Mémoire ENSAL 2021 - Économie circulaire & processus architectural

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ÉCONOMIE CIRCULAIRE & PROCESSUS ARCHITECTURAL : Tentative de caractérisation des impacts de l’intégration des principes circulaires, dans le processus architectural, sur le métier d’architecte.

ÉTUDIANT(S)

BARGUES Adèle

MASTER

S09

TITRE

Économie circulaire & processus architectural

20-21

UNIT

E093 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE

ARCHI

DE.MEMOIRE

GALMICHE J-C.

ENCADREMENT

TUT. SEP

LIEVRE S.

GALMICHE J-C.

DCAI

MEM ATEC

© ENSAL



REMERCIEMENTS

Je voudrais tout d’abord remercier mon directeur d’étude, M. Jean-Christophe Galmiche, pour son suivi, ses conseils, et sa grande disponibilité, qui ont contribué à guider ma réflexion tout au long de ce travail de recherche. Je remercie également toute l’équipe pédagogique du séminaire ATEC, notamment Boris Roueff et Marie-Kenza Bouhaddou, qui ont su nous accompagner dans la compréhension du réel sens de la recherche. Je tiens à remercier l’équipe enseignante du projet AMTH2, et plus particulièrement Nune Chilingaryan, Christophe Boyadjian et Marc Bigarnet, pour les réflexions architecturales et l’approche urbaine qu’ils m’ont enseignée. De plus, ce mémoire n’aurait pas pu prendre la dimension qu’il a aujourd’hui si je n’avais pas eu la possibilité de réaliser certains entretiens, je tenais donc à remercier Didier Rebois, pour la grande écoute dont il a fait preuve, et toute l’équipe de Minéka pour leur bienveillance et leur disponibilité. Je remercie chaleureusement mon entourage, pour le soutien qu’ils ont su m’apporter, et plus particulièrement mon père, pour les nombreuses discussions que nous avons eu autours de mon sujet d’étude. Enfin, je remercie Juliette Duday pour la relecture attentive de ce mémoire, et ses précieux conseils.


RÉSUMÉ

L’urgence climatique et la pollution engrangée par le secteur du BTP remettent aujourd’hui en question notre façon de penser et faire l’architecture. L’architecte, bâtisseur de notre monde futur, a la lourde tache de dessiner des lieux « habités » tout en prenant aujourd’hui en compte de nombreux autres aspects : social, économique, écologique, éthique, anthropologique, etc. L’émergence d’une nouvelle forme d’économie, l’économie circulaire, qui se veut plus vertueuse, résiliente et respectueuse de l’environnement que notre économie linéaire actuelle, émerge depuis quelques années au coeur de la pratique du métier d’architecte, offrant un nouveau champ réflexif à cette pratique sans cesse en évolution. Ce mémoire cherche à montrer en quoi l’intégration des principes de l’économie circulaire à un projet architectural peut induire une modification de l’environnement de conception de l’architecte, ainsi qu’un déplacement de ses modes de pensées. Par l’établissement de frises chronologiques types pour la conception circulaire et la conception linéaire, une comparaison pourra être établie de manière à observer des différences ou similitudes dans le type d’acteurs engagés dans le projet, ainsi que la temporalité de leurs interventions. Les modifications de l’environnement de travail étan posées, il semble possible que l’on assiste à des déplacements de l’architecte luimême et de ses réflexions. Ainsi, ce travail théorique proposera des données permettant de visualiser l’impact des principes circulaires sur la pensée architecturale d’aujourd’hui, et sur les architectes de demain. Mots-clés : économie circulaire - processus architectural métier d’architecte - évolution


ABSTRACT

The climatic emergency and the pollution caused by the construction sector are today challenging our way of thinking and doing architecture. The architect, the builder of our future world, has the difficult task of designing «inhabited» places while taking into account many other aspects: social, economic, ecological, ethical, anthropological, etc., today. The emergence of a new form of economy, the circular economy, which aims to be more virtuous, resilient and respectful of the environment than our current linear economy, has been emerging in recent years at the heart of the practice of the architectural profession, offering a new reflexive field for this constantly evolving practice. This dissertation seeks to show how the integration of the principles of the circular economy into an architectural project can lead to a modification of the architect’s design environment, as well as a shift in his modes of thought. By establishing typical chronological friezes for circular and linear design, a comparison can be made in order to observe differences or similarities in the type of actors involved in the project, as well as the temporality of their interventions. As the changes in the working environment are posed, it seems possible that there may be shifts in the architect himself and his reflections. Thus, this theoretical work will provide data to visualise the impact of circular principles on today’s architecture and on the architects of tomorrow.

Keywords : circular economy - architectural process architectural profession - evolution


SOMMAIRE ?

AVANT-PROPOS

.8

/

INTRODUCTION

.10

1

ÉCONOMIE & ARCHITECTURE

.18

Notre vision de l’architecture doit-elle changer ?

.20

Qu’est ce que l’économie circulaire ?

.24

Quelles sont ses applications dans le domaine architectural ?

.30

DÉROULEMENT DU PROCESSUS ARCHITECTURAL

.38

Comment se déroule une opération de construction ?

.42

Quelle est la place de l’architecte dans ce processus ?

.50

Recherche d’une modification du processus architectural lorsque l’économie circulaire est intégrée au projet

.54

Études de cas

.58

2


3

VERS UNE MODIFICATION DU MÉTIER D’ARCHITECTE DANS LE PROCESSUS DE CONCEPTION ARCHITECTURALE

.78

Quels sont les impacts du modèle circulaire sur l’environnement de conception de l’architecte ?

.82

Quels sont impacts du modèle circulaire sur l’architecte lui-même ?

.90

Discussion et limites de l’étude

.99

...

CONCLUSION

.104

#

BIBLIOGRAPHIE

.110

©

ICONOGRAPHIE

.114

*

ANNEXES

.116


?

AVANT-PROPOS

Choix du sujet Motivations personnelles Difficultés rencontrées 8


L’économie circulaire est un sujet qui m’a particulièrement intéressée depuis le début de mon rapport d’étude de Licence 3. En effet, ce rapport portait sur le biomimétisme, avec pour problématique : « En quoi le biomimétisme est-il une meilleure réponse aux enjeux environnementaux actuels ? ». Mon intérêt s’est donc tout de suite porté sur un sujet en lien avec le développement durable, et comment des solutions alternatives à ce que nous connaissons actuellement pourraient potentiellement nous apprendre à concevoir l’architecture avec cette conscience environnementale qui me semble primordiale. Le sujet de l’économie circulaire était une des parties de ce précédent travail, se basant sur son principe fondamental : imiter les métabolismes naturels des écosystèmes nous entourant de manière à trouver un modèle économique plus efficace et vertueux pour relever les enjeux actuels de notre planète. C’est donc en cherchant à comprendre comment remettre en question notre organisation actuelle, ses fondements et fonctionnements, qu’il m’a semblé important de chercher quels nouveaux modèles étaient plausibles, et leurs liens avec notre façon de faire la ville. L’économie circulaire, présentant une solution possible dans le changement de paradigme auquel nous devrons faire face, m’a donc permis d’enclencher une réflexion sur ses principes et sur ce qu’ils signifiraient pour l’architecture de demain. C’est en approfondissant mes recherches que je suis tombée sur des architectes écrivant leurs théories quant au lien entre économie circulaire et architecture. Leurs points de vue étaient différents de ceux qui m’avaient été présentés dans le cadre de mon cursus scolaire. C’est ainsi que je me suis penchée sur la question des impacts de l’économie circulaire sur l’architecte et son processus architectural, de manière

à mieux comprendre les possibilités qui s’offriront à moi dans ma manière de pratiquer l’architecture. La méthodologie initiale de ce mémoire n’a malheureusement pas pu voir le jour, dû aux conditions sanitaires difficiles qui ont accompagné mes camarades et moi-même durant la quasitotalité de notre travail de mémoire de master. Cette méthodologie devait initialement avoir comme corpus le suivi de projets architecturaux circulaires, par des entretiens avec différents acteurs de la conception, ainsi que l’observation de situations telles que des réunions. Cela a donc été impossible, au vu de la réticence des agences à organiser des rendez-vous en présentiel (ce qui est tout à fait compréhensible). La solution trouvée a été de demander aux agences un certain nombre de documents pouvant permettre d’établir les acteurs impliqués dans les projets, ainsi que leurs relations avec l’architecte, sans pour autant avoir à les observer directement. Encore une fois, la situation sanitaire a fait que les différentes agences contactées n’ont pas pu trouver le temps de réunir les documents demandés, ou de répondre aux questionnaires en ligne censés remplacer les entretiens. Cependant, ces facteurs inhérents à la recherche, qui est rarement un long fleuve tranquille, m’ont ouvert la possibilité d’un corpus constitué d’études de cas ayant fait l’objet d’ouvrages, et ne nécessitant pas l’attente de documents de la part d’autres personnes. C’est ainsi que ce travail est né, et nous verrons par la suite que la lecture de ces ouvrages m’a réellement impactée, autant dans la vision que j’avais de l’architecture, que celle que j’avais de mon futur métier. En espérant que ce travail puisse un peu vous impacter également, je vous souhaite une bonne lecture. 9


/

Contexte État de l’art Sujet Hypothèses Problématique Méthodologie Annonce du plan 10

INTRODUCTION


En 1972, le Club de Rome présente les premiers modèles d’économie à boucle dans The Limits To Growth, exposant les premiers une théorie selon laquelle notre croissance basée sur l’économie linéaire est vouée à atteindre sa limite dans un futur assez proche, et donc tentent de proposer un modèle alternatif. Grâce à deux autres théories : l’économie régénérative1 et l’économie de la performance2 (développée à la demande de la Comission Européenne en 1981), le modèle commence à s’approcher de ce que nous appelons aujourd’hui l’économie circulaire, en prenant en compte d’autres approches que celles purement économiques. Nous pouvons également noter que le rapport pour la Comission Européenne a été rédigé par 2 écrivains, dont l’un était architecte, l’établissement d’une théorie architecturale autours de l’économie circulaire faisant ses premiers pas. En réalité, la première apparition du terme «économie circulaire» remonte à 1990 dans Economics of Natural Ressources and the Environment, de David W. Pearce. L’économie circulaire est donc un modèle assez récent, et même si son application au domaine de l’architecture semble être apparue en 1981 avec Walter Stahel, le développement de la théorie circulaire pour l’architecture est loin d’être terminé. Nous sommes actuellement à un tournant décisif, où l’augmentation de la consommation et l’épuisement des ressources naturelles approchent un point de non retour en terme environnemental. La modification du climat et les variations de la biosphère lancent des signaux d’alerte quant à l’impact de l’anthroposphère sur la biosphère. À l’ère d’une remise en question globale de nos modes de vie, il semble que nos villes seront elles aussi amenées à changer.

Le rôle de l’architecte dans la transition environnementale est primordial, puisqu’il lui incombe la tâche d’améliorer le métabolisme urbain des villes, et de trouver un juste équilibre entre impacts architecturaux et respect de l’environnement. Ces axes de développements architecturaux peuvent s’inscrire dans une démarche à l’opposé du modèle actuel de notre société : l’économie circulaire. Ce champ de recherche présente l’intérêt de se baser sur le métabolisme naturel des écosystèmes nous entourant, et, donc, sur le postulat que si la nature est présente sur la planète depuis 3,8 milliards d’années, son fonctionnement est probablement celui à imiter. Le modèle circulaire est aujourd’hui encore complexe à saisir, de part les multiples principes qui lui sont rattachés et la difficulté pour la communauté scientifique à s’accorder sur une définition précise. Dans le cadre législatif, l’économie circulaire est un concept apparu récemment. Nous allons maintenant nous attarder sur la publication de textes, lois, rapports par les politiques publiques. L’Union Européenne, en plus du rapport de 1981, a publié récemment Boucler la Boucle, en 2015. En France, nous pouvons relever la formation de l’Institut de l’économie circulaire en 2013. Actuellement, l’économie circulaire est plutôt utilisée comme une nouvelle politique pour la gestion des déchets, que comme un réel modèle sociétal (McDonall, 2017). En effet, certains textes, comme la Stratégie Nationale de Transition Écologique vers le Développement Durable (SNTEDD), portent notamment sur le découplage de la croissance de la consommation des matières premières3. Des travaux ont été menés sur la question du cycle de vie des matériaux dans le domaine de l’industrie, et des modèles de calcul d’indices de circularité ont vu le jour4. Ces indices de circularités ne

1. John T. Lyle, Regenerative design, 1996.

2. Walter Stahel et Genevève Reday, The Potential for substituting Manpower for Energy, rapport pour la Comisson Européenne,1981.

3. découplage entre la croissance du PIB et l’évolution de la consommation des matières premières ainsi que des impacts environnementaux. 4. Association ANAHATA et Laboratoire G-SCOP, Concevoir en intégrant la circularité des matériaux, 2019. 11


5. Ministère de la Transition écologique, Feuille de route de l’Économie Circulaire, 2018.

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sont valables que pour une chaîne de production d’un produit, pas à l’échelle d’un bâtiment. La loi sur la transition énergétique proposée en 2015, portant sur l’obsolescence programmée, nous prouve encore une fois qu’au sein des entités politiques, l’économie circulaire a du mal à s’appliquer à autre chose que l’objet industriel. Nous pouvons également relever le fait que ministre de la transition écologique a fait part d’une volonté de faire évoluer le Conseil National des Déchets en Conseil National de l’Économie Circulaire5. Dans le champ de la recherche architecturale, nous pouvons souligner que, malgré un développement encore débutant des principes circulaires appliqués à l’architecture, de nombreux évènements et conférences sont apparues ces dernières années (EcoSD Annual Workshop 2018, Entreprises et architectes, agir ensemble pour mettre en œuvre les ambitions de l’économie circulaire lors de la 15ème Biennale de Venise, etc.), notamment depuis ce que nous appellerons la « vague de prise de conscience écologique à une échelle globale ». Ces évènements de plus en plus nombreux, présentant des comptesrendus de discussion, sont une avancée majeure pour l’architecture circulaire, cependant ces tables rondes n’ont pas vocation à théoriser ni à établir d’écrits de recherche scientifique, mais plutôt à discuter autours d’exemples concrets et très précis. Peu de théoriciens de l’architecture ont tenté d’approfondir la question de la traduction du concept d’économie circulaire pour le domaine de l’architecture. Nous pouvons citer deux architectes qui semblent se faire remarquer dans ce domaine à l’échelle européenne, autant pour leur pratique du projet que pour leurs essais théoriques : Grégoire Bignier et Anders Lendager. Nous n’approfondirons pas cette information pour le moment, ces deux architectes étant les concepteurs

de deux projets que nous traiterons en tant qu’études de cas pour la réalisation de notre méthodologie. Le paradigme circulaire est donc un concept qui n’a encore que peu été diversifié aux différents domaines d’étude concernés. Un constat peut être fait : l’architecture ne s’est encore que peu appropriée ce modèle. Cela peut être expliqué par une absence de traduction, de définition claire de la notion de circularité en architecture, ainsi que des principes de conception qui semblent souvent être vastes et flous - s’expliquant par le fait que ces principes dépendent majoritairement de la situation géographique, culturelle, sociale et environnementale. La difficulté rencontrée pour donner une définition claire de l’économie circulaire repose donc sur la complexité de ce concept même. Nous utiliserons les 7 piliers de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), institution publique publiant des guides et des rapports pour accompagner les régions dans une transition vers la circularité : l’approvisionnement durable, l’éco-conception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage et le recyclage ; ceux-ci ne sont cependant pas une définition globalement admise ou validée de l’économie circulaire, ce sont, en revanche, les principes les plus courament cités dans les travaux de recherche portant sur ce modèle. Nous verrons, dans la suite de cet écrit, que l’économie circulaire est en réalité un concept bien plus large et multidisciplinaire que ce qui nous est présenté au travers de ces 7 piliers. Pour simplifier la compréhension de cette introduction, nous allons tout de même esquisser une définition de l’économie circulaire : c’est un modèle fonctionnant sur le


principe de boucle - d’où l’appellation économie circulaire, en opposition avec l’économie linéaire. Ces boucles sont constituées de différentes entités, des opérateurs, pouvant être autant des bâtiments, que des collectivités, des séquences de la biosphère, des institutions politiques, des usagers de nos villes, etc. Ces opérateurs échangent entre eux des flux, qui seront tout au long de ce devoir considérés comme pouvant être des informations, de l’énergie, des déchets, des dynamiques ou encore des humains. Ces échanges se font dans un système au sein duquel chaque entité est liée à d’autres, dans une boucle fermée, mais tout de même connectée à son environnement plus large. Les liens entre ces opérateurs peuvent être bénéfiques par exemple par un partage des ressources ou d’un territoire. Ce modèle s’appuie sur celui d’un écosystème, ou chaque entité, à l’origine singulière, s’inscrit dans un tout pouvant initier un fonctionnement plus résilient et durable à une échelle plus large. Ayant donné une défnition (partielle) de l’économie circulaire, nous pouvons compléter cette description par une dimension explicitée par l’Institut National de l’Économie circulaire : «Une démarche plus ambitieuse [que le modèle linéaire] s’impose. L’économie circulaire concrétise l’objectif de passer d’un modèle de réduction d’impact à un modèle de création de valeur, positive sur un plan social, économique et environnemental.»6. Nous pouvons maintenant introduire nos deux premières hypothèses : - le modèle linéaire dans lequel nous évoluons a ses limites, tandis que l’économie circulaire semble présenter de meilleures solutions pour répondre aux enjeux environnementaux actuels ; - l’architecte, et plus largement le secteur du bâtiment, ont leur part de

responsabilités dans les dérives de notre modèle actuel, mais peuvent également être des instigateurs du changement. Ces hypothèses étant posées, nous pouvons maintenant nous demander quel est donc ce rôle à jouer pour le secteur de la construction. Nous allons donc introduire le deuxième terme principal de notre sujet : le processus architectural. En tentant d’approfondir nos recherches sur l’économie circulaire et son rapport à l’architecture, il semble que la question du processus de conception et de sa dépendance aux motivations de l’architecte se pose. L’architecte, comme tout artiste, mettra un peu de lui-même dans son projet7. Par cela, nous entendons que les convictions et modes de pensée de l’architecte sont étroitement liées avec le résultat spatial de sa pratique. De ce fait, nous en sommes arrivés à la question suivante : quels peuvent-être les liens entre économie circulaire et processus architectural ? Pour répondre à cette question, nous devons dans un premier temps nous attarder sur les caractéristiques définissant ce processus, outre le lien avec l’économie circulaire. Ce dernier est étudié depuis de nombreuses années par différents chercheurs et écrivains. Nous pouvons notamment citer Isabelle Chesneau, dont l’ouvrage Profession Architecte, publié en 2017 sera l’un des écrits théoriques majeur dont nous nous servirons pour tenter de mieux appréhender la complexité du projet architectural. Nous complèterons les apports théoriques de cet ouvrage notamment avec celui de Michel Ragon, L’architecte, le prince et la démocratie, publié en 1977, ainsi qu’avec le cours Droits et Stratégie d’acteurs, dispensé par Thierry Saunier en 2019 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon. Ces ouvrages nous permettront de répondre à nos deux nouvelles

6. Institut National de l’Économie Circulaire, L’économie circulaire, nouveau modèle de prospérité.

7. Jean-Pierre Chupin, Le Projet analogue : les phases analogiques du projet d’architecture en situation pédagogique 1998, p.43.

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8. Nous prendrons la définition suivante de réfier dans tout ce de voir : Action de transformer en chose concrète une idée ou un concept. Larousse

hypothèses : - Le déroulement d’une opération de construction classique peut être généralisé à un modèle-type, avec des acteurs récurrents et des temporalités d’intervention de ces acteurs généralisables ; - Les rôles que doit jouer l’architecte dans ce processus sont également généralisables à toute opération de construction ; Nous pourrons ainsi avoir un aperçu du processus architectural dans sa forme classique et générale. Cet aperçu, une fois dessiné, nous pouvons reprendre notre hypothèse selon laquelle l’architecture réifie8 les convictions de l’architecte. Or, l’économie circulaire, comme nous venons de la décrire, semble bien être un nouveau mode de pensée. Nous sommes en place de nous questionner sur l’impact que l’économie circulaire, si elle venait à intégrer les principes d’une architecture au travers des réflexions de son concepteur, aurait sur la pratique architecturale. Nous venons ici de trouver la problématique de notre sujet :

Comment l’intégration des principes de l’économie circulaire dans le processus architectural peut-elle entraîner une modification du métier d’architecte ?

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Pour tenter d’y répondre, nous développerons notre argumentaire selon deux axes : les impacts d’ordre opérationnel, comme les acteurs impliqués et les temporalités de leurs interventions ; et les impacts d’ordre personnel, notamment sur les rôles que

l’architecte a dans le processus, ainsi que sur ses réfléxions et modes de pensée. De manière à pouvoir développer une réflexion dans chacun de ces axes, nous utiliserons deux types de ressources : - des écrits et cours théoriques, qui serviront notamment à esquisser les caractéristiques majeures de l’architecture linéaire classique ; - deux études de cas, qui nous permettront de dessiner le modèle de l’architecture circulaire ; Ces études de cas consistent en deux projets, Upcycle Studios d’Anders Lendager, et le projet pour Réinventer la Seine, de Grégoire Bignier. Ces projets ont été particulièrement détaillés et explicités dans les ouvrages de chacun de nos deux architectes : A changmaker’s guide to the future et Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, publiés en 2018. L’analyse des textes descriptifs, photographies et plans nous permettra de comprendre les caractéristiques opérationnelles et personnelles du déroulé du processus architectural, lorsque les principes d’économie circulaire y sont intégrés. Ce deuxième modèle une fois esquissé, nous ferons l’hypothèse que nos deux modèles présenteront forcément des caractéristiques différentes, induisant une modification du métier et de la pratique. Nous tenterons donc de les comparer, afin de mettre en avant les similitudes et divergences qui semblent se dessiner entre les deux pratiques. Les résultats de cette analyse comparative, complétés par de nouveaux écrits théoriques, nous permettront d’engager des réflexions sur les modifications du métier d’architecte, liées à la pratique circulaire. Ainsi, le déroulé de notre argumentaire se développera, dans un premier temps, par une tentative de compréhension des enjeux actuels, et leur lien avec le secteur


de la construction. Cela nous permetttra d’enclencher sur les définitions de l’économie linéaire et circulaire, ainsi que leur transposition dans le domaine architectural, tout en n’omettant pas de présenter leurs limites respectives. Nous nous pencherons, dans un deuxième temps, sur le sujet du processus architectural, en tentant de le définir puis de le généraliser pour une opération de construction classique. Nous introduirons ensuite nos deux études de cas, afin de remettre en perspective la réflexion sur le processus architectural, en lui ajoutant la dimension circulaire. Enfin, dans un dernier temps, nous utiliserons la comparaison entre ces deux

modèles comme base de discussion sur l’évolution de la pratique archiecturale. Nous chercherons ainsi à mettre en avant les impacts potentiels que l’intégration des principes circulaires dans le processus architectural pourrait avoir sur le métier d’architecte, présentant une évolution plausible de la pratique. Nous verrons finalement que, outre le déplacement de la pratique architecturale dans son sens opérationnel, le sujet de l’économie circulaire révèle en réalité une dimension personnelle bien plus profonde que la simple question des rôles qu’endossent l’architecte : la place de l’éthique dans la pratique de notre métier.

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ÉCONOMIE & ARCHITECTURE

Notre vision de l’architecture doit-elle changer? Qu’est-ce que l’économie circulaire ? Quelles sont ses applications dans le domaine architectural ? 16


ARCHITECTE

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Pré-requis inévitable dans un sujet qui se veut traiter d’écologie, nous allons dans un premier temps tenter de valider ou d’invalider l’hypothèse point de départ de ce travail de recherche : les enjeux environnementaux actuels indiquent que nous devrions changer notre manière de voir l’architecture et le métier d’architecte, de part son rôle de bâtisseur du monde de demain. En effet, le domaine de la construction semble avoir sa part de dette envers la biosphère. Il présente cependant un questionnement autours du rôle qu’il pourrait jouer dans l’établissement d’un monde plus résilient et durable. Nous pouvons voir que de plus en plus de normes et de textes de loi apparaissent dans la législation, en réponse aux enjeux actuels, dont certaines relatives au secteur du bâtiment. En France, la formation de l’Institut de l’économie circulaire en 2013, et la publication du rapport «Stratégie Nationale de Transition Écologique vers le Développement Durable» (SNTEDD), en 2014, ont posé le premier cadre législatif de l’économie circulaire. Nous pouvons également citer le label NF Habitat HQE, délivrée par CERQUAL Qualitel Certification, qui comprend depuis 2018 la première certification pour la circularité dans le secteur de la construction1. Bon nombre de ces législations s’appliquent donc aux domaines du design, dont l’architecture fait partie. Cela peut mettre en lumière deux faits qui nous serviront comme points de départ pour cette première partie : - l’économie circulaire commence à se frayer un chemin dans les législations, et donc dans les pratiques, notamment en Europe du Nord, ; - le secteur du bâtiment fait l’objet d’objectifs de plus en plus précis pour répondre aux enjeux du développement durable, dont il semble être un levier

important, et ces objectifs peuvent être mis en lien avec des propositons circulaires ; Cependant, l’économie circulaire est un concept difficile à appréhender, de part la complexité de ses principes, et une définition unanime qui n’a pas encore été établie. Nous pouvons aujourd’hui nous baser sur les particularités majeures de ce modèle, ainsi que les premières définitions et critères validés par une majorité des recherches scientifiques traitant de ce sujet. Des travaux comme ceux de l’Ademe, acteur aujourd’hui incontournable dans l’accompagnement des régions vers le modèle circulaire, permettent notamment l’établissement de guides et de dossiers à la portée de tous. Ces travaux pourront ainsi nous permettre de donner une définition de l’économie circulaire et de son rapport avec notre société actuelle. Nous nous posons ici la question des impacts de l’intégration des principes circulaires sur la pratique architecturale. Cela induit donc d’intégrer une dimension d’entrée plus précise pour appréhender les concepts circulaires. Les exemples pratiques et théoriques, même si ils restent aujourd’hui plutôt restreints en France, permettent cependant la mise en lumière des propositions du modèle circulaire dans le champ architectural. La présentation d’un modèle alternatif n’a pas de sens si nous ne cherchons pas en quoi le modèle actuel peut s’avérer défaillant, et présenter des limites nonnégligeables à l’heure de la remise en question globale sur les liens entre anthroposphère et biosphère. Nous verrons donc tous ces aspects dans la partie suivante, qui nous permettra de poser les bases de la circularité et de son application à l’architecture, prérequis nécessaire à la compréhension de la suite de ce travail de recherche.

1. Lucile Berliat Camara, Économie circulaire : mettre en place une démarche dans le secteur du bâtiment, 2020.

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Notre vision de l’architecture doit-elle changer?

1. UN Department of Economic and Social Affairs,

World Population Prospects,The 2017 Revision, 2017.

2. The World Bank, Groundswell :

Preparing for Internal Climate Migration,

Hypothèses Les enjeux climatiques et environnementaux actuels vont bientôt atteindre un point de non-retour. - Le secteur du bâtiment a un poids important dans l’aggravation de la situation environnementale. - L’architecte a un rôle à jouer dans le façonnement du monde de demain, plus résilient et respectueux de l’environnement.

+ Urgence climatique et enjeux

actuels

2018.

3. IPCC, Climate

Change 2014 : Synthesis Report, 2014.

2012.

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L’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles dans le monde apparaît sous différentes formes : tempêtes, ouragans, inondations, incendies, sècheresses, famines, etc. Le monde est en déperdition, nous détruisons nos bâtiments, nos villes, nos fôrets, les récifs, les espèces animales. Sans un réel changement, plus de 140 millions de personnes pourraient devenir des réfugiés climatiques d’ici à 20502.

Empreinte carbone Il y a déjà eu des modifications climatiques dans l’histoire de l’humanité : vague de froid au MoyenÂge, réchauffement entre le IXe et le XIVe siècle, petite aire glaciaire du XVe au XVIe siècle ; mais aujourd’hui, la modification du climat est de notre fait, et non un évènement naturel. Nous sommes actuellement à un tournant décisif de l’humanité, où l’accroissement de la consommation et la sur-exploitation des ressources naturelles approchent atteignent leurs limites. La modification du climat et les variations de la biosphère (disparition d’espèces animales et végétales, mutations, migrations, etc.) lancent des signaux d’alerte quant à l’impact de l’homme sur la planète depuis l’ère industrielle, et les prévisions à court et long terme nous poussent aujourd’hui à remettre en question le fonctionnement de nos sociétés.

Augmentation de la population 4. The World Bank, What a waste : a global review of Solid Waste Management,

Fréquence des catastrophes naturelles

D’ici 2050, les prévisions estiment la population mondiale à 9,8 milliards d’êtres humains1. Ainsi, dans les 30 prochaines années, la demande globale de logements, de biens, d’énergie et de transports vont exploser.

Les gaz à effet de serre sont aujourd’hui toujours en augmentation. À l’échelle mondiale, d’après le UN Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), les émissions de GES devraient être diminuées de 40 à 70% (par rapport aux émissions de 2010) d’ici 2050 si on veut espérer réduire ces émissions à un niveau acceptable3.

