Extrait "Régénération" de Paul Hawken

Page 1

PAUL HAWKEN

SURMONTER LA CRISE CLIMATIQUE EN UNE GÉNÉRATION

DOMAINE DU POSSIBLE

La crise profonde que connaissent nos sociétés est patente. Dérèglement écologique, exclusion sociale, exploitation sans limites des ressources naturelles, recherche acharnée et déshumanisante du profit, creusement des inégalités sont au cœur des problématiques contemporaines.

Or, partout dans le monde, des hommes et des femmes s’organisent autour d’initiatives originales et innovantes, en vue d’apporter des perspectives nouvelles pour l’avenir. Des solutions existent, des propositions inédites voient le jour aux quatre coins de la planète, souvent à une petite échelle, mais toujours dans le but d’initier un véritable mouvement de transformation des sociétés.

RÉGÉNÉRATION

SURMONTER LA CRISE CLIMATIQUE

EN UNE GÉNÉRATION

fondateur du projet, auteur : Paul Hawken

directrice exécutive : Samantha Wright

chef d’équipe : Connor Akio Jordan

conception graphique : Janet Mumford

rédacteur en chef : Courtney White

analyse des données de recherche : Saseen Najjar

Anjali Katta

Elise Zufall

Elwin Lim

Gabriela Maia Leslie

Gabrielle M. J. Tan

Brittany Frater

Connor Akio Jordan

Emily Pidgeon

Jaxon Jacob

Jennifer Howard

Carl Safina

Charles Massy

Ellen Dorsey

Isabella Tree

Chip Conley

Jack Kornfield

Julia Jackson

Konda Mason

ÉQUIPE

intégrité des données : Devon Burger administration des systèmes : Jonathan Hawken site web : Chad Upham réseaux sociaux : Jasmine Scalesciani

correction : Will Palmer et Jane Cavolina

ÉQUIPE DE RECHERCHE

Hanna Malzenski

Jaxon Z. Jacobs

Jay Wong Cai Jie

Jordan French

Kavya Gopal

CONTRIBUTION À LA RÉDACTION

Jorge Ramos

Joseph W. Veldman

Juliana Birnbaum

María Claudia Díazgranados

Reed F. Noss

ESSAYISTES

Jane Goodall

Jonathan Safran Foer

Leah Penniman

Lyla June Johnston

CONSEIL D’ADMINISTRATION

Lyla June Johnston

Maisa Arias

Mark Rampolla

Melinda Kramer

Lia “Bear” Kim-Woodward

Mireille Vargas

Sabine Nix

Sadie Cwikiel

Sarah T.

Shyla Raghav

Steve Chapple

Timothy L. H. Treuer

Mary Reynolds

Mimi Casteel

Nemonte Nenquimo

Richard Powers

Rachel Hodgdon

Steve McCormick

Tara Meehan

NOUS REMERCIONS LES PERSONNES SUIVANTES POUR LEUR SOUTIEN FINANCIER ET LEURS DONATIONS

Grounded.org

Aileen Getty

Jacobs Family Foundation

Chip Conley

Mark et Maura

Rampolla

Adam Parr

Aileen Getty

Alex Lau

Amira Diamond

Bill Twist

Bren Smith

Brian Von Herzen

Carole Tomko

Charles Massy

Chhaya Bhanti

Cyril Kormos

Damon Gameau

Natalie Orfalea

Foundation

Wallace Global Fund

Fred Moon

Claude et Noelle

Poncelet

Dr. Bronner’s

Bill et Lynne Twist

Incite.org

Jessica et Decker Rolph

Shari Sant et “Troutboy”

Plummer

Tara Meehan

Russell et Suki Munsell

Jack Kornfield

Jasmine Scalesciani

CONSEILLERS ET CONSEILLÈRES

Danielle Nierenberg

Dave Chapman

Durita Holm

Erik Snyder

Gay Dillingham

Geert Noels

Haley Mellin

Jason McLennan

Jeff Bridges

John Elkington

Jonathon Porritt

Justin Schwartz

Justin Winters

Karl Burkhart

Kyle Whyte

Livia Firth

Lucas Hedges

Lynne Twist

Marc Kasky

Melinda Kramer

Michael Burbank

Nirmal Tulsidas

Kishnani

Per Espen Stoknes

Lisa et Douglas

Goldman Fund

Konda Mason

Lyla June Johnston

Maisa Arias

Melinda Kramer

Rachel Hodgdon

Robyn O’Brien

Robyn Scott

Roy Straver

Russell Munsell

Spencer Beebe

Susan Olesek

Sven Jense

Tara Meehan

Titre original :

Collection créée par Cyril Dion en 2011.

© 2021 par Paul Hawken.

Tous droits réservés y compris tout ou parti des droits de reproduction sous toutes formes. Cette édition est publiée avec l’autorisation de Penguin books, une maison de Penguin Publishing Group, une division de Penguin Random House LLC.

© Actes Sud, 2024 pour la traduction française.

isbn 978-2-330-18553-4

www.actes-sud.fr

PAUL HAWKEN

RÉGÉNÉRATION

SURMONTER LA CRISE CLIMATIQUE

EN UNE GÉNÉRATION

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Amanda Prat-Giral

Avant-propos de Jane Goodall

Postface de Damon Gameau

DOMAINE DU POSSIBLE ACTES SUD

SOMMAIRE

Avant-propos

de Jane Goodall 11

Régénération 17

Le pouvoir d’agir 20

Mode d’emploi de ce livre 25

Quelques fondamentaux 30

OCÉANS

Aires marines protégées 38

Forêts sous-marines 45

Mangroves 54

Marais maritimes 58

Herbiers marins 61

Azolla, fougère aquatique 65

FORÊTS

Proforestation 75

Forêts boréales 79

Forêts tropicales 87

Boisement 91

Tourbières 96

Agroforesterie 104

Écologie du feu 114

Bambou 119

Patricia Westerford dans L’Arbremonde 125

FAUNE ET FLORE SAUVAGES

Pyramides trophiques 136

Écologie des pâturages 145

Couloirs fauniques 151

Le réensauvagement d’une ferme britannique 159

Prairies 167

Pollinisateurs 170

Zones humides 174

Castors 179

Biorégions 183

Le monde sauvage 187

TERRES

Agriculture régénératrice 199

Intégration d’animaux 209

Restauration des terres dégradées 214

Compost 219

Vermiculture 224

Faiseurs de pluie 227

Biochar 232

L’appel de la rousserolle 239

POPULATIONS HUMAINES

Identité autochtone 249

Hindou Oumarou Ibrahim 256

Lettre à neuf dirigeants 260

La ferme-forêt 264

Femmes et alimentation 272

Soul Fire Farm 277

Cuisinières propres 286

Éducation des filles 290

La bienveillance au secours de la restauration 294

Qui donc produit le millésime ?

