se retirer à son tour. Presque tous ses mulets ont été tués ou blessés; quelques uns ont réussi à s'enfuir. Le Caporal-chef Cabanel en récupère un cependant. Il permet d'emporter une seule pièce de 8I, qui tirera ses tout derniers obus, après ravitaillement partiel, le I2 juin à Oeuilly. Les compagnies se regroupent à Saint Gilles. Puis elles se dirigent vers Lhéry, quinze kilomètre plus loin. Le Capitaine Bussat est parti en bicyclette pour préparer le cantonnement de sa compagnie. On ne le reverra plus. De nouveau, après l'excitation du combat, la fatigue revient brutalement écraser les épaules des hommes harassés, que la faim et la soif tenaillent. A quoi vient s'ajouter la chaleur torride de cette fin de journée. Arrivée à Lhéry... que le train régimentaire du bataillon a quitté quelques heures plus tôt. Vers 16 heures, le Capitaine Sivade a pris la tête d'un convoi de ravitaillement, vivres et munitions. A mi-chemin entre Lhéry et Fismes, il a été stoppé par la Prévôté, qui l'a obligé à vider son chargement sur le bord de la route, puis à faire demi-tour, après lui avoir confirmé que tout contact était perdu avec le 22ème B.C.A., encerclé dans Fismes par l'ennemi. De retour à Lhéry, le Capitaine Sivade récupère tout le personnel de la C.H.R. et se dirige vers Port à Binson. Arrivées à Lhéry, les compagnies doivent, malgré l'état d'épuisement des hommes, s'installer de nouveau en position défensive, face au nord. "Ordre du général.", dit le Capitaine Pourchier aux commandants de compagnies qui protestent. Une chenillette providentielle livre un maigre ravitaillement en vivres et en munitions. L'Adjudant-brancardier Jean, qui n'a pas voulu abandonner les quatre derniers blessés ramassés à Fismes, réussit à les faire évacuer par le dernier camion du G.R.D. 41 qui quitte Lhéry. La sanitaire du bataillon a disparu. De lui-même, le Sous-Lieutenant Coré a maintenu en arrière-garde sa section, à laquelle il a su insuffler un moral à toute épreuve. Il récupère les éclopés et les trainards, et, par son exemple, conjure la panique. Lorsqu'ils arrivent à Lhéry, vers 23 heures, ils sont accueillis avec joie, car on les croyait perdus..., mais il ne reste rien pour eux du maigre ravitaillement distribué. Le Sous-Lieutenant Beau et une partie de sa section n'ont pas rejoint. On les retrouvera demain à Oeuilly. Le bataillon, qui a subi de très lourdes pertes - il lui reste à peine plus de trois cents hommes - reçoit à 2 heures du matin l'ordre de se transporter rapidement en arrière de la Marne, par Anthenay, où il arrive à 9 heures, pour en repartir deux heures plus tard en direction de Châtillon sur Marne et Port à Binson. Marche rapide, malgré la fatigue, au milieu de l'exode lamentable qui se traîne sur la route: réfugiés, fantassins, artilleurs à pied, cavaliers démontés... que harcèle l'aviation ennemie. Au cours de cette marche, le Sergent Dory s'aperçoit que son tireur au F.M. a disparu avec son arme. Peu après Anthenay, il découvre un fusil-mitrailleur abandonné au bord de la route et s'en charge. Il le portera jusqu'à la fin. La tête de colonne recoit quelques coups de feu et rafales de mitraillettes en approchant de Châtillon sur Marne, en même temps que l'on entend une violente explosion. Le pont de Port à Binson vient de sauter. La 3ème Compagnie est déployée en couverture, face au village de Châtillon, tandis que le bataillon oblique vers l'est, en direction de Reuil. Marche
harassante jusqu'au pont d'Oeuilly. Les gradés mettent un peu d'ordre dans la cohue. Le pont est franchi en colonne par trois. Le Génie est en place et les fourneaux de mines sont chargés. La Marne Le 11 au matin, le Chef de Bataillon Désidéri, commandant la 26ème Demi-Brigade, convoque à son P.C. d'Olisy Violaine le Capitaine Edmond Griolet, du 62ème L.C.A. et lui confie le commandement du 22ème. Les effectifs du bataillon ont fondu au cours des combats des jours précédents. Les compagnies sont reconstituées sur la base de trois petites sections chacune. C'est ainsi qu'à la 1ère Compagnie, la quatrième section, que commande maintenant le Sergent-Chef Hugues Le Commandeur, reçoit le renfort du groupe du Sergent Canal, de la première section. Il reste neuf mitrailleuses utilisables, ainsi que les deux tiers des fusils-mitrailleurs, et une seule pièce de mortier de 81. Le bataillon ne possède plus aucun véhicule de liaison. La Marne. Ce nom évoque des souvenirs et des espérances. Mais il y a cette mortelle fatigue qui écrase les hommes, et leur petit nombre, leur faible armement, et le manque de munitions. L'Encadrement du bataillon est alors le suivant : Chef de Corps
Capitaine Griolet
Capitaine AdjudantMajor
Capitaine Pourchier
Officier-Adjoint
Lieutenant Ricatte
Compagnie Hors Rang
Capitaine Sivade
Ière Compagnie
Capitaine Latruffe Sous-Lieutenant Lajous Sous-Lieutenant Ballandras
2ème Compagnie
Capitaine Combet Sous-Lieutenant Merpillat Sous-Lieutenant Beau Adjudant-Chef Coré Adjudant-Chef Lanfranchi
3ème Compagnie
Lieutenant Minot Sous-Lieutenant Escande
Sous-Lieutenant Renaudo Sous-Lieutenant Darmont Compagnie d'Accompagnement
Sous-Lieutenant Agard Sous-Lieutenant Elorz Adjudant-Chef Moulet
La position est déjà tenue - si l'on peut dire - par la 22ème Compagnie d'Instruction du 46ème Régiment d'Infanterie, commandée par le Capitaine Pluchot; une section au pont d'Oeuilly, les autres dans le village. Les hommes sont dotés d'un armement disparate, dont ils ne paraissent pas tellement savoir se servir. Une autre compagnie d'instruction, la 22ème du 48ème R.I., est en place à Port à Binson. Dans le village d'Oeuilly, quelques débrouillards ont découvert des conserves, des pâtes, du vin. Le moral est déjà meilleur. Le Sous-Lieutenant Beau et ses hommes sont déjà 1à. Au départ de Fismes, ils ont ignoré l'embranchement de Saint Gilles et ont continué plein sud, à la boussole. Un mulet de la C.A., errant sur leur route, a été capturé pour porter les sacs et les armes automatiques. La nuit est venue. Ils avancent au milieu de fuyards de toutes armes et dépassent des stocks de munitions et d'obus, entassés en bordure de route et abandonnés. Un motocycliste du bataillon, rencontré à 2I heures 30, leur indique Lhéry comme nouveau point de rassemblement. Lhery, qu'ils ont laissé il y a plus d'une heure sur la gauche de la route qu'ils ont suivie. Demi-tour, malgré la fatigue. Une providentielle voiture particulière abandonnée leur livre des chemises et des chaussettes neuves. Arrivée à Romigny vers 24 heures. Lhéry est encore à six kilomètres et les hommes sont littéralement effondrés. Beau se présente à un chef de bataillon du 113ème R.I., dont le détachement occupe le village, et qui lui offre une soupe chaude. Enfin, pouvoir dormir! A deux heures et demie, le Sous-Lieutenant se réveille, pour s'apercevolr que les gens du 113ème ont dlsparu. Il réveille ses hommes et repart vers la Marne, qu'ils passent à 10 heures 30, alors que des avions allemands viennent, à basse altitude, de bombarder le pont de Reuil, sans résultat d'ailleurs. Sa section, lui compris, ne compte plus que dix-neuf hommes. Au cours de l'aprèsmidi du 11 juin, la 44ème Division d'infanterie occupe la rive sud de la Marne, entre Port à Binson et Dammery. Le 22ème B.C.A. assure la défense du quartier d'Oeuilly, encadré - en principe - par le 6ème R.I. à l'est, et par la 45ème Division d'infanterie à l'est. La 2ème Compagnie prend position face au pont de Reuil Oeuilly. Deux sections en première ligne, le long de la rivière, de chaque côté du pont, la troisième en arrière, dans le talus de la voie ferrée. Les sections de première ligne attendront la nuit pour rejoindre leurs emplacements, au travers de l'espace découvert qui s'étend entre la rivière et la voie ferrée. Les 1ère et 3ème Compagnies occupent les lisières boisées sur le plateau. La 1ère à l'est, la 3ème à l'ouest. Le chasseur Pignet, agent de liaison de la 3, a capturé un cheval, qu'il va utiliser au
