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Métiers anciens d’Anniviers
patrimoine
La disparition des anciens métiers
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L’étrange et épuisant métier de porteur de glace
L’activité de porteur de glace estelle apparue avec le tourisme en Anniviers ?
Dans la vallée, l’économie fut pendant des siècles très autarcique : la plupart des familles cultivaient leurs légumes, élevaient du bétail et s’occupaient elles-mêmes de la boucherie. Il était donc vital de pouvoir conserver dans les meilleures conditions possibles toute la production pour avoir des réserves durant toute l’année. Les Anniviards avaient développé l’art de la conservation alimentaire sans glace: viande séchée, céréales conservées en grains et moulues au fur et à mesure des besoins, greniers secs ventilés et protégés des rongeurs, production d’aliments qui se conservent longtemps (fromage, seigle, pommes de terre), … Pourtant, à la fin du XIXème siècle, le besoin d’un autre mode de conservation se fit sentir. Le développement du tourisme permit la construction de plusieurs grands hôtels dans la vallée. Il fallait des produits frais pour contenter cette riche clientèle, et le besoin de glace pour conserver la nourriture se fit plus pressant pour les hôteliers. Il semblerait que certains grands hôtels de la vallée embauchèrent alors des porteurs de glace qui allaient extraire des blocs des glaciers et les rapportaient au village. Toutefois, les informations sont lacunaires, par ouï-dire, et aucune trace écrite de cette activité ne subsiste à notre connaissance. Si vous détenez des informations à ce sujet, n’hésitez pas à nous en faire part ! Au Grand Hôtel de Chandolin, la glace était entreposée dans le cabanon derrière l’hôtel, dans la paille. Selon plusieurs sources, cette glace provenait du glacier de la Bella Tola, bien plus étendu à cette époque-là qu’aujourd’hui où seuls de petits vestiges grisâtres subsistent. Le glacier, appelé glacier de Meretschi côté Haut-Valais, se trouve sur le versant nord de la montagne Bella Tola, du côté de la vallée de Turtmann. On peut se représenter la difficulté de ce travail : les porteurs de glace devaient gravir la montagne jusqu’au glacier dont la partie haute se situe à plus de 2900 mètres, puis extraire la glace en trouvant la plus dense, pour ensuite transporter les blocs découpés jusqu’à l’arête, et enfin redescendre ces lourdes charges sur 1200 mètres de dénivelé de pente raide, tout en luttant contre la fonte pour ne pas perdre le fruit de leurs efforts. A l’hôtel Bella Tola de St-Luc aussi, de la glace permettait de conserver les aliments ; elle était entreposée à la cave et recouverte de sciure pour limiter les pertes et la faire durer le plus longtemps possible. Mais l’origine de ces morceaux de glace reste incertaine. La glace utilisée par le Grand Hôtel du Cervin, à St-Luc, était fabriquée sur place. Personne ne montait jusqu’au glacier pour l’extraire. Simone Widmer-Gard se souvient des deux glacières utilisées par l’hôtel Bella Tola et le Grand Hôtel du Cervin lorsqu’elle était enfant. C’était deux maisons en bois de deux mètres sur quatre situées au cœur du village. A cette époque-là, les hôtels de St-Luc n’étaient pas ouverts en hiver. Mais l’oncle de Simone, Erasme Antille, montait exprès pour produire de la glace durant les jours les plus froids, en arrosant le tas de glace dans les glacières. L’eau était prise au torrent à proximité et conduite à la glacière par un tuyau. Erasme recouvrait ensuite la glace de paille pour la garder plus longtemps. En été, lorsque l’hôtel était ouvert, le portier allait dans les glacières pour casser des morceaux à la hache et les apporter aux cuisines pour conserver les aliments. On l’utilisait aussi pour confectionner chaque samedi des glaces à déguster le dimanche. Entre 1944 et 1946, le Grand Hôtel du Cervin se dota d’un frigidaire, les glacières cessèrent d’être utilisées et personne n’eut plus besoin d’affronter la neige et le froid pour aller fabriquer de la glace pour l’été.
