ET SI NOUS (RE)DEVENIONS HUMAINS ?
COMMENT NOTRE VÉRITABLE NATURE PEUT RÉSOUDRE LES CRISES
AVANT-PROPOS
Imaginez ce qui pourrait se passer en cet instant, si au lieu de baigner dans une culture de violence nous étions pétris d’une culture de paix, de bienveillance, d’empathie, d’amour.
D’autres l’ont rêvé avant nous.
Est-ce vraiment si inaccessible ? Ne sommesnous pas collectivement pris au piège d’un malentendu, d’un aveuglement, que nous avons nous-mêmes créé et entretenu, et auquel nous participons malgré nous chaque jour sans prendre le temps de le remettre en question ?
Imaginez que la domination ne soit plus notre modèle de référence et qu’à la place, nous soyons accompagnés, depuis notre plus jeune âge, par des modes relationnels tendres, respectueux, solidaires, équitables, libérateurs, où l’amour inconditionnel de soi et de l’autre constituerait la nourriture psychoémotionnelle de base, le fondement de notre société.
Imaginez que la violence entre humains devienne inacceptable, et qu’au lieu d’avoir un ministère des Armées, nous ayons un ministère de la Paix, destiné à mettre en œuvre les outils et les moyens de restaurer pacifiquement, par le dialogue et la médiation, l’harmonie entre les peuples lorsqu’elle fait défaut.
Imaginez que la guerre soit interdite, sans équivoque, car insoutenable pour notre conscience.
Imaginez qu’il ne s’agisse plus d’exister pour cloisonner les populations, défendre des intérêts, accaparer le plus possible de ressources, étendre notre hégémonie ou accumuler toujours plus de biens, mais que nous vivions pour prendre soin de nous, de nos enfants, des autres, du vivant, de notre Terre.
Imaginez que cela serait logique et naturel, au point que toute violence quelle qu’elle soit serait vécue collectivement comme une anomalie.
Imaginez que nous en finissions avec le jugement, la stigmatisation, la fabrique de l’ennemi, la prédation, et que nous puissions considérer que le bien-être des autres êtres vivants, où qu’ils se trouvent sur la planète, est tout aussi fondamental que le nôtre.
Imaginez que nous ayons enfin conscience que nous sommes tous reliés et que négliger l’autre équivaut à se négliger soi-même.
Imaginez que cela, nous le transmettions aux enfants qui grandissent.
Imaginez que, de cela, nous nourrissions et alimentions notre quotidien d’humain, nos œuvres, nos institutions.
Imaginez que nous retrouvions cette humanité en nous.
LA VIOLENCE
Nous n’avons de cesse, collectivement et individuellement, de produire, subir et regretter la violence de notre espèce.
Celle-ci est multiforme : manifeste et subtile, explicite et implicite, autorisée ou réprouvée. Elle se niche partout : dans les déclarations officielles comme dans les recoins intimes de nos pensées, sur la scène sociale la plus exposée comme dans l’anonymat des foyers privés, localement et à une échelle mondiale. Elle sévit à l’encontre des humains, des animaux, de la biosphère. Elle surgit dans nombre de nos relations humaines. La violence est tout à la fois systémique et isolée, organisée et spontanée, légalisée et interdite, latente et manifeste, individuelle et collective. Elle fait incontestablement partie de nos vies.
Dans l’actualité mondiale de ce début de troisième millénaire, l’une des violences, parmi tant d’autres qui s’exhibent dans les médias, porte le visage du massacre des innocents, victimes le plus
souvent tirées au sort par le hasard, de la folie meurtrière de ceux que l’on nomme des “fanatiques religieux”. Cette expression résonne à mes oreilles comme un étrange oxymore en même temps qu’elle témoigne du malentendu séculaire dont nous souffrons.
Nous, êtres humains, aspirons tous à la paix et à l’harmonie. Et ce sont ces besoins fondamentaux qui expliquent notre tentative sans cesse réitérée de transcender nos peurs, et la violence qui les accompagne, en recourant entre autres à la religion, la morale, la spiritualité, les lois, la psychanalyse ou le développement personnel. Pourtant, nous sommes manifestement en difficulté pour faire advenir ces valeurs au cœur de nos existences, comme si nous manquions de moyens pour incarner nos aspirations profondes.
Q u ’appelle -t- on violence ?
En voici une définition très simple : “tout ce qui néglige, menace ou porte atteinte à l’intégrité d’un être vivant”.
Ainsi, sacrifier un poulet pour se nourrir, abattre un arbre pour se chauffer ou même arracher une carotte en pleine force de vie de la terre où elle croît pour la manger constituerait, selon cette définition, une forme de violence. De fait, et si nous nous limitons à cette interprétation,
nous cohabiterions depuis toujours avec la violence afin de satisfaire nos besoins vitaux.