cours de la journée pour les liaisons avec le P.C. du bataillon. Le P.C. du bataillon s'implante en haut du village, à proximité de celui de la Demi-Brigade. La section de mitrailleuses du Sous-Lieutenant Elorz creuse ses emplacements sur la crête qui domine le village, dans l'axe du pont. Ce qui reste du 62ème B.C.A., décimé les 8 et 9 juin, deux petites compagnies, commandées par le Sous-Lieutenant Garzulino et l'Adjudant-Chef Gandioli, est chargé de la construction de barricades aux entrées du village et de leur défense. Le 64ème B.C.A. est en réserve de Demi-Brigade dans le bois de Missy, à l'ouest d'Oeuilly. Les reconnaissances envoyées pour prendre contact avec les éléments qui devraient prolonger le front vers l'ouest ne trouvent pas la 45ème Division d'Infanterie à la place qu'elle devrait occuper. Une terrible évidence s'impose : sur la gauche du bataillon, vers Port à Binson, le passage sur la Marne n'est pas gardé. A dix-huit heures, les Allemands se présentent devant le pont d'Oeuilly, que fait sauter le Lieutenant Vetroff, du 46ème R.I.. Dans Reuil, sur l'autre rive, ils s'emparent d'un important dépôt de matériel du Génie, qui n'a pu être évacué. Quelques coups de feu sont échangés par dessus la rivière. A la nuit, la Section Merpillat quitte la protection du talus de la voie ferrée et gagne la rive de la Marne, où elle doit prendre position. Pénible constatation, l'eau affleure. Il n'est pas possible de creuser un quelconque emplacement de combat, ni même un trou individuel. Il faut uniquement utiliser la quasi symbolique protection des taillis et d'un vague sillon de drainage de vingt centimètres de profondeur. La section ne possède qu'un seul fusil-mitrailleur, et encore lui a-t-il été donné par le Sous-Lieutenant Beau. Les siens sont inutilisables depuis Fismes. Il est mis en batterie sur une bosse de terrain couronnée d'un clayonnage masqué par des buissons-sans doute un poste de tir aux canards. C'est le seul endroit qui permette le tir en direction de Reuil. Merpillat fait renforcer la protection de la claie par quelques pelletées de terre. Par derrière, la section de l'Adjudant-chef Lanfranchi occupe le talus de la voie ferrée. Sur la gauche, de l'autre côté du pont, Beau et Coré et leurs chasseurs. A 23 heures, une chenillette de la Demi-Brigade apporte au P.C. du bataillon un maigre ravitaillement en vivres et en munitions: trois caisses de cartouches pour les fusils-mitrailleurs et trois caisses de grenades; cinq boules de pain et vingt boites de "singe" par compagnie. Toute la nuit, on entend l'ennemi travailler à la préparation de radeaux et passerelles pour franchir la Marne. L'aviation allemande, guidée par la lueur des incendies, bombarde le village à plusieurs reprises. Le petit jour n'amène pas l'attaque que l'on supposait devoir se produire. L'adversaire attend sans doute des renforts. La matinée est assez calme. Les artilleries croisent leurs tirs au dessus de la rivière. Des avions allemands lâchent quelques bombes sur Oeuilly, où s'allument de nouveaux incendies. La Section Merpillat tire quelques coups de feu sur l'ennemi qui patrouille sur l'autre rive et dans les rues de Reuil. Un nouveau dispositif de défense est envisagé pour la soirée du 12. Le 22ème B.C.A. défendra un quartier délimité à l'est par Oeuilly inclus, et à l'ouest par la corne sud-est du bois qui longe la voie ferrée, à un kilomètre de Port à Binson. Le P.C. du bataillon demeure à Oeuilly. Le Capitaine Griolet réunit ses commandants de compagnies et distribue les missions: 2ème Compagnie (Capitaine Combet) à droite du pont, 1ère (Capitaine Latruffe) à gauche, 3ème Compagnie (Lieutenant Minot) en point d'appui dans le village.
Reconnaissance immédiate Tandis qu'ont lieu ces reconnaissances, les Allemands déclenchent, à 14 heures 30, de très violents tirs d'artillerie, qui présagent une attaque imminente. Rapidement, les ruines s'accumulent dans le village. La pluie, intermittente depuis la nuit dernière, se met à tomber de façon continue. Des concentrations ennemies et des tentatives de passage sont signalées à l'est de Reuil, où le 6ème R.I., qui devait assurer la continuité de la ligne de défense, n'a pas encore pris position. Au bord de la Marne, la terre est devenue éponge, les trous sont pleins d'eau, les capotes traversent, et les chasseurs de la Section Merpillat se vautrent littéralement dans la boue. Mais ils tirent. Le F.M. creuse des vides dans les colonnes ennemies qui descendent vers la rivière, cependant que les voltigeurs guettent les isolés qui circulent entre les maisons du village de Reuil. Vers 16 heures, le Capitaine Griolet apprend que trois compagnies allemandes ont franchi la Marne à Port à Binson, où elles n'avaient en face d'elles que la Compagnie d'Instruction du 48ème Régiment d'Infanterie, et progressent vers le sud. La 3ème Compagnie est envoyée sur la crête boisée, au sud-ouest du village, pour assurer la protection arrière contre les infiltrations, et la défense directe des P.C. du bataillon et de la Demi-Brigade. D'autres éléments ennemis franchissent la Marne à l'est, entre le 22ème B.C.A. et le 6ème R.I. et attaquent Oeuilly par le sud-est. Le P.C. de la 1ère Compagnie, un instant cerné, est dégagé par la manoeuvre hardie des chasseurs Montsarrat, Navarro et Marianella. Le Sergent Dotta, dont le groupe est pris à revers par un commando cycliste, se porte seul à sa rencontre, tandis que ses hommes manoeuvrent et font un prisonnier. Il appartient au 504ème Infanterie Régiment, qui vient d'être amené par camions jusque sur la Marne. Quelle différence de fraîcheur avec les chasseurs du bataillon, qui marchent et combattent depuis cinq jours maintenant sans véritable repos et sans ravitaillement. La lutte continue, acharnée. Les munitions s'épuisent, et les tirs parcimonieux de notre artillerie sont de moins en moins fournis. Plusieurs F.M., surchauffés, sont inutilisables. Les pertes augmentent. Vers 16 heures, le fusil-mitrailleur de la Section Merpillat s'enraye à son tour. Dix fois démonté, nettoyé tant bien que mal et remonté, il persiste, victime de la boue qui imprègne choses et gens. Le F.M. du Sous-Lieutenant Beau s'arrête, lui aussi. Le percuteur ne remplit plus son office. Il faisait pourtant du bon travail sur les groupes qui débouchaient du bois de Reuil, au nord du village. Beau décide de l'envoyer à Merpillat - qui pourra peut-être s'en servir - par le chasseur Galzy. Le courageux garçon n'arrivera pas à exécuter sa mission. Le soir, au cours de son repli, Merpillat le retrouvera, gisant dans la plaine à côté de son fusil-mitrailleur. Un obus fait deux blessés à la Section Beau : le chasseur Montané et un homme des Transmissions du bataillon qui avait adopté la Section. Beau les fait accompagner jusqu'au P.C. de la compagnie par Pellieu. Vers 17 heures, Beau se rend lui même auprès du Capitaine Combet, pour lui rendre compte de la situation de la section. Il obtient l'autorisation de changer de position, et de constituer un nouveau point d'appui dans la dernière maison à l'ouest du village, sur la route de Port à Binson. Alors qu'il revient de nouveau vers le P.C., après avoir transmis ses ordres à ses chefs de groupes, il se trouve pris au milieu du reflux désordonné des hommes du 46ème R.I. qui étaient en position au pont d'Oeuilly. A vue, l'artillerie allemande prend à partie cette nouvelle cible, et
