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ÉCOLOGIE

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PORTFOLIO

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LES MARQUES DE SPORT JOUENT LA DURABILITÉ

texte Claude Hervé-Bazin photos Picture Organic Clothing

Le monde du sport et de l’outdoor se réunit chaque année à Munich pour la grand-messe de l’ISPO. Les dernières innovations s’y exposent et les tendances du marché s’y dégagent. Dernier axe en date: améliorer la durabilité des produits.

ISPO, LE RENDEZ-VOUS INCONTOURNABLE DE L’OUTDOOR

I comme International. S comme Sport. P comme Professional. O comme Outdoor. Né en 1970, l’ISPO, le plus important salon mondial de l’équipement sportif, célèbre en 2020 son demi-siècle d’existence. L’ISPO, c’est désormais 2’950 exposants répartis sur 200’000 m2 et 83’000 visiteurs chaque année, réunis fin janvier ou début février à Munich. Ce sont aussi deux salons chinois et un autre, au début de l’été, en Bavière, OutDoor by ISPO. Autant de plateformes pour les nouveautés et les innovations technologiques.

En 2020, l’ISPO a adopté une triple devise. Be active, Be creative, Be responsible. Le constat est là: après avoir innové au-delà des espérances, les grandes marques outdoors prennent conscience de la nécessité de s’impliquer également dans la durabilité, la conception écologique — et même sociale — de leurs produits. Un " code de conduite " a été adopté l’année passée par l’ISPO, qui encourage organisateurs, exposants et visiteurs de la foire à agir de manière climatiquement neutre, économe en ressources et durable, en collaboration notamment avec l'European Outdoor Conservation Association (EOCA).

Le CEO du salon, Klaus Dittrich, souligne une forte perspective: «dans les 50 prochaines années, nous avons l’ambition de devenir la plus grande plateforme mondiale dédiée au sport et, ce faisant, de contribuer à changer l’industrie en trouvant des réponses aux questions pressantes du temps: comment nous attaquer au changement climatique? Comment développer des opportunités pour tous, plutôt que d’accroître les différences de niveau de vie dans le monde? Comment améliorer notre durabilité? Nous pensons que le sport est un levier puissant pour contribuer à répondre à ces questions essentielles (…) qui agitent société et entreprises. Nous devons trouver des solutions avant qu’il ne soit trop tard.»

DE GREENWASHING À GREENDOING

Le mot est lâché: durabilité. Le 29 juin prochain, quelque 250 éminents spécialistes issus des mondes du sport, de la politique, de la culture, de l’économie et de la société civile plancheront à Munich, lors du SDG (Sustainable Development Goals) Summit, sur la meilleure manière de transformer les objectifs de développement durable en réalités dans la planète outdoor. En tête d’affiche: le lauréat du Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit. L’ISPO et ses membres se placent ainsi dans l’ambitieux sillage des Nations-Unies en faveur des 17 objectifs de l’Agenda 2030 — comprenant notamment l’éradication de la pauvreté, la lutte contre la faim, l’accès à la santé, à l’eau et à l’éducation, le recours aux énergies renouvelables, une consommation responsable, la lutte contre le changement climatique et la promotion d’une industrialisation et de villes et communautés durables. Il est temps de laisser le pouvoir du sport et de l’outdoor changer le monde, dit le slogan.

Dirigeant de l’European Outdoor Group (EOG), représentant les industriels du secteur, Mark Held soulignait récemment lors d'une conférence de presse la nécessaire évolution du milieu vers une «responsabilité sociale et environnementale» accrue. Déjà, 97 % de ses membres se sont engagés à améliorer leur empreinte

écologique. Le milieu, à l’en croire, investit chaque année 200 millions de dollars dans le développement durable. De nombreuses entreprises ont commencé à faire la chasse aux PFC (gaz à effet de serre, difficilement dégradables), comme Mammut, et au PVC (cancérigène). Certaines questionnent aussi désormais le téflon (idem) et les nanoparticules (à la dispersion dans l’environnement incontrôlable).

