Extrait "Écrits de Vincent d'Indy" de Gilles Saint Arroman

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Gilles Saint Arroman

Écrits de Vincent d’Indy

Vol. 3 : 1919-1931

ACTES SUD / PALAZZETTO BRU ZANE

Écrits de Vincent d’Indy

DANS LA MÊME COLLECTION

LES LETTRES DE CHARLES GOUNOD À PAULINE VIARDOT, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015.

ARCHIVES DU CONCERT, LA VIE MUSICALE FRANÇAISE À LA LUMIÈRE DE SOURCES INÉDITES (xviii exix e siècle), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015.

REYNALDO HAHN, UN ÉCLECTIQUE EN MUSIQUE, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015. LE CONCERTO POUR PIANO FRANÇAIS À L’ÉPREUVE DE LA MODERNITÉ, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015.

CE QUE DIT LA MUSIQUE, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2016.

NOUVELLES LETTRES DE BERLIOZ, DE SA FAMILLE, DE SES CONTEMPORAINS, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2016.

CAMILLE SAINT-SAËNS – JACQUES ROUCHÉ, CORRESPONDANCE (1913‑1921), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2016.

CAMILLE SAINT-SAËNS, LE COMPOSITEUR GLOBE-TROTTER (1857‑1921), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2017.

LE FER ET LES FLEURS : ÉTIENNE-NICOLAS MÉHUL (1763‑1817), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2017.

CORRESPONDANCE DE PAUL DUKAS, 3 vol. (1878-1935), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2018, 2020 et 2022.

L’ÉGLISE COMME LIEU DE CONCERT, PRATIQUES MUSICALES ET USAGES DE L’ESPACE (PARIS, 1830‑1905), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2019.

ÉCRITS DE VINCENT D’INDY, 2 vol. (1877-1920), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2019 et 2021.

MEL BONIS, (1858‑1937), PARCOURS D’UNE COMPOSITRICE DE LA BELLE ÉPOQUE, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2020.

BONS BAISERS DE ROME, LES COMPOSITEURS À LA VILLA MÉDICIS (1804‑1914), Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2021.

OFFENBACH, MUSICIEN EUROPÉEN, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2022.

BERLIOZ ET PARIS, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2023.

FAITES VOS JEUX !, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2024.

ISBN 978‑2‑330 19726 1 © Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2024

Écrits de Vincent d’Indy

Volume 3 : 1919‑1931

rassemblés et présentés par Gilles Saint Arroman

ACTES SUD / PALAZZETTO BRU ZANE

Une collection coéditée par Actes Sud et le Palazzetto Bru Zane.

Le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française a pour vocation de favoriser la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français du grand xixe siècle (1780‑1920).

La collection Actes Sud/Palazzetto Bru Zane – ouvrages collectifs, essais musicologiques, actes de colloques ou écrits du xixe siècle –donne la parole aux acteurs et aux témoins de l’histoire artistique de cette époque ainsi qu’à leurs commentateurs d’aujourd’hui.

Sigles et abréviations

Écrits de Vincent d’Indy :

CCM I  : Cours de composition musicale, premier livre, rédigé avec la collaboration d’Auguste Sérieyx d’après les notes prises aux classes de composition de la Schola Cantorum en 1897‑1898, Paris : Durand, 1902.

CCM II1 :

CCM II2 :

Cours de composition musicale, deuxième livre, première partie, rédigé avec la collaboration d’Auguste Sérieyx d’après les notes prises aux classes de composition de la Schola Cantorum en 1899‑1900, Paris : Durand, 1909.

Cours de composition musicale, deuxième livre, seconde partie, rédigé par Auguste Sérieyx d’après les notes prises aux classes de composition de la Schola Cantorum en 1901‑1902, Paris : Durand, 1933.

CCM III : Cours de composition musicale, troisième livre, rédigé par Guy de Lioncourt d’après les notes prises aux classes de la Schola Cantorum, Paris : Durand, 1950.

CF  : César Franck, Paris : F. Alcan, 1906.

B  : Beethoven, biographie critique, Paris : H. Laurens, 1911.

RW  : Richard Wagner et son influence sur l’art musical français, Paris : Delagrave, 1930.

IEP  : Introduction à l’étude de Parsifal de Wagner, Paris : Mellottée, [1937].

Ma Vie : Ma Vie : journal de jeunesse, correspondance familiale et intime (1851-1931), choix, présentation et annotations de Marie d’Indy, Paris : Séguier, 2001.

MV : Ma Vie, journal intime inédit : sept cahiers auto graphes (1869‑1877), F Pn [Rés. Vmc. ms. 2 (II, 1‑7).

Bibliographie :

LV 1  : Léon V allas, Vincent d’Indy , t. 1, La jeunesse (1851-1886), Paris : Albin Michel, 1946.

LV 2  : Léon Vallas, Vincent d’Indy, t. 2, La maturité, la vieillesse (1886-1931), Paris : Albin Michel, 1950.

Presse :

RGMP : Revue et Gazette musicale de Paris

TSG : La Tribune de Saint-Gervais

Lieux de conservation :

F‑Pbmgf : Bibliothèque musicale La Grange‑Fleuret (Paris)

F Pn : Bibliothèque nationale de France, département de la musique

F‑Pnas : Bibliothèque nationale de France, département des arts du spectacle

F Po : Bibliothèque Musée de l’Opéra

US‑ATS : Bibliothèques de l’université de Georgia (Athens, GA)

US NHub : Beinecke Rare Book and Manuscript Library, uni versité de Yale (New Haven, CT)

US‑Wc : The Library of Congress, Music Division (Washington, DC)

Archives d’Indy : Archives privées de la famille d’Indy (Boffres, Ardèche)

AD07 : Archives départementales de l’Ardèche (Privas)

Introduction

Gilles Saint Arroman

Quand viendra la prochaine période d’ordre et de beauté ?… Elle viendra : je ne doute pas du génie français ; en tout cas, nous ne l’avons pas encore atteinte. Un jour, apparaîtra l’homme exceptionnel qui verra clair dans tout ce trouble et fera de ce monstre informe un chef-d’œuvre bien à lui.

Vincent d’Indy (1928)1

Pour exprimer avec une puissance durable nos ténèbres aux prises avec l’Esprit-Saint, pour élever sur la montagne les portes de notre prison de chair, pour donner à notre siècle de bielles, de moteurs, de machines à tuer, l’eau vive dont il a soif, il faudrait un grand artiste, qui soit aussi grand artisan et grand chrétien. Hâtons de nos vœux la venue de ce génie libérateur.

Olivier Messiaen, “De la Musique sacrée” (Carrefour, juin juillet 1939)2

En mars 1921, Vincent d’Indy fête son soixante dixième anniversaire. Quelques mois plus tard, la mort de Camille Saint Saëns fait de lui, aux

1. “Où en est la musique française ?”, Comœdia, 21 février 1928, p. 1 (1928/2).

2. Stephen Broad, Olivier Messiaen: Journalism 1935-1939, Farnham : Ashgate, 2012, p. 76.

yeux de certains, le doyen des compositeurs français1. Sa dernière décennie d’existence a pourtant des airs de seconde jeunesse. Veuf depuis 1905, il s’est remarié en octobre 1920 avec une femme de trente‑six ans sa cadette, Caroline Janson, rencontrée pendant la guerre. Quittant alors les montagnes de l’Ardèche, il laisse le château des Faugs à son fils et passe désormais ses vacances sur la Côte d’Azur, à Agay (Var), où lui et son épouse font construire une petite villa, L’Étrave, face à la mer. La vie conjugale donne au musicien “une nouvelle ardeur au travail” : “je crois que je n’ai jamais plus écrit que depuis ce moment2”, confie‑t‑il en 1921. Marquée par un néoclassicisme d’époque, cette féconde “période d’Agay” manifeste une tendance à la clarté et à la sérénité : Poème des rivages et Diptyque méditerranéen pour orchestre, Concert pour piano, flûte, violoncelle et orchestre à cordes, auxquels s’ajoute une ample moisson de musique de chambre, d’œuvres pour piano et de pièces chorales. Dans les mêmes années, sa collaboration avec l’homme de théâtre Xavier de Courville donne naissance à la comédie lyrique Le Rêve de Cinyras (1922/12) et à l’adaptation du Retour d’Ulysse dans sa patrie (1926/12), qui vient achever la résurrection de la trilogie dramatique de Monteverdi initiée en 1904 avec Orfeo.

Les années 1919‑1931 sont loin de voir un ralentissement de ses acti‑ vités. Contraint par le règlement du Conservatoire à prendre sa retraite de professeur de la classe d’orchestre et direction d’orchestre en 19293, d’Indy reste jusqu’à sa mort directeur et professeur de composition de la Schola Cantorum, où les élèves continuent d’affluer des quatre coins du monde. Il accepte aussi de nouvelles responsabilités : présidence de l’Union syndicale des compositeurs de musique (1920), de la Société nationale de musique et de la Classe des instruments de musique de l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris4 (1924). Outre les multiples obligations de la “fournaise parisienne”, il se déplace constam‑ ment pour des concerts ou conférences en province, en Algérie (1923) ou à l’étranger : Pays Bas (1919), États Unis et Canada (1921‑1922),

1. Voir 1921/19 et 1922/2.

2. Lettre à Auguste Sérieyx, Paris, 28 février 1921 (Bibliothèque cantonale et univer sitaire de Lausanne [fonds Auguste Sérieyx, FAS 267).

