14 Carnet de croquis de l’abbaye de Rein, Animaux et homme sauvage. Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Vindob. 507, fol. 9 v. 15 Simon Marmion (?), Les Visions du chevalier Tondale, ca. 1470, Malibu, Getty Museum, ms. 30, fol. 17. 16 Sandro Botticelli, illustration de L’Enfer de Dante (XV, 3), Rencontre de Brunetto Latini. Vatican, Biblioteca Vaticana, Reg. Lat. 1696, fol. 99 r.
une fenêtre ouverte qui ne requiert qu’un simple cadre neutre27. Les contenus de cette « fenêtre » (sur lesquels Alberti ne s’est pas exprimé) doivent être jaugés du regard à partir d’un seul point de vue et c’est pourquoi le quadro est rapporté à un nouvel instrument régulateur, la perspective centrale. Il est évident que cette réalité iconographique, illusionniste de part en part, peut renoncer aux marges ornementales : elle a besoin du cadre comme d’une limite, et non plus comme d’une éloquente zone de transition. Sur ce point, le Nord procède plus librement que le Sud : le maître qui a réalisé le Livre d’heures de Marie de Bourgogne orne l’encadrement d’une finestra aperta qui prépare le regard à la scène de la Crucifixion avec un pêle-mêle de natures mortes (ill. 12). Ainsi apparaît la fenêtre d’une loge d’où la duchesse peut prendre part à la Passion du Christ. Le résultat de cette illusion en échelons est un appel qui franchit la frontière esthétique : deux femmes invitent l’observateur à suivre avec elles les événements auxquels elles assistent. Si le regard mobile était adapté à la combinaison de plusieurs cadres, c’est maintenant un regard focalisé qui est exigé pour l’enregistrement objectif du monde extérieur. Le regard mobile est désormais réservé au tableau fantastique, dont la topographie plurielle lui réserve maintes surprises et découvertes : les modes d’approche de l’illusionnisme objectif côtoient les inventions et les métamorphoses bizarres, dans l’hybridation des formes et des contenus. Le tableau fantastique de l’époque moderne s’engage ainsi dans un dialogue constant avec la nouvelle iconographie illusionniste. Désormais, l’imagination fantastique interviendra comme déviance des conventions du monde empirique – acceptée ou rejetée par le public. Si l’imagination fantastique utilise le répertoire des faits comme un simple matériau pour l’inventivité de ses jeux, des situations de
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14 Carnet de croquis de l’abbaye de Rein, Animaux et homme sauvage. Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Vindob. 507, fol. 9 v. 15 Simon Marmion (?), Les Visions du chevalier Tondale, ca. 1470, Malibu, Getty Museum, ms. 30, fol. 17. 16 Sandro Botticelli, illustration de L’Enfer de Dante (XV, 3), Rencontre de Brunetto Latini. Vatican, Biblioteca Vaticana, Reg. Lat. 1696, fol. 99 r.
