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Aymon des vipères
portrait
Durant une trentaine d’années, les gens de Zinal ont pu côtoyer un passionné de vipères en la personne d’Alfred Aymon. Cet Ayentôt d’origine avait eu un coup de cœur pour Zinal, où il se fit bâtir un chalet en 1952. Lors de ses nombreux séjours à la montagne, il aimait attraper des vipères, dont il prélevait le venin, avant de les relâcher.
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Raphy Aymon a accepté d’évoquer la personnalité et la vie de son grand-père, avec qui il a passé tant d’heures heureuses avant que la silicose ne l’en prive, en 1983.
Portrait
Après avoir travaillé dans les barrages, Alfred Aymon, dit Freddy, devint vigneron-encaveur à Sierre. Marié à Augusta, il était père d’une fille, Gabrielle. Tombé amoureux de Zinal, il y fit reconstruire l’ancienne école démontée à Mission, qui, dans sa seconde vie, devint ainsi sa maison. Il y résidait le plus souvent possible. Pour un véritable amateur de marche et d’alpinisme, le lieu était idéal. Du reste, Alfred a réalisé l’ascension de plusieurs 4000m de la vallée.
L’homme était aussi connu comme un défenseur acharné de la cause paysanne, membre fervent du parti socialiste et grand ami de Charles Dellberg, fondateur de la section valaisanne dudit parti. Il aimait à plaisanter et les plus âgés se souviennent bien de lui et de certains de ses tours.
Les reptiles, une vraie passion
Attiré par les serpents, Freddy ramas-
Alfred s’occupe de ses protégées
sait des vipères aspics. Il les entreposait ensuite dans une cage métallique aérée, près de son chalet. Il les y gardait quelques jours, les nourrissait, puis prélevait leur venin, avant de les remettre dans la nature. Le venin récolté était destiné à la fabrication de sérum anti-venin.
Freddy avait l’habitude de « chasser » les vipères dans les pierriers des Plats de
la Lée ou ceux derrière le bâtiment de l’actuelle piscine. Il les ramassait par la queue, à mains nues, et les secouait vers le bas pour que leur tête ne puisse pas remonter. Il avait aussi transformé une canne en bois pour en faire une sorte de pince lui permettant de saisir les reptiles en activant un clapet. Il s’est néanmoins fait mordre quelques fois, mais prévoyant et prudent, il avait toujours du sérum avec lui et ses mésaventures ne l’ont nullement dégoûté de sa passion. Il l’a bien évidemment fait découvrir à son petit-fils, qui, malgré son jeune âge, l’a accompagné bien des fois. Il se souvient d’un jour où, montant en vélomoteur dans les vignes sous le château Ravire, son grand-père s’est arrêté brusquement pour saisir une couleuvre dont la queue sortait du mur de pierres. Raphy, installé sur le porte-bagage, a assisté sans étonnement ni effroi à la scène.
Facéties et amusements
Freddy aimait plaisanter et taquiner un peu les gens. Dans les bistrots, il en a surpris plus d’un en sortant de la poche de sa veste, une vipère fraîchement recueillie, devant des incrédules qui pensaient que ses exploits n’étaient que fanfaronnades. Une fois, il a badigeonné de peintures rouge, jaune et bleue, le dos de quelques vipères avant de les relâcher. Quelle joie d’entendre un copain lui décrire l’incroyable vipère qu’il avait vue ! Dans un registre plus privé, il avait plaisir à offrir aux visiteurs, invités à sa cave, de boire au goulot une gorgée ou deux de vipérine (eau-de-vie dans laquelle baigne une vipère) qu’il préparait lui-même. Le nez à nez avec la vipère n’était pas du goût de tout le monde ! Cette passion pour les reptiles l’a accompagné toute sa vie. Elle est même inscrite sur les étiquettes, dessinées par ses soins, du vin qu’il produisait pour une cuvée plaisamment nommée «venin de vipère». Raphy Aymon en a conservé une bouteille, dont l’intérêt n’est assurément pas gustatif, mais qui, à la manière de la madeleine de Proust, réveille la mémoire et les souvenirs du bonheur passé.
Janine Barmaz

Vipérine maison Une étiquette de passionné