3. Anne Bongrain, Le Conservatoire national de musique et de déclamation, 1900-1930 : documents historiques et administratifs, Paris : Vrin, 2012, p. 314.

4. Voir 1924/10 et 1925/7.

Photographie de Vincent d’Indy dans son appartement par Thérèse Bonney © The Regents of the University of California, The Bancroft Library, University of California, Berkeley

Angleterre, Roumanie et Lettonie (1923), Tchécoslovaquie (1925, 1928), Hongrie (1928), Espagne (1930). En 1924, il envisage même de se rendre en Australie comme conférencier1. Bien qu’il aille moins fréquemment à Bruxelles depuis la fin de la Libre Esthétique en 1914, il garde des liens privilégiés avec la Belgique. En revanche – situation politique oblige –, tout lien est rompu avec la Russie soviétique et avec l’Allemagne. Seule exception : sa participation en juin 1921 à des concerts dans le cadre de l’Exposition d’art français de Wiesbaden, ville de Rhénanie occupée par l’armée française.

Si elle témoigne d’une santé et d’un enthousiasme intacts, cette intense activité est aussi dictée par des considérations matérielles. Comme tout un chacun, d’Indy subit les conséquences de la dépréciation monétaire et des difficultés économiques que connaît alors la France :

[J]’ai, du fait de la guerre, totalement perdu plus des 2/3 de ma fortune, je dois donc travailler de mon métier pour ne pas être obligé de vendre ma propriété de l’Ardèche, à laquelle je tiens et que j’aliénerais avec beaucoup de peine.

Cette situation vous explique mes fréquents voyages, et je ne m’en cache pas, estimant qu’il n’y a aucune honte à gagner sa vie2.

En 1925, il frôle le surmenage :

Je suis tellement accablé depuis le retour des vacances de Pâques que je ne sais même comment je puis caser les choses indispensables, qui se font légion ! Répétitions, concerts, représentations, engagements en province, articles à date fixe, Comités de l’Exposition, sans compter la Schola, le Conservatoire, les examens et surtout le travail qui en dépend, travail que je dois prendre sur mes nuits, tout cela fait que je ne trouve pas 10 minutes de liberté, car les 3/4 du temps je déjeune en 1/4 d’heure3.

1. Voir lettre à Louise B. M. Dyer, 7 novembre 1924 (University of Melbourne, Rare Music Collection [Éditions de l’Oiseau‑Lyre Archive, 2016.0034.00103 [Unit 5], 1).

2. Lettre à Charles Martin Loeffler, Bordeaux, 27 février 1920 (F Pn [fonds Vincent d’Indy).

3. Lettre à Jean d’Indy, [Paris,] 24 juin [1925], 5 h ½ du matin (Ma Vie, p. 795).

Et, deux ans plus tard :

Je ne sais comment j’ai pu y arriver, en cet an de grâce 1927 !

Enfin, ça a réussi, mais grâce à quelles combinaisons saugrenues de nuits sans sommeil et de repas où je trempais ma fourchette dans l’encrier et ma plume dans la sauce1 !

Sur le plan politique, l’immédiat après guerre est plus apaisé. L’Union sacrée, proclamée à l’été 1914, a dissipé les tensions nées de l’affaire Dreyfus et de la loi de séparation des Églises et de l’État. En 1919, d’Indy défend même la candidature de Clemenceau à la présidence de la République, malgré l’anticléricalisme de ce dernier (1919/6). Après dix‑sept ans d’interruption, les relations diplomatiques entre la France et le Vatican sont rétablies en 1921. Cependant, au lendemain de la victoire du Cartel des gauches en mai 1924, l’annonce du retour d’une politique anticléricale sous le nouveau gouvernement d’Édouard Herriot l’amène à cosigner une protestation de la Confédération professionnelle des intellectuels catholiques2. Si on ne lui connaît pas d’autre engage ment politique, il n’hésite pas à s’insurger contre la taxe sur les pianos (1920/3‑4 et 1921/3), l’ingérence de l’État dans les questions artistiques (1920/19, 1921/16) ou encore l’impôt sur les salaires et l’augmentation de l’indemnité des députés (1926/1). À l’extérieur, il cible les “bolcheviks” (1920/10, 1922/5) et l’Allemagne qui tarde à s’acquitter de sa dette de guerre (1927/7).

Ces années sont aussi jalonnées de grandes joies : la création de sa Symphonie no 3 à la Société nationale de musique en 1919, de La Légende de saint Christophe à l’Opéra (1920/12‑16) et du Poème des rivages à New York en 1921, la reprise du Chant de la cloche à Bruxelles et, dix ans plus tard, sa première scénique française à l’Opéra de Nice (1931/2). En juillet 1924, Ida Rubinstein danse Istar au Palais Garnier (1925/1) et en 1926, pour la première fois, une de ses œuvres – le Diptyque méditerranéen – est créée par la vénérable Société des concerts du Conservatoire. Les honneurs se multiplient, en France et à l’étranger : commandeur (1925)

1. Lettre à Xavier de Courville, Agay, 21 juillet 1927, F Pnas [Correspondance de Xavier de Courville, Mn 39(73).

2. “Un appel des intellectuels catholiques”, La Croix, 19 juillet 1924, p. 1.

et grand officier (1931) de la Légion d’honneur, grand officier de l’Ordre de la Couronne en Belgique (1931), professeur honoraire de l’Académie de musique de Budapest (1925), membre correspondant de l’Acadé ‑ mie tchèque (1928), membre d’honneur du conservatoire de Riga et président d’honneur de l’Academia de Musica de Barcelone (1930).

Au fil de ces années, il a également la tristesse de voir disparaître cer‑ tains de ses plus chers amis et élèves : Octave Maus (1919), Déodat de Séverac (1921/11), Gabriel Fauré (1924/17), André Messager (1929). En 1931, année où l’on célèbre en grande pompe son quatre‑vingtième anni‑ versaire, c’est le tour de son cousin Edmond de Pampelonne, confident de sa jeunesse, et de ses vieux camarades belges Eugène Ysaÿe et Sylvain Dupuis. En novembre, peu après avoir repris son poste à la Schola, son état de santé se dégrade subitement. Il meurt à Paris le 2 décembre d’une crise cardiaque en transmettant le flambeau de l’école à ses collaborateurs (1931/14).

“Vers la Beauté” (1919‑1931)

Arrivé au terme de sa carrière, d’Indy continue à promouvoir les idées qu’il a toujours défendues. Le directeur de la Schola Cantorum pour suit son combat en faveur de l’éducation musicale et de la musique liturgique. Il plaide pour une meilleure intégration de la musique dans l’enseignement scolaire 1 et expose, dans un article retentissant, les condi tions d’une réforme de l’orphéon 2 (1922‑1923). Il milite aussi sans trêve pour l’application des directives du motu proprio de Pie X (1903), pour le chant grégorien et la prononciation romaine du latin, contre le galli canisme et la “mauvaise” musique d’église. Son énième condamnation du cantique “Minuit, chrétiens” lors d’un congrès en 1922 suscite de vives réactions :

Son opinion, émise, comme toujours, sans ménagements et avec une parfaite simplicité, a fait couler, ces dernières semaines, des flots d’encre dans les

1. Voir 1920/25, 1922‑1923, 1923/1 et 7, 1925/4.

2. Sur l’orphéon, voir aussi vol. 1 et 2.

quotidiens ou périodiques des provinces les plus reculées – où le Noël d’Adam est encore considéré comme une tradition respectable […]1.

Quant au compositeur, il porte un regard sévère sur la vie musicale des Années folles. Cible d’un des derniers écrits de Saint‑Saëns2, il a surtout maille à partir avec la jeunesse3, qui est loin de prendre la direction qu’il espérait au début de la guerre (1915/3‑4 et 10). La victoire de 1918 lui semble produire en matière musicale l’effet inverse de la défaite de 1870 sur sa propre génération (1925/5‑6). Élevé dans la ferveur de la musique allemande, il reste fermement attaché à un “art expressif4” et le prouve par ses œuvres, ses concerts et son enseignement comme par ses écrits. Polémiste toujours fringant, il célèbre la “Beauté” et vilipende la “laideur” qui lui semble caractériser la production moderne.

Un nouveau paysage musical. Le Groupe des Six

En 1919, Auguste Mangeot, directeur du Monde musical, fonde, avec l’appui d’Alfred Cortot, l’École normale de musique, afin d’y accueillir les musiciens étrangers ne souhaitant plus étudier en Allemagne5. Loin d’y voir une concurrence pour la Schola, d’Indy l’encourage, dès 19176, et accorde son patronage à l’établissement7 où il sera invité à donner un cours public d’interprétation (1925/8). En 1920, Gabriel Fauré quitte la direction du Conservatoire, remplacé par Henri Rabaud, musicien auquel d’Indy est lié par une estime réciproque. Les orchestres Colonne et Lamoureux reprennent leurs activités, tandis que les Concerts Pasdeloup

1. Guy de Lioncourt, “Le Congrès de Chant grégorien et de Musique sacrée”, Les Tablettes de la Schola, janvier 1923, p. 36. Voir 1922/14.

