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Carrière – Alain Menu

Ce suisse qui a fait trembler l’angleterre

Régnant sur la planète Supertourisme au cours de la dernière décennie du XXe siècle, Alain Menu était non seulement considéré comme l’un des trois meilleurs spécialistes mondiaux de la discipline, mais aussi et surtout celui que la presse britannique avait élu «Best English driver of the year». Par Gérard Vallat

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s’ ajoutant à cette distinction attribuée en 1997, le magazine Autosport, classait Alain Menu au septième rang des meilleurs pilotes du monde. Afin de situer à sa juste valeur l’importance de cette reconnaissance, dans le pays considéré comme «berceau du sport automobile», un coup d’œil dans le rétroviseur d’une brillante carrière s’impose. De prime abord, on peut se demander comment ce «p’tit Suisse», fils de paysan de la campagne genevoise, en est arrivé là. En fait, tout est parti d’un challenge lancé par deux copains d’enfance amoureux de belles voitures. Adolescent, Alain Menu passait beaucoup de temps avec JeanDenis Delétraz, un camarade d’école qui, comme lui admirait les Porsche, Ferrari, Lamborghini et autres belles carrosseries qu’ils traquaient à vélo jusque devant les grands hôtels de la cité de Calvin. Et c’est avec des yeux encore plus grands ouverts sur leur passion naissante que les deux compères suivaient les grands prix de F1 devant leur télévision. Un faisceau d’indices qui dessinait déjà l’avenir de deux gars, dont les rêves communs convergeaient vers le sport automobile. Mais, avant qu’ils puissent toucher au but, ils leur restaient passablement d’obstacles à franchir, le premier étant déjà d’atteindre l’âge du permis de conduire. Une longue attente lorsqu’on est adolescent, et que l’objectif est de fêter enfin son dix-huitième anniversaire. Durant cette période à l’horizon si lointain vu de ses quinze ans, Alain Menu toujours accompagné de son ami «JDD», avait trouvé un palliatif avec le moto-cross. «On chargeait la moto sur un char que je tirais avec le tracteur de mon père, et on allait se défouler sur la piste d’entrainement des crossman genevois». Et un beau jour, un de ces pilotes de moto, instructeur des débutants, avait observé Alain en l’encourageant à faire de la compétition. Est-ce le déclic ? On ne le saura certainement pas, toujours est-il que la suite devenait logique pour la paire Menu-Delétraz qui s’inscrivait à une école de pilotage de monoplaces.

Une autre épopée, celle des années Chevrolet, qui s’étend de 2005 à 2012.

les PreMières cOUrses

Après l’école de pilotage du Castellet et une place de finaliste, l’ascension d’Alain Menu pouvait commencer. Formule Ford en France en 1985, avec la victoire à Magny-Cours, dès sa première course, puis exil en Angleterre, après deux saisons passées en France, pour un troisième exercice en Formule Ford, conclu par la deuxième place du championnat, et surtout la même position derrière Eddie Irvine au très réputé Festival de BrandsHatch. Un résultat qui lui a ouvert les portes de la Formule 3, le projetant de plein pied dans l’univers professionnel du sport automobile. «A cette époque, quitter ma vie en Suisse pour courir n’était pas simple, mais c’était la seule option possible. J’avais débuté des études de vétérinaire, puis je me suis dit un jour que ce n’est pas ce qui m’amènerait au volant d’une F1. Philippe Favre, que je ne connaissais pas, avait déjà un certain succès en Angleterre, cela m’a sans doute aidé à prendre la décision de tenter ma chance. Arrivé sur place, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont aidé, tel Mike Baker et bien d’autres dont la liste serait longue. Après deux saisons de F3 difficiles, faute de budget, j’avais quand même réussis quelques bons classements, comme la sixième place à Monaco devant David Brabham qui avait gagné le championnat anglais. Ensuite, je suis passé à la F3000 en 1990, toujours avec des moyens très limités, je me souviens avoir fait les deux premières courses pour huit mille livres sterling, ce qui est très peu. Heureusement, c’est à ce moment que j’ai reçu le soutien de la fondation Surer. Le plan était de m’aider à faire la saison 1991 de F3000 International, mais Marc Surer malheureusement s’est vite rendu à l’évidence qu’il serait difficile de trouver la totalité du budget nécessaire. Heini Mader apportait une belle contribution avec l’apport des moteurs, d’autres personnes que je remercie encore participaient financièrement, et mes parents, avec l’accord de toute la famille, avaient hypothéqué leur maison. Quand j’y pense, c’était fou. Heureusement que la roue a tourné dans le bon sens et que j’ai pu rembourser ces dettes à ma famille et à la fondation. Malgré tout ça, on n’avait le budget que pour six courses du championnat. Avec deux places de 6e en début de saison et des résultats plus anonymes par la suite, je constatais une fois encore que sans le «vrai» budget c’est peine perdue. La monoplace restait mon but, mais faute de moyens il fallait le changer. C’est encore grâce au destin que je me suis retrouvé au volant d’une BMW M3 pour un test organisé par Marc Surer. Le but était de tester de jeunes pilotes pour un volant officiel BMW en DTM. Auparavant, Marc m’avait dit que la F1 réclamerait trop d’argent, qu’il fallait oublier et recentrer mon objectif. Il a beaucoup poussé pour que j’aie ce test, je ne suis pas certain que sans lui je sois devenu spécialiste des voitures de tourisme. Après avoir remporté l’exercice, devant Steve Soper, le meilleur pilote de l’époque, il m’a confié plus tard qu’il ne me voyait pas gagner ce volant. Mon style coulé lui semblait lent, et c’est en regardant le chrono qu’il s’est finalement rendu compte que j’étais le plus rapide.