une fenêtre ouverte qui ne requiert qu’un simple cadre neutre27. Les contenus de cette « fenêtre » (sur lesquels Alberti ne s’est pas exprimé) doivent être jaugés du regard à partir d’un seul point de vue et c’est pourquoi le quadro est rapporté à un nouvel instrument régulateur, la perspective centrale. Il est évident que cette réalité iconographique, illusionniste de part en part, peut renoncer aux marges ornementales : elle a besoin du cadre comme d’une limite, et non plus comme d’une éloquente zone de transition. Sur ce point, le Nord procède plus librement que le Sud : le maître qui a réalisé le Livre d’heures de Marie de Bourgogne orne l’encadrement d’une finestra aperta qui prépare le regard à la scène de la Crucifixion avec un pêle-mêle de natures mortes (ill. 12). Ainsi apparaît la fenêtre d’une loge d’où la duchesse peut prendre part à la Passion du Christ. Le résultat de cette illusion en échelons est un appel qui franchit la frontière esthétique : deux femmes invitent l’observateur à suivre avec elles les événements auxquels elles assistent. Si le regard mobile était adapté à la combinaison de plusieurs cadres, c’est maintenant un regard focalisé qui est exigé pour l’enregistrement objectif du monde extérieur. Le regard mobile est désormais réservé au tableau fantastique, dont la topographie plurielle lui réserve maintes surprises et découvertes : les modes d’approche de l’illusionnisme objectif côtoient les inventions et les métamorphoses bizarres, dans l’hybridation des formes et des contenus. Le tableau fantastique de l’époque moderne s’engage ainsi dans un dialogue constant avec la nouvelle iconographie illusionniste. Désormais, l’imagination fantastique interviendra comme déviance des conventions du monde empirique – acceptée ou rejetée par le public. Si l’imagination fantastique utilise le répertoire des faits comme un simple matériau pour l’inventivité de ses jeux, des situations de
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conçu par Orsini comme une Follia, offre une suite de sensations contrastées : les espaces hédonistes alternent avec des zones de silence et de contemplation, combinaison entre le physique et le spirituel. Maintes sculptures trahissent un goût pour le gigantisme : Hercule et Cacus se dressent à plus de sept mètres de hauteur. Mais l’effet le plus poétique est créé par les divinités de la nature, dont les corps immenses recouverts de mousse tendent à retourner à la pierre originelle qui fait leur matière : ainsi de Psyché dormant du sommeil de la mort. Ce monde chtonien est entouré de caprices subtilement agencés : sphinx, dragons et autres créatures fabuleuses. Parmi ces curiosités se distingue tout particulièrement la Maison penchée, parabole architecturale d’un monde sorti de son axe. Le tremblement de terre imaginaire par lequel le palais de Bomarzo fut ébranlé apparaît déjà dans la première phase du maniérisme, lorsque Giulio Romano (1492-1546) imagina pour le Palazzo Te, à Mantoue (1526-1533), une architecture d’équilibre apparemment précaire96 : il disposa dans la cour intérieure une série horizontale mais irrégulière de triglyphes, de telle sorte qu’ils semblent s’effondrer peu à peu. Ce discret glissement signale une négation de la norme et de la cohérence : cet artifice, que Gombrich a introduit dans la terminologie sous l’expression pertinente de « forme perturbée », contient le principe essentiel du capriccio, il plaide pour le droit à la déviance, à la licence inattendue. Les formes ne subissent plus seulement une perturbation, mais un processus de destruction qui affecte le bâtiment dans son entier et en menace l’intégrité. Un nouveau sujet pictural trouve son essor dans cette esthétique : la représentation de catastrophes destructrices. C’est le cas de La Chute des géants de Giulio Romano, qui couvre le mur entier d’une salle du Palazzo Te de Mantoue (ill. 81). Des thèmes comme la chute de Babel ou de Sodome illustrent une iconographie qui aime à menacer de destruction l’objet architectural. L’un des grands maîtres de cette thématique est François de Nomé, un Lorrain qui étudia à Rome et travailla beaucoup à Naples. La découverte de l’Italie par les artistes du Nord a suscité une fascination non seulement pour les ruines antiques, mais aussi pour l’opulence des églises. Nomé articule le goût de la destruction avec celui des fastes des églises napolitaines : ses églises imaginaires sont des bâtiments nus, recouverts d’ornements proliférants, reliefs, stèles, niches, personnages, qui forment une sorte de rideau par-dessus la masse architecturale. Mais cette couche ornementale présente déjà les signes de la corruption, comme la tour que l’on voit dans Le Combat de saint Georges avec le dragon (ill. 82). Chez Nomé, l’agencement de divers édifices forme un décor scénique qui souligne le caractère extérieur et spectaculaire des lieux de culte. Ces caprices architecturaux ne doivent pas simplement au plaisir de la fabulation. Nomé est un contemporain des guerres de religion et de la querelle des images qu’elles ont suscitée. Pour Luther les images étaient des adiaphora qui pouvaient orner ou non les églises,
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81 Giulio Romano, La Chute des géants, détail, ca. 1530, fresque. Mantoue, Palazzo Te.