2. Camille Saint Saëns, Les Idées de M. Vincent d’Indy, Paris : Lafitte, 1919. Si la discussion qui s’ensuit avec Saint Saëns reste privée (voir Léon Vallas, “Une discussion Saint Saëns et d’Indy”, La Revue musicale, février 1947, p. 79‑87), d’Indy y fait allusion dans l’un de ses articles (1922/8).

3. Voir ses lettres ouvertes à Jean Wiener, Roland‑Manuel et Arthur Honegger (1924/2 et 15, 1928/3).

4. Voir introduction du vol. 1, “L’esthétique d’indyste : l’art expressif”.

5. Voir François Anselmini et Rémi Jacobs, Alfred Cortot, Paris : Fayard, 2018, p. 231‑233.

6. Voir Auguste Mangeot, “Souvenirs”, Le Monde musical, 31 décembre 1931, p. 365.

7. Voir Mercure de France, 1er octobre 1920, p. 283.

renaissent de leurs cendres (1920/7). En marge de la Société nationale de musique et de la Société musicale indépendante, dont la rivalité a marqué l’avant‑guerre, une nouvelle génération de musiciens fait par‑ ler d’elle. Réunis autour du poète Jean Cocteau, ces Nouveaux Jeunes prennent bientôt le nom de Groupe des Six1. On entend notamment leurs œuvres au théâtre des Champs‑Élysées, haut‑lieu de l’avant‑garde, qui rouvre ses portes en 1920, accueillant les Ballets suédois de Rolf de Maré, les Ballets russes de Serge de Diaghilev, les concerts salades de Jean Wiener (voir 1924/2), les concerts des “bruiteurs futuristes italiens2”, etc.

L’époque est à l’audace et à la provocation, à la contestation des valeurs établies, au dadaïsme et au surréalisme, au Bœuf sur le toit et aux Mariés de la tour Eiffel. Dès 1918, dans Le Coq et l’Arlequin, Cocteau a appelé de ses vœux une nouvelle esthétique musicale. Certes, d’Indy pourrait souscrire à son rejet de l’éclectisme, des influences allemandes et russes, du flou et de l’impressionnisme debussyste, mais il ne saurait être question pour lui de renier les maîtres germaniques, dont il a rappelé durant la guerre les qualités “latines”. Il ne peut davantage admettre les modèles prônés par le poète : music‑hall, café‑concert, cirque, jazz. “Vivre avec son siècle” (1920/23) ne signifie pas dans son esprit adopter ces rythmes et mélodies “vulgaires” ni imiter les bruits de l’ère industrielle, comme le font certains jeunes3, encore moins intégrer à l’orchestre des sonorités mécaniques, comme Cocteau l’a tenté dans le ballet Parade sur une musique d’Erik Satie, dont la création par les Ballets russes a fait scandale en 1917.

Désigné par Cocteau comme prophète de la nouvelle musique, Satie continue paradoxalement à voir en son ancien maître “le véritable chef de l’École musicale française contemporaine4”. Bien que son influence décline, d’Indy reste en effet une personnalité de premier plan de la scène

1. Henri Collet, “Un livre de Rimsky et un livre de Cocteau. Les Cinq Russes, les Six Français et Erik Satie”, Comœdia, 16 janvier 1920, p. 2.

2. Pour la critique par d’Indy des Italiens modernes, voir 1921/19, 1921/23, 1922/2, 1922/8.

3. Voir 1921/23, 1925/5‑6, 1928/1.

4. “Quel est le plus grand musicien français ?”, La Liberté, 31 décembre 1921, p. 2. Le grand vainqueur de cette consultation est, de loin, Gabriel Fauré

musicale française. Comme enseignant, il est en contact permanent avec la jeune génération. Avant ou pendant la guerre, n’a t il d’ailleurs pas eu pour élèves plusieurs des représentants les plus marquants de l’avant‑garde : Edgar Varèse (1928/2), Satie, Roland Manuel et trois des Six : Georges Auric à la Schola, Darius Milhaud et Arthur Honegger au Conservatoire ? S’ils sont loin de se réclamer du d’indysme, c’est moins en s’opposant à lui qu’à Claude Debussy (mort en 1918) et à Maurice Ravel, figures de la modernité avant guerre, que ces jeunes gens s’affirment tout d’abord. D’Indy, pour sa part, ne les épargne pas.

Du fait qu’il nomme rarement ses cibles, il est souvent difficile de savoir précisément quels musiciens il vise1 (voir 1925/6). Rejoignant celles qu’il exprimait déjà auparavant, ses critiques, disséminées dans de nombreux textes2, restent d’ailleurs d’ordre général3 et évoluent peu : hâte, ignorance, vulgarité, abolition de la mélodie et de la tonalité (ato nalité, polytonalité), manque de métier, tendance à improviser, à faire “petit”, à produire du “bruit” et de la “laideur”, etc. Ces reproches sont les mêmes qu’il décerne à celui dont il pense que les jeunes Français sont les disciples : le compositeur autrichien Arnold Schönberg, qu’il accuse nommément à maintes reprises4. Il ne peut toutefois que constater, en privé, des tendances similaires chez ses propres élèves.

D’Indy déplore que les musiciens de la jeune génération cherchent à faire de la musique “contre quelqu’un5” au lieu de s’inscrire dans la tradition, et à agir sur les sens plutôt qu’à toucher le cœur. Il voit dans

1. Dans sa correspondance, les plus cités sont Auric, Honegger et Milhaud.

2. Voir aussi RW, chap.  xi “Modernisme”, p. 87‑90.

3. Son neveu et ancien élève Guy de Lioncourt, professeur de contrepoint et secré ‑ taire général de la Schola, se montre souvent plus explicite dans ses articles. Voir notamment, dans Les Tablettes de la Schola  : “Les Idées de M. Camille Saint Saëns” (juillet 1919), “Du Nouveau !” (octobre novembre 1919), “Pour quelques égarés” (novembre 1920), “Le « Mouvement musical contemporain en Europe »” (avril 1922), “La Décadence des Ballets Russes” (juillet 1922), “Polytonie et atonie” (janvier 1924), etc.

4. Tant dans ses écrits publics que privés, il qualifie Schönberg de musicien allemand, sans jamais faire allusion à ses origines juives (alors qu’il le fait pour Milhaud). À plusieurs reprises, dans sa correspondance, il le désigne par erreur sous le nom de Schönfeld.

5. Voir 1921/9 et 1922/5.

cette attitude un nouvel avatar de la lutte de la sensation contre l’expres sion1. Il pointe aussi le snobisme du public qui les encourage dans leur recherche effrénée de nouveauté, et attribue leur succès à leur propre propagande journalistique2 et à celle d’une “critique dévoyée” (1925/6, 1931/12). Il n’est pas le seul à émettre des réserves sur ces “nouveaux jeunes” : Gabriel Fauré3 et André Messager4 en font autant, et Ravel lui‑ même, qui ironise sur leur cadence de production5. C’est aussi le cas de critiques, parmi lesquels Émile Vuillermoz, vieil ennemi de d’Indy, très hostile au “petit troupeau hétéroclite et bariolé d’étudiants en musique qui hante la bergerie Cocteau6”.

Garder l’espérance

Loin d’être ébranlé par ce vent d’“ultra modernisme”, d’Indy continue inlassablement à défendre, par la parole et le concert, les musiciens de la tradition “expressive” : Monteverdi, Bach, Rameau, Beethoven, Wagner, Franck, les franckistes et leurs amis. En 1923, dans une conférence sur “L’évolution de la musique française moderne” (1923/8), il leur adjoint Debussy et Ravel ainsi que plusieurs de ses élèves, dont Déodat de Séverac, Albert Roussel, Paul Le Flem et même Erik Satie. Il ne cite en revanche aucun jeune moderniste. Estimant qu’ils n’ont encore produit aucune œuvre durable, il ne saurait les intégrer à la “marche traditionnelle et progressive” de l’art musical.

1. Voir 1912/14, 1923/8, 1924/1, 1925/5‑6.

2. Voir 1921/19 et 1922/20. La plupart de ces jeunes musiciens sont également critiques : Auric aux Nouvelles littéraires puis aux Annales politiques et littéraires et à Gringoire, Milhaud au Courrier musical, Roland Manuel à L’Éclair, etc. Sur le rôle de la critique dans la réception des Six, voir Barbara Kelly, Music and Ultra-Modernism in France: A Fragile Consensus, 1913-1939, Woodbridge : The Boydell Press, 2013, p. 67‑94.

3. Voir Robert Dézarnaux, “Les deux routes vers la renommée”, La Liberté, 28 février 1923, p. 1.

4. Voir Marguerite de Saint‑Marceaux, Journal. 1894-1927, édité sous la direction de Myriam Chimènes, Paris : Fayard, 2007, p. 1254 note 2.

5. Voir lettres de Ravel à Ida Godebska, Saint Cloud, 2 septembre 1919 et à M. D.  Calvocoressi, Montfort‑l’Amaury, 24 mars 1922, reprises dans Maurice Ravel, L’Intégrale. Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens, édition établie, présentée et annotée par Manuel Cornejo, Paris : Le Passeur, 2018, p. 650 et 799.

6. Émile Vuillermoz, “Concerts Jean Wiener”, Excelsior, 8 janvier 1923, p. 4.