Déchets Les océans sont remplis de plastique, les plages sont remplacées par des décharges, et nous continuons à produire plus de déchets que notre gestion globale n’arrive à traiter. En 2002 : 2,9 milliards d’humains habitaient en ville et produisaient 680 millions de tonnes de déchets ménagers (234 kg/ personne/an). En 2012, 10 ans plus tard, cette quantité a augmenté à 1,3 milliards de tonnes, alors que la population urbaine n’a augmenté que d’1 milliard d’individus (438 kg/personne/an). Les prévisions indiquent qu’à ce rythme, d’ici 2025, 4,3 milliards d’individus habitant en ville produiront 2,2 milliards de tonnes de déchets ménagers par an (518 kg/ personne/an)4. 20


Voici donc les constats que nous pouvons faire à une échelle globale : - Nous faisons face à un changement climatique bouleversant, autant pour la géographie que la culture (au sens culturel et non agricole) ; cela induit une remise en question de nos modes de vie. - Face à une élévation de l’espérance de vie et une démographie en expansion, nous devons réfléchir à de nouveaux modes d’habiter. - La modification de l’accès aux ressources naturelles, à l’énergie et de la biodiversité, impliquent des solutions à trouver, dépendantes des situations géographiques. - Le développement des technologies et du numérique est dans l’histoire de l’Homme une situation disruptive qui va forcément changer notre monde et le fonctionnement de nos sociétés futures. Nous finirons cet état des lieux sur une déclaration de Grégoire Bignier, cherchant à comprendre dans ces ouvrages en quoi ces changements sont liés de manière plus ou moins directe au domaine architectural : « Notre époque ainsi décrite, il est impossible de ne pas imaginer que l’architecture ne s’en trouve pas profondément modifiée du fait de la nouvelle organisation territoriale qui résulterait de ces modifications. »5

+ La place de l’architecte dans le façonnement de notre futur

L’architecture : pôle majeur de pollution De manière à bien comprendre la part importante du secteur du BTP dans les enjeux climatiques et environnementaux actuels, voici quelques chiffres parlant d’eux-mêmes. Le secteur de la construction est aujourd’hui responsable de : - 39% des émissions annuelles mondiales

de CO2 (énergie et procédés)6, et 30% en France7; - 37% de la consommation totale d’énergie mondiale8, 45% en France7 ; - 40% des déchets produits8, 46 millions de tonnes de déchets rien qu’en France9, soit 10 fois plus que les déchets ménagers. - En terme d’extraction de matière première, nous pouvons prendre l’exemple du sable, dont 50% du volume extrait chaque année est destiné au secteur du bâtiment10. Le développement de ce secteur est donc un enjeu majeur dans une meilleure prise en compte de la finitude des ressources, ainsi que l’impact de l’Homme sur le climat et l’environnement. « [cela] implique de reconsidérer les pratiques et de faire évoluer les modèles pour construire, rénover et exploiter des bâtiments durables et régénératifs. En particulier, il s’agit de tendre vers un modèle économique circulaire, pour limiter le gaspillage des ressources et réduire l’impact environnemental générés par le secteur du bâtiment.»12 Nous reviendrons sur l’économie circulaire un peu plus tard, mais cette introduction à ce concept, provenant de l’Ordre des Architectes, démontre bien que de nouveaux modes de construire et d’habiter sont à trouver. Outre les impacts environnementaux, il semble important d’insister sur l’enjeu économique et social lié à ce secteur. En effet, le BTP représente 10% du PIB français, ainsi que 100 millions d’emplois dans le monde8. En France, ce secteur rassemble 1,2 millions d’actifs11. Une évolution du domaine de la construction vers un modèle plus durable, résilient et écologique touche donc aussi bien la question environnementale, que sociale ou économique. C’est un levier de changement pour nos sociétés, comme pour le secteur de l’emploi et donc

5. Grégoire Bignier,

Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p. 142

6. GABC, IEA, UNEP, Bilan Mondial 2019, Pour un secteur du bâtiment et de la construction à émissions nulles, efficace et résilient, 2019.

7. Observatoire du Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Ademe, Statistiques disponibles pour 2012, 2012. 8. P. Deshayes, Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement. p.219-236, 2012.

9. Ademe, Déchets chiffres-clés «L’essentiel 2018», 2019.

10. ONU, Sable et développement durable, 2019. 11. SESSI, 2007 ; Action BTP, 2011 12. Ordre des Architectes,

Économie circulaire dans la conception des bâtiments : la Commission Européenne a publié son guide, 2020. 21


l’avenir de nombreux individus.

L’architecture : des objectifs définis en France et en Europe

13. Ademe, ChiffresClés : Climat Air Énergie, 2018.

14. Lucie BerliatCamara, Économie circulaire : mettre en place une démarche dans le secteur du bâtiment, 2020.

15. Objectifs issus des Paquets ÉnergieClimat de 2008 et 2014 16. Objectifs issus de la Loi relative à la la transition énergétique pour la croissance verte

La France ainsi que l’Union Européenne, ont donc proposé des objectifs pour le secteur du BTP d’ici à 2030, de manière à enclencher la transition de ce secteur vers un modèle plus durable. Les propositions (Figure 1.) pour l’horizon 2030 présentent des objectifs dans 3 domaines : émission de GES, consommation d’énergie, énergie renouvelable. Ce sont des objectifs généraux, pour les atteindre, différentes lois ont été votées en France comme en UE, en voici quelques exemples présentant des actions concrètes pour atteindre ces objectifs : - rénovation de l’ensemble du parc de bâtiments au niveau BBC rénovation d’ici 2050 ; - généralisation des Bepos pour toutes les constructions neuves à partir de 2020 (2018 pour les bâtiments publics) ; - possibilité d’imposer (à travers le PLU) une part minimum d’énergie issue d’origine renouvelable dans la consommation d’un bâtiment ; - prise en compte de l’empreinte carbone à compter de 2020 pour toutes les nouvelles constructions ; Le domaine de la construction est donc en réalité déjà en cours de transition,

notamment pour la consommation d’énergie. En effet, entre 1990 et 2018, nous pouvons observer une baisse de 23% de la consommation énergétique unitaire pour les bâtiments résidentiels, de 12% pour le tertiaire, ainsi qu’une baisse de 41% de l’intensité énergétique (calculée comme le rapport de la consommation d’énergie au PIB ; ici on produit plus avec moins d’énergie) et 38% des émissions de CO2 pour le secteur industriel13. Cependant, ces chiffres montrent un effort sur la consommation énergétique des bâtiments pendant la phase d’exploitation, et non pendant les phases construction ou démolition. La question des déchets du BTP, comme celle des émissions de CO2 sur l’ensemble de la vie du bâtiment, ou celle de la transformation de matières premières pour les matériaux de construction commence à émerger en 2015, avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV). Si nous nous concentrons sur la question des déchets, cette loi propose, : une réduction des déchets ménagers de 10% pour 2020, passer le taux de recylcage à 65% d’ici à 2025 (contre 56% en 2012), ou encore diminuer de 50% la mise en décharge d’ici à 2025 (contre -30% en 2020)14. Ces données sont encourageantes, mais seront-elles suffisantes pour répondre aux enjeux environnementaux actuels ?

Émissions de Gaz à Effet de Serre (par rapport à 1990)

Consommation d’énergie (par rapport à 1990)

Part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale (par rapport à 1990)

- 40% 15

- 27% 15

27% 15

- 40% 16

- 20%

32% 16 Figure 1. Objectifs 2030, UE et France

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L’architecte et sa responsabilité envers l’anthroposphère et la biosphère Le rôle de l’architecte dans la transition environnementale est prépondérant, puisqu’il lui incombe la tâche d’améliorer le métabolisme des villes, et de trouver un juste équilibre entre enjeux architecturaux et respect de l’environnement. En effet, tandis que nos villes s’expandent, et que la majorité de la population mondiale y vit désormais, nous nous trouvons à un croisement crucial. D’un coté, nous allons avoir besoin de plus de logements, d’espaces commerciaux et tertiaires que nous n’en n’avons jamais eu besoin auparavant. Il est estimé que 60% des bâtiments dont nous aurons besoin pour supporter l’accroissement de la population et l’urbanisation n’ont pas encore été construits17. De l’autre, nous devons accepter que nous ne pouvons pas continuer à construire de la même manière, sans continuer à augmenter notre empreinte écologique. Ceci est donc un instant qui appelle au changement. Durant les Trente Glorieuses, les architectes ont érigé des bâtiments sans cohérence globale ni pensée urbaine. Durant les Trente Piteuses18, les architectes héritant des travaux de la génération précédente ont tenté de compenser ces problématiques urbaines, avec des réorganisations à de très larges échelles (espaces publics, structure urbaine repensée). C’est vraisemblablement une tâche similaire qui incombera à la prochaine génération d’architectes, de manière à repenser le lien entre ville et architecture en prenant en compte les aspects environnementaux et sociaux délaissés au profit des aspects économiques depuis les années 7022. En effet, comme défendait Louis Kahn, un projet architectural ne peut avoir de sens si il ne relève pas des enjeux qui lui sont contemporains, à des échelles

plus larges que le projet lui-même (climat, démographie, social, etc.)19. Cette pensée rejoint celle de Grégoire Bignier, avançant que le secteur de la construction se doit non seulement d’être pionnier dans la transition vers un modèle plus vertueux et écologique, mais également renforcer la pérennité de nos sociétés, en se penchant sur les aspects anthropologiques qu’offre le projet architectural (social, culturel, démographique). L’architecte, s’il prend conscience de ce rôle pourra « transformer tous les obstacles en opportunités »20. Aujourd’hui, plus de 5000 normes (en cours de réévaluation ou d’écriture) liées au développement durable ont émergé dans le secteur du bâtiment (AFNOR, 2009), prouvant un effort vers une transition possible de ce dernier. Cependant, c’est un processus très lent, qui n’a pas une répercussion directe sur tous les acteurs et procédés de la construction (Wiel, 2011). Ainsi, l’architecte peut être à l’initiative d’une nouvelle pensée, et le dessinateur d’un nouveau monde habité, plus résilient et respectueux de l’environnement, en tentant d’injecter de nouveaux principes - les lois l’y obligeant ou non - lors de la genèse du projet architectural. Nous terminerons cette analyse du rôle de l’architecte envers l’anthroposphère et la biosphère, en nous penchant sur le concept de téléologie21. Cette notion est fondée sur des liens de cause à effet, laissant apercevoir le changement climatique et les enjeux environnementaux comme étant une cause, ayant pour effet la potentielle mise en place d’un nouveau paradigme sociétal, économique et urbain. L’alternative de l’économie circulaire semble donc mériter notre attention.

17. J. Clos, The opportunity to build tomorrow’s cities. World Economic Forum, 2016.

18. Période économique, en France, allant de l’après guerre à la crise pétrolière pour la première et jusqu’à nos jours pour la deuxième, appellation nommée par les économistes Jean Fourastié et Nicolas Baverez. 19. Louis Kahn, silences et lumières, éditions du linteau, 1996.

20. Grégoire Bignier, Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p. 135.

21. Étude des causes finales, de la finalité. Larousse.

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Qu’est ce que l’économie circulaire?

Hypothèses - L’économie linéaire et notre modèle actuel de croissance infinie ne sont pas adaptés à un monde fini (rapport du STNEDD, 2014). - L’économie circulaire présente des possibilités de développement différentes de celles proposées par l’économie linéaire, notamment dans la relation anthroposphère/biosphère. - L’économie circulaire n’est pas incompatible avec l’économie actuelle et pourrait donc venir se greffer petit à petit sur cette dernière jusqu’à prendre totalement sa place.

+ Définitions et concepts généraux : économie linéaire

22. Lendager Group, A changemaker’s guide to the future, 2019, p. 62.

23. Ministry of Environment and Food of Denmark, The Advisory Board for Circular Economy’s Recommendations to the Government, June 2017.

Afin de comprendre ce qu’est l’économie circulaire, nous devons dans un premier temps définir les caractéristiques de notre modèle actuel : l’économie linéaire. Depuis la révolution industrielle, nos sociétés ont produit dans tous les domaines selon une approche linéaire. L’économie linéaire est le modèle standard actuel, reposant sur un cycle récurrent et ouvert : extraire, produire, consommer, jeter. Nous pouvons chercher à appréhender cette économie de manière à la lier avec la façon de faire et penser la ville de nos jours. Nous parlerons donc du fonctionnalisme de la ville, comme expliqué par Grégoire Bignier comme étant « hégémonique » de notre conception, et donc de la manière de concevoir les infrastructures qui en sont la base. Les bâtiments deviennent donc des « machines à transformer les flux » (humain, d’information, d’énergie, ...) et leur conception linéaire

fait qu’ils sont pensés pour fonctionner sur ce modèle, en boucle ouverte. Les points (Figure 2.) représentent ici les différents acteurs impliqués dans un projet organisé selon les bases de l’économie linéaire, pouvant être autant des personnes, des infrastructures, des corps politiques (mairie, association, UE), des corps de métier, des quartiers, que des séquences de la biosphère (fleuve, forêt, biodiversité). Ici, ils n’intéragissent pas les uns avec les autres et n’ont pas de visibilité sur le reste de la chaîne. Les échanges sont longs (livraison en bâteau depuis l’autre bout du monde), mais les stockages sont courts (écoulement rapide de la marchandise). Ce modèle est fragile, puisque si un des points disparaît de la chaîne (par exemple l’énergie, dû à un épuisement des ressources), c’est toute cette chaîne qui se voit fragilisée. Les déchets produits par cette économie ont, comme nous l’avons vu précédemment, un effet destructeur sur notre planète. Si nous changeons de point de vue, nous pouvons nous rendre compte que le déchet est un concept qui n’est rien d’autre qu’une parenthèse historique - il n’existait pas avant, et n’existera plus dans le futur non plus22. L’économie linéaire est donc un modèle récent, présentant des caractéristiques disruptives à l’échelle de l’histoire humaine. Cette économie a généré des richesses considérables, mais a également résulté en une sur-exploitation des ressources globales. Il faut actuellement 18 mois pour restaurer les ressources naturelles consommées par la population mondiale en un an23. Ainsi, il semble être nécessaire de repenser notre façon de consommer, et de manière plus large, notre modèle sociétal et économique.

Figure 2. Économie linéaire

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+ Définitions et concepts généraux : économie circulaire Le modèle présenté précédemment fait aujourd’hui face à ses propres limites: les problèmes environnementaux ne peuvent que s’amplifier dans un futur où la population pourrait quasiment doubler d’ici à 2100. La biocapacité de la Terre24 est déjà largement atteinte. La prise de conscience globale à permis de commencer à réduire ces impacts environnementaux, notamment en passant par la réduction et une meilleure gestion des déchets ainsi que des consommations d’énergie, comme noous l’avons vu précédemment. Cependant, comme l’Institut National de l’Économie circulaire présente ces efforts comme suit : «Réduire l’impact du modèle de développement actuel ne fait que reculer l’échéance. Une démarche plus ambitieuse s’impose. »25. L’économie circulaire peut être vue comme un concept imitant les métabolismes naturels des écosystèmes nous entourant26, de manière à trouver un modèle économique - et donc un modèle pour nos sociétés, car nous verrons plus tard qu’économie, société et architecture sont étroitement liés plus efficace et vertueux, pour relever les enjeux actuels de notre planète. Edgar Morin nous donne une définition de ce qu’est un écosystème : « L’écologie en tant que science naturelle est arrivée à cette notion qui englobe l’environnement physique (biotope) et l’ensemble des espèces vivantes (biocénose) dans un espace ou «niche» donné ». Il le définit également comme étant le terme le plus précis pour définir «les caractères les plus intéressants du milieu, de l’environnement, de la nature : leur caractère auto-organisé et organisationnel.» C’est cet aspect organisationnel qui en fait un concept

particulier, en rupture avec le modèle de l’économie linéaire. C’est donc un ensemble d’êtres vivants qui interagissent non seulement entre eux mais également avec leur environnement. Ce double aspect est bien présent dans la nécessité de repenser notre modèle actuel, puisqu’en effet, le milieu doit être favorable au développement de cette économie (pouvoirs publics, législation, éducation, etc.) mais les individus qui y participent également (les citoyens et consommateurs, les producteurs, les architectes, les designers, ingénieurs, etc.). Les liens entre les différents acteurs sont donc primordiaux, et c’est ainsi que les boucles apparaîssent. Le concept d’économie circulaire est parfois compliqué à appréhender car peu présent dans le modèle sociétal actuel, et aucune définition généralisée n’a encore été validée par la communauté scientifique. Les Nations Unies la définissent ainsi : « un système de production, d’échanges et de partage permettant le progrès social, la préservation du capital naturel et le développement économique ». Ce concept est apparu officiellement en France dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Cette loi donne une définition de l’économie circulaire semblable à celle des Nations Unis27. En 2018, ce texte a été complété par la Feuille des Route pour l’Économie circulaire (FREC), proposant des modalités concrètes pour la transition entre les deux modèles économiques. Aujourd’hui, la définition la plus communément admise est celle de l’Ademe : « l’économie circulaire peut se définir comme un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus. ». Celle-ci repose

24. Biocapacité de la Terre : «sa capacité à régénérer les ressources renouvelables, à fournir des ressources non renouvelables, et à absorber les déchets», Institut National de l’Économie Circulaire 25. Institut National de l’Économie Circulaire, L’économie circulaire, nouveau modèle de prospérité.

26. EcoCircular, «Les écosystèmes de l’économie circulaire», 2018.

27. TECV, code de l’environnement, article L.110-1-1.

25


27. Ademe, Expertises : Économie Circulaire.

28. Le terme biomimétisme vient du grec bios, la vie et mimesis, l’imitation. Littéralement, imiter la nature.

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sur 7 piliers : l’approvisionnement durable, l’éco-conception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage, et le recyclage27. De manière à présenter simplement ce concept par un exemple, qui concernera ici la gestion des déchets des différents acteurs d’une boucle, nous allons parler du Cradle to Cradle, théorisé par William McDonough et Michael Braungart dans Cradle to cradle: remaking the way we make things en 2002, et qui est aujourd’hui un label certifié international. Ce concept repose sur le principe que nous devons intégrer, à tous les niveaux de conception et de production, la notion de réutilisation du produit ou du déchet, qui se doit de rester dans une boucle fermée, tout en métant en lien différents acteurs dans une organisation vertueuse. Le projet Du carton au caviar de Graham Wiles est un exemple plutôt représentatif du concept. Dans ce projet, il est parvenu à identifier un chemin d’actions à partir d’un déchet plutôt commun : le carton, afin de le «transformer» en un produit de haute valeur, le caviar, en mettant en relation différents acteurs qui pouvaient trouver chacun un intérêt à récupérer les déchets de l’autre. Ce modèle de fonctionnement suggère que nous pourrions probablement transformer un de nos plus gros problèmes actuels, les déchets, en une opportunité sans pareil de partage et d’économie. Le processus (Figure 3.) fonctionne de la manière suivante : - Un restaurant recevant beaucoup de livraisons, récupère ces déchets de carton pour les revendre à des centres équestres pour en faire des litières de cheveux. - Une fois que les litières sont salies par les cheveux, les morceaux de carton sont récupérés puis intégrés dans un système de compost à base de vers.

- Ces vers sont revendus à un éleveur d’esturgeon afin de nourrir ses élevages. - Le oeufs d’esturgeon (caviar) sont revendus au restaurant de la première étape. C’est ainsi que l’on crée un cycle d’utilisation des ressources fermé, fonctionnant comme un microécosystème. Et des dizaines d’étapes pourraient s’insérer entre chaque étape déjà présente dans le projet (Figure 4.). Comme dit précédemment, ce modèle peut être assimilé à celui d’un écosystème. Cela renvoie à la notion de biomimétisme28, popularisé dans Biomimicry : Innovation Inspired by nature, écrit par la biologiste américaine Janine M. Benyus en 1997. Elle le définit comme suit : « une nouvelle science qui étudie les modèles de la nature puis imite ou s’inspire de ces idées et procédés pour résoudre les problèmes humains. » Or, si l’on observe de plus près l’exemple du Cradle to Cradle que nous venons de présenter, nous pouvons nous rendre compte qu’il fonctionne comme un écosystème naturel (Figure 5.). En effet, dans ce dernier, les déchets d’un organisme deviennent les nutriments d’un autre élément de ce système, qui lui même produit des déchets utiles pour un autre élément, et ainsi de suite. Dans le cas d’une prairie par exemple, chaque être vivant a besoin des autres êtres vivants autours de lui pour grandir et se développer correctement, en se nourrissant ou en se protégeant contre des prédateurs. Le modèle de prairie est en réalité le modèle le plus efficace d’un point de vue plantation/rendement, car les plantes peuvent évoluer et se reproduire dans un écosystème qui leur est favorable et qui leur apporte tout ce dont elles ont besoin à proximité immédiate. L’économie circulaire est un paradigme cherchant à s’inspirer de ce modèle naturel en partant du principe qu’avec ce fonctionnement, comme dans l’exemple précédent, les


Figure 3. Boucle de départ

Figure 4. Boucle élargie

Figure 5. Écosystème naturel

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flots de déchets humains pourraient être transformés au sein de projets utiles, et encore bien plus. En effet, cet exemple propose une action au niveau de la gestion des déchets, mais dire que l’économie circulaire se réduit à ce simple domaine serait une erreur, puisque c’est un modèle qui se veut intégrer tout ce qui constitue un écosystème. La valorisation de la biosphère existante, la mise en lien d’acteurs locaux avec les habitants, ou encore la gestion des ressources et des déchets constituent chacun un morceau d’une boucle plus large qui se voudrait intégrer autant l’aspect environnemental, que social, culturel ou économique. Une autre différence entre économie circulaire et économie linéaire est la

question de la temporalité, car ici nous sommes dans un modèle où les échanges sont courts (consommation locale) et le stockage long (en préférant la fonction à l’objet). L’avantage de ce fonctionnement est donc que les boucles peuvent interagir les unes avec les autres, et donc s’insérer sur des portions d’autres boucles de manière à échanger à différentes échelles et avec différents acteurs (Figure 6.). Ainsi, les différents opérateurs ont une visibilité sur l’intégralité de la chaîne et intéragissent tous entre eux. Un autre de ses avantages est que ce modèle pourrait permettre de fonctionner plus efficacement en respectant les variétés de l’activité humaine, puisqu’il est éphémère, interdépendant et adaptable.

Figure 6. Économie circulaire

+ Hybridation possible Son adaptabilité laisse entrevoir la possibilité d’une transition progressive entre les deux modèles. Ce projet de recherche ne nie pas que l’économie circulaire est actuellement une utopie, car il induit de revoir tout le fonctionnement de nos sociétés. Cependant, ces deux modèles ne sont pas totalement incompatibles. Cette hypothèse est posée de manière à envisager une période de transition qui nous mènerait finalement vers un 28

paradigme totalement circulaire, en remplaçant séquence par séquence les interractions entre les acteurs de l’économie linéaire. L’adaptabilité et l’évolutivité de l’économie circulaire pourraient permettre une greffe facile de boucles fermées sur les boucles ouvertes actuelles, amenant une symbiose temporaire entre les différents acteurs qui n’étaient à l’origine pas interconnectés. Ainsi, certaines portions de boucles ouvertes se retrouveraient transformées à l’intérieur de boucles fermées et viendraient créer une nouvelle séquence symbiotique. En


2017, le Comité francilien de l’économie circulaire publie une nouvelle édition de cartographie d’initiatives françaises dans ce domaine. Elle met en avant des projets architecturaux «isolés» (noninscrits dans une démarche territoriale circulaire), qui prouvent que des boucles peuvent se fixer sur le modèle linéaire actuelle, en créant des liens alternatifs au modèle traditionnel. Ces exemples nous montrent également que la pratique circulaire commence petit à petit à prendre place dans notre société. Anders Lendager, fondateur de l’agence d’architecture danoise Lendager Group, et chercheur s’intéressant au lien entre architecture et économie circulaire, présente une vision optimiste de cette transition entre les modèles : « Ce que nous espérons encourager, c’est un état d’esprit plus aiguisé. Si nous commençons à penser des villes et des bâtiments qui utilisent et reconnaissent la valeur deleurs ressources - que ce

soit la nature, la culture, des personnes, de l’énergie ou tous matériaux que nous considérons aujourd’hui comme déchets, nous pourrons concevoir des systèmes et des solutions qui améliorent la biodiversité, une croissance durable, et la qualité vie de notre population croissante, faisant de la demande augmentante et la croissance une partie de la solution. »29. Le changement ne pourra être immédiat, mais nous pouvons commencer à intégrer certains principes alternatifs dans nos sociétés actuelles, afin de tendre vers un modèle hybride puis totalement circulaire. Cela permettrait une transition douce, cherchant à éliminer au fur et à mesure tout élement sortant d’une boucle - un déchet. L’économie circulaire ne se veut pas être définie comme l’opposé de l’économie linéaire, mais comme un modèle alternatif, leur entrelacement est donc plausible (Figure 7.).

29. Lendager Group, A changemaker’s guide to the future, 2019, p. 16.

Figure 7. Économie hybride

Maintenant que nous avons défini d’un point de vue théorique l’économie linéaire et circulaire, nous allons pouvoir approfondir comment ces modèles économiques se matérialisent dans nos villes, et quelles sont leurs caractéristiques architecturales. Ainsi,

dans la partie suivante, nous tenterons de comprendre en quoi ces deux entités sont intimement liées, et comment l’économie circulaire peut se réifier au sens de rendre concret une idée, un concept - par l’architecture. 29


Quelles sont ses applications dans le domaine architectural ?

Hypothèses

31. Grégoire Bignier, Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p. 42.

- Le système économique et le secteur de l’architecture sont étroitement liés. - Le modèle linéaire dans lequel nous évoluons présente des limites dont l’architecture peut autant être la cause que l’effet. - L’économie circulaire propose d’ouvrir de nouvelles dimensions pour le domaine de l’architecture, de manière à faire de cette dernière un acteur majeur du changement.

+ Lien entre économie et architecture Si l’on se demande quels liens peut-il y a voir entre l’économie circulaire et l’architecture, il faut tout d’abord préciser quels sont les liens entre économie et architecture. Il est indéniable que l’architecture est rarement déconnectée de son environnement économique (commandes d’infrastructures publiques, investissements pour des projets de grande échelle, etc.). L’architecture se retrouve toujours opérateur (les points de la chaîne linéaire présenté plus haut), étant donné qu’elle participe aux différents flux d’échanges de la ville (énergie, information, matière, humain, etc.), et que l’économie actuelle s’appuie sur des infrastructures sans lesquelles les échanges des fluxs seraient impossibles. Comme le présente Grégoire Bignier dans Architecture &

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économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, publié en 2018 : «Les grandes périodes économiques qu’ont été l’essor du capitalisme financier et la révolution industrielle ont coïncidé avec la Renaissance et l’architecture dite moderne»31. Ainsi, si le modèle économique était amené à changer, il semble possible de prévoir que l’architecture telle que nous la connaissons aujourd’hui se retrouverait impactée également. A contrario, nous pouvons voir la question dans l’autre sens et partir du postulat que l’architecture peut avoir un impact sur l’économie, tout autant que l’économie impacte l’architecture. En effet, comme nous l’avons exprimé plus haut, l’architecture fait partie des bases du fonctionnement économique (une entreprise sans infrastructure ne restera qu’une idée non concrétisée). Si nous proposons de nouvelles bases pour concevoir nos bâtiments, une économie différente pourrait voir le jour, puisqu’elle possède déjà son infrastructure adaptée. Par exemple, le site industriel de Kalundborg, au Danemark, est organisé en cluster d’usines liées les unes aux autres, par des échanges simultanés de ressources et de déchets. L’aménagement du site et les dispositifs architecturaux ont permis de faciliter l’organisation de ces échanges, et donc la mise en place d’une nouvelle économie locale en boucle.

Figure 8. Site industriel de Kalundborg, Danemark


+ Limites du modèle de l’économie linéaire

de nombreux problèmes écologiques à tous les stades de sa vie.

Économique De manière à réfléchir sur la pertinence de l’intégration du modèle de l’économie circulaire dans nos architectures, nous devons dans un premier temps étudier dans quelles impasses pourraient possiblement nous mener le modèle linéaire actuel. Nous avons précédemment défini cette économie et ses limites, d’un point de vue théorique. Si nous cherchons de manière plus concrète à mettre en avant ces limites, notamment par des exemples en lien avec nos villes et leurs architectures, nous pouvons mettre en avant des impasses de 3 ordres :

Écologique Aux 3 grandes phases du batiment, nous pouvons voir les limites de l’économie linéaire. En phase de construction, dette à la biopshère et développement urbain et architectural sont rarement dans une situation d’équilibre. La construction se faisant quasiment toujours à partir de l’extraction de ressources naturelles, le développement de nos villes se fait donc aux dépents de cette biosphère déjà fragilisée ; En phase de fonctionnement, le bâtiment dépend inéxorablement des différents opérateurs des réseaux (électricité, eau, informations). Dans le cas où un de ces opérateurs venait à disparaître, le réseau linéaire ne saurait compenser cette perte ; En phase de démantelement, notre incapacité à gérer les déchets non-recyclables issus du bâtiment nourrit chaque jour un peu plus la problématique de la gestion des déchets dans la ville. Le bâtiment lui-même peut se retrouver déchet si la réhabilitation ou la démolition de ce bâti ne présentent pas d’avantages économiques. Le bâtiment pose donc

Les faiblesses de nos villes sont le coût - de construction, d’entretien, de maintenance ou de renouvellement et la fragilité. La ville est dépendante des infrastructures, si un évènement imprévu devait arriver, comme une panne de courant ou une catastrophe naturelle, les coûts de remise en service seront généralement très élevés. Prenons l’exemple de la ville de Kobe, au Japon. Après le tremblement de terre de 1995, la ville a du investir 100 milliards de dollars, soit 2,5% du PIB du pays32 à cette époque, pour remettre en état l’ensemble de ses infrastructures. Cela n’est pas seulement à cause du dérèglement climatique : « L’absence de résilience fait de la ville une adresse de plus en plus chère alors que ses raisons d’être sont à l’origine le partage des coûts et des risques. Elle est devenue un projet économique couteux et fragile »33. Nous voyons donc apparaître une problématique de la résilience, peu présente dans les espaces bâtis et aménagés actuels. Il y a également une problématique de transparence, avec une limite floue entre les opérateurs publics et privés qui gèrent les infrastructures, avec un monopole de certains privés sur des domaines indispensables au fonctionnement de la ville actuelle, comme les péages en France par exemple. Nous faisons donc face à une économie opaque et plafonnée. Se pose également la question de la capacité de transformation des bâtiments et le coût économique que cela implique. Même si les bâtiments autonomes venaient à être la nouvelle norme, le bâti existant, pensé au départ comme figé dans son temps et devant répondre à ses problématiques contemporaines, serait difficilement transformable.

32. Fondation MAIF pour la recherche, Séismes et tremblements de terre : peut-on encore maîtriser leurs conséquences ?, 2020.

33. Grégoire Bignier, Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p. 34.

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Social

34. Murray Bookchin, Forms of Freedom, conférence à San Francisco, 1985.

35. Au XIXe siècle, Marx et Engels ont fait émerger pour la première fois le terme métabolisme urbain lorsqu’ils discutaient de la relation entre le travail physique, les ressources naturelles et l’industrialisation.

36. Kenzo Tange, Kiyonori Kikutake, Fumihiko Maki et Kisho Kurukawa 37. Fumihiko Maki, The Theory of Group Form, dans Japan Architecte, p.39-40.