Un mot de remerciement 302

Les philanthropes doivent déclarer l’état d’urgence climatique 306

VILLES

Villes zéro carbone 320

Bâtiments 324

Agriculture urbaine 333

La nature des villes 339

Micromobilité 346

La ville du quart d’heure 351

Architecture décarbonée 357

ALIMENTATION

Zéro gaspillage 368

Alimentation végétale diversifiée 373

Localisation 378

Démarchandisation 387

Extinction des insectes 392

Arbres comestibles 400

Nous sommes la pluie et le beau temps 405

ÉNERGIE

Énergie éolienne 416

Énergie solaire 424

Véhicules électriques 433

Énergie géothermique 438

Électrification généralisée 444

Stockage de l’énergie 450

Mini-réseaux 454

SECTEURS D’ACTIVITÉ

Secteur agroalimentaire 465

Secteur de la santé 473

Secteur bancaire 480

Industrie militaire 487

Politique 493

Secteur de l’habillement 500

Industrie du plastique 509

Fabrique de la pauvreté 517

De la compensation à l’anticipation 526

ACTION + CONNEXION

Ce que nous pouvons faire 535

Par où commencer 535

Créer une liste de tâches 536

L’action collaborative avec Climate Action Systems 538

Amplifier les résultats de notre action – Nexus 539

Objectif 542

Maintenir les stocks 545

Un dernier mot 545

Postface de Damon Gameau 547

Remerciements 550

Crédits photographiques 551

Nous avons accumulé des milliers de références, citations et sources au cours de nos recherches pour la rédaction de Régénération . Elles sont trop nombreuses pour figurer ici, mais vous pouvez les retrouver à l’adresse www. regeneration/org/references

Certains des plus beaux sentiers de randonnée de l’Islande longent le canyon de Þakgil près de Vik, dans le Sud du pays, panorama de glaciers, de rivières, de grottes de glace naturelles et de plages de sable noir.

———

Alors que j’étudiais les chimpanzés, j’ai pris conscience que, dans la forêt tropicale, les vies sont toutes intimement liées les unes aux autres. Chaque espèce animale ou végétale a un rôle à jouer dans la tapisserie du vivant. Une espèce qui s’éteint emporte avec elle un morceau de cette tapisserie. Si elle s’effiloche et se déchire à outrance, c’est tout un écosystème qui peut s’effondrer. Rappelons-le : nous faisons nous aussi partie de ce monde naturel. Notre oxygène, notre nourriture, nos vêtements et tout le reste en sont issus. Et le monde naturel, lui aussi, s’effiloche et se déchire.

Ce qui nous distingue le plus des chimpanzés (nos plus proches parents encore en vie) et de tous les autres animaux, c’est l’expansion explosive de notre intellect. Nous savons aujourd’hui que les animaux sont bien plus intelligents que ce que nous avons voulu le croire, mais aucun ne serait capable de formuler une théorie de la relativité ou d’aller sur la Lune. N’est-ce pas étrange que notre espèce, la plus intellectuelle de toutes, détruise son seul et unique lieu de vie ? Il semblerait que notre cerveau, pourtant génial, se soit dissocié de l’amour et de la compassion qui, si l’on en croit la littérature, viennent du cœur. Selon moi, ce n’est que lorsque notre tête et notre cœur seront au diapason que l’espèce humaine atteindra son plein potentiel.

Nous avons à résoudre bon nombre de problèmes que nous avons nousmêmes créés et, comme le souligne ici Paul Hawken de façon très convaincante, ils sont tous liés. Il nous faut donc les comprendre et y remédier de façon globale. Nous devons faire reculer la pauvreté, nous opposer aux modes de vie non durables des pays les plus riches, instaurer la justice sociale, mettre en place un système de santé universel et rendre l’éducation

AVANT-PROPOS
11

accessible à toutes et à tous. Heureusement, il existe déjà des solutions novatrices, et c’est d’elles qu’il est question dans le présent ouvrage coordonné par Paul Hawken.

J’ai vu de mes propres yeux les égarements de notre époque. Quand j’ai commencé à travailler avec les chimpanzés, en 1960, le parc national de Gombe Stream faisait partie d’une forêt qui s’étendait d’un bout à l’autre de l’Afrique équatoriale. Au milieu des années 1980, il n’en restait plus qu’une parcelle entourée de collines nues. Le mode de vie des habitants et habitantes de la région n’était pas viable, les terres agricoles surexploitées et appauvries, et les arbres abattus pour faire place à des terres agricoles et à des mines de charbon. Les populations luttaient pour leur survie. C’est alors que je me suis rendu compte que si nous n’aidions pas ces communautés à gagner leur vie sans détruire leur environnement, nous ne pourrions pas non plus protéger les chimpanzés. On ne peut sauver une espèce animale sans préserver son environnement ; or, c’est impossible sans la participation des populations locales, qui elles-mêmes ne pourront rien faire si elles vivent dans la pauvreté.