Porteurs de glace des Pyrénées

Wagonnet sur lequel les ouvriers chargeaient les blocs de glace pour les transporter du glacier du Trient jusqu’au col de la Forclaz. Photo Pauline Archambault Photo archives communales de Trient
L’exploitation des glaciers ressemblait parfois à une petite industrie
Dans d’autres régions du Valais, l’histoire de l’extraction de la glace des glaciers est mieux documentée. Ces archives nous éclairent sur le métier de porteur de glace. Ce travail était répandu puisqu’au XIXème siècle de nombreux glaciers des Alpes étaient exploités pour fournir la glace indispensable à la conservation des aliments. Plus qu’un métier, il s’agissait souvent d’une activité annexe car elle était peu rémunérée. Les paysans trouvaient dans ce labeur épuisant un gain accessoire bienvenu à une époque où les possibilités de gagner de l’argent étaient rares. Dans plusieurs régions de montagne en Europe, le métier de porteur de glace se développa avec l’arrivée des touristes, et les paysans furent salariés par les hôtels pour fournir la précieuse glace. Ainsi dans les Pyrénées, les porteurs de glace partaient de nuit jusqu’au glacier, puis redescendaient les énormes blocs de glace sur leur dos en courant, « car celui qui revenait le plus rapidement avait les meilleures chances de vendre sa glace pour rafraîchir les curistes qui fréquentaient les luxueux hôtels de la station. »1 Un article publié dans La Dépêche du Midi nous apporte des détails sur ce métier tel qu’il était pratiqué dans les montagnes des Pyrénées : « Il fallait trouver des hommes connaissant les endroits où la glace était la plus dense, capables, de surcroît, d’acheminer, sur des pentes au dénivelé important, des charges allant parfois, pour les plus rudes, jusqu’à 70 kg. Les hommes partaient de nuit pour être sur place à la pointe du jour, avant que le soleil ne réchauffe la glace, montaient dans les endroits les plus propices. L’ascension se faisait à dos de mule ou d’âne, le plus loin possible mais après il fallait continuer le chemin à pied parce que la glace qui convenait se trouvait au-delà de 2000 m d’altitude. Bref, trois heures de montée et autant de descente donc pour ramener des blocs généralement de 25 à 30 kg, choisis dans la partie la plus dure pour lutter contre la fonte. On conditionnait la glace dans de grands sacs contenant de la sciure qui servait d’isolant isotherme et était alors descendue à dos d’homme pour rejoindre les bêtes de bât. »2 Il est plus que probable que le travail de porteur de glace en Anniviers présentait de grandes similitudes avec cette description, mais peu d’informations subsistent, ce qui ne nous permet aucune certitude.
Des morceaux des glaciers du Valais s’exportaient jusqu’à Paris, Lyon ou Marseille
Dans la vallée du Trient en Valais, un vaste glacier prend naissance à plus de 3000 mètres d’altitude sur un vaste plateau de 3km2. Vers 1850, à la fin du Petit Age glaciaire, le glacier était très épais et sa langue atteignait presque l’actuelle buvette. L’exploitation de la glace s’y développa comme une petite industrie entre 1865 et 1893. Une quinzaine d’ouvriers de la région travaillaient à extraire entre 20 et 30 tonnes de glace chaque jour, au plus fort de la production. Ils logeaient et mangeaient sur place, dans un bâtiment construit pour eux à quelques centaines de mètres de l’impressionnant front du glacier. Le métier n’était pas sans danger : « à l’aide d’explosifs et d’outils divers, le glacier était fendu puis débité en blocs de plusieurs centaines de kilos.»3 Ces blocs étaient ensuite glissés jusqu’à l’actuelle buvette puis chargés sur des wagonnets sur rail qui les transportaient jusqu’au col de la Forclaz. De là, de solides chariots les acheminaient par la route jusqu’à la gare de Martigny. On les stockait alors dans la sciure pour en perdre le moins possible en attendant les trains qui chaque semaine partaient pour ravitailler Paris, Lyon et Marseille. Arrivée là-bas, la glace était sciée et vendue aux brasseries. Les chutes étaient livrées aux confiseurs sous le nom de « Petits MontBlanc » pour qu’ils élaborent des glaces.
Le difficile métier de porteur de glace disparut complètement avec l’invention des frigidaires et des congélateurs
L’extraction des morceaux de glaciers s’arrêta tout à fait. A partir des années 60 en Anniviers, plusieurs villages disposèrent de congélateurs collectifs, dont Vissoie, Mission et Mayoux. A Vissoie, le congélateur collectif était situé sous l’imprimerie. Il y avait une centaine de casiers de trois grandeurs différentes, en fonction des besoins. Les habitants y conservaient leur viande, leurs légumes, ou le pain de seigle cuit une fois par an. Pour environ 45 francs, on pouvait y louer un casier à l’année. La somme couvrait les dépenses en électricité et les réparations. En cas de panne, l’augmentation de la température dans le congélateur déclenchait une alarme qui retentissait. Il fallait alors être rapide pour que personne ne perde ses précieuses réserves. Une maison spécialisée dans les réparations était alors pressée de se rendre sur les lieux. Le congélateur collectif fut par la suite de moins en moins utilisé, au fur et à mesure que les Anniviards ont pu acquérir leur propre congélateur ; ils tuaient aussi de moins en moins de bêtes et produisaient moins de légumes. Les besoins diminuaient. Serge Clivaz, qui avait hérité du congélateur, le transforma alors pour pouvoir en louer une partie à la boucherie de Vissoie qui avait besoin d’un grand espace pour conserver de grandes quantités de viande. Puis la boucherie eut son propre congélateur. Le congélateur collectif n’était plus ni rentable ni aux normes. Il devenait trop vieux et tombait en panne. Pour ces différentes raisons, le congélateur collectif de Vissoie disparut au tout début des années 90.

Pauline Archambault
1 http://marmotton66.e-monsite.com/ 2 article publié dans le journal La Dépêche du Midi le 03/05/2009 (www.ladepeche.fr) 3 informations extraites des panneaux qui jalonnent le bisse du Trient