1970,

La société actuelle se développe dans une logique fondamentalement consumériste, dont la mise en forme ne permet plus autant le contact social dans l’espace public34. L’architecte ou l’urbaniste est responsable de la conception des espaces publics, lieux de rencontres sociales, mais le format linéaire des infrastructures et des espaces publics les entourant pose problème. En effet, ces espaces publics sont de nos jours plus conçus pour attendre que se rencontrer (centres commerciaux, parvis de bâtiments administratifs, place devant un musée). Ces agencements actuels de la ville ne favorisent pas particulièrement le contact humain. De plus, la planification urbaine n’est plus réellement un outil de solidarité, mais plutôt un outil de gestion des effets « toxiques » de notre mode de vie (déchets, infrastructures peu esthétiques, green-washing, gestion des flux fragile et à sens unique, etc.). Ceci s’explique facilement lorsque l’on reprend une des principales caractéristiques de l’économie linéaire : une entité n’a de visibilité que sur ses plus proches voisins, mais ne s’inscrit pas dans un ensemble plus large, un métabolisme urbain35. Comment créer du lien social lorsque l’architecture ne voit pas plus loin que sa limite parcellaire ? Ces 3 limites de l’économie linéaire, peuvent également mettre en avant le fait que les parties d’un territoire avec une faible démographie ou peu de richesses peuvent se retrouver facilement exclus de cette configuration économique. Avec la densification massive des villes, elles finiront par être problématiques. Tout ceci induit qu’un autre modèle d’organisation des villes, et donc un autre modèle urbain et architectural peut être à rechercher.

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+ Propositions du modèle circulaire Métabolisme urbain De manière à pouvoir établir une définition plus adéquate des différents principes de l’économie circulaire en architecture, il nous faut dans un premier temps nous poser la question suivante : actuellement, que peut-on dire et comment peut-on définir le lien entre économie circulaire et architecture? Comme dit précédemment, nous ne pouvons limiter l’économie circulaire à une simple gestion des déchets et des ressoucres. De façon à trouver une analogie architecturale existante au modèle circulaire, nous pouvons revenir sur le terme de métabolisme urbain, qui implique de comprendre les différentes parties qui composent un tout, ainsi que les flux qui le traversent. Nous entendons par flux toute entité pouvant être échangée à l’intérieure d’une boucle : autant des individus que de la matière, des dynamiques sociales que de l’énergie, des savoirs et de la culture que des déchets, etc. En étudiant ces flux et comment ils s’intègrent dans ce métabolisme, l’architecte peut tenter de concilier les enjeux se rapportant aux composantes matérielles, environnementales, économiques ou sociales d’un projet. Les premiers à avoir réellement tenter de lier ce principe de métabolisme à l’architecture sont les métabolistes japonais36, en cherchant des réponses aux problèmes de surpopulation et de développement urbain en faisant des analogies avec les organismes biologiques : « Les éléments ne dépendent aucunement de la structure générale ; ils s’établissent plutôt en groupe de telle sorte qu’une interdépendance organique se met en place entre ces groupes et la structure


générale. »37. Nous voyons ici le rapport aux cycles, aux métabolismes en boucles, qui vient ouvrir une nouvelle dimension à la réflexion architecturale. Il y a cependant une différence avec l’économie circulaire dont nous parlons aujourd’hui, qui réside dans le fait que cette dernière intègre des séquences de la biosphère dans ses boucles, tandis que les métabolismes japonais ont plutôt tendance à faire évoluer leur réflexion avec la biosphère comme environnement, comme support de la boucle, et non comme acteur de la boucle.

Temporalité En partant du principe que l’économie circulaire intègre la biosphère comme entité d’un boucle, le caractère hybride de cette dernière va avoir un impact sur l’architecture qui en ressortira. Elle est tout autant une architecture qu’un élément intégré et lié à son paysage et son environnement, elle devient donc un objet vivant. Ainsi, l’architecte soucieux d’écologie ne cherche pas à figer l’architecture, mais à matérialiser par celle-ci les liens et les échanges entre différentes entités, à un moment donné, en acceptant que son évolution est inévitable. Grégoire Bignier introduit le concept «d’extension du domaine de l’espace-temps architectural»38, insistant sur la nécessité de prendre conscience que l’architecture ne peut être dissociée du milieu dans laquelle elle s’établit, et donc de l’évolution certaine du rôle qu’elle a à jouer dans le métabolisme urbain. Accepter que l’architecture répond aux lois du temps peut donc revenir à aborder de nouvelles thématiques, comme la réversibilité (qui peut changer radicalement de fonction le moment venu39), la modularité (qui est constitué de modules, d’éléments aptes à toutes sortes de combinaisons40) ou encore l’adaptabilité (qui s’adapte, se

transforme dans le temps plutôt qu’elle ne limite41).

Transformer les contraintes en opportunités L’économie circulaire appliquée à l’architecture se définit donc par des caractéristiques aussi variables et uniques qu’il y a de projets architecturaux - et donc d’environnements, puisqu’elle a comme point de départ une analyse accrue de tous les domaines qui gravitent autours de l’architecture, et qui en deviennent ses enjeux, tout autant que ses opportunités, pour construire un monde plus durable et résilient. De manière à définir plus clairement ce rapport entre architecture et économie circulaire, nous pouvons tenter de lier les 7 piliers de l’Ademe42, présentés précédemment, aux différentes phases d’un projet architectural : - l’écologie industrielle et territoriale & l’approvisionnement durable : phase de recherche des ressources ; - l’écoconception : phase d’étude, de conception ; - l’économie de la fonctionnalité : phase de transports, de chantier ; - la consommation responsable : phase de chantier et de fonctionnement ; - le recyclage sous toutes ses formes : phase de démantèlement ou de réhabilitation ; Tous ces aspects sont en réalité à traiter durant la phase de conception du projet, puisque les décisions prises à ce moment impacteront les différentes phases de la vie du bâtiment qui suivront la conception. Nous voyons donc bien ici que le rôle de l’architecte est primordial, puisqu’il a en réalité la possibilité d’être l’initiateur de ces nouveaux concepts dans ses projets. Ces différents piliers, si ils sont intégrés lors de la conception, peuvent amener l’architecte à se questionner sur des aspects de la réflexion architecturale

38. Grégoire Bignier, Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p.81.

39. Aucame, La notion de réversibilité en urbanisme, 2016. 40. Giraud-pamart, 1974.

41. Conception Construction Zéro Déchet, Évolutivité-Adaptabilité. 42. Ademe, Expertises : Économie Circulaire.

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43. Grégoire Bignier et Sébastien Mémet, architectes. 44. Déclaration de Didier Rebois, Secrétaire général d’Europan, lors d’une discussion dans le cadre d’une conférence organisée par Christophe Boyadjian pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité, à l’ENSAL le 04/11/2020.

45. Europan Europe, Chiffres Édition 15. 46. Mise en place de corridors biologiques pour favoriser les déplacements des êtres vivant et la prolifération de la flore rampante.

qu’il n’avait pas forcément envisagé avant (nous verrons plus précisément dans la partie suivante quels impacts ces critères circulaires peuvent avoir sur le métier d’architecte). Le concours Europan 15, dont la thématique était La ville productive, a inclu les principes de l’économie circulaire comme piste de réflexion pour les projets concourants. Europan se veut initiateur de nouvelles réflexions architecturales par la pratique44, et la circularité est ainsi devenu un nouveau champ de recherche pour les quelques 1241 inscrits au concours45. Pour illustrer ce volet de la conception circulaire, nous pouvons également prendre l’exemple d’un projet de viaduc pour la ligne B du métro aérien de Rennes, dessiné par B+M Architecture43 en 2013 (Figure 9.). Ici, nous sommes face à une contrainte de taille lorsque l’on parle d’aménagement d’infrastructures : comment faire accepter aux riverains le passage d’un viaduc de plusieurs kilomètres de long au sein de leur quartier ? Ce projet, cherchant à intégrer autant les riverains, l’ouvrage d’art, la biosphère environnante que l’éco-système économique du quartier comme opérateur de différentes boucles, plusieurs problématiques se sont transformées en opportunités pour le projet architectural : - L’infrastructure, au lieu de former une

barrière physique, visuelle, peut être un lien entre les quartiers, avec des zones de rencontre et de dynamisme urbain ; - Une continuité de la trame verte a été mise en place le long du viaduc pour favoriser le bio-dynamisme46 entre l’espace forestier voisin et les ilots verts existants ; - Un viaduc est un type d’aménagement considéré habituellement comme une charge financière, en faveur du développement de la mobilité. Ici, il pourrait devenir support d’opportunités économiques (commerces, évènements, associations) ou d’opportunités énergétiques en fonction des procédés intégrés au projet ; - La proximité peut faciliter un réseau d’échange de matières, de déchets, d’énergie ou d’individus entre les usages qui seront proposés (à l’image du site de Kalundborg) ; - La conception bois limite les nuisances liées au chantier pour les habitants de la zone (pas de poussière, moins de bruit) ; Ce descriptif rapide met en avant l’idée que l’infrastructure, si elle est pensée comme entité d’une boucle plus large, peut devenir un support de développement urbain durable et écoconscient, tout en intégrant des solutions pour répondre aux problématiques sociales et économiques inhérentes à ce site. Ainsi, l’acceptation du projet par les riverains peut être facilitée, car il

Figure 9. Projet du Viaduc du Grand Paris, G. Bignier

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devient un espace de dynamisme local (une opportunité) plutôt qu’une nuisance visuelle et sonore (une contrainte). Au delà de la question purement économique (au sens pécunier), si le modèle circulaire incarnait le résultat d’un changement de paradigme, il faut rappeler l’importance d’une réflexion architecturale plus large : produire de la richesse financière n’est pas le but principal de l’architecture, tandis que la richesse spatiale, environnementale, ou sociale l’est. Il nous faut donc intégrer un autre aspect à ces boucles : la capacité de l’architecture et de l’urbanisme à valoriser un lieu tout en prenant en compte les risques inhérents à ce lieu, dans un juste équilibre entre biosphère et anthroposphère. Prenons l’exemple du Parc de la cité La Saussaie à Saint Denis : après un appel à projet pour le réaménagement et la requalification urbaine de ce site, la réflexion retenue a été celle de l’aménagement d’une cuvette végétalisée pouvant autant servir de bassin d’orage et de débordement que d’aire de jeux. Via une récupération des déchets de démantèlement d’une usine à proximité, du mobilier urbain a été ajouté à cet espace pour le rendre plus attractif. Ainsi, par une simple intervention paysagère, ce site anciennement abandonné car présentant trop de risque d’innondations, s’est vu transformé en une infrastructure urbaine attractive, liant gestion des risques liés au site, respect de la biosphère initialement présente et création d’espace public qualitatif. La richesse créée ici est donc bien sociale, environnementale et spatiale. Cet exemple nous montre bien que la réification de l’économie circulaire par la conception architecturale se doit de voir plus loin que le simple aspect de la gestion des déchets, en prenant en compte tous les acteurs d’une même boucle, la biosphère constituant une part aussi importante que l’anthroposphère.

Nous ponvons, à ce stade, parler de l’architecture circulaire comme d’une hétérotopie47 de ce nouveau modèle.

+ Limites du modèle circulaire Normes La première limite du modèle circulaire que nous pouvons évoquer est celle de la rigidité des normes et des institutions publiques devant se charger de les valider ou de les faire appliquer. Comme nous l’avons vu lors de notre entretien avec Minéka, association de récupération des déchets de démolition basée à Lyon, les normes sont aujourd’hui une limite non-négligeable à l’intégration de principes circulaires dans la conception. Aujourd’hui, notamment pour des questions d’assurance vis-à-vis de ces normes, les entreprises ou les maîtres d’ouvrage peuvent être réticents envers ce type de projet. Ces normes ont également entraîné la limitation du développement du marché des ressources de seconde main. Ainsi, même si des entreprises comme Bellastock et Hesus (stockage de déchets de démolition pour de futurs chantiers) ou encore Bilum et GTM Bâtiment (recyclage et récupération d’éléments architecturaux) ont vu le jour, leur nombre reste limité. Les partenariats avec des agences d’architecture deviennent donc à leur tour limités, par manque de visibilité ou par le faible stock disponible par rapport au nombre de projets architecturaux. Isabelle Chesneau précise l’aspect négatif que ce fait peut avoir sur l’innovation architecturale : « Limiter ainsi la couverture des assurances lorsque la responsabilité des constructeurs reste illimitée ne constitue-t-il pas néanmoins une forme de sanction préventive ? »48. Ceci est donc un premier obstacle pour tout architecte souhaitant se lancer dans

47. D’après Michel Foucault, une hétéropie est un espace qui réifie une utopie, c’est-à-dire lui donne corps ou espace. 48. Isabelle Chesneau, Profession architecte, 2017, p.127.

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la conception circulaire. La propagation de ce modèle étant déjà complexe, les institutions réfractaires ne font qu’aggraver cette difficulté.

Gouvernance et périmètre Comme nous l’avons vous avec l’exemple de Kalundborg, les gestionnaires des différentes entités se sont rendues compte qu’elles avaient tout intérêt à s’organiser dans un système d’échange, bénéfique à chacun. Cependant, nous pouvons mettre en avant le risque lié à une telle organisation : si le nombre d’entités comprises dans la boucle n’est pas suffisamment élevé, il peut y avoir une limite à la résilience du système. Dans ce cas, si l’un des opérateurs venait à fermer, d’autres verraient leurs rendements diminuer, du fait que leurs ressources, provenant d’entités extérieures, deviendraient limitées. Ainsi, il faut pouvoir remplacer cet opérateur en le compensant par la présence d’autres pouvant prendre le relais. Il faut donc pouvoir équilibrer résilience et interdépendance. Toujours au travers de cet exemple, nous avons vu que l’économie circulaire nécessite une dimension locale forte. Ainsi, le périmètre dans lequel évolue les opérateurs se doit d’être suffisamment restreint pour pouvoir lier les entités entre elles, sans nécessiter d’infrastructures lourdes et complexes qui seraient support des échanges entre deux entités trop éloignées. La proximité est également génératrice de liens plus forts entre ces dernières, évoluant dans des milieux suffisamment semblable pour être compatibles. Les gouvernances multiples peuvent entraîner des complexités qui seraient alors des freins au bon développement du système. Chaque entité étant liée étroitement à d’autres, les décisions et l’organisation générale de la boucle doivent être un lieu commun d’entente 36

entre les différentes gouvernances présentes sur le site. La complémentarité des besoins et volontés de chacune est donc un pré-requis au bon déroulement de ce type d’organisation.

Utopie Nous ne pouvons nier que l’économie circulaire comme modèle sociétal globalisé est aujourd’hui encore une utopie. Nos villes et nos sociétés sont très ancrées dans le modèle linéaire dans lequel elles ont évolué depuis plusieurs décennies, le changement de paradigme, si il a lieu, nécessitera probablement un temps d’adaptation long et une mise en place complexe. Ainsi, la manière dont nous abordons la circularité est encore actuellement de l’ordre de l’utopie. C’est pourquoi nous utiliserons parfois le terme hétérotopie pour désigner l’architecture circulaire.


Conclusion

Nous avons vu que les enjeux climatiques et environnementaux actuels nécessitent de remettre en question les impacts que le secteur du bâtiment a sur la biosphère. En effet, malgré des législations qui se précisent, le domaine de la construction fait partie de ceux qui auront le plus d’enjeux à relever pour répondre à la crise actuelle. Les nombreux objectifs posés par la France et l’Union Européenne induisent une néccessité de réflexion autours d’un nouveau modèle urbain, et de la manière de le construire. Ainsi, l’architecte a son rôle à jouer dans l’établissement d’un changement de paradigme, pour un monde plus durable et résilient. En effet, l’économie linéaire actuelle présente de nombreuses limites, dont l’architecture peut autant être la cause que l’effet. Face à l’épuisement des ressources et les nombreuses catastrophes liées au changement climatique, ce modèle ne permet pas de visualiser une solution pour répondre aux enjeux qui lui sont posés. Nous avons donc tenté de donner une définition de l’économie circulaire, et de montrer que même si elle est basée sur des fondements différents que l’économie linéaire, une hybridation des deux modèles est possible, de par la grande adaptabilité de son système. En traitant le lien entre modèle économique et architecture, nous avons vu que l’économie circulaire offre des solutions alternatives pour répondre aux enjeux actuels, ainsi qu’une nouvelle dimension pour la réflexion architecturale. Les solutions qu’elle propose sont autant valables pour un système sociétal à grande échelle, que pour une évolution de la pratique architecturale, et donc de la manière dont nous construisons nos villes. Un nouveau métabolisme urbain est à trouver, et les principes circulaires

que nous venons de présenter, si ils en devenaient les nouvelles bases, pourraient non seulement changer notre manière de faire l’architecture, et donc la ville, mais aussi amener l’architecte à devenir un acteur majeur du changement. Ces observations faites, nous allons maintenant nous intéresser de plus près au processus architectural : quels sont les acteurs qui en sont le moteur ? Comment collaborent-ils avec l’architecte ? Quel est le rôle de l’architecte dans ce processus ? Ces questions nous engagent à comprendre le fonctionnement d’un projet, et a fortiori, du métier d’architecte. Cela nous permettra d’avoir un point de départ pour questionner ce processus par le prisme de l’économie circulaire.

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2

DÉROULEMENT DU PROCESSUS ARCHITECTURAL

Comment se déroule une opération de construction ? Quelle est la place de l’architecte dans ce processus de conception ? Est-il pertinent de chercher une modification de ce processus lorsque l’économie circulaire est intégrée au projet architectural ? 38


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Après avoir abordé le premier terme de notre problématique, l’économie circulaire, nous allons maintenant étudier le deuxième terme majeur : le processus architectural. Souhaitant observer les impacts des principes circulaires sur ce dernier, il nous faut cependant comprendre les caractéristiques du processus de projet, dans son ensemble. Nous ne pouvons observer des modifications si nous n’avons pas un modèle établi pour la conception classique, qui nous servira par la suite de base de comparaison entre processus linéaire1 et processus circulaire. En partant du postulat qu’un modèle-type peut être établi pour rendre compte du déroulement d’une opération de construction, nous pouvons tenter de mettre en avant des acteurs récurrents intervenant aux côtés de l’architecte, ainsi que les phases auxquelles sont intégrés ces acteurs. La volonté d’établir une frise chronolgique type d’une opération de conception classique représente déjà une partie méhodologique, portée sur la mise en commun d’un corpus d’ouvrages et de cours dispensés à l’ENSAL, traitant de ce sujet, et pouvant nous mener aux généralisations dont nous avons besoin. En effet, cette frise nous permettra d’avoir un aperçu synthétique de l’environnement de travail de l’architecte lorsqu’il est concepteur. De plus, afin de mieux saisir le lien qui unit architecte et acteurs dans ce processus, il semble pertinent de chercher à établir quels rôles l’architecte se doit d’endosser, encore une fois pour un projet dit linéaire (la majorité des projets actuellement réalisés au vue de la faible pratique circulaire dans notre domaine). Une autre de nos hypothèses ici est que les valeurs portées par l’architecte peuvent avoir un impact sur l’environnement de conception, ainsi que

sur les rôles qu’il aura en évoluant dans cet environnement. En effet, comme le théorise Chris Younès, la synergie entre différentes entités est primordiale pour mener à bien un projet - d’architecture ou non. Cette synergie est soit basée sur une réflexion partagée, qui devient donc un espace commun de conception, soit sur un processus d’échange et de partage de réflexion différentes, mais pas forcément opposées, enclenchant « une complémentarité créative »2. Ainsi, comme nous l’avons postulé dans notre hypothèse, il nous semble possible, qu’un architecte s’inscrivant dans un certain courant réflexif ne s’entourera pas des mêmes personnes qu’un autre praticien, portant des principes divergents.

1. Un processus architectural n’intégrant pas les principes de l’économie circulaire. 2. Roberto d’Arienzo, Chris Younès, Synergies urbaines : Pour un métabolisme collectif des villes, 2018.

Voici donc le point de départ de cette partie, qui cherchera donc dans un premier temps à produire un modèle du déroulement d’un projet-type, ainsi que des rôles que l’architecte aura tout au long de ce-dit projet. Nous présenterons dans un second temps deux études de cas de projets circulaires, afin d’établir à nouveau un modèle-type, cette fois-ci portant sur l’architecture circulaire.

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Comment se déroule une opération de construction ?

Hypothèses - Une opération de construction se déroule selon des phases établies. - Les acteurs impliqués dans ces phases peuvent être variables dans les faits, mais sont, dans la majorité des projets, généralisables à quelques acteurs récurrents. - Les temporalités et proportions d’apparition de ces acteurs peuvent être variables dans les faits, mais sont, dans la majorité des projets, généralisables à un modèle récurrent.

+ Déroulement d’une opération de construction Afin d’introduire cette partie d’étude du déroulé d’une opération classique, nous allons nous intéresser au contenu des marchés de maîtrise d’oeuvre, en nous référant à la loi MOP (Loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée). Selon l’article 7 de la Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 : « Le maître de l’ouvrage peut confier au maître d’œuvre tout ou partie des éléments de conception et d’assistance suivants : les études d’esquisse, les études d’avantprojet, les études de projet, l’assistance pour la passation des marchés de travaux, les études d’exécution ou l’examen de la conformité au projet et le visa de celles qui ont été faites par l’entrepreneur, la direction de l’exécution des contrats de travaux, l’ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier, l’assistance apportée au maître d’ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement. » Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur les phases conception, choix des entreprises et chantier. Ainsi nous ne parlerons pas ici de la première phase de 42

tout projet de construction : les études pré-opérationnelles et l’établissement du programme. En effet, cette phase concerne la MOA, hors notre propos se porte essentiellement sur la MOE et les relations qu’elle entretient avec d’autres acteurs durant ses phases d’intervention. De plus, dans les études de cas qui prendront place un peu plus tard dans cette partie, nous allons traiter des opérations de constructions neuves, et non de réhabilitation ou restauration. Ainsi, des phases comme celle du DIA (études de diagnostic) ne seront pas abordées ici.

Phase Conception Nous allons donc dans un premier temps nous intéresser à la conception architecturale, elle-même segmentée en plusieurs phases : - Etudes d’esquisse, ESQ : Cette première phase a pour but de vérifier la faisabilité du projet. Une première esquisse permet de vérifier la compatibilité entre le cahier des charges présenté par le maître d’ouvrage et son enveloppe financière. Cette étape constitue une première réponse en terme d’insertion dans le site, de faisabilité technique et de parti architectural répondant aux programmes et enjeux soulevés par la MOA. - Etudes d’avant-projet, AVP : Les études d’avant-projet sont une continuité de la phase esquisse, une fois que le maître d’ouvrage a validé cette dernière. - Avant-projet sommaire, APS : L’APS est la phase à laquelle les esquisses se précisent. La maîtrise d’oeuvre propose une description plus détaillée du projet : volumes intérieurs et extérieurs, options et dispositifs retenus, estimation de la durée des travaux ainsi que du coût prévisionnel des travaux. C’est une étape d’ajustement, avec une première présentation de certains détails


significatifs allant jusqu’au 1/100, et la vérification qu’ils concordent avec certaines règlementations. - Avant-projet définitif, APD : Cette étape est une phase de mise au point, notamment des choix constructifs, des matériaux, des prestations techniques mais également du chiffrage de l’ensemble du projet. La maîtrise d’oeuvre établit les caractéristiques définitives du projet, comme ses performances techniques, le programme final, son insertion dans le site, l’aspect extérieur ou encore les volumes et dimensions précises. - Dossier de demande de Permis de Construire, DPC : La maîtrise d’oeuvre présente un dossier complet (documents techniques, plans, matériaux et réseaux) relatif au projet architectural, ainsi que les documents juridiques et administratifs, qui sera transmis à la mairie. Ce dossier a pour vocation de prouver que le projet respecte les règles d’urbanisme, comme l’implantation de l’ouvrage, sa nature, ses aspects extérieurs ainsi que ceux des espaces extérieurs qui lui sont rattachés. La maîtrise d’oeuvre suit l’évolution du dossier, en fournissant des pièces supplémentaires si nécessaires, jusqu’à validation du permis de construire. - Etudes de projet, PRO : Cette phase est celle de la définition définitive de tous les éléments programmatiques, volumétriques et techniques du bâtiments. Chaque ouvrage est dessiné avec des plans au 1/50 et des détails pouvant aller jusqu’au 1/2. Les coûts d’investissement et d’exploitation de l’ouvrage sont précisés, ainsi que les délais de réalisation. Cette étape prépare l’étape suivante : Choix des entreprises et Marché de travaux.

Phase Choix des entreprises et Marché de travaux Cette phase est l’intermédiaire entre

la conception et le début des travaux. Elle est également divisée en plusieurs phases, dépendant de si la maîtrise d’oeuvre est en mission de base ou en mission complète : - Dossier de consultation des entreprises, DCE : La maîtrise d’oeuvre doit mettre au point le dossier de consultation des entreprises. Ce document détaille les caractéristiques techniques, budgétaires et administratives de chaque ouvrage, de manière à ce que les entreprises puissent proposer des devis cohérents, en réponse à ce dossier. Le choix des entreprises est effectué par le MOA en fonction des dispositifs techniques et budgets proposés par les entrepreneurs. - Assistance à la passation des marchés de travaux, AMT : Cette étape est la dernière lorsque la MOE s’est vue attribuée une mission de base selon la loi MOP du 12 juillet 1985. Après la mise au point des dossiers de consultation des entreprises, la mission du maître d’oeuvre consiste en la réalisation du VISA, soit la vérification des études d’exécution faites par les entreprises de travaux. Cette phase a pour but de faciliter la transition entre la fin de la conception et le début des travaux lorsque le maître d’oeuvre n’est pas responsable de la phase d’exécution et de suivi de chantier. - Études d’exécution, EXE : Dans le cas où le maître d’ouvrage a la charge de cette mission, il doit synthétiser les plans d’exécution et spécifications à l’usage du chantier, et vérifier la cohérence technique des documents d’étude avec les plans, ainsi que la coordination des entreprises sur la base de ces plans.

Phase Chantier Cette phase est celle à partir de laquelle le projet va prendre forme. Elle comporte notamment la direction de l’exécution 43


1. Nadège Noël Ango-Obiang, Le travail collaboratif dans le cadre d’un projet architectural, 2007, p.15.

2. Philippe Prost, Les saisons d’un stratège, article dans Architecture d’Aujourd’hui, 2005, p.14.

des travaux, mais d’autres missions peuvent être attribuées au MOE, comme l’ordonnancement, coordination et pilotage du chantier, qui sont alors des missions complémentaires. - Direction de l’exécution des travaux, DET : La MOE a pour mission de préparer la mise en oeuvre du chantier, en organisant l’intervention des différents corps de métier engagés. Elle doit s’assurer du respect des engagements de chacun dans l’exécution des travaux, qui doivent être conformes aux plans de conception et d’exécution. - Ordonnancement, coordination et pilotage du chantier, OPC Cette phase a pour but la planification des interventions des entreprises, avec un suivi sur chantier des interventions (VRD, Gros-oeuvre, Second-oeuvre), leurs temps de mise en oeuvre et le respect du budget initial. Elle peut également comporter des missions d’étude de la signalétique, du mobilier, etc.

Phase Livraison du bâtiment La phase finale de ce processus est la phase Livraison du bâtiment au maître d’ouvrage, avec notamment des missions d’assistance aux Opérations de réception (AOR), que nous ne détaillerons pas ici, car l’architecte a un rôle similaire au reste du processus envers la maitrise d’ouvrage : conseil, vérification, synthèse. Lors d’opérations de petite taille, comme celle de la construction d’une maison individuelle, ces phases et leur ordre ne sont pas obligatoirement à respecter. Cependant, pour des projets plus complexes que cet exemple, le suivi de ces étapes devient nécessaire. Il devient également une obligation contractuelle1. 44

+ Les acteurs Lors des phases présentées précédemment, différents acteurs interviennent selon des relations et missions particulières. Les trois grandes familles d’acteurs directs sont : la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’oeuvre, et les constructeurs2. Nous verrons également qu’il existe d’autres acteurs, les acteurs indirects, qui participent de près ou de loin à l’opération de construction selon des interventions particulières.

La maîtrise d’ouvrage La maîtrise d’ouvrage est composée d’un maître d’ouvrage, qui peut être assisté par différents corps de métier (technique, accessibilité, hygiène, sécurité, environnement, etc.), engagés contractuellement avec ce dernier. : - Le maître d’ouvrage, MOA : Cet acteur est le client, le commanditaire du projet. Il a pour rôle de s’assurer de la faisabilité de l’opération, de déterminer son implantation ainsi que de fixer son enveloppe budgétaire et s’engager à assurer le financement. - Le contrôleur technique, CT : Sa mission est la prévention des imprévus techniques pouvant être rencontrés pendant la conception et la réalisation des ouvrages - Coordonateur sécurité et protection de la santé, CSPS : Le CSPS est intégré à l’équipe du projet à partir du moment où au moins deux entreprises distinctes sont amenées à travailler ensemble sur le chantier. Sa mission est donc une mission de sécurité, de protection de la santé et de coordination - Assistants à la maîtrise d’ouvrage, AMO : Ces acteurs constituent tout corps de métier portant assistance au MOA, dans des domaines variés (administratif,


financier, technique, etc.), dépendant de l’opération de construction et de ses caractéristiques. - Le géomètre et le géotechnicien : Ils interviennent généralement pendant les phases pré-opérationnelles, et permettent à l’architecte d’avoir une base de travail juste et à jour : relevés précis, plan cadastral, nature des sols du site, risques sismiques, hydraulique des sols, etc.

