Extrait de "Titien"

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7 Titien, Tobie et l’ange. Venise, Gallerie dell’Accademia.

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PREMIÈRE PARTIE

8 Titien, Le Baptême du Christ avec le donateur Giovanni Ram. Rome, Pinacoteca Capitolina.

Pages suivantes 9 Titien, Tobie et l’ange, détail. Venise, Gallerie dell’Accademia. 10 Titien, Le Baptême du Christ avec le donateur Giovanni Ram, détail. Rome, Pinacoteca Capitolina.


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7 Titien, Tobie et l’ange. Venise, Gallerie dell’Accademia.

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PREMIÈRE PARTIE

8 Titien, Le Baptême du Christ avec le donateur Giovanni Ram. Rome, Pinacoteca Capitolina.

Pages suivantes 9 Titien, Tobie et l’ange, détail. Venise, Gallerie dell’Accademia. 10 Titien, Le Baptême du Christ avec le donateur Giovanni Ram, détail. Rome, Pinacoteca Capitolina.


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PREMIÈRE PARTIE

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DEUXIÈME PARTIE

Les prendre avec des gants On l’appelle généralement le Jeune Homme au chapeau rouge (ill. 1), bien que son couvre-chef extravagant, dont la forme n’a rien de vénitien, soit en réalité composé d’une sorte de calotte noire en partie couverte par des rabats rouges découpés et relevés ; on l’appelle aussi le Jeune Homme à la fourrure, bien qu’il s’agisse seulement de deux grands revers de fourrure sur le manteau noir ouvert, qui laisse voir le justaucorps en satin jaune d’or, orné d’un bandeau brun-noir, et la chemise blanche plissée sans ornement de col. Il semble que personne ne se soit arrêté sur la main gantée, posée sur le pommeau de l’épée, et moins encore sur l’expression indéchiffrable, distraite ou indifférente. En revanche, il a été dit que le visage et l’habit permettent de déterminer le statut social et la personnalité, et que ce jeune homme s’offre à l’examen du spectateur tout en le maintenant à distance et sans daigner le gratifier d’un regard1. Il se trouve à New York, dans la Frick Collection, et il a été peint en 1515 ou un peu avant. Impossible de lui donner sinon un nom du moins un contexte, ou de résoudre la contradiction entre l’habit voyant et le rapprochement gant/épée, emblème habituel de la loyauté chevaleresque2. À la même date ou un peu plus tard, un autre portrait est sa contrepartie parfaite : le sévère et distingué Gentilhomme en dépôt à la National Gallery à Londres, de la collection du

comte d’Halifax (ill. 2). Outre son pourpoint rouge, dont on voit une manche bien en évidence sur la chemise blanche et sous la toge noire, il tient dans sa main droite un chapeau à large bord orné d’une médaille. Une main est gantée, l’autre pas. Il ne semble pas plus cordial ni plus disponible que le personnage précédent, y compris parce que le parapet est de retour. À son regard, néanmoins, on devine de hautes pensées, sobres et mesurées, que confirment les reliefs à l’antique du décor dans lequel il pose. Un même air sérieux mais un tempérament plus passionné chez le Jeune Gentilhomme ou Portrait présumé de Vincenzo Mosti au palais Pitti à Florence (ill. 3) : traits fins, barbe et moustaches, regard vif, notre gentilhomme est coiffé de l’ample chapeau noir que son collègue londonien tenait à la main ; il est vêtu d’un splendide pourpoint noir orné de morceaux de fourrure appliqués, sur une chemise blanche au col froncé. La main gantée de noir est posée sur un livre : tranquille, possessive. Mais peut-être sommes-nous vers 1520, voire un peu au-delà. Peut-être sommesnous à la cour, où la sobriété de l’habit et de l’ornement est de mise afin que l’attention du spectateur se concentre sur le visage et sur les mains, ou sur l’expression et le geste, en tant qu’éléments révélateurs d’un portrait entendu comme une image prise sur le vif du caractère et de la personnalité.

1 Titien, Portrait du jeune homme au chapeau rouge. New York, Frick Collection.

Pages suivantes 2 Titien, Portrait de gentilhomme. Londres, National Gallery. 3 Titien, Portrait de gentilhomme. Florence, Galleria Palatina, palais Pitti.


