Extrait "L'Utopie et la vie !"

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L’UTOPIE ET LA VIE !

LE COMBAT D’UN SÉNATEUR BRETON CONTRE LES PESTICIDES entretiens

LABBÉ SABRINA DELARUE
JOËL
PROLOGUE 8 PRÉSENTATIONS 14 ÉCOLOGISTE 20 PAS COMME LES AUTRES 47 UN REPRÉSENTANT DU PEUPLE, LIBRE AVANT TOUT 81 TRANSMETTRE 98 ANNEXES 122 Rock’n Sénat, Pierre-Henry Allain, Libération, 15 novembre 2011 123 La loi Labbé 127 Intervention sur l’accaparement des terres et la nécessité d’une gouvernance mondiale 135 Intervention au colloque sur l’agroécologie 140 Projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt 144 Proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes 151 Débat sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde 161 Intervention au colloque “Journée mondiale sur les sols” 172 Remerciements 177

Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit.

Qui êtes-vous, vous qui lisez ces lignes ? Quelle curiosité, quelle petite audace vous a fait tourner la page de couverture pour aller au-delà ? Quelle promesse ce livre représente-t-il pour vous qui vous rendez, à cette heure, disponible pour en recevoir les pensées ?

Peut-être connaissez-vous bien Joël Labbé ou du moins avez-vous déjà entendu parler de lui. Peut-être êtes-vous sensible à l’écologie ou en attente de réponses de la part des politiques face aux urgences actuelles. Peut-être lisez-vous toutes parutions autour de ces sujets, notamment celles de la collection “Domaine du possible”, que vous avez identifiées positivement.

Peut-être êtes-vous agricultrice, agriculteur, militante, militant, peut-être habitez-vous en Bretagne. Peut-être pas.

Quelqu’un de confiance vous a peut-être conseillé l’ouvrage – votre libraire, votre bibliothécaire ou une amie –, à moins que vous ne soyez journaliste, étudiante ou étudiant ; une personne qui, de par son activité, a une certaine obligation de le lire. C’est peut-être la lecture du titre puis de la quatrième de couverture qui a piqué votre intérêt, ou tout simplement le visuel qui vous a plu.

Il se peut également que ce livre se soit retrouvé entre vos mains par hasard. Qu’une après-midi de vacances, qu’un soir de désœuvrement, vous l’ayez emprunté à qui l’avait laissé là, préférant en cet instant un voyage immobile plutôt qu’une balade en ville ou en forêt, préférant le chemin de la lecture à une errance hertzienne ou sur une plateforme de vidéos à la demande, à chercher vainement quelque chose de valable à vous mettre sous la dent.

Qui que vous soyez, quelles que soient vos raisons, sachez que je suis heureuse de ce temps que vous vous apprêtez à passer avec Joël

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1. La Parole en archipel, Gallimard, 1962.

Labbé, bienvenue à vous. Mes propres motivations, la source comme le cap, sont de vous permettre de recevoir les bienfaits de son côtoiement. Je les ai observés déjà pour moi-même – je sais que cela s’est produit aussi pour d’autres –, j’ai vu s’opérer ce que je ne croyais plus possible : une réconciliation avec le politique et un regain d’espérance.

La première fois que j’ai rencontré Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan, c’était en décembre 2013. Il avait à choisir le professionnel qui l’accompagnerait dans un travail sur la prise de parole en public. La dizaine de séances prévues devait être filmée pour un portrait documentaire.

Marie-Pomme Carteret, la monteuse du film, avait pensé que j’avais le profil. Elle m’avait vue travailler avec des comédiennes et comédiens lors d’un laboratoire de recherche. Je dois avouer que lorsqu’elle m’en a parlé, j’ai eu envie de décliner la proposition purement et simplement, me disant qu’un bon nombre de personnes spécialisées dans l’exercice du coaching serait mieux à même de répondre à la commande. J’étais consciente qu’accompagner un homme politique dans ce périlleux travail tout en étant filmée n’était pas sans risque. Je savais que le réalisateur et le producteur étaient des plus fiables, je connaissais la finesse dans l’art du montage de Marie-Pomme, mais tout de même, j’hésitais à me placer sur les rangs.