Il ne désespère pourtant pas de l’avenir : “peut être qu’un ou deux d’entre eux, voire trois, deviendront de grands musiciens, mais ils doivent d’abord travailler”, déclare‑t‑il (1921/19). Il sait relever chez Prokofiev, Honegger ou Wiener des éléments prometteurs. Il lui arrive aussi d’émettre des opinions moins tranchées sur le jazz (1926/7, 1928/1) ou la polytonalité (1930/3), et même d’employer – parcimonieusement – certains procédés “nouveaux” dans ses propres compositions. Comme autrefois dans ses lettres à Guillaume Lekeu (1923/16‑21), il exhorte surtout la jeune génération à l’étude.

Le cas de Francis Poulenc n’est pas pour lui donner tort. Dès 1921, après avoir songé – par défaut – à se présenter à la Schola1, l’auteur des Cocardes s’adresse à Charles Koechlin sur un ton d’humilité qui n’est peut‑être pas totalement feint :

Les circonstances […] m’ont empêché jusqu’ici tout travail suivi. J’ai donc obéi plus à l’instinct qu’à l’intelligence. J’en ai dès maintenant assez et désire me mettre fort sérieusement entre vos mains. J’espère que vous accepterez un élève aussi autodidacte que moi et que mon ignorance ne vous rebutera pas. Je voudrais grâce à vous devenir un musicien2 .

Dès 1922, il répudie “fausses notes”, “polytonie” et “atonalité3”. Son évolution n’échappe pas au milieu scholiste. Quelques années plus tard, Les Tablettes de la Schola observent, en conclusion d’une critique de son Concert champêtre pour clavecin et orchestre (1928) : “Dans l’ensemble, on constate un sérieux progrès chez l’auteur, qui montre un tempérament certain4.” À la fin de sa vie, Honegger reconnaîtra lui‑même : “Chez moi comme chez mes camarades, ce sont les partitions les plus « up to date5 » qui portent davantage de rides. Certaines facéties, admissibles en 1920, font sinistre figure en 19516.”

1. Voir lettre de Francis Poulenc à Ricardo Viñes, Nogent sur Marne, 26 septembre [1917], reprise dans Francis Poulenc, Correspondance, 1910-1963, réunie, choisie, présentée et annotée par Myriam Chimènes, Paris : Fayard, 1994, p. 55.

2. Lettre de Poulenc à Charles Koechlin, Melun, [septembre 1921] (même référence, p. 136).

3. Lettre de Poulenc à Paul Collaer, [Nogent sur Marne, 7 juillet 1922] (même réfé rence, p. 162‑163).

4. L. C., “L’Édition musicale”, Les Tablettes de la Schola, novembre 1929, p. 10.

5. À la mode, à la page.

6. Arthur Honegger, Je suis compositeur (1951), repris dans Écrits, textes réunis et annotés par Huguette Calmel, Paris : Champion, 1992, p. 698.

Très critique de la création musicale des années 1920, d’Indy constate sans doute aussi avec tristesse la désaffection progressive de la jeunesse pour son enseignement, notamment à partir de 19251. Il reste pourtant convaincu qu’un “génie” viendra tôt ou tard remettre la musique sur la bonne voie2, conformément à sa vision cyclique de l’histoire de l’art. Il espère un temps qu’Arthur Honegger, pour lequel il éprouve une réelle sympathie, puisse endosser ce rôle (1925/15‑16), mais son espoir semble avoir été déçu. Parmi les musiciens français du xxe siècle, Olivier Messiaen, pédagogue et compositeur, pourrait être considéré comme l’un de ceux qui ont recueilli et fait perdurer une part au moins de son héritage, même s’il n’a pas été son élève. Assistant à ses débuts, en tant que juré des concours de composition du Conservatoire, d’Indy perçoit en ce tout jeune homme “une nature de musicien” et le juge “tout à fait en dehors des autres, per‑ sonnel et convaincu3”. En 1930, Les Tablettes de la Schola introduisent en ces termes une critique bienveillante des Trois Mélodies, des Huit Préludes pour piano et du Diptyque pour orgue de ce “musicien très intéressant” :

Parmi les jeunes, décidément, commence à revivre une tendance marquée à faire de la musique musicale (nos oreilles ont appris à leurs dépens que ce n’est pas un pléonasme), tendance qui semblait abandonnée il y a quelques années. Avec quel plaisir nous saluons l’aube de temps meilleurs, et avec quelle sympathie nous suivrons l’évolution de ces “espoirs” qui nous réconcilient avec l’avenir4 !

1. Voir Guy de Lioncourt, Un témoignage sur la musique et sur la vie au xxe siècle, Paris : L’Arche de Noé, 1956, p. 126.

2. Voir notamment 1921/23, 1923/8 et 13, 1925/5‑6 et 15‑16, 1928/2, 5 et 15, 1929/5 et 1931/12.

3. Notes autographes sur deux documents à en tête du Conservatoire National de Musique et de Déclamation : “Examens semestriels/Composition/Séance du 25 janvier 1929”, “Concours de 1930/Séance du 23 juin/Composition musicale” (archives d’Indy [dossier Concours et examens du Conservatoire). Au Conservatoire, Messiaen obtient un 2e accessit en 1928, un 2e prix en 1929 et un 1er prix de composition en 1930 (Bongrain, Le Conservatoire national de musique et de déclamation, p. 552).

4. “L’Édition musicale”, Les Tablettes de la Schola, novembre 1930, p. 8. Tout au long des années 1920, cette rubrique des Tablettes, longtemps signée G. L. (Guy de Lioncourt), donne des appréciations, parfois ironiques, mais toujours nuancées, sur

Ces lignes ne sont vraisemblablement pas de d’Indy. Elles n’en sont pas moins une parfaite traduction de cette foi en l’avenir qui ne l’aban donna jamais.

Contre la “machination” de la musique

Favorable au “progrès”, d’Indy a toujours montré un vif intérêt pour les innovations de la facture instrumentale 1, mais les années 1920 voient aussi l’essor du cinéma, de la TSF, du phonographe, des pianos méca niques et autres “instruments automatiques”. Certaines de ses œuvres sont jouées en accompagnement de films muets (La Roue d’Abel Gance). Il a l’occasion de participer à des concerts radiodiffusés, d’enregistrer quelques pièces au piano à New York en 1921, à Londres en 1923. La même année, il supervise à Paris l’enregistrement de son Quatuor à cordes no 2 par le Quatuor Barbillion (Gramophone), et en 1930 dirige son Camp de Wallenstein pour les disques Pathé. Il est néanmoins très réticent, contrairement à ses cadets, vis‑à‑vis de ce qu’on appelle alors la “musique mécanique 2”. Irréductiblement attaché à ce que Walter Benjamin appelle la “valeur cultuelle” de l’œuvre d’art 3, il l’est plus encore à sa valeur émotive, raison pour laquelle il s’investit tant dans sa diffusion – son “exposition4” – auprès du public. Cependant, il est convaincu de la nécessité d’une communication directe, “d’âme à âme”, entre interprète(s) et auditeurs, dans le cas d’une œuvre musicale – com‑ munication que la reproduction mécanique est selon lui impuissante à remplacer (1927/12). Au delà des quelques formules d’hostilité lapidaires qu’on lui a souvent reprochées, il a l’occasion d’argumenter, voire de nuancer sa position sur la musique mécanique et la radiophonie dans la presse 5. Quant à son affirmation selon laquelle le cinéma n’aurait “rien à voir avec l’art” (1919/5), il n’est pas inutile de rappeler qu’à la la production contemporaine. Si d’Indy ne suit apparemment pas de près celle ci, le rédacteur de la rubrique se tient très informé. Parmi les jeunes musiciens dont le travail est salué figurent aussi Joaquín Rodrigo et Maurice Duruflé

1. Voir dans ce volume 1922/9, 1924/10, 1925/7, 1929/5.

2. Voir Le Courrier musical, 15 avril 1927, “numéro consacré à la musique mécanique”.

3. En témoignent son expression récurrente “culte de la beauté” ou “culte de l’art” et sa conception religieuse de l’art (voir introduction du volume 1, “La cathédrale”).

4. Voir Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1939).

5. 1924/12, 1925/7, 1927/12, 1928/1, 1929/5, 1930/10.

même époque Abel Gance déclare : “Je ne crois pas que le cinéma soit un art1” et que Marcel L’Herbier oppose, non sans provocation, l’art et le cinématographe2.

Henri Etlin, “M. Vincent d’Indy”, Le Ménestrel, 1er décembre 1922, p. 483. © Palazzetto Bru Zane

1. André Lang, “La confession d’Abel Gance”, La Revue hebdomadaire, 23 juin 1923, p. 479. Gance ajoute : “Il porte en soi ce qui lui permettra peut être de le devenir, mais à l’heure actuelle, non, il est impossible encore de parler d’art.”

2. “Le Cinématographe contre l’Art. Ciné conférence donnée par Marcel L’Herbier à Paris, au Collège de France, le 7 juin 1923”, Mille huit cent quatre-vingt-quinze 93 (2021), p. 151‑169.

Collaborations à des revues

Multipliant les concerts, d’Indy accroît également son activité de plume, à des fins militantes autant qu’alimentaires, sans être toutefois en mesure de satisfaire à toutes les demandes. S’il ne tient pas de chronique régulière, il signe quelques importants articles esthétiques ou historiques, payés de 100 à 600 francs selon les cas.