Le Jane Goodall Institute a lancé l’initiative globale Tacare, qui vise à reboiser le pourtour du bassin du lac Tanganyika et à sensibiliser les personnes qui l’habitent sous la forme d’un projet de conservation piloté par les populations locales. Nous avons envoyé des Tanzaniens et Tanzaniennes de la région demander aux personnes vivant autour du parc de quelle manière nous pouvions les aider. Les réponses données et les besoins énoncés étaient clairs : elles voulaient pouvoir produire davantage de nourriture et avoir accès à de meilleurs services de santé et d’éducation. Grâce à une petite subvention de l’Union européenne (UE), nous les avons aidées à refertiliser leurs terres sans avoir recours aux pesticides. Nous avons travaillé avec les pouvoirs publics locaux pour améliorer les écoles et créer ou rénover des cliniques de village. Nous avons mis en place des programmes de gestion de l’eau ainsi que des systèmes d’agroforesterie et de permaculture. En tirant parti des systèmes d’information géographique et de l’imagerie satellite, nous avons donné aux villageois et villageoises la possibilité d’établir des plans de gestion relatifs à l’affectation des terres. Des bénévoles ont appris à se servir de smartphones pour suivre l’évolution de la santé de leurs réserves forestières. Grâce à des bourses, de jeunes filles ont poursuivi leur éducation dans le secondaire, et des programmes de microcrédit ont permis à des villageois (notamment des villageoises) de démarrer leur propre entreprise durable. Les informations données en matière de planification familiale sont très bien accueillies, car les parents souhaitent scolariser leurs

12

Les orphelins Kudia et Ultimo s’étreignent au centre de réhabilitation des chimpanzés du Jane Goodall Institute, en République du Congo. Ce sanctuaire abrite cent soixante chimpanzés, qui y resteront toute leur vie.

enfants mais les écoles sont chères. Ainsi, l’initiative Tacare favorise à la fois la santé de l’environnement et le bien-être social. Nous sommes aujourd’hui près de 7,9 milliards sur la planète. Un peu partout dans le monde, nos ressources naturelles limitées diminuent plus vite que la capacité de la nature à les régénérer. D’après les estimations, nous pourrions bien être 10 milliards en 2050. Le nombre d’animaux d’élevage, lui aussi, ne fait que croître. Ils occupent de plus en plus d’espace, consomment des volumes d’eau toujours plus grands et émettent d’importantes quantités de méthane. Par ailleurs, lorsque les populations sortent de la pauvreté, elles cherchent naturellement à imiter un style de vie non viable qui, nous le savons, doit absolument changer. Si nous continuons sur cette voie, l’avenir qui nous attend sera… pour le moins lugubre, faute d’un terme plus adéquat.

13

Nous devons établir une nouvelle relation avec la nature et nous assurer que nos enfants ont en main les outils nécessaires pour régler les problèmes que nous avons créés. À l’heure actuelle, bien des programmes sensibilisent aux enjeux environnementaux et à la justice sociale. En 1991, j’ai lancé Roots & Shoots, un mouvement écologiste et humanitaire à destination des jeunes. Aujourd’hui, fort de milliers de groupes qui vont de la maternelle à l’université, il est présent dans soixante-huit pays. Dans chaque groupe, pour que les membres comprennent que les questions sociales et les problématiques environnementales sont liées, il leur faut participer à des projets choisis qui portent sur trois grands domaines : les personnes, les animaux et l’environnement. Les jeunes prennent conscience de leur capacité à changer le monde en apportant des solutions concrètes. C’est une démarche grisante, qui donne de l’espoir à des milliers de personnes réfléchissant à des enjeux aussi divers que le braconnage d’animaux sauvages, les sans-abris, les droits des femmes, les droits des animaux ou la discrimination.

J’ai trois raisons d’espérer : l’énergie et l’engagement des jeunes ; la résilience de la nature (la forêt autour de Gombe est revenue) et le sauvetage d’espèces animales et végétales au bord de l’extinction ; et l’intellect humain, qui s’affaire à la recherche de solutions pour que nous vivions en meilleure harmonie avec la nature.

Paul, selon sa démarche tout à fait singulière, passe en revue les solutions les plus importantes aux problèmes environnementaux et sociaux que nous avons provoqués, et montre qu’ils sont inextricablement liés. Régénération est un ouvrage honnête qui fourmille d’informations, à contrecourant des pessimistes convaincus qu’il est déjà trop tard. Comme moi, il est sincèrement convaincu que nous avons encore le temps, qu’il existe des solutions pratiques, et qu’armés de nos institutions, nous sommes en mesure de nous atteler à la tâche et de les mettre en œuvre afin de restaurer la stabilité climatique essentielle à la vie sur cette Terre. Puissions-nous être à la hauteur de notre nom latin, Homo sapiens, le singe sage.

jane goodall

RÉGÉNÉRATION

Régénérer, c’est mettre la vie au cœur de chaque geste, chaque décision. La régénération s’applique à toute la création, prairies, exploitations agricoles, êtres humains, forêts, poissons, zones humides, littoraux et océans, et concerne au même titre les familles, les populations, les villes, les écoles, les religions, les cultures, les échanges commerciaux et les gouvernements. La nature et l’humanité se composent de réseaux délicieusement complexes de relations, sans lesquels les forêts, les terres, les océans, les peuples, les pays et les cultures péricliteraient.

Notre planète et nos jeunes nous livrent le même récit. Des connexions vitales entre les êtres humains et la nature, au sein de la nature même, et entre les peuples, les religions, les gouvernements et les modes de consommation ont été perdues. Ces fractures sont la cause première de la crise climatique, son origine même, mais c’est aussi dans cette disjonction que nous trouvons des solutions et des actions susceptibles de mobiliser tout le monde, indépendamment du niveau de revenus, de la couleur de peau, du genre ou des croyances. Nous vivons sur une planète qui se meurt – une déclaration qui, il y a encore peu, aurait pu paraître excessive ou dramatique. Le déclin biologique de la Terre est sa réponse à ce que nous lui faisons subir. La nature ne fait jamais d’erreurs ; nous, oui. La planète retournera à la vie quoi qu’il arrive. Pour les nations, les peuples et les cultures, c’est moins sûr. Si mettre l’avenir du vivant au cœur de chacun de nos actes n’est pas au fondement de notre mission et de notre destin, que faisons-nous là ?