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DEUXIÈME PARTIE

Les prendre avec des gants On l’appelle généralement le Jeune Homme au chapeau rouge (ill. 1), bien que son couvre-chef extravagant, dont la forme n’a rien de vénitien, soit en réalité composé d’une sorte de calotte noire en partie couverte par des rabats rouges découpés et relevés ; on l’appelle aussi le Jeune Homme à la fourrure, bien qu’il s’agisse seulement de deux grands revers de fourrure sur le manteau noir ouvert, qui laisse voir le justaucorps en satin jaune d’or, orné d’un bandeau brun-noir, et la chemise blanche plissée sans ornement de col. Il semble que personne ne se soit arrêté sur la main gantée, posée sur le pommeau de l’épée, et moins encore sur l’expression indéchiffrable, distraite ou indifférente. En revanche, il a été dit que le visage et l’habit permettent de déterminer le statut social et la personnalité, et que ce jeune homme s’offre à l’examen du spectateur tout en le maintenant à distance et sans daigner le gratifier d’un regard1. Il se trouve à New York, dans la Frick Collection, et il a été peint en 1515 ou un peu avant. Impossible de lui donner sinon un nom du moins un contexte, ou de résoudre la contradiction entre l’habit voyant et le rapprochement gant/épée, emblème habituel de la loyauté chevaleresque2. À la même date ou un peu plus tard, un autre portrait est sa contrepartie parfaite : le sévère et distingué Gentilhomme en dépôt à la National Gallery à Londres, de la collection du

comte d’Halifax (ill. 2). Outre son pourpoint rouge, dont on voit une manche bien en évidence sur la chemise blanche et sous la toge noire, il tient dans sa main droite un chapeau à large bord orné d’une médaille. Une main est gantée, l’autre pas. Il ne semble pas plus cordial ni plus disponible que le personnage précédent, y compris parce que le parapet est de retour. À son regard, néanmoins, on devine de hautes pensées, sobres et mesurées, que confirment les reliefs à l’antique du décor dans lequel il pose. Un même air sérieux mais un tempérament plus passionné chez le Jeune Gentilhomme ou Portrait présumé de Vincenzo Mosti au palais Pitti à Florence (ill. 3) : traits fins, barbe et moustaches, regard vif, notre gentilhomme est coiffé de l’ample chapeau noir que son collègue londonien tenait à la main ; il est vêtu d’un splendide pourpoint noir orné de morceaux de fourrure appliqués, sur une chemise blanche au col froncé. La main gantée de noir est posée sur un livre : tranquille, possessive. Mais peut-être sommes-nous vers 1520, voire un peu au-delà. Peut-être sommesnous à la cour, où la sobriété de l’habit et de l’ornement est de mise afin que l’attention du spectateur se concentre sur le visage et sur les mains, ou sur l’expression et le geste, en tant qu’éléments révélateurs d’un portrait entendu comme une image prise sur le vif du caractère et de la personnalité.

1 Titien, Portrait du jeune homme au chapeau rouge. New York, Frick Collection.

Pages suivantes 2 Titien, Portrait de gentilhomme. Londres, National Gallery. 3 Titien, Portrait de gentilhomme. Florence, Galleria Palatina, palais Pitti.


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44-45 Titien, Bacchus et Ariane, dĂŠtails. Londres, National Gallery.


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44-45 Titien, Bacchus et Ariane, dĂŠtails. Londres, National Gallery.


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CONCLURE AVEC PRUDENZA

L’Allégorie de la Prudence ou, mieux, l’Allégorie du Temps gouverné par la Prudence, selon le titre que lui donna Lionello Puppi il y a quelques années1, est conservée à la National Gallery, à Londres (ill. 1). Elle a toujours été pensée dans ses grandes lignes (et l’est peut-être encore, du moins, je l’espère), sur la base d’un essai célèbre de Panofsky2. Étant donné que le propos de cet essai est ou devrait être largement connu et qu’il suffit, pour ce qui est du tableau, de le regarder, je me contenterai de rappeler que l’Allégorie présente de gauche à droite : en bas, trois têtes d’animaux – un loup, un lion, un chien – ; au-dessus, trois têtes d’homme – un vieillard, un homme d’âge mûr, un jeune homme – ; en haut, une inscription en grandes lettres capitales, également divisée en trois : / RITO (à partir du passé) EX PRAETE

/ TER AGIT (le présent agit prudemment) PRAESENS PRVDEN

NI FVTVRV[M]

