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Eclairage – François Launaz
«la pire crise de ces 45 dernières années !»
A la fois président d’auto-suisse et vice-président du Comité permanent du Salon de Genève (Geneva International Motor Show), François launaz porte un regard aiguisé sur la situation du marché automobile. Par Pierre Thaulaz
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AUTO: Avez-vous senti un frémissement du marché depuis le 11 mai, date de la réouverture des lieux de vente?
François Launaz : On a senti un certain intérêt des clients, matérialisé par des visites, mais grosso modo on a signé en mai dernier 50 % de ce qui était signé le même mois de l’an dernier.
Une réouverture des lieux de vente qui a trop tardé selon vous?
S’il est un endroit où la foule ne se presse pas et où il est possible de respecter les distances, c’est bien dans un showroom. Avec l’UPSA, on avait présenté un concept au Secrétariat de l’économie, mais celui-ci n’a malheureusement pas été pris en compte par le Conseil fédéral. Donc effectivement, on aurait aimé ouvrir 15 jours plus tôt, soit en même temps que les jardineries où beaucoup plus de monde s’est précipité dès leur ouverture.
l’achat d’une voiture n’est pas un achat ordinaire?
Pour beaucoup de clients, l’achat d’une voiture consiste à vider les comptes, ou en tout cas à dépenser une bonne partie des économies. La situation actuelle est incertaine. Beaucoup d’entreprises, petites et grandes, risquent de faire faillite. Les entreprises d’exportation sont dépendantes des autres pays, et dans ces autres pays la conjoncture est difficile. Donc on ne sent pas vraiment de «Stimmung». On ne se dit pas : «Il fait beau, c’est l’été, on va acheter une voiture !» Les gens préfèrent attendre, d’autant plus qu’aujourd’hui, une voiture peut facilement être gardée une année à trois ans de plus.
la baisse du marché suisse est importante…
D’après nos estimations, on devrait perdre 70’000 voitures neuves cette année, soit une baisse de 40 % par rapport aux 311’000 véhicules vendus en 2019. On sait par expérience que l’on ne rattrape jamais en automne les ventes perdues au printemps. La baisse était encore de l’ordre de plus de 55 % en mai.
la situation est pire que dans les années 70?
En avril, nous n’avons pas atteint les 10’000 voitures neuves, et ce pour la première fois depuis 1975 et la crise pétrolière. Si le résultat de 240’000 voitures vendues en 2020 se confirme, on sera au même niveau qu’en 1975. C’est donc la pire crise de ces 45 dernières années.
des stocks importants en suisse?
Effectivement, et cela risque d’avoir un impact négatif sur le CO2 puisque, dans ces stocks, il n’y a pas énormément de voitures électriques et plugin, dès lors qu’on a repoussé leur fabrication et leur lancement en raison du Coronavirus.
cette voiture que l’on décrie souvent a prouvé son utilité durant le coronavirus?
Bien sûr, et elle va continuer à le faire, malgré la guéguerre entretenue par l’ATE, les Verts, les milieux de gauche et le microcosme politique genevois. Tous disent : «Il faut faire de la place aux vélos et jeter les voitures.» Pourtant, les gens vont travailler en voiture, c’est même le Conseil fédéral qui l’a conseillé. Mon véhicule est un prolongement de chez moi. Il est propre, il n’est pas contaminé, donc je prends beaucoup moins de risques au volant que dans un bus.
les nuages noirs qui s’accumulent sur le salon de genève, pas vraiment une bonne nouvelle?
Les exposants qui auraient dû participer au Salon 2020 ont perdu entre 100 et 120 millions d’investissements qu’ils ne récupèreront pas. Les gens des usines nous disent : «On préfèrerait presque sauter une année. On a assez fait de pertes en 2020, on ne sait pas comment l’année prochaine va démarrer, on doit revoir nos plans d’activités. En plus, on ne sait pas si les manifestations réunissant autant de visiteurs pourront être autorisées ou non. On n’aimerait pas recommencer la préparation, refaire des plans, engager des frais et qu’on nous dise en octobre ou en novembre qu’il n’y aura pas de Salon.»
Ça ne met pas en danger l’existence du salon?
C’est très difficile à dire. On estime par exemple que Paris est mort ! De notre côté, je pense qu’on va continuer à organiser un Salon, mais peut-être tous les deux ans. Mais là encore, tout est ouvert. On est en train d’y travailler avec le nouveau directeur du GIMS, tout en étant en contact étroit avec les usines et l’OICA (réd. : Organisation internationale des constructeurs automobiles) pour connaître leur position et faire les choses de manière coordonnée et intelligente.
ce virus a été terrible pour le salon?
La pire des choses, ça a été le timing. On aurait préféré avoir l’annonce de son annulation 15 jours plus tôt. On aurait économisé des millions.
le risque que ce salon parte un jour à Zurich?
FL : Non. Il n’y a pas de meilleure place au monde pour organiser un Salon qu’à Genève. C’est à côté de l’autoroute et de l’aéroport, les halles sont superbes et bien assez grandes. Le responsable de la coordination des Salons au sein de l’OICA m’a dit récemment : «Pour nous, c’est le meilleur Salon au monde, le mieux organisé, le plus simple d’accès, le plus équitable. Il ne demande pas d’investir 50 millions, comme c’est le cas parfois sur les stands en Allemagne. Tout le monde a les mêmes chances, du petit constructeur coréen au grand constructeur allemand.»
Vous avez sollicité un prêt auprès de l’etat de genève, pour y renoncer dans un premier temps…
Depuis le début, les conditions de ce prêt n’étaient pas acceptables. Déjà, ils exigeaient qu’on organise un Salon en 2021. «Même un petit Salon», disaient-ils, un truc à la Auto Zurich. Mais le jour où on fait ça, le Geneva International Motor Show n’existe plus. L’autre condition assortie à ce prêt, c’était que l’on soit sous la tutelle de Palexpo SA, ce qui n’est pas conforme aux statuts du Salon de l’automobile. En clair, l’objectif était le maintien de l’emploi à Palexpo avec l’argent du Salon. Ça a fait bondir les importateurs alémaniques.
le grand conseil genevois vous a finalement donné en partie raison. est-ce que ça vous a surpris?
Non, car en l’espèce l’Etat de Genève joue le rôle d’une banque. Il demande 1 million de remboursement chaque année et environ 300’000 francs d’intérêts, d’après ses estimations. Aider par un prêt une fondation qui n’a pas de but lucratif, ce n’est pas tout à fait, comme le disent les Verts à Genève, subventionner l’industrie automobile. C’est aider une manifestation sans but lucratif qui amène 200 millions de chiffre d’affaires au canton de Genève. Sous cet angle, on peut comprendre que les partis bourgeois soutiennent cette manifestation qui apporte beaucoup à l’économie genevoise.
ce qui signifie que vous allez accepter ce prêt?
Un élément n’apparaît pas dans ce qui a été communiqué. Dans les modalités d’attribution de ce prêt, le Conseil d’Etat impose l’organisation d’une manifestation en 2021. Par ailleurs, ce prêt est soumis à référendum, donc nous ne savons pas s’il va être définitivement accordé ou pas. Il faut attendre le délai référendaire, soit jusqu’au 30 août. Il est quasiment impossible de prévoir l’organisation d’une manifestation en 2021 en commençant au mois de septembre. Ce n’est juste pas réaliste.
Vous regardez donc dans d’autres directions?
On travaille en effet dans deux autres directions. On cherche auprès des instituts bancaires et comme autre alternative, on a proposé à Palexpo de racheter le Salon...