concentre son tir sur le nord du village. Beau est littéralement assommé par l'explosion d'un obus, qui éclate à quelques mètres de lui, heureusement de l'autre coté d'une murette. Les explosions se succèdent. Les deux agents de liaison qui l'accompagnent, Occelli et Pellieu, sont blessés, le premier assez grièvement, semble t-il. Ils sont évacués entre deux salves. Le Sous-Lieutenant Coré, qui sortait du P.C., est touché lui aussi. Les deux compagnies du 62ème B.C.A. se sont volatilisées au cours des bombardements et des combats. Quelques gradés et chasseurs se raccrochent aux sections du 22ème. Les caves du village se remplissent de blessés graves, auprès desquels l'Adjudant Jean et ses brancardiers se dépensent sans compter. Le médecin-auxilialre Barre, du 62ème, s'est spontanément mis à la disposition du Médecin-Lieutenant Reynon. Malgré le bombardement, le Caporal-chef Cabanel a réussi à mettre en batterie son dernier tube de 81, et tire les dix-neuf obus reçus du dernier ravitaillement, avant de détruire la pièce. Le tir de l'artillerie ennemie se transporte ensuite en arrière du village, sur le bois qui borde le plateau, là où, depuis 18 heures, la 3ème Compagnie a pris position. La Section Escande, en ligne, vient de ratisser le bois, en descendant vers la Marne. Accueillis au débouché par une salve de fusants, les chasseurs se replient dans la lisière. Des salves de 77 et de 105 s'abattent sur les Sections Renaudo et Darmont. Les obus percutent dans les branches hautes des arbres et les éclats fouettent le terrain comme un tir de fusants. Le chasseur Breton s'effondre, le crâne ouvert. Des éclats labourent le fessier et les jambes d'Eugène Blanc, tireur au F.M.. Son chargeur, Joseph Courtés, le populaire "Queno", la poitrine déchirée" expire, adossé à un arbre. Leur chef de groupe, le Sergent Jean Sigaud, le ventre crevé par un éclat, s'abat en criant : "Vive la France." Evacué par le Sous-Lieutenant Darmont et le Sergent-Chef Johannsen, Sigaud mourra le lendemain matin, en arrivant enfin dans un hôpital, après un douloureux périple en ambulance, de poste de secours en poste de secours. Blessé également, le SousLieutenant Renaudo. Le chasseur Maxime Rassat, atteint de cinq éclats, dont un lui a presque complètement sectionné la jambe droite, qui ne tient plus que par un lambeau de chair, dit aux camarades qui le portent :"Ne vous occupez pas de ma quille, je m'en charge". Il tiendra lui-même sa jambe brisée serrée contre sa cuisse jusqu'au poste de secours. A la section voisine, le Sergent Pacaud est blessé au pied. Ses chasseurs le traînent et le hissent jusqu'à la route qui longe le sommet de la côte. Le Sergent Pierre Fourastié est blessé à son tour. Un agent de liaison de la 2ème Compagnie, le chasseur Sportiello, réussit, sous la mitraille, à arriver jusqu'au Sous-Lieutenant Merpillat, pour l'aviser, de la part du commandant de compagnie, que le signal du repli lui sera donné par l'Adjudant-chef Lanfranchi, en position sur la voie ferrée, quelques trois cents mètres en arrière, sous forme de cinq coups de sifflet. Cinq coups de sifflet au milieu de ce sabbat! Sportiello repart en zigzaguant. Il parvient au P.C. de compagnie vers I9 heures 30, et rend compte au Capitaine Combet de la situation critique de la section, qui baigne dans l'eau, sans abri, son fusil-mitrailleur hors de service, et qui ne dispose plus que de quatre fusils en état de tirer et quelques dizaines de cartouches. Le capitaine ne peut que rendre compte au chef de corps et demander des ordres. De l'autre coté de la Marne, les pionniers allemands, suivis de l'infanterie, progressent vers la rive, transportant des radeaux
et des éléments de pont. Les mitrailleuses de l'Adjudant-chef Moulet creusent des vides dans leurs rangs. A 21 heures, l'ennemi déclenche une attaque de front, en liaison avec l'action des unités déjà engagées sur les flancs du village. Loin, vers le sud, des fusées blanches jalonnent la progression de ses éléments les plus avancés, bien en arrière du bataillon. Sur les bords de la Marne, après le départ de Sportiello, la Section Merpillat a reçu soudainement, vers 20 heures, une dégelée d'obus de 75, alors qu'elle était déjà en butte à des tirs de mitrailleuses adverses. Le chasseur Guidicelli a été touché à la poitrine, au bras et au poignet. Le Sergent-Chef Maurel rampe jusqu'à lui et le panse. Une vingtaine d'obus français encadrent la section. Par bonheur, le sol détrempé étouffe les explosions. Puis ce sont des 105 qui arrivent. Un large éclat d'acier entaille profondément la cuisse du chasseur Décanis. On lui pose un garrot. Il fait presque nuit. Les dernières cartouches ont été tirées. Merpillat décide de replier sa section jusqu'à la voie ferrée. Décanis ne peut être transporté. Il est installé le moins inconfortablement possible. Le Sous-Lieutenant demande à Guidicelli de rester auprès de son camarade. Guidicelli le supplie de le laisser suivre; ce qu'il fera d'ailleurs courageusement, sans aide aucune Par bonds, les chasseurs quittent leurs emplacements, sous les tirs de mitrailleuses, qui n'ont pas cessé. On bondit, on se jette à terre, on repart, on se couche... Dans le champ que l'on traverse, Galzy est étendu près du F.M. qu'il apportait. Arrivée à la voie ferrée, où il n'y a plus personnel ! On n'a cependant pas entendu les cinq coups de sifflet... Fontagnier, Darles et Reynes manquent à l'appel. A travers jardins, champs, clôtures et barbelés, et sautant les murs, le repli se poursuit vers le sommet de la côte, accompagné par des volées de traceuses. Une route est traversée d'un bond. Guidicelli s'écroule, frappé cette fois d'une balle dans la tête. Rousset est blessé à la cheville. Arrivé sur le plateau, le Sous-Lieutenant Merpillat regroupe ses hommes... Ils sont dix, lui compris. Le Sergent-Chef Maurel a disparu depuis le passage de la voie ferrée. Le petit groupe part à travers champs en direction du sudest Alors qu'il rejoignait le P.C. du bataillon après une reconnaissance dans Oeuilly, le Capitaine Pourchier a été jeté à terre par l'explosion toute proche d'un obus. D'autres explosion se succèdent, tout autour de l'endroit où, tant bien que mal, il s'abrite. Fortement contusionné et choqué, il devra être évacué. Pour lui, la guerre est terminée... temporairement. Il repose maintenant dans le cimetière militaire de Saint Nizier, au milieu des "terroristes" qui sont tombés à ses côtés au Vercors. A 22 heures 15, parvient au Capitaine Griolet l'ordre de repli, aussitôt retransmis aux compagnies. Les survivants de la 2ème Compagnie - hormis, bien entendu, la Section Merpillat - se replient vers le P.C. du bataillon. Celui-ci est déjà vide. Le Capitaine Combet y rencontre le Sous-Lieutenant Agard, qui commande maintenant la C.A., venu, comme lui, aux ordres. Sur tout le front les sections décrochent l'une après l'autre. Les mitrailleurs du Sergent-Chef Cuthel protègent de leur tir les éléments voisins, puis démontent leurs pièces et les emportent, matériel à dos. Le premier regroupement des compagnies a lieu à proximité de la ferme du Bois Brûlé, en couverture d'une batterie hlppomobile de 75, qui n'a pas reçu l'ordre de repli. Depuis vlngt-quatre heures, les hommes n'ont pas eu un instant de vrai repos, et n'ont reçu aucun ravitaillement. A peine arrêtés, ils se laissent tomber sur place et s'endorment à même le sol, malgré la pluie qui persiste. C'est alors que le