Suite, page 14.

l’éVOlUTiOn d’AlAin MenU

Tests en F1 avec l’équipe Williams.

PilOTe PrOFessiOnnel

Sans nouvelles dans les semaines qui ont suivi ce test, Alain Menu était réellement inquiet concernant son avenir. «Je n’avais pas de volant et pas davantage d’argent. C’était la dèche… Mais, un beau jour Marc m’appelle et m’annonce que BMW m’engage en championnat d’Angleterre, et que je serai payé. J’étais aux anges, c’était la meilleure nouvelle de ma vie, je devenais pilote professionnel, pour le compte d’un constructeur». Pourtant, la suite n’allait pas être très réjouissante. Equipée par Pirelli, la BMW dégradait les pneus, et à part quelques bonnes perfs en qualifications, les résultats du Suisse étaient assez anonymes. «C’était compliqué et en plus, je me suis blessé à Knockhill à mi-saison. Je ne roulais plus et au même moment BMW avait décidé de réduire l’effectif pour l’année suivante. Malgré que je n’aie fait qu’une moitié de saison, j’étais 9e au classement du championnat, mais, dernier arrivé, j’étais le premier parti ! Heureusement, j’avais été approché par Renault Angleterre qui allait s’engager en championnat». Rapidement, les deux parties ont trouvé un accord. La saga Menu/Renault était en marche, elle s’étendra de 1993 à 1998, avec 29 victoires, deux titres de champion et trois fois vice-champion.

sUccès sTOry

Débutant avec une R19 dans le très relevé BTCC, Renault n’avait pas choisi la facilité pour se mesurer à l’armada des constructeurs Ford, BMW, Toyota, Peugeot, Mazda et Vauxhall. Un challenge relevé avec brio par Alain Menu qui s’imposait à Donington, offrant à Renault son premier d’une longue liste de succès. La machine Menu était lancée, et dès 1994 le petit Suisse devenait l’homme à battre. Le niveau du championnat progressait encore d’un cran avec l’arrivée de Volvo, Nissan et AlfaRomeo. Mieux armé, avec la Laguna, Alain Menu s’imposait à trois reprises, arrachant la deuxième place du championnat. En 1995, l’équipe de Sir Franck Williams reprenait la gestion de Renault, ce qui boostait encore la progression d’un Menu conquérant qui décrochait sept victoires, mais échouait dans la course au titre, face à la Vauxhall de John Cleland. Plus que décidé à décrocher la couronne 1996 le Genevois se battra comme un lion, empochera quatre nouvelles victoires. Pourtant c’est Frank Biela qui décrochera le titre, laissant le pilote Renault ajouter une troisième médaille d’argent à son palmarès.

l’Année dU TriOMPhe

Il ne fait aucun doute que l’année 1997 marquera la consécration d’Alain Menu dans le trio mondial des meilleurs pilotes de Tourisme. Vainqueur de douze des vingt-quatre courses d’une saison des saisons les plus disputées de l’histoire du BTCC, Alain Menu décrochait son premier titre, avec plus de 120 points d’avance sur Frank Biela et son Audi A4. Star incontestable du championnat britannique, notre compatriote vivait une saison 1998 un peu plus difficile, avec deux victoires et une 4e place au championnat. Courtisé par Ford, Alain quitte Renault à fin 1998 pour le constructeur américain. Au volant de la Mondeo, il ajoutera sept nouvelles victoires à son palmarès, ainsi que le titre 2000.

