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Il était une fois... trois filles, dix ans après

Il était trois fois…

C’est l’histoire de Natacha Gachnang, Cyndie Allemann et Rahel Frey, trois jeunes femmes animées de la même flamme, qui ont partagé le volant d’une voiture mythique aux 24 heures du Mans 2010. Que sont-elles devenues une décennie plus tard. Par Gérard Vallat

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En cette année 2010, le championnat du monde GT1 mettait aux prises Maserati, Nissan, Aston Martin, Corvette, Lamborghini et Ford, autant de constructeurs en lice pour se disputer le titre mondial d’une discipline en pleine expansion. Participants à la fête, quelques pilotes suisses étaient engagés sur les dix manches d’une saison qui passait également par les 24 Heures du Mans. Associées au volant d’une des deux Ford GT1 alignées par le team Matech, on trouvait nos «trois drôles de dames» Natacha Gachnang, Cyndie Allemann et Rahel Frey. Et pour mieux planter le décor, précisons que la deuxième Ford GT-Matech était confiée à Romain Grosjean et Jonathan Hirschi, deux autres ressortissants helvétiques, auxquels était adjoint l’Allemand Tomas Mutsch. Si l’exercice 2010 du team avait plutôt bien débuté, avec la victoire à Abu Dhabi pour la Ford de Grosjean, l’entame avait été plus difficile pour les filles. Incontrôlable, après avoir perdu l’usage de ses freins à haute vitesse, la Ford GT pilotée par Natacha Gachnang terminait sa course dans les barrières de sécurité, blessant son pilote. Jambe cassée, la Vaudoise a mis énormément de volonté pour reprendre le volant quelques semaines à peine après son accident. Néanmoins, c’est avec une paire de béquilles qu’elle s’est présentée aux vérifications des 24 Heures du Mans. Qualifiée avec le 6e temps de la classe GT1, la Ford des filles maintenait un bon rythme, jusqu’aux alentours de la quatrième heure de course, lorsqu’un incendie s’est déclaré à bord. Au volant, Natacha Gachnang se trouvait à nouveau en délicatesse avec les freins de la Ford, et se faisait une nouvelle frayeur en devant appuyer la voiture contre un mur pour l’arrêter. Fin de l’aventure Le Mans pour le trio féminin, mais les moments vécus sont restés gravés dans la mémoire de Natacha Gachnang, Cyndie Allemann et Rahel Frei qui se souviennent, chacune à sa manière de cette course.

ACS : Quels souvenirs gardez-vous de cette course ?

Rahel Frey : Un très bon souvenir bien entendu d’avoir participé à mon premier Mans avec Cyndie et Natacha. Pourtant, du point de vue purement sportif, le bilan n’est pas très positif. Nous étions très jeunes, sans aucune expérience des courses d’endurance, la compétition entre nous trois était encore trop présente. La voiture n’était pas facile à rouler, le ressenti de chacune de nous était parfois différent, et nous ne savions pas mettre en place les choses pour faire

Rahel Frey, Cyndie Alleman et Natacha Gachnang

«CELA RESTE EXTRAORDINAIRE D’AVOIR PARTICIPÉ ENSEMBLE À CES 24 HEURES DU MANS.»

fonctionner l’ensemble. Nous n’avions pas compris ce qui se passait et nous n’étions clairement pas prêtes, mais cela reste extraordinaire d’avoir participé ensemble à ces 24 Heures du Mans. De très bons moments qui préfiguraient peut-être ce qui se passe maintenant avec «Women in motorsport»

Cyndie Allemann : Je suis très fière d’avoir participé à cette course avec Natacha et Rahel. Les 24 Heures du Mans font partie des plus importants événements automobiles du monde. A 24 ans, je courais depuis longtemps déjà, en kart, puis en formule Renault et F3, mais me retrouver tout à coup dans cette atmosphère extraordinaire des 24 Heures du Mans était presque irréel. Mais cela me disait aussi que je ne pouvais pas être là par hasard. Le revers de la médaille, c’est que nous avons abandonné sur problème technique, alors que nous avions un bon rythme. Donc, oui cela reste un souvenir inoubliable avec Natacha et Rahel, mais aussi ce regret de n’être pas allé au bout. Ensuite, l’aventure s’est poursuivie sur une ou deux courses du championnat du monde, mais l’équipe faisait face à des problèmes de budget et cela s’est malheureusement arrêté prématurément.