La crise climatique a pour causes directes les voitures, les bâtiments, les guerres, la déforestation, la pauvreté, le pétrole, la corruption, le charbon, l’agriculture industrielle, la surconsommation, la fracturation hydraulique… Tous ces facteurs ont une même origine et de mêmes effets : les structures économiques créées en faveur du bien-être humain, qui dégénèrent la vie sur Terre, entraînent des pertes, font subir des souffrances, et réchauffent la planète. Le système financier investit dans la liquidation planétaire et l’encourage, puisqu’elle constitue une source de prospérité monétaire à court terme. C’est oublier qu’elle est aussi, à court terme, une cause d’étiolement biologique, de pauvreté et d’inégalités.

Vue aérienne d’un petit lac de forêt dans le parc national de Karula, dans le comté de Valga, au sud de l’Estonie.

17

Ces quarante dernières années, on a tout simplement laissé de côté la façon la plus efficace d’inverser le cours du réchauffement planétaire. L’utilisation de combustibles fossiles est la cause première du réchauffement et doit donc cesser au plus vite ; sinon, notre situation restera insoluble. Cependant, afin de stabiliser le climat, nous devons aussi extraire le carbone de l’atmosphère et le remettre en terre. La seule manière efficace d’inverser la crise climatique dans les temps est de régénérer la vie sous toutes ses formes, humaines et biologiques. C’est aussi la voie la plus stimulante, la plus prospère, la plus ouverte. La dégénération biologique nous a entraînés au bord d’une crise inimaginable. Pour mettre un terme au réchauffement planétaire, il faut inverser la dégénération mondiale. Nos systèmes économiques, nos investissements et nos politiques peuvent aboutir soit au dépérissement du monde, soit à sa régénération. Nous pouvons priver d’horizon les générations futures, ou nous pouvons guérir l’avenir. Notre système économique actuel peut être qualifié d’“extractif”. Nous prélevons des ressources, nous construisons des barrages, nous réduisons en esclavage, nous tirons profit, nous fracturons, nous empoisonnons, nous brûlons, nous taillons, nous tuons. L’économie exploite les gens et l’environnement. La dégénération continue aujourd’hui en raison de notre inattention, de notre apathie, de notre avarice et de notre ignorance. Le changement climatique peut donner l’impression qu’il faut faire un choix entre “sauver la planète” et préserver notre bonheur, notre bien-être et notre prospérité. Ce n’est absolument pas le cas. La régénération ne consiste pas seulement à ranimer le monde, mais aussi à nous ramener à la vie les uns les autres. C’est une démarche de grande ampleur qui a du sens ; témoignage de foi et de bonté, elle fait appel à notre imagination et à notre créativité. Elle ne laisse personne de côté, elle est ouverte et généreuse. Et tout le monde peut s’engager dans cette voie. Elle restaure les forêts, les terres, les fermes et les océans. Elle transforme les villes, bâtit des logements écologiques à la portée de toutes les bourses, inverse le phénomène d’érosion du sol, remet en état des terres dégradées, et alimente les communautés rurales. La régénération planétaire ouvre des débouchés économiques, crée des emplois qui apportent la vie aux gens et les gens à la vie, donne du travail qui nous lie au bien-être de nos semblables. Elle se décline en divers moyens d’enrayer la pauvreté tout en donnant aux habitants et habitantes de la Terre un sens, un engagement louable au sein de leur communauté, un revenu qui leur permet de vivre, et un avenir fait de dignité et de respect. En décembre 2020, Joeri Rogelj, chercheur au Grantham Institute de Londres et coauteur du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts

18

intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a prononcé ces mots importants : “Nous avons conclu que, si nous parvenons à réduire à zéro les émissions nettes de dioxyde de carbone, le réchauffement finira par cesser. Le climat se stabilisera d’ici dix ou vingt ans. Le réchauffement ne continuera que très peu, voire pas du tout, selon nos estimations les plus optimistes.” C’était là un tournant déterminant dans le consensus scientifique. Des dizaines d’années durant, on a supposé que même si nous étions capables de mettre un terme aux émissions de carbone, les températures atmosphériques continueraient de grimper durant des siècles. C’était faux. La climatologie montre aujourd’hui que le réchauffement planétaire commencerait à s’inverser dès lors que nous parviendrons à éliminer entièrement nos émissions nettes de CO2.

Nous sommes à un moment charnière de notre histoire. Cette planète qui chauffe est un bien commun. Elle nous abrite toutes et tous. Pour lutter contre la crise climatique et inverser la tendance, il faut du lien et de la réciprocité. Il faut sortir de notre zone de confort et aller puiser dans le trésor de courage dont nous disposons sans peut-être le savoir, ce qui ne veut pas dire que nous avons raison et que tous les autres ont tort ; nous devons écouter avec attention et respect, raccommoder les liens brisés entre nous et le vivant, entre nous et les autres. Il n’est pas question ici d’espérer ou de se résigner, mais d’agir avec courage et intrépidité. Nous voici à l’orée d’un étonnant moment de vérité. La crise climatique n’est pas un problème scientifique mais un problème humain, et le pouvoir de changer le monde n’est pas à chercher du côté des technologies : il repose sur la considération, le respect et la compassion, envers nousmêmes, envers toute la population humaine et envers tout le vivant. C’est cela, la régénération.