/ ACTIONE[M] DE / TVRPET (afin que le futur ne ruine pas l’action) Il n’est pas inutile de souligner que, pour les Anciens et les humanistes, prudenza signifiait non pas, comme à l’heure actuelle, prudence, mais sagesse, sagacité, “bon conseil”. La prudenza, ainsi

que le suggère l’inscription, met immédiatement en jeu le temps : l’homme prudent ou sage est celui qui tire de l’expérience du passé une leçon lui permettant d’agir en connaissance de cause dans le présent et de jeter les bases du futur. Raison pour laquelle la notion de prudenza trouve aisément sa place dans la tradition littéraire et le thème iconographique des trois âges de l’homme3. Clarifier certains éléments d’ordre philologique est un autre préalable nécessaire. Si notre discipline (presque) exhaustive manque d’études nouvelles, c’est (entre autres raisons) parce les vieux outils lui font toujours plus défaut. L’historien de l’art qui entend s’occuper de questions “humanistes” devrait pourtant connaître le latin, savoir le lire et le transcrire correctement. Il devrait aussi pouvoir lire et citer la littérature de référence sinon dans toutes les langues possibles et disponibles du moins dans les principales langues modernes, en plus de la sienne. Enfin, parmi ces dernières, il devrait manier la langue italienne s’il veut aborder des arguments relatifs à la culture italienne. Mais revenons à notre inscription. La lecture, la transcription et la traduction des deux premières parties n’ont jamais posé de problèmes particuliers. La troisième, en revanche, a été transcrite et traduite de maintes manières fantaisistes. Il est vrai que le texte est difficilement lisible dans presque toutes les reproductions disponibles. Mais il se lit très bien sur l’original (pour ceux, bien sûr, qui étudient encore les originaux) et dans une reproduction réalisée expressément

1 Titien, Allégorie de la Prudence. Londres, National Gallery.


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CONCLURE AVEC PRUDENZA

L’Allégorie de la Prudence ou, mieux, l’Allégorie du Temps gouverné par la Prudence, selon le titre que lui donna Lionello Puppi il y a quelques années1, est conservée à la National Gallery, à Londres (ill. 1). Elle a toujours été pensée dans ses grandes lignes (et l’est peut-être encore, du moins, je l’espère), sur la base d’un essai célèbre de Panofsky2. Étant donné que le propos de cet essai est ou devrait être largement connu et qu’il suffit, pour ce qui est du tableau, de le regarder, je me contenterai de rappeler que l’Allégorie présente de gauche à droite : en bas, trois têtes d’animaux – un loup, un lion, un chien – ; au-dessus, trois têtes d’homme – un vieillard, un homme d’âge mûr, un jeune homme – ; en haut, une inscription en grandes lettres capitales, également divisée en trois : / RITO (à partir du passé) EX PRAETE

/ TER AGIT (le présent agit prudemment) PRAESENS PRVDEN

NI FVTVRV[M]

/ ACTIONE[M] DE / TVRPET (afin que le futur ne ruine pas l’action) Il n’est pas inutile de souligner que, pour les Anciens et les humanistes, prudenza signifiait non pas, comme à l’heure actuelle, prudence, mais sagesse, sagacité, “bon conseil”. La prudenza, ainsi

que le suggère l’inscription, met immédiatement en jeu le temps : l’homme prudent ou sage est celui qui tire de l’expérience du passé une leçon lui permettant d’agir en connaissance de cause dans le présent et de jeter les bases du futur. Raison pour laquelle la notion de prudenza trouve aisément sa place dans la tradition littéraire et le thème iconographique des trois âges de l’homme3. Clarifier certains éléments d’ordre philologique est un autre préalable nécessaire. Si notre discipline (presque) exhaustive manque d’études nouvelles, c’est (entre autres raisons) parce les vieux outils lui font toujours plus défaut. L’historien de l’art qui entend s’occuper de questions “humanistes” devrait pourtant connaître le latin, savoir le lire et le transcrire correctement. Il devrait aussi pouvoir lire et citer la littérature de référence sinon dans toutes les langues possibles et disponibles du moins dans les principales langues modernes, en plus de la sienne. Enfin, parmi ces dernières, il devrait manier la langue italienne s’il veut aborder des arguments relatifs à la culture italienne. Mais revenons à notre inscription. La lecture, la transcription et la traduction des deux premières parties n’ont jamais posé de problèmes particuliers. La troisième, en revanche, a été transcrite et traduite de maintes manières fantaisistes. Il est vrai que le texte est difficilement lisible dans presque toutes les reproductions disponibles. Mais il se lit très bien sur l’original (pour ceux, bien sûr, qui étudient encore les originaux) et dans une reproduction réalisée expressément

1 Titien, Allégorie de la Prudence. Londres, National Gallery.


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