Natacha Sottas/Gachnang : Je le dis aujourd’hui en riant, mais la première pensée qui me vient, c’est l’incendie de la voiture, alors que j’étais au volant. A part ça, bien sûr qu’il me reste un souvenir inoubliable de ma première semaine aux 24 Heures du Mans. Je me souviens de la surprise que j’ai eue quand j’ai participé à la parade dans les rues du Mans. Il y a toujours des dizaines de milliers de spectateurs, et entendre ces gens t’appeler en criant ton nom… ça me donne encore des frissons. D’autant plus que j’avais encore mes béquilles suite à l’accident d’Abu Dhabi sept semaines plus tôt. Cette expérience de disputer les 24 Heures du Mans avec deux filles suissesses, que je connaissais déjà, restera inoubliable. Après, pour l’aspect pilote, je me souviens bien du moment ou j’ai senti l’odeur de fumée. J’étais dans la ligne droite et mon premier réflexe, réminiscence d’Abu Dhabi, a été de tester immédiatement si les freins fonctionnaient. Et j’ai plutôt bien senti la chose puisque les durites avaient commencé à brûler, ce qui fait que j’ai eu de la peine à arrêter la Ford. J’avoue que ces deux épisodes consécutifs m’ont un peu perturbé, au point de consulter un psy pour chasser un éventuel traumatisme. Mais tout allait bien, j’ai refait les 24 Heures quelques années plus tard, pour les finir cette fois. Puis, pour parler de souvenir plus proches, j’ai eu récemment un coup de téléphone de Rahel qui me proposait de la rejoindre pour piloter une voiture dans le projet «Women in motorsport». Bien sûr, j’ai dû refuser étant donné que je venais d’avoir mon troisième enfant trois mois plus tôt. Voilà pour l’anecdote, je resterai certainement en rapport avec Cyndie et Rahel, mais certainement pas pour disputer une course.

ACS : Comment se déroulent vos vies aujourd’hui ?

RH : Pas de grands changements, je suis pilote professionnelle depuis 2011, quand Audi m’a engagé pour piloter leur voiture en DTM, puis en GT3. Mon contrat avec Audi est maintenant réduit, et depuis 2019 je pilote une Ferrari 458 GTLM. Cette saison je suis engagée en championnats d’Europe Suite page suivante

Ci-dessus : Cindie Alleman, femme pilote sur des chaînes de télévision. Ci-dessous : Natacha Gachnang dans sa nouvelle vie

(ELMS) et du monde (WEC) avec le team «Iron Dames» qui a constitué un équipage féminin, avec Manuela Gostner, Michelle Gatting et moi. En parallèle, je participe également à l’action de soutien aux femmes en sport automobile. Actuellement nous sommes à la recherche d’une pilote qui a un peu plus de 30 ans, pour être classée Bronze par la FIA. Ce n’est vraiment pas simple, car toutes les filles plus jeunes, même si elles n’ont que peu d’expérience ou seulement du karting, sont immédiatement catégorisées Silver. C’est un problème actuellement. J’avais eu l’idée de proposer à Cyndie et Natacha de prendre cette place, mais j’ai compris que leurs vies actuelles avec des enfants en bas âge ne leur permet pas de nous rejoindre. Elles ont fait un autre chemin de vie, c’est très bien aussi. En dehors de ces activités sport automobile, lorsque mon emploi du temps me le permets, je travaille à l’administration du garage familial. Et parfois, nous nous téléphonons avec Cyndie et Natacha.

CA : J’ai définitivement tourné la page de ma vie de pilote en 2015. Maintenant mon existence est un peu plus «calme», avec mon compagnon et mes deux enfants. Je dis un peu plus calme, parce que je reste active professionnellement, en assurant la gestion administrative de la société «Spirit karting» de mon frère Ken. Notre famille a toujours baigné dans le kart, donc c’est plutôt naturel que je continue dans cette voie, en coachant également de jeunes pilotes du team, et parfois même en faisant la mécanique. Durant cette période ou mon activité de pilote se terminait, je faisais occasionnellement du coaching pour des clients Mercedes. Puis tout s’est emballé, en commençant par l’invitation à passer un casting pour une chaine de télévision qui recherchait une femme pilote. J’ai passé cette sélection et obtenu le job. Je pense que je faisais pas mal le boulot, puisque depuis 2014 j’ai été engagée par RTL2 pour animer et tester des voitures sur l’émission «GRIP das motor magazin». Et en parallèle depuis 2018, je participe aussi à l’émission «GO das mobilität magazin» sur Télé Club zoom. De quoi bien occuper mes journées, mais je trouve toujours un peu de temps pour prendre des nouvelles de mes copines Rahel et Natacha.