LE POUVOIR D’AGIR

La crise climatique n’est pas la même chose que le réchauffement de la planète. Ce qui angoisse les scientifiques, c’est l’effet que ces températures en hausse auront sur la vie sur Terre. L’évolution des températures atmosphériques et des courants océaniques ainsi que la fonte des calottes polaires pourraient être à l’origine de perturbations sur de nombreux fronts, atteignant des points de bascule qui s’enchaîneraient rapidement. Ainsi, il est possible que les sécheresses deviennent plus fréquentes dans les tropiques, transformant les forêts humides du monde en savanes sujettes aux incendies. Les modifications de la circulation océanique changeraient du tout au tout la météo et l’agriculture à l’échelle mondiale. La fréquence toujours plus grande des incendies et des invasions de nuisibles serait un facteur d’effondrement de nos forêts septentrionales. Le réchauffement et l’acidification des océans pourraient entraîner la mort de tous les récifs coralliens du monde. L’accélération de la fonte du glacier Thwaites en Antarctique provoquerait une hausse de près d’un mètre du niveau de la mer. La fonte du pergélisol arctique libérerait des quantités astronomiques de dioxyde de carbone et de méthane depuis longtemps enfouis. Il est difficile, voire inconcevable, d’imaginer les incidences de ces phénomènes sur les familles, les villes, les économies, les entreprises, l’alimentation, la politique et les enfants sous des latitudes plus tempérées. Cependant, on peut très bien les imaginer pour les dizaines de peuples qui vivent dans l’Arctique : Inuits, Tchouktches, Aléoutes, Samis, Nénètses, Athabaskans, Gwich’in et Kalaallit, des communautés qui, pour les plus anciennes, occupent ces terres depuis dix mille ans, subissent déjà directement les effets de la fonte des glaces.

Aussi précises qu’elles puissent être, les prévisions climatiques peuvent dissimuler une autre série de points de bascule, à savoir les nombreux petits changements et victoires capitales qui surviennent lorsqu’on s’engage et se mobilise plutôt que de rester passif, paralysé par la peur. Ce sont des actions qui ralentissent, désamorcent et transforment la crise climatique. En finir avec cette crise, c’est créer d’ici à 2030 une société qui avance dans la bonne direction et au bon rythme, parvenant à éliminer entièrement les émissions nettes avant 2050. Il s’agit de réduire de moitié nos émissions d’ici à 2030, puis de répéter l’opération d’ici à 2040. Des dizaines de milliers d’organisations, de membres du corps enseignant, d’entreprises, d’architectes, d’agriculteurs et d’agricultrices, de communautés et de leaders

20

autochtones savent ce qu’il faut faire et s’y emploient activement. L’essor actuel du mouvement en faveur de l’action climatique est formidable, mais il ne concerne qu’une minorité d’entre nous dans le monde. Des centaines de millions de personnes doivent encore prendre conscience du pouvoir qu’elles ont d’agir et se rendre compte que, collectivement, il est possible d’éviter que le réchauffement planétaire échappe à notre contrôle.

Vous qui lisez cette phrase : vous pouvez enrayer la crise climatique.

D’un point de vue logique, cette déclaration peut sembler folle : individuellement, je suis forcément dans l’impuissance face aux facteurs mondiaux et à la dynamique en cours du réchauffement planétaire. C’est un raisonnement parfaitement compréhensible si nous supposons que les institutions d’hier agiront ou devraient agir à notre place. On pose souvent la question de savoir si la clé de la crise climatique est au niveau des comportements individuels ou à l’échelle des gouvernements. Ce débat n’a pourtant pas lieu d’être. Nous avons besoin de la participation de toutes les strates de la société, le sommet, la base, et toutes celles qui se trouvent entre les deux.

Il est fascinant de calculer sa propre empreinte carbone et si le résultat porte à réflexion, nous adoptons ici une autre approche, plus vaste, dans l’idée qu’il n’existe pas une personne type. Penser qu’on est un individu, c’est être conscient de son individualité. Être un individu, c’est entretenir en permanence un lien fonctionnel et intime avec le monde humain et le vivant. Lorsque nous regardons nos réseaux, chacun, chacune d’entre nous est multitude. Nous disposons toutes et tous de compétences et de capacités différentes, qu’il s’agisse de partager, de choisir, de démontrer, d’enseigner ou de protéger, et nous disposons de différentes façons d’aider la classe dirigeante, les villes, les entreprises, le voisinage, les collègues et les pouvoirs publics à prendre conscience de ces problématiques et à agir.

Vous vous inquiétez de votre manque d’expertise ? Mais peu d’entre nous sont des spécialistes. Il suffit de comprendre les bases. Nous savons comment les gaz à effet de serre fonctionnent et réchauffent la planète, nous observons l’instabilité du temps qu’il fait et l’apparition de phénomènes météorologiques extrêmes, et nous connaissons les principales sources d’émission de carbone. Nous voulons un climat stable, l’accès aux aliments, de l’eau pure, un air propre, et un futur vivable pour les générations futures. Nous avons chacun et chacune un peuple, une famille, une communauté, une terre, une profession et des compétences qui nous sont propres. Chaque personne se trouve dans une situation unique. Qui donc

21

sait mieux que vous que faire ici, aujourd’hui, avec les connaissances dont vous disposez ?

Cependant, résoudre la crise climatique est un geste bien peu naturel, un geste pour lequel les êtres humains sont mal équipés. Notre cerveau ne fonctionne tout simplement pas ainsi. L’idée d’une menace existentielle future est abstraite et conceptuelle. Les métaphores guerrières qui parlent de combat, de bataille et de lutte contre le changement climatique ne marchent pas non plus. Qui se réveille le matin en s’enthousiasmant à l’idée d’atténuer les émissions ou de les éliminer dans trente ans ? La plupart des gens voient sans les voir les gros titres qui portent sur le climat, et pour cause : ils sont aux prises avec les dilemmes du quotidien, pas ceux du futur lointain, affrontant des obstacles qui se posent aujourd’hui et non en 2050. En revanche, les êtres humains font preuve d’une remarquable capacité à unir leurs forces dès lors qu’il y a un problème à régler. Qu’une menace immédiate, cyclone, crue ou ouragan s’abatte, et nous passons immédiatement à l’action. Si nous voulons que la plupart de nos congénères s’engagent dans la lutte contre la crise climatique, il faut procéder selon une méthode contre-intuitive : pour inverser le réchauffement planétaire, nous devons répondre aux besoins humains d’aujourd’hui, et non à ceux d’une dystopie future fantasmée.