En 1922, lorsque Gabriel Alphaud, nouveau directeur du quotidien artistique Comœdia, lui propose une collaboration, par l’intermédiaire de son ancien élève Paul Le Flem, critique musical du journal, il accepte aussitôt, non sans poser ses conditions :

J’ai déjà été collaborateur de Comœdia… il y a quelque dix ou quinze ans et, … ça m’a valu un duel avec Jules Bois1 !…

Je n’ai cependant aucune superstition, et, malgré ce début, peu encourageant, je veux bien figurer au nombre des collaborateurs de cette “Comœdia” moderne, mais seulement dans les conditions que vous me présentez, car un article par semaine me serait impossible, vu mes occupations, et je ne pourrais en aucun cas m’engager à cela. Mais je pourrais très bien aussi souvent que possible, fournir un travail, tantôt long, tantôt court, quand il y aurait des sujets vraiment importants à traiter.

Vous, vous feriez le reste et je suis certain que nous pourrions ainsi faire de bonne besogne (C’était ainsi que je collaborais, conjointement avec Sérieyx, à la S. I. M.2)

Mais, je voudrais que M. Alphaud m’assurât de 2 choses : 1o Ma collaboration ne sera pas périodique. 2o J’aurai liberté complète de dire tout ce que je pense, dussé je m’attirer des affaires avec des Jules Bois à venir !

Une fois ces assurances données, je vous prierais de demander à M. Alphaud de me communiquer les conditions pécuniaires de la collaboration, car j’ai trop peu de temps à disposer pour pouvoir le donner sans une sérieuse compensation3.

1. Voir vol. 2.

2. Voir introduction du vol. 2, “Collaborations à la Revue musicale S. I. M. et Comœdia”.

3. Lettre à Paul Le Flem, Ascain, 3 août 1922 (F‑Pbmgf [fonds Paul Le Flem).

ÉcRiTs dE ViNcENT d’iNdy

Il débute dans les colonnes de Comœdia par un long article en feuil leton sur l’enseignement musical populaire (1922‑1923). Jusqu’en 1928, suivront quatre autres textes qui figurent parmi les plus polémiques de cette période1. Il répond en outre à deux entretiens et à de nombreuses enquêtes du journal, dont il semble être un lecteur attentif, réagissant à plusieurs reprises par lettre ouverte à tel ou tel article2.

Collaborateur occasionnel du Courrier musical depuis 1900, d’Indy réserve entre 1922 et 1931 cinq textes importants à ce bimensuel, dont son tout dernier article : “Orientation musicale3”. Il répond aussi à des enquêtes du Courrier qui, comme Comœdia, reproduit certains de ses écrits publiés sur d’autres supports. Réputé collaborateur de bien d’autres pério diques, d’Indy est loin de l’être toujours effectivement. En 1922, il décline, par manque de temps, la proposition que lui fait Heugel (Le Ménestrel) d’un article sur Franck4. En 1921, pour La Revue musicale, il en avait accepté un sur Ernest Chausson, “compt[ant] beaucoup sur [s]on voyage en Amérique pour [s]e donner le temps de l’écrire5”, avant d’y renoncer6. En 1923, il refuse une nouvelle proposition du rédacteur en chef André Cœuroy :

[I]l est impossible, étant donné mes accablantes occupations de cet été, que je puisse m’engager à vous fournir un article sur Wagner. Mais si vous voulez quelques notes sur l’influence wagnérienne en France, je veux bien vous les fournir lorsque vous en aurez besoin7.

1. 1923/12, 1924/1, 1926/1, 1928/13.

2. Voir 1924/2, 1926/6, 1928/3, 1930/1. D’Indy semble également avoir eu l’intention de réagir à une polémique concernant la venue à Paris du chef d’orchestre autrichien Felix Weingartner (voir brouillon inachevé, [mars 1931], archives d’Indy [AC 1709).

3. 1922/5, 1927/2, 1928/5, 1929/3, 1931/12.

4. Lettre à [Jacques Heugel], Paris, 16 novembre 1922, reprise dans Heugel et ses musiciens : lettres à un éditeur parisien, introduction de François Heugel, notes de Danièle Pistone, Paris : Presses universitaires de France, 1984, p. 91.

5. Lettre à André Cœuroy, 11 août 192[1] (F Pn [Nla15/425‑426).

6. Annoncé dès août 1921, l’article n’a jamais paru. Dans son numéro spécial “Ernest Chausson” du 1er décembre 1925, La Revue musicale publie un choix de “Lettres inédites [de Chausson] à Vincent d’Indy” (p. 128‑136).

7. Lettre à André Cœuroy, Agay, 30 juillet 1923 (F‑Pn [Nla 15/132). Voir 1923/13.

En novembre 1927, La Semaine à Paris annonce qu’il a promis de lui communiquer “son opinion sur les grandes manifestations musicales qui se produiront au cours de la saison1” – promesse apparemment restée lettre morte. Au début des années 1920, il livre en revanche deux longs essais sur le chant grégorien à la Revue des jeunes , “organe de pensée catholique et française d’information et d’action” qui publie des textes d’écrivains et intellectuels tels qu’Henri Ghéon, Francis Jammes , Jacques Maritain et François Mauriac (1921/17 et 1922/8). Signalons en outre sa défense de Wagner parue dans L’Éclair (1920/10), deux articles jumeaux sur la musique française pour Paris-Guide et Muzyka , revue musicale polonaise (1925/5‑6), un souvenir d’Ardèche pour L’Illustration économique et financière (1925/21), des souvenirs de ses relations belges pour L’Éventail de Bruxelles (1927/4) et un long récit de son enfance et sa jeunesse pour Les Annales politiques et littéraires (1930/7).

Ouvrages et encyclopédies

Dans ses dernières années, d’Indy accepte la rédaction de deux ouvrages : le bref essai Richard Wagner et son influence sur l’art musical français, promis à l’éditeur Delagrave en 1926 et paru en 1930 en numéro 1 de la collection “Les grands musiciens par les maîtres d’aujourd’hui” dirigée par Henri Collet, ainsi qu’une étude sur Parsifal, commandée en 1927 par Mellottée pour sa collection “Les Chefs d’œuvre de la musique expliqués” dirigée par Paul Landormy, qui reste inachevée à sa mort et ne sera publiée qu’en 1937 sous le titre Introduction à l’étude de Parsifal de Wagner. Il est également mentionné comme coauteur du volume commémoratif La Schola Cantorum en 1925, bien qu’il n’en signe que la préface (1927/9).

Après une seconde édition “revue et corrigée en 1918” du deuxième volume de son Cours de composition musicale, le travail sur le troisième volume reprend par à‑coups du fait de l’éloignement de son collabora‑ teur Auguste Sérieyx, qui réside désormais en Suisse. Les deux hommes se revoient une dernière fois au cours de l’été 1931, mais l’ouvrage ne paraîtra qu’après la mort de d’Indy, en 1933. C’est son ami et ancien élève

1. La Semaine à Paris, 25 novembre 1927, p. 4.

Guy de Lioncourt qui se charge d’éditer le dernier livre. Achevé en 1937, celui ci ne paraît qu’en 1951, pour le centenaire du musicien1.

Deux importants ouvrages encyclopédiques publiés dans les années 1920 offrent des contributions de d’Indy. En 1904, le directeur de la Schola s’est engagé à livrer deux articles pour l’Encyclopédie de la Musique et dictionnaire du Conservatoire, fondée par son ancien professeur Albert Lavignac : l’un, “fait par lui seul sur la Schola Cantorum”, et l’autre, “en collaboration avec Monsieur Sérieyx sur La Fugue2”. Sérieyx se charge finalement seul du texte sur la fugue3, tandis que celui sur la Schola, écrit dès 1904 et complété en 1929, ne paraît que peu de temps avant sa mort (1931/8).

Sollicité en 1924 par le mécène et mélomane britannique Walter Willson Cobbett, d’Indy se voit confier la rédaction de sept articles4 de son dictionnaire encyclopédique de la musique de chambre (Cobbett’s Cyclopedic Survey of Chamber Music)5. Il l’annonce non sans fierté à Adolphe Boschot :

J’ai été chargé des articles sur Franck (naturellement !) Castillon, Chausson, Ropartz. Mais voici ce qui est plus étonnant. De nombreux compétiteurs,

1. Voir Lioncourt, Un témoignage sur la musique et sur la vie au xxe siècle, p. 206‑207.

2. Contrat daté du 29 mars 1904 (archives d’Indy [AV 132).

3. Voir lettre à Sérieyx, Paris, 3 [décembre] 1922 (Bibliothèque cantonale et universi taire de Lausanne [fonds Auguste Sérieyx, FAS 270) et Auguste Sérieyx, “La Fugue”, Encyclopédie de la Musique et dictionnaire du Conservatoire, sous la direction d’Albert Lavignac et Lionel de La Laurencie, Paris : Delagrave, deuxième partie, vol. 5, 1930, p. 2751‑2756.

4. Ludwig van Beethoven, Charles Bordes, Pierre de Bréville, Alexis de Castillon, Ernest Chausson, César Franck et Guy Ropartz.

