Petit manuel de l’alimentation saine et responsable - GENERATIONS COBAYES et Cécile BECQ

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PETIT MANUEL DE L’ALIMENTATION

SAINE ET RESPONSABLE GÉNÉRATIONS COBAYES illustrations de CÉCILE

ACTES SUD junior

BECQ



LES COBAYES METTENT LES PIEDS DANS LE PLAT

p. 6

IL ÉTAIT UNE FOIS… DE LA TERRE À L’ASSIETTE

p. 10

CALMEMENT, ON FAIT LE BILAN

p. 18

TU PEUX TOUT CHANGER !

p. 26

DU COUP, ON MET QUOI DANS SON ASSIETTE ?

p. 34

LE POINT VOCABULAIRE

p. 54

QUELQUES RUSES DE COBAYE POUR FAIRE SES PROVISIONS

p. 56

CUISINE SAINE : TOUS AUX FOURNEAUX !

p. 60

CE N’EST QU’UN AU REVOIR

p. 66

DES LIVRES, DES SITES ET DES APPLIS POUR ALLER PLUS LOIN

p. 70


À vous qui allez désormais vous faire à manger ! Je vous demande juste de vous arrêter un instant. De prendre le temps de sentir et de ressentir. De réaliser que derrière chaque bouchée avalée, chaque arôme ressenti, chaque petit plaisir du palais, il y a un artisan passionné, guidé par la nature, les plantes qu’il cultive, parfois rétives, souvent indulgentes et bonnes filles, les animaux qu’il “élève” et qui l’élèvent et lui rendent son attention, le soin qu’il leur porte. Arrêtez-vous sur ce riz donné par la Camargue encore si prodigue pour ceux qui la respectent. Appréciez ces légumes goûteux, ces poivrons d’arôme si complexe, ces concombres qui ne font pas roter et ces cuisses de belle-mère charnues et puissantes… en goût. Ces légumes si courants dont on a oublié le goût et que produit mon pote Jean-Mi au prix des kilos qu’il perd sous ses serres, qu’il refuse de livrer à l’industrie mondialisée pour vendre à tous sur les marchés. Appréciez de suite ou souvenez-vous du goût fin et laiteux de ce veau bien né en terre d’Aubrac ou en Bourbonnais, nourri de ces herbes des prés qui en font la subtilité. Vous saurez pourquoi et grâce à qui vous allez cuisiner, prendre plaisir à déguster et être en santé, vous honorerez par cette attention ceux qui ont travaillé pour que vous ayez un bon repas de plaisirs et de sens, et surtout, que perdure cette précieuse culture ! Mais surtout et enfin, penchez-vous sur ces vins un rien taquins qui nous font oublier les parfums normés. Je parle des vins nus. Ils vous surprennent ? tant mieux ! Vous ne les appréciez pas. Vous ne les comprenez pas encore ; ça ne vous était sûrement pas arrivé depuis que nous avons tous été parkerisés.


Ceux-là ont été faits par des passionnés, moins en quête de vérités à énoncer que par goût du plaisir, de la boutanche et des purs jus ! Ils essayent, se cherchent, tâtonnent, réinventent et revisitent à leurs sauces les vinifications, sans chimie, ni au chais, ni aux vignes… ! Si vous saviez… S’ils vous questionnent, c’est gagné. Vous allez chercher, goûter, découvrir et finir par trouver du plaisir ; le vôtre, pas celui des autres, celui qu’il faut avoir, mais celui qui vous fait claquer la langue sur le palais, taper dans le dos du pote et dire : “Putain, c’est bon ça !” C’est ça manger, se nourrir du travail des autres, le leur rendre par notre santé et notre joie de vivre. Oubliez la chimie et l’industrie, regardez près de chez vous… il y a tout ! Et si vous êtes aventuriers, cherchez, dénichez, préparez et sublimez ce que la nature vous donne et vous ferez naître des sourires de plaisir !

Jérôme Douzelet, chef cuisinier Co-auteur de Plaisirs cuisinés ou poisons cachés et Le goût des pesticides dans le vin


LES COBAYES METTENT LES PIEDS DANS LE PLAT Que fais-tu trois fois par jour, la plupart du temps avec plaisir et rarement seul ? Ne t’emballe pas, nous, on pensait simplement à “manger” ! Petit-déjeuner, déjeuner et dîner : le compte y est. Reconnais aussi que c’est une activité sympa et souvent l’occasion de discuter avec tes potes ou tes parents (d’accord, l’ambiance ne sera pas forcément la même).