NSG : Je dirais que ma «nouvelle» vie s’est construite progressivement parce que je n’ai pas vraiment arrêté la compétition d’un jour à l’autre. J’avais déjà mis de côté depuis quelque temps les rêves et ambitions de mes débuts. Rétrospectivement, ma retraite sportive a germé après mon accident à Abu Dhabi avec la Ford, puis l’enchainement qui s’est produit au Mans. J’ai commencé à me poser la question de savoir ce que je voulais réellement et j’ai compris que l’ambiance d’un team familial, humain me manquait. Et c’est à ce moment que j’ai démarré l’aventure du LMP2 avec le team de Benoit Morand. J’ai refait Le Mans et des courses d’endurance, puis un problème de santé m’a empêché de continuer ce programme. Mais je n’en avais pas encore terminé avec le sport automobile, et j’ai encore roulé avec une petite équipe française sur un championnat national. En parallèle j’avais anticipé sur mon avenir en faisant une formation d’auto-école. J’allais avoir 29 ans en 2016, j’ai décidé de tourner la page, gagner ma vie, construire une famille avec mon mari. Aujourd’hui, nous avons trois enfants, ma vie est radicalement différente, nous élevons des chèvres, et avons le projet de construire une exploitation agricole, dont les demandes d’autorisations sont en cours. Je vis maintenant très proche de la nature, ce qui correspond plus à ma personne. Être entrepreneur est aussi une forme de compétition.

«PUIS TOUT S’EST EMBALLÉ, EN COMMENÇANT PAR L’INVITATION À PASSER UN CASTING POUR UNE CHAINE DE TÉLÉVISION QUI RECHERCHAIT UNE FEMME PILOTE. J’AI PASSÉ CETTE SÉLECTION ET OBTENU LE JOB.»

NATACHA SOTTAS/GACHNANG

Née le 27.10.1987 à Vevey

Cousine de Sébastien Buemi, elle a comme lui posé ses fesses sur un karting à l’âge de 5 ans. Parfois plus rapide que le triple vainqueur des 24 Heures du Mans, Natacha a par la suite poursuivi son chemin en monoplace, passant de la formule BMW à la F3, discipline au sein de laquelle elle décrocha la 3e place du championnat d’Espagne en 2009. On la verra par la suite en F2, avant de piloter la Ford GT1-Matech en championnat du monde et au Mans. Le début des années 2000 sera pour Natacha celles du prototype LMP2 au sein du team suisse Morand. Au cours de cette période, elle montera sur trois podiums du championnat d’Europe d’endurance, avant de se retirer de la compétition en 2016.

CYNDIE ALLEMANN

née le 4.04.1986 à Moutier

Presque une banalité du sport auto, les débuts de la Jurassienne se sont déroulés en karting, alors qu’elle avait 7 ans. Issue d’une famille implantée dans le milieu du kart, Cyndie avait les atouts pour faire une brillante carrière, ce qu’elle a confirmé en décrochant le titre européen cadet en 1999, alors qu’elle avait 13 ans. En 2004, elle est passée à la formule Renault 2.0, en championnat suisse, avant de s’engager sur le championnat allemand de la discipline. C’est également outre-Rhin qu’elle sera alignée en F3, sous les couleurs Mercedes. Un soutien qu’elle conservera en traversant ensuite l’Atlantique pour disputer le championnat Indy Light. On verra également Cyndie en GT et Super GT au Japon. Un long et brillant chemin sportif qui est arrivé à son terme en 2015.

RAHEL FREY

née le 23.02.1986 à Niederbipp

Issue de la filière karting qu’elle a débuté en 1998, Rahel Frey s’est distinguée dans ce milieu, avant d’intégrer les rangs de la formule Renault 2.0 helvétique en 2004. Tranchantes d’entrée de jeu, la jeune alémanique remportait sa première victoire à Dijon, dès ses débuts en monoplace. Poursuivant dans la discipline, elle montera en F3 allemande en 2007, remportant une victoire en 2009. Par la suite, elle passera aux voitures fermées, d’abord dans le cadre du VW Scirocco R Cup, avant d’être engagée par Audi. Devenue pilote professionnelle, Rahel disputera deux saisons de DTM, avant de passer au GT3, toujours pour le compte du constructeur d’Ingolstadt. Au volant d’Audi R8 LMS, elle participera aux championnats allemand ADAC, Blancpain, VLN, mais aussi Chinois et Australien. Depuis 2019, Rahel Frey pilote également des Ferrari 458 GT3 en ELMS et WEC, sous les couleurs «Women in motorsport».