5. Cobbett’s Cyclopedic Survey of Chamber Music, compiled and edited by Walter Willson Cobbett, with a preface by W. H. Hadow, London : Humphrey Milford, Oxford University Press, vol. 1, 1929 (p. 81‑106, 146‑147, 187, 232‑235, 266‑270, 418‑429) et vol. 2, 1930 (p. 301‑303). Édition française : W. W. Cobbett, Dictionnaire encyclopédique de la musique de chambre, Université d’Oxford, complété sous la direction de Colin Mason, traduit de l’anglais par Marie Stella Pâris, édition française revue et augmentée par Alain Pâris, Paris : Laffont, 1999, 2 vol. Ms. : F‑Pn [Rés. F. 1588 (16) [Beethoven], (30) [Bordes, brouillon] et (31) [Castillon, brouillon]. Extraits du texte original sur Beethoven cités en anglais dans “Vincent d’Indy on Beethoven. An Unpublished Essay”, The Times (London), 7 février 1925, p. 8.

tous boches , avaient écrit au Comité de ce Dictionnaire, pour briguer l’article Beethoven, or, chose curieuse pour des Anglais, voilà qu’après de longues discussions, ledit Comité vient de décréter que ce convoité article Beethoven me serait confié, à moi, un Français ! Il paraît que mon Cours de Composition leur a prouvé que j’étais digne de cette tâche… […] l’on commence à comprendre en Angleterre que les Allemands ne sont pas les seuls à pouvoir comprendre et apprécier la musique de leurs grands hommes1 […].

Étant donné l’ampleur de sa contribution à cet ouvrage aujourd’hui facilement accessible, celle ci n’est pas reprise dans le présent volume.

Préfaces

Jouissant d’une grande autorité à la fin de sa vie, “le maître d’Indy” est assailli de demandes de rédaction de préfaces ou d’“avertissements” des tinés aux publications les plus diverses : ouvrage britannique sur l’école française d’orgue (1919/9), manuels de solfège, d’écriture ou de culture musicale, chansons enfantines, recueils de pièces de piano, méthodes de piano, de violon, de hautbois, de lecture à vue, etc.

Certaines de ces préfaces, particulièrement substantielles ou signifi catives, doivent être mises à part : l’une précède son propre recueil de pièces de piano Pour les enfants de tout âge (1920/23), deux traitent de questions liturgiques qui lui tiennent à cœur (1921/7‑8) et sept autres accompagnent des éditions d’œuvres de Bach (1920/26, 1926/17), Couperin (1921/1), Haydn (1921/2), Franck (1922/18‑19) et Monteverdi (1926/12). Ces dernières reflètent par leur démarche l’influence croissante de la musicologie, qui s’institutionnalise en France. Fondée en 1917, la Société française de musicologie admet d’ailleurs d’Indy comme membre actif en 19212, ce qui ne l’empêche pas de continuer à fustiger musicographes et musicologues.

1. Lettre à Adolphe Boschot, Paris, 4 mai 1924 (catalogue de vente, Les Autographes, Thierry Bodin, novembre 1992, F Po [Dossier d’artiste d’Indy). L’article Beethoven, traduit par M. Drake Brockman, est complété par W. W. Cobbett.

2. Voir Bulletin de la Société française de musicologie 2/8 (mars 1921), p. 99.

Lettres

Les nombreuses lettres de d’Indy reproduites dans la presse sont de nature très variée : remerciements à des interprètes, adhésion ou soutien à des congrès ou revues de musique liturgique (1920/1‑2, 1928/4), à la Schola de Nîmes (1921/15), approbations, éloges ou félicitations à diverses per sonnalités ou initiatives, parfois à des fins publicitaires – notamment à l’intention d’anciennes élèves.

Plus significatives sont celles qu’il écrit en réaction à des articles parus dans Christian Science Monitor (1922/1), Comœdia, la Nouvelle revue musicale de Lyon (1923/4) ou la Revue Pleyel (1924/15), ainsi que celle qu’il rédige à la demande de la mécène australienne Louise Dyer sur la musique française moderne (1925/2).

Certains autres courriers, de nature privée, sont publiés par leurs desti‑ nataires afin d’étayer leurs propos (1922/20, 1931/4‑5). D’autres sont cités par des biographes comme témoignages sur des compositeurs disparus : Augusta Holmès (1920/11), Guillaume Lekeu (1923/16‑21) et Georges Bizet (1926/8).

Réponses à enquêtes

Les réponses à enquêtes, consultations et autres “référendums” sont le genre le mieux représenté dans ce troisième volume : une cinquan taine de textes, parfois très brefs, généralement communiqués par écrit. Jean Bernard1 qui s’adresse à lui à plusieurs reprises2 témoigne : “Pour les journalistes, Vincent d’Indy était la complaisance même. On avait beau l’interroger par lettre, de vive voix, il répondait toujours, ne se lassait jamais3.”

Le musicien est souvent interrogé sur ses “travaux d’été” ou ses projets pour la saison à venir4. Les thèmes les plus fréquents sont Wagner, le théâtre lyrique et les questions de pédagogie. D’autres sont plus inatten‑ dus, ou lui permettent de s’exprimer sur des sujets qu’il aborde rarement

1. Pseudonyme de Jean Bernard Passerieu (1858‑1936), avocat, homme de lettres, journaliste et conférencier.

2. Voir 1895/10, 1898/2 et 1925/17.

3. Jean Bernard, “Vincent d’Indy”, Le Soir (Bruxelles), 7 décembre 1931, p. 3.

4. Les réponses simplement résumées par le journal ont été exclues. Voir, par exemple, “Nos compositeurs en vacances”, Le Courrier musical, 1er octobre 1926, p. 439.

de lui même : le cinéma, la musique mécanique, le jazz, les questions sociales, etc. Aucun de ces textes n’est négligeable : d’apparence anodine, l’un d’eux occasionne un échange épistolaire resté privé avec le musicologue autrichien Guido Adler (1923/11).

À titre de curiosité, on mentionnera les deux ultimes questionnaires reçus par d’Indy à l’automne 1931. Le premier, sur la “célébrité”, est envoyé à diverses personnalités sans autre adresse que “Paris”, afin de mesurer le temps mis par la lettre pour atteindre son destinataire. D’Indy y répond laconiquement (“Ai reçu le 20 novembre1”). Quelques jours avant sa mort, il est encore sollicité dans le cadre d’une enquête sur la musique mécanique à laquelle il ne semble pas avoir eu le temps de répondre2. Quant à sa contribution à un Livre d’or de la paix publié en 1932, elle est des plus lapidaires (“Si vis pacem, para bellum3”).

Signalons enfin ses réponses à trois enquêtes restées inédites du journa liste et collectionneur Henri Corbière. À celui ci, il livre en avril 1927 sa “maxime de vie” (“Aimer l’Art et pratiquer la Charité”) et, en août 1928, sa réponse à un questionnaire dont le manuscrit est reproduit ci contre. On y ajoutera sa réponse (non datée), à cette troisième enquête :

Après votre Patrie, quelle Nation préférez-vous ou, pour mieux dire, quelle est votre seconde Patrie ?

S’il s’agit de patriotisme, ma patrie me suffit.

S’il s’agit d’Art, j’aimerais joindre l’Italie à la France.

Quelles sont les raisons de votre choix ?

Il n’y a qu’en Italie et en France où l’on puisse vivre dans une atmosphère d’art et respirer librement4.

1. “Le criterium de la célébrité vient d’être établi par les P. T. T.”, L’Ami du peuple, 27 novembre 1931, éd. du soir, p. 1 et 3.

2. Voir lettre de Pierre Daniel Templier à d’Indy, 18 novembre [1931] (archives d’Indy) et “Ce qu’ils pensent de la musique mécanique”, opinions recueillies par P. D. Templier, Figaro illustré, février 1932, p. 83‑85.

3. “Si tu veux la paix, prépare la guerre” ( Pax mundi : livre d’or de la paix , enquête  universelle de la Ligue mondiale pour la paix […], Genève : Paxunis, 1932, p. 113).

4. Manuscrit passé en vente sur ebay en 2019.

Réponse manuscrite de Vincent d’Indy à une enquête d’Henri Corbière © collection particulière

Discours et conférences

Au lendemain de la guerre, les prises de parole publiques de d’Indy sont plus fréquentes que jamais. On trouvera la liste des plus importantes d’entre elles en fin de volume.

Ses principaux discours sont prononcés à l’occasion de l’inauguration de monuments ou de plaques honorant la mémoire de musiciens disparus : Alexandre Guilmant (1921/9), César Franck (1922/16), Édouard Colonne (1927/10), ou lors des obsèques de Gabriel Fauré (1924/17). Au nombre des allocutions informelles, on lira ici sa réponse, citée dans la presse, au discours de bienvenue du maire de New York (1921/18) ainsi qu’un bref discours à des enfants des écoles de la Ville de Paris, dont le manuscrit autographe et le contenu indiquent qu’il a dû être improvisé en public et rédigé a posteriori en vue de l’édition (1930/5).

L’activité de d’Indy conférencier est très soutenue dans cette der nière période. Soit qu’elles introduisent un concert, soit qu’elles soient illustrées ou prononcées en alternance avec des exemples au piano ou des auditions d’œuvres, ces prestations orales sont généralement accompagnées de musique. Ses sujets de prédilection sont la musique religieuse, la musique française moderne, César Franck (dont on fête le centenaire en 1922) et Beethoven (dont on célèbre le centenaire de la mort en 1927). Un certain nombre font, comme autrefois, l’objet de publications, quelques ‑ unes – fait nouveau – sous forme de sténo ‑ graphies 1 .

