AUTO ACS | 299
RENCONTRE
Pascal Bettex : «Je vais dans Pascal Bettex est une sculpture cinétique à lui tout seul. Toujours en mouvement, l’artiste montreusien nous reçoit dans son musée-atelier des Planches. Par Pierre Thaulaz
P
as besoin de GPS pour rallier la vénérable usine de Taulan, qui abrite aujourd’hui une dizaine d’artistes. Il suffit de longer la Baye depuis Les Planches, le village historique de Montreux, et de viser la cheminée en briques. Personne à l’entrée de la caverne d’Ali Baba. Les portes sont grandes ouvertes, allez on se risque. A droite, un Reliant Regal de 1972, véhicule 3 roues en passe de retrouver une seconde jeunesse. Sans doute la dernière passion de cet infatigable touche-à-tout qu’est Pascal Bettex? A gauche, une drôle de mécanique aperçue en 2016 dans les rues de Fribourg à l’occasion des 25 ans de la disparition de Jean Tinguely. Pascal Bettex - tiens, tiens, encore un moustachu! - déboule tout sourire: «Je tiens à montrer aux générations actuelles et futures le génie de nos aïeux. Cette batteuse en bois que j’ai transformée allait de ferme en ferme pour battre le blé. Elle a d’abord défilé à la Fête des narcisses de Montreux, en 2015. Elle est coiffée d’ailleurs d’un immense narcisse en treillis de poule sur lequel on a piqué 6500 fleurs. On y découvre même un chapeau de roue de Rolls-Royce.» Si Pascal Bettex n’a jamais rencontré Jean
Tinguely, une ville les rassemble: «Mon père était dans la chimie, donc je suis né à Bâle. J’avais 10 ans lorsque j’ai vu une expo Tinguely complètement dingue au Kunstmuseum avec mes parents. Je me souviens de ces parquets bien cirés et de ces vieilles ferrailles rouillées qui tapaient, qui cognaient…» AUTO ACS: Le déclic? Pascal Bettex: C’est resté un peu en stand-by. J’ai travaillé 15 ans comme vendeur dans une bijouterie, puis j’ai ouvert un magasin à Montreux qui s’appelait le «Cadeau impossible» dans lequel je ne proposais que des pièces d’artisans, notamment des sculptures mobiles d’un élève de Morgan. Un jour, il m’a annoncé qu’il ne parvenait plus à en vivre et qu’il désirait arrêter. J’ai pensé alors qu’il fallait que je reprenne le flambeau. Un don pour la mécanique? Mon père et mon grand-père étaient très doués de leurs mains et ils m’ont sans doute transmis un peu de leur savoirfaire. La mécanique, comme beaucoup, je l’ai découverte à 14 ans en démontant mon vélomoteur. Plus tard, je suis passé aux motos anciennes, et puis voilà… Des inspirations du monde de l’automobile, de l’horlogerie? Tout est bon! Aujourd’hui, avec Internet, on voit des mécaniques spéciales, ça donne des idées. Mais souvent, c’est en remettant en valeur ou en route des machines anciennes que vient l’inspiration. Comme ce mobile trônant au Café du Gothard, à Fribourg. On y apercevrait un vibromasseur assez rustique? C’est vrai. Avez-vous connu Edouard Wassmer? Le Gothard, c’était son stamm, il avait énormément d’humour et une grande ouverture d’esprit. C’était un amoureux des machines à coudre, il a d’ailleurs créé un musée dédié à ces machines ainsi qu’aux objets insolites. Il vous en mettait un dans
les mains et vous deviez deviner son usage. Un jour il m’a dit: «Tu pourrais faire un truc avec mes objets?» Vous vous plongez dans l’univers de la personne qui vous passe une commande? Une dame m’a amené une caisse pleine d’objets qui avaient appartenu à son mari avocat. Lorsqu’il a découvert ce mobile à l’occasion de son anniversaire, il a lâché: «C’est incroyable, il y a 50 ans de ma vie dans ce mobile.» Puis il a aperçu le nounours de ses 4 ans que sa femme était allé chercher chez belle-maman. Et là, il a fondu en larmes. Ce qui est génial, c’est que je vais dans l’intimité des gens. Vous réalisez des croquis? Non. On ne peut pas savoir que telle roue va être ici plutôt que là. On place d’abord des grosses choses que l’on aimerait faire tourner et après on remonte jusqu’au moteur. Le moteur, ce n’est pas le premier truc qu’on installe mais, en général, c’est le dernier.