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Bagages pour l’alpage
portrait
Bagages
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pour l’alpage
Voilà six ans que le petit Renaud passe ses étés sur l’alpage de Rouaz avec ses parents. La toute première fois, bien calfeutré dans le ventre de sa maman, et puis « en vrai », sur le terrain. Séverine et Laurent, les parents, lui transmettent leur passion de l’été à l’alpage. Une passion chargée de responsabilités, de travail intense, dans un environnement exceptionnel.
Le sud
Le chemin de la famille a commencé dans le sud français, Provence, Alpes Maritimes, Var pour se poursuivre dans le sud suisse, alpage de l’Etoile dans le val d’Hérens, celui de la Forclaz à Trient. La formation de base en agriculture et en fabrication de fromage a été accomplie en France, puis s’est affinée en Valais, à la laiterie de Champsec, avec les spécialités de raclette, tomme, sérac, yogourts, et même gruyère et vacherin fribourgeois. Des stages avec le maître du fromage à raclette Eddy Baillifard ont permis de peaufiner encore leur formation, ainsi que quelques étés passés sur l’alpage de Pointet au-dessus de Conthey. L’hiver s’est déroulé quelquefois aux remontées mécaniques de Verbier, puis la remise en état d’une maison acquise dans les Pyrénées a occupé le reste de leur temps. Autant dire que le sud, qu’il soit suisse ou français n’a plus beaucoup de secrets pour Séverine et Laurent.
A Rouaz
Une annonce cherchant vacher et fromager/ère, avec mission d’équipe à construire pour les trois mois d’été sur l’alpage a éveillé la curiosité de nos deux protagonistes. Ils n’ont pas hésité longtemps et les connaissances humaines et pratiques acquises au cours des années précédentes ont joué en leur faveur. Les bagages pour l’alpage ont été vite bouclés.
Dès le mois d’avril, Laurent ne pense déjà plus qu’à la préparation de l’inalpe : ne rien oublier, ne négliger aucun détail. La saison d’alpage exige un important travail d’anticipation : remettre en état l’arrivée d’eau, d’électricité, curer les bisses, constater les éventuels dégâts, évaluer les places de traite, l’état des routes, de la traite mobile, du mobilier, de l’immobilier, programmer les travaux indispensables. Cela se fait en collaboration avec les responsables de l’alpage. Pour le premier juin, tout doit être prêt afin d’accueillir correctement les participants à la première journée de corvées du comité, des alpans et des consorts. L’aspect administratif évolue et se complexifie... Il faut également prévoir le nécessaire pour les vaches : les farines, les pierres à sel, les lingettes désinfectantes pour les pis, ainsi que les piquets et fils pour les parcs.
La gestion de l’alpage exige un suivi sérieux et constant, avec la société des remontées mécaniques concernant les routes et accès, avec les différents comités impliqués, les consorts et les employés. Souplesse et adaptation entre théorie et pratique permettent de passer au mieux chaque étape. La journée de l’équipe débute tôt, très tôt : réveil à 3h du matin, petit café avant d’attaquer la traite vers 3h30. Dans l’après-midi, une bonne sieste s’impose, à moins qu’un problème de blessure ou d’avortement se déclare chez une des vaches par exemple. Dans ce cas, le vétérinaire est appelé en renfort. A Rouaz, cette année, les deux troupeaux (les blanches et les noires) totalisent 143 unités, gérés indépendamment. Pour ce qui concerne le troupeau de la race d’Hérens (les noires), dès le premier jour là-haut, il faut attentivement veiller au classement, qu’il soit juste, pour éviter toute chamaillerie entre propriétaires. Chaque petite lutte doit être répertoriée, le statut de propriétaire de la reine du troupeau est ardemment convoité…
« Si le côté humain va, tout va » affirme Laurent.
Lorsque le temps de la désalpe approche, Laurent appelle tous les éleveurs pour prévoir avec eux la réservation des camions qui viendront récupérer leurs bêtes (les blanches) et les ramener à bon port. Celles de la race d’Hérens (les noires) quitteront l’alpage à pied, accompagnées de leurs propriétaires, comme le veut la tradition. Une fête au village marquera leur retour et permettra de les admirer quelques heures, avec leur décoration, selon le classement obtenu durant l’été, reine du troupeau, reine du lait. Un moment agréable pour le public, dégustant une raclette et ne se doutant pas de la masse de travail nécessitée par le séjour du bétail là-haut, trois mois durant et sept jours sur sept. Deux jours suffisent ensuite pour tout nettoyer et l’alpage entre alors en hibernation. Sauf les fromages fabriqués en fin de saison et qui demandent un affinage attentif jusqu’à leur maturité.
Fabrication, commercialisation
L’herbage suffit lors d’un été météorologique normal, la surface est importante et les rotations permettent de brouter au mieux l’ensemble du territoire. Le pâtu-
rage est luxuriant, riche en flore qui donne au lait et donc au fromage ce goût si apprécié par nos gourmandes papilles.
Mais le lait de là-haut, si savoureux soitil, ne suffit pas, la technique de fabrication et d’affinage contribue largement à l’excellence du produit fini. Mélane, la fromagère, apporte son importante pierre à l’édifice, avec l’aide-fromager Antoine. Séverine organise principalement la commercialisation du sérac, des diverses tommes et autres goûteux produits fabriqués sur place. Elle s’occupe de leur livraison, cela représente beaucoup de route et l’occupe trois à quatre jours par semaine. Les commerces de la vallée ont été accueillants dès le début : la vente fonctionne bien. Séverine participe notamment aux marchés hebdomadaires de St-Luc, aux manifestations particulières comme le marché culinaire de Chandolin, le marché du premier août, la balade gourmande, les prémices.
L’équipe
Les stocks de nourriture pour toute l’équipe occupée sur l’alpage sont prévus au début de la saison. La viande des cochons qui passent l’été à proximité est dégustée lors de la saison suivante. Les courses pour les denrées fraîches se font au fur et à mesure des besoins. Chacun cuisine à tour de rôle, par tournus, midi et soir.
L’équipe se compose de Mélane, qui nous vient du Doubs pour la sixième année, Antoine l’Alsacien qui s’occupe aussi de la cave, Apolline et Lucas, Alsaciens eux aussi, sont les bergers du troupeau des blanches, et Vincent, du Var, veille sur les noires. Le petit Renaud, quant à lui, poursuit sa scolarité à Soulan (soleil en occitan), en Ariège dans les Pyrénées, au sud toujours. Ses grands-parents l’entourent affectueusement et rejoignent la famille à Rouaz dès que l’année scolaire se termine là-bas. C’est leur participation à la réussite de l’entreprise. Renaud ne connaît que les étés sur l’alpage, depuis qu’il est né. Une bien belle équipe qu’on peut croiser parfois sur les hauteurs, au hasard des places de traite, de gardiennage des troupeaux ou à l’alpage même. Elle accomplit un travail fantastique, dans la bonne humeur. Tous se donnent sans compter pour assurer une saison d’alpage sereine et productive, avec un profond respect des humains, du cheptel et de l’environnement. Mersi tànn !
texte Simone Salamin