conçu par Orsini comme une Follia, offre une suite de sensations contrastées : les espaces hédonistes alternent avec des zones de silence et de contemplation, combinaison entre le physique et le spirituel. Maintes sculptures trahissent un goût pour le gigantisme : Hercule et Cacus se dressent à plus de sept mètres de hauteur. Mais l’effet le plus poétique est créé par les divinités de la nature, dont les corps immenses recouverts de mousse tendent à retourner à la pierre originelle qui fait leur matière : ainsi de Psyché dormant du sommeil de la mort. Ce monde chtonien est entouré de caprices subtilement agencés : sphinx, dragons et autres créatures fabuleuses. Parmi ces curiosités se distingue tout particulièrement la Maison penchée, parabole architecturale d’un monde sorti de son axe. Le tremblement de terre imaginaire par lequel le palais de Bomarzo fut ébranlé apparaît déjà dans la première phase du maniérisme, lorsque Giulio Romano (1492-1546) imagina pour le Palazzo Te, à Mantoue (1526-1533), une architecture d’équilibre apparemment précaire96 : il disposa dans la cour intérieure une série horizontale mais irrégulière de triglyphes, de telle sorte qu’ils semblent s’effondrer peu à peu. Ce discret glissement signale une négation de la norme et de la cohérence : cet artifice, que Gombrich a introduit dans la terminologie sous l’expression pertinente de « forme perturbée », contient le principe essentiel du capriccio, il plaide pour le droit à la déviance, à la licence inattendue. Les formes ne subissent plus seulement une perturbation, mais un processus de destruction qui affecte le bâtiment dans son entier et en menace l’intégrité. Un nouveau sujet pictural trouve son essor dans cette esthétique : la représentation de catastrophes destructrices. C’est le cas de La Chute des géants de Giulio Romano, qui couvre le mur entier d’une salle du Palazzo Te de Mantoue (ill. 81). Des thèmes comme la chute de Babel ou de Sodome illustrent une iconographie qui aime à menacer de destruction l’objet architectural. L’un des grands maîtres de cette thématique est François de Nomé, un Lorrain qui étudia à Rome et travailla beaucoup à Naples. La découverte de l’Italie par les artistes du Nord a suscité une fascination non seulement pour les ruines antiques, mais aussi pour l’opulence des églises. Nomé articule le goût de la destruction avec celui des fastes des églises napolitaines : ses églises imaginaires sont des bâtiments nus, recouverts d’ornements proliférants, reliefs, stèles, niches, personnages, qui forment une sorte de rideau par-dessus la masse architecturale. Mais cette couche ornementale présente déjà les signes de la corruption, comme la tour que l’on voit dans Le Combat de saint Georges avec le dragon (ill. 82). Chez Nomé, l’agencement de divers édifices forme un décor scénique qui souligne le caractère extérieur et spectaculaire des lieux de culte. Ces caprices architecturaux ne doivent pas simplement au plaisir de la fabulation. Nomé est un contemporain des guerres de religion et de la querelle des images qu’elles ont suscitée. Pour Luther les images étaient des adiaphora qui pouvaient orner ou non les églises,
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81 Giulio Romano, La Chute des géants, détail, ca. 1530, fresque. Mantoue, Palazzo Te.