La maîtrise d’oeuvre Au même titre que la maîtrise d’ouvrage, l’équipe de maîtrise d’oeuvre est composée d’un maître d’oeuvre (en général, l’architecte) ainsi que des partenaires qui ont pour rôle de l’accompagner dans ses décisions techniques, sécuritaires et budgétaires. - Le maître d’oeuvre : C’est la personne ou organisme qui élabore les plans et conçoit l’ouvrage. Pour des projets de petite échelle, le maître d’oeuvre est traditionnellement l’architecte. Pour des projets plus complexes, une équipe de maîtrise d’oeuvre est organisée, composée de l’architecte concepteur, de BET, de l’OPC ainsi qu’un économiste. Des paysagistes et urbanistes peuvent également intégrer l’équipe si cela est nécessaire. - Les partenaires techniques et bureaux d’études : Ce sont les partenaires techniques de l’architecte. Leur rôle est d’accompagner le concepteur dans toutes les étapes de l’opération, en apportant leurs compétences techniques. Leurs missions sont nombreuses : application des règles et normes, vérifications, audit, devis, participation aux réunions, etc. Les deux principaux sont l’ingénieur en structure et le thermicien3. - L’économiste : Son rôle est de rédiger et établir des notes ou devis décrivant les caractéristiques de

l’ouvrage et les estimations financières qui s’y rapportent. - Le coordonnateur chargé de la mission ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) : L’OPC, ne fait pas partie du contrat de mission de base dans la loi MOP. Son rôle est d’assurer l’établissement des plannings des tâches diverses, de coordonner ces tâches dans le temps et l’espace, et également de piloter la réalisation de ces dernières par un suivi constant des acteurs de l’opération. - Les consultants : Ces partenaires dépendent du projet et de ses caractéristiques, qui nécessitent parfois l’intervention d’experts dans un domaine particulier : environnemental, acoustique, experts risques chimiques, sécurité incendie, etc.

Les constructeurs Les constructeurs réunissent tous les entrepreneurs, artisans, fournisseurs et sous-traitants prenant part à la phase du chantier, et ayant pour mission la réalisation de l’ouvrage selon les plans de la MOE. Ce sont des acteurs liés aux travaux de VRD, de gros-oeuvre, de second-oeuvre et de finitions.

Les acteurs indirectes Ces acteurs sont des acteurs annexes, pouvant jouer un rôle tout aussi important pour le bon déroulement de l’opération que les trois acteurs directs cités précédemment. Ils peuvent exercer dans des champs très différents pouvant être nécessaires au projet en fonction de la complexité de l’opération. Nous pouvons citer notamment : les administrations publiques, les écoles professionnelles, les associations professionnelles, les futurs usagers, les usagers voisins du projet, ou encore les organismes de protection de l’environnement ou du

3. Othmani Marabout Nejda, Etude des interactions maître d’œuvre-maître d’ouvrage dans un processus de conception architecturale, 2010.

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patrimoine. Actuellement, aucune loi n’oblige l’intégration de ces acteurs dans le processus d’une opération de construction.

4. Othmani Marabout Nejda,

Etude des interactions maître d’œuvremaître d’ouvrage dans un processus de conception architecturale, 2010.

Selon la thèse réalisée par Othmani Marabout Nejda, portant sur la recherche de facteurs communs au plus grand nombre d’opérations de construction «Une opération moyenne de construction rassemble 3 à 8 entités de prestations intellectuelles et une vingtaine d’entreprises de construction»4. Cette précision nous servira dans la partie suivante, ou nous tenterons d’établir une frise chronologique d’une opération de construction classique, afin de la comparer, dans un second temps, au déroulé d’une opération de construction intégrant les principes de l’économie circulaire.

+ Temporalité et proportion de collaborations avec d’autres acteurs Après avoir listé les différents acteurs intervenant lors d’une opération de construction, nous pouvons nous intéresser à différents aspects caractérisant leur relation avec l’architecte : à quelle(s) phase(s) ces acteurs interviennent-ils ? Dans quelles proportions (totalité de la phase ou période limitée) ? Quelle est l’intensité de leur collaboration ?

Apports théoriques Afin de répondre à ces questions, nous nous baserons sur l’ouvrage Profession Architecte, publié en 2018 sous la direction d’Isabelle Chesneau, le Descriptif du déroulement d’un projet de construction, réalisé par le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), ainsi que le 46

Tableau récapitulatif du déroulement d’une opération de construction, présenté par Thierry Saugnier en 2019 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, dans le cadre du cours Droits et Stratégie d’acteurs (Figure 10.). Ce dernier sera la base de l’établissement d’une frise chronologique représentant une opération de construction classique. Nous modifierons cependant certaines de ces caractéristiques (catégories d’acteurs notamment) afn de mieux mettre en avant les acteurs indispensables reliés à l’architecte, cela implique donc de séparer maître d’oeuvre et équipe de maîtrise d’oeuvre.

Apports théorico-pratiques Pour ce faire, nous complèterons donc les écrits théoriques précédent avec la thèse Etude des interactions maître d’œuvre-maître d’ouvrage dans un processus de conception architecturale, de Othmani Marabout Nejda (2010), nous permettant d’introduire des données factuelles représentant les acteurs et interactions récurrentes qu’ils entretiennent avec l’architecte. Ce travail de recherche est basé sur l’étude de 5 études de cas. Ce chiffre est peu élevé, et présente une première limite à notre étude. Cependant, nous utiliserons les résultats de cette recherche pour nous permettre de faire un premier tri parmi tous les acteurs présentés précédemment, ainsi que pour mettre en avant les acteurs les plus récurrents dans un projet architectural classique. Comme dit précédemment, Othmani Marabout Nejda conclut sur le fait qu’une opération de construction comporte 3 à 8 acteurs principaux, dont, généralement, la maîtrise d’ouvrage, le maître d’oeuvre, l’ingénieur structure, le thermicien et l’économiste, accompagné par une vingtaine d’entreprises de construction. Nous ajouterons à ces acteurs principaux le contrôleur


Figure 10. Tableau récapitulatif du déroulement d’une opération de construction, Thierry Saunier

technique et le contrôleur SPS, indispensables dans toute opération de construction. Nous arrivons donc à 8 acteurs principaux, en comptant les entreprises comme une seule entité.

Cas particulier de la consultation des entreprises Il semble important d’insister sur le cas particulier des entreprises, puisque « dans les processus les plus courants d’une opération de construction, les acteurs décisionnaires sont présents dès les phases d’études, mais les entreprises ne sont connues qu’après un appel d’offres qui résulte de la définition des ouvrages à réaliser. »5. En effet, dans les procédures de type appel d’offres et concurentielle avec négociations, les entreprises interviennent systématiquement après la clôture de la phase conception pour le premier cas, et tardivement dans la phase PRO pour le deuxième cas. La procédure de conception-construction est la seule où les entreprises de

construction sont intégrées en amont de la phase conception, pour un travail conjoint avec la maîtrise d’oeuvre tout au long du projet. Comme le précise Isabelle Chesneau, les entreprises interviennent généralement selon une procédure d’appel d’offres, c’est donc ce montage que nous prendrons en compte pour l’établissement de notre frise chronologique pour le modèle classique. Cela a son importance, car nous verrons dans la partie suivante que la temporalité d’intervention des entreprises à la phase conception d’une opération circulaire semble être différente, l’enjeu se dessinera donc majoritairement à cette phase.

Établissement de la frise chronologique En compilant les données présentées précédemment, nous pouvons établir un modèle «classique» du déroulement d’une opération de construction. Ce modèle est représenté par la frise chronologique suivante (Figure 11.) :

5. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2018, p.506.

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Phases

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises et artisans

Intervention Intervention «de loin» ou non obligatoire

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Cette première partie nous a permis d’établir le modèle classique d’une opération de construction, c’est à dire l’environnement de conception dans lequel évolue l’architecte. La présence d’acteurs exerçant dans des champs

aussi variés induit que les relations que ces derniers entretiennent avec l’architecte peuvent être de natures tout aussi multiples. Ces relations vont entraîner une certaine posture, un rôle qui sera d’office attribué à l’architecte


Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Figure 11. Frise chronologique du déroulement d’une opération de construction classique

pour gérer cette multitude d’acteurs, ou qu’il s’attribuera lui-même en fonction de la situation et de ses compétences propres. Nous allons chercher, dans la partie suivante, quels sont les rôles de l’architecte dans ce modèle classique

d’opération de construction. Cela nous permettra de rajouter une dimension personnelle (rôle de l’architecte pendant la conception) à la dimension opérationnelle que nous venons de développer dans cette partie.

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Quelle est la place de l’architecte dans ce processus ?

6. Albert Laprade, La mission cachée des architectes, article dans Les Architectes, 1964, p. 85.

7. Jean-Pierre Chupin, Le Projet analogue : les phases analogiques du projet d’architecture en situation pédagogique 1998, p.43.

Hypothèses - L’architecte s’est vu attribué des rôles défnis de manière à mener à bien une opération de construction. Les différents rôles que nous décrirons dans cette partie sont issus du croisement de différentes sources théoriques avec des entretiens réalisés avec Didier Rebois (secrétaire général d’Europan), Marc Bigarnet et Christophe Boyadjian (professeurs de projet à l’ENSAL) qui ont apporté à cette recherche l’aspect pratique et leurs points de vue sur leur métier d’architecte praticien. L’analyse de ces sources et entretiens ont permis de mettre en avant quatre rôles majeurs de l’architecte lorsqu’il travaille avec d’autres acteurs, et donc que ces relations interdisciplinaires lui demandent une position particulière pour la réussite de l’opération de construction.

+ Dessinateur

8. Michel Ragon, L’architecte, le prince et la démocratie, 1977, p.44.

9. Philippe granet, cité par Michel Ragon dans L’architecte, le prince et la démocratie, 1977, p.139.

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Outre le sens premier du terme «dessinateur», qui renvoie à l’acte du dessin, pré-requis pour exercer le métier d’architecte, nous pouvons également traiter ce terme en l’assimilant au rôle de «traducteur» d’idées par le dessin. En effet, l’architecte dessine des plans, mais il matérialise surtout les volontés d’un tiers. Il se doit de répondre aux demandes de son commanditaire, en proposant des solutions qui fabriqueront l’espace à construire. Comme le dit Albert Laprade dans La mission cachée des architectes : « [l’architecte] retourne ses problèmes dans tous les sens. Saisi par le client plus souvent d’un fouillis de désirs et de besoins que d’un vrai programme, il essaye d’assembler les éléments de façon logique, simple et claire. Le client par la suite est surpris de voir ses volontés concrétisées de

façon agréable et fort différente de ce qu’il avait envisagé de façon confuse.»6. Son rôle ici est bien celui de transposer les idées de son client, en les dessinant pour leur faire prendre vie et donner un sens aux projections mentales faites par ce dernier, tout en apportant sa vision de spécialiste. Jean-Pierre Chupin, quant à lui, va encore plus loin, en assimilant le dessin architectural à la capacité de synthétiser et relier des champs disciplinaires multiples, et d’extraire de ce travail mental un résultat matérialisable dans un projet architectural. C’est donc par le dessin que l’architecte projette et rend possible l’association des idées et des contraintes (techniques, environnementales, sociales, budgétaires, etc.) dans la réalité afin de créer un espace «habitable»7. L’acte architectural est intrinsèquement lié à la matérialisation des idées d’un tiers (sauf quand l’architecte conçoit pour lui-même). Ce fait peut donc renvoyer à une pratique de collaboration avec des nouveaux acteurs de la conception. Prenons l’exemple de la collaboration avec les futurs habitants d’un programme de logements. Au même titre que le maître d’ouvrage commanditaire d’un projet, les habitants sont censés être ignorants de la pratique architecturale. Le rôle de l’architecte dans ce genre d’opération fait aujourd’hui débat, dans le sens où l’architecte devient-il simple dessinateur des volontés qu’on lui transmet, ou reste-t-il le décisionnaire des caractéristiques du projet ? Selon Michel Ragon, « La concertation limite le pouvoir central de l’architecte»8, tandis que Philippe Granet prône une évolution de la pratique architecturale devant être issue de la concertation9. Ce débat ne remet pas en cause le rôle de l’architecte en tant que dessinateur du projet, mais plutôt la limite dans laquelle l’architecte pourraît n’être qu’un simple traducteur, lui amputant toute capacité de décision liée à ses compétences. D’autres,


comme Didier Rebois, se trouvent dans une position intermédiaire, affirmant que la collaboration habitante peut être une ressource pour le projet, mais que l’architecte se doit de conserver son pouvoir décisionnaire (pouvoir lié à ses compétences), et que le dessin doit être accompagné d’une réflexion fondée et professionnelle. Comme le disait Le Corbusier : « Tenir compte de ce que la famille exprime ? Non, je ne crois pas qu’on puisse le faire. Il faut concevoir et discerner, puis offrir. »10. L’architecte est donc dessinateur, mais ce rôle se doit d’être lié à une articulation savante et juste entre tous les domaines gravitant autours de l’architecture, ce dont ne sont pas capables les clients ou futurs usagers.

+ Intermédiaire

La nécessité d’articuler ces différents domaines nous permet de faire la transition vers le second rôle de l’architecte, celui d’intermédiaire. Ce dernier, lors d’une opération de construction, a un «statut d’homme de la synthèse»11, expression employée par Florent Champy pour tenter de définir le rôle de l’architecte dans la pratique de son métier, qui l’amènera obligatoirement à travailler avec des tiers. Cela induit qu’il se doit de faire le lien entre les différents corps de métier pour s’assurer que l’ensemble sera cohérent. «On exige aujourd’hui de l’architecte qu’il soit un généraliste mais aussi un spécialiste. Il dialogue avec des interlocuteurs si divers qu’il devrait devenir polyglotte.»12. Intrinsèquement, l’architecte se doit de transmettre certaines informations, techniques par exemple, au maître d’ouvrage, dans le cadre de sa mission de conseil. Il fait donc la transition entre l’ingénieur structure

et le client, et en vient à faire passer des informations de l’un à l’autre, dans les deux sens, pour assurer la réalisation des attentes de la MOA tout en prenant en compte les possibilités techniques présentées par les BET. La transmission de ces informations doit prendre la forme adéquate, dépendant de l’acteur à qui elles sont destinées. Cette mission peut rejoindre celle du traducteur que nous avons évoqué précédemment. Ici, cette notion peut être prise d’un point de vue différent, puisque la traduction doit être faite entre les différents acteurs, et non entre l’usager et le projet produit. Cela peut impliquer un champ lexical différent lors des réunions, tout autant qu’une adaptation du type de documents graphiques, dépendant du destinataire à qui ils seront transmis. De plus, chaque opération de construction étant différente, la relation que l’architecte entretient avec les composants de son environnement de conception, se doit d’être adaptée aux acteurs présents sur le projet en question, et certaines fois, d’être amené à faire le lien entre deux entités dont les domaines lui sont inconnus. Son rôle d’intermédiaire en vient alors à créer une nécessité d’assimilation de nouvelles connaissances pour une meilleure pratique de son métier, et surtout pour accomplir sa mission de conseil envers la MOA. En effet, nous conclurons cette partie sur la notion de mandataire commun d’une équipe de maîtrise d’oeuvre, rôle le plus souvent attribué à l’architecte. Ce dernier a pour obligation de représenter les membres de cette équipe auprès du maître d’ouvrage, puisque ces dits membres ne peuvent, en principe, pas communiquer directement avec le MOA ou la MOD13. Ainsi, être l’intermédiaire entre les différents acteurs d’une opération de construction devient une obligation légale et morale dans le contrat de mission qui lui est attribué.

10. Le Corbusier, cité par Gérard Ringon dans Histoire du métier d’architecte en France, 1997.

11. Florent Champy, Sociologie de l’architecture, 2001, p.29.

12. Isabelle Chesneau, Profession architecte, 2017, p.192.

13. Michel Huet, Un mandataire peu commun, le mandataire commun, article dans AMC, avril 1993. 51


14. Isabelle Chesneau, Profession architecte, 2017, p.524.

15. Florent Champy, Sociologie de l’architecture, 2001, p.64.

16. Isabelle Chesneau, Profession architecte, 2017, p.547.

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+ Arbitre

+ Responsable

Sa position d’intermédiaire, présentée précédemment, induit qu’il est le seul en capacité d’intégrer les différentes demandes et contraintes des acteurs l’entourant, dans une réflexion globale, dont le but est de créer du bien commun. Ainsi, il est également responsable de l’équilibre entre volontés de la MOA, contraintes techniques des BET, ou encore doléances des futurs usagers. Si tous ces avis ne trouvent pas un terrain d’entente logique et naturel, c’est à lui de trancher, en gardant en tête le but final de la conception architecturale, qui est de générer un espace habité qualitatif, sûr, et rentable pour le client. Il se doit donc d’être impartial et efficace dans sa prise de décision. Cela implique de pouvoir « anticiper, analyser concrètement les choix et les conséquences, rappeler à chacun son rôle et ses responsabilités, définir une solution, décider calmement, en obtenant l’approbation de la maîtrise d’ouvrage et du bureau de contrôle. »14. Sa mission d’arbitre peut également être modifiée par sa propre valeur morale et éthique. C’est donc un rôle qui est commun à tout praticien, mais qui amènera à des résultats différents pour chaque architecte. Florent Champy rappelle également que sa capacité à effectuer la synthèse des différentes demandes et contraintes qui lui sont imposées, tout en prenant en compte l’intérêt général, justifie son indépendance juridique15. Cela rejoint les propos d’Isabelle Chesneau : « La force de l’architecte [...], c’est curieusement de pouvoir alterner entre le rôle de combattant et celui d’arbitre. Rôle dont il tire pouvoir par ses compétences et par la loi.»16 Ainsi, le cadre légal et juridique vient, encore une fois, appuyer notre propos sur les différents rôles de l’architecte.

Pour aborder la notion de responsabilité de l’architecte, nous allons ici introduire l’aspect juridique en premier lieu contrairement à ce que nous avons fait pour les trois rôles précédents, car la question de la responsabilité est celle qui est le plus liée à la définition du métier d’architecte dans les textes de loi. En effet, différents textes ont été publiés par l’État dès le début des années 70 pour s’assurer que les architectes ne manquent pas à leur devoir de qualité de l’ouvrage, et donc de la responsabilité qui découle de cette qualité. Le décret de 1973 sur l’ingénierie a en premier lieu obligé les architectes à s’entourer de bureaux d’études techniques ainsi que d’un économiste, afin de s’assurer que la responsabilité incombée à l’architecte était basée sur des compétences techniques solides. La loi de 1977, imposant que « la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine [soient] d’intérêt public », a rendu l’architecte responsable envers l’État, mais également envers la société, la ville ou encore l’environnement. La loi Spinetta du 4 janvier 1978 a alourdi la réponsabilité de ce dernier, afin de mieux protéger les maîtres d’ouvrage. Nous pouvons conclure cette parenthèse historico-juridique avec la responsabilité qui est aujourd’hui la plus connue dans le milieu, la responsabilité décennale, liant intrinsèquement les compétences de l’architecte avec son ouvrage de nombreuses années après sa livraison, et donc le rendant mandataire de toutes malfaçons ou autres problèmes. La relation contractuelle entre l’architecte et le maître d’ouvrage,


considéré comme vulnérable, « du fait de [son] incompétence dans l’art de bâtir et obligés de faire confiance à l’architecte »17, place l’architecte dans une position de redevance envers le MOA. Sa responsabilité envers ce dernier tient donc dans la qualité de l’objet final, l’ouvrage, mais également dans sa mission de conseil tout au long du processus de projet. Les rôles d’intermédiaire et d’arbitre, évoqué précédemment, induisent qu’il se place comme pivot entre tous les acteurs (intermédiaire), et que les décisions qu’il prendra pour conjuguer les différentes demandes qui lui seront transmises (arbitre), ne font qu’accroître sa responsabilité.

L’établissement de ce modèle va nous permettre, dans la partie suivante, de rechercher une modification de l’aspect organisationnel, mais également du rôle de l’architecte, dans une opération qui tenterait d’intégrer les principes de l’économie circulaire que nous avons présentés dans la première partie de ce travail de recherche.

17. Robert Carvais, L’histoire de la responsabilité des architectes, dans Profession Architecte, 2017.

Dans cette partie de l’étude, nous avons pu définir les 4 rôles majeurs qui incombent à l’architecte d’endosser dans une opération de construction classique. La recherche de la définition de ces rôles vient compléter la partie précédente, portant sur l’aspect organisationnel du processus de projet et ayant permis d’établir une frise chronologique type, afin d’établir un aperçu du métier d’architecte. Nous avons vu que ce processus peut être traduit par un modèle général, représentant les acteurs et les interractions récurents dans le domaine de la construction. Nous avons également pu voir que la phase conception est celle portant le plus d’enjeux et de perspectives d’évolution, autant sur la question de l’environnement de conception que sur la place de l’architecte pendant cette phase. Que ce soit dans les possibilités d’intégration de nouveaux acteurs, comme dans celles de redéfinir une réflexion architecturale personnelle, cette étape d’une opération de construction s’avère primordiale, autant pour le projetque pour l’architecte et son développement personnel. 53


Recherche d’une modification du processus architectural lorsque l’économie circulaire est intégrée au projet Hypothèse - La pratique architecturale circulaire peut également faire l’objet d’une généralisation à un modèle-type. - Ce modèle-type mettra en avant des modifications des acteurs, temporalités, et rôles de l’architecte par rapport au modèle linéaire précédent.

+ Pertinence de la recherche d’une modification de la phase de conception

17. Emmanuelle Borne, L’économie circulaire : un enjeu global, article dans AA’, mai 2016.

18. Définition du mot architecte, Larousse.

19. Jean-Claude Burdèse, La conception architecturale, tradition et CAO, 2018.

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Les nouvelles approches que nous avons vues dans la première partie de ce travail induisent un changement dans nos architectures, en réponse à des enjeux urbains et environnementaux récents. En effet, au travers d’exemples, comme celui de la 15ème biennale d’architecture à Venise, l’appel à projets innovants Réinventer Paris, ou encore le concours Europan 15, nous pouvons voir que l’économie circulaire commence à se frayer un chemin dans le domaine architectural, notamment pour les nouvelles générations de praticiens17. Ainsi, nous ne voulons pas ici imposer la mise en place de l’architecture circulaire comme évidente dans l’évolution de notre pratique, mais simplement chercher quels impacts la mise en place de cette dernière, si elle venait à se généraliser, pourraient être importants dans l’évolution du métier. Nous partons ici du principe que la prise de conscience écologique globale, arrivée récemment, aura un impact sur notre façon de voir, et donc de faire la ville. Nous cherchons donc à prouver que la modification de l’architecture comme objet dans la ville peut passer par une modification du rôle, des interractions avec d’autres acteurs et intentités, et du schéma de réflexion de l’architecte, notamment à la phase

conception. Dans cette recherche, cette modification de l’architecture passe par le prisme de l’intégration des principes de l’économie circulaire au projet. Pour ce faire, nous pouvons tenter de chercher les spécificités que peut apporter l’architecte à un projet, et comment sa manière de travailler, ainsi que ses principes, peuvent révéler des modifications de son rôle de concepteur. En effet, la conception met en lumière les volontés et les principes que peut avoir un professionnel lorsqu’il pratique l’architecture, son rôle étant de concevoir de l’espace bâti18. Cet espace conçu résultera donc, du cahier des charges imposé, mais également de l’interprétation spatiale de ce cahier des charges, propre à chaque architecte. « [Le rôle de l’architecte] n’est pas, en priorité, de résoudre des problèmes, il monte lui-même une problématique, un enjeu spatial que personne ne lui réclame. »19. Cet enjeu spatial est donc le résultat du chemin réflexif de tout praticien. Or, les professionnels dont il s’entoure, ainsi que la manière dont il travaille avec eux, sont intimement liés aux principes que l’architecte tentera de réifier par son dessin. Il semble donc être pertinent de s’intéresser de plus près à l’environnement dans lequel évolue l’architecte, ainsi que ses schémas réflexifs, en faisant l’hypothèse qu’il sera différent dans le cadre d’une architecture linéaire et d’une architecture circulaire.

+ Méthodologie Choix des études de cas Deux études de cas composeront notre étude : le projet Upcycle Studios, de Lendager Group, et le projet pour le concours Réinventer la Seine de


B+M Architecture. Ces deux projets ont été choisi car ils ont fait l’objet d’écrits : A changemaker’s guide to the future, publié par Anders Lendager en 2018, et Architecture & économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, publié par Grégoire Bignier en 2018 également. Ces deux architectes sont aujourd’hui très proliférants dans l’architecture circulaire, autant dans leurs projets que dans leurs écrits. Lendager est une figure de l’économie circulaire au Danemark, il a notamment collaboré avec le gouvernement danois pour des travaux de recherche en lien avec les 17 objectifs du développement durable établis par les Nations Unies, et a reçu de nombreux prix d’innovation architectural au Danemark comme en Europe. Bignier est également un architecte proliférant dans le domaine de la circularité en France. Il est notamment professeur et conférencier pour les cours Processus de Conception à l’ENSAPVS et Architecture & écologie à l’ENSAV. Nous reviendrons sur ce point plus tard, mais il a également été sollicité par de nombreuses écoles pour animer des séminaires ponctuels en France et en Europe sur le domaine de l’économie circulaire. Le choix d’étudier ces architectes et leurs projets nous a semblé pertinent, dans le sens où ils pratiquent les principes circulaires dans leur vie de tous les jours, notamment par leur métier d’architecte praticien mais également par leurs activités de recherche parallèles. Ces deux ouvrages précis ont été choisis comme corpus, car ils mettent à notre disposition de nombreuses informations, non disponibles sur les sites des agences choisies ou dans des articles les évoquant. De plus, nous aurons également accès aux retours critiques des architectes vis-à-vis du déroulé de ces projets, ainsi que les ressentis se rapportant à leur pratique

architecturale au travers de leurs écrits. À partir de ce corpus graphique et écrit, nous pourrons analyser les concepts majeurs, les dispositifs innovants et le déroulement des deux projets, afin d’en extraire plusieurs informations :

Impacts sur l’environnement de conception De manière à étudier l’impact de l’intégration de principes de l’économie circulaire sur l’environnement de conception, nous chercherons, dans un premier temps, quels acteurs ont collaboré avec le ou les architectes durant cette phase. Nous vérifierons, dans un premier temps, si les acteurs indispensables définis dans la partie 2.1 sont également présents dans le processus de conception circulaire. Dans un deuxième temps, nous relèverons les acteurs supplémentaires ayant pris part à nos deux projets. Nous pourrons ainsi, par la recherche d’acteurs communs au deux études de cas, mettre à jour notre liste d’acteurs indispensables, proposée dans la partie Établissement du modèle linéaire. Puis, nous estimerons les temporalités (phases de l’opération) et proportions des collaborations entre ces acteurs et l’architecte dans nos études de cas. Nous pourrons ainsi établir des moyennes d’occurence et d’intensité des collaboration par la mise en commun des résultats des deux projets étudiés, encore une fois dans le but de les comparer à nos informations sur le modèle linéaire. Nous utiliserons des données factuelles, relevant de l’opérationnel. Les documents utilisés ici seront donc majoritairement graphiques, afin de rechercher les concepts innovants et les acteurs qui leur sont rattachés (photos du chantier, des équipes de conception, éléments graphiques de rendu, tableaux et diagrammes des dispositifs), ainsi

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que des écrits descriptifs et objectifs sur le déroulé du projet (liste précise des acteurs, phases d’intervention, types de missions). Nous tenterons finalement, grâce à la comparaison et la mise en commun des résultats des deux études de cas, d’établir une nouvelle frise chronologique modèle pour l’architecture circulaire, comprenant la liste des acteurs indispensables mise à jour, ainsi que leurs occurences dans le processus de conception circulaire. L’établissement de cette frise-type circulaire est prévue de manière à pouvoir la comparer, dans la troisième partie de ce devoir, à la frise établie dans la partie théorique 2.1 (Déroulé et établissement du modèle type d’une opération de construction classique).

Impacts sur l’architecte lui-même Les projets étudiés ont été utilisés comme supports et illustrations du développement de la pensée architecturale circulaire de Lendager et Bignier. Nous pourrons donc recouper des données sensibles, relevant du personnel : leurs réflexions développées en parallèle de ces exemples de projet nous permettrons de relever leurs ressentis vis-à-vis de leur rôle dans le processus de conception. De manière similaire à l’étude opérationnelle, nous vérifierons, dans un premier temps, que les rôles principaux que nous avons relevés dans la partie 2.2 (Établissement de la place de l’architecte dans le proccessus de conception classique) sont également valables pour le modèle circulaire. Nous chercherons donc si ces rôles sont encore valables, ainsi que si la forme qu’ils prennent sont identiques à celles trouvées dans cette partie 2.2 de ce devoir. Encore une fois, nous tenterons de mettre en avant les résultats communs aux deux études 56

de cas, de manière à trouver quels rôles sont communément attribués aux architectes dans le processus de projet circulaire. Les documents utilisés ici seront donc les textes où les architectes abordent leurs points de vue et leurs expériences en rapport avec le projet, mais également les idées qu’ils cherchent à développer en utilisant ces projets comme exemples dans leur livre. Nous chercherons également à mettre en lumière les potentiels impacts de ces principes sur l’architecte et son mode de pensée. Cette dernière recherche ne présentera pas de comparaison avec une partie théorique, puisque l’analyse des écrits nous permettra - ou non, de relever des impacts sur l’architecte luimême, sans savoir si il y en a réellement et quelles formes ils prendront. Si nous parvenons à mettre en lumière ces schémas de pensée particuliers, nous tenterons dans la troisième partie de ce devoir d’en expliquer les causes et de les relier, ou non, avec les principes de l’économie circulaire.


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+ Études de cas n°1 : Upcycle Studio - Lendager Group Présentation de l’agence d’architecture

20. Lendager Group, A changemaker’s guide to the future, 2019, p. 17.

21. Publié en 2020, en collaboration avec L’institut d’architecture et de technologies KADK, L’Association Danoise des Architectes, La Comission UIA des objectifs de développement durable des Nations Unies. 22. Prix décerné tous les deux ans par la Commission européenne, saluant l’excellence de l’architecture européenne en termes conceptuels, sociaux, culturels, techniques et constructifs. 23. Site de l’agence Lendager Group, projet Upcycle Studio. 24. Fondation Ellen MacArthur,

Delivering the circular economy, 2015. 58

L’agence d’architecture mandataire pour ce projet est Lendager ARC, fondée en 2011 par Anders Lendager. Il avait pour motivation de sortir de la zone de confort habituelle des architectes pour explorer de nouvelles possibilités pouvant impulser une meilleure gestion des enjeux environnementaux dans le domaine de la construction20. Pour ce faire, l’agence d’architecture s’est vue intégrée dans une fondation plus vaste, le Lendager Group, composé de 3 entités : - une agence d’architecture travaillant sur des villes et des bâtiments résilients; - Lendager UP, une entité de développement et de production de matériaux utilisant les déchets pour les surcycler dans les nouveaux projets ; - un hub « inovation et stratégie », Lendager TCW, société de conseil pour l’innovation dans le domaine de l’économie circulaire pour des entreprises et industries ; Lendager Group a notamment participé à la rédaction de An architecture guide to the UN 17 Sustainable Development Goals21, ainsi qu’à de nombreux colloques, conférences, et articles portant sur le lien entre économie circulaire et architecture. L’agence est nominée pour le prix de l’Union Européenne pour l’Architecture Contemporaine de Mies Van der Rohe 202122.

