Lourdes Arizpe | Jérôme Duval-Hamel et le Collectif de l’Art faber
A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R
PETIT TRAITÉ DE L’ART FABER ACTES SUD
Lourdes Arizpe | Jérôme Duval-Hamel et le Collectif de l’Art faber
A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R A R T F A B E R
PETIT TRAITÉ DE L’ART FABER ACTES SUD
La collection “Art faber” est codirigée par Actes Sud et le Lab. Arts & Entreprises de EDMP / Université Paris-Panthéon-Assas.
Citation p. 147 : Joseph Ponthus, À la ligne. Feuillets d’usine © Éditions de La Table ronde, 2019
© Actes Sud / Art faber, 2022
ISBN : 978-2-330-16388-4
Lourdes Arizpe Jérôme Duval-Hamel
et le Collectif de l’Art faber
ACTES SUD / ART FABER
À
Umberto Eco, ami, grand inspirateur et pionnier de la promotion de l’Art faber.
“Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut‑être pas Homo sapiens, mais Homo faber*.”
* H. Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, 1907.
Henri Bergson, philosophe et Prix Nobel de littérature, le rappelle : Homo faber, cet homme fabricant et commerçant, est au cœur de notre humanité. Les mondes économiques qu’il a créés occupent désormais une place majeure au sein de nos sociétés contemporaines.
Les artistes n’ont jamais été insensibles à cette thématique, et, depuis fort longtemps, ils en ont fait une source d’inspiration. Un grand nombre de ces œuvres sont devenues incontournables dans les pages de l’histoire des arts. Elles forment aujourd’hui un corpus singulier : l’Art faber, un ensemble important et pourtant encore si peu connu, encore trop peu promu.
“Raconter […] le paysan sans la charrue, la société entière sans l’outil, c’est assembler de vaines idées.” L’historien Marc Bloch replace ainsi, en quelques mots, le faber – l’outil, le faire – dans la longue chronologie de l’humanité.
Homo faber, ce “tool-making animal” dont parle Benjamin Franklin, a réussi à façonner une activité économique contribuant largement à l’Histoire. Ainsi, des époques entières ont été baptisées d’après les technologies qui les marquèrent : “âge de la pierre”, “âge du fer” et “âge du bronze”. Homo faber n’a cependant pu parvenir à ce rôle qu’en s’arrachant à la nature et à son emprise. Formé à l’école de la nécessité1, il a d’abord inventé ses outils pour affronter les dangers de la vie, mieux, pour dépasser le stade de la survie. Comme le rappellent ces mots attribués à saint Thomas d’Aquin : “Aux autres animaux la nature a préparé leur nourriture, du poil pour vêtements, des dents, des cornes, des griffes pour se défendre, ou au moins la vitesse pour s’enfuir. L’homme n’a reçu de la nature aucune de ces choses, mais pour en tenir lieu il a reçu la raison, grâce à laquelle il peut faire usage de ses mains pour se les préparer lui-même 2 […].”
Une fois les besoins vitaux satisfaits, la maîtrise de l’action outillée a conduit les premiers agriculteurs
et artisans – Homo ergaster – à commercialiser leur production à petite échelle. Au fur et à mesure, leur rayon d’action s’est élargi, augurant d’un commerce à plus grande distance.
Une première et très longue période économique s’est instaurée durant laquelle les manières de produire, d’échanger et de consommer n’ont que peu évolué. L’économie pouvait connaître des périodes de prospérité, comme ce fut le cas en France aux 12e et 13e siècles, mais dès que survenait une guerre, une épidémie ou une série de mauvaises récoltes, le système économique revenait peu ou prou à son état initial. Si bien que d’aucuns ont pu parler d’une “histoire immobile3”.
Au 18e siècle, la rupture est consommée : Homo faber s’engage sur la voie de l’industrialisation. Il devient Homo faber industrialis. Sous son impulsion, un écosystème puissant et radicalement nouveau se développe au 19e siècle. Grâce, notamment, à de nombreuses innovations techniques et à la division toujours plus poussée du travail, la richesse produite augmente considérablement. Dans le même temps, de nouvelles questions sociales émergent avec acuité.