Quelques avancées ont été présentées à l’ISPO, comme la fondation du Microfiber Consortium, une organisation sans but lucratif — quoique intimement liée à l’industrie — qui travaille au développement de solutions techniques pour les entreprises textiles dans l’optique de minimiser leurs rejets dans l’environnement. L’instance promeut aussi une réduction des plastiques d’emballage à usage unique, en les recyclant en amont de la vente au consommateur, lorsqu’ils sont encore propres, pour accroître leur durée de vie. Ainsi traités, ils pourraient être réutilisés jusqu’à 14 fois. Le plus important distributeur européen du secteur, Décathlon, s’est déjà engagé — et quelques autres aussi. L’EOG finance depuis douze ans l’European Outdoor Conservation Association, qui soutient elle-même des projets locaux en faveur de l’environnement, tel le nettoyage des plages. Mais Klaus Dittrich, le boss de l’ISPO, le souligne bien: «Nous sommes juste au début des transformations.»

DES FABRICANTS PIONNIERS

Au-delà des mots, le salon a un puissant outil dans sa manche: les ISPO Brandnew Awards, ces trophées récompensant les idées et les produits les plus novateurs de l’année. Longtemps, la priorité a été accordée à l’innovation pure, à la technicité, aux progrès invraisemblables de la respirabilité, de la résistance au vent, à la pluie, à la neige. Mais la règle pourrait changer. Déjà, cette année, l’ISPO a distingué la veste eco pur de la jeune start-up suisse dimpora, à la membrane protectrice conçue sans PFC et… entièrement biodégradable! Un pur produit de l’institut polytechnique de Zurich, financièrement soutenu par Innosuisse.

Au Sustainability Hub de l’ISPO, fin janvier 2020, le GRV Transparency Tour a mis en avant d’autres fabricants investis dans les matériaux biodégradables et biotechnologiques. Parmi eux, l’Américain PrimaLoft, dont les isolants synthétiques sont employés par de nombreuses grandes marques, s’est engagé à faire en sorte que, d’ici fin 2020, 90% de ses produits contiennent au moins 50 % de matériaux recyclés (issus des plastiques PET). La marque, forte de son slogan We are relentlessly responsible, a parallèlement développé le PrimaLoft Bio, 100 % issu de matériaux recyclés et biodégradable à 93,8% (à 2 ans), qui réduit significativement la dispersion de micro-plastiques dans l’environnement. Comment ? En rendant les fibres plus appétissantes aux micro-organismes qui les digèrent et les renvoient dans le cycle naturel! Un pas important sachant que, aux États-Unis, les deux tiers des déchets textiles (multipliés par 9 depuis 1960…) finissent encore en décharge. Des engagements qui valent à PrimaLoft d’être le plus important fabricant de son secteur certifié Bluesign — un label indépendant garantissant une production textile sûre et durable. Parmi les autres intervenants, DyeCoo, basé aux Pays-Bas, a développé un procédé de teinture sans aucune utilisation d’eau ni de produits chimiques nocifs, applicable à l’échelle industrielle. Plus d’additifs contaminants, mais un recours au CO2 (de récupération) chauffé à haute pression comme solvant des colorants — une technologie révolutionnaire qui a valu à la compagnie d’être nominée par le Forum Économique Mondial lors des Circular Economy Awards 2019. Appliquée à l’échelle mondiale, elle permettrait d’économiser plus de 3 milliards de mètres cubes d’eau annuellement! Mieux encore: le CO2 utilisé est recyclable à 95%, entrant ainsi dans un cercle vertueux. Le procédé, parfait pour le polyester, commence à s’implanter dans certaines usines asiatiques de Nike, Adidas et Mizuno.

LE MODÈLE PATAGONIA

Le champion toutes catégories en matière de durabilité ne s’est pas inventé écologiste hier. Dès les années 1970, Patagonia, à l’instigation de son fondateur Yvon Chouinard (lire l’article que nous lui avons consacré dans notre n°73), a privilégié la qualité et la durabilité de ses produits. Pour des raisons d’éthique personnelle. Vêtements en PET recyclés et en coton bio avant tout le monde, investissement du champ politique pour soutenir la défense de l’environnement, réparation et revente de ses produits, fondation et financement de l’ONG environnementale One Percent for the Planet (à hauteur de 1% du chiffre d’affaires), etc.