Alain Menu vise aujourd’hui d’autres podiums.

dTM PUis gT1

Au début du troisième millénaire, le BTCC perdait de sa superbe et entamait une mutation qui provoquait le départ de certains constructeurs, dont Ford l’employeur d‘Alain Menu. Rebondissant sur ce changement de politique, le champion 2000 trouvait refuge en Allemagne, au sein de l’équipe Opel engagée en DTM. Nouveau championnat, nouvel environnement, voiture peu performante, autant d’ingrédients qui ne retiendront pas le pilote au-delà de la saison 2003. Un peu plus «libre» en 2004, il fera quelques piges en Porsche Cup Britannique et participera une seconde fois aux 24 Heures du Mans après 2002, ainsi qu’aux 12 heures de Sebring au volant d’une Ferrari F550 GT1.

Vice-chAMPiOn dU MOnde

On ne peut pas figurer dans le top 3 mondial des pilotes de Supertourisme et laisser indifférent un constructeur qui relève le défi d’un planétaire. C’est certainement ce que se sont dits les décideurs de Chevrolet lorsqu’ils se sont assuré les services d’Alain Menu. Ainsi, dès 2005 le Genevois défendra les couleurs bleues du constructeur américain, emmenant les Lacetti et Cruze vingt-trois fois sur la plus haute marche du podium. Redevenu l’homme à battre de la discipline, Alain Menu accomplira une exceptionnelle saison 2012, ponctuée de seize podiums, dont six victoires, mais malheureusement cette campagne de haut niveau se soldera par un titre de vice-champion du monde, une poignée de points derrière son coéquipier, le Britannique Rob Huff. Heureux de ce résultat, Alain Menu n’éprouvait aucun regret d’avoir manqué de si peu la couronne mondiale. «J’ai fait une belle saison, les courses étaient toutes incroyablement disputées, je ne suis pas champion du monde, mais finalement ce titre n’aurait pas changé ma vie».

Une PAge se TOUrne

Après huit campagnes mondiales accomplies au sein de la formation Chevrolet, Alain Menu n’a pas poursuivi l’aventure, après que l’équipe soit passée en mains privées. Comme en 2001 et 2004, le Genevois se trouvait à la croisée des chemins, avec un facteur supplémentaire, celui de l’âge. Piloter en professionnel jusqu’à 50 ans n’empêche pas d’être performant, mais l’évidence force à admettre qu’un jeune pilote a lui aussi des atouts à jouer et parmi ceuxci, souvent le budget réclamé par les teams. «Je me suis battu pour trouver de l’argent à mes débuts, c’était la partie la plus difficile et rébarbative de ma passion. D’ailleurs, je n’ai jamais été très bon dans la «chasse» aux sponsors. Donc, je n’allais pas dépoussiérer cet aspect du sport, après 20 ans durant lesquels j’ai été rémunéré pour piloter». Fort de cet état de fait, Alain Menu retrouvera néanmoins un volant «payé» en 2014, pour retrouver l’Angleterre et le BTCC, au sein de la formation BMR, qui lui a confié le volant d’une de ses VW CC. Un retour compliqué par la nouveauté de la voiture et la jeunesse du team, mais néanmoins ponctué de deux podiums. En 2016, il tentera l’aventure de la Porsche Supercup, avant de jeter l’éponge après deux tentatives infructueuses. Le ressort était cassé, et ce ne sont pas les quelques piges réalisées au volant de Subaru et Hyundaï qui rallumeront la flamme. En 2018, la décision de raccrocher gants et casque était prise, sans regrets ni amertume. La Suisse peut être fière d’un sportif de si haut niveau, qui a fait briller ses couleurs aux quatre coins de la planète durant près d’un quart de siècle. Merci et bravo Mister Meniou !

un objectif, deux trajectoires

Au début des années 80, à l’aune de l’ascension du pilote Alain Menu, un autre parcours hors du commun se dessinait. Cette histoire de deux copains d’école, réunis par une passion commune les a amenés vers le même objectif sur des chemins différents. L’autre gamin, c’est Jeandenis delétraz (JDD pour les initiés). Deux carrières, et beaucoup de souvenirs que les compères ont recherché au fond de leurs mémoires.

