Extrait "Entrée des artistes" suivi de "Pas sages" d'Ahmed Madani

ENTRÉE DES ARTISTES

suivi de PAS SAGES

Ahmed Madani

FESTIVAL D’AVIGNON 2024

ACTES SUD-PAPIERS

Direction éditoriale : Claire David

Photographie de couverture : © Mohamad Itani / Arcangel Images

© ACTES SUD, 2024

ISBN 978‑2 330‑19212‑9

Également disponible en livre numérique

ENTRÉE DES ARTISTES

suivi

de PAS SAGES

Ahmed Madani

ENTRÉE DES ARTISTES

Avant‑propos

Je n’ai pas fait d’école de théâtre, je n’ai reçu aucune formation, je ne me suis jamais senti légitime à exercer cet art. L’art n’a jamais eu de place dans ma famille. Ma mère a eu la chance d’apprendre à lire et à écrire, mais elle n’a pas dépassé le niveau de l’école primaire. Elle me disait : “Au bled, les études n’étaient pas pour nous, c’était pour les Français, nous, on allait faire le ménage chez eux.” Mon père était analphabète. Le mot “art” est un mot qui n’est jamais sorti de ma bouche lorsque je parlais avec lui ou avec ma mère. Je n’avais pas de mots pour leur expliquer ce que je faisais. Alors, je ne disais rien. Ma vie était totalement incompréhensible pour eux, elle restait un mystère complet. Entre nous, un mur de silence. Des sourires, des banalités. La langue était coupée à l’endroit précis où il s’agis‑ sait d’évoquer ce désir de sublimation de ma vie qui me taraudait. Il me vient souvent cette pensée de n’être pas au niveau de ceux qui ont eu la chance de parler la même langue que leurs parents. C’est dans ce hiatus, cette béance des mots non dits, et non compris, que ma volonté de raconter ce qu’on ne voit pas du monde se tient. La question du désir d’art, de poésie, d’écriture, me hante depuis tou‑ jours. “Comment et pourquoi devient‑on artiste dramatique ?” est la seule question que j’ai posée à ces jeunes gens. Y a t il une réponse possible ? C’est tout l’enjeu de cette Entrée des artistes qui amène ces jeunes acteurs et actrices à rechercher au plus profond d’eux l’origine de leur désir de théâtre. Ils et elles parlent à cœur ouvert, ils et elles creusent dans leur mémoire, se racontent sans filtre, et évoquent le chemin parcouru depuis le premier jour de leur existence jusqu’à celui où on va les découvrir sur la scène. Leur corps, leur esprit, leur sensibilité, leurs rêves, leurs espérances, les douleurs et les joies qui les ont pétris, sont le matériau brut de notre quête. C’est leur humanité qui sera exposée au public qui viendra à leur rencontre. Mais au fond, n’est‑ce pas là le destin de tout artiste ?

Je n’ai jamais pu formuler clairement où se nichait l’origine de mon désir de théâtre, j’ai toujours pensé que rien ne m’y prédestinait. Je dis à qui veut bien l’entendre que j’y suis arrivé par hasard, mais nul n’ignore que le hasard n’est jamais bien loin de la nécessité. En accep‑ tant de réaliser ce spectacle, l’occasion était trop belle de demander à ces jeunes apprentis acteurs et actrices d’évoquer les raisons qui les avaient poussés à s’engager dans cette voie. Ils se sont prêtés au jeu avec un élan déconcertant de bonne volonté. Durant plusieurs semaines, ils ont accepté de me rencontrer et de se confier. Cette démarche introspective a permis de faire entendre l’inaudible et de mettre l’intime au cœur de notre recherche. L’espace domestique familial est la première scène sur laquelle se jouent les plus grandes tragédies, les mélodrames et les comédies qui déterminent notre ave‑ nir. C’est en cet endroit qu’il m’a donc semblé naturel de pousser chacune et chacun à creuser. En écoutant Igaëlle, Rita, Lisa, Auré‑ lien, Jeanne, Côme et Dolo, j’ai réalisé combien leurs histoires si singulières m’auront fait parcourir un chemin vers moi même que je n’imaginais pas prendre. Si dans ce terreau brut, l’acte d’écriture a trouvé sa matière première, il ne peut en restituer qu’une infime parcelle, tant ont été riches et denses nos entretiens. C’est entre les mots que d’autres mots sont tapis et vous disent combien le besoin d’art est vital pour celles et ceux qui se tiennent de l’autre côté du mur invisible.

À tous les acteurs et actrices qui ont croisé ma route.

À ces jeunes interprètes qui m’ont ouvert leur cœur.

À Nathalie Lannuzel, Anne Mermoud Ottiger, François Landolt, sans qui cette pièce n’aurait jamais vu le jour.

À Anissa Horvath pour ses précieux conseils.

Le cycle Nous sommes vous poursuit la dynamique amorcée par la trilogie Face à leur destin – composée d’Illumination(s), F(l)ammes et Incandescences – et la rencontre d’Ahmed Madani avec des jeunes issus de quartiers populaires.

L’ensemble des témoignages, où l’intime ne cesse d’interpeler le politique, élevés poétiquement par l’écriture de Madani dessine des manières de vivre au xxie siècle, des points de vue sur des problématiques sociales et sociétales et des façons d’envisager un avenir plein de promesses.

Auteur et metteur en scène, Ahmed Madani a reçu le prix ado du Théâtre contemporain 2015 pour sa pièce Je marche dans la nuit par un chemin mauvais. Il a par ailleurs dirigé le Centre dramatique national de l’océan Indien à Saint-Denis (La Réunion) de 2003 à 2007.

ENTRÉE DES ARTISTES

suivi de PAS SAGES

Ahmed Madani

15 € TTC FRANCE

ISBN 978-2-330-19212-9

ISBN 978-2-330-19212-9

Dép. lég. : juin 2024 (France)

15 € TTC France www.actes-sud.fr