Chef de Bataillon Désidéri, commandant la Demi-Brigade, reçoit de la Division l'ordre de faire remonter vers Oeuilly ce qui reste de ses bataillons. Le contre-ordre arrivera après avoir laissé au chef de la 26ème D.B.C.A. le temps de pousser une magistrale gueulante contre les c... qui nous commandent ! L'ennemi n'a pas suivi, durement secoué, lui aussi, par l'âpreté des combats. Mais, ce qui est grave, les munitions sont totalement épuisées. Le Sous-Lieutenant Beau, affaibli par sa blessure et la fièvre qu'elle provoque, s'est endormi dans le talus de la route, où il est découvert, le 13 au petit jour, par un médecin-lieutenant du G.S.D. 44, et évacué sur l'hôpital de Troyes. Le Sous-Lieutenant Merpillat et son groupe ont été recueillis sur la route par le chauffeur d'un car, vide, appartenant à une unité du train, qui les dépose à Montmort. Dans une maison vide, ils trouvent des vêtements secs, mangent un peu, et s'endorment. Le 13, vers midi, nouveau repas, chaud cette fois, confectionné avec des vivres trouvées sur place. C'est fou ce qu'on peut engloutlr après ces 8 jours d'abstinence! Les tenues sont à peu près sèches. Départ en direction de Sézanne. Les attaques aériennes leur font abandonner la route pour suivre une voie ferrée désaffectée. Sur renseignement que l'ennemi est déjà à Sézanne, changement de direction vers Fère Champenoise. Quelques heures de repos à Bannes. Au petit Jour,le 13, les compagnies sont réveillées et rassemblées, encore à moitié endormies, pour entendre un bref rapport: - "Il faut à tout prix retarder les Allemands, pour empêcher la chute de Paris."... En sommes-nous déjà là ? Les sections sont réparties, en ligne de tirailleurs, entre la Ferme du Bois Brûlé et la Ferme de la Cense. La mise en place s'effectue au travers des blés détrempés par la pluie de la veille, et qui arrivent à mi-corps. Un brouillard épais protège le mouvement. Quelques patrouilles allemandes apparaissent, qui se retirent aussitôt. Les positions sont à peine occupées, que parvient un ordre de repli. Les Allemands ont franchi la Marne en force à Dormans. La 44ème Division d'Infanterie doit se replier en direction de Vertus, où elle passera sous les ordres de la XXIVème Armée. Le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins doit rejoindre Morangis en évitant tout accrochage sérieux. Une chenillette de la Demi-Brigade apporte les munitions qui ont fait si cruellement défaut la veille en fin de Journée. Distribution rapide et partielle, car les effectifs, hélas, ont bien diminué... une cinquantaine d'hommes par compagnie. Regroupées, les unités partent en direction de Brugny et Morangis. Les hommes sont trempés jusqu'au ventre, et leurs chaussures gargouillent de l'eau qui les emplit, à la suite de la marche matinale dans les blés mouillés. Le décrochage est protégé par le G.R.D. et une compagnie du 99ème Régiment d'infanterie Alpine, (Capitaine Villernet), qui prennent position sur la lisière nord des bois. Le bataillon arrive vers midi à Morangis, où se trouvent déjà le Chef de Bataillon Désidéri et quelques éléments de l'E.M. de la 26ème D.B.C.A. Un peu plus tard arrivent quelques groupes du 64ème B.C.A..., environ deux cents hommes. Le Train Régimentaire de la Demi-Brigade distribue... enfin!... des conserves de viande et du pain. Des cantonnements sont affectés aux compagnies. C'est la grande vie! Manger et dormir!.. Dormir! Pas le temps. A 13 heures 30 : "Alerte!" Les Allemands ont suivi la retraite du 22ème, retardés par la Compagnie Villernet, qui les contient à la lisière du bois,au nord-est du village. Le Commandant Désidéri constitue un bataillon de marche, sous les ordres du Capitaine Griolet. Ce bataillon comprend
les 2ème et 3ème Compagnies du 22ème B.C.A., (Capitaine Combet et Lieutenant Minot), et une compagnie du 64ème B.C.A. (Capitaine Becq). Il reçoit la mission de contre-attaquer en direction de Brugny et d'occuper, sur la départementale 51, le carrefour situé à cent-cinquante mètres au sud de ce village. La 1ère Compagnie, (Capitaine Latruffe), demeure en réserve, et, tandis que la contre-attaque se met en place, le Capitaine Diot, chef de corps du 64ème B.C.A., regroupe les blessés légers et les éclopés de la Demi-Brigade, et se met en route avec eux en direction de Vertus. Le Capitaine Griolet rejoint le Capitaine Villernet et se fait expliquer la situation. La compagnie d'arrière-garde est harcelée par un élément léger, transporté en sidecars, et armé de mitrailleuses légères et d'un mortier La Compagnie Becq prend position sur la route, en soutien du détachement Villernet. La Compagnie Combet, à droite, et la Compagnie Minot, à gauche, progressent sous-bois, pour prendre l'ennemi à revers et le déloger. Le contact vient d'être pris par le feu, lorsque parvient l'ordre de cesser le combat et de se replier rapidement sur Vertus. Les hommes ont alors une réaction totalement imprévue... Ils se relèvent, se rangent tranquillement colonne par un, par groupe, l'arme à la bretelle tout comme s'ils terminaient une quelconque manoeuvre sur les terrains niçois du Mont Chauve ou de La Gorra. Le repli s'effectue en ordre parfait, la Compagnie Becq assurant le service d'arrière-garde. Deux auto-mitrailleuses croisent la colonne, montant au devant de l'ennemi. Le bruit court dans les rangs que la DemiBrigade est relevée par une Division Blindée Polonaise... Il ne s'agit, en réalité, que d'un petit détachement blindé mis à la disposition de la Demi-Brigade pour favoriser son décrochage et son repli. Le Commandant Désidéri apprendra un peu plus loin d'un officier de char de la même unité que ces deux auto-mitrailleuses ont été prises sous le feu d'un canon antichars en abordant Ablois par le sud, et qu'elles ont été détruites. Arrivé à Vertus, le Sergent-Chef Bassecourt, épuisé, s'écroule sous le porche d'une grange. Il n'en peut plus ! Il a effectué les derniers kilomètres dans un état second, cramponné à la queue d'un mulet, titubant comme un homme pris de boisson. Lorsqu'il se réveille, peut-être deux heures plus tard, aucune trace du 22ème. une voiture du Génie accepte de le prendre à son bord Jusqu'au village suivant, où il trouve le Sergent Blanc, qui vient de découvrir deux vélos sans propriétaire. De concert, ils roulent en direction de Fère Champenoise. La pluie s'est remise à tomber. La cohue devient de plus en plus dense. Outre les deux colonnes de véhicules de toutes sortes et de piétons imbriqués, qui piétinent en direction de Fère Champenoise, il y a maintenant une troisième file, piétons et voitures, qui remonte en sens inverse, vers Vertus. Bassecourt et Blanc se réfugient dans une baraque de cantonniers, dressée au bord de la route. Deux heures de sommeil largement arrosé par l'eau de pluie qui filtre au travers de la toiture. Ils repartent alors, pour atteindre Fère Champenoise alors que la nuit tombe, et s'abritent dans une maison vide. En arrivant à Vertus, la 1ère Compagnie prend position en bouchon au carrefour, à un kilomètre à l'ouest de l'agglomération. Les autres compagnies de la Demi-Brigade sont réparties dans des granges, à la sortie sud du bourg. La soirée et les premières heures de la nuit sont calmes. Enfin un peu de détente; se laver, changer de linge, remettre un peu d'ordre dans ses équipements, compléter son approvisionnement en munitions, manger, et surtout
dormir. Dormir... A une heure du matin, le 14, le Capitaine Griolet reçoit l'ordre de faire mouvement en direction de Morains, par Bergères les Vertus. Encore à moitié endormis, les chasseurs avancent, colonne par un, sur une route encombrée de convois, de pièces d'artillerie, d'éléments hétéroclites de toutes armes, de civils, qui retraitent dans un désordre total. Aucun service de Prévôté Militaire ou de Régulation Routière aux carrefours. Le tout mélangé aux équipages disparates des réfugiés. Dans la cohue nocturne, des groupes perdent le contact, se diluent. Des hommes épuisés s'arrêtent,... pour repartir un peu plus tard,... ou pas du tout. La colonne parvient à Morains vers 7 heures. Les "compagnies" s'installent en défensive face au nord. L'aviation allemande intervient à la bombe et à la mitrailleuse contre le lamentable charroi qui se traîne sur la route. Les positions du bataillon sont, elles aussi, bombardées à plusieurs reprises. A 11 heures 30, nouvel ordre de repli en direction de Fère Champenoise. De nouveau, en colonne par un, au travers des champs, car les avions continuent de mitrailler tout ce qui s'entasse sur la route. Le trajet est jonché de cadavres, de chevaux éventrés, de voitures et chariots renversés dans les bas-cotés de la route. Dans le centre de Fère Champenoise, où convergent toutes les colonnes venant du nord et de l'est, règne un indescriptible chaos, sur lequel s'acharnent les bombardiers. Cadavres