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Lionel Epiney, docteur en architecture

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portrait

Lionel Epiney

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docteur en architecture

En Anniviers, il y a ceux qui ont fait « l’université de Crouje »1... Mais Lionel Epiney, petit-fils de Marie et Gilbert, paysans à Grimentz, lui, s’en est allé à Mendrisio pour faire un doctorat en architecture.

Parcours académique

Le parcours académique de Lionel commence à l’université de Lausanne, à l’EPFL, en 2007. Au départ, c’était plutôt un compromis, il voulait être paysagiste mais son père était complètement contre... A la base ce n’est donc pas un choix de passionné. Il ne voulait pas se diriger vers les sciences dures parce qu’il ne se trouvait pas assez doué en maths, les sciences humaines auraient pu l’intéresser, la sociologie peutêtre... Il a opté pour l’architecture qu’il voit comme étant un arbitrage entre ces deux tendances car cela demande des connaissances techniques qui l’intéressent et une partie humaine qui l’attire. L’habitat forme quand même la base de la vie, le bâti a une grande influence sur le quotidien des gens et cet aspect est passionnant pour Lionel. A Lausanne, il a remarqué que ce n’était pas l’aspect purement technique qui l’intéressait le plus, mais plutôt le côté urbanisme. C’est l’option vers laquelle il s’est dirigé à Zürich pour son master en privilégiant la planification et le paysage au dépend du dessin purement technique des toilettes ou de la cuisine !

Doctorat : NORMES THERMIQUES À SANTIAGO DU CHILI

Concevoir ou réglementer les environnements thermiques ? 2 Son doctorat a été effectué dans le cadre d’une recherche sur la maison passive. Son financement était assuré par le fond national suisse. C’est très rare que de tels projets soient financés en architecture, les projets sont plus courants en physique et en chimie. Le but du projet, mené par le professeur Sascha Roesler, était de ne pas voir l’efficacité énergétique seulement d’un point de vue technologique, mais aussi culturel à travers trois cas situés dans l’hémisphère Sud. Une maison passive ne dépend pas de systèmes actifs qui consomment beaucoup d’énergie pour se rafraichir ou se réchauffer. Du coup, ce sont des maisons extrêmement bien isolées, qui se basent pour beaucoup sur la technologie, mais qui ignorent un peu le facteur humain. Souvent ces maisons sont gérées par des systèmes automatiques, on ne peut pas ouvrir les fenêtres soi-même. C’est très bien d’un point de vue énergétique, mais le rapport à l’extérieur n’est pas toujours optimal. La recherche voulait mettre en avant une transition fluide entre l’intérieur et l’extérieur, montrer l’avantage d’utiliser la végétation, les plans d’eau, les fontaines... Cette transition fluide pouvant contribuer par exemple à rafraichir la maison. Actuellement, il y a de l’asphalte partout, ce qui nous pousse à faire des maisons très isolées, car l’asphalte emmagasine la chaleur et augmente la température des villes en créant ce qu’on appelle des « ilots de chaleur ». Il y a beaucoup d’exemples dans l’architecture arabe, au Moyen-Orient où l’on renouvelle l’air avec des effets de cheminée, par exemple. Le professeur et les deux doctorants participant à cette recherche sont allés voir ce qui se fait dans d’autres pays. Son professeur est allé en Chine, son collègue au Caire, et Lionel est parti à Santiago du Chili où il a passé un an puis plusieurs autres séjours de plus courte durée, en tout totalisant presque deux ans. C’était une étude transversale qui voulait comparer différents contextes, politiques, économiques et sociaux. Un des angles de cette recherche nécessitait d’intégrer la population, une partie anthropologique si l’on veut : les stratégies des habitants pour se rafraichir et se chauffer. Lionel a été étonné d’observer qu’en hiver tout le monde garde sa veste au cinéma, et dans beaucoup de logements aussi, faute d’isolation et de système de chauffage suffisants. C’est la modernité qui a apporté le fait de pouvoir être en t-shirt en hiver, un confort standardisé partout. Si l’on y pense, cela ne fait pas forcément sens d’un point de vue énergétique. Il s’est intéressé aux standards et aux normes, aux labels tels que Minergie. Avec son professeur, il milite pour avoir un peu plus de diversité de sensations thermiques dans la maison. On pourrait plus isoler certaines parties et moins d’autres. ll faudrait aussi favoriser certaines stratégies corporelles, mettre un pull au lieu de rajouter des centimètres d’isolation.