Parmi les plus prestigieuses de ses conférences, citons celles données aux Concerts Pasdeloup en 1920, à la Sorbonne et à la Société française de musicologie en 1922, ou à l’étranger – toujours en français : lors de sa tour‑ née américaine (Harvard, Montréal, Chicago, New York) en 1921‑1922, à l’Institut français du Royaume‑Uni et aux universités de Bucarest et de Riga en 1923, au conservatoire de Prague en 1925 et à l’Académie royale de Belgique en 1927. D’Indy prend aussi volontiers la parole, notamment à Paris ou dans sa proche banlieue, devant des publics populaires comme ceux de l’Université populaire de Saint‑Denis, du “Chantier” de la rue de Bercy et du “Foyer féminin” de la rue de Ponthieu où il se produit également en concert dans les années 1920.

1. 1921/24, 1925/8 et 20.

En région, ses conférences ont ordinairement lieu en marge d’un concert qu’il dirige ou auquel il participe. Certaines témoignent de ses relations privilégiées avec tel ou tel centre provincial. À Lyon, où il a de multiples relations, on le retrouve aux “Petits Concerts” de Léon Vallas et à l’Univer sité des Heures, aux destinées de laquelle préside Irma Grignon Faintrenie1. Il se rend plusieurs fois à Étampes, à l’appel d’un sous‑préfet “intelligent et actif”. Ce compte rendu de sa première conférence, avec le concours de musiciens de la Schola, donne une idée de l’atmosphère bon enfant qui règne dans ce type de manifestations :

La causerie fut des plus instructives, et une audition l’accompagna, dans laquelle on entendit, outre des chansons, des madrigaux, des pièces de chant, de piano, voire même la Symphonie sur un thème montagnard, réduite pour six mains. MM. d’Indy, de Serres, G. de Lioncourt, Mlles G. Rogué et Paule Piédelièvre, sans oublier un chœur trié sur le volet, se distinguèrent dans des œuvres de tous les temps, émanant du sentiment populaire (Janequin, Lassus, Couperin, Rameau, Grétry, Franck, d’Indy, Duparc, de  Bréville, Debussy, G. de Lioncourt). Le voyage fut, comme bien on pense, totalement exempt de mélancolie, et les employés de la gare d’Étampes profitèrent avec stupeur, sur le coup de vingt trois heures, d’une seconde audition tout à fait improvisée, de La Bataille de Marignan2 .

D’Indy est aussi régulièrement invité à Nantes, où une Schola a été fondée vers 1914, et surtout à Moulins où il vient une à deux fois par an, entre 1922 et 1931, diriger un concert souvent précédé d’une causerie, à la demande d’Albert Sarrazin, notaire mélomane et fondateur en 1921 de la Société des Amis de la Musique3.

1. Sur l’Université des Heures, fondée en 1917 par Irma Grignon Faintrenie, voir Michel Loude, Les Très Riches Heures de Madame Grignon-Faintrenie, “prêtresse d’avant-garde dans une ville de tradition”, Lyon : Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2002 (un témoignage de d’Indy sur les Heures est cité p. 183).

2. Les Tablettes de la Schola, juillet 1922, p. 113 (voir aussi Lioncourt, Un témoignage, p. 111).

3. Voir Albert Sarrazin, “Le passage d’un Maître”, Les Cahiers bourbonnais (Moulins) 2/5 (1er trimestre 1958), p. 174‑176 et lettres de d’Indy à Sarrazin, F Pn [fonds Berthier de Lioncourt, Nla 458.

Discours de Vincent d’Indy à l’occasion de la pose d’une plaque sur la maison de César Franck, 19 décembre 1922. Agence Rol. © Bibliothèque nationale de France

Cette activité se révèle lucrative, la plupart de ses prestations étant rémuné‑ rées. S’il ne reçoit que cent francs pour sa conférence aux Concerts Pasdeloup en 1920, celle ci lui est “achetée” cinq cents francs par l’éditeur Heugel1 qui la publie dans Le Ménestrel et sous forme de brochure. En mai 1921, sa tour née de conférences‑concerts en Belgique lui rapporte 2 500 francs. En 1927, il déclare que son “cachet ordinaire” est de 500 fr, mais il sait se montrer arrangeant : “Si la directrice trouvait cela excessif, je m’arrangerais avec 400 fr – en demandant de ne pas le dire… à cause de mon « manager 2 »”, écrit‑il.

En 1927, il s’associe en effet à l’impresario Paul Boquel, qui lui organise des tournées de conférences‑concerts sur “La vie de Beethoven à travers ses sonates de piano”. Chacune de ces séances lui est payée 1 100 fr, ce

1. Voir lettre à Jean Aubry, 30 mai 1920 (AD07 [1 J 675) et agenda 1920.

2. Lettre à Albert Sarrazin, 28 février 1927 (Ma Vie, p. 822).

qui correspond aux mille francs, accompagnés d’un défraiement pour le transport, qu’il demande en 1923 pour un concert où il se produit comme pianiste1. Ses tournées de 1927‑1928 le conduisent aux quatre coins de la France et en Suisse. Rentables, elles sont néanmoins harassantes – et parfois critiquées dans la presse locale. En décembre 1927, il confie à Guy de Lioncourt :

Très fatigué par ma tournée de Conférences où il fallait prendre des trains avant 6 h du matin, et surtout par cette subite vague de froid qui m’a surpris à Marseille (le vendredi 16 à midi +14 au dessus, et à 8 h du soir –10 au-dessous)… j’ai été obligé de passer une journée au lit pour me remettre d’aplomb2.

Comme au temps de la publication de son Beethoven en 1911, il profite de l’occasion pour attaquer les musicographes, au premier rang desquels Romain Rolland, qui en prend ombrage, parlant même d’une “conférence contre [lui]3”.

Entretiens

Les entretiens accordés à la presse sont innombrables durant cette période. D’Indy est souvent interrogé sur des questions d’actualité ou dans le cadre d’enquêtes ou de séries d’entretiens avec des compositeurs. La plu‑ part du temps, l’entrevue a lieu à Paris, parfois lors de déplacements, en villégiature (1922/11) ou à l’étranger, en particulier lors de sa tournée américaine. La seconde des deux interviews4 qu’il accorde à Pierre Mau‑ dru dans Comœdia déclenche une brève mais retentissante polémique avec Honegger.

Ces textes, dont le contenu doit être interprété avec prudence, n’en constituent pas moins des portraits très vivants du musicien vieillissant.

1. Voir lettre à George Van der Meylen, Paris, 22 mars 1923, reprise dans Malou Haine, 400 lettres de musiciens au Musée royal de Mariemont, Liège : Mardaga, 1995, p. 458.

2. Lettre à Guy de Lioncourt, Agay, 22 décembre 1927 (Ma Vie, p. 825).

3. Lettre de Romain Rolland à Esther Marchand, Villeneuve, 23 décembre 1928, reprise dans Correspondance : Romain Rolland, Esther Marchand, Charles Koechlin, éditée par Germain Louis Viala et Marc Lerique Koechlin, Bordeaux : G. L. Viala, 2006, p. 212. 4. 1925/15, 1928/2.

Plusieurs, s’apparentant davantage à des reportages1, ne sont pas repris dans ce volume. Un entretien à deux voix lors d’une séance de pose chez le sculp teur Antoine Bourdelle2 a également été mis de côté, ainsi qu’un intéressant article d’Henry Bidou, portant notamment sur les volumes encore inédits du Cours de composition, qui contient peu de propos directs du musicien3.

D’Indy à la lumière de ses écrits

Du Second Empire à l’orée des années 1930, Vincent d’Indy aura traversé une des périodes les plus riches et tumultueuses de l’histoire de la musique et l’aura marquée à la fois par ses œuvres et par son action de musicien “militant”. Tout en offrant un éloquent reflet de celle‑ci, ses écrits appa‑ raissent comme l’un des principaux vecteurs de son influence, au même titre que sa parole de pédagogue. En rassemblant chronologiquement et le plus exhaustivement possible ces textes publiés tout au long de sa vie, nous avons voulu permettre au lecteur d’aujourd’hui de dépasser les fantasmes dont cet artiste a fait l’objet, d’appréhender l’homme public sous toutes ses facettes et de prendre connaissance de l’ensemble de ses idées, des mieux connues aux plus ignorées, des plus datées aux plus actuelles, des moins défendables aux plus visionnaires, de les resituer dans leur contexte afin de mieux en comprendre la logique et d’en suivre les évolutions et les perma‑ nences. Il devient ainsi possible de considérer plus objectivement l’apport – fondamental – de Vincent d’Indy aux débats esthétiques de son temps et à la manière dont on a écrit par la suite l’histoire de la musique en France.

Principes d’édition et remerciements

Ce volume obéit aux mêmes principes éditoriaux que les deux précé dents. La quasi‑totalité des écrits de d’Indy publiés de 1919 à sa mort

1. Voir, par exemple, De Pouvreau Baldy, “Vincent d’Indy à Alger”, L’Afrique du Nord illustrée (Alger), 30 décembre 1922, p. 5.

