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Pascal Bettex : «Je vais dans l’intimité des gens»
Pascal Bettex est une sculpture cinétique à lui tout seul. Toujours en mouvement, l’artiste montreusien nous reçoit dans son musée-atelier des Planches. Par Pierre Thaulaz
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Pas besoin de GPS pour rallier la vénérable usine de Taulan, qui abrite aujourd’hui une dizaine d’artistes. Il suffit de longer la Baye depuis Les Planches, le village historique de Montreux, et de viser la cheminée en briques. Personne à l’entrée de la caverne d’Ali Baba. Les portes sont grandes ouvertes, allez on se risque. A droite, un Reliant Regal de 1972, véhicule 3 roues en passe de retrouver une seconde jeunesse. Sans doute la dernière passion de cet infatigable touche-à-tout qu’est Pascal Bettex? A gauche, une drôle de mécanique aperçue en 2016 dans les rues de Fribourg à l’occasion des 25 ans de la disparition de Jean Tinguely. Pascal Bettex - tiens, tiens, encore un moustachu! - déboule tout sourire: «Je tiens à montrer aux générations actuelles et futures le génie de nos aïeux. Cette batteuse en bois que j’ai transformée allait de ferme en ferme pour battre le blé. Elle a d’abord défilé à la Fête des narcisses de Montreux, en 2015. Elle est coiffée d’ailleurs d’un immense narcisse en treillis de poule sur lequel on a piqué 6500 fleurs. On y découvre même un chapeau de roue de Rolls-Royce.» Si Pascal Bettex n’a jamais rencontré Jean Tinguely, une ville les rassemble: «Mon père était dans la chimie, donc je suis né à Bâle. J’avais 10 ans lorsque j’ai vu une expo Tinguely complètement dingue au Kunstmuseum avec mes parents. Je me souviens de ces parquets bien cirés et de ces vieilles ferrailles rouillées qui tapaient, qui cognaient…»
AUTO ACS: Le déclic?
Pascal Bettex: C’est resté un peu en stand-by. J’ai travaillé 15 ans comme vendeur dans une bijouterie, puis j’ai ouvert un magasin à Montreux qui s’appelait le «Cadeau impossible» dans lequel je ne proposais que des pièces d’artisans, notamment des sculptures mobiles d’un élève de Morgan. Un jour, il m’a annoncé qu’il ne parvenait plus à en vivre et qu’il désirait arrêter. J’ai pensé alors qu’il fallait que je reprenne le flambeau.
Un don pour la mécanique?
Mon père et mon grand-père étaient très doués de leurs mains et ils m’ont sans doute transmis un peu de leur savoirfaire. La mécanique, comme beaucoup, je l’ai découverte à 14 ans en démontant mon vélomoteur. Plus tard, je suis passé aux motos anciennes, et puis voilà…
Des inspirations du monde de l’automobile, de l’horlogerie?
Tout est bon! Aujourd’hui, avec Internet, on voit des mécaniques spéciales, ça donne des idées. Mais souvent, c’est en remettant en valeur ou en route des machines anciennes que vient l’inspiration.
Comme ce mobile trônant au Café du Gothard, à Fribourg. On y apercevrait un vibromasseur assez rustique?
C’est vrai. Avez-vous connu Edouard Wassmer? Le Gothard, c’était son stamm, il avait énormément d’humour et une grande ouverture d’esprit. C’était un amoureux des machines à coudre, il a d’ailleurs créé un musée dédié à ces machines ainsi qu’aux objets insolites. Il vous en mettait un dans les mains et vous deviez deviner son usage. Un jour il m’a dit: «Tu pourrais faire un truc avec mes objets?»
Vous vous plongez dans l’univers de la personne qui vous passe une commande?
Une dame m’a amené une caisse pleine d’objets qui avaient appartenu à son mari avocat. Lorsqu’il a découvert ce mobile à l’occasion de son anniversaire, il a lâché: «C’est incroyable, il y a 50 ans de ma vie dans ce mobile.» Puis il a aperçu le nounours de ses 4 ans que sa femme était allé chercher chez belle-maman. Et là, il a fondu en larmes. Ce qui est génial, c’est que je vais dans l’intimité des gens.
Vous réalisez des croquis?
Non. On ne peut pas savoir que telle roue va être ici plutôt que là. On place d’abord des grosses choses que l’on aimerait faire tourner et après on remonte jusqu’au moteur. Le moteur, ce n’est pas le premier truc qu’on installe mais, en général, c’est le dernier.
Comment vous est venue l’idée des engrenages non circulaires?
En découvrant au Technorama de Winterthour deux petites machines de démonstration sur socles en bois destinées aux étudiants en mécanique. J’ai vu deux engrenages ovales avec une manivelle. J’ai tourné la manivelle, ces deux engrenages ovales tournaient. A côté, deux engrenages carrés tournaient ensemble. J’ai trouvé ça tellement extraordinaire que j’ai décidé de développer la chose. Un ami informaticien a créé un logiciel qui permet de dessiner des engrenages non circulaires. Ces éléments en inox sont découpés au laser car tout doit être réalisé au dixième de millimètre. Sinon ça ne tourne pas!
Et vous aimez bien en placer dans chaque nouvelle sculpture?
Oui. On peut dessiner des formes totalement biscornues. Les gens sont contents de posséder un mobile unique intégrant en plus un objet que personne ne va refaire.
Combien de sculptures cinétiques avezvous réalisées?
Peut-être 200. Le rythme de création dépend surtout de leur taille. Si ce sont de grands mobiles, je ne vais peut-être en faire que deux par année.
Votre dernier projet?
Une télécabine transformée en véhicule qui sera piloté à distance (photo en bas à droite). Une commande du Théâtre de la Toupine, à Evian. Cette télécabine destinée à animer des festivals de rue accueillera des vaches, un edelweiss, un cor des alpes, etc. (réd.: autant d’éléments mis en mouvement par l’artiste). Elle produira de la neige artificielle et fumera quand elle démarrera.
Un chasse-neige en lévitation !
Pascal Bettex a conçu plusieurs oeuvres d’envergure, à l’exemple du «Phare de l’espoir», à Sion: «Un ami est tombé dans une crevasse et est devenu paraplégique. Cela m’a donné l’idée de créer un mobile pour la clinique de la Suva. Je suis allé chez une dizaine de personnes handicapées, toutes m’ont donné un objet. On retrouve dans la sculpture le snowboard d’Yves Vionnet, une coupe offerte par la trapéziste Silke Pan ou les crampons de Nicole Niquille.»
Un autre grand projet est en train de germer dans la tête de l’artiste: «L’idée est d’investir une usine ancienne encore plus grande que celle-ci pour y créer un monde de sculptures cinétiques.» D’où l’acquisition de ce chasse-neige de 1909 pesant 20 tonnes qui déblayait la voie du train grimpant aux Rochersde-Naye: «Je le ferai décoller des rails et les roues actionneront un mobile qui fera peut-être 10 m de long», explique Pascal Bettex. On en salive d’avance!