Activité professionnelle

Un doctorat n’est pas un stade final comme

cela est souvent perçu dans le grand public. C’est juste une porte ouverte, une sorte d’examen qui prouve que l’on est capable de faire de la recherche et de continuer dans le milieu académique. Mais les postes sont rares et lorsque l’on quitte le milieu, on perd son réseau et c’est difficile de revenir. Lionel, après cinq ans (de 2016 à 2021) passés à travailler sur son doctorat, a éprouvé le besoin de se frotter à quelque chose de plus pragmatique. Il s’est aperçu que dans son cursus il n’avait fait que très peu d’architecture pure et qu’il n’avait que très peu d’expérience professionnelle en tant qu’architecte. Après son master, il n’a travaillé qu’un an à Zürich dans un bureau. Il a donc décidé de redessiner des toilettes et des cuisines pour voir s’il y trouve vraiment de l’intérêt. En ce moment, il travaille pour un bureau d’architecture zurichois qui l’a envoyé faire des logements à Bramois. Actuellement, toujours pour le même bureau et ceci jusqu’à fin octobre, il s’occupe d’une exposition à l’EPFL dont le thème est l’impact des décharges au niveau géologique et paysager. Il y a partout en Suisse des déchets que nous ne voyons pas mais qui transforment durablement l’écorce terrestre. Il trouve ce travail plus dans ses cordes et en accord avec ses intérêts. Ce qui lui plairait, ce serait un poste à la ville de Zürich, dans l’urbanisme. Il aimerait s’occuper de la planification urbaine en tenant compte des changements climatiques, mais n’aimerait pas être complètement coupé de l’architecture «de terrain». Souvent, on engage des ingénieurs et on ne prend en compte que le côté technique, ce que Lionel trouve dommage. Pour lui, il est primordial d’avoir une vision globale. Il rêve peut-être d’un poste qui n’existe pas encore vraiment, ou qui commence juste à se développer : consultant climatique. Ce poste commence à voir le jour dans certains grands bureaux qui en ont les moyens.

Famille

Avec sa compagne, qui est aussi architecte, ils se plaisent beaucoup à Zürich. C’est une grande ville, mais il y a plein de petits quartiers dans lesquels il y a presque une ambiance de village, la qualité de vie est très bonne. Ils n’ont pas de voiture, ils se déplacent à vélo et c’est appréciable pour eux. Lionel est né en 1987, il a deux enfants, Ilia, bientôt 3 ans et Loren, 1 an, qui vont bientôt parler seulement suisse allemand ! Leurs parents travaillent les deux à 80%, et les enfants vont 3 jours à la crèche. Il reste donc un Papi-Tag et un Mami-Tag. Cela aussi est un plus pour Lionel.

Les liens avec Anniviers

Ce sont surtout des souvenirs, sa grand-mère, ses cousins. C’est un peu un Anniviers qui a disparu mais en même temps, comme son père Pierre-Marie et sa mère Catherine y vivent, c’est aussi le présent. Et puis c’est le futur aussi, il s’y sent bien lorsqu’il y revient et ses enfants aiment y venir. Ilia, son fils, pense parfois que son grand-papa a des vaches, mais ce n’est pas vraiment le cas. Même pas une reine ! Passé, présent, futur, c’est un peu mélangé et Lionel, lorsque je lui demande son avis sur le développement de la vallée, ne se sent pas le droit de juger ou d’émettre un avis car il n’est pas assez souvent ici et les infos qu’il reçoit de ses proches pourraient être biaisées me dit-il avec la malice anniviarde! Pour lui, c’est vraiment en étant sur le terrain que l’on peut se rendre compte de la réalité et des problèmes. La plupart des amis d’enfance avec lesquels Lionel a encore des liens ne vivent plus en Anniviers, ils sont à Zürich ou Lausanne. Ces amis sont surtout ceux qui l’ont accompagné sur le chemin de l’université et ils vivent tous en ville.

Un retour en Anniviers, un retour des universitaires en Anniviers ?

Selon Lionel, « le nouveau campus à Sion, c’est très intéressant, c’est important de décentraliser les choses. Je le dis mais je ne l’applique pas, d’un côté je regrette un peu. En Valais, il y a de plus en plus de jobs d’innovation, des universitaires peuvent ainsi travailler là d’où ils viennent, pas forcément dans les vallées, mais en plaine. La ville de Sion est très intéressante au niveau de la planification territoriale prenant en compte le changement climatique. En Valais, cela serait difficile de vivre selon mes aspirations. Les voitures électriques, c’est bien mais cela ne résout pas le paradigme de la voiture individuelle, et le problème des surfaces d’asphalte. De nouveau, c’est une réponse purement technologique, le moteur électrique face au moteur à combustion, mais le problème spatial et la façon de vivre restent les mêmes. Les transports en commun manquent en Valais, il y a bien des bus même si je sais que ce n’est pas simple de faire tout en bus. » On croit que l’on va tout régler avec la technologie, c’est notre manière de vivre et nos comportements qu’il faut changer, et ce n’est pas facile, il le sait. Pour Lionel, ce sont aussi les comportements qui vont faire la différence dans la transition énergétique : ne pas prendre sa voiture pour aller chercher le pain quand c’est possible, garder son pull à l’intérieur et baisser le chauffage, par exemple. On parle surtout de panneaux solaires et de batteries, mais on devrait nous rendre plus attentifs aux comportements. La technique est une des voies vers des solutions durables mais pas uniquement…

LEED Street

Christine Torche

1 Lorsqu’un Anniviard avait fait une formation non académique dans la vallée, il avait l’habitude de dire avec un brin de malice, j’ai fait « l’université de Crouje », Crouje étant un lieu-dit entre Pinsec et Vercorin 2 Version originale en anglais : THERMAL STANDARDS IN SANTIAGO DE CHILE. To Design or Regulate Thermal Environments ?

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