comme dans Le Concert à vapeur. Ces figures revendiquent leur double existence d’êtres vivants et d’appareils morts. Cette double existence, ils la partagent avec l’artiste. Le célèbre Chat Murr de E. T. A. Hoffmann décrit « un état qui, aliénant mon moi à moi d’une étrange façon, semblait pourtant être mon vrai moi ». Baudelaire a abondamment réfléchi à ce redoublement du moi, notamment dans l’essai sur Asselineau intitulé La Double Vie, mais pas seulement160. D’où vient la figure de l’homo duplex dans son jeu de rôles imaginaire ? La réponse est donnée par son essai De l’essence du rire161 (1855) : l’« être double » y est rapporté à ce « dualisme chronique » de la Princesse Brambilla. Baudelaire considérait ce récit de Hoffmann comme de « haute esthétique », et la clé du dédoublement de personnalité. Il tire du « divin Hoffmann » l’idée que « l’artiste n’est artiste qu’à la condition d’être double et de n’ignorer aucun phénomène de sa double nature ». Cette disposition bifocale pose comme équivalents le monde de l’expérience et celui de l’imagination, liés par des effets de transitions et de transmutations perpétuelles. L’autoportrait androgyne de Duchamp en Rrose Sélavy – photographie reprise par Man Ray vers 1920 – est la plus troublante de ses transgressions, qui prend place auprès de la Mona Lisa moustachue (L. H. O. O. Q., 1919). Duchamp y révèle l’androgynie fondamentale de l’artiste, à laquelle Freud avait consacré un essai entier. Selon Baudelaire, le comique élevé au grotesque devient absolu, énigmatique et intemporel, et le poète voit en Hoffmann le maître du comique absolu, dont les stratégies d’hybridation renvoyaient au Cours préparatoire d’esthétique de Jean Paul. Ce dernier y définit « l’humour comme sublime renversé », « idée destructrice ou infinie162 », où s’annonce déjà l’audacieuse distinction de Baudelaire entre « le comique significatif » et « le comique absolu » : le premier – malgré Rabelais – est l’apanage des Français, le second de « la rêveuse Germanie ». Ce sont des modèles de pensée que le « méta-ironiste » Duchamp a soit connus soit réinventés pour son compte. Peut-être a-t-il pris conscience, à Munich, que « le sublime d’en bas » et « l’harmonie des choses disparates » (Flaubert) avait une genèse allemande. C’est en tout cas ce que suggère la lignée Jean Paul – E. T. A. Hoffmann – Baudelaire, étant entendu que le poète français fut un acteur important du transfert culturel entre l’Allemagne et la France. On trouve un autre médiateur en la personne d’Henri-Pierre Roché (1879-1959) qui a séjourné, lui aussi, à Munich en 1907 et rencontré la Bohème littéraire et intellectuelle de la capitale bavaroise. Ami de Duchamp, il considérait ce dernier comme « notre magicien163 ». Duchamp fut un révolutionnaire du xxe siècle dont les racines plongent dans la littérature aussi bien que dans la culture populaire du xixe siècle. L’imagerie triviale des catalogues de vente l’aura influencé autant que la combinatoire débordante de Grandville. Cette profusion d’images l’a stimulé au point de l’inciter à utiliser l’idée de la vitrine pour l’aménagement
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156 Giorgio De Chirico, Canto d’amore, 1914, huile sur toile, 73 × 59,1 cm. New York, Museum of Modern Art.
comme dans Le Concert à vapeur. Ces figures revendiquent leur double existence d’êtres vivants et d’appareils morts. Cette double existence, ils la partagent avec l’artiste. Le célèbre Chat Murr de E. T. A. Hoffmann décrit « un état qui, aliénant mon moi à moi d’une étrange façon, semblait pourtant être mon vrai moi ». Baudelaire a abondamment réfléchi à ce redoublement du moi, notamment dans l’essai sur Asselineau intitulé La Double Vie, mais pas seulement160. D’où vient la figure de l’homo duplex dans son jeu de rôles imaginaire ? La réponse est donnée par son essai De l’essence du rire161 (1855) : l’« être double » y est rapporté à ce « dualisme chronique » de la Princesse Brambilla. Baudelaire considérait ce récit de Hoffmann comme de « haute esthétique », et la clé du dédoublement de personnalité. Il tire du « divin Hoffmann » l’idée que « l’artiste n’est artiste qu’à la condition d’être double et de n’ignorer aucun phénomène de sa double nature ». Cette disposition bifocale pose comme équivalents le monde de l’expérience et celui de l’imagination, liés