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Le culte désintégré ?
Depuis quelque temps, le Service d’Assistance Religieuse et Morale (SARM) est organisé en une structure ‘intégrée’, au sein de DG H&WB. Par le biais d’un ‘Mission Statement’ et d’un code déontologique, les aumôniers militaires des différents cultes ont formalisé leur coopération au profi t de la communauté militaire. Or, nous apprenons que le culte musulman n’a plus de représentants, créant ainsi un vide dans l’appui aux collègues de confession musulmane.
En octobre dernier, le SARM/M a été mis à mal puisqu’après des années de bons et loyaux services, l’unique aumônier musulman a été reçu par le médecin général de brigade Dhondt, directeur du DG H&WB et membre de ‘l’équipe de transition’, pour lui signifi er que l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) ne le reconnaissait plus, et que par conséquent DG H&WB demandait au CHOD de mettre un terme à son contrat.
L’aumônier musulman avait luimême proposé de créer une aumônerie musulmane en 2003. Il avait été mis en place en 2007 comme ‘aumônier faisant fonction’, avec l’appui des autorités politiques et la bénédiction de l’Exécutif des Musulmans de Belgique de l’époque. La raison invoquée par la Défense en octobre 2020 pour l’écarter est qu’il n’est plus soutenu par l’Exécutif actuel. Il n’aurait en outre jamais entretenu de contacts formels avec l’EMB, l’organe de culte qu’il était censé représenter.
Le problème, c’est que cet organe civil sans représentation théologique formelle au sein de la communauté musulmane fait l’objet d’un vif contentieux(1). D’après ses propres statuts, l’EMB a perdu sa légitimité en avril 2020, quand ses administrateurs ont atteint la fi n de leur mandat. Par ailleurs, le 4 décembre dernier, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a sérieusement mis en cause l’intégrité de l’Exécutif, sur base de rapports émanant de la Sûreté de l’État et d’autres instances offi cielles belges. Ceux-ci pointent la trop grande ingérence des services secrets et du pouvoir marocains dans l’organisation. Le vice-président et ‘homme fort’ de l’EMB, Salah Echallaoui, par ailleurs président controversé de la Grande Mosquée de Bruxelles, a d’ailleurs démissionné en décembre 2020 suite à cette polémique. Il vient d’être remplacé ‘ad interim’ par Noureddine Smaïli, un proche qu’il avait déjà porté à la présidence de l’EMB en 2014, avant de l’évincer et de reprendre sa place en 2016. Salah Echallaoui bénéfi ciait jusqu’il y a peu d’un large appui politique dans notre pays. Entre autres fonctions, il occupait aussi le poste d’inspecteur des cours de religion islamique pour l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Photo : SARM
Le noyautage de l’EMB par des agents marocains et turcs est un secret de polichinelle dont on trouve facilement des détails dans la presse et jusque sur Wikipedia(2) . La mainmise directe des ministères des Affaires religieuses marocain (Habous) et turc (Diyanet) dans le fonctionnement de l’EMB est donc connu de longue date des autorités belges. Celles-ci continuent pourtant à reconnaitre et à subventionner l’Exécutif, faute d’un autre interlocuteur officiellement reconnu. En novembre 2020, la Sureté de l’État a cependant émis un avis négatif concernant l’EMB, ce qui a motivé la réaction de notre nouveau Ministre de la Justice. Enfin, le 27 janvier 2021, dans une sorte de grand ‘mea culpa’ médiatique publié dans ‘La Libre Belgique’ et ‘De Standaard’, l’Exécutif reconnaissait lui-même son manque de compétence et des influences extrémistes !(3) Kafkaïen
Le désaveu inopiné de l’aumônier militaire musulman par l’EMB est donc à prendre avec des pincettes, d’autant que cet ancien officier de carrière avait lui-même plusieurs fois signalé les ingérences étrangères et même la présence d’agents d’IS au sein de l’EMB ! Comme il approchait de la pension, il avait d’ailleurs recommandé que son successeur soit choisi de façon autonome par la Défense, sans le parrainage obligatoire de l’EMB. Se laisser imposer un candidat risquait selon lui d’ouvrir les portes de nos casernes à une ‘taupe’ à la solde d’une puissance étrangère, ou pire encore...