mutilés, chevaux éventrés et véhicules détruits qui s'accumulent en travers des rues, au milieu des ruines, et parmi lesquels les chasseurs doivent se faufiler. La marche vers le sud continue, en direction d'Euvy, épuisante, entrecoupée d'alertes aux avions. Puis, à Salon, le gros des colonnes oblique vers Arcis sur Aube, toujours poursuivi par l'aviation, tandis que la Demi-Brigade bénéficie d'un peu de calme sur la route de Champfleury. Suivi des hommes de sa section, le Sous-Lieutenant Lajous a pris au carrefour la direction d'Arcis sur Aube, où il rencontre le SergentChef Leruth, de la 2ème Compagnie, isolé de sa section, avant de le perdre de vue au moment de la traversée de la rivière sur le pont à demi détruit par une bombe. Lajous et ses hommes continuent vers Troyes par la R.N.77. A la sortie d'Arcis sur Aube, Leruth est dépassé par une voiture de liaison de la Division, qui s'arrête. Le Général Boisseau, passager du véhicule, lui indique que la Demi-Brigade est à Pouan. Après quelques heures de repos à Champfleury, la Demi-Brigade a repris la route à 22 heures pour franchir l'Aube en direction du sud. Le pont de Plancy a été éventré par une bombe et est impraticable. Celui de Viâpres le Petit était sur le point de sauter lorsqu'arrive le Capitaine Griolet, que le Commandant Désidéri a chargé d'assurer le passage. La Demi-Brigade - ce qui en reste - réussit à passer, au milieu de la cohue qui augmente de minute en minute, car le pont d'Arcis sur Aube, à cinq kilomètres à l'est, vient de sauter. Le 14, au jour, Merpillat et ses hommes ont repris leur marche. Ils traversent Fére Champenoise bombardée, suivent à nouveau une voie ferrée, et arrivent à Bar sur Aube. Le pont sur l'Aube vient d'être atteint par une bombe, mais permet encore le passage de piétons isolés. Des maisons brûlent sur la grand'place. Ils passent. Un peu plus loin, Amat, Reynes, Thirion et Viguié réussissent à grimper dans un camion. Au soir, les autres s'arrêtent dans une maison isolée pour dormir. Le Train Régimentaire, guidé par le Capitaine Sivade et le Lieutenant Baillet, est reparti de Port à Binson au cours de l'après-midi du 11, sans avoir eu connaissance de la présence du 22ème B.C.A. à
Oeuilly. Le 12, le convoi a traversé Euvy sous le mitraillage et le bombardement de l'aviation allemande. Il est passé ensuite à Allibaudières, avant de bivouaquer dans les bois de Villemorien. Chaque fois qu'il le peut, le Capitaine Sivade prend contact avec le commandant d'armes des localités qu'il traverse, pour tenter d'en obtenir des instructions, ou, tout au moins, des renseignements. Personne ne sait rien! La progression est lente, dans la cohue qul encombre les routes, entrecoupée d'alertes aux avions. Le 14, en cours de Journée, le convoi a ramassé sur le bord de la route deux fantassins, qui venaient d'être grièvement blessés par l'explosion d'une bombe. Ils ont été pansés 1e mieux possible et installés dans la camionnette de la 2ème Compagnie, aux bons soins du Sergent-Chef comptable André Meng. Les survivants de la Demi-Brigade sont regroupés à Pouan, le 15, vers 4 heures du matin. Les commandants de compagnies viennent aux ordres. Pour ceux du 22ème B.C.A., Latruffe, Combet et Minot, ce sera leur dernière rencontre de la campagne. Il n'est plus questlon de s'arrêter, car l'ennemi talonne ce magma de fuyards, civils et militaires, qui se pressent sur la route. Depuis la veille, le Commandant Désidéri a perdu tout contact avec la 44eme Division d'infanterie. Et l'on repart, abandonnant au bord du talus les plus épuisés, qui dorment à même le sol. La colonne s'effrite à chaque à-coup de la marche. Au petit jour, les harcèlements et bombardements par l'aviation recommencent. A la sortie de Pouan, la 1ère Compagnie, qui marche en arrière-garde, oblique vers Méry, alors que le gros de la troupe a pris la direction de Premier fait. Le Commandant Désidéri est parti en avant, avec le Capitaine Griolet, en voiture de liaison, pour reconnaître la passage sur la Seine. A la sortie de Villacerf, en direction du fleuve, la voiture est saluée par une fusillade. Les Allemands occupent déjà le pont… ! Demi-tour en voltige. La reconnaissance est poussée vers Pont Hubert et Pont Sainte Marie, au nord de Troyes. La circulation est bloquée sur plusieurs kilomètres de profondeur par l'enchevêtrement des convois civils et militaires. Le pont Hubert est coupé par une bombe d'avion, mais toutefois praticable pour l'infanterie. Le Commandant Désidéri ramène le Capitaine Griolet à Villacerf, avec mission d'attendre la colonne et la guider, tandis qu'il repart vers Troyes pour tenter de trouver du ravitaillement. Les premiers éléments de la Demi-Brigade arrivent à Villacerf vers 10 heures 30, toujours à travers champs et en file indienne, et se présentent à Pont Sainte Marie à 15 heures. Le pont Hubert est sous le feu des chars et de l'infanterie allemande. Le Commandant Désidéri, qui vient de rejoindre la colonne, donne l'ordre au Capitaine Griolet de forcer le passage. Des patrouilles s'avancent pour tâter le dispositif ennemi, mais ne peuvent déboucher sur le pont. Il y a plusieurs blessés. La 2ème Compagnie n'a pas encore rejoint. Le commandant décide alors de remonter le cours de la Seine par la rive droite, à la recherche d'un point de passage. Il lui reste à peu près deux cents hommes, en majorité chasseurs des 22ème et 64ème B.C.A., rassemblés maintenant à la sortie nord-est de Pont Sainte Marie, sur le route de Crenay. Au cours de la progression vers Villechétif, la mince colonne subit l'attaque de bombardiers italiens, sans grand dommage. A la sortie de village, elle prend à travers bois et marécages vers le sud. De l'autre coté des bois, quelques camions sont camouflés, abandonnés. On y récolte quelques vivres. Une patrouille, commandée par le Sous-Lieutenant Elorz, va reconnaître la route de Belley à Saint
Parres aux Tertres, au défilement de la prochaine crête. La route semble libre, mais des groupes de fantassins allemands progressent en direction de Troyes. Le Sergent-Chef Johannsen revient, sur une bicyclette récupérée, chercher un fusilmitrailleur et rejoint la patrouille. De l'emplacement où se tient le gros des compagnies, on aperçoit une patrouille allemande, qui profite d'un angle mort pour progresser, à quelques deux cents mètres du groupe Elorz. Le Lieutenant Ricatte met le F.M. en batterie et prend la place du tireur. Les Allemands approchent, ignorant le risque couru. C'est le moment que choisit un groupe de soldats français pour sortir du bois, mains levées, et marcher à leur rencontre. Ricatte tire sur les Allemands, qui se dispersent, sauf un, qui est capturé. Il sera remis, le lendemain à la 4ème D.I.. Le Capitaine Griolet conduit personnellement une reconnaissance dans le village de Belley, qui est désert, puis rejoint le Commandant Désidéri en bordure de la R.N.19. Regroupement rapide, car il faut repartir. Il y a là le Commandant Désidéri, le Capitaine Bessy et le Sous-Lieutenant Causeret, de l'étatmajor de la 27ème Demi-Brigade, le Capitaine Griolet, le Lieutenant Ricatte, les Sous-Lieutenants Escande, Ballandras et Elorz, du 22ème B.C.A., les Capitaines Diot, Becq et Poli, les Sous-Lieutenants Josson; Georges et Bougnasse, du 64ème B.C.A., et cent cinquante sous-officiers et chasseurs. La première partie de la nuit se passe en marches et contremarches, qui permettent enfin de franchir le canal et d'atteindre Rouilly Saint Loup. Après consultation de la carte, dans une maison abandonnée, à la lueur d'un briquet, le commandant décide de continuer jusqu'à Verrières, pour y franchir la Seine avant que le pont ne saute. Lorsque la colonne arrive à Verrières, vers 22 heures 30, c'est pour apprendre que le pont n'existe plus. Il y a bien celui de Clerey, à quelques kilomètres. Le Capitaine Griolet, complètement exténué, -i l n'a dormi que dix-sept heures en douze