Je me suis rendue au premier rendez-vous avec Joël Labbé dans sa permanence de sénateur à Saint-Nolff, sous l’œil de la caméra déjà présente, avec l’objectif de vérifier que ses motivations étaient à la mesure de ce qu’il comptait entreprendre. Il l’ignorait encore, mais un travail sur la prise de parole en public allait convoquer de multiples champs et pas uniquement techniques. Il y aurait certes ce qui relève de la corporalité – respiration, élocution, voix, ancrages –, mais aussi tout ce qui se rattache aux émotions, à la pensée, au rapport à l’espace, à soi, à la mémoire, à l’autre. Pour moi, l’enjeu était principalement celui de la rencontre : une relation de confiance était-elle envisageable entre nous pour cheminer ensemble sur des terrains si mouvants ? La première phrase que j’ai dite à Joël est :

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“Je ne suis pas coach.” Il a enchéri par : “Ça tombe bien, je ne veux pas un coach.” Cela commençait plutôt pas mal. J’avais préparé un long déroulé de questions afin de cerner ses attentes, ses problématiques, pour écrire un protocole sur mesure au cas où notre collaboration se confirmerait. Il y en avait notamment une qui l’interrogeait sur la raison pour laquelle il acceptait la présence d’une caméra durant un travail si intime. Il m’a répondu qu’il espérait que ce film convaincrait d’autres personnes de s’engager en politique, lui-même étant devenu sénateur alors qu’absolument rien ne l’y prédisposait.

Durant les séances qui se sont déroulées sur plusieurs mois, malgré la violence que le processus engendrait en lui, Joël a persévéré avec confiance. Il a toujours été soucieux que je puisse progresser comme je le souhaitais. Je me souviens également qu’il me demandait régulièrement des nouvelles de ma famille. Il était soumis à ce moment-là à de fortes pressions professionnelles, pourtant pas une seule fois il n’a dérogé à ses valeurs d’humanité et de simplicité qui ne sont pas une posture, mais bel et bien qui il est.

Lors des débats passionnants avec le public qui suivaient la projection du film Au risque d’être soi auxquels j’ai parfois assisté, j’ai pu mesurer combien la personnalité de Joël touchait les gens et combien sa vulnérabilité était sa force, car chacun, quel qu’il soit, pouvait se reconnaître en lui. Les échanges qui en découlaient allaient tout de suite à l’essentiel.

Depuis dix ans, la pérennité de notre lien doit beaucoup à sa constance. Joël me donne régulièrement des nouvelles, m’envoie chaque année sa carte de vœux si reconnaissable qu’accompagnent toujours quelques phrases amicales. Il ne manque jamais de m’exprimer sa gratitude pour le travail que nous avons mené ensemble et qui lui a permis, m’assure-t-il, de se déployer dans son expression politique. Chaque fois que nous nous sommes vus, j’ai abordé avec lui des questions d’actualité, lui témoignant de mes agacements, de mes incompréhensions. La qualité de son écoute, son expertise franche, son optimisme pragmatique, ont toujours agi sur moi comme un baume. Savoir qu’un homme comme lui siège au Sénat est une pensée qui

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rassure quand le désenchantement lié au fonctionnement du politique ou la noirceur des horizons pourraient prendre toute la place.

C’est donc aussi dans la continuité de cette relation que s’inscrivent les entretiens dont vous allez prendre connaissance. Quand Joël m’a proposé d’être celle qui le guiderait dans cette aventure, j’ai su que nous continuerions de dérouler le lien familier sur des terres nouvelles. Je n’ai pas eu besoin de lui dire : “Je ne suis pas journaliste politique”, sachant bien ce qu’il me répondrait.

J’espère qu’au fil des lignes vous entendrez la voix de Joël, la force de ses convictions.

J’espère que vous serez sensible au courage et à la simplicité de celui qui avance à découvert, qui outrepasse ses doutes et sa pudeur pour mettre en partage son expérience, qui l’essaime dans l’espoir que d’autres – vous peut-être – prennent le relais.

Retrouvez gratuitement le documentaire en suivant le lien : https://vimeo.com/129095918 et avec le mot de passe : sénateur

Au risque d’être soi, un film de Jean-Jacques Rault produit par .Mille et Une. Films

PRÉSENTATIONS

oël, tu as accepté la proposition des éditions Actes Sud d’une participation à la collection “Domaine du possible”. Tu as souhaité qu’elle prenne la forme d’entretiens plutôt que celle d’un récit à la première personne. Tu m’as confié que ce serait “le livre de ta vie”. À qui souhaites-tu t’adresser ?