Parce qu’il s’agit, dans les trois exemples que je viens de citer, d’obéir aux lois de la vie, d’aucuns diront qu’ils ne relèvent pas de la violence. Le terme est en effet le plus souvent utilisé pour qualifier des comportements humains délibérés. Dans ce cas, la violence suppose une intention de domination, consciente ou inconsciente, accompagnée d’un préjudice ou d’un ressenti douloureux pour celui ou celle qui la subit. Il semble que ces deux aspects soient indissociables, comme les deux faces d’une même pièce, pour que la situation de violence soit manifeste.
l a légitimité comme argumentQualifier la violence est complexe : elle n’est pas reçue ni perçue à l’identique d’un individu à l’autre, ni d’une culture à l’autre, ni d’une juridiction à l’autre. Comme le disait souvent mon père : tuer pendant la guerre peut être récompensé tandis que le crime civil est sévèrement puni. Pourtant, il s’agit bien, chaque fois, de la même confiscation d’une vie humaine par une autre.
Car la violence, de fait, se définit en regard de la très subjective notion de légitimité. Il est souvent nécessaire à un être vivant de porter atteinte à un autre être vivant, en le mangeant par
exemple, pour assurer la continuité de sa propre vie. Dans ce cas, il s’agit d’un transfert “légitime” d’énergie d’un être à l’autre, que ce soit à travers l’alimentation ou à travers les apports calorifiques d’un combustible vivant pour se chauffer et ne pas mourir de froid. Dans cet espace d’échange, c’est la vie qui se donne à la vie.
Est-il pour autant légitime de blesser ou tuer pour s’approprier un territoire ou préserver ses intérêts ? Est-il justifié de supprimer ses congénères pour assouvir des besoins ? Chacun élabore sa propre opinion à ce sujet, au risque de contredire le légendaire “Tu ne tueras point” qui imprègne notre histoire. Les limites de ce que nous nommons “la légitimité” sont sujettes à débat.
Certains humains choisissent, par exemple, de sacrifier des animaux pour leur survie et d’autres le refusent, estimant cette prise de pouvoir illégitime et même barbare. D’autres opposent l’exploitation prétendument acceptable d’une substance a priori inerte, prenons le pétrole, et celle d’une ressource “vivante”, la forêt. Dans le premier cas, le pétrole, nous n’avons pas l’impression d’agresser un être vivant, tandis que dans le deuxième, la forêt, nous reconnaissons que sa destruction entraîne des conséquences en cascade pour tous les êtres vivants qui y prospèrent et dépendent d’elle pour leur survie.
Pourtant, extirper le pétrole de la terre pour l’exploiter peut être considéré comme un acte
nuisible. Mon arrière-grand-mère disait que le pétrole est le “pus de la terre” et qu’il convient de le laisser sommeiller dans les sous-sols, sa juste place. Les documentaires montrant la pollution de territoires entiers liés à l’exhumation d’un pétrole noir et collant qui se répand sur les sols et dans les cours d’eau, au détriment de tous les êtres qui peuplent ces zones sacrifiées ne disent pas autre chose. Prélever le pétrole pour nos besoins est-il un acte violent ? Pour un esprit candide comme celui de mon arrièregrand-mère, ou celui de certains peuples premiers qui ont su traverser les âges sans perturber les écosystèmes et peuvent trouver, à juste titre, l’humain moderne inconséquent, la réponse ne fait aucun doute.
De même, éventrer les montagnes pour en extraire des minerais ou racler les fonds marins pour en remonter pêle-mêle l’ensemble de ce qui, l’instant d’avant, y prospérait tranquillement, constitue une action brutale, la destruction d’un paysage ou d’un écosystème qui mettra parfois des millénaires à se reconstituer. Nous savons aujourd’hui que nos moyens d’exploitation industriels et technologiques portent préjudice à ce renouvellement, de manière fatale et irréversible pour un nombre grandissant d’espèces.
Manifestement, l’exploitation de notre environnement constitue une terrible violence. Une violence qui atteint l’intégrité de notre
ET SI NOUS (RE)DEVENIONS HUMAINS ?
L’humanité fait face à des enjeux sans précédent. Ils sont en grande majorité la conséquence des comportements humains. Comment en sommes-nous arrivés là ? Sommes-nous naturellement violents et destructeurs ?
À partir de son expérience de petite fille, de maman, de pédagogue, d’entrepreneuse sociale et de chercheuse en humanité, Sophie Rabhi-Bouquet nous invite à renouer avec notre fonction première, celle de caregiver, c’està-dire de “donneur de soin”. Les recherches en neurosciences le prouvent, la violence n’est pas innée mais acquise.
Face à une actualité qui nous impose de changer ou de disparaître, retrouver nos qualités naturelles de bienveillance et de bientraitance constitue le prochain et inépuisable gisement sur lequel une nouvelle civilisation pourra s’établir durablement. Pour ce faire, il convient de considérer les motivations profondes qui guident nos actes, les stratégies que nous utilisons pour assouvir nos besoins et les possibilités dont nous disposons pour développer d’autres moyens que la violence. Partout dans le monde, des minorités mettent en œuvre de nouvelles réalités respectueuses des écosystèmes et du vivant dans son ensemble. Ce livre, et ses outils pour agir, prétend contribuer à cet effort commun sans concession.
Après avoir repris la ferme familiale en Ardèche, Sophie RabhiBouquet y ouvre, en 1999, une école maternelle et primaire Montessori. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages, dont La Ferme des Enfants, une pédagogie de la bienveillance (Actes Sud, 2011).
ISBN 978-2-330-17864-2