Il va de soi qu’après avoir émis de sévères réserves concernant la direction de l’EMB, l’aumônier ne pouvait plus compter sur l’appui de cette institution. Après autant d’années d’engagement au profit de la Défense, sa loyauté envers ce qu’était devenu l’EMB ne pesait pas bien lourd par rapport à son devoir envers l’armée et ses collègues militaires. Il n’avait donc pas d’autre choix que de se distancier d’un Exécutif qu’il savait infiltré. Sans toutefois couper totalement les ponts, puisqu’il avait à plusieurs reprises demandé à être entendu par l’Exécutif, notamment pour évoquer sa succession au sein de la Défense, mais sans jamais recevoir la moindre réponse, comme en attestent plusieurs courriels sous couvert de DG H&WB. Être suspendu sur demande des dirigeants de l’EMB, sans concertation ni procédure formelle, était donc pour le moins inattendu. Autant dire que l’aumônier et son adjoint sont sous le choc de cette décision qu’ils qualifient de ‘kafkaïenne’. Ils ne comprennent pas pourquoi le général Dhondt suit l’avis d’un organe mis en cause par les plus hautes instances de l’État.
Entre-temps, la situation crée un vide pour les quelque 4% de militaires musulmans à la Défense (une estimation car il n’existe pas de recensement officiel des convictions religieuses dans les rangs des Forces armées). On peut s’inquiéter de voir les collègues de confession musulmane temporairement privés d’appui religieux. Or, on sait combien la religion peut être importante pour ces collègues. Certains craignent de perdre un confident, une personne qu’ils connaissaient de longue date et en qui ils avaient toute confiance.
Par ailleurs, le CHOD a annoncé son intention d’intensifier le recrutement parmi les jeunes allochtones, afin de leur donner un emploi solide qui soit aussi un ‘tremplin’ pour leur intégration dans la société belge. Beaucoup d’entre eux sont de confession musulmane, il est donc plus que jamais important que la Défense dispose d’un solide service d’assistance religieuse et morale. Non seulement pour aider les jeunes musulmans à rejoindre les rangs mais aussi pour préparer l’organisation militaire à les accueillir dans le respect de leurs convictions.
Lors des déploiements opérationnels dans des pays musulmans, l’expertise du SARM/M peut également être précieuse, vu la complexité des relations entre les différentes communautés religieuses auxquelles nos militaires sont confrontés sur le terrain.
Quant au Service Interne de Prévention et de Protection au Travail (SIPPT), il a besoin quotidiennement du concours du SARM/M pour l’aider à évaluer les risques psychosociaux et à organiser la médiation dans les dossiers liés à la religion musulmane, par exemple en cas de harcèlement ou de radicalisation. Actuellement, le personnel du SIPPT ne peut même plus se tourner vers l’adjoint de l’aumônier car le ‘job description’ de ce militaire vient d’être modifié, à nouveau suite à une demande de l’Exécutif des Musulmans de Belgique ! Désormais il ne peut plus appuyer l’aumônerie musulmane et est relégué à des tâches purement administratives. Ses connaissances, son engagement et ses conseils étaient pourtant grandement appréciés, tant des différents services de l’État-major de la Défense que des militaires musulmans dans les unités.