Plusieurs fabricants ont depuis fait de la protection de l’environnement un axe de leur stratégie d’entreprise, à l’instar de l’équipementier de montagne bavarois

Vaude, qui garantit des produits à la fois équitables (en partenariat avec la Fair Wear Foundation) et conçus grâce à des matériaux et ressources durables. Ils sont pensés pour être intemporels, ce qui leur évite de se démoder, et faciles à réparer. Vaude, qui publie chaque année un rapport de durabilité, a même construit un siège climatiquement neutre (avec cantine bio!). L’exemple montre que l’on peut contrôler les conditions de travail chez ses sous-traitants, fusse à l’autre bout du monde.

Depuis l’origine (2008), les jeunes Français de Picture n’ont jamais pensé qu’écoconception et développement durable. Leurs produits sont 100% issus de matériaux recyclés, biologiques ou bio-sourcés. Des doublures en chutes de tissus récupérées ? Pourquoi pas. Des casques en polymère issu du maïs? Bingo. À Munich, les ISPO Gold Awards pleuvent. Le néoprène se recycle mal? Suit une combinaison de surf en caoutchouc naturel à 85%. Puis le projet Harvest Jacket, pour un tissu issu de la canne à sucre et de l’huile de ricin. La voie est tracée et, désormais, même les grands s’y mettent. Adidas va d’ailleurs lancer les premières baskets 100% recyclables. Renvoyées à l’entreprise en fin de vie, elles seront broyées et refondues.

À une échelle moindre, l’Anglais Nikwax apporte sa pierre à l’édifice avec ses imperméabilisants aqueux à base de cire minérale «assouplie» (sans solvants nocifs) qui rendent aux vêtements techniques leurs qualités perdues au fil du temps. La marque a même développé une lessive spécifique biodégradable. La question n’est pas anecdotique: nombre de vestes de ski ou de montagne sont tout simplement impossibles à laver sans détruire les propriétés protectrices et respirantes de leur fragile membrane! Certaines marques en ont fait leur cheval de bataille, comme Nobis et Gore-Tex. Et les fourrures alors? Très simple: placez les quatre jours au congélateur dans un emballage, elles sortiront comme neuves!

L’AVENIR EST À LA SIMPLICITÉ

Certaines marques se sont-elles perdues en chemin en proposant des produits toujours plus technologiques? Qui a vraiment besoin, pour aller skier, d’une veste conçue pour affronter le froid polaire? Les matériaux ultratechniques, parfois questionnables en termes de santé ou d’environnement, reculent ou s’adaptent aux nouvelles exigevnces. Bois (pour les skis), coton bio, chanvre, bioplastiques se développent ou s’invitent désormais dans la course.

L’exigence de matériaux écologiquement rationnels s’accroît. Le fast fashion et la consommation avide perdent de leur élan. Pour les industriels de l’outdoor comme pour toutes les entreprises du monde, le moment est venu de prendre en compte ces tendances. Il s’agit, désormais, de voir à moyen et long terme. De mesurer l’implication pour tous des conditions de production. De penser coordination et intégration des efforts. Sans doute un cadre législatif global favoriserait-il une évolution en ce sens. Le green deal tracé par Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission Européenne, pourrait être cette voie, si elle ne se mue pas en simple déclaration d’intention. En attendant, les initiatives personnelles resteront déterminantes, à l’instar de la Fashion Revolution lancée en 2014 par l’Anglaise Carry Somers, suite à la catastrophe du Rana Plaza, au Bengladesh, où trouvèrent la mort 1’138 employés de sous-traitants textiles.

Plus anecdotique, les Jeux Olympiques de Tokyo se sont engagés, cet été, à fabriquer les quelque 5’000 médailles qui seront décernées à partir d’équipements électroniques recyclés. Même les podiums seront en plastique recyclé ! Tout un symbole.

MISE À L’INDEX Outre les divers labels et trophées, un outil permet désormais de mesurer la véracité des engagements verts des entreprises de confection : l’indice Higg. Conçu sous les auspices de la Sustainable Apparel Coalition, qui réunit 250 entreprises membres dans 35 pays, représentant plus de 500 milliards de chiffre d’affaires annuel dans le monde, il permet au consommateur d’identifier les compagnies les plus vertueuses, mais aussi aux sociétés du secteur de choisir leurs partenaires en fonction de leur implication environnementale.

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