Présentation générale du projet Upcycle Studio est le premier projet résidentiel circulaire de grande échelle. Il a pour cela été nominé pour le Prix d’Architecture de Copenhague. C’est un ensemble de 20 logements individuels

de 2 étages, d’une surface totale de 3909 à Ørestad, au Danemark. Le projet a débuté en 2015, en réponse à une demande de NREP et Arkitektgruppen. Il a été livré en 2018.

Réflexions architecturales et concepts majeurs Le concept principal du projet est de s’assurer que les maisons s’insèrent naturellement dans leur environnement, mais aussi qu’elles soient supports d’un nouveau mode de vie durable. Des concepts tels que l’efficacité des ressources et l’économie de partage en constituent la base. Cela se traduit, entre autres, par une grande adaptabilité du projet, qui garantit la meilleure utilisation possible des habitations à toutes les heures de la journée et dans les différentes phases de la vie. En effet, d’après une étude de la fondation Ellen MacArthur, la moitié des logements individuels sont sous-occupés, avec en moyenne deux chambres de plus que nécessaire23. La flexibilité du projet permet donc de faire évoluer l’habitat en fonction des besoins. La qualité de vie dans Upcycle Studios est construite autour de la devise «La communauté prospère mieux s’il y a de l’espace pour l’individu»24. Le but était d’instiguer un sentiment de communauté et de voisinage, mais sans entraver le droit de l’individu à la vie privée et à l’expression de soi. Il s’agit donc d’une économie de partage. Les flux d’énergie, d’eau ou d’air peuvent être pensés à une échelle plus large que la maison individuelle. La matérialité du projet a également pris une part importante dans la réflexion architecturale : les architectes ont étudié les potentielles ressources matérielles avec un point de vue circulaire. Ainsi, la majorité, des élements composant les maisons sont issus de ressources locales ou de matériaux de seconde main.


59 Figure 12. Vue intérieure d’un logement Upcycle Studio


Dispositifs innovants mis en place

25. F. Harvey, Cement Industry urged to reduce invisible global emissions, article publié dans The Guardian, 2018.

26. World Business Council for Sustainable Development,

The Cement Sustainibility Initiative, 2009.

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Upcycle Studio est l’expression d’une volonté de repenser la manière de voir les ressources matérielles dans le projet architectural. Les opportunités locales sont en réalité bien plus larges que la simple possibilité d’avoir une forêt à proximité du site pour un projet nécessitant du bois. En effet, ce sont nos villes, dont de nombreux bâtiments sont démolis chaque année, qui peuvent également devenir un puit de ressources locales. Avec ce nouveau point de vue, des changements peuvent aider à résoudre des problématiques telles que la pénurie de matières premières, l’accumulation de déchets, et le changement climatique. C’est donc dans cette démarche qu’Anders Lendager a intégré trois dispositifs et techniques constructives circulaires : - (Dispositif 1) Le béton des fondations et de certaines parties structurelles du projet est issu de béton surcyclé. À proximité de Ørestad, la ville de Copenhague était en train de réaliser des travaux pour l’extension de son métro. 1400 tonnes de béton ont pu être récupérées, broyées puis recoulées en place. Ainsi, la libération de l’équivalent de 65 tonnes de CO2 a pu être évitée, une réduction de 12 à 15% par tonne de béton. Cela peut sembler peu, seulement, de nos jours, la fabrication de ciment est responsable de 6% des émissions globales de CO225, le moindre effort est donc intéressant. Si l’ensemble des bâtiments construits de nos jours atteignaient ce niveau, nous pourrions réduire de 2 milliards de tonnes les émissions annuelles de dioxyde de carbone en une année (12 fois les émissions annuelles danoises)26; - (Dispositif 2) L’ensemble des fenêtres composant les ouvertures des logements a été pensé avec un processus innovant de réusage de fenêtres, issues de bâtiments abandonnés et en instance de démolition dans le nord du Jutland,

au Danemark. L’analyse des différents gabarits a permis de définir des modèles de combinaison de ces déchets afin de leur rendre leur utilité initale tout en les mettant en valeur. Les cadres ont été désolidarisés des vitres, et ont servi dans un autre projet de l’agence pour faire des revêtements de mur intérieurs sur le projet Copenhague Towers II. Cela a permis de réduire de 87% les émissions de CO2 qui auraient été liées à la fabrication, l’assemblage et le transport de verrières neuves. La structure apportée pour soutenir le maillage de vitrages a été réalisée en bois issus de forêts gérées durablement, réduisant encore les émissions de CO2 en comparaison de l’utilisation de métal, généralement préférée pour ce genre d’élément ; - (Dispositif 3) Tous les revêtements de sol, des murs et des façades ont été réalisés à partir de chutes de découpe d’élements bois produits par Dinesen, un artisan ébéniste danois à proximité du site de projet. En plus de réutiliser une ressource qui était considérée comme un déchet, ce dispositif a permis d’éliminer l’utilisation de substances chimiques nocives pour l’environnement contenues dans les peintures, enduits ou papiers peints, habituellement privilégiés dans les opérations de logement. Afin de ne pas avoir à utiliser ces produits pour le traitement des lattes devant recouvrir la façade, le bois a été brûlé en surface afin de créer une couche de protection naturelle ; L’ensemble de ces efforts réflexifs et constructifs ont permis de réduire l’extraction et la transformation de matières premières ainsi que les émissions de CO2 liées à ces transformations et au transport. Ces efforts concernant l’aspect matériel ont été couplés avec une réflexion sociologique sur nos modes de vie actuels :


Dispositif 1. Béton

Dispositif 2. Fenêtres

A A C

C B

B

Dispositif 3. Bois

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- (Dispositif 4) La conception adaptable est née d’une volonté de donner le choix aux habitants de faire évoluer leur habitat avec leurs rythmes journaliers, ainsi que les différentes phases de leur vie. Pour ce faire, une maison peut être utilisée comme un logement avec un atelier combiné attenant pour les travailleurs indépendants. Elle peut également être modifiée pour se transformer en logement pour les familles nombreuses, ou encore être divisée en deux appartements. La division en deux espaces distincts peut permettre la location d’une partie de son logement pour un jeune couple projetant l’agrandissement de leur famille, mais souhaitant exploiter cette surface le temps qu’elle leur devienne utile (par le biais de location temporaire ou permanente). Cette configuration, ansi que celle du travailleur à domicile, permet de lier avantages économiques et personnalisation du lieu de vie. Cela permet également d’anticiper les futurs besoins d’espaces de bureaux ou de logements dans les villes, en mettant à disposition d’autrui des espaces habituellement inutilisés dans le logement. Pour permettre ces modifications, les cloisons et murs ont été disposés et dessinés de manière à pouvoir les prolonger pour les fermer

Dispositif 4. Adaptabilité / Espaces communs - espaces privés

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totalement, ou les laisser tels quels et permettre la libre circulation. Cette volonté a également eu un impact sur le programme et sa répartition dans le projet. En effet, proposer la division d’une entité pour en former deux nécessite la mise en place d’espaces communs donnant accès aux habitations, ou a contrario, le dédoublement des zones de distribution. Ici, un accès au premier étage a été créé directement depuis le garage, permettant un accès supplémentaire à l’entrée principale et l’escalier attenant se trouvant à l’avant du logement. Les deux salles d’eaude bain ont également été disposées de manière à pouvoir être utilisées par deux entités d’habitation différentes. La salle d’eau au RDC peut donc autant faire office de buanderie pour un logement complet, que de salle d’eau principale pour le logement attenant. Pour traiter le lien entre l’extérieur et l’intérieur, un espace collectif entoure les 20 logements, proposant donc des espaces de rencontre entre les différents voisins, une transition entre espace public et espace collectif. La volonté de conserver la limite collectif/privé a instigué le dessin d’un espace extérieur sur la moitié du dernier niveau, devenant partie intégrante et continuité du logement.


Dispositif 4. Habitation complète

RDC

R+1

R+2

R+1

R+2

Dispositif 4. Habitation scindée en deux

RDC

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27. INSA de Lyon, ENSA ParisVersailles, Université Technologique de Compiègne, Sciences Po Paris, Université du Luxembourg, ENSA Strasbourg, École Polytechnique Fédérale de Lausanne. 28. Grégoire Bignier et Emmanuel Nicole, Construire pour le développement durable, publié par l’AFEX, 2017.

29. Agence d’urbanisme le Havre Estuaire de la Seine (AURH), Réinventer la Seine.

+ Études de cas n°2 : Réinventer la Seine - B+M Architecture Présentation de l’agence d’architecture L’agence B+M Architecture a été fondée en 1995 par Grégoire Bignier et Sébastien Mémet. Ils sont tous deux diplomés de l’ENSA Paris-Belleville, Grégoire Bignier a également en master en ingénierie, et Stéphane Mémet est titulaire d’un certificat d’études supérieures de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et du Centre des Hautes Etudes de Chaillot. Ils sont enseignants dans des ENSA (Paris-Belleville et Paris-Malaquais respectivement). Grégoire Bignier, responsable de ce projet, est également essayiste, et auteur de Architecture et écologie ; Comment partager le monde habité ?, publié en 2012, ainsi que Architecte et économie: ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, publié en 2018. C’est dans le Chapitre Économie sociale et solidaire de ce dernier que nous avons extrait les informations nécessaires à l’analyse qui va suivre. Grégoire Bignier exerce en tant qu’architecte praticien, et est également professeur dans une ENSA, à l’ESSEC, et intervient dans d’autres écoles et universités françaises et européennes27. De plus, il a animé de nombreux séminaires, débats, conférences ou workshops autours des thématiques de l’économie circulaire, l’architecture et l’urbanisme contemporains, et l’écologie. Bignier a notamment participé à la rédaction du guide de l’AFEX Construire pour le développement durable28, publié en 2007.

Concours Réinventer la Seine Cet appel à projets a été lancé en mars 2016 par les villes de Paris, Rouen et Le Havre en partenariat avec Haropa 64

- Ports de Paris Seine Normandie. Le concours prend place dans la continuié de Réinventer Paris, afin de perpétrer le développement de la Vallée de la Seine. L’objectif était de faire émerger des projets innovants, valorisant l’attractivité et le rayonnement de ce territoire. Des concepteurs de tout ordre et du monde entier (architectes, paysagistes, designers, etc.) ont pu répondre à cet appel à projet incitant à l’innovation dans les façons de vivre sur et au bord de l’eau sur l’axe Paris - Rouen - Le Havre3. Une quarantaine de sites ont été mis à disposition par les collectivités, dans une volonté d’engager un développement du territoire cohérent. Ainsi, « quatre dénominateurs communs [étaient] requis pour répondre à l’appel à projets : l’innovation dans le rapport à l’eau ; la mixité des usages ; l’ouverture au public ; l’excellence environnementale et sociale. »29.

Concepts et principes majeurs L’objectif principal de Bignier dans ce projet était de démontrer que le développement architectural liant infrastructures et économie circulaire pouvait amener à la conception de propositions innovantes pour le développement des territoires connectés au fleuve. Le point de vue qu’a apporté Bignier avec l’approche circulaire a tenté de mettre en avant l’indissociabilité des différentes séquences composant l’ensemble du territoire. Ainsi, le projet qu’il a développé avec ses équipes avait pour but de traiter autant les extrémités du parcours de la Seine que ce qui se trouvait entre. À l’Ouest, le Havre constitue un connecteur entre circuits à l’échelle mondiale et économie locale du port. À l’autre extrémité, une écologie et une biodiversité unique à l’échelle de l’Europe s’est développée autours des grands lacs, constituant un réseau de régulation du niveau des eaux


65 Figure 13. Plan de répartition des 3 interventions


parisiennes, ainsi qu’une attractivité touristique solide. Entre ces deux zones, présentant elles-mêmes des liens avec des territoires à toute échelle, se trouvent une multitude de projets circulaires initiés par les locaux, en parallèle du développement du Grand Paris. Cette pluralité de séquences a donc donné lieu à un projet divisé en 3 interventions : une au Havre, une autre Rouen, et enfin, une dernière dans l’Essone, à proximité de la capitale. Ce projet cherche donc à répondre à des caractéristiques singulières à chaque site d’implantation, tout en prenant en compte l’environnement de ces sites à une échelle plus large, afin de les inscrire dans une démarche éco-consciente. Cette démarche était notamment basée sur la volonté de prendre en compte le développement conjoint et respectueux de la biosphère et de l’anthroposphère.

Dispositifs innovants mis en place

30. Grégoire Bignier, Architecture et écconomie : Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p.130-131.

66

Outre les dispositifs architecturaux innovants que nous évoquerons plus loin, la démarche de conception a ellemême été inscrite dans une démarche d’innovation. En effet, Bignier s’est entouré de nombreux acteurs, dont un panel d’étudiants et de fondations diversifiés (nous reviendrons sur la description précise de ces acteurs dans la partie suivante, Résultats opérationnels). De cette collaboration est ressortie quatre lignes directrices, appliquées dans les trois projets : - intervenir sur plusieurs sites pour rendre compte de la diversité du territoire lié au fleuve ; - combiner différentes fonctionnalités, afin de rembourser la dette à la biosphère tout en favorisant le développement de l’anthroposphère ; - repenser les usages sur chaque site à une échelle locale, afin que chaque projet soit représentatif de son environnement direct, et qu’il s’insère de manière juste

et durable dans ce dernier ; - utiliser ce concours comme opportunité pour développer des réflexions et dispositifs innovants, dans chacun des domaines représentés par les différents acteurs de la conception ; Pour la description des dispositifs qui sont la matérialisation de ces lignesguides, nous citerons directement les textes de Bignier : « La proposition s’est formalisée sur la base de trois ouvrages d’art caractéristiques suivante : - traversant une darse du porte du Havre (Seine-Maritime), une passerelle mobile dont les besoins énergétiques ne sont satisfaits que par des énergies « douces » (potentielle, cinétique, solaire) sur la base d’une cinématique par phase [Intervention 1.] ; - à Vétheuil (Val-D’Oise), un corridor écologique liant le parc naturel du Vexin aux forêts de Moisson et Rosny et assurant un espace dévolu aux arrêts migratoires et aire de nidification des oiseaux [Intervention 2.] ; - enfin, à Dravel-sur-Seine (Essone), un barrage de régulation couplé à une passerelle publique soulagent celui de Morsang-sur-Seine et profitant des anciennes sablières comme exutoires en cas d’inondation [Intervention 3.] ; »30 La description de nos deux études de cas étant faite, nous allons analyser les différents documents graphiques et écrits et en présenter les résultats. Ceux-ci seront classés selon les quatres axes de modification présentés dans la partie précédente : acteurs, temporalités et proportion d’intervention, rôle de l’architecte, réflexion personnelle de l’architecte. Pour chacun de ces axes, nous présenterons certains exemples d’informations ayant servies à l’analyse des études de cas et la production des résultats suivants. La totalité de ces informations, analyses et résultats sont présentés dans les annexes 4,8 et 9.


Intervention 1.

Intervention 2.

Intervention 3.

67


Étude de cas n°2

Étude de cas n°1

+ Résultats : impacts sur l’environnement de conception

68

Acteurs du projet

Temporalité et proportion des collaborations

BET (structure, thermique)

Inchangés

Économiste

Inchangés

CT et CSPS

Collaboration étroite

Entreprises et artisans

Phases Conception, DCE et Chantier

BET matériaux

Toutes les phases

Institutions publiques

Phase Conception

Design R&D

Phase Conception

Fondations recherche sociologie de l’habiter

Phase Conception

Association de récupération des déchets de démolition

Phases Conception et Chantier

BET (structure, thermique)

Inchangé

Économiste

Collaboration étroite

CT et CSPS

-

Entreprises et artisans

-

Laboratoire hydraulique

Phase Conception

Fondations environnementales

Phase Conception

Institutions publiques opérateurs fluviaux

Phase Conception

Établissements d’enseignement supérieur

Phase Conception


Phases

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises et artisans BET autres Experts & consultants Institutions publiques

Frise 1. Étude de cas n°1

Phases

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises Experts & consultants Établissements d’enseignement Institutions publiques

Frise 2. Étude de cas n°2

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Phases

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique + aures) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises et artisans Experts & consultants Institutions publiques Intervention classique Intervention «de loin» ou non obligatoire Intervention nouvelle par rapport au modèle linéaire

Cette frise chronologique est le résultat de la mise en commun des deux frises présentées précédemment, correspondant chacune à une étude de cas. Les acteurs principaux ont été rassemblés dans des groupes d’acteurs, 70

plutôt que conservés séparément, avec la précision qu’ils comportaient. Nous arrivons donc au même niveau de précision (qui est donc plus faible que les informations que nous avions) que celle du modèle classique présenté dans


Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Frise 3. Modèle-type circulaire

la partie 2.1. Les temporalités d’interventions sont également issus d’une mise en commun des résultats, par l’établissement d’une moyenne des deux. Nous avons cependant conservé uniquement les

temporalités de l’étude de cas n°2 pour les phases DCE et chantier, l’étude de cas n°1 ne nous apportant pas ces informations. Nous rediscuterons de ce choix plus tard dans la partie qui va suivre. 71


Exemples d’infomations ayant menées aux résultats de l’axe Acteurs

72

Dans le tableau précédent, nous avons classé les acteurs repérés dans nos deux études de cas par «type», afn de ne pas utiliser d’appellations de corps de métier trop précises pour réaliser notre modèletype d’une opération de construction circulaire. En effet, la volonté de ce travail est de comparer des frises chronologiques qui ont le même niveau de précision. Notre modèle linéaire, très général, induit donc de faire le travail de chercher des appellations d’acteurs généralisables dans le modèle circulaire. Pour l’étude de cas n°1, nous pouvons citer l’exemple de l’acteur Design R&D, qui a été ajouté par rapport au processus de conception classique : tous les produits surcyclés du projet ont été traité en collaboration avec la filiale UP du Lendager Group, qui est spécialisée dans le développement et l’innovation pour les produits surcyclés. Cette filiale s’est associée à différents acteurs, qui se sont rajoutés à la liste des intervenants «classiques» : artisans ébénistes et BET matériaux (Photographie 1., Photographie 2., Photographie 3.). Ces corps de métier ont été intégrés au projet à la suite d’une concertation avec une association de récupération des déchets de démolition et des entreprises du BTP, qui ont géré l’aspect organisationnel et technique des processus de recyclage. Les institutions publiques ont également joué un rôle majeur dans la validation légale des dispositfs innovants : « Heureusement, nous avons finalement réussi à avoir une dérogation de la municipalité de Copenhague puisque nous étions sûrs que les normes pourraient être respectées. » (p.139). Dans le cas n°2, l’analyse des acteurs a été facilitée par une descripton très précise de Bigner des intervenants impliqués. Nous prendrons ici les exemples concernant les acteurs

Établissements d’enseignement supérieur (Photographie 5., Photographie 6.), décrits comme suit : « l’Agrocampus Ouest, école formant des ingénieurs agronomes à qui ont été posées les questions de métabolisme biologique d’un territoire ; l’ENSA de Versailles sollicitée pour ses capacités à se projeter dans une dynamique prospective et formelle l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) pour des montages économiques similaires à ceux demandés par le cahier des charges du concours ; l’Institut d’études politiques de Paris (SciencesPo) » (p.130).

Exemples d’infomations ayant menées aux résultats de l’axe Temporalité Pour l’étude de cas n°1, nous pouvons reprendre les photos pour illustrer nos propos : Les BET matériaux sont intervenus autant en amont de l’assemblage des dispositifs, durant la phase conception, de manière à réaliser les tests de performance des matériaux recyclés (Photographie 2.), que durant la phase chantier, où ils ont pu vérifier les-dites performances et mettre à jour leurs données (Photographie 3.). Nous pouvons également citer l’ouvrage étudié pour ce qui concerne les temporalités d’intervention des Entreprises et artisans : « Pour les architectes, les ouvriers et entreprises spécialisés dans la démolition n’ont pas une grande place dans le processus de conception puisqu’ils ne font partie que de la dernière phase de la vie d’un bâtiment [...]. Mais si l’on réfléchit avec une vision plus large et circulaire, ces acteurs de la démolition deviennent des partenaires-clés de l’architecte. En effet, ils sont généralement les premières personnes qu’Anders Lendager contacte étant donné qu’ils sont en possession de matières avec laquelle on pourrait construire par la suite. » (p.65)


Photographie 1. EC n°1 Ébéniste brûlant le bois recyclé

Photographie 2. EC n°1 BET matériaux testant le verre

Photographie 3. EC n°1 BET matériaux testant le béton

Photographie 4. EC n°1 Exposition du dispositif

Photographie 5. EC n°2 Bignier à l’ENSAV

Photographie 6. EC n°2 Bignier animant un séminaire

73


+ Résultats : impacts sur l’architecte

Rôles de l’architecte Dessinateur

Réflexions de l’architecte Question de la temporalité

Étude de cas n°1

Intermédiaire Arbitre

Élargissement de son champ de compétences

Responsable Porte-parole / Défenseur Accompagnant

Nouvelle vision du monde et de son métier

Pour qui et pour quoi exercer ce métier

Enseignant Dessinateur

Question de la temporalité

Étude de cas n°2

Intermédiaire Arbitre Responsable Porte-parole / Défenseur Accompagnant Enseignant 74

Élargissement de son champ de compétences

Nouvelle vision du monde et de son métier

Pour qui et pour quoi exercer ce métier


Nous donnerons ici quelques exemples d’informations issues des ouvrages étudiés qui nous ont permis de compléter les deux tableaux précédents. Ces résultats seront rediscutés dans la prochaine partie de ce travail.

Exemples d’infomations ayant menées aux résultats de l’axe Rôles de l’architecte Nous avons dans un premier temps vérifié que les quatres rôles définis dans le modèle linéaire étaient également applicables à notre modèle circulaire : dans l’étude de cas n°1, le rôle d’intermédiaire, ici entre les principes du projet et les non-sachants, est corroboré par la sitation suivante : « je veux m’assurer que vous êtes conscients de l’importance de la création d’une narration autours de ce que nous faisons en tant qu’architectes. Car si nous voulons réussir dans la création d’un monde durable [...], il est crucial de nous assurer de la pertinence, et surtout de la compréhensibilité de cette durabilité, pour tout le monde. » (p.24). Lors de ces vérifications, il est apparu que lorsque le rôle étudié était vérifié dans le modèle circulaire, il pouvait certaines fois revêtir un aspect qui n’avait pas été évoqué dans la partie linéaire. Prenons l’exemple du rôle de responsable, dans les deux études de cas, une responsabilité nouvelle est apparue : la responsabilité envers la biosphère : «Il est crucial que [les architectes et les designers] commencent à prendre leurs responsabilités, pas seulement pour imposer leur design, mais pour réussir à faire de ces designs des objets fonctionnels, esthétiques et pertinents pour notre futur, ainsi que pour la biosphère. » (Lendager, p.63) ; « Il nous faut parler de climats plutôt que de paysages, ce qui change beaucoup de choses pour l’architecte. Son rôle est ainsi clairement établi, se responsabilité pleinement reconnue.» (Bignier, p.77).

De nouveaux rôles sont également apparus, comme celui d’Enseignant : « Nous espérons vous donner une base solide afin d’instiguer le changement en vous-même. [...] Nous vous guiderons sur des sujets comme où et comment commencer, et vous offrirons une visualisation de notre méthodologie personnelle. » (Lendager, p.25). Dans l’étude de cas n°2, ce rôle d’Enseignant revêt une volonté ancrée dans le processus de conception, puisque, comme cité précédemment, Bignier s’est associé à divers établissements d’enseignement supérieur, afin de créer une réflexion commune avec les futurs acteurs de nos villes, guidée par son expérience (Photographie 5.)

Photographie 5. EC n°2 Grégoire Bignier à l’ENSAV

Axe particulier Réflexions de l’architecte Cet axe s’est imposé de lui-même, sans qu’il ait été prévu dans les résultats initiaux, à la suite de la lecture des deux ouvrages. En effet, il est le seul issu d’une analyse approfondie et globale de l’ensemble des «idées-forces» reliées à nos études de cas, qui se sont avérées pertinentes à insérer comme axe dans ce travail. Par l’étude de différentes citations, nous avons pu regrouper ces réflexions personnelles dans deux domaines (eux-mêmes divisés selon deux axes), qui seront approfondis dans la partie suivante, où nous discuterons des impacts de l’ordre des convictions de l’architecte. 75


Conclusion

À partir de nos hypothèses, qui postulaient que nous pouvions mettre en avant des récurrences dans les projets linéaires, nous avons pu esquisser une généralisation du déroulement de ces projets. Ainsi, nous avons établi un modèle-type de la conception linéaire, en étudiant les différents acteurs et temporalités d’intervention qui constituent une opération de construction classique. Nous pouvons donc considérer que les acteurs relevés sont des acteurs indispensables au bon déroulement du projet. Leurs temporalités d’intervention, ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec l’architecte sont également une nécessité pour mener à bien cette opération. Nous avons tenté de montrer ces résultats par le biais d’une frise chronologique-type, et une liste de 4 rôles pouvant communément être attribués à l’architecte. Cela ayant été établi, nous avons par la suite introduit deux études de cas, afin de tenter de répondre à notre hypothèse selon laquelle un modèle pouvait également être établi pour la conception circulaire. Ces études de cas nous ont permis de mettre en avant quatre points majeurs : - les acteurs indispensables dans un projet linéaire le sont aussi dans un projet circulaire, certains se sont cependant ajoutés à la liste ; - les occurences et l’intensité des collaborations ont majoritairement été supérieures dans le cas circulaire ; - les rôles des architectes que nous avions listés ont été complétés par trois nouveaux rôles ; - l’intégration des principes circulaires dans l’analyse du processus architectural a également révélé que les réflexions de l’architecte, outre son rôle vis-à-vis de ses collaborateurs, ont pris une tournure particulière ; 76

De plus, la mise en commun des résultats opérationnels des deux études de cas a permis la fabrication d’une nouvelle frise chronologique type. Notre nouvelle hypothèse, à la suite de la présentation des résultats de l’analyse, sera donc la suivante : l’intégration des principes circulaires entraîne une modification du processus de projet et du métier d’architecte. La recherche d’une validation de cette hypothèse prendra sens dans la partie suivante, où nous tenterons de compléter nos résultats par des apports théoriques et factuels (grâce aux entretiens que nous avons réalisés), afin d’engager une réflexion sur les perspectives d’évolution du métier.


77


3

VERS UNE MODIFICATION DU MÉTIER D’ARCHITECTE DANS LE PROCESSUS DE CONCEPTION ARCHITECTURALE

Quels sont les impacts du modèle circulaire sur l’environnement de conception de l’architecte ? Quels sont impacts du modèle circulaire sur l’architecte lui-même ? Quelles sont les limites de notre étude ? Quelles sont les perspectives d’évolution du modèle circulaire et donc potentiellement du métier d’architecte ? 78


79


80


La partie précédente nous a permis d’établir le modèle-type correspondant au déroulé d’une opération de construction classique, ainsi que celui intégrant les principes circulaires. Nous avons donc à notre disposition deux modèles, dont la comparaison guidera la partie qui va suivre. Notre hypothèse ici est qu’il y a des similitudes entre ces deux modèles, ainsi que des divergences. Ces divergences devraient donc indiquer que la pratique de l’architecture circulaire a modifié l’environnement de conception ainsi que le rôle de l’architecte évoluant dans cet environnement. Cette dernière partie cherche donc, à partir de l’analyse des résultats que nous venons de présenter, à initier la réflexion sur l’évolution possible du métier d’architecte, dans son sens opérationnel comme personnel. Ces réflexions amorcées, nous chercherons avec des apports théoriques et factuels, à discuter, voir expliquer, l’origine des modifications supposées dans notre hypothèse. Ces apports factuels seront constitués des entretiens que nous avons réalisés d’une part avec Didier Rebois, secrétaire général d’Europan, et d’autre part avec l’association Minéka, qui récupère des ressources de seconde main issus des chantiers de démolition à Lyon, qui nous permettront de remettre en perspectives les dires de Bignier et Lendager. Notre argumentaire s’organisera dans un premier temps autours des modifications dîtes opérationnelles. Par le biais de diagrammes comparant les deux modèles, nous illustrerons quels semblent être les nouveaux acteurs et leur temporalités d’interventions indispensables au bon déroulement d’un projet sensible aux enjeux environnementaux, et cherchant des solutions dans l’économie circulaire. Dans un deuxième temps, nous engagerons une réflexion tournée vers

l’aspect personnel du métier. La part d’artiste, nécessaire à notre pratique, induit que les projets réalisés sont une représentation spatiale des volontés et modes de pensée de l’architecte. Ainsi supposé, nous pouvons nous demander si la prise en compte de l’économie circulaire, constitutant à elle seule un nouveau mode de pensée, n’aurait pas d’autres effets que la modification de l’environnement de concepion (opérationnel). Les rôles que tient l’architecte, que nous avons évoqués précédemment, pourraient, semble-til, entraîner un déplacement de cette position dans les relations avec des tiers, de part la modification des tiers en question, et du niveau de collaboration entre eux. Une dernière discussion sera conduite dans cette dernière partie, autours de résultats qui n’étaient pas prévus dans la recherche initiale. En effet, l’étude approfondie des ouvrages de Bignier et Lendager a fait ressortir des similitudes flagrantes dans certains points de leur discours. Ces similitudes pourrraient supposer que les impacts sur l’architecte dans le champs personnel vont plus loin que la simple question de son rôle dans un projet. Nous introduisons donc la dernière hypothèse, qui n’était pas prévue initialement dans cette recherche : l’économie circulaire mêlée au domaine de l’architecture peut entraîner des modifications dans la vision qu’un architecte a du monde qui l’entoure, de son métier, ou encore des raisons pour lesquelles il exerce ce métier.