jours - demande au Commandant Désidéri de l'abandonner. Il rejoindra, dès que possible, le P.C. de la 44eme D.I., qui devrait se trouver à Rumilly les Vaudes. Le Sergent-Chef Leruth, toujours solitalre, a retrouvé le Lieutenant Minot au moment où la 3ème Compagnie quitte Pouan, ce matin du I5 juin. Il s'y arrête quelques minutes. Lorsqu'il repart, le lieutenant et ses chasseurs ont disparu. Leruth est alors pris en charge par des artilleurs du 94ème R.A., puis par des fantassins du 213ème Régiment d'Infanterie, qui l'amènent à Bar sur Seine. Là, il trouve place dans un camion du 93ème Train, qui part pour Avignon. Séparé des groupes qui le précèdent, le Lieutenant Minot entraîne les gens de la 3ème Compagnie à la recherche d'un pont, vers Villacerf et Troyes. Marches et contremarches harassantes. Vers 16 heures, aux abords de Troyes, le groupe formé par le Lieutenant Minot, le Sous-Lieutenant Darmont et une vingtaine de chasseurs. est encerclé par les Allemands et fait prisonnier. Le Sous-Lieutenant Lajous et ses hommes continuent en direction d'Auxerre. Merpillat et ses chasseurs se joignent aux véhicules d'un Groupe Sanitaire Divisionnaire, qui tente de franchir la Seine par le pont de Sainte Maure. Ils sont accueillis sur l'autre rive par un détachement d'une Panzerdivision. Blanc et Bassecourt se réveillent le 15, vers 8 heures. Mauvaise surprise pour Bassecourt, qui s'aperçoit que, pendant son sommeil, on lui a dérobé sa capote, mise à sécher près de lui. Ils repartent sur leurs bicyclettes. Juste à la sortie de la ville, lls ramassent une capote abandonnée. Un peu plus loin,
lls rencontrent le Sous-Lieutenant Escande, lui aussi à la recherche du bataillon . Brève rencontre. Eacande, qui est à pied, est bientôt perdu de vue. Bassecourt et Blanc continuent vers Arcis sur Aube par de petits chemins de terre, en se repérant sur une carte arrachée à un agenda des P.T.T. Direction Champfleury, Verrières, Clerey. La Seine est traversée à Villemoyenne. Bar sur Seine est, parait-il, aux mains des Allemands. Rencontre avec des officiers de la 26ème Demi-Brigade, qui se dirigent vers Saint Florentin. A Chaource, changement de direction vers Dijon, par Chesley, Étourvy, Laignes A chaque arrêt, il leur semble que la fusillade se rapproche Ils sont quatre maintenant : Blanc, Bassecourt, Sansoni et Trouiller, tous quatre sur de vieux vélos brinqueballants A Valsuzon, ils apprennent que les Allemands sont à Montbard et à Dijon Un peu plus loin, dans une clairière, ils aperçoivent quelques soldats françals, déséquipés, sans armes, qui se reposent tranquillement - Qu'est-ce que vous foutez 1à ? - Nous ? On est prisonniers T'as pas vu ? Sur la route, derrière une hale, stationnent des chars à la croix noire Demi-tour en voltige Plongée dans le sous-bols Le lendemain matin, au petit jour - dimanche 16 juin - au moment de repartir, une voiture militaire allemande passe à quelques mètres d'eux. Ils décident alors de se rendre à Dijon, pour se renseigner à la gendarmerie !!! La route présente une succession de petites côtes assez raides Les vieux vélos, dont les freins ne fonctionnent plus, prennent chaque fois de la vitesse A la sortie d'un virage, une masse gris-vert barre la route, dans laquelle, en freinant des godillots sur le sol, ils viennent buter,... un char allemand. Séparé de son groupe après le passage à Droup Sainte Marie, le Sergent Dory se retrouve avec l'élément d'arrière-garde de la 1ère Compagnie, commandé par l'énergique Sergent Gaston Canal, qui a su conserver autour de lui les survivants de son groupe, auxquels se sont agglutinés quelques chasseurs et biffins d'autres unités La marche s'effectue par à-coups, perdus au milieu des réfugiés et des fuyards de toutes armes, entre deux alertes aux stukas Un motard de la Demi-Brigade leur signifie d'avoir à presser le pas pour franchir les ponts de Troyes, qui doivent sauter incessamment Lorsqu'ils abordent Troyes, c'est pour apprendre que les ponts n'ont pas sauté, mais sont occupés par les Allemands. Emmené par Canal et Dory, le groupe marche vers le nord-est pour dépasser l'agglomération. A la sortie de la ville, ils découvrent un petit convoi de véhicules chenillés de ravitaillement de chars, commandé par un adjudant. La discussion s'engage. L'adjudant accepte de les embarquer pour tenter le passage de la Seine un peu plus loin vers l'est. Un colonel du 123ème Régiment d'infanterie, qui marche en isolè, est sollicité de prendre le commandement de l'ensemble et refuse. Un lieutenant du Génie, rencontré un peu plus loin, accepte et monte auprès de l'adjudant des chars dans la cabine. Dory, Canal et les chasseurs grimpent sur le plateau du véhicule. Dory installe son F.M., qu'il trimballe depuis Anthenay, sur le toît de la cabine, appuyé sur son sac Bergam. Les autres prennent place dans deux autres véhicules. Direction Bar sur Seine où le fleuve est passé au cours de la nuit. La progression a été marquée par un accrochage et la disparition des deux autres engins. Une tentative infructueuse est tentée en direction de Tonnerre, puis de Montbard. Le Capitaine Sivade et son convoi arrivent à Dijon, où les deux blessés sont confiés aux religieuses de l'hôpital de la ville. Et l'on repart rapidement vers Beaune, où le capitaine reçoit l'ordre de se diriger au plus vite vers
Autun... Les Allemands arrivent. A peine arrêtés à Autun, il faut repartir à la hâte. La fusillade crépite déjà dans les rues du quartier nord de la ville. Le Commandant Désidéri a entraîné sa colonne jusqu'à Clerey, où elle arrive à 3 heures du matin, le 16. Il décide de laisser ses gens, écroulés de fatigue, se reposer jusqu'à 5 heures. A 5 heures, on repart vers le pont de Clerey, où l'on arrive une demi-heure plus tard pour apprendre qu'il a sauté à 4 heures 30. Personne n'a entendu l'explosion! On recherche un gué, que l'on trouve enfin un peu en amont. Tout le monde passe avec de l'eau jusqu'aux genoux. Après une courte halte pour se rhabiller et se rechausser, dans un petit bois, la troupe, scindée en petites colonnes, repart vers le sud-ouest. Au moment de franchir la grand route qui traverse le village de Vaudes, le détachement est pris sous le feu d'une colonne motorisée, qui remonte la route depuis Bar sur Seine et lui occasionne quelques blessés légers, qui, malgré tout, continuent à suivre. La marche continue au travers du bois d'Aumont. Le Commandant Désidéri, accompagné d'une dizaine de chasseurs, se trouve séparé du gros de la troupe, où se retrouvent les capitaines Becq et Poli, les Sous-Lieutenants Escande, Ballandras, Georges et Elorz, et d'un autre petit groupe, formé par les capitaines Diot et Bessy, accompagnés d'une quinzaine d'hommes. Au débouché du bols, le Commandant Désidéri se trouve face à face avec un char allemand, qu'escortent des motocyclistes. Le Capitaine Griolet s'est réveillé à 9 heures. Le village de Verrières est complètement désert. Au cours de sa marche, il regroupe une trentaine d'hommes, tant fantassins de différentes unités que tirailleurs sénégalais. A une centaine de mètres du pont détruit de Verrières, il découvre une passerelle intacte. Le groupe franchlt la Seine, pour se trouver en face d'un groupe d'Allemands, qui font la pause à l'abri d'un char. Demi-tour rapide et retour précipité sur l'autre rive, salués de quelques rafales de mitraillettes. La marche continue vers l'est, par Saint Aventin, Clerey et Courbeton, où l'on arrive vers midi. En cours de route, le détachement s'est renforcé de vingt hommes du 1er Zouaves, commandés par le Sergent Chef Vaillant, dix cavaliers du G.R.D.31, sous le commandement du Maréchal des Logis Bonafos, trente fantassins de la 3ème Compagnie du 115ème R.I. avec le Sergent Chef Devauley, et quelques isolés. Tandis que les hommes prennent quelques minutes de repos et dévorent les maigres provisions découvertes dans le village, une patrouille va reconnaître le pont de Saint Pierre les Vaudes. Elle le trouve, lui aussi, occupé par un groupe de motocyclistes, accompagnés d'un blindé marqué d'une croix noire. La marche reprend vers l'est. Le pont de Courbeton est heureusement tenu par un peloton de chars français. La Seine est franchie en direction du sud. Contact est pris, à Virey sous Bar, avec le colonel commandant le 80ème Régiment d'infanterie, qui indique au Capitaine Griolet que le P.C. de la 42ème Division se trouve à Jully sur Sarce, quatre kilomètres plus loin. Griolet lui remet le groupe qu'il a amené avec lui et se rend au P.C. de la Division, où l'on est incapable de le renseigner sur la 26ème Demi-Brlgade en général et sur le 22ème B.C.A. en particulier. Il continue donc, seul, en direction de Rumilly les Vaudes, lorsqu'en traversant le village de Lantages, il apprend d'un officier du 64ème B.C.A. que la Demi-Brigade cantonne à la ferme de Lantages. Il retrouve les Capitaines Becq et Poli, les Sous-Lieutenants Georges et Bougnasse, du 64ème B.C.A., les Sous-Lieutenants Escande et