Effectivement, c’est le livre de ma vie car l’unique, il n’y en aura pas un deuxième. J’imaginais attendre la retraite pour écrire ce qui aurait été en quelque sorte mes mémoires. Suite à une intervention sur mon action politique à Arles en 2020 dans le cadre du festival “Agir pour le vivant”, Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani m’ont convaincu qu’il y avait urgence à s’exprimer sur certaines questions. Mon entourage proche m’y a encouragé et me soutient. Écrire seul, cela ne me correspondait pas. Il y a la pudeur. L’idée d’être dans un échange, un partage, convient mieux à qui je suis.

Par ces entretiens, je voudrais interpeller le public le plus large possible, des personnes issues du monde intellectuel, politique, écologiste, bien sûr, mais pas seulement. Je souhaite m’adresser particulièrement aux gens simples dont la politique, du moins nationale, s’est détournée. Cela a pour conséquence le très grand nombre d’abstentions ou de votes protestataires et cela me préoccupe beaucoup.

Le “populaire” : j’aime beaucoup ce mot-là qui est aujourd’hui très galvaudé, voire péjoratif. Je suis en politique et j’observe ce fossé entre la population et le monde politique. Ce livre est une façon de m’adresser directement à la population, à tous ses individus, notamment les plus jeunes, pour leur donner l’envie de l’engagement. Je suis un politique à la carrière très improbable, très imprévue et pourtant : c’est arrivé. Je crois que j’ai su saisir ma chance à certains moments et aussi que certaines paroles, certaines personnes ont été déterminantes dans mon parcours.

J
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J’ai lu il y a plusieurs dizaines d’années un livre de Pierre Sansot, Les Gens de peu1 . Il parle de ces gens avec de petits moyens qui pratiquent le camping, qui suivent le Tour de France. Je viens de là. Je n’ai jamais cessé de les côtoyer. Quand j’étais maire, j’avais le souci d’aller vers eux et ils savaient qu’ils pouvaient compter sur moi et venir me parler quand ils le voulaient. Il m’importe beaucoup de m’adresser à eux comme de les représenter en politique. Ce sont ces gens, qu’on appellerait maintenant les “oubliés”, qui font donc pour beaucoup l’abstention d’aujourd’hui. Ils ne se sentent plus concernés par la parole publique, ils ne la reçoivent plus. Je souhaite qu’ils se réapproprient la question politique. Par exemple, l’écologie, telle qu’elle est incarnée aujourd’hui dans les partis, est déconnectée du monde rural, alors qu’il y a dans les campagnes de nombreuses personnes écologistes dans leurs pratiques et qui s’ignorent comme telles.

Pour moi, il est important de travailler pour convaincre mes collègues parlementaires tout comme les gens du peuple. La réconciliation est une notion extrêmement forte à mes yeux.

Ce partage d’expérience, qu’en espères-tu pour toi-même ?

Pour la première fois de ma vie, j’ai la possibilité de regarder mon histoire, de ses débuts jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, on peut dire que c’est l’automne ou du moins l’été indien de mon existence. J’éprouve le besoin de revisiter mon histoire, d’examiner ce que j’ai fait de ma vie. On me dit, au vu de ce que j’ai accompli, qu’il y a une forme de courage. Je ne ressens pas cela. Je me sens mû par mes convictions, j’ai travaillé dur, mais par rapport à l’ampleur de ce qu’il y avait à faire, de ce qu’il y a encore à faire, je me sens tout petit, limité à des petits pas. J’avais l’ambition de jouer un rôle pour que les choses changent, d’agir. Je m’y suis employé, mais

1. Pierre Sansot, Les Gens de peu, PUF, 1991.
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cela reste loin de ce que j’aurais pu et dû faire. On me rappelle qu’une loi porte mon nom. Ce n’est pas rien et, bien sûr, j’en ressens une fierté légitime, mais cela demeure “des petites choses”.

Je reste empreint de doutes. J’aspire à avancer vers plus de sagesse, de tranquillité d’esprit, à me réconcilier avec les moments délicats et aussi avec mes contradictions. J’ai eu nécessité à négocier parfois entre mes idéaux et la réalité.

On te décrit souvent comme “un écolo pas comme les autres”. Pourquoi ?

En effet, c’est souvent ainsi qu’on me définit. Je n’ai pourtant pas envie de me singulariser et ce n’est pas vraiment confortable de se sentir à part.

J’ai souvent eu affaire à beaucoup de condescendance dans les milieux politiques, hormis dans le groupe écologiste, qui a tout de suite compris ce que je lui apportais de par ma provenance rurale.