81


Quels sont les impacts du modèle circulaire sur l’environnement de conception de l’architecte ? + Liens avec d’autres acteurs Pour introduire cette partie, rappelons les catégories communes dans les deux études de cas : - Experts et consultants (EC n°1 : Design R&D, Fondation recherches sociologie de l’habiter, associations de récupération des déchets de démolition / EC n°2 : Laboratoire hydraulique, Fondations environnementales) ; - Institutions publiques (EC n°1 : Ville de Copenhague, instituts technologiques d’approbation gouvernementale / EC n°2 : Institutions publiques opérateurs fluviaux) ; Nous pouvons également rappeler les catégories d’acteurs non communes aux deux projets : - BET matériaux (EC n°1) ; Établissements enseignements supérieurs (EC n°2) ;

De nouveaux acteurs indispensables Dans le fonctionnement circulaire, les opérateurs des boucles peuvent être n’importe quelle entité présente dans le paysage urbain : séquence de la biosphère (lac, climat, biodversité), entité socio-économique (politiques, association d’habitants), ou encore l’objet (bâtiment, parc, ville). Cela pose donc la question du fonctionnement de ces opérateurs entre eux, qui se doit d’être basé sur la collaboration, le partage et l’échange, à l’image d’un écosystème, et qui remet en question les principes organisationnels classiques de nos villes. Ainsi, la multiplicité d’opérateurs des boucles induit que différentes gouvernances apparaissent dans la gestion de notre architecture hétérotopique : des experts (avec la prise en compte de la biosphère et la volonté de d’améliorer le métabolisme naturel), des concertations entre différentes entités 82

de la ville (habitants, commerçants, transport) puisque ces projets se veulent mêler ces différents acteurs en un même lieu, des jurisprudences et des entités politiques (se devant de participer à la conception du projet qui va modifier la vie urbaine). Ces acteurs, pouvant évidemment être intégrés dans un projet linéaire, deviennent cependant indispensables lorsque l’on parle de circularité. En effet, la multiplication des champs touchés par l’architecture circulaire induit une impossibilité de tout saisir, et une nécessité de s’allier avec d’autres acteurs. Cela va donc élargir le champ de compétences de l’architecte désireux de lier au mieux ces domaines variés. Nous pouvons voir au travers de nos études de cas, que deux catégories d’acteurs nouveaux sont récurrents dans les deux projets : les experts et consultants, et les institutions publiques. Les experts et consultants apportent des connaissances très variées (techniques, sociales, écologiques, etc.), tandis que les institutions publiques jouent le rôle de conseil (transport, urbanisme, attractivité) ou encore d’approbateur pour les dispositifs innovants. Nous verrons cependant dans la partie suivante que ces institutions publiques peuvent être autant un frein qu’un moteur dans la transition vers un paradigme circulaire. Les autres catégories d’acteurs, non communes aux deux études de cas, sont les BET matériaux et les établissements d’enseignement supérieur, respectivement pour l’étude de cas n°1 et l’étude de cas n°2. Les BET matériaux pourraient cependant être intégrés à la catégorie récurrente BET(structure, thermique). En effet, la question posée de manière récurrente par Bignier dans son livre : « quel génie civil pour l’écologie ? », met en avant un point important que nous avions vu dans l’établissement du modèle linéaire : les ingénieurs doivent être les


alliés des architectes, leurs domaines de compétences étant indispensables à la réussite d’un projet d’architecture, quel qu’il soit. Ces bureaux d’étude, si ils sont conscients de la nécessité de changement d’approche quant au génie civil pour l’architecture circulaire, deviennent des intervenants indispensables pour le développement de dispositifs innovants, et donc de la conception circulaire en général. Les établissement d’enseignement supérieur auraient pu être, quant à eux, intégrés à la catégorie experts et consultants, de part leur maîtrise respective dans des domaines variés. Nous avons cependant préféré leur dédier une catégorie particulière, de part la volonté importante de Bignier d’inscrire sa démarche de projet comme une réflexion à but éducatif pour ces établissements, plutôt que dans une collaboration entre professionnels. Cependant, si ces établissements étaient intégrés à part entière dans le processus de conception, notamment en leur accordant un certain pouvoir décisionnaire, ces acteurs intègregraient la catégorie experts et consultants. Ainsi, ils deviendraient potentiellement indispensables à la réussite d’un projet circulaire, comme nous l’avons montré précédemment. La particularité qui fait de cet acteur un intervenant jeune et peu expérimenté, serait cependant une valeur ajoutée au projet, apportant une vision neuve et consciente des enjeux importants dans le développement de nos villes. Maintenant que nous avons exposé les nouveaux acteurs mis en avant par nos études de cas, et justifier de leur indispensabilité en reliant leur présence aux principes de l’économie circulaire, nous pouvons creuser plus loin dans la défnition des rôles et des liens de ces acteurs avec l’architecte dans un processus circulaire.

Les acteurs freins du changement Si nous appelons l’architecture circulaire une hétérotopie, c’est encore une fois parce que nous ne pouvons nier que l’économie circulaire, et, a fortiori, l’architecture circulaire, sont encore aujourd’hui des utopies. En effet, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail de recherche, certaines actions (textes de lois, biennales, normes) ont déjà vu le jour pour promouvoir l’intérêt de ce modèle sociétal. Cependant, les principes circulaires ne sont pas encore une évidence pour tous, pour diverses raisons (méconnaissances du sujet, désintérêt des enjeux environnementaux, etc.). Cela induit que certains acteurs du projet, même si il se veut circulaire, peuvent être en réalité un frein à l’innovation architecturale. Nous pouvons citer les entreprises et artisans, qui, comme l’explique Lendager pour le projet Upcycle Studios, étaient très pessimistes et réticentes à l’idée de changer de mode opératoire et de ressources matérielles au début du projet : « Les sous-traitants étaient francs à propos de leur avis sur le béton surcyclé sur place : c’était impossible selon eux. Ils ne croyaient qu’en la qualité de leur béton habituel, et que notre proposition de béton surcyclé allait induire une non fiabilité du matériau. À cause de leur manque de confiance dans le projet, ils ne voulaient plus travailler dessus. »1. Cette réticence s’est également faite sentir chez certaines institutions publiques, autre catégorie d’acteurs indispensables présentée précédemment : « Dans le même temps, nous avions des difficultés à travailler avec les instituts technologiques d’approbation gouvernementale traditionnels, qui réalisent les tests de fiabilité des matériaux. Cette institution ne partageait pas notre optimisme sur l’utilisation du béton surcyclé. »1. Cela a résulté en un

1. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.139.

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2. Lucile Berliat Camara, Économie circulaire : mettre en place une démarche dans le secteur du bâtiment, 2020. 3. Philippe Deshayes, Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement, 2012. 4. Didier Rebois, secrétaire général d’Europan à l’échelle européenne. Discussion dans le cadre d’une conférence pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité, à l’ENSAL le 04/11/2020.

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retard sur le planning du projet, puisque l’équipe a du demander une dérogation spécifique à la ville de Copenhague. Cette problématique, également mise en avant par Lucile Berliat Camara, responsable activité environnement & santé au sein de la Direction des études et recherche de l’association Qualitel, trouverait notamment son origine dans des questions d’assurance, autant pour les acteurs de la construction (qualités et performances techniques) que pour les entités publiques et administratives (respect des normes, longévité, sûreté)2. Notre entretien avec la gérante de l’association Minéka (association de récupération des déchets de démolition, voir annexe 2) corrobore ces faits. Philippe Deshayes rejoint également ce constat, en y ajoutant une nouvelle dimension, qui est celle de la capacité technique qu’ont les acteurs du projet à réaliser ou non des dispositifs innovants : « Qui plus est, la plupart des acteurs engagés dans ces transactions se révèlent le plus souvent culturellement – et intellectuellement – réticents à les accepter, quand ils ne sont pas tout simplement, professionnellement, dans l’incapacité de les mettre en œuvre. Des changements dans les modalités transactionnelles, dans l’offre et dans les pratiques professionnelles sont donc tout aussi bien à envisager à partir des enjeux propres au développement durable et non, seulement, à partir de ce que le secteur du bâtiment permet ou, au contraire, rend, pour l’instant, peu probable (Setbon, 1998) »3. Nous conclurons cette partie traitant des acteurs indispensables qui s’avèrent être parfois des freins pour le projet circulaire, avec le premier acteur de toute opération de construction : la maîtrise d’ouvrage. Cet acteur est l’origine du projet, sans lui, il n’y a tout simplement pas d’opération de construction. Que la MOA soit une ville ou un particulier, mettre en place des principes circulaires

lorsque cela n’a pas été demandé par le client peut s’avérer compliqué. En effet, comme l’a précisé Didier Rebois lors de notre entretien : « Souvent, chez les maîtres d’ouvrage, c’est une question de culture. C’est vrai que c’est compliqué de faire des structures dans lesquelles il y a des changements d’usage, de mixité, de flexibilité. C’est tout ce qui fait peur. Plus c’est rigide, plus les MOA classiques adorent, comme ça ils ne prennent pas de risques. »4. Il a utilisé l’exemple d’un projet sélectionné pour un site à Barcelone lors du concours Europan 13, dont les principes étaient la flexibilité, l’adaptabilité, la mise en oeuvre de plateaux totalement libres et l’automatisation des circulations. Ce projet, malgré sa sélection au concours, n’a jamais vu le jour, car le commanditaire du projet, en l’occurence la ville de Barcelone, n’a pas joué le jeu jusqu’au bout, car la gouvernance et la technique d’un tel projet leur semblaient trop compliqués à mettre en oeuvre. Ainsi, pour mener à bien un projet d’architecture circulaire, il faut s’assurer que les acteurs indispensables que nous avons listés précédemment partagent les mêmes valeurs et motivations que l’architecte souhaitant s’inscrire dans une telle démarche, et pas seulement lors de la phase conception, mais également lors du temps de la mise en oeuvre.

Les acteurs moteurs du changement Si l’alignement des acteurs dont nous parlions précédemment est respecté, alors ces derniers peuvent en réalité être un réel moteur pour le projet. Reprenons notre exemples des entreprises de construction du projet Upcycle Studios, qui étaient à l’origine réticente envers l’utilisation du béton recyclé : « Aujourd’hui, nos soustraitants sont très heureux de travailler sur des projets Lendager, et nous font même part de leur enthousiasme sur les


nouvelles innovations, puisque, depuis cette histoire, ils se sont rendus compte que le béton surcyclé était finalement d’une meilleure qualité que le béton traditionnel, et que sa mise en place était plus rapide. »5. Ces entreprises sont aujourd’hui pleinement investies dans les chantiers de Lendager Group, et participant à l’évolution des innovations en terme de ressources de seconde main. La maîtrise d’ouvrage, lorsqu’elle se place dans une volonté d’initier le changement, peuvent être un réel moteur du projet. Dans l’exemple du Parc de la Saussaie à Saint-Denis, présenté dans la première partie Bignier décrit : « La maitrise d’ouvrage joue ici un rôle d’arbitre, au delà de celui de simple opérateur, condition nécessaire à la mise en place d’une économie responsable »6. Ce rôle d’arbitre vient de l’implication de la MOA, dont les décisions étaient plutôt à visée environnementale que des choix de facilité organisationnelle et logistique. Dans la même lignée, le commanditaire du projet Upcycle Studios, la société de promotion immobilière NREP, était à l’initiative de la recherche de nouvelles ressources pour la construction, ayant menée aux 3 dispositifs présentés précédemment (béton, fenêtres, bois recyclés et surcyclés). La présence de cette volonté dans le cahier des charges a permis à Lendager d’enclencher une recherche inédite pour répondre à cette demande. Dans ce projet, la MOA a donc été l’initiateur de l’innovation circulaire. Isabelle Chesneau précise que cette démarche peut aider à mettre en avant, ainsi que créer une plusvalue, dans les projets des maîtres d’ouvrage ouverts aux changements et aux innovations : « [Les attentes du mOA] requièrent cependant des prises de risques, lesquelles sont nécessaires pour se démarquer et sont en définitive récompensées lorsque le maître d’ouvrage donne sa chance à une équipe

de maîtrise d’œuvre ayant su présenter ou faire connaître une idée, une réflexion, un concept, une démarche ou un projet personnel générant de toute évidence une plus-value de l’acte d’architecture et faisant ainsi sens avec les besoins du maître d’ouvrage.»7. Nous conclurons avec le résultat que, si l’économie circulaire présente une possibilité de réponse aux enjeux environnementaux actuels, alors la mobilisation de tous les opérateurs de l’anthropocène (État, collectivités, entreprises, habitants) peut être un réel atout pour le projet8. De part leurs connaissances de la réalité du site, ces différentes entités constituent un moteur inestimable pour mener à bien un projet circulaire. Nous avons donc vu que les relations et les motivations des acteurs indispensables d’un projet (MOA, MOE, BET, Contrôleurs, Entreprises et artisans, Experts et consultants, Institutions publiques d’après nos résultats) sont un enjeu important pour tenter d’intégrer les principes de l’économie circulaire à l’architecture. Les caractéristiques de cette dernière font que la collaboration entre ces intervenants doit être capable de gérer une multitude de domaines et d’aspects de la conception architecturale, tout en répondant à des enjeux environnementaux de plus en plus importants. Ces acteurs, pouvant être freins ou moteurs du changement, en fonction des convictions de chacun, entretiennent des relations de collaboration avec l’architecte qui peuvent être définies par les temporalités et les proportions de celles-ci. L’étude de l’intensité et de la récurrence de ces partenariats va nous permettre de mieux visualiser en quoi l’économie circulaire peut avoir un impact sur l’environnement et le déroulement d’une opération de construction, en comparaison de notre modèle linéaire développé précédemment.

5. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.139.

6. Grégoire Bignier, Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p.51.

7. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2017, p.190. 8. Lucile Berliat Camara, Économie circulaire : mettre en place une démarche dans le secteur du bâtiment, 2020.

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+ Temporalités et proportion de la collaboration avec d’autres acteurs Comparaison des occurences des collaborations

9. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2017, p.401.

10. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2017, p.402.

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Pour réaliser le diagramme cicontre (Figure 14.), nous avons procédé comme suit : en combinant les deux frises chronologiques de nos projets circulaires, nous avons pu quantifier les occurences des collaborations entre l’architecte et les différents acteurs du projet. Nous avons utilisé les résultats présentés préccédemment pour définir les intervenants étudiés : MOA, BET (incluant les BET matériaux pour le modèle circulaire), Économiste, Contrôleurs, Entreprises et artisans, Experts et consultants, et Institutions publiques. En excluant la phase préopérationnelle, le travail conjoint entre les intervenants a été analysé sur les phases conception, choix des entreprises et marchés de travaux, et chantier. Le premier cercle du diagramme, le plus au centre, représente l’équivalent d’une collaboration sur une phase complète (quelle qu’elle soit), le deuxième en représente deux et le cercle le plus extérieur représente une collaboration continue tout au long du projet. Les valeurs pour chaque acteur ont été calculées selon la proportion totale de temps de collaboration, ramené au temps total des trois phases. Par exemple, les contrôleurs CT et SPS, intervenant ponctuellement dans les trois phases, ont été assimilé à un temps total de seulement deux phases, de part la non-continuité de leur collaboration avec l’architecte. Les BET, totalisant deux phases dans le modèle linéaire, arrivent à un total de trois phases pour le modèle circulaire. Cette information a pu être extraite de l’analyse des textes

et surtout des photos jointes à ces textes (plusieurs photos présentant les BET intervenant de la phase conception à la phase chantier, voir partie Résultats). Nous pouvons donc voir, qu’en plus d’avoir mis en avant de nouveaux acteurs indispensables, le modèle circulaire présente des temporalités de collaboration entre l’architecte et ces acteurs bien supérieures au modèle linéaire. En effet, en France, si nous reprenons l’exemple des Entreprises et artisans, la procédure la plus répandue pour la mise en oeuvre d’un projet est la procédure d’appel d’offres : « Dans la procédure d’appel d’offres, les entreprises établissent leur proposition à partir d’un dossier très complet et détaillé, à l’issue d’un processus d’études achevées. »9. Leur intervention se limite donc à la dernière phase du projet, une fois que la conception est terminée. Nous avons vu que ce fonctionnement est peu adéquat pour mener à bien un projet circulaire, par exemple dans le cas du recyclage des déchets de démolition comme ressources pour un nouveau projet, où l’intervention des entreprises de démolition se doit d’être en amont de la phase conception, pour un travail conjoint avec l’architecte, fait validé avec notre entretien avec Minéka). Cette tendance de l’arrivée tardive des entreprises dans le projet pourrait s’inverser, notamment avec l’introduction de la procédure concurrentielle avec négociation, en 2016, qui permet aux entreprises de participer à la finalisation de la conception conjointement avec la maîtrise d’oeuvre. Nous pouvons également citer la procédure conceptionconstruction, encore peu répandue10, qui permet d’intégrer les entrepreneurs au même moment que la maîtrise d’oeuvre dans le projet. Ces modèles de temporalité sont donc aujourd’hui possibles en France, même si peu représentés dans le schéma classique.


MOA Institutions publiques

BET

Experts et consultants

Économiste

Entreprises et artisans

Contrôleurs CT et SPS

Modèle linéaire

Intervalles : 1 - une phase ; 2 - deux phases ; 3 - trois phases

Modèle circulaire

Diagramme 1. Comparaison des occurences des collaborations architectes/acteurs indispensables

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Comparaison des intensités des collaborations

11. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2017, p.401. 12. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.67.

13. Didier Rebois, secrétaire général d’Europan à l’échelle européenne. Discussion dans le cadre d’une conférence pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité, à l’ENSAL le 04/11/2020. 88

Le diagramme ci-contre (Diagramme 2.), a été établi grâce aux descriptions que Lendager et Bigner ont faites dans leurs écrits. Nous avons cherché à quantifier l’intensité des collaborations entre ces derniers et les acteurs du projet, indépendamment d’une question de temporalité, présentée dans le diagramme précédent. Les cinq cercles du diagramme présentent les cinq niveaux de collaboration, allant de aucune collaboration (les acteurs ont travaillé de leur côté et ont simplement transmis leurs résultats aux architectes sans participer à leur intégration dans le projet) à une collaboration totale (travail conjoint et nourri par chacun tout au long des interventions). Nous remarquons que, pour les deux études de cas, l’étroitesse des liens entre les acteurs et l’architecte est supérieure à celles du modèle linéaire. En effet, si nous reprenons l’exemple des entreprises dans le cas d’une procédure classique d’appels d’offres, « Elles ne doivent pas avoir de contact ni d’échange avec la maîtrise d’œuvre. Aucune négociation n’est tolérée. La capacité d’intervention de l’entreprise sur la conception est, ici, très limitée et l’ouverture à des variantes encadrée. »11. L’intensité de leur collaboration est donc faible, puisque les entrepreuneurs ne participent généralement pas à l’élaboration des dispositifs techniques et architecturaux. Ils ne font qu’exécuter les plans transmis. Dans le projet Upcycle Studios, la collaboration entre ces derniers et l’architecte est très étroite, en plus d’être répartie sur un laps de temps plus long : « Ils ont donc un rôle très important pour guider les architectes vers un monde architectural basé sur un modèle circulaire. »12. Dans le cas de la MOA, NREP, commanditaire du projet de Lendager a

été l’instigateur de la démarche circulaire, cela a conduit à une collaboration plus étroite avec le MOE, dans le but de comprendre et d’apprendre au mieux de l’expérience de l’architecte, tout en mettant à sa disposition des informations et des intervenants pouvant nourrir la réflexion architecturale. L’intégration des principes circulaires induit donc une nécessité de liensforts, et de motivations communes, pour mener à bien le projet. Didier Rebois précise que, dans certains cas, l’intégration de nouveaux acteurs, si elle n’est pas faite de la bonne manière (en pensant en terme de synergie entre les acteurs), peut devenir un aspect complexe à gérer dans le projet : « C’est une question [...] d’intelligence collective. C’est plus compliqué de faire du projet métaboliste que de faire du projet linéaire, car il faut comprendre les choses. On n’est jamais omniscient, il faut s’entourer de gens qui ont des connaissances. [...] Lorsqu’on est dans un protocole plutôt classique, tout est hiérarchisé. C’est le monde des experts, où chacun traite de son sujet sans qu’il n’y ait aucune synergie entre les gens, ou très peu. »13. La combinaison du modèle circulaire avec les nouvelles techniques, la prise de conscience globale, et la recherche d’un métabolisme urbain différent laisse penser que ce paradigme semble être une solution plausible aux enjeux écologiques, démographiques et sociaux actuels. Cela implique de renforcer la solidarité entre les acteurs d’un projet, avec l’architecte notamment, qui est le fabricant du monde de demain. Par les renforcements de ces liens, dont nous venons de montrer l’existence, l’architecte pourra élargir ses compétences, dans une relation d’échange et de partage avec ses interlocuteurs. Cela peut avoir un impact sur l’architecte lui-même, dans les rôles qu’il tient dans le projet ansi que ses réflexions personnelles.


MOA Institutions publiques

BET

Experts et consultants

Économiste

Entreprises et artisans

Modèle linéaire Modèle circulaire

Contrôleurs CT et SPS Intervalles : 1 - pas de collaboration ; 2 - collaboration minime ; 3 - collaboration moyenne ; 4 - collaboration étroite ; 5 - collaboration totale

Diagramme 2. Comparaison de l’intensité des collaborations architectes/acteurs indispensables


Quels sont impacts du modèle circulaire sur l’architecte luimême ? 14. Michel Possompès, La

fabrication du projet: méthode destinée aux étudiants des écoles d’architecture, 2013, p.201.

15. Didier Rebois et Christophe Boyadjian Discussion dans le cadre d’une conférence organisée pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité à l’ENSAL le

Maintenant que nous avons vu les impacts de l’économie circulaire sur l’environnement organisationnel du projet architectural, nous pouvons tenter de montrer que ces principes ont également un impact sur l’architecte lui-même. Dans un premier temps, il s’agira de redéfinir les rôles de l’architecte dans son métier. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons sur l’aspect réflexif du métier, et sur les modifications induites par l’économie circulaire dans la posture et les modes de pensée de l’architecte.

+ Rôles de l’architecte

04/11/2020.

16. Guillaume Duranel, Le rôle de mandataire donné aux architectes dans la consultation de 2008 sur le Grand Paris : quels effets sur les collaborations interprofessionnelles, 2020.

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Dans la partie Résultats, nous avons vu que les quatre rôles classiques de l’architecte (Dessinateur, Intermédiaire, Arbitre et Responsable), étaient également présents dans la conception circulaire. Nous avons cependant relevé un certain déplacement de ces rôles par rapport au modèle linéaire. Nous ne reviendrons pas sur les exemples donnés précédemment, mais il semble pertinent de lier la modification de ces rôles au sujet que nous traitons aujourd’hui : les réponses possibles aux enjeux environnementaux et ce que ces réponses induisent pour le métier d’architecte. Ainsi, nous pouvons, grâce à l’exemple du rôle d’intermédiaire, citer Michel Possompès : « Je dirai aussi que je reste convaincu que dans ce théâtre résiduel de toutes les contraintes à conjuguer, dans ce champ d’action créative, se loge la solution pour mettre en place les vrais dispositifs d’un développement durable… »14. Il nous partage ici son assurance quant au fait que, l’architecte, devant faire face aux multiples demandes contradictoires des acteurs l’entourant, à combiner avec des réalités spatiales et environnementales, se trouve dans une position où son rôle

de médiateur peut en réalité l’amener à chercher des solutions innovantes et durables pour trouver de nouvelles réponses à ces contraintes multiples. Didier Rebois et Christophe Boyadjian, quant à eux, indiquent que l’architecte, « liant » du projet, peut trouver des opportunités nouvelles dans ces liens, et donc soulever de nouveaux enjeux pour le métier, notamment environnementaux et sociaux15. La prise en compte de la dimension environnementale, et, plus largement dans notre propos, de la dimension circulaire, semble donc induire que les rôles classiquement attribués aux architectes sont toujours là, mais qu’ils peuvent servir des causes et des buts nouveaux, qui fabriqueront l’évolution du métier et de nos villes. De nouveaux rôles sont également ressortis de nos études de cas. Le premier, et le plus évident, est celui de porte-parole/défenseur. Dans la volonté d’imposer un nouveau modèle de conception architecturale, les architectes devront dans un premier temps faire entendre leur voix, et convaincre les acteurs dont ils s’entourent, ainsi que toutes personnes pouvant être liées au projet (les usagers par exemple), que les principes circulaires peuvent constituer une opportunité et une plus-value nonnégligeable pour le projet. L’architecte se place alors dans une position de défense de son point de vue, qu’il tente de mettre en pratique par le projet. Ce rôle de porte-parole lui vient du fait que « c’est par lui que circulent les informations au sein des groupements, et donc qu’il devient le plus à même de s’exprimer au nom de l’équipe. »16. Ainsi il peut non seulement devoir être porte-parole de l’économie circulaire au sein de son équipe, mais également l’être auprès de la société, portant et argumentant les idées réifiées par son architecture. En effet, l’architecture, si elle est conçue


avec une portée plus large que le simple fait de construire un « abris », peut être l’allégorie, la représentation physique d’une idéologie, qu’elle projettera sur le monde par son existence17. De ce rôle de porte-parole semble découler le deuxième rôle mis en avant : celui d’enseignant. En effet, comment être défenseur d’une idée novatrice si cette dernière n’est pas à la portée de tous ? L’architecte devra, dans son discours, prendre en compte les non-sachants comme une opportunité d’enseigner ses idées et ses expériences au plus grand nombre. De plus, l’économie circulaire est basée sur le principe de partage et d’entraide. Elle induit donc intrinsèquement que ces principes s’appliquent à l’architecte désireux de réaliser un projet circulaire. Ainsi, il devra, au même titre que son architecture, être un vecteur de savoirs et de connaissances. Comme le disait Marcel Lods : « Le rôle éducatif de l’architecte, c’est d’apprendre à habiter. »18. Ici, l’apprentissage de l’habiter, au sens large du terme, est celui d’un monde plus responsable, dans lequel les humains et les nonhumains pourraient prospérer pour un avenir meilleur. L’enseignement étant un rôle établi, nous pouvons lui ajouter la dimension pratique. En effet, une fois que l’architecte a pris la parole pour exprimer ses idées, tout en les explicitant, il peut avoir à devenir accompagnant. Ce rôle est facilement visible dans le travail de Lendager avec les entreprises du BTP. Ces dernières, qui, même si elles ne partageaient pas ses motivations initialement, ont pu être guidées et accompagnées dans la démarche circulaire par l’expérimentation. Lendager, ayant pris le temps de prouver de manière tangible à ces intervenants indispensables que le modèle circulaire était tout aussi bien que le modèle dans lequel ils avaient toujours évolué, a ici

enclenché un processus de réflexion chez ces entrepreneurs. Comme il le décrit, ces derniers ont par la suite fait preuve d’un enthousiasme croissant pour les projets circulaires, cherchant à participer à l’innovation architecturale à leur échelle, tout en étant accompagnés par l’expérience et les connaissances de l’architecte dans ce domaine. Nous avons donc vu que la volonté d’un changement de modèle, quel qu’il soit, peut conduire l’architecte à endosser de nouveaux rôles. Dans le cas du modèle circulaire, les enjeux liés à la prospérité de la biosphère et de l’anthroposphère font que ces rôles sont endossés par les praticiens avec plus d’intensité, et l’engagent à dépasser son champ d’action habituel. Il en arrive donc à prendre des responsabilités plus larges, auprès de plus de personnes, afin de pouvoir partager son savoir et ses expériences avec autrui, et pas seulement pendant le déroulé de l’opération de construction. Ces nouveaux rôles qui découlent de l’économie circulaire sont en réalité des missions constantes. C’est ainsi que Grégoire Bignier, exemple significatif du rôle d’enseignant, profite des ses projets architecturaux pour animer de nombreaux séminaires, conférences ou workshops. Il partage ses connaissances et acquis sur le sujet de manière active, en parallèle de l’écriture de plusieurs ouvrages, rendant la connaissance et le changement de paradigme accessibles à tout moment, et pour tous. Dans la partie suivante, nous approfondirons la recherche d’impacts sur l’architecte, en entrant par la dimension plus personnelle de ce métier. Grâce aux résultats trouvés et d’autres apports théoriques, nous tenterons donc de répondre aux questions suivantes : quelles valeurs met-il en avant, quelles visions partage-t-il, ou encore dans quel but et pour qui pratique-t-il ce métier ?

17. Joseph Mecarsel, Thèse Architecture et présence : entre idée, image et communication, 2014, p.13.

18. Cité par Gérard Ringon dans

Histoire du métier d’architecte en France, 1997.

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+ Élargissement de son champ de compétences

19. Marc Bigarnet, Discussion dans le cadre d’une conférence organisée pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité à l’ENSAL le 04/11/2020.

20. Didier Rébois, Discussion dans le cadre d’une conférence organisée pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité à l’ENSAL le 04/11/2020.

21. Norbert Alter, cité par Philippe Deshayes, Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement, 2012.

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Comme nous l’avons vu précédemment, l’architecte pratiquant la circularité aura à s’entourer de plus d’acteurs, dans des domaines variés, et de manière plus intense. Nous avons également vu que cela avait un impact sur les rôles qu’il devait jouer pendant le processus architectural, et donc sur les relations qu’il doit entretenir avec les différents intervenants. En cherchant encore plus loin, il semble que ces différents faits induisent également un impact sur l’architecte lui-même : l’élargissement de son champ de compétences. L‘économie circulaire permet d’élargir la vision du concepteur par rapport au modèle linéaire : dans un monde où le bâtiment est conçu pour être tourné sur lui même (en terme de flux et de visibilité), la discussion avec d’autres sachants pouvant enrichir le projet est souvent mise de côté par les commanditaires, et donc par les architectes19. L’ouverture à d’autres domaines d’expertises et au partage d’informations avec des corps de métiers différents peut avoir comme support le projet architectural si celui-ci est conçu dans un modèle circulaire. Didier Rebois, dans une idée encore plus affirmée, soulève que : « Lorsque l’on s’associe avec des gens compétents on acquiert leurs compétences. »20. Prenons l’exemple du projet Réinventer la Seine, l’association avec les établissements d’enseignement supérieur a permis à Bignier d’interagir avec des étudiants de divers domaines, il a ainsi pu, en échange de son partage de connaissances sur le modèle circulaire, intégrer de nouvelles informations dans son processus de conception. Il a donc notamment pu élargir ses connaissances dans les domaines de l’ingénierie agronome (Agrocampus Ouest), ainsi

que dans l’économie et la politique (Essec et Sciences-Po Paris). Lendager a, quant à lui, intégré de nouvelles connaissances dans le domaine de la sociologie de l’habiter, afin de parvenir à une proposition architecturale capable d’évoluer avec les modes de vie de ses habitants. Cette nécessité d’élargir son champ de compétence semble venir du fait que, aujourd’hui, nous faisons face à des enjeux sociaux (démographie, densité, mixité) et environnementaux inédits. L’architecte n’a donc généralement pas eu la formation adéquate sur ces sujets contemporains, et peu vite se retrouver désemparé face à la multitude d’enjeux pour lesquels il doit trouver des solutions. Nous pouvons également voir ce fait comme une possibilité d’évolution enrichissante, car l’innovation architecturale se doit de passer par l’innovation dans les pratiques et les collaborations : « L’innovation [...] est de plus en plus conçue comme un facteur d’accélération de la dynamique économique et sociale, produisant des capacités d’adaptation et de mobilisation »21. Ainsi, la capacité à élargir son champ de compétences devient une nouvelle compétence en soit, nécessaire pour saisir la complexité des enjeux auxquels les architectes doivent faire face aujourd’hui. Nous terminerons sur l’intérêt qu’il y a à faire un lien entre cette partie et les parties traitant de l’augmentation du nombre d’acteurs nécessaires et de l’intensité des leurs échanges. Ces sujets, évoluant dans des champs différents (opérationnel et personnel) ne peuvent ici pas être dissociés. Nous ne pouvons également pas dire lequel est l’effet de l’autre. Il semblerait que la nécessité de trouver des réponses dans des domaines que l’architecte ne maîtrise pas entraîne un besoin de s’entourer de plus d’acteurs et de manière plus intense, et que cela entrainerait


finalement un élargissement du champ de compétences de l’architecte, qui resterait cependant faible à l’échelle de tout ce qu’il a à apprendre. C’est donc une boucle fermée, qui se répètera à chaque nouveau projet.