En effet, si nous voulons attirer l’attention de l’humanité, il faut qu’elle ait le sentiment qu’on lui accorde de l’attention. Pour sauver le monde de la menace du réchauffement planétaire, nous devons d’abord créer un monde que nous aurons envie de sauver. Sans prise en charge de nos enfants, des pauvres et des exclus, il n’y a pas de lutte possible contre la crise climatique. Il faut que les droits humains fondamentaux soient respectés et les besoins matériels comblés, ou nos efforts seront vains. Si on n’arrive pas à percevoir les avantages cumulatifs que peut apporter rapidement l’action climatique pour soi ou sa famille, alors on ne fera rien. Les besoins des populations et ceux des systèmes vivants sont souvent présentés comme des priorités contradictoires (il faut choisir entre protection de la biodiversité et lutte contre la pauvreté, défense des forêts et élimination de la faim) alors que le destin des sociétés humaines et celui du monde naturel sont inséparables, si ce n’est identiques. La justice sociale n’est pas un combat de second plan dans le contexte de la crise climatique. L’injustice en est la cause. Donner à chaque enfant une éducation, fournir à toutes et à tous de l’énergie renouvelable, éliminer le gaspillage alimentaire et la famine, veiller à l’égalité des genres, à la justice économique et à l’égalité des chances, reconnaître notre responsabilité et réparer nos

22

torts à l’égard de la myriade des communautés du monde qui ont subi des injustices – ces actions, entre autres, sont au cœur du processus qui peut renverser la situation pour l’ensemble de l’humanité, les riches comme les pauvres. Mettre un terme à la crise climatique est une étape. L’objectif final, c’est de régénérer la santé, la sécurité et le bien-être du genre humain, le monde du vivant et la justice.

Il faut pour cela un effort mondial, collectif, délibéré. Les mouvements ne naissent pas au sein des équipes de direction des institutions. Ils apparaissent lorsqu’une personne se lie à une autre puis à une autre encore, dans l’espace social invisible dans lequel l’engagement et l’action se combinent et s’unissent pour devenir un duo, un groupe, une équipe, une dynamique. Pour dire les choses simplement : personne ne viendra nous aider. Il n’existe pas d’instance supérieure qui se penchera sur les problèmes pendant que nous méditons sur la situation. Les technologies les plus complexes, les plus radicales en faveur du climat sur cette Terre sont non pas les panneaux solaires mais le cœur, la tête et l’esprit humains. L’abysse climatique au bord duquel nous nous tenons est aussi un seuil historique. La compréhension du changement climatique et la sensibilisation à ce phénomène s’intensifient exponentiellement, atteignent parfois des sommets. Le changement climatique devient quelque chose de vécu plutôt qu’un concept. Tandis que les perturbations météorologiques s’aggravent, qu’on s’en rend compte et s’en inquiète de plus en plus, le mouvement visant à inverser la crise climatique deviendra sans doute le plus important de l’histoire humaine. Il a fallu des décennies pour en arriver là.

Évidemment, le fait que nos gestes comptent à peine si les autres ne font rien est un sujet de préoccupation. Du point de vue de la planète, il n’y a pas de différence entre un climatosceptique et quelqu’un qui comprend le problème et reste passif. La cause première du changement de comportement est l’évolution de notre entourage. Le neuroscientifique Andrew Huberman, de l’université de Stanford, conteste l’idée selon laquelle nos actes ou ce que nous sommes capables de faire sont motivés par nos croyances. C’est tout l’inverse : les croyances ne peuvent pas transformer nos actes, ce sont nos actes qui transforment nos croyances. Vous pensez qu’aucun de vos actes n’a le pouvoir de faire évoluer la situation ? Logique. Vous avez peur de l’avenir ? Compréhensible. Le changement climatique vous angoisse ? Normal. Cependant, ce stress que vous ressentez, c’est votre cerveau qui vous intime d’agir. Non seulement les actions ont une influence sur les croyances de celles et ceux qui les accomplissent, mais elles changent ce que les autres pensent.

23

Lorsque l’abeille éclaireuse trouve un butin de fleurs et de nectar, elle retourne à la ruche, à l’entrée de laquelle elle opère une sorte de danse frétillante. La danse indique la direction et la distance exacte qui sépare les abeilles des plantes ou des arbres en fleurs. Plus le frétillement est vigoureux, plus la source de nectar est abondante. Une fois que les ouvrières ont vu la danse, elles disposent des informations nécessaires pour voler droit à la source. Il est temps que les êtres humains, où qu’ils se trouvent, se mettent à frétiller pour faire part de leurs connaissances et de leur détermination. On peut voir notre époque sous cet angle : la planète, notre enseignante, nous fait l’école à la maison. Le présent ouvrage est une tentative de rendre compte de ses leçons.

Partisane de l’alliance entre savoir traditionnel et science et technologie, Hindou Oumarou Ibrahim est l’une des chefs de file du mouvement destiné à renforcer le rôle des femmes autochtones dans l’élaboration des mesures politiques et des pratiques qui influencent l’avenir de la planète.

paul hawken

MODE D’EMPLOI DE CE LIVRE

Régénération a pour objet de mettre un terme à la crise climatique en une génération, ce qui n’est pas la même chose qu’en finir avec le réchauffement climatique, engagement à prendre sur tout un siècle. L’idée est que d’ici à 2030, par l’action collective, l’humanité aura réduit le volume total de ses émissions de gaz à effet de serre de 45 à 50 %. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous allons dans le sens inverse, c’est-à-dire que les émissions augmentent.