‘Bon père de famille’
Du côté de DG H&WB, on souligne que l’aumônerie musulmane n’a pas de statut légal au sein des Forces armées, comme l’explique la capitaine Tatiana Letovaltseva, coordinatrice du SARM : « L’Arrêté royal officialisant l’aumônerie musulmane est en cours de publication. Cette aumônerie a donc existé toutes ces années ‘en bon père de famille’, mais sans base légale. Dès que la situation sera clarifiée sur le plan juridique, nous procéderons au remplacement de l’aumônier. Nous avons demandé à l’EMB de rencontrer le CHOD et de désigner un aumônier (de prison par exemple) pour assurer une période de transition mais n’avons pas encore eu de réponse. Entretemps, les musulmans peuvent toujours contacter l’aumônier, ou à défaut prendre contact avec moi ». Le général Dhondt renchérit : « Nous n’avons pas vraiment le choix. L’Exécutif est aujourd’hui toujours le seul interlocuteur reconnu par le SPF Justice pour les matières touchant à la religion musulmane. Même si l’aumônier n’a pas fait l’objet de la moindre plainte au sein de la Défense, sans la reconnaissance de l’EMB je suis tenu de demander au CHOD la suspension de son contrat. »
Élections
Le sort de l’aumônier musulman est donc dans les mains de l’Amiral Hofman, qui doit statuer prochainement. Une décision dif-
Photo : SARM
La présence du ‘padre’ ou d’un conseiller laïc lors des opérations est souvent un gage de stabilité et de réconfort moral.
fi cile vu la débâcle de l’EMB et le fait qu’une nouvelle équipe devrait prendre la direction de l’Exécutif après les élections prévues en mars. Il est donc possible que ces nouveaux dirigeants renouvellent leur confi ance à notre aumônier musulman, et par extension à son adjoint. Quant au SARM/M, sa pérennité et son rôle sont liés à la future révision du statut légal du SARM, qui est en cours sous la direction du VCHOD et devra être concerté avec l’EMB après les élections. Le syndicat militaire ACMP-CGPM n’a bien sûr pas à se prononcer sur cet imbroglio politico-religieux. En tant qu’organisation apolitique et sans infl uence religieuse ou philosophique, nous déplorons cependant le caractère absurde de la situation, dont les premières victimes sont les militaires musulmans, qui ont droit comme les autres à une assistance religieuse s’ils le désirent. Quoi qu’il en soit, nous invitons l’autorité à trouver une solution à court et à long terme afi n de restaurer pleinement et durablement l’appui à nos collègues de confession musulmane et aux services de la Défense qui comptent sur l’expertise du SARM/M.
SARM : mode d’emploi
Le Service d’Assistance Religieuse et Morale repose sur quatre aumôneries et un service non-confessionnel. Le culte catholique est le plus représenté puisqu’il compte une dizaine d’aumôniers. Les cultes protestant, musulman et israélite reposent chacun sur un ou deux aumôniers. Une équipe de huit conseillers moraux laïcs complète le SARM. Les aumôniers et conseillers moraux du cadre actif sont des civils portant l’uniforme. Ils n’ont pas la qualité de militaire et ne sont pas considérés comme agents de l’État. Cependant, ils respectent les autorités militaires et sont soumis aux règlements militaires qui leur sont applicables, tout en restant tenus au secret professionnel. Le SARM est le seul service compétent pour aborder les questions religieuses, spirituelles, morales et philosophiques à la Défense. À ce titre, il apporte une expertise spécifi que au profi t du commandement, à tous les niveaux. C’est ainsi qu’un Chef de Corps peut se renseigner auprès du SARM au sujet des préférences des militaires croyants dans leur pratique religieuse. Par exemple, les procédures à suivre en cas de décès. Les commandants de détachements peuvent aussi obtenir de précieux conseils pour améliorer leurs rapports avec les populations locales lors des missions à l’étranger, en particulier dans des régions où la religion est un fondement de la société ou même de la loi. Les aumôniers interviennent aussi directement au profi t du personnel. La présence du ‘padre’ ou d’un conseiller laïc lors des opérations est d’ailleurs souvent un gage de stabilité et de réconfort moral. Lors d’événements pénibles, comme un décès dans la famille, la perte d’un collègue ou une situation traumatisante, l’intervention du SARM est souvent très appréciée par les militaires déployés. Les aumôniers et conseillers moraux collaborent également avec d’autres spécialistes de la Défense : Psychosocial Advisors, assistants sociaux, Centre de Santé Mentale, etc. Enfi n, lors de cérémonies ou de commémorations importantes, le SARM appuie la Défense pour l’organisation des offi ces religieux. On pense entre autres au traditionnel ‘Te Deum’ lors de la Fête du Roi ou notre Fête nationale.