AlAin MenU

Je connais Jean-Denis depuis que nous avions 5 ou 6 ans. Nous étions de bons copains d’école qui allaient l’un chez l’autre, sans être les meilleurs amis du monde. Vers 12-13 ans, notre attirance commune pour les sports mécaniques nous a rapprochés, mais chez moi c’était dans ma tête depuis des années. Je pense que j’ai communiqué ma passion à JDD, en tout cas c’est le souvenir que j’ai. On a commencé à trafiquer nos vélomoteurs, puis on s’est acheté une moto de trial en commun pour aller rouler en campagne. Je prenais le tracteur de mon père pour emmener la moto à la piste. Le dimanche, on regardait les grands prix F1 ensemble, puis on s’est mis en tête de devenir pilotes. JDD a fait l’école de pilotage de la Châtre en 1983, un an avant moi, parce que je devais faire l’armée. Quand il est arrivé en finale, je suis allé le voir, mais c’est Eric Van de Poele qui a gagné. L’année suivante il a fait ses débuts en championnat de France de Formule Ford, pendant que je faisais l’école de pilotage au Castellet. Je me suis aussi qualifié pour la finale, mais je ne suis pas sûr qu’il soit venu me soutenir. Je n’ai pas gagné, mais j’étais prêt à débuter. J’ai fait les fonds de tiroir pour m’engager à Magny-Cours. Ma petite copine de l’époque m’avait prêté un peu d’argent, mais ce n’était pas suffisant, alors Jean-Denis m’a avancé l’argent qui manquait. Pour l’anecdote, j’ai gagné cette première course de Formule Ford. Un moyen de lui confirmer que son placement était bon… rires! En 1986 j’ai encore fait de la FFord, pendant que JDD était passé à la F3. C’est là que nos chemins se sont séparés, parce que je n’avais pas le budget pour faire de la F3 en France. Je suis parti en Angleterre refaire de la FFord, en pariant sur ma réussite. Dès cette époque, nous nous sommes un peu perdus de vue. Le Natel et Internet n’existaient pas, c’était plus difficile de se parler. Je pense que JDD n’avait pas la même motivation que moi, il n’était pas prêt à tout plaquer pour le sport auto. Son choix de vie était plus axé sur l’angle professionnel. On se voyait plus sporadiquement, puis on s’est retrouvés au début des années 90, impliqués dans l’association Swissdream pour aider les jeunes pilotes suisses. Je l’ai suivi en 1995, lorsqu’il a participé au grand prix d’Europe de F1 au Nürburgring. Par la suite, on s’est retrouvés ensemble sur la piste, au Mans en 2003 et 2004, la deuxième année sur Ferrari en concurrents. C’était vraiment sympa.

JDD, en Formule 1, à Estoril. Le duel en Formule Ford, Alain Menu talonne JDD.

Quel est le point fort de Jdd ?

Il a un grand pouvoir de persuasion, et sait être extrêmement convaincant quand il croit à quelque chose.

son point faible:

Un net manque de motivation sur certains week-ends, parfois il semblait être ailleurs. A contrario quand il trouvait la motivation, il était capable de faire de très belles courses. Je pense que c’est une des raisons qui l’ont empêché d’être pilote professionnel au sens premier du terme. Pas vraiment le niveau pour être pilote de F1, mais très bon dans d’autres disciplines, comme GT et prototypes.

JeAn-denis deléTrAZ

Alain et moi avons pris deux chemins opposés, ce qui ne nous jamais empêché de maintenir notre amitié. Après la FFord, nous nous sommes recroisés au Mans dans la même catégorie. Quand il est parti en Angleterre, il était étudiant, ce qui lui a facilité la décision. Alain s’est construit un des plus beaux palmarès en Angleterre, ce qui lui a permis de bien gagner sa vie, puis de faire des placements pour son avenir. Nous nous sommes aussi rejoints sur ce point, puisque j’avais axé ma vie sur un métier qui m’a permis de conseiller mon ami. Personnellement, je n’ai jamais gagné ma vie en sport, mais j’ai eu la possibilité de prendre le volant de toutes les catégories de voitures, y compris la F1. Ma petite notoriété générée par les trois GP auxquels j’ai participé, m’a ouvert la porte de très beaux teams GT et prototypes. Cela m’a permis de participer aux plus grandes courses. Vainqueur des 24 heures de Spa, vainqueur LMP675 au Mans, 5e au général avec McLaren etc. J’ai partagé des expériences exceptionnelles avec Marcel Fässler notamment, en GT, et avec Swiss Spirit. Je ne regrette rien de mon choix de carrière. De plus, je me suis retrouvé avec Alain lorsque s’est créée l’association Swissdream pour aider les jeunes. C’est une autre fierté.

Quel est le point fort d’Alain?

Rires… après 50 ans d’amitié, on va être fâchés… Alain est extrêmement rapide, et il a un pouvoir de concentration incroyable, ajouté à une volonté de dingue.

son point faible?

Selon moi, il a pas mal de difficulté à se remettre en question lorsqu’il a un accident. Ce n’est jamais de sa faute, comme la majorité des pilotes d’ailleurs.

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