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Tu l’auras compris, dans ce livre, nous allons parler du contenu de ton assiette. On t’invite à te poser des questions pour que tu ne sois plus un pigeon… ou un cobaye, comme on dit chez nous ! Autrement dit, fini le bon petit soldat qui prend ce qu’on lui donne sans se demander d’où ça vient ni ce que ça implique pour lui et pour la planète. Bientôt, tu vas réaliser à quel point le contenu de ton assiette concerne non seulement ta santé mais aussi l’environnement et la société. Commençons sans tarder à titiller ton esprit critique. Savais-tu que les fameux trois repas par jour n’ont rien de naturel ? Il fut un temps où l’on ne mangeait qu’une fois par jour, plutôt en milieu de journée. Mais bon, les repas étaient, comment dire… nettement plus costauds qu’aujourd’hui, aussi bien en termes de quantité de nourriture avalée que de calories ingurgitées ! Quand les choses ont commencé à évoluer, c’est le petit-déjeuner qui a fait son apparition en premier. Mais attention, pas chez tout le monde, seulement dans les classes sociales défavorisées, qui se consacraient aux travaux physiques. Il fallait bien qu’elles prennent des forces avant d’aller travailler. Le dîner s’installe quant à lui dans les habitudes des Françaises et des Français entre le XVIe et le XIXe siècle. C’est le repas de sociabilisation par excellence1, surtout parmi les classes les plus aisées de la population. Ce résumé très rapide de l’évolution des rythmes de nos repas t’apprend une chose : ce n’est pas la nature qui dicte nos horaires de repas, mais nos habitudes alimentaires qui rythment notre appétit. Bonne nouvelle, des recherches récentes ont démontré que répartir notre plein d’énergie en trois ou quatre repas quotidiens est la meilleure façon de limiter le stockage des graisses2. Si tu as tendance à sauter le petit-déjeuner, il est temps de revoir tes priorités matinales ! En France, c’est bien connu, on aime manger, surtout lorsqu’on peut partager son repas avec d’autres. D’ailleurs, on passe beaucoup plus de temps à table que la plupart de nos voisins européens : pas moins de 2 h 22 par jour3 ! En plus, on est super réguliers : à

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13 heures, plus de la moitié de la population française déjeune. Ce n’est donc pas le moment d’essayer de joindre Géraldine du bureau des stages : peu de chance qu’elle te réponde, elle est probablement partie manger un morceau avec Marcel, du bureau Erasmus. Et comme si cela ne suffisait pas, dans l’Hexagone, on aime bien manger. L’Unesco a même reconnu la valeur culturelle de notre “repas gastronomique”. D’après l’organisation, c’est “un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l’art du « bien manger » et du « bien boire ». Le repas gastronomique met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature4”. Autrement dit, le déjeuner du dimanche chez tes grands-parents, où vous enchaînez les bons petits plats depuis l’apéritif jusqu’au digestif (pour les adultes, en tout cas) dans la bonne humeur, c’est un truc super classe que pas mal de gens t’envient autour du monde. Souviens-t’en quand tu devras jouer au Scrabble l’après-midi alors que tu aimerais juste faire une sieste pour digérer ! Ça y est, tu commences à penser que manger est une question culturelle avant tout ? Comme souvent, un petit schéma vaut mieux que mille mots pour te donner raison !

LES HABITUDES ALIMENTAIRES EN FRANCE

LE FLEUVE PRÉFÉRÉ DE MONSIEUR MÉTÉO POUR COUPER LA FRANCE EN DEUX 10


Mais ne crois pas qu’en France, tout se partage en fonction de la Loire. Non, la plus grande guerre des tranchées alimentaire oppose… les régions bordelaise et toulousaine au reste de la France.

84 % DES FRANÇAIS

PLÉBISCITENT LE TERME “PAIN AU CHOCOLAT”, MAIS ON CONTINUE À S’ÉCHARPER SUR LE SUJET !

PAIN AU CHOCOLAT

CHOCOLATINE

Plus sérieusement, les oppositions existent aussi entre classes sociales. Par exemple, si on interroge les gens sur ce qu’est une bonne alimentation pour les enfants, les ménages modestes la définissent plutôt comme l’abondance d’aliments nourrissants, alors que les ménages plus aisés la pensent essentiellement en termes d’aliments sains5. Tu vas comprendre au fil de ta lecture que ce n’est pas la même chose et que ça a des conséquences sur ta santé. On pourrait continuer encore à disserter sur les résultats de la recherche en sociologie de l’alimentation (ça existe, la socio permet d’étudier vraiment tous les sujets !), mais tu auras compris l’essentiel : il y a une grande part culturelle dans notre manière de manger. Nous, on y voit une super bonne nouvelle. Ça veut dire que l’on peut remettre en question nos habitudes alimentaires et même nos goûts. Ça tombe bien, car il y a plus d’une bonne raison pour changer sans tarder le contenu de nos assiettes !

