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Marcottons des bataillons
Connaissez-vous cette technique qui consiste à multiplier les arbres fruitiers en enfouissant plus loin une branche d’une plante adulte ? C’est ce que vient de faire la Défense avec trois bataillons de combat. C’est ainsi qu’une compagnie du 3Para, du 1/3L et du 1C/1Gr ont été marcottées loin de leur unité d’origine.
À ce stade, la Défense n’a pas créé trois nouvelles unités indépendantes mais ‘détaché’ une compagnie de chacun des bataillons. Le 3Para de Tielen a donc un rameau à Gavere en Flandre orientale, le 1/3L de Marche-en-Famenne plante un escadron à Tournai dans le Hainaut et le 1C/1Gr de Bourg-Léopold prend racine dans la caserne de Lombardsijde, à la Côte. Le but avoué est de cultiver une capacité opérationnelle dans ces régions désertées par l’armée depuis des années. Pas seulement pour mieux répartir les unités de combat dans le pays mais aussi et surtout pour favoriser le recrutement de jeunes soldats. En effet, il existe en Belgique des ‘friches militaires’, de vastes zones où la jeunesse rechigne à revêtir l’uniforme, tout simplement à cause de l’éloignement des unités de combat. Pour l’armée, c’est une question de vie ou de mort car les perspectives en matière d’effectifs sont dramatiques. Nos stratèges pensent donc que l’initiative ramènera un peu de sève vitale dans les branches de la Défense. Pour le pays aussi, les nouveaux détachements devraient favoriser la relance ‘post-COVID’. Si ces trois sites se développent jusqu’à devenir de petites ‘villes de garnison’, les retombées en termes d’emploi et de développement économique contribueront certainement à la prospérité locale.
Sol fertile
La ville de Tournai compte déjà une caserne mais depuis des années, celle-ci n’accueille que des unités d’appui, en particulier dans la logistique. Pourtant, le sol tournaisien est historiquement fertile pour les formations de combat. Il a hébergé entre autres le 3e Régiment de Chasseurs. Le 4e Régiment de Ligne s’appelait même ‘Régiment de Tournai’ à sa création en 1830. L’actuelle caserne Ruquoy est un vestige de l’ancienne citadelle de la ville, bâtie par les Néerlandais en 1882. Le retour des fantassins dans la région est donc symbolique.
La caserne de Gavere échappe à un triste sort puisqu’il était question de la fermer en 2020. Cette commune proche de Gand est surtout connue pour son centre de contrôle du trafi c aérien (ATCC) implanté dans le village de Semmerzake dans les années 50. La coupole du radar ne cache pas de riche héritage militaire mais un quartier assez spacieux pour recevoir le détachement du 3Para. Au plus haut de la Guerre froide, le lieu abritait près de 400 techniciens. Depuis la fermeture de la peu pratique caserne Léopold au centre de Gand, Gavere était la seule alternative pour accueillir nos Paras en Flandre orientale.
Quant à Lombardsijde, ce vaste camp posé sur la plage entre Nieuport et Westende n’aura aucun mal à loger la compagnie du 1C/1Gr venue de Bourg-Léopold. Le lieu a connu ses jours de gloire comme école de l’artillerie antiaérienne, une arme victime des ‘dividendes de la paix’ dans les années 90. Depuis, la caserne sert de refuge à de petites unités, plus par hasard que par réelle vocation. L’arrivée de fantassins devrait assurer le renouveau de ce site au potentiel important pour la Défense.
Écosystème
Le choix de délocaliser une compagnie plutôt que de créer une
nouvelle unité offre la possibilité d’être réalisée rapidement. Cependant, on peut se demander s’il est judicieux du point de vue de la cohésion et du commandement. En effet, l’Histoire montre que les détachements possédant leur propre quartier ont souvent tendance à développer un ‘écosystème’ distinct de celui de l’unité-mère. Dans le cas présent, les distances sont énormes et les terreaux culturels respectifs des régions diffèrent grandement. De Tielen à Gavere, on compte 113 km de route, près de 170 km de Marche à Tournai et plus de 200 km entre Bourg-Léopold et Lombardsijde ! Inévitablement, il va se créer des rivalités au sein même des bataillons écartelés géographiquement.
Tous volontaires
Les affectations dans les unités détachées se font sur base volontaire. Pour le 3Para, Gavere a attiré pas mal de candidats puisque 50% des places sont déjà prises (la structure de commandement et deux des quatre pelotons prévus). Le reste sera complété par de jeunes militaires recrutés dans les mois à venir. Il faut dire qu’il n’y a qu’une seule unité para néerlandophone. Ses effectifs proviennent donc des quatre coins de Flandre. Pour de nombreux parachutistes, Gavere est plus proche ou plus accessible que Tielen. En revanche, la situation est moins évidente pour Tournai et Lombardsijde qui n’intéressent qu’une trentaine de candidats chacun. Ce ‘noyau dur’ aura fort à faire pour former les 2/3 restants de leur compagnie ou escadron, en puisant dans la (maigre) manne du recrutement civil. Leur nouveau pied-à-terre dans une région encore peu exploitée devrait cependant leur donner un atout. Espérons que leurs bataillons ne souffriront pas trop de ce marcottage car leur situation est déjà dramatique. Par exemple, l’État-major se félicite que « Tous les 323 militaires du 1C/1Gr ont rempli
Photo : Ritchie Sedeyn
l’enquête de DG HR. À ce jour, 29 ont été retenus pour rejoindre Lombardsijde ». Cette déclaration révèle à quel point nos unités de combat ont été élaguées. En effet, traditionnellement un bataillon d’infanterie belge devrait compter au moins deux fois plus d’hommes et femmes pour alimenter ses quatre compagnies…
Le délabrement des unités est tel que l’étalement géographique ne suffi ra pas à sauver l’armée. Il faudra l’accompagner d’une revalorisation des salaires, des conditions de travail, de l’image et du statut des militaires. Rendez-vous en 2022 pour savoir si l’opération a porté ses fruits, avec trois compagnies réellement opérationnelles, comme le prévoit l’État-major.
Enquête ou appel ?
Si vous êtes membre d’une de ces trois unités, il est préférable de ne pas postuler pour une place dans la compagnie détachée via un appel. En effet, seules les affectations découlant de l’enquête de la DG HR donneront droit à des indemnités de restructuration, un avantage fi nancier important pour le personnel relocalisé. Renseignez-vous donc bien avant de vous porter candidat !