Israel Galván
danser le silence
Corinne Frayssinet Savy
Israel Galván
Danser le silence
Une anthropologie historique de la danse flamenca
Édition revue et augmentée
¿ Por qué bailas solo ?
Pourquoi danses-tu seul ?
“Je ne me sens pas seul, je suis avec mes musiciens et avec mes objets, qui fonctionnent comme des personnes, formant un duo avec moi.
La communication avec le public, je la ressens aussi comme une chorégraphie que l’on danse ensemble.
Quelqu’un1 m’a dit que ma destinée était de danser toujours seul, peut-être avait-il raison.
Je me cherche encore moi-même, il me reste à trouver différentes formes et symphonies dans mon corps.
Peut-être que je danse seul, parce que je fais en sorte que ma danse adopte différentes personnalités de maîtres de la danse, qui dansent dans un style ou une forme parallèle à la mienne ; et bien que je sois seul, je me sens comme une jarre pleine de fantômes.”
“No me siento solo, estoy con mis músicos y con mis objetos, que funcionan como personas, haciendo un duo conmigo.
También la comunicación con el público, lo siento como una coreografía conjunta.
Alguien me dijo que mi destino era bailar siempre solo, quizás lleve razón.
Todavía me estoy buscando a mi mismo, me queda encontrar, distintas formas y sinfonías en mi cuerpo.
Quizás baile solo, porque intento que mi baile adopte distintas personalidades de maestros de baile, que bailen paralelo a mi estilo o forma y aunque esté solo me siento como una tinaja llena de fantasmas.”
Israel Galván, Séville, mars 2009
1. Israel Galván évoque Georges Didi-Huberman, auteur du livre Le Danseur des solitudes publié en 2006 aux Éditions de Minuit.
La danse, une proposition
La danse d’Israel Galván pose et génère un regard différent sur le flamenco. Elle fait éclater toute image d’Epinal, toute vision topique. C’est une urgence d’être au monde. Il s’agit de recentrer le sens sur une mise en jeu du geste. Cette forma de ser, ce mode d’être, devient avec lui un mode d’être face à la musique, face à la danse, face à la création tout simplement. Israel Galván déchire le voile de l’interprétation, pour saisir l’espace vertigineux de l’inconnu. Il “recule à l’infini les limites de l’impossible” (Jankélévitch, 1988 : 65).
Son audace rappelle l’attitude de Maurice Ravel face à la création, décrite par Vladimir Jankélévitch ; elle “s’exprime d’abord dans le goût de la difficulté vaincue et la recherche opiniâtre de l’effort”. Présent, l’esprit d’artifice est un moyen pour créer un espace de jeu, ouvert à l’autre, chanteurs, musiciens, public. Chaque protagoniste existe selon sa propre expression. Israel Galván projette cet esprit d’artifice dans sa vision artistique, présidée par une “esthétique de la gageure, parce que dans Gageure il y a l’idée du tour de force et de la volonté de fer” (1988 : 66). Chaque spectacle nous permet d’assister à ce pari devenu commun, car partagé. Chaque spectacle enrichi d’expériences précédentes présente de nouveaux problèmes à résoudre, à la manière du joueur qui complique à plaisir les règles du jeu. Israel Galván, “sans que personne l’y oblige, s’impose à luimême des entraves et apprend, comme eût dit Nietzsche, à danser dans les chaînes”, à danser dans un cercueil, moment ultime d’El Final de este estado de cosas, redux. “C’est la richesse de la pauvreté.” (1988 : 67).
Sa danse se construit en séquences présidées par un montage subtil et minutieux. Point de hasard, la mise en place des figures rythmiques et gestuelles rappelle la précision d’un horloger. Pourtant, si l’accident surgit à l’image du tambour brisé le 28 février 2009 sur la scène du Mercat de les Flors, à Barcelone, il l’intègre
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Israel Galván.
El Final de este estado de cosas, redux, Teatro de la Maestranza, Biennale de Flamenco de Séville, © Luis Castilla, 24 septembre 2008.
Ci-contre
Israel Galván.
El Final de este estado de cosas, redux, Teatro de la Maestranza, Biennale de Flamenco de Séville, © Luis Castilla, 24 septembre 2008.
Avec Israel Galván, la danse flamenca s’engage sur le terrain de la performance conçue comme un “processus”. Elle devient une “proposition”, “une création en acte”.
Depuis 1998, avec le spectacle ¡ Mira ! Los zapatos rojos, premier jalon de sa collaboration avec le plasticien Pedro G. Romero, le solo s’impose à Israel Galván comme une nécessité d’être devant l’héritage flamenco qu’il porte en lui. Il le ramène au fondement éthique du flamenco, una forma de ser, autrement dit un mode d’être. Défiant toute posture artistique, il s’agit d’une mise en jeu de soi au travers du geste vocal ou dansé. A l’écoute de cette pratique, Israel Galván réévalue la danse flamenca dans sa conception de numéro, élaborée à l’époque des cafés cantantes (cafés concerts), encore présente aujourd’hui dans le cuadro flamenco (spectacle à numéros chantés, dansés et instrumentaux).
Israel Galván de los Reyes (Séville, 1973) apprend la danse dès l’enfance avec son père, le danseur José Galván, et sa mère, la danseuse Eugenia de los Reyes. En 1994, il entre dans la Compañía Andaluza de Danza dirigée par Mario Maya. Dès 1998, Israel Galván présente ses propres créations. Une trajectoire peu commune commence, jalonnée par l’obtention des prix les plus prestigieux du flamenco et de la danse. En 2005, il reçoit le Premio nacional de Danza – domaine de la création – attribué par le ministère de la Culture espagnole “pour sa capacité à générer dans un art tel que le flamenco une création nouvelle sans oublier les véritables racines qui l’ont nourri jusqu’à nos jours, et qui le constituent comme un genre universel”. Dix créations voient le jour entre 1998 et 2008. Elles définissent une étape fondamentale dans l’évolution de la danse et de la création chorégraphique flamenca.
ISBN 978-2-7427-8414-1
ACTES SUD
Dépôt légal : juillet 2009 19 € TTC France www.actes-sud.fr