2. “La mode française est elle vraiment menacée ? […] Ce que disent MM. Bourdelle et Vincent d’Indy”, réponse à l’enquête de Germaine Beaumont, Excelsior, 12 mars 1926, p. 6.

3. Henry Bidou, “Une soirée avec M. Vincent d’Indy”, Le Temps, 8 juillet 1931, p. 3.

y sont reproduits, à l’exception de ses ouvrages, de ses contributions au Cobbett’s Cyclopedic Survey of Chamber Music1 et de ses lettres à Octave Maus mises au jour en 1926 2. Nous avons cependant écarté les notices qui accompagnaient la partition de son Quatuor à cordes n o 3 3, l’exécution en concert de sa Symphonie no 3 4 et celle du Diptyque méditerranéen5 , ainsi que plusieurs entretiens hongrois6 et roumains7. Ont également été exclus quelques textes fragmentaires ou trop factuels, comme ses éloges de l’organiste Abel Decaux8 et de la pianiste Sara Sokolsky Freid9, sa contribution à un Livre d’or des musiques militaires déposé au Musée de l’armée10 et des fragments de lettres à Gabriel Pierné11, Émile Buisset12 (échevin de Charleroi) et Frank Parker13 (musicien américain). Dans les jours, mois et années qui suivent la mort de d’Indy, nombre de journaux publient divers textes inédits14. À l’exception de son “Testament artistique”,

1. Voir supra, “Ouvrages et encyclopédies”.

2. Voir Madeleine Octave Maus, Trente années de lutte pour l’art, 1884-1914, Bruxelles : L’Oiseau bleu, 1926. Ces lettres ont été publiées de façon plus complète dans “Lettres de Vincent d’Indy à Octave Maus annotées par Albert Vander Linden”, Revue belge de musicologie XIV (1960), p. 87‑125 et XV (1961), p. 55‑160.

3. IIIe Quatuor en ré ♭, Paris : Heugel, 1930 (“notice explicative” non signée).

4. Des fragments en sont reproduits dans “Concerts Lamoureux”, La France, 16 décembre 1919, p. 3 et Le Ménestrel, 19 décembre 1919, p. 93.

5. Voir lettre datée de Paris, 20 novembre 1926 (mise en vente par la Librairie Blaizot & Pinault en 2023).

6. Voir 1928/6.

7. Al. Bogdan, “Vincent d’Indy vorbește « Presei »”, Presa (Bucarest), 21 octobre 1923, p. 4 ; Aida Vermont, “Vincent d’Indy vorbește « Rampei » despre Beethoven și de pre centenarul de azi”, Rampa (Bucarest), 28 mars 1927, p. 1.

8. “Eastman School Strengthens Faculty”, Musical Courier (New York), 13 septembre 1923, p. 5.

9. Gdal Saleski, Famous Musicians of a Wandering Race: Biographical Sketches of Outstanding Figures of Jewish Origin in the Musical World, New York : Bloch Publishing Company, 1927, p. 391.

10. “Le Livre d’or des musiques militaires”, L’Écho de Paris, 24 décembre 1930, p. 1 et “Les musiques militaires et leur Livre d’Or”, L’Œuvre, 2 août 1931, p. 4.

11. Le Ménestrel, 14 octobre 1921, p. 402.

12. “Le Concert Vincent d’Indy”, Journal de Charleroi, 15 décembre 1919, p. 3.

13. Music News (Chicago), 25 juillet 1924, p. 4.

14. Voir “La grande figure de Vincent d’Indy”, L’Express du Midi (Toulouse), 5 décembre 1931, p. 1 ; René Durbal, “Vincent d’Indy. Notes et derniers souvenirs angevins”, Le Petit Courrier (Angers), 9 décembre 1931, p. 3 ; “Une lettre de Vincent d’Indy”, Figaro,

nous nous en tenons ici aux écrits parus de son vivant. Parmi ceux que nous n’avons pu retrouver figurent des hommages aux violonistes belges Eugène Ysaÿe1 et Édouard Deru, un entretien donné à Riga en 19232 et une réponse à enquête de 19273. Il est plus que probable que bien d’autres textes referont surface à l’avenir.

Comme dans les précédents volumes, nous nous référons souvent aux agendas de d’Indy, désormais conservés dans le fonds Vincent d’Indy du département de la musique à la Bibliothèque nationale de France4. Lorsqu’il nous a été possible de consulter des manuscrits ou brouillons de certains textes, nous signalons les variantes par rapport à la version imprimée en nous bornant aux plus significatives d’entre elles. Tous les textes parus en langue étrangère pour lesquels le nom du traducteur n’est pas précisé ont été traduits par nos soins.

Je tiens à redire ici ma reconnaissance aux personnes déjà citées dans les deux premiers volumes qui m’ont apporté leur aide tout au long de cette aventure éditoriale, et tout particulièrement à Alexandre Dratwicki qui m’a permis de mener à bien ce projet, et à Étienne Jardin pour sa précieuse collaboration – et sa patience ! Pour le présent volume, j’ajoute mes plus chaleureux remerciements à Michel Denis, directeur de la Schola Cantorum, qui m’a permis d’effectuer des recherches dans la bibliothèque de l’école ; au Professeur Kerry Murphy et au Docteur Jennifer Hill (University of Melbourne), qui m’ont communiqué les lettres de d’Indy à Louise Hanson Dyer ; à Yasushi Ueda (Université de Kyoto), pour m’avoir transmis une préface de méthode conservée au Japon ; à Luiza Wrobel pour la traduction d’un texte en polonais ; et aux bibliothécaires qui m’ont procuré gracieusement des sources rares : Laura N. Braga

13 décembre 1931, p. 5 ; “Petite histoire”, Revue de la Société Internationale des Amis de la Musique Française, février 1932, p. 55 ; “Lettres de Vincent d’Indy à Edmond de Pampelonne”, Les Tablettes de la Schola, octobre novembre 1932 juin juillet 1933 ; “Influence de Beethoven et Wagner…”, Almanach vivarois 1936, Saint‑Félicien‑en‑ Vivarais : Au Pigeonnier, 1935, p. 35‑38.

1. Voir lettre à Charles Radoux, Paris, 23 mars 1923 (Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles [P‑2‑00332/79).

2. Voir “Vincent d’Indy à Riga”, Le Canada (Montréal), 7 janvier 1924, p. 3.

3. Voir “Où va la Musique ?”, extrait d’un catalogue de vente (archives d’Indy).

4. F‑Pn [fonds Vincent d’Indy, Rés. Vmf ms. 215.

(Biblioteca Nacional de la República Argentina), Sandrine Chaumeton (Bibliothèque de l’Université de Limoges) et Michel Morel (Bibliothèque diocésaine de Metz).

de Vincent d’Indy dans son appartement par Thérèse Bonney © The Regents of the University of California, The Bancroft Library, University of California, Berkeley

Photographie

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Vincent d’Indy ne perd rien de sa vitalité ni de sa combativité, comme en témoigne ce troisième et dernier volume d’écrits. Tout en poursuivant son enseignement à la Schola Cantorum et au Conservatoire de Paris, le musicien septuagénaire multiplie les concerts et conférences, en France et à l’étranger, et entame une ultime et féconde période créatrice. Il continue en parallèle à défendre ses idées dans la presse. La victoire de 1918 lui semble notamment produire en matière musicale l’effet inverse de la défaite de 1870 sur sa propre génération : il s’insurge contre les avant-gardes musicales des années 1920 ; pourfend la “laideur” de la production moderne, l’ignorance qui caractérise selon lui la jeune génération ; polémique volontiers avec les défenseurs du Groupe des Six et ceux qu’il nomme les “disciples de Schönberg” ; manifeste néanmoins de l’intérêt pour Arthur Honegger et Olivier Messiaen. Contestant les tendances nouvelles – jazz, polytonalité, musique mécanique –, il reste fidèle dans sa vieillesse aux admirations et convictions de sa jeunesse et de sa maturité :

Tous ceux qui, au cours de l’histoire musicale, ont tenté de faire du nouveau, ne sont jamais arrivés à le trouver qu’en s’appuyant solidement sur les bases traditionnelles posées par leurs devanciers. Il ne s’agit pas d’abolir tout ce qui fut acquis, parfois péniblement, au cours des siècles, et de proclamer : “Nous allons faire une musique toute nouvelle !”, mais de profiter des découvertes antérieures pour continuer le défrichement de la belle, de l’unique grande route de l’art.

Les écrits de Vincent d’Indy savent alors se détourner de la polémique pour dédier de très belles pages aux musiciens de la tradition “expressive” : Monteverdi, Bach, Couperin, Beethoven, Wagner, Franck, les franckistes et leurs amis.

Gilles Saint Arroman est pianiste et musicologue, ancien élève du Conservatoire national supérieur de Paris et de l’université Paris-Sorbonne, chercheur associé à l’Institut de Recherche en Musicologie. Il est l’auteur d’un ouvrage sur le pianiste Édouard Risler (Champion, 2008) et a coédité avec Juliana Pimentel les actes de la journée d’étude Piano & musique de danse dans la France du XIXe siècle (OMF, 2010).

ISBN 978-2-330-19726-1

DÉP. LÉG. : NOV. 2024

45 € TTC France www.bru-zane.com www.actes-sud.fr

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