Ballandras, du 22ème B.C.A. et le Sous-Lieutenant Causeret, de l'État-Major de la Demi-Brigade, regroupés dans une ferme à l'entrée du village. Les Capitaines Diot et Bessy ont disparu, de même que le Sous-Lieutenant Elorz. Il reste une centaine d'hommes, à majorité de chasseurs. D'autorité, le Capitaine Griolet prend le commandement de l'ensemble. La ferme est déjà pleine de réfugiés, de soldats de toutes armes et de blessés. Les Allemands arrivent bientôt, amenés par camions à courte distance. Ils attaquent. mitrailleuses et canons de 20m/m arrosent la ferme, blessant quelques hommes. Murs et fenêtres sont garnis de défenseurs, qui ripostent en ménageant les quelques munitions qui leur restent. L'ennemi n'insiste pas, tandis que la nuit tombe. Les blessés sont chargés sur des voitures de réfugiés, et, à 21 heures, la colonne repart vers le sud-est, par Praslin et Pargues. Alors que le camion du Train qui l'emporte vers Avignon traverse le village de Laignes, le Sergent-Chef Leruth aperçoit des chasseurs auprès d'un véhicule chenillé à l'arrêt, et, parmi eux, son copain Dory. Le temps de sauter du camion qui roule à petite allure, et ce sont d'émouvantes retrouvailles. Tout le monde remonte sur le plateau de l'engin, qui repart vers Dijon. Après plusieurs jours d'errance, le Sous-Lieutenant Lajous et les quelques chasseurs qui le suivent arrivent à Nevers, juste à temps pour y prendre part, sous les ordres du commandant d'armes de la place, à la défense du pont sur l'Allier. Par la suite ils se retrouveront à Millau pour participer à la prise d'armes de dissolution du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins. Un autre groupe de la 1ère Compagnie, conduit par le Sergent-Chef Lantheaume, le sous-officier adjoint de Lajous, arrive, de son coté, le 16 au soir, à Rouilly Saint Loup, où la colonne de la Demi-Brigade est passée à trois heures du matin... mais ce sont les Allemands qui les accueillent. Le Capitaine Sivade et son convoi passent dans la journée à Moulins et arrivent en fin d'après-midi à Montluçon. Ils sont hébergés à la caserne pour la nuit du 16 au 17. La fin La progression de la colonne se fait de plus en plus lente. L'état d'épuisement des hommes, y entre pour une large part. En outre, les Allemands sont partout. Tout village est supposé être tenu par l'ennemi. Il faut donc s'arrêter et prendre position, tandis que des patrouilles vont reconnaître les lieux. Puis on repart pour traverser le village. La manœuvre se répète aux abords de Bagneux la Fosse. Tandis que la troupe fait une pause, le Capitaine Griolet part en avant, vers Les Riceys, reconnaître les possibilités de bivouac. Il emmène avec lui les Sous-Lieutenants Escande, Georges et Ballandras. Le jour n'est pas encore levé. Une barricade s'élève à l'entrée du village. Elle n'est pas gardée. Après avoir traversé le bourg, Griolet avise, à la sortie est, une grange qui pourrait abriter l'ensemble du détachement. Il envoie le Sous-Lieutenant Ballandras à la rencontre de la colonne, qui devait suivre à quinze minutes leur petit groupe. Il va être cinq heures. Les minutes passent. Des coups de feu se font entendre de l'autre côté du village, puis le silence retombe. Au bout d'un nouveau quart d'heure, le capitaine envoie aux nouvelles le Sous-Lieutenant Georges, qui, cent mètres plus loin, essuie quelques coups de feu et revient en courant. Alors qu'il n'est plus qu'à quelques mètres du capitaine, il est interpellé par une patrouille allemande, qui débouche d'une ruelle latérale. Escalade de murs, traversée d'une cour, d'un jardin, d'un magasin. Les trois hommes se barricadent dans une chambre à l'étage, et, après quelques minutes de vigilance, succombent au sommeil. Le détachement conduit
par le Capitaine Becq est bien arrivé un quart d'heure après le Capitaine Griolet devant la barricade, à l'entrée des Riceys. Dès qu'il s'est engagé il a subi, à bout portant, le feu des Allemands embusqués à l'entour. Ceux-ci avalent laissé passer le premier petit groupe, mais réagissaient contre une troupe qui leur paraissait importante dans la grisaille du petit jour. Des hommes tombent. Les autres se mettent à terre. Le Capitaine Becq s'avance, seul. Que peut-il faire ?... Son détachement est cerné, ses hommes épuisés, sans munitions, ou presque... Ainsi finirent la 26ème Demi-Brigade et les 22ème et 64ème Bataillons de Chasseurs Alpins. Le groupe, isolé depuis deux jours, à la tête duquel marche le Capitaine Latruffe, est capturé le même jour aux environs de Dijon. L'engin qui transporte Canal, Dory, Leruth et leurs chasseurs, arrive à Dijon en début de matinée. La ville est déserte. Près de la gare, un poste distributeur d'essence, dont les gérants sont partis, est mis à contribution pour refaire le plein. Un capitaine du 93ème R.I., qui erre dans la rue, refuse de se joindre au groupe. Un peu plus loin, des gendarmes, questionnés sur les possibilités de régulariser la situation de la petite troupe, ne savent que répondre, pressés qu'ils sont de sauter dans la voiture de la brigade et de partir vers Beaune. Le camion à chenilles prend également la direction de Beaune, où il se heurte à un barrage de machines agricoles, que gardent des cavaliers. Il est midi. Dory va se présenter au commandant d'armes de la place, qui lui conseille d'aller prendre le train en gare de Beaune, pour rejoindre Clermont Ferrand, où la 44ème D.I. se serait repliée... A force de discussion, Dory arrive à lui extorquer un bon d'essence pour leur véhicule. Encore faut-il s'aller approvisionner à Citeaux. En abordant le carrefour situé à quelques cent mètres des célèbres Hospices, le véhicule est atteint à l'avant par un projectile qui l'immobilise et tue le chauffeur et l'adjudant des chars, qui se trouvent tous deux dans la cabine. Les occupants du plateau ont sauté, chacun de son côté, pour s'engouffrer dans les maisons voisines. Leruth a disparu. Des gerbes de traceuses balayent la route. Dory s'évertue à récupérer son sac et son fusil-mitrailleur. Il se retrouve enfin, en compagnie de Canal et de Grandchamp, à l'abri d'une maison. Ils décident de marcher vers l'est, vers la Suisse. A la sortie de l'agglomération ils découvrent deux vélos et s'en emparent, pour tomber, trois kilomètres plus loin au coeur d'un accrochage auquel ils ne comprennent absolument rien. Où sont les amis ? les ennemis ? Ils aperçoivent un char, camouflé au défilement de la tourelle, qu'ils supposent français, et vers lequel ils se précipitent... pour tomber nez-à-nez avec un immense Oberleutnant portant la tenue noire des troupes blindées allemandes. Après un rapide interrogatoire, dans un français presque courant, qui lui apprend que ses prisonniers sont des Chasseurs Alpins, le ton change. Il leur fait présenter les armes par les hommes de son équipage et leur fait donner à manger, après les avoir fait entrer dans une maison voisine. Tous les trois, ils restent là, sans surveillance particulière, tout au long de l'après-midi, puis, vers le soir, l'officier leur indique qu'il part, et qu'ils doivent se rendre à l'église de Beaune, où sont regroupés les prisonniers. Ils sont, l'un et l'autre, tellement assommés, tant par la fatigue de tous ces jours sans repos, que par la succession quasi incohérente des événements de la journée, que, sagement, ils s'y rendent, "comme des joueurs de football regagnent le vestiaire après un match perdu". Le Capitaine Sivade et son convoi passent par