par des effets de transitions et de transmutations perpétuelles. L’autoportrait androgyne de Duchamp en Rrose Sélavy – photographie reprise par Man Ray vers 1920 – est la plus troublante de ses transgressions, qui prend place auprès de la Mona Lisa moustachue (L. H. O. O. Q., 1919). Duchamp y révèle l’androgynie fondamentale de l’artiste, à laquelle Freud avait consacré un essai entier. Selon Baudelaire, le comique élevé au grotesque devient absolu, énigmatique et intemporel, et le poète voit en Hoffmann le maître du comique absolu, dont les stratégies d’hybridation renvoyaient au Cours préparatoire d’esthétique de Jean Paul. Ce dernier y définit « l’humour comme sublime renversé », « idée destructrice ou infinie162 », où s’annonce déjà l’audacieuse distinction de Baudelaire entre « le comique significatif » et « le comique absolu » : le premier – malgré Rabelais – est l’apanage des Français, le second de « la rêveuse Germanie ». Ce sont des modèles de pensée que le « méta-ironiste » Duchamp a soit connus soit réinventés pour son compte. Peut-être a-t-il pris conscience, à Munich, que « le sublime d’en bas » et « l’harmonie des choses disparates » (Flaubert) avait une genèse allemande. C’est en tout cas ce que suggère la lignée Jean Paul – E. T. A. Hoffmann – Baudelaire, étant entendu que le poète français fut un acteur important du transfert culturel entre l’Allemagne et la France. On trouve un autre médiateur en la personne d’Henri-Pierre Roché (1879-1959) qui a séjourné, lui aussi, à Munich en 1907 et rencontré la Bohème littéraire et intellectuelle de la capitale bavaroise. Ami de Duchamp, il considérait ce dernier comme « notre magicien163 ». Duchamp fut un révolutionnaire du xxe siècle dont les racines plongent dans la littérature aussi bien que dans la culture populaire du xixe siècle. L’imagerie triviale des catalogues de vente l’aura influencé autant que la combinatoire débordante de Grandville. Cette profusion d’images l’a stimulé au point de l’inciter à utiliser l’idée de la vitrine pour l’aménagement
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156 Giorgio De Chirico, Canto d’amore, 1914, huile sur toile, 73 × 59,1 cm. New York, Museum of Modern Art.
182 Hans Bellmer, Sans titre, 1964, crayon sur papier, 22 × 17 cm. Berlin, Staatliche Museen, Sammlung ScharfGerstenberg. 183 Hans Bellmer, La Poupée, 1935-1938, photographie, 12,4 × 9,3 cm. Paris, Centre Pompidou.
leur mécanique incompréhensible sont désormais menaçantes. La précision apparemment calculée de ces capricci transforme une Parade amoureuse de Picabia (1917, ill. 185) en instrument de torture sadique. Quelques années auparavant, Kafka avait écrit Dans la colonie pénitentiaire, où un appareil sophistiqué et mortel inscrivait à l’aiguille dans la chair des soldats condamnés l’énoncé de leur jugement en arabesques complexes. La complicité de la victime et du bourreau nous apparaît dans le fer à repasser garni de clous inventé par Man Ray (1890-1976) : intitulé Cadeau (1921, ill. 186), il invite la victime à l’automutilation. Un objet tel que celui-là aurait trouvé sa place dans le Catalogue des objets introuvables dressé, il y a quarante ans, par le collectionneur Jacques Carelman. On y trouve de
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182 Hans Bellmer, Sans titre, 1964, crayon sur papier, 22 × 17 cm. Berlin, Staatliche Museen, Sammlung ScharfGerstenberg. 183 Hans Bellmer, La Poupée, 1935-1938, photographie, 12,4 × 9,3 cm. Paris, Centre Pompidou.
leur mécanique incompréhensible sont désormais menaçantes. La précision apparemment calculée de ces capricci transforme une Parade amoureuse de Picabia (1917, ill. 185) en instrument de torture sadique. Quelques années auparavant, Kafka avait écrit Dans la colonie pénitentiaire, où un appareil sophistiqué et mortel inscrivait à l’aiguille dans la chair des soldats condamnés l’énoncé de leur jugement en arabesques complexes. La complicité de la victime et du bourreau nous apparaît dans le fer à repasser garni de clous inventé par Man Ray (1890-1976) : intitulé Cadeau (1921, ill. 186), il invite la victime à l’automutilation. Un objet tel que celui-là aurait trouvé sa place dans le Catalogue des objets introuvables dressé, il y a quarante ans, par le collectionneur Jacques Carelman. On y trouve de
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