+ Question de la temporalité Notamment au travers du projet Upcycle Studios, nous avons vu que l’architecture tente de spatialiser l’habiter à un moment donné, en laissant la possibilité de son évolution si nécessaire. Ici, nous parlons donc de temporalité dans le sens de l’évolution des besoins liés aux activités quotidiennes d’un habitant, ainsi que des besoins liés aux grandes phases de la vie dans lesquelles il peut se trouver. Bignier, dans son projet, nous amène à voir un autre sens à la question de la temporalité : « la durabilité d’un ouvrage n’est pas sa capacité à résister aux intempéries, mais celle de s’adapter à un métabolisme fondé sur une double approche économique et écologique »22. Ici nous parlons donc d’une temporalité qui voit plus loin que la vie de l’usager, qui se rapporte plutôt à l’environnement et à l’adaptation dont devra savoir faire preuve une architecture ne prétendant pas être figée dans le temps auquel elle a été construite. En effet, l’économie circulaire, dans sa ressemblance avec les écosystèmes, transforme l’architecture en objet dynamique, car si il est statique, alors il ne sera pas capable de répondre aux nouveaux enjeux auxquels nous devrons faire face dans plusieurs années, et deviendra obsolète. Cette obsolescence signifierait une rupture dans les boucles dans lesquelles elle s’inscrit. Ainsi, l’architecture revêt une dimension spatiale et temporelle. Alain Guez voit plus loin en parlant

d’«une possible anthropométrie du temps à travers l’architecture.»23, signifiant le fait que l’architecture définit les caractéristiques de l’Homme à travers le prisme du temps. Si la société était amenée à évoluer, ses citoyens aussi et par la même occasion le bâti dans lequel ils évoluent. Didier Rebois complète cette pensée en affirmant que la première étape pour faire de l’architecture durable et résiliente est d’accepter que l’environnement de nos projets est constitué d’éléments stables, mais également de beaucoup d’éléments moins stables (le climat, la culture, le biotope, la démographie, le niveau de vie, etc.). L’architecture se trouverait donc transformée, car la spatialité deviendrait plus importante que la forme. Pour l’architecte, la manière de spatialiser le temps se verrait ainsi modifiée. Nous pouvons donc lier cette nouvelle prise en compte de la temporalité au fait que l’architecture circulaire emprunte le caractère éphémère de ce modèle. L’impermanence devient donc une caractéristique de l’architecture, si celle-ci a pour ambition de s’inscrire dans un métabolisme urbain résilient. La modification des rôles de l’architecte peut être liée à ses réflexions personnelles, qui peuvent elles-mêmes être élargies par la collaboration. Cette collaboration tentera de prendre en compte suffisamment de dimensions (dont le temps et l’espace) pour mener à bien un projet respectueux de la biosphère. Seulement, les convictions et modes de pensée de l’architecte sont également liées à la vision qu’il a du monde et de sa place dans ce dernier, vis-à-vis de tout ce qui constitue son environnement autant professionnel que personnel. Nous entrons donc ici dans le dernier «niveau» d’analyse, où nous observerons des dimensions bien plus profondes et liées à l’être humain qu’est l’architecte.

22. ; Grégoire Bignier, Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p. 99.

23. Alain Guez, Le travail du temps dans le projet architectural et urbain, 2009.

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+ Vision du monde et de son métier

24. Grégoire Bignier, Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p.45.

25. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.24.

26. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.135.

27. Marc Bigarnet Discussion dans le cadre d’une conférence organisée pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité à l’ENSAL le 04/11/2020.

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Intégrer les principes de l’économie circulaire peut induire un changement profond dans la vision de l’architecte, autant du monde qui l’entoure que de son métier.

Remise en cause du monde dans lequel il évolue L’économie circulaire, dans son fonctionnement, induit la nécessité d’une proximité entre ses opérateurs, ainsi qu’un système d’échange raisonné et conscient des enjeux environnementaux. Ce modèle, aujourd’hui en opposition avec l’organisation linéaire dans laquelle nous évoluons, s’il venait à devenir notre nouveau modèle sociétal, induirait des changements profonds dans le fonctionnement global de nos villes. Bignier le décrit même comme « une rupture historique de la culture urbaine »24. La compréhension des avantages de la circularité passe donc par la remise en cause du monde dans lequel nous évoluons actuellement. En effet, pourquoi chercher un nouveau modèle si celui dans lequel nous évoluons fonctionne ? Or, il semble que nous avons pu démontrer dans la première partie de ce travail de recherche, que le fonctionnement linéaire a de nombreuses limites, et n’est plus adapté pour répondre aux enjeux contemporains (Citation 1.). Lendager va même plus loin dans ce conflit avec le fonctionnement actuel : « J’ai décidé de lancer Lendager Architects puis L’engager Group comme rébellion contre l’industrie traditionnelle, et comme une opportunité de faire les choses différemment. Je sais que j’ai fait le bon choix. »25. Bon choix ou non, nous ne pouvons nier la volonté de

révéler au grand jour les limites de nos sociétés contemporaines, et d’utiliser l’architecture, notre domaine d’action, comme un levier de changement face à ce monde qui semble n’avoir que peu de perspectives d’avenir à nous offrir.

L’architecture comme levier d’action Remettre en cause l’organisation actuelle de nos sociétés et de nos villes peut aujourd’hui être chose facile. Cependant, si nous voulons critiquer ce modèle, il nous faut proposer des solutions pour le compléter ou le remplacer. L’architecte, bâtisseur du monde de demain, et conscient des enjeux environnementaux, peut voir son métier comme un levier de changement considérable. Quoi de mieux que transformer les objets supports de nos villes pour instiguer le changement dans nos environnements urbains et donc dans nos sociétés ?26 Si l’architecte révolté veut réifier l’économie circulaire par son travail, il faut qu’il prenne conscience de l’opportunité que ce dernier présente. En effet, comme Marc Bigarnet l’a précisé lors de notre échange : «[Le concept de l’économie circulaire] donne des informations sur comment illustrer le projet, lui donner une échelle ou des échelles, trouver son caractère. Mais ce concept en lui-même n’est pas le moteur de la spacialité. [...] Cela peut être une donnée d’entrée importante pour la conception.»27. Il défend ainsi le fait que l’architecte intégrant la circularité dans ces projets, reste tout de même l’initiateur, le moteur du changement, par son dessin. L’économie circulaire est donc un axe de réflexion important, mais doit être matérialisé pour révéler tout son potentiel. L’architecture doit donc être un levier du changement. Cela révèle que l’architecte peut trouver une nouvelle vision de son propre travail par la remise en question du monde qui l’entoure (Citation 2.).


« Dans un monde ou la seule constante est le changement, organiser la chaine de conception par rapport à des normes ne nous permettra pas d’avoir l’agilité et l’adaptabilité suffisante pour survivre à la 4ème révolution industrielle. » Anders Lendager

« En définitive, être architecte du monde (statut que ne valide aucun diplôme), c’est donner une hiérarchie à ces actions à l’occasion de la conception du projet, c’est-à-dire de déterminer à partir de quel dispositif une réconciliation est possible entre tout ce qui devrait être normalement insécable.» Grégoire Bignier

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28. Cité par Andréa Wulf dans The forgotten Father of Environmentalism,

+ Pour qui et pour quoi exercer ce métier

2015.

29. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.149.

30. Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, p.164.

31. Grégoire Bignier, Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p.100.

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Prise en compte globale, dans toutes les dimensions L’approche circulaire, dans ses principes, appelle à un point de vue hollistique (Citation 1.). L’architecte soucieux d’écologie doit arrêter de voir les ressources, les bâtiments et les villes comme des entités singulières, et commencer à les regarder comme des parties d’un système plus large. Nous devons voir la ville comme un organisme vivant, comme Alexander Von Humboldt l’a fait en introduisant une nouvelle compréhension de la planète comme un grand organisme, et en rejetant la vision de la nature comme machine28. Il est important pour l’architecte de comprendre que, si les bâtiments sont la pour mettre en avant le potentiel de transformation, ils doivent avoir un but plus grand que leur intention auto-centrée. Si nous voulons réussir à créer une société durable, nous devons également créer la cohésion sociale et environnementale. Lorsque le praticien commence à voir une image élargie de son métier, et à relier les points entre eux - autant les citoyens, que les matériaux, les bâtiments, l’écosystème environnant, ou le monde - c’est à ce moment que les synergies apparaissent29. L’architecture circulaire élargit la vision et le champ d’action de l’architecte. L’espace dans lequel nous nous développons, s’il est pris d’un point de vue circulaire, est hybride. Il est généré par différentes préoccupations (spatiales, politiques, sociales, environnementales). Cela en fait donc un objet complexe. Bignier prend l’exemple simple de l’ilôt Hikari à Confluence, composé de 3 bâtiments (bureaux, logements, commerces) : par l’analyse des cycles de vie différents,

une mutualisation des ressources, une production d’énergie renouvelable, et une gestion des flux au sens large (humain, énergie, déchets), ont permis à ces trois entités architecturales de s’inscrire de manière plus évidente dans leur environnement. Il ne faut plus voir le bâti comme un simple objet tourné vers lui-même, mais plutôt comme étant l’une des entités d’un tout qui le dépasse, mais dont il peut être le moteur d’amélioration et de prospérité.

Liens entre biosphère et anthroposphère D’après Lendager, la recherche d’une compréhension de l’économie circulaire l’a amené à certaines conclusions sur le but de son métier. L’une d’elle étant que nous devons revoir fondamentalement comment nous construisons et gérons nos villes. Nous devons repartir à zéro dans le métabolisme urbain, et réinventer un système dans lequel les villes et ses habitants n’ont pas à vivre aux dépends de l’économie, mais en harmonie avec la nature30. Bignier partage cette conclusion, et en fait d’ailleurs un argument majeur de son livre : « L’architecture est incapable de se donner son propre sens si elle ne relève pas les enjeux politiques actuels (climat, démographie). Elle doit se redéfinir comme une organisation hybride et articulée à partir d’un collectif d’humains et de non-humains.»31. Cela lui a permis de résumer son devoir en trois buts : préserver la biosphère des conséquences du monde (l’inclure comme acteur des boucles) ; conforter le métabolisme naturel (quel génie civil pour quelle écologie ?) sans prétendre l’améliorer ; rembourser notre dette à la biosphère. Cela implique donc pour l’architecte s’essayant à l’économie circulaire, de mettre la biosphère au même niveau que l’anthroposphère dans ses préoccupations, l’une ne pouvant aujourd’hui être détachée de l’autre.


1. Reach for the stars L’innovation ne doit pas faire de compromis sur la qualité, l’esthétisme ou le prix 2. Local is global L’innovation doit utiliser les ressources locales 3. Be the solution L’innovation doit avoir un impact positif sur la société 4. People Matter L’innovation doit être socialement durable en respectant et en engageant des individus de tous les groupes ethniques et de toutes les classes sociales 5. City is nature L’innovation doit respecter et améliorer la biodiversité de l’environnement 6. Body Language L’innovation doit se voir comme une partie d’un métabolisme plus large, prenant tous les ressources en compte, contribuant et interagissant avec elles.

Manifeste de Lendager pour la conception architecturale circulaire

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Nous avons donc montré, par l’analyse de nos études de cas et des apports théoriques supplémentaires, que les impacts de l’intégration des principes de l’économie circulaire sur l’architecte sont bien réels, et représentent, dans les formes qu’ils prennent, les principes de cette dernière. Ils sont liés, d’une part à la recherche d’une meilleure réponse aux enjeux environnementaux, et d’autre part, aux principes mêmes du métier d’architecte et de sa responsabilité visà-vis de ces enjeux. Ces impacts sont de deux ordres : - Ils sont à l’origine de changements notables dans l’environnement de projet, que ce soit par des ajouts d’acteurs ou par une intensification des relations de l’architecte avec ces derniers ; - Ils induisent également une modification profonde de son rôle en tant qu’acteur du projet, ainsi qu’une évolution de sa réflexion personnelle concernant le monde qui l’entoure, le métier qu’il exerce ou encore les raisons qu’il a d’exercer ce métier ;

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L’économie circulaire, de part les principes que nous avons développés dans la première partie, semble avoir un impact inévitable sur tout corps de métier cherchant à s’en emparer. Nous avons ici développé l’impact sur les architectes, ainsi que sur quelques autres acteurs du projet, comme les entrepreneurs ou les villes. Cependant, cette modification de la manière de vivre dans la société actuelle et d’exercer son métier, pourrait tout autant toucher des agriculteurs, que des enseignants ou des médecins. C’est bien là une chose que nous avons retenu de ce travail de recherche : l’économie circulaire se doit de tout englober, d’inclure tout humain et non-humain, en prenant en compte tous les domaines qui composent l’anthroposphère comme la biosphère, et en révisant notre manière de faire la ville et la société.

Nous avons tenté de valider nos hypothèses d’impacts de l’économie circulaire de la manière la plus claire et la plus méthodique possible. Le passage par des études de cas, et notamment par la lecture d’ouvrages, induisent autant d’avantages que d’inconvénients pour la véracité de notre recherche. Nous allons donc maintenant tenter de remettre en perspective nos résultats et les constats que nous en avons tirés, en présentant les limites de notre étude (corpus, méthodologies, traductions graphiques), autant sur l’aspect opérationnel que sur l’aspect personnel des modifications observées. À la suite de la présentation de ces limites, nous réaliserons une discussion autours des résultats présentés précédemment et de leur véracité à la suite de cette remise en question. Cela nous permettra finalement de présenter quelles sont les perspectives d’évolution de ce sujet : économie circulaire comme nouveau modèle, utopie, perspectives d’évolution de l’architecture et du métier d’architecte.


Discussion et limites de l’étude

+ Limites de l’étude opérationnelle Nous allons maintenant tenter de remettre en question l’étude oppérationnelle de ce devoir, concernant donc la partie établissement des acteurs récurrents dans un projet, ainsi que celle traitant des temporalités et de l’intensité des collaborations, dans les modèles linéaires et circulaires.

Modèle linéaire Le modèle représentatif de l’architecture linéaire classique, présenté dans la partie 2.2, a été établi à l’aide d’un corpus théorique, certes fourni, mais ne présentant pas les mêmes possibilités de résultats que l’analyse d’études de cas. Le sujet de notre travail n’était pas de chercher à établir un modèle classique, mais d’établir un modèle circulaire. Ce modèle classique nous a servi de support de comparaison mais ne présentait pas en soit de réelles innovations réflexives au vu de tout le travail déjà réalisé sur ce sujet. Ainsi, le choix a été fait de ne pas passer par une étude de cas pour ce premier modèle. Cependant, deux critères méthodologiques ont été respectés pour tenter d’atténuer cette limite : - le premier a été de ne pas utiliser les résultats précis trouvés dans les études de cas circulaires, mais de tenter de les généraliser pour établir des données de la même précision que celle trouvées pour le modèle linéaire. Par exemple, les acteurs ont été regroupés en catégories d’intervenants, afin de ne pas utiliser la précison des acteurs identifiés pour comparer nos deux modèles. Au contraire, nous avons tenté de créer ces catégories d’acteurs à partir des similitudes et donc des intervenants communs aux deux études de cas

circulaires ; - le deuxième a été d’également prendre en compte des apports théoriques, ainsi que des informations extraites d’entretiens réalisés avec d’autres professionnels, pour établir les modèles circulaires, afin de contre-balancer l’aspect «pratique» et particulier des études de cas ;

Facteur géographique et administratif Un biais que nous pouvons retrouver dans notre comparaison entre le modèle lnéaire et les études de cas circulaires, est que l’une d’entre elle prenait place au Danemark. Ce facteur peut influencer notre comparaison dans le sens où, au Danemark, les législations sur les opérations de construction sont différentes. Il est plus facile et répandu d’intégrer les entreprises au début de la phase conception qu’en France. Le pays en lui-même est également plus ouvert sur les questions circulaires. Trois points sont à mettre en avant pour comprendre en quoi ce biais a pu être atténué lors de nos analyses : - L’étude de projet circulaire induit inévitablement que la question des ressources pour les matériaux de construction se pose. Étant un axe majeur du modèle économique circulaire, même dans la législation française, il semble possible de dire que ce facteur est donc un résultat inhérent au sujet étudié. Il aurait donc été tout à fait possible que ce dispositif prenne place dans un projet français (fait corroboré avec notre entretien avec Minéka) ; - Même si les opérations de construction en France se déroulent généralement avec des procédures d’appel d’offres, d’autres procédures sont possibles, comme la conception-construction, qui permet d’intégrer les entreprises au même stade que ce qu’Anders Lendager a pu faire32 ; - Le Danemark, même s’il semble plus

32. Isabelle Chesneau, Profession Architecte, 2017, p.223.

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ouvert sur les principes de la circularité, reste tout de même à un stade peu développé d’intégration de ces principes dans le pays. Comme nous l’avons vu avec les difficultés rencontrées par Anders Lendager pour faire valider ses nouveaux dispositifs auprès des institutions publiques, la complexité de mise en place de réelles actions est en réalité tout aussi compliqué qu’en France.

Étude de cas n°2 L’étude de cas n°2, présentant des avantages descriptifs non-négligeables pour la partie définition des acteurs principaux. Cependant, c’est un projet qui a été réalisé dans le cadre d’un concours, qu’il n’a pas remporté. L’étude des interventions des acteurs sur les phases DCE et Chantier a donc été impossible. L’intérêt de créer un modèle commun au deux études de cas a permis d’atténuer cette problématique. Cependant, une étude de cas supplémentaire aurait pu permettre de baser nos résultats concernant ces deux phases sur deux projets plutôt qu’un.

Frises chronologiques et temporalités Lors de l’établissement des frises chronologiques, nous ne disposions pas de données chiffrées en terme de durée exacte d’intervention des acteurs (seulement en terme de nombre de phases). C’est pour cela que la comparaison des résultats présentée dans la partie 3.1 n’a pas été exprimée en terme de pourcentages ou de rapports de temps chiffrés. Nous avons fait des estimations «grossières» afin de pouvoir tout de même construire nos diagrammes comparatifs, tout en n’allant pas plus loin que ce qui était permis par la précision des informations étudiées. L’avantage était cependant que ce manque de données chiffrées 100

était le même pour les modèles linéaires et circulaires.

+ Limites de l’étude personnelle Biais cognitif à la lecture d’ouvrages complets Le corpus d’étude pour l’établissement des modèles et des impacts a été majoritairement composé des deux ouvrages étudiés pour ce devoir : A changemarker’s guide to the future, de Anders Lendager, et Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, de Grégoire Bignier. Nous avons trouvé nos deux études de cas dans ces ouvrages. Nous avons donc pu avoir accès à une quantité conséquente d’écrits. Cela a donc pu influencer la compréhension des parties écrites relatives uniquement aux deux projets étudiés. Cette limite ne s’applique pas aux parties 3.3.2 et 3.3.3, car ce sont toutes les informations recueillies dans les ouvrages qui nous ont incitées à inclure ces résulats dans notre recherche. La compréhension de la pensée globale des deux auteurs était donc nécessaire. La recherche de cette pensée globale a, cependant, peut-être mené à une extrapolation de certaines informations écrites qui relevaient uniquement de l’apport pratique des projets étudiés.

Limites quant au choix des deux agences circulaires Comme nous l’avons précisé dans l’avant-propos, la méthodologie prévue initialement devait intégrer deux agences ayant réalisé au moins un projet répondant aux critères de l’économie circulaire. Ces agences, n’ayant pas toujours travaillé avec ces principes, auraient pu avor un regard


critique sur les impacts personnels annoncés. En effet, leur vision neuve de l’architecture circulaire aurait permis de différencier par eux-mêmes les impacts personnels liés à la simple pratique de leur métier, quel que soit le modèle, et les impacts réellement issus de la pratique circulaire. Les études de cas présentées aujourd’hui ont été réalisées par des architectes s’inscrivant depuis longtemps dans des principes circulaires. Nous avons tenté de contrebalancer ce biais en liant les impacts avec les enjeux environnementaux et sociétaux actuels, afin de justifier de leur «nouveauté» dans la conception architecturale française, aujourd’hui encore très linéaire.

+ Discussion À la suite de l’énnoncé de ces limites, nous pouvons considérer que, malgré certains biais liés notamment aux changements de corpus et de méthodologie d’étude de dernière minute, ce nouveau corpus nous a permis de présenter des résultats inattendus et qui se sont imposés d’eux-mêmes. La lecture et l’étude de deux ouvrages complets ont permis à ce travail d’élargir les résultats qui devaient être initialement cantonnés à deux études de projets circulaires. La dimension ajoutée, qui est celle de l’évolution des réflexions personnelles de l’architecte nous a permis de saisir d’autres aspects, d’autres échelles de rapports entre économie circulaire et architecture, mais également de comprendre en quoi ce lien change toute notre vision du monde à construire et de notre métier. Même si les études de cas présentaient certaines limites, elles nous ont permis de clarifier des points importants du rapport entre architecture et économie

circulaire. Ainsi, malgré des résultats qui n’ont pas tous la même légitimité (notamment pour les raisons présentées précédemment), ces derniers nous ont amené des pistes intéressantes pour traiter de ce sujet. Nous ne prétendons pas avoir révélé tous les impacts possibles, ni même avoir démontré la véracité totale de chacun des impacts énoncés. Ces axes de réflexion restent cependant un point de départ intéressant, pour développer et étoffer l’analyse des liens entre architecture et circularité. Nous conclurerons cette discussion avec un aspect un peu plus personnel. Le sujet de l’économie circulaire, découvert pour la première fois lors de la rédaction du rapport d’étude de Licence 3, est un sujet qui semble pour le moins surprenant. Surprenant dans le sens où, plus nous avançons dans les recherches et les lectures sur ce sujet, plus nous pouvons découvrir des axes de réflexion inattendus et semblant fondamentalement pertinents. L’écriture de ce mémoire nous a permis d’approfondir d’autant plus ces recherches, et de les lier à la question architecturale. Il semble fascinant comme tout argument de l’économie circulaire semble pouvoir s’appliquer au domaine architectural. La lecture des ouvrages étudiés offre une ouverture vers une réflexion croisée, multidisciplinaire et à différentes échelles. En tant qu’étudiante en architecture, ces apports semblent aujourd’hui indispensables pour comprendre le monde qui nous entoure et construire une réflexion architecturale pertinente. C’est dans cette idée que les nombreux principes découverts durant ce travail de recherche permettrons de nourrir le PFE. Nous concluerons sur le fait que cette compréhension personnelle plus profonde du sujet semble être la suite logique, si ce n’est l’argument ultime, 101


de la justifcation des nouveaux rôles de l’architecte, présentés lors de nos analyses. Lendager et Bignier ont été, au travers de leurs ouvrages et projets, des porte-parole, des enseignants et des accompagnants dans l’acquisition de la vision d’un modèle alternatif, résilient, durable et pertinent pour le monde demain. Il semble que nous pouvons donc dire que leurs rôles ont au moins pris du sens dans ce travail de recherche, qui, guidé par un espoir peutêtre naïf, mais pas moins noble, pourra à son tour servir de support de partage et de réflexion.

102


Conclusion

Cette dernière partie a été le lieu de l’analyse comparative des résultats trouvés dans la seconde partie du devoir. À partir de la mise en commun des résultats des deux études de cas, nous avons pu réaliser une étude comparative entre le modèle circulaire et le modèle linéaire. Ces comparaisons ont été le support de développement d’une réflexion sur les causes et les conséquences potentielles des modifications observées entre les deux modèles. Les modifications observées étaient de deux ordres. Pour ce qui est de l’ordre opérationnel, nous avons mis en avant que les nouveaux acteurs indispensables apparaissant dans le processus de conception ainsi que l’étroitesse de leur collaboration avec l’architecte étaient notamment liés à la néccessité de s’entourer de personnes compétentes dans tous les domaines pouvant graviter autours des principes circulaires. Les collaborations intenses qui ont été observées étaient notamment le résultat d’une prise en compte plus profonde des enjeux liés à la construction résiliente et plus respectueuse de l’envirronnement. Pour traiter de l’ordre personnel, nous avons, dans un premier temps, pu observer que les quatre rôles attribués habituellement à l’archiecte l’étaient également dans la conception circulaire, mais avaient subi quelques modifications. La plupart de ces changements sont dûs au fait que l’économie circulaire, prenant en considération autant les usagers, que les entités politiques ou la biosphère, a induit l’architecte à créer plus de connexions avec des tierces personnes ou entités, pas forcément impliquées directement dans le processus de projet, et généralement pas du tout impliquées dans le processus linéaire classique. Nous avons également pu chercher

plus loin dans le domaine personnel, en s’intéressant à des questions de points de vue, de convictions ou encore de modes de pensée. Les études de cas étudiées étant issues d’ouvrages complets sur le modèle circulaire en architecture, nous avons pu en extraire des modifications liées aux compétences personnelles de l’architecte, ainsi que le courant de pensée dans lequel il souhaite inscrire son travail. Enfin, et de manière inattendue, nous avons vu se dessiner des récurrences dans le discours des deux architectes. Celles-ci nous ont permis d’engager une discussion sur l’opinion qu’a l’architecte vis-à-vis du monde dans lequel évolue, et donc de son rôle, sa place dans ce monde. Nous terminerons cette partie sur l’évidence qui nous est apparue à la comparaison de leurs discours. Ces évidences ont été que, par le biais du lien entre économie circulaire et architecture, les auteurs ont engagé des réflexion sur les motivations profondes animant l’architecte praticien, notamment en abordant les sujets de «Pour qui ?» et «Pourquoi ?» exerce-t-il ce métier.

103


...

CONCLUSION

Discussion générale Perspectives d’évolution L’éthique et l’objet 104


Nous voulions déterminer comment l’intégration des principes de l’économie circulaire au processus architectural pouvait induire une modification du métier d’architecte. Pour cela, nous avons exposé en premier lieu les définitions des deux termes majeurs de notre sujet : l’économie circulaire et le processus architectural. Ces définitions données, nous avons posé quatre hypothèses majeures, qui ont guidé le développement de ce travail. La première était que l’architecte, concepteur des villes de demain, avait son rôle à jouer dans l’évolution du fonctionnement de nos sociétés, de part l’implication de son secteur dans les problématiques environnementales. Notamment au travers de sa responsabilité vis-à-vis de nos écosystèmes et de ses habitants, son métier est aujourd’hui autant une histoire de spatialisation d’un besoin précis et singulier, qu’une nouvelle pierre ajoutée à l’édification de notre monde, dans sa globalité. Nous voyons donc ici le lien entre architecture et réponse aux enjeux actuels. Cela a été prouvé notamment grâce à la présentation des nombreux objectifs récemment imposés au secteur du bâtiment, ainsi que la définition même du métier d’architecte. L’hypothèse suivante était que les caractéristiques récurrentes d’un processus de conception peuvent être généralisées dans un modèle-type correspondant à l’architecture linéaire. Ces caractéristiques, dont nous avons prouvé l’existence grâce à l’analyse combinatoire d’un corpus théorique, se sont révélées de trois ordres : les acteurs indispensables, les temporalités et l’intensité récurrentes des interactions entre ces acteurs et l’architecte, et enfin, le rôle de l’architecte dans le processus de projet. Nous avons donc établi le

modèle-type prévu, et cela nous a permis de mieux cerner la définition du terme de processus architectural, et de ce qu’il signifie lorsque l’on étudie la pratique du métier d’architecte. Comme nous l’avons présenté au travers de la recherche de la validation de la première hypothèse, il semble aujourd’hui nécessaire de repenser les métabolismes urbains, dont les architectures sont les supports, et donc, dont les architectes sont les prochains mandataires. Au vue des enjeux environnementaux actuels, nous savons maintenant que la pratique architecturale devra évoluer si elle veut tenter d’être l’accompagnante, si ce n’est l’instigatrice, d’un changement de paradigme visant à faire évoluer nos sociétés vers un modèle plus durable, résilient, et respectueux de l’anthroposphère autant que de la biosphère. La réponse à la première hypothèse a également permis de présenter un nouveau modèle qui permettrait de répondre à ces nécessités : l’économie circulaire. Nous avons donc, à ce stade, évoqué et tenté de définir tous les concepts présents dans notre problématique, et leurs liens avec les enjeux actuels, ainsi qu’avec la question de l’évolution de la pratique architecturale. Le lien entre modèle économique et architecture ayant également été établi au travers d’exemples historiques et actuels, nous avons pu voir que la modification du modèle économique induit une évolution des architectures composant ses villes. Ici, l’économie circulaire devenant une possibilité plausible de réponse à nos enjeux, aurait donc un impact sur nos bâtis, et, a fortiori, sur la manière de les concevoir et de les dessiner. 105


106

Nous en arrivons donc à notre troisième hypothèse, qui statuait qu’un modèletype était également capable de généraliser la pratique architecturale circulaire, et que ce dernier serait différent du modèle d’architecture linéaire. Afin de montrer la validité de notre hypothèse nous avons utilisé une méthodologie d’analyse comparative entre deux études de cas : le projet Upcycle Studios, de Anders Lendager, et le projet pour le concours Réinventer la Seine, de Grégoire Bignier. La mise en commun des résultats de l’analyse de ces projets nous a permis d’établir les caractéristiques du processus architectural circulaire. Ce processus présentait quatre différences majeures avec le modèle linéaire : des nouveaux acteurs se sont ajoutés à la liste des acteurs indispensables trouvés dans les projets linéaires, notamment les institutions publiques et les experts et consultants ; l’occurrence et l’étroitesse de la collaboration avec ces derniers étaient plus importantes, majoritairement avec les entreprises et artisans ; de nouveaux rôles ont été attribués à l’architecte, notamment les rôles d’enseignant, de porte-parole, et d’accompagant ; l’architecte cherchant à faire du projet circulaire voit sa propre personnalité et ses modes de pensée s’élargir vers d’autres horizons. Ces résultats, censés présenter les modifications que nous recherchions, ont été remis en perspective avec deux entretiens que nous avons réalisé. Le premier était avec Didier Rebois, secrétaire général d’Europan, qui nous a apporté une dimension supplémentaire : l’évolution de la réflexion architecturale par la pratique au sein des concours. Marc Bigarnet et Christophe Boyadjian, praticiens engageant des réflexions sur les métabolismes urbains, ont également participé à cette discussion. Nous avons par la suite réalisé un entretien avec l’association Minéka, engagée dans la

récupération des déchets de démolition, et pouvant nous apporter une visions opérationnelle extérieure. Ces entretiens nous ont permis d’avoir un point de vue théorico-pratique, lui-même remis en perspective par des écrits théoriques sur le sujet de l’évolution de la pratique architecturale. La combinaison de ces différents apports a permis une réflexion à toutes les échelles et avec différents points de vue. Nous avons donc pu assoir la légitimité des résultats trouvés après l’analyse des études de cas, notamment en tentant de les expliquer par la mise en lien avec les principes circulaires, mais également avec la nécessité de réponses aux enjeux actuels. La pratique architecturale est une représentation spatiale d’idées mentales. Ces idées, initiées par une commande, sont celles que l’architecte porte en lui. La dimension plus personnelle de la pratique du métier d’architecte nous a permis de mieux comprendre les modifications d’ordre opérationnel que nous avions observés. En effet, les enjeux actuels auxquels nous faisons face sont relativement nouveaux à l’échelle de notre société, ainsi, la nécessité de prendre en compte des nouvelles dimensions dans les projets, comme des dimensions sociales, environnementales, culturelles ou temporelles, incitent les architectes à élargir leur champ de compétences (impact personnel). Ils ont donc besoin de s’entourer de plus de sachants dans les différents domaines qu’ils ne maîtrisent pas, et de manière plus intense dans la dimension collaborative (impact opérationnel). Il semble donc que nous avons pu montrer qu’une pratique circulaire induit un changement dans les modes de pensée de l’architecte, et donc dans sa manière de faire le projet. Cela semble être tout autant une cause qu’un effet d’un changement de la vision de l’architecte.