Clermont Ferrand, Ussel, le Mont d'Or, et bivouaquent le soir à La Bourboule. Le Sergent Michel Rodde, qui s'est retrouvé isolé après la traversée d'Arcis sur Aube, est passé à Troyes le 15, puis à Bar sur Seine, où il a rencontré le Sergent Truc, de la C.A. Les 16 et 17 Juin, de nouveau solitaire, il joue à cache-cache avec les colonnes allemandes qui sillonnent les routes, et dans lesquelles il vient buter le 17 au soir. Le lendemain, il profite d'une corvée pour s'évader, s'habille en ouvrier agricole - pas très ressemblant - avec des vêtements trouvés dans une ferme abandonnée par ses habitants, est repris, et s'évade se nouveau. Au culot, sous le nez des Allemands, il entre dans un magasin et achète des habits qui conviennent mieux à son allure de jeune étudiant, confie à la vendeuse ses papiers militaires, ne gardant sur lui que sa carte d'inscription en faculté. Après une nuit passée dans une grange, au milieu de réfugiés, il "emprunte" la belle bicyclette d'un gendarme, qu'un soldat allemand lui échange d'autorité, quelques kilomètres plus loin, contre le vieux clou qu'il chevauchait. Il se fait embaucher pendant quelques jours dans une ferme isolée, sous un camouflage de "valet de ferme yougoslave", et, toujours solitaire, sur son vélo minable, rejoint le 28 juin Paris, où il se fait démobiliser. Au cours de la matinée du 18, le Capitaine Griolet et les deux sous-lieutenants tentent une sortie, de cour en jardin, de maison en maison. Repérés par une patrouille qui tire sur eux et les poursuit, ils se réfugient dans une villa, où ils se barricadent. Ils y restent enfermés jusqu'au 20, se reposant et se nourrissant comme ils peuvent, ravitaillés et renseignés par une vieille voisine qui n'a pas voulu quitter le village. Tout au long des journées des 18, 15 et 20 Juin, passent sans arrêt des convois de chars, d'artillerie, d'infanterie portée, qui roulent en direction de Montbard et de Dijon. Le 18 au soir, une brigade entière cantonne dans le village, tandis que tombe une pluie torrentielle. Ils ont décidé de partir le 20, à la nuit tombée, vers le sud, à la boussole. A 19 heures 30, un officier allemand se présente à la porte, accompagnant une section qui doit loger dans la villa. Il ne reste au Capitaine Griolet que cinq cartouches dans son revolver modèle 1892. Les Sous-Lieutenants Escande et Georges n'ont plus aucune munition... Tandis que le capitaine se présente aux Allemands, Escande réussit à s'esquiver par la porte de derrière de la maison. Il restera caché dans une maison voisine jusqu'au début du mois de juillet, où il sera découvert par une vieille femme du village dont les cris de frayeur alerteront une patrouille allemande. Après un arrêt à Tulle et une nuit passée à Aurillac, le Train Régimentaire du bataillon arrive à Fontange, non loin de Rodez, le 21. Il y reste trois jours avant de gagner Millau, où les camionnettes, stationnées sur la berge du Tarn, connaissent un certain succès de curiosité en raison des blessures qu'elles ont reçues. Les hommes de troupe sont dirigés vers un camp de rassemblement, en attendant leur démobilisation. Les sous-officiers sont logés à la Maison du Peuple. Ils seront chargés de la gestion de l'ordinaire et de la comptabilité du camp. Chaque militaire libéré reçoit une prime de démobilisation de 1000 francs. Quelques isolés du bataillon rejoignent Millau. A la mi-Juillet, les rescapés du 22ème B.C.A. reçoivent la visite de leur chef de corps, le Commandant Ardisson, en congé de convalescence de la blessure qu'il a reçue le 10 Juin à Fismes. Le 3 août, au cours d'une prise d'armes présidée par le Lieutenant-Colonel De Nadaillac, Commandant d'Armes de Millau, les rescapés du 22ème Bataillon de
Chasseurs Alpins défilent une dernière fols devant le Fanion de leur bataillon. Le 22ème B.C.A. est dissous. Quelques Jours plus tard, le Capitaine Sivade et le Lieutenant Baillet ramènent à Digne les archives du bataillon. Les sous-officiers, de même que les chasseurs non libérables, sont dirigés sur Rodez, où se forme le Bataillon de Marche de Rodez, du Régiment du Tarn-Aveyron, dont la portion centrale est à Albi, et qui, peu après, deviendra le 51ème Régiment d'infanterie. Sur 1050 Officiers, Sous-Officiers et Chasseurs, qui avaient quitté Nice le 12 mars, 125 seulement ont rejoint Millau. Il est difficile de savoir quelles furent les pertes exactes du bataillon. Combien de morts ? de blessés ? de prisonniers ? Jeté, comme bien d'autres corps de l'Armée Française dans un combat qui n'était pas à sa taille, le 22ème a maintenu les traditions d'honneur et de bravoure que ses Anciens de 14/18 avaient scellées de leur sacrifice. A Mertzwiller, lors du mitraillage de la gare par l'aviation allemande, dès la première minute, mitrailleuses et fusils-mitrailleurs ouvraient le feu. Sous les balles, les muletiers continuaient leur travail, les chauffeurs bondissaient pour éteindre les véhicules en feu et décharger les explosifs qui risquaient de provoquer une catastrophe. Lors des premiers contacts, sur l'Aisne, le bataillon rendait coup pour coup, et même plus. Nulle part l'ennemi n'entamait ses avant-postes. Ses patrouilles allaient chercher l'Allemand sur son terrain. Lors de la ruée allemande, aux plus critiques instants de la bataille, alors que l'ennemi jetait dans le combat des troupes fraîches, sans cesse renouvelées, ses chasseurs, parfaitement conscients du sacrifice qui leur était demandé, ne cédaient de terrain que pas à pas et ne se repliaient que sur ordre. Il nous a été donné de lire les lettres écrites au Chef de Bataillon Ardisson par ceux, Officiers, Sous-Officiers et Chasseurs, qui avaient été sous ses ordres au combat. Toutes reflètent le même orgueil d'hommes qui gardent la tête haute après un combat malheureux, car ils n'ont pas démérité. Toutes reflètent l'absolue loyauté et l'absolue confiance vis-àvis du chef qui les commandait. "Nous avions tous l'amertume de n'avoir pu faire mieux, le regret poignant d'avoir été écrasés avant que chacun ait pu donner toute sa mesure. Puisse un jour la fortune des armes nous redonner l'honneur de servir sous vos ordres..." Que les esprits chagrins épiloguent sur les causes de notre défaite de 1940, nous savons que les Chasseurs du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins se sont montrés dignes de leurs Anciens de la Béhouille, du Linge, de Metzeral, de la Tranchée de Reuss et de la Cote 108. Le combat exemplaire mené par le 22ème sur l'Aisne et sur la Marne, ainsi que dans toutes les circonstances qui l'opposèrent à l'ennemi, ne fut sanctionné d'aucune citation ni d'aucune récompense collective. Il y eut bien un Ordre N° 105 C, en date du 30 juillet 1940, sous la signature du Général Weygand, Ministre, Secrétaire d'Etat à la Défense Nationale, qui citait à l'ordre de l'Armée : La Nème Division.... - La Nème Division.... - La 44ème Division D'Infanterie, sous les ordres du Général Boisseau... "... avaient reçu l'ordre de défendre l'Ailette et l'Aisne sans esprit de recul. Elles l'ont fait généreusement, les 5, 6, 7, 8, 9 et 10 Juin 1940, au cours de très durs combats, contre un ennemi très supérieur en nombre, poussant l'esprit de sacrifice à sa dernière limite."
SignĂŠ : Weygand. Le sacrifice du Bataillon mĂŠritait plus et mieux.