J’étais le seul dans ce groupe à avoir exercé un mandat de maire. Toute mon expérience de terrain a permis que je sois finalement reconnu. Je ne suis pas comme un poisson dans l’eau dans le monde politique. Ce que j’ai pu gagner, en partie grâce au travail qu’on a fait ensemble sur la prise de parole que le documentaire Au risque d’être soi a filmé, c’est une part de confiance et c’était essentiel.

L’enjeu a toujours été de me faire entendre et respecter, mais sans entrer dans le moule. Certains sont encore surpris par mon apparence : un sénateur avec une boucle d’oreille, avec des bagues. Il se trouve que j’étais comme cela en arrivant et que je ne voulais certainement pas changer, me formater, me lisser. J’ai fait la concession de porter la cravate car elle est obligatoire au Sénat et il y a eu d’ailleurs un épisode où je l’ai arrachée en séance, on en reparlera sans doute.

Le monde politique, tel qu’il fonctionne à l’échelle nationale, avec le personnel politique au sens d’“élus politiques”, ne me convient pas, je me sens encore très décalé. Il ne me permet pas de m’exprimer

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pleinement, de vivre la plénitude dans l’exercice de ma fonction telle que je la ressentais lorsque j’étais maire.

Plusieurs de mes collègues parlementaires me disent souvent en souriant : “Tu es un écolo pas comme les autres, toi au moins tu parles concret et vrai.” Dans les milieux populaires, les personnes les plus intimidées, les gens les plus simples, sont à l’aise pour m’interpeller et j’en suis fier.

Dans la vision collective, les écolos sont plutôt urbains, intellos et pratiquant une forme d’entre-soi. Ce n’est pas quelque chose qui peut s’appliquer à moi et c’est pourquoi je suis perçu comme très accessible. Susciter la confiance est essentiel et je ne peux le faire qu’en restant moi-même.

Comment te décrirais-tu toi-même ?

C’est une question particulièrement difficile. D’abord je dirais : humain, tout simplement humain. Je suis quelqu’un de bienveillant. Je suis quelqu’un qui aime la vie, qui aime les gens, quelqu’un de désintéressé par les aspects de pouvoir. Je ne suis pas un homme de pouvoir. Je suis un homme politique qui doute, ce qui est assez inhabituel. C’est un trait marquant, je ne m’en défais pas, même si je conserve toujours des certitudes sur les lignes à tenir.

J’aime la poésie. Bien que je n’aie jamais écrit de poésie jusqu’à présent, j’ai une âme de poète.

Enfin, je me définis aussi, évidemment, par mon fort attachement à la nature, à la nature vivante, qui m’a profondément imprégné dès ma plus tendre enfance et que j’ai cultivé.

L’UTOPIE ET LA VIE !

“Joël Labbé a réussi l’impossible en faisant voter, en 2014, une loi qui interdit l’assassinat de la vie sauvage à coups de pesticides dans nos villes et nos jardins. J’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, notamment à l’occasion du festival de rock qu’il avait fait pousser dans son petit village de Saint-Nolff. Sénateur hors norme, aussi rock’n’roll qu’improbable, Joël fait définitivement partie de ces quelques personnes qui me font aujourd’hui croire, encore et malgré tout, en la politique. Ce n’est pas rien, c’est immense, c’est de l’espoir et ça vous change le regard sur la Terre.

Fils d’agriculteurs bretons arrivé en politique par hasard, Joël Labbé n’a jamais eu la tête de l’emploi ni le goût du conformisme ou de la langue de bois. S’il a pu jouer un rôle, c’est en pratiquant la politique autrement. Loin des considérations politiciennes, électron libre croyant avec force à la concertation et au débat, Joël Labbé a la témérité des timides et s’emploie à soulever des montagnes à la hauteur de l’urgence écologique. Pour lui, l’utopie n’est pas un vain mot mais, depuis toujours, son moteur pour aller de l’avant. Au fil de ces entretiens, il partage ses expériences, ses convictions et ses combats pour préserver, avec “l’humilité de l’humain”, les équilibres du monde vivant.

Après des études de lettres modernes et de culture et communication, Sabrina Delarue intègre l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre. Depuis vingt-cinq ans, elle est comédienne, metteuse en scène, pédagogue, conseillère artistique, dramaturge et autrice.

ISBN 978-2-330-17690-7

DÉP. LÉG. : MAI 2023

21 e TTC France

www.actes-sud.fr

F A B O P E • F A B RIQUÉ E N FRA N C E •
9:HSMDNA=V\[^U\: Illustration de couverture : © dr

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