Femmes dans le sport automobile à travers le monde

Le sport automobile est ouvert aux femmes à tous les niveaux, qu’elles soient concurrentes, officielles, responsables d’écuries, ingénieures, ou mécaniciennes. Par Gérard Vallat

Pour ancrer cette réalité, la commission «Femmes dans le Sport automobile» a été créée en 2009 avec l’objectif de démontrer que les femmes sont bien reconnues par la plus haute instance chargée du sport automobile. Son rôle est notamment de promouvoir la place des femmes dans le sport automobile au travers de la presse, des manifestations internationales, des partenaires et des parties prenantes.

Depuis sa création en 2009, la commission «Femmes dans le sport automobile» a été présidée par Michèle Mouton qui déclarait. «Il y a déjà un certain nombre de femmes très talentueuses qui

QUELLE EST LA SITUATION EN SUISSE ?

Autorité du sport automobile pour notre pays, Auto Sport Suisse est représenté dans le groupe de travail «Women in Motorsport» de la FIA depuis le début. Membre de l’administration, Sarah Hostettler est la personne de contact pour les projets de la FIA (Women in Motorsport, Girls on Track, etc.) A ce titre, elle est actuellement en contact avec les pilotes féminines concernant le projet «Girls on Track» et a clarifié la situation avec toutes les pilotes féminines du secteur du karting, et est en train de coordonner leurs inscriptions. Sur les quelque 3’100 conducteurs titulaires d’une licence (voiture et kart) en 2019 (sans compter les

SUSIE WOLF

Représentante nationale et représentante managers - Ancienne pilote DTM et pilote de développement Williams F1 - Fondatrice de Dare To Be Different - Directrice du team Venturi Formula E travaillent dans notre sport, mais il nous faut investir dans l’avenir et encourager la jeune génération à percevoir ce monde comme un milieu où règne l’égalité des chances». La commission compte plus de 70 représentants nationaux dans le monde entier, qui ont été désignés par leur autorité sportive nationale. Leur mission consiste à contribuer à la mise en œuvre des initiatives de la CFSA dans leurs pays respectifs, afin de créer une culture du sport automobile qui favorise et qui valorise la participation totale des femmes dans tous les domaines du sport automobile. Ci-dessous, la liste des principales représentantes féminines actives au sein de l’organisation «Women in motorsport».

JUTTA KLEINSCHMIDT

Représentante pilote et co-pilote rallye - Vainqueur du rallye Dakar - Présidente de la commission FIA Cross-Country rallye

LEENA GADE

Représentante des ingénieurs et mécaniciens - Ingénieure de course - Première Ingénieure de course féminine à gagner les 24H du Mans

Femmes dans le sport automobile à travers le monde

années Corona 2020 et 2021), environ 211 femmes étaient titulaires d’une licence. Un nombre qui ne représente que 6,8% des licenciés, qui s’explique encore par le fait que le sport motorisé en général, et la course automobile en particulier, est une discipline sportive très dominée par les hommes. En raison d’un manque de ressources financières, divers projets (dont le programme Young Driver, remporté par Karen Gaillard lors de sa dernière édition) ont été mis en attente pour le moment. Lorsque de nouveaux projets seront lancés, le domaine «Les femmes dans le sport automobile suisse» sera très certainement abordé. Malheureusement en raison de la situation actuelle, on ne sait pas encore quand cela se produira, mais cela se produira.

COORDONNÉES

Madame Sarah Hostettler Tél. 031 979 11 11,

E-Mail : hostettler@motorsport.ch). Le Team Paretta qui alignait Simona De Silvetro aux 500 Milles d’Indianapolis était composé uniquement de femmes

MICHÈLE MOUTON

Ambassadrice d’honneur. Vice-championne du monde des rallyes - Présidente de l’WIMC - Membre de la commission IOC Women in Sport

SILVIA BELLOT

Représentante des Bénévoles et Officiels - Commissaire FIA

TATIANA CALDERON

Pilote Test pour Alfa Romeo Racing Sauber F1 Team - Pilote de F2 - Ambassadrice de FIA Women in Motorsport et Dare to Be Different

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