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IL ÉTAIT UNE FOIS… DE LA TERRE À L’ASSIETTE Il est midi et quart, tu traînes ton plateau le long du self. Tu récupères une assiette pleine de viande en sauce et de petits légumes vapeur (c’était ça ou des lasagnes avec de la salade verte) que tu poses à côté du tas de morceaux de pain, du yaourt et de la compote de pomme que tu as déjà choisis pour ton déjeuner. Ou plutôt attrapés au vol alors que tu es en pleine discussion avec tes potes sur les résultats du match de foot de la veille. C’est là, tu te sers, et tu ne te poses pas trop de questions. Mais en réalité, pour que tu puisses manger (remarque qu’on n’a pas dit “te régaler” !) tous les midis à la cantine, c’est toute une chaîne de production bien rodée qui est mobilisée. Et si on la remonte entièrement, on arrive dans les champs. Là où poussent le blé et les patates (mais pas seulement). Magique ? Pas tant que ça… La moissonneuse-batteuse est inventée en 1834. Dit comme ça, ça ne paraît pas très intéressant. En fait, c’est un symbole : celui du début de la mécanisation de l’agriculture. À partir de là, les machines vont sans cesse s’améliorer de manière à aider les agriculteurs et agricultrices, depuis la préparation des sols avant les semences jusqu’à la récolte, en passant par l’entretien des terres tout au long de la croissance des plantes. Aujourd’hui, par exemple, ils peuvent conduire leurs tracteurs aidés d’un GPS ou surveiller leurs champs avec un drone ! Mais les progrès de l’agriculture ne sont pas qu’une histoire de matériel, tu t’en doutes. Dès le XVIII siècle, on commence à s’intéresser à la productivité des terres et du bétail. Petit à petit, les paysans e

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intègrent les questions de rendement et de compétitivité dans leur manière de travailler. C’est le début de la révolution agricole, qui part dans toutes les directions : les progrès techniques sont mécaniques, on vient de le voir, mais pas seulement. On améliore aussi la façon d’utiliser les sols, répartis entre culture et pâturage, en perfectionnant la rotation des cultures (l’alternance des semences pour éviter d’appauvrir trop le sol) et en sélectionnant les meilleures espèces végétales (celles qui sont plus résistantes, qui consomment le moins d’eau…). L’objectif est toujours le même : augmenter la productivité. Pas question de s’arrêter en si bon chemin. Pris dans le mouvement, les agriculteurs se tournent dès le XIXe siècle vers les engrais, les pesticides et les herbicides. Les principes de fonctionnement de ces produits sont connus depuis la nuit des temps.

LES PESTICIDES AIDENT LA PLANTE À MIEUX POUSSER, EN ÉLIMINANT LES INSECTES QUI LUI TRANSMETTENT DES MALADIES OU LA MANGENT.

L’ENGRAIS EST UN FERTILISANT. IL AUGMENTE LA PRÉSENCE DE NUTRIMENTS DANS LE SOL, LA PLANTE POUSSE DONC “PLUS VITE, PLUS HAUT, PLUS FORT*”.

LES HERBICIDES DÉTRUISENT LES MAUVAISES HERBES QUI POUSSENT DANS LES CHAMPS ET “POMPENT” LES NUTRIMENTS DONT ONT BESOIN LES CULTURES.

* Comme disait Pierre de Coubertin (mais lui, il parlait de sport). 14


Tous ces produits existent en version naturelle : le fumier de cheval est un bon engrais, les coccinelles de super anti-pucerons, et la binette un excellent désherbant… manuel ! Mais ils existent aussi, depuis le milieu du XIXe siècle, en version chimique. À l’époque, l’industrie chimique, allemande en particulier, fait d’énormes progrès et propose des solutions si radicales qu’elles servent aussi bien d’armes contre les humains que contre les animaux. C’est le cas du gaz moutarde1, utilisé pendant la Première Guerre mondiale, qui se révèle être aussi un insecticide, ou du gaz sarin découvert par hasard par des chercheurs allemands qui travaillaient sur la formulation d’un pesticide2. Les industriels ont donc trouvé dans les champs un débouché pour leur production en temps de paix. Au fil des ans, la recherche va permettre de développer près de 100 familles chimiques de pesticides (à base de chlore, de phosphore, de dioxyde de carbone…) et il existe désormais près de 10 000 formulations commerciales (liquides, poudres, granulés…)6. Herbicides, pesticides et engrais chimiques sont utilisés par les agriculteurs qui constatent la différence : les récoltes sont meilleures, la production globale augmente.

LA CONSOMMATION MONDIALE D’ENGRAIS DEPUIS LES ANNÉES 1930

éléments nutritifs (en millions de tonnes) 100

azote 80 60 phosphore

40 20

potassium 0 1930

1940

1950

1960

1970

15

1980

1990

2000


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