Nous traiterons ce dernier niveau d’analyse de manière plus précise, car il semble être une piste de réflexion intéressante pour une recherche plus approfondie. Il représentait la recherche de la validation de notre dernière hypothèse, qui s’est imposée d’ellemême durant nos analyses péliminaires : les impacts de l’économie circulaire observés dans le processus architectural sont issus d’un changement profond dans les convictions de l’architecte, ainsi que dans sa manière de trouver sa place dans notre monde, autant dans sa vie personnelle que dans les raisons qu’il a d’exercer son métier. Les différents faits que nous avons exposés dans les deux premières parties semblent se rejoindre dans des champs de réflexion communs autours de la question de l’évolution du métier d’architecte. Ces faits, ici établis par le prisme de la circularité, sont en réalité un cheminement personnel bien plus conséquent que ce que ne pourrait contenir ce travail de recherche. En effet, nous avons mis en lumière des modifications dans les convictions du praticien, mais également les origines de ces convictions. Ces modifications ont été révélées par l’étude approfondie et globale des textes écrits par nos deux architectes pratiquant l’architecture circulaire, nous arrivons donc à la partie subjective de ce devoir. Cette subjectivité pourrait présenter certaines limites dans une recherche scientifique, mais elle semble ici être en réalité un point de départ intéressant pour tenter de comprendre les réflexions personnelles intrinsèques à tout architecte. Pour un architecte cherchant à s’inscrire dans une démarche circulaire, il devra, dans un premier temps, faire un travail difficile de remise en cause du monde dans lequel il évolue. Il est facile de critiquer notre modèle sociétal, mais il l’est moins de comprendre quelles sont

les raisons profondes de son incapacité à répondre aux enjeux actuels. Il est tout aussi difficile de prendre conscience du réel rôle que l’architecte aura à jouer dans l’établissement du monde de demain. Si cette prise de conscience n’a pas vu le jour, alors l’architecte, malgré tous ses efforts, ne pourra prétendre faire suffisamment pour trouver des solutions aux maux de notre société et de notre planète, car il n’en comprendra pas les enjeux. Cela est problématique au vue de la démonstration que nous avons faite de l’architecture comme levier potentiel du changement. Une fois que l’architecte aura donc élargi sa vision du monde et de l’architecture, il aura à passer par un cheminement encore plus introspectif : celui de comprendre pour qui et pourquoi il fait ce métier. Un architecte désireux de trouver des solutions dans les principes circulaires, aura à remettre en question les raisons qui le poussent à pratiquer cette activité. En effet, l’économie circulaire présente des principes forts et indispensables à la mise en place de son modèle. L’un d’eux est notamment d’avoir une prise en compte globale, dans toutes les dimensions, de l’environnement (autant dans le sens premier d’environnemental qui renvoie à la nature et ses écosystèmes, que dans le sens de tout ce qui constitue un site de projet). Cet élargissement de sa vision du monde dans lequel il évolue, l’amènera à voir qu’en exerçant ce métier, il se doit d’être autant responsable de la construction des villes dans lesquelles pourront évoluer les Hommes, que de la prospérité dans laquelle devrait évoluer la biosphère. Il construit ainsi en pensant autant aux humains qu’aux non-humains, dans un système cherchant des réponses communes à ces deux objectifs. Dépassant ce qu’on a pu lui apprendre au cours de son parcours scolaire et de ses expériences de terrain, il pourra alors réellement s’interroger

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sur la question de pour qui et pourquoi exercer ce métier, et trouver ses propres réponses à ces questions.

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Nous abordons ici une dimension qu’il semblerait intéressant d’approfondir pour comprendre les possibilités d’évolution du métier : quels sont les liens entre l’éthique et l’architecture dans le processus architectural ? En effet, nous pouvons dire que les dernières observations de ce travail de recherche démontrent que l’économie circulaire peut aboutir à l’acquisition d’un sens de l’éthique particulier chez les architectes. Nous avons révélé ceux-ci par le prisme d’une recherche d’impacts des principes de l’économie circulaire sur le métier. Or, dans ce travail, nous n’avons pas recherché de caractéristiques principales de l’architecture circulaire, mais les caractéristiques du processus menant à sa construction. Il semblerait donc intéressant de lier la question de l’éthique à des dimensions plus matérielles et tangibles de l’architecturemême, comme la matérialité, la technique, la spatialisation ou encore la forme. Cela permettrait peut-être de comprendre quels impacts l’application d’une certaine éthique - circulaire ici, pourrait avoir sur l’objet fini, l’architecture. Cette approche pourrait être engagée dans la réflexion du PFE, qui nous permettrait de mettre en place une méthodologie cherchant à lier principes éthiques circulaires, processus architectural et réification spatiale. Ainsi, nous pourrions non seulement utiliser la méthodologie du processus architectural que nous avons démontré aujourd’hui : prise en compte de différents acteurs, collaboration étroite avec eux, réflexion sur le sens donné à ce PFE. Nous pourrions également voir, au travers de notre environnement de conception, quelles solutions architecturales en ressortiraient. Ainsi, chaque enjeu majeur pourrait présenter une solution

circulaire, qui elle-même résulterait en une production architecturale particulière. Ce travail, légèrement amorcé dans notre présentation des concepts des deux projets circulaires, pourrait être complété par d’autres études de cas, cherchant à trouver des points communs en terme de solutions architecturales concrètes, en utilisant les principes de la circularité comme critères d’études de plans, de coupes, de détails et de concepts. Les caractéristiques architecturales recherchées pourraient par exemple être le pourcentage de construction sur la parcelle, la mise en place de la trame bleue, le mode de fondation choisi, ou encore les ressources énergétiques et matérilles utilisées. Nous parlons donc ici de caractérisation architecturale de l’éthique circulaire de l’architecte. Cependant, nous pouvons dire, qu’outre la prise en compte des principes circulaires dans un projet architectural, cette même question se pose pour tout architecte souhaitant traiter des questions environnementales, sociales, économiques et culturelles actuelles. Cette question semble donc en réalité être une interrogation qui pourrait se poser globalement lorsque l’on cherche à étudier l’évolution du métier d’architecte et de son architecture, vis-à-vis des défis qu’il a à relever aujourd’hui, et qu’il aura à relever demain. Nous ne pouvons donc répondre à cette question actuellement, et il semble difficile de prédire si une réponse générale existe réellement, ou si chaque architecte présente une réponse particulière. Nous postulons cependant que l’éthique des architectes d’aujourd’hui sera responsable de la manière dont nous construirons la ville demain, et que l’étude de leurs liens de cause à effet pourrait être intéressante.


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Études de cas Articles Ouvrages Rapports Thèses et mémoires Cours et conférences Vidéos 110

BIBLIOGRAPHIE


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Rapports + ADEME. Chiffres clé Climat Air Énergie. Disponible à l’adresse : https://www.ademe.fr/sites/ default/files/assets/documents/chiffres-cles-climat-air-energie-8705-bd.pdf. + AFEX. Construire pour un développement durable. AFEX. Disponible à l’adresse : https:// www.afex.fr/guides-afex/construire-pour-un-dveloppement-durable. + ELLEN MACARTHUR FOUNDATION. Circular Economy Report - Delivering The Circular Economy. Disponible à l’adresse : https://www.ellenmacarthurfoundation.org/publications/ delivering-the-circular-economy-a-toolkit-for-policymakers. + COMISSION EUROPÉENNE. The European Commission’s priorities. European Commission - European Commission . Disponible à l’adresse : https://ec.europa.eu/info/strategy/ priorities-2019-2024_en. + HQE GBC. Brochure Test HQE Performance. Disponible à l’adresse : http://www.hqegbc.org/ wp-content/uploads/2020/12/BrochureTestHQEPerformance_EC-1.pdf. + IPCC. Synthesis Report: Climate Change 2014. IPCC. . Disponible à l’adresse : https://www. ipcc.ch/report/ar5/syr/ + MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE. Économie circulaire | Données et études statistiques. Disponible à l’adresse : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ economie-circulaire-1. + MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE. La feuille de route économie circulaire (FREC). Ministère de la Transition écologique. Disponible à l’adresse : https://www.ecologie. gouv.fr/feuille-route-economie-circulaire-frec. + QUALITEL, 2019. Économie circulaire : mettre en place une démarche dans le secteur du bâtiment. Association Qualitel. 14 mai 2019. Disponible à l’adresse : https://www.qualitel.org/ economie-circulaire-mettre-en-place-une-demarche-dans-le-secteur-du-batiment/. + RICHET, PERRY, VAUTIER, ROCHE, 2019. «Les enjeux de l’écoconception associés à l’économie circulaire, EcoSD Annual Workshop 2018». Presse des Mines. + WORLDBANK. Groundswell: Preparing for Internal Climate Migration. World Bank. Disponible à l’adresse : https://www.worldbank.org/en/news/infographic/2018/03/19/ groundswell---preparing-for-internal-climate-migration.

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ICONOGRAPHIE

Photographies Illustrations Illustrations personnelles 114


Photographies + Photographie 5. Bignier à l’ENSAV, https://www.youtube.com/watch?v=muRHckPgckg + Photographie 6. Bignier animant un séminaire, https://portal.klewel.com/watch/webcast/the-ecocentury-project/talk/vaHXJLn9w53cU7NZHt7GHK/ + Photographie 13. Façade en bois brûlé, https://www.theguardian.com/cities/2020/jan/13/the-case-fornever-demolishing-another-building + Figure 12. Vue intérieure d’un logement Upcycle Studios, https://www.dezeen.com/2019/04/16/ upcycle-studios-townhouses-lendager-group-copenhagen-recycled-materials/ Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, https://issuu.com/home/read/c7usedz5asy. : + Photographie 1. Ébéniste brûlant le bois recyclé, p.98 + Photographie 2. BET matériaux testant le verre, p.108 + Photographie 3. BET matériaux testant le béton, p.93 +Photographie 4. Exposition du dispositif à la Wasteland Exhibition 2017, p.110 + Photographie 11. Déchêts de béton, p.86 + Photographie 12. Fenêtres surcylées, p.110

Illustrations + Figure 5. Écosystème naturel, https://lamaisondalzaz.wordpress.com/2011/05/01/exemplesdecosystemes/ + Figure 8. Site industriel de Kalundborg, Danemark, http://www.symbiosis.dk/ + Figure 9. Projet du Viaduc du Grand Paris https://www.ecologiehumaine.eu/metro-du-grand-paris-integrer-dans-le-tissu-urbain-au-lieu-de-betonner/ + Figure 10. Tableau récapitulatif du déroulement d’une opération de construction, Thierry Saunier, cours de Droits et Stratégies d’acteurs, 2019. + Dispositif 4. Habitation complète, https://www.dezeen.com/2019/04/16/upcycle-studios-townhouseslendager-group-copenhagen-recycled-materials/ + Dispositif 4. Habitation scindée en deux, https://www.dezeen.com/2019/04/16/upcycle-studios-

townhouses-lendager-group-copenhagen-recycled-materials/ Anders Lendager, A changemaker’s guide to the future, 2018, https://issuu.com/home/read/ c7usedz5asy. + Graphique 4. Béton surcyclé, p.87 + Graphique 5. Fenêtres surcyclées, p.110 + Graphique 6. Coupe, p.100 + Dispositif 4. Adaptabilité / Espaces communs - espaces privés, p.72 Grégoire Bignier, Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018. + Intervention 1. p.130 + Intervention 2. p.130 + Intervention 3. p.130

Illustrations personnelles + Figure 13. Plan de répartition des 3 interventions, reproduction d’une illustration du livre de Grégoire Bignier, Architecture et économie : ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, 2018, p131 115


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ANNEXES

Entretiens Corpus Analyse Résultats Comparaison des résultats 116


I) Discussion avec Didier Rebois, Marc Bigarnet et Christophe Boyadjian Didier Rebois, secrétaire général d’Europan à l’échelle européenne. Discussion dans le cadre d’une conférence organisée par Christophe Boyadjian pour le DEM Architecture, métropole et territoire habité à l’ENSAL le 04/11/2020. Acteurs dans le projet : + Didier Rebois : Aujourd'hui les politiques et les responsables urbains ne veulent pas trop prendre de risques, parce que si il y a des risques ils doivent donner des garanties. La conception urbaine est donc un projet qui prend du temps, d'autant plus lorsque l'on propose des processus innovants. Il faut savoir convaincre. Temporalité : + Marc Bigarnet : Nécessairement, à un instant T = 0, on ne peut pas définir tous les paramètres de la ville, parce que notre société évolue tellement rapidement qu'à partir du moment où on lance une opération urbaine, il y a de nouvelles contraintes, des nouveaux enjeux. C'est donc le projet qui doit déjà être en lui-même adaptable car la question des temporalités est centrale. Didier Rebois : La thématique de la temporalité est également la chose la plus difficile à enseigner Marc Bigarnet : Une autre thématique intéressante abordée par Europan est la question du vivant. Il faut imaginer comment spatialement on peut arriver à prendre en compte le fait qu'il y ait des choses stables et des choses moins stables, on voit presque quelquefois que la spatialisation est très importante tandis que la forme l’est moins. C'est une subtilité, mais dans le travail de conception cela doit enrichir la manière dont on peut aborder le projet, ainsi que raconter et intégrer des questions de l'ordre du vivant. Didier Rebois : Accéder à la question du vivant et du métabolisme des villes demande une multiplicité de connaissances. On peut avoir un exemple avec l'agence Altitude 35 (ils ont gagné 3 fois Europan) formée de Clara loukkal (géographe, urbaniste et paysagiste) et Benoit Barnoud (paysagiste et architecte), qui sont quasi-omniscients aujourd’hui. Lorsque l'on s'associe avec des gens compétents on acquiert leurs compétences. C'est un vrai travail, et c'est intéressant car l’on travaille avec du vivant. Il suffit de comprendre les règles du jeu de la nature. Économie circulaire : + Adèle Bargues : J’avais deeux questions pour faire un retour sur l’exemple du projet à Barcelone dont vous nous avez parlé précédemment qui n’a pas été réalisé (voir notes sur la conférence pour une ref complète), est-ce qu’il y a, selon vous, Des inégalités entre les pays dans la capacité des politiques publiques à s'ouvrir à des nouveaux modèles ? Comme par exemple ici avec un projet circulaire qui n'a pas forcément été accepté par la ville qui avait plutôt l'habitude d'un fonctionnement linéaire. (La ville ayant répondu au projet en disant que les gouvernances et les techniques proposées n’étaient pas à la portée de la ville) + Didier Rebois : Souvent chez les maîtres d'ouvrage c'est une question de culture. Je ne dirai pas que c’est par pays, car dans tous les pays on trouve des maîtres d'ouvrage innovants, qui sont curieux, qui regardent comment le monde bouge, comment évolue le vivant. Ils sont également poussés par des projets que les équipes d’Europan leur proposent. A Barcelone c’était clair qu’ils aimaient le projet, mais ils ne savaient pas le réaliser. C’est vrai que c’est compliqué de faire des structures dans lesquelles il y a des changements d’usage, de mixité, de flexibilité, c’est tout ce qui fait peur. Plus c’est rigide, plus les MOA classiques adorent, comme ça ils ne prennent pas de risques. Il y a certaines villes qui jouent le jeu et qui considèrent que donner une ouverture sur le processus urbain peut être une bonne chose (Vienne par exemple). Les gens de la ville sont contents de participer à ces expériences parce qu’ils apprennent aussi, et c’est ça qui est intéressant, c’est qu’on cherche tous en même temps. il y a moins de rigidité dans ce type de processus, même si bien sûr il y a des compétences, le maître d’ouvrage n’est pas l’architecte ou le paysagiste, mais c’est un travail de mise en commun. La tendance actuellement dans l’urbanisme, c’est la multiplication des experts. Je les appelle les micro-experts parce qu’ils sont experts d’une chose bien précise. On se retrouve donc parfois avec 40 micro-experts autours d’une table et on ne sait plus comment lier le projet. Mais c’est quelquefois indispensable parce qu’il y a une certaines complexités, notamment avec l’écologie, l’histoire, les connaissances, l’adaptation à un contexte. Avec Europan on essaye à partir d’idées qui ont une dimension d’intuition, de les faire rencontrer avec la 117


dimension concrète, car quand une idée rencontre un contexte, on essaye de faire évoluer les deux. Si on généralise, je ne dirai pas que c’est par pays, bien sûr il y a des pays plus ou moins évolués, et notamment les pays industriels développés qui sont les plus intéressants. Ce n’est pas un hasard si le concours marche mieux en Espagne, en France, en Autriche, aux Pays-Bas, car il y a une culture de l'expérimentation, il y a une culture du projet négocié (voir définition sur le compte-rendu de la conférence) qui est plus évidente. Dans les pays de l’ancien bloc communiste par exemple on a vu que dans le concours c’était plus compliqué. Notamment avec la question d’entrelacement des échelles, c’est complexe et beaucoup de travail, il faut associer, plein de gens, des savoirs, et il faut que le maître d’ouvrage prenne le risque d’une petite aventure. C’est comme une alchimie entre les acteurs, et vous en tant que futurs professionnels, il faut vous préparer, il faut trouver les occasions. Europan tente de donner des situations pour l’expérimentation des jeunes équipes dans un monde ou il faut en général avoir 10 ans d’expérience pour gagner des concours. + Adèle Bargues : En sachant que l’économie circulaire c’est une des thématiques d’Europan 15, selon vous quelles sont la place/le champs d’action de l’architecte qui tente de concevoir des projets circulaires dans un cadre où les politiques publiques ont souvent le dernier mot ? Didier Rebois : Justement, il faut convaincre les entités publiques de s'ouvrir à ces nouveaux modèles d’économie, c’est encore très difficile. Je connais bien le travail de Belastok, ils ont beaucoup travaillé sur le métabolisme. Ils ont même travaillé sur tout un territoire de 9 communes de Paris pour essayer d'imaginer une structure territoriale d'économie circulaire parce qu'on ne peut pas se limiter à une petite échelle. Le métabolisme c'est plus complexe que cela, ce sont tous les flux, la question des énergies. Si on applique les règles du métabolisme stricte, parce qu'il y a des règles quand même assez précises, les étudiants pensent souvent que cela devient mécanique, que ce sont des réflexes. Mais non , c'est beaucoup plus complexe, il y a cette question de l’adaptabilité, du contexte. C'est plutôt un état d'esprit, une démarche avec des experts. On ne peut pas faire du métabolisme tout seul parce qu'il y a des questions complexes, de calculs, de connaissances, etc. Je pense que dans 10 ou 15 ans ce sera une évidence. Le métabolisme doit être associé à une logique de projet, car il doit être spatialisé (le métabolisme en lui-même ne donne pas de spatialité) et s'inscrire dans un récit plus global. Marc Bigarnet : Cela donne des informations sur comment illustrer le projet, lui donner une échelle ou des échelles, trouver son caractère, mais le métabolisme en lui-même n'est pas le moteur de la spécialité. C'est très important, c'est comme on choisit un matériau avant de dessiner le projet, le projet va être dessiner en fonction de la logique de ce matériau, on organise les choses en fonction de lui. Ça peut être une donnée d’entrée importante. + Didier Rebois : Il faut mettre la contrainte comme un aspect positif. Le métabolisme entraîne une dimension collective. On ne peut pas faire son métabolisme à son échelle tout seul. Une intervention à petite échelle doit se connecter à des interventions à plus grandes échelles. c'est ça qui est intéressant car l'on travaille sur des éléments naturels. Il faut se rendre compte que l'on en parle beaucoup mais qu'il y a très peu d'expériences concluantes sur ce sujet encore. J'aime bien voir la ville comme une économie, même si bien sûr il ne faut pas lui appliquer les mêmes règles que l'industrie linéaire, de la production en système ouvert. C'est une question d'opportunités, qui rentrent dans une logique, et d'intelligence collective. c'est plus compliqué de faire du projet métaboliste que de faire du projet linéaire, car il faut comprendre les choses, on n'est jamais omniscient, il faut s'entourer de gens qui ont des connaissances. Marc Bigarnet : Cela implique plus de personnes autour d'un même projet, c'est aussi ça la difficulté. Lorsqu'on est dans un protocole plutôt classique, tout est hiérarchisé. Didier Rebois : C’est le monde des experts, où chacun traite de son sujet sans qu'il n'y ait aucune synergie entre les gens, ou très peu. Il n'y a plus de structures ou de moyens de les coordonner. c'est le maître d'ouvrage qui devient le liant. + Christophe Boyadjian : Là moi je pense qu'il y a un bel enjeu sur la discipline et sur le métier, c'est de justement, et c'est ce dont on parle beaucoup en Master 2, c'est que l'architecte devrait en fait être ce liant. Il a ces capacités de liens. Didier Rebois : Il faut quand même qu'il ait cette compétence, la compétence de relier le savoir le savoir des autres au sien. Christophe Boyadjian : Le maître d'ouvrage est souvent désemparé, c'est lui qui insiste sur l'exigence de cette multiplicité de compétences. Didier Rebois : Le maître d'ouvrage il additionne, c'est pour ça que Chris Younes parle souvent de l'impor118


tance des synergies, il faut que la mayonnaise prenne. le plus souvent les ingrédients sont à peine juxtaposés et peu mis en relation. Le métabolisme est vraiment très lié à ces questions de synergies. Conception participative/collaborative : + Didier Rebois : Lorsque l'on fait du collaboratif, il faut savoir s'immerger tout en gardant une certaine distance vis-à-vis de la place de l'architecte dans ce processus. Ce qui est intéressant c'est quand ça enrichit et réciproquement. Dans le collaboratif il y a une dimension politique, dans le bon sens du terme. Marc Bigarnet : Peux-tu préciser Didier la différence que tu fais entre participatif et collaboratif ? Didier Rebois : Je pense qu'il faut impliquer tout le monde dans un projet, tous les acteurs. J'en discutais avec Chloé Bodart, qui est une ancienne collaboratrice de Patrick Bouchin qui a monté son agence à lyon, elle travaille avec tout le monde. c'est un grand mélange, elle travaille avec des ouvriers, etc. Mais elle ne peut pas faire des programmes trop classiques car il y a des normes, par exemple elle ne veut pas faire du prescriptif, son projet doit pouvoir bouger tout le temps. elle fait beaucoup plus de choses culturelles. C'est intéressant, parce qu'elle prouve que ça marche, elle fait de l'architecture. Elle implique tout le monde et je trouve ça assez intéressant. Le chantier devient sans arrêt le lieu de la transformation. ça peut aller assez loin le collaboratif. Le participatif c'est parce que il y a le mot participation derrière qui est un concept des années 70, où les politiques consultaient les habitants en leur demandant un avis mais qui n'était jamais très bien intégré. Le collaboratif c'est une logique où il y a des idées qui passent dans les deux sens. + Marc Bigarnet : Ce mode de conception, la collaboration et le partage des idées, et même au-delà des idées pour moi c’est une synergie entre différents interlocuteurs qui ont donc d’autres points de vue que nous même et qui ont d’autres spécialités, qui peuvent se retrouver dans le projet. À un moment donné, pour un projet qui se construit, il faut qu'il soit dessiné. Ce n'est pas tout le monde qui peut dessiner le projet. + Didier Rebois : Exactement, mais il faut quand même savoir être un peu poreux. C'est une porosité de ne pas être figé. + Marc Bigarnet : C'est intéressant dans le processus de conception, car il faut savoir dessiner des choses pour intégrer les points de vue de tout le monde. + Didier Rebois : Pas de tout le monde, des gens qui disent des trucs intéressants. + Marc Bigarnet : Donc cela suppose l'arbitrage, mais cela n'empêche pas qu’à un moment il faut poser le crayon sur le papier. + Didier Rebois : Chloé Bodart me racontait qu’elle était presque rejetée par les autres architectes, Car il y a à la fois d'un côté et les maîtres d'ouvrage où il le tout concerté et obligatoire car il faut éviter les recours et les action en justice, où c'est donc fait d'une manière bonne ou non mais pas forcément pour les bonnes raisons. Ce n'est donc pas souvent que c'est très réussi ce genre de procédures, même si c'est quand même fréquent. C'est un alibi pour d'autres choses. Mais il faut le faire pour ce que c'est, c'est-à-dire accepter que les autres ont le droit d'avoir un certain regard sur le projet. Avec les habitants par exemple, il faut que ce soit constructif, que ce ne soit pas que de l'interdiction. + Christophe Boyadjian : Il y a souvent des enjeux de lobby, des enjeux politiques. Mais il y a un intérêt avec l'éthique de l'architecte selon moi, qui fait que je trouve que en tant qu' architecte nous sommes assez légitime à poser des bornes. c'est compliqué à la fois pour le politique et pour l'expert, qui va traiter de cette question. Pour les étudiants c'est un point que je trouve important, on joue cartes sur table, dans un processus collaboratif, mais on détermine le rôle de chacun. cela revient à ce que disait Marc avec son crayon. tout à l'heure Didier tu parlais du projet négocié, la question de consensus. Quand tu travailles sur des appropriation d'espaces publics par exemple, je commence toujours en définissant les limites entre l'espace collectif et l'espace public. Élargissement des compétences : + Marc Bigarnet : Je crois beaucoup au fait que c'est le projet, qui porté lui-même par une posture issue de thématique, qui appelle à aller chercher la connaissance avec les autres et la construire. Quelque part, aller chercher la science parce qu’elle doit nourrir aussi la posture, donne des arguments qui permettent de construire un argumentaire et leur manière de gérer le projet ce n'est pas une fin en soit. C’est lié forcément à un besoin de formaliser des choses. + Didier Rebois : C'est le croisement de deux pensées, il y a une pensée scientifique ou technique associée à d’autres dimensions. C'est une vraie compétence de savoir faire ça, et à un moment donné d'additionner ou un expert, ou de s'additionner un morceau de savoir ou d’expérience parce qu'on en a besoin. On fait appel 119


à des savoirs, il y a des compétences différentes en fonction des échelles mais derrière il y a la question de l'entrelacement de ces échelles. Un micro projet peut-être très enrichi par une analyse très large, et vice-versa prendre la petite échelle en compte dans un grand projet c'est très important. Marc Bigarnet : Il y a une évolution des savoir-faire dans les métiers qui n'est pas 100 % acquise évidemment, parce qu'il y a encore des architectes qui restent dans leur domaine du bâti à 50 cm de la façade, qui ne touchent pas un plan de jardin ou d'espace public, parce que même les maîtres d'ouvrage ne donnent pas les missions. A l’échelle urbaine, je trouve qu'il y a cette culture Urbano-architecturale qui essaye en partie, dans les meilleurs cas, de se détacher justement des maîtres d'ouvrage. Dans les projets ambitieux il y a justement ce besoin d'avoir cette vision large, à la fois à toutes les échelles et en entrelaçant les choses. Didier Rebois : C'est le projet aussi qu'il permet de faire ça. Mais ce n'est pas une évidence. les projets riches ce sont ceux qui articulent les échelles et les acteurs.

II) Entretien avec l’assocation Minéka Lyon Le mer. 6 janv. 2021 à 15:11, Minéka < contact@mineka.fr > a écrit : + Adèle Bargues : Étudiant l’impact des principes de l’économie circulaire sur la conception architecturale, je suis à la recherche d’agences d’architecture pratiquant ces principes (notamment réemploi et partage des ressources pour votre association). Avez-vous des agences d’architecture ou