Le présent livre et le site web qui l’accompagne proposent une feuille de route pour atteindre les objectifs établis dans le rapport spécial du GIEC relatif aux conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Publié en octobre 2018, ce rapport appelle à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 à 50 % par rapport aux niveaux de 2010 pendant la décennie 2020-2030 puis à répéter l’opération au cours de la décennie suivante afin de limiter la hausse des températures planétaires à 1,5 °C. La question la plus communément posée dans le contexte de la crise est : “Que puis-je faire ?” Que peut faire une personne (ou une entité) pour optimiser son impact sur l’urgence climatique dans le laps de temps le plus court possible ? La plupart des gens sont démunis, ou estiment ne jamais être en mesure d’en faire assez. Nous ne sommes pas de cet avis. Notre stratégie d’inversion du changement climatique ne va pas dans le même sens que les autres propositions généralement avancées. Elle se fonde sur le concept de régénération. Nous ne nous opposons pas aux autres modes et plans d’action. Tout au contraire : nous en prenons acte et nous nous félicitons de leur existence. Nous n’avons qu’une préoccupation : la plupart des êtres humains dans le monde ne s’engagent pas dans l’action climatique, or nous avons besoin d’une stratégie qui fait participer la majorité. On parle souvent de “lutte” contre le changement climatique ou d’“atténuation” de ses effets : la régénération, elle, est une autre stratégie, inclusive et efficace. La régénération crée, construit et guérit. C’est ce que le vivant a toujours fait ; nous en faisons partie, et c’est là le cœur de notre proposition. Elle englobe le mode de vie et d’action des êtres humains en tout lieu. Nous concluons ce livre par une section intitulée “Action + Connexion”. Nous y montrons que les solutions détaillées dans le présent ouvrage, qui se répandent et se développent, permettent d’atteindre les objectifs définis par les climatologues et le GIEC. Toutes les solutions décrites sont faisables et réalistes. Il ne leur manque qu’une chose : être adoptées à grande échelle. Nous vous invitons à lire en premier la fin du livre, si cela peut vous être utile.

25

Les éléments qui suivent sont les six cadres d’action fondamentaux visant à résoudre la crise climatique. Ils se chevauchent à bien des égards, mais chaque catégorie renferme des niveaux multiples de découverte, d’innovation et de trouvailles. La section “Action + Connexion” montre les méthodes créatives et productives que peuvent appliquer les peuples, les communautés, les entreprises, les quartiers, les régions, les écoles, les entreprises et les pays pour changer la donne. Ce qui nous empêche d’avancer aujourd’hui, ce n’est pas le manque de solutions. C’est la difficulté à imaginer tout ce qui pourrait être possible. Si vous êtes quelqu’un de pessimiste ou de défaitiste, lisez quelques pages de ce livre (ou lisez-le dans son intégralité) puis allez consulter la fin. Vous changerez peut-être d’avis.

Garantir l’équité. Ce principe vient en premier parce qu’il englobe tous les autres. Tout ce qui sera fait doit l’être dans le souci de l’équité. Nous parlons ici de justice dans les systèmes sociaux, dans nos rapports les uns aux autres et dans notre rapport au vivant. La planète s’est transformée en un clin d’œil. Si nous voulons transformer la crise climatique, nous devons nous transformer, et ce sans cligner des yeux. Le temps presse. Les systèmes sociaux doivent être traités avec le même soin, la même attention et la même bienveillance que les écosystèmes. Ils sont incomparables et pourtant inséparables. L’état de l’environnement rend compte avec justesse de la violence, de l’injustice, de l’irrespect et de la souffrance que nous infligeons aux personnes qui n’ont pas la même culture, les mêmes croyances ou la même couleur de peau que nous. Comme le fait remarquer Jane Goodall dans l’avant-propos, on sauve les forêts et les espèces en contribuant à améliorer les conditions de vie des populations qui vivent à leurs côtés.

Réduire. Pour inverser le réchauffement planétaire, n’allons pas par quatre chemins : il faut arrêter de libérer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. C’est la solution la plus difficile, mais aussi la plus intéressante sur le plan économique. La quantité de combustible fossile émetteur de carbone qui est consommée a de quoi étonner : nous brûlons chaque jour 100 millions de barils de pétrole, 1 milliard de tonnes de charbon et 10 milliards de mètres cubes de gaz naturel, qui ensemble émettent 34 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an. Remplacer le charbon, le gaz et le pétrole dont nous sommes actuellement tributaires est une entreprise colossale. Il convient de réduire les émissions de carbone et de méthane issues de l’agriculture, des systèmes alimentaires, de la déforestation, de la

26

désertification et de la destruction des écosystèmes. La production d’énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, le stockage de l’énergie et les mini-réseaux sont des éléments de réponse capitaux, et déjà en bonne voie. Bien qu’on l’évoque moins, la réduction de l’utilisation de l’énergie et des matériaux est tout aussi importante. Parmi les solutions de la catégorie réduire figurent les véhicules électriques, la micromobilité, les bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment, les villes piétonnisées, l’architecture qui stocke du carbone, l’électrification des bâtiments, la réduction des déchets alimentaires et la catégorie qui suit : protéger.

Protéger. “Protéger” est synonyme de “préserver”, “garantir” et “honorer”. Vous trouverez dans ce livre des réflexions sur les pollinisateurs, les couloirs fauniques, les castors, les habitats, les biorégions, les algues, les migrations animales et l’écologie des pâturages, soit des thématiques qui ne sont pas habituellement associées aux solutions applicables à la crise climatique. Comment ces questions pourraient-elles figurer parmi les plus importantes ? Tout simplement parce qu’elles sont essentielles et cruciales aux systèmes vivants que nous devons défendre et consolider. Les systèmes terrestres renferment 3 300 milliards de tonnes de carbone, dans le sol et à la surface. C’est peu ou prou quatre fois plus de carbone que dans l’atmosphère. Ce carbone est présent dans les forêts, les tourbières, les zones humides, les prairies, les mangroves, les marais maritimes côtiers, les terres agricoles et les prairies, et il faut absolument qu’il y reste. Chaque année, une part de chacun de ces écosystèmes est dégradée, transformée, convertie ou détruite. C’est un pourcentage relativement modeste, mais à la longue, les pertes s’accumulent. Lorsque des systèmes vivants s’effondrent ou disparaissent, les plantes et les organismes dans le sol et à sa surface meurent, phénomène qui se traduit par des émissions de dioxyde de carbone. Si nous perdons 10 % des systèmes terrestres, ces émissions pourraient augmenter la quantité de CO2 dans l’atmosphère de 100 parties par million (ppm). Protéger, c’est préserver le bon fonctionnement des systèmes vivants, ce qui permettrait de capter et de stocker davantage de carbone plutôt que d’en rejeter. Lorsqu’un écosystème périclite, les oiseaux, les reptiles, les rongeurs, les mammifères, les insectes et les créatures qu’on y trouvait perdent leur lieu de vie, cause principale d’une extinction. Réciproquement, si les espèces qui occupent nos forêts, nos zones humides ou nos prairies disparaissent, ces systèmes s’effondrent. Vous auriez tort de penser que les colibris, les sphingidés et les requins sont sans importance dans le contexte général du changement climatique. La