À partir du 20e siècle, Homo faber devient faber œconomicus : il est désormais capable de produire et d’échanger des biens non seulement matériels mais aussi immatériels, ainsi que des services, d’un bout à l’autre de la planète. À la figure ancienne du producteur-commerçant vient s’ajouter celle du consommateur, propulsé au rang des acteurs majeurs des mondes économiques. Dans ce contexte inédit, l’économie, qu’on s’en réjouisse ou non, conquiert de nouveaux domaines qui échappaient jusqu’alors à la
logique marchande, comme les industries culturelles, et contribue à façonner nos sociétés contemporaines.
Faber. Rien qu’un mot, dès lors, pour évoquer ces activités créatrices, productives, techniques, commerçantes et, plus largement, économiques de l’homme.
Il s’agit toutefois de ne pas omettre, dans cet élan, que ce faber contribue aussi à une autre “fabrique”, celle de l’identité humaine : l’homme est homme car il est – notamment – Homo faber. Cette affirmation, portée par nombre d’anthropologues et de philosophes, rappelle combien l’action d’Homo faber, son travail de fabricant et de commerçant, est l’un des principaux facteurs de “spéciation”, autrement dit d’“hominisation”. Dès lors, tout ce qu’il fabrique relève de l’“anthropogenèse” et, en tant que tel, nourrit les facettes essentielles, personnelles et sociales de l’identité humaine.
Aussi faut-il voir, à l’instar de Kant, ce travail comme une discipline qui “garde l’homme de s’écarter, par la faute de ses impulsions animales, de sa destination, l’humanité 4”. Par ailleurs, le geste fabricateur sert une ambition sociale, contribuant ainsi, de nouveau, à donner à l’être son humanité. À travers lui, l’homme recherche l’acceptation par les autres, voire une forme de reconnaissance5. Les recherches conduites avec le professeur Renaud Sainsaulieu6 confirment aussi que le travail est un des principaux vecteurs de positionnement et d’intégration de chacun dans l’espace social. Si Homo faber mobilise les ressources
de l’échange pour tirer profit des marchandises qu’il crée, il tisse par la même occasion des liens sociaux. Il met ainsi en place les étais sociaux qui soutiennent toute son existence. Par son activité économique, Homo faber façonne donc non seulement des produits, mais aussi son identité sociale, et, ce faisant, il contribue à la structuration du collectif.
En résumé, le travail faberien est davantage qu’une activité transformative de la matière. “Il est infiniment plus encore. Il est la condition fondamentale première de toute vie humaine, et il l’est à un point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire : le travail a créé l’homme lui-même 7 . ”
Si elle lui permet de construire sa sociabilité, l’activité faberienne est également pour l’homme un creuset de son identité individuelle et intime. Le travail peut en effet lui offrir les moyens de se réaliser et de s’épanouir personnellement. Hegel le souligne : “C’est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même 8” , et Marx de compléter en affirmant que le travail de l’homme “ modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent 9” . Les objets produits par Homo faber sont ainsi une expression de sa personnalité et de sa créativité. Par son activité économique, il prend conscience de lui, incarne ses désirs et ses intentions : il se fabrique lui-même.
Henri Bergson, philosophe et Prix Nobel de littérature, le rappelle : Homo faber, cet homme fabricant et commerçant, est au cœur de notre humanité. Les mondes économiques qu’il a créés occupent désormais une place majeure au sein de nos sociétés contemporaines. Les artistes n’ont jamais été insensibles à cette thématique, et, depuis fort longtemps, ils en ont fait une source d’inspiration. Un grand nombre de ces œuvres sont devenues incontournables dans les pages de l’histoire des arts. Elles forment aujourd’hui un corpus singulier : l’Art faber, un ensemble important et pourtant encore si peu connu, encore trop peu promu.
Dép. lég. : mai 2022 15 € TTC France www.actes-sud.fr www.artfaber.org 978-2-330-16388-4