27

biodiversité, le genre humain, la terre, les cultures, les océans et le climat sont indissociables.

Piéger. Le cycle naturel du carbone fonctionne depuis des centaines de millions d’années. Le carbone pénètre dans l’atmosphère et en ressort. Les forêts, les plantes et le phytoplancton absorbent du dioxyde de carbone et le transforment en oxygène et en hydrates de carbone. Le quart de nos émissions environ est ainsi absorbé par les océans et se retrouvera dans les poissons, le kelp, les baleines, les coquilles, les phoques et les os, mais la plupart deviennent de l’acide carbonique, qui tue lentement la vie marine et mènera à la mort des océans. Les êtres humains ont plusieurs grands moyens de capter le carbone : agriculture régénératrice, gestion des pâturages, proforestation, reboisement, remise en état des terres dégradées, restauration des mangroves, réhabilitation des zones humides, et protection des écosystèmes. Les expressions “zéro émission nette” ou “neutralité carbone”, qu’on entend souvent, ne sont pas l’objectif final. Il s’agit du seuil à partir duquel nous commençons à réduire les niveaux de carbone atmosphérique pour les ramener aux niveaux préindustriels.

Influencer. L’influence passe par les lois, les règlements, les subventions, les politiques et les codes de construction. Par exemple, mettre un terme à l’utilisation de sacs en plastique est une chose, mais il serait préférable d’interdire l’utilisation du plastique à usage unique en général. En réfléchissant à notre impact et en nous efforçant de le réduire, nous en apprenons plus sur les causes et les sources des processus, produits et services qui entraînent la dégénération. Individuellement, nous ne sommes pas en mesure de remédier à la pollution, à la dégradation ou à l’utilisation abusive du plastique une fois que ces phénomènes ont eu lieu. La cause est en amont, et c’est donc là qu’il faut intervenir. On peut commencer par les politiques et les habitudes d’achat d’une école, d’une ville, d’un commerce. Vous pouvez exercer votre influence en envoyant des lettres, des e-mails ou des messages aux entreprises et aux associations professionnelles. Adressez-vous, à l’oral ou à l’écrit, à vos conseillères municipales, aux maires, aux conseillers départementaux, aux législateurs et législatrices, aux présidents de région et à vos députées. L’influence peut prendre la forme de boycotts et de manifestations. Nous avons chacun et chacune une voix, mais c’est lorsque nous unissons nos forces que le changement se produit.

28

Soutenir. Dans pratiquement chaque domaine lié au climat, à la justice sociale et à l’environnement, il existe des organisations très compétentes dans leur champ d’action : elles ont déjà une longueur d’avance et disposent des connaissances et des réseaux qui en font les agentes du changement les plus efficaces. Les pages de notre site Internet proposent des listes d’organisations qui œuvrent aux quatre coins du monde. Ce sont de véritables catalyseurs de régénération, des équipes qui souvent travaillent avec très peu de moyens, des personnes qui font l’extra ordinaire, contrairement aux gouvernements et aux grosses sociétés. Des listes figurent sur la page correspondant à chaque enjeu ou solution. Il vous sera facile de trouver celles qui peuvent vous être utiles en fonction des lieux et des domaines dans lesquels vous voulez contribuer à faire changer les choses.

Un groupe de jeunes chevêches brames (Athene brama) dans le Tamil Nadu (Inde).
29

RÉGÉNÉRATION

Après le succès de Drawdown, paru en France en 2018 aux éditions Actes Sud, Paul Hawken et son équipe reviennent avec Régénération dans lequel ils précisent leur ambition : atteindre l’inversion du réchauffement planétaire en une seule génération. Grâce à une approche transversale originale et à la mobilisation d’un vaste champ de disciplines, ils recensent une myriade d’actions de terrain qui participent toutes d’un mouvement émergent de “régénération” du climat, du vivant et des sociétés humaines ; bref, de la Terre. Des projets qui explorent, entres autres, les concepts de biorégion, de ville zéro carbone ou de ville du quart d’heure, d’architecture décarbonnée et d’énergie géothermique ou encore d’agroécologie. Associant les luttes sociales aux luttes environnementales, l’objectif de Paul Hawken est avant toute chose d’améliorer les conditions de vie des plus démunis. L’auteur offre ainsi une vision globale du problème et des solutions à mettre en œuvre, faisant de Régénération LE livre de référence qui détaille l’ensemble des leviers culturels, sociaux, économiques, techniques et scienti ques à solliciter pour relever le plus grand dé au monde.

https://regeneration.org

Écologiste, entrepreneur, écrivain et activiste états-unien, Paul Hawken a passé sa vie professionnelle à faire évoluer la relation entre économie et environnement. Il est un pionnier de la refonte des modèles économiques vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Il est le directeur exécutif des projets Drawdown et Regeneration

Avant-propos de Jane Goodall et postface de Damon Gameau. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Amanda Prat-Giral.

Dessin de couverture : © David Dellas, 2011

DÉP. LÉG. : AVRIL 2024 xx € TTC France www.actes-sud.fr

ISBN : 978-2-330-18553-4

9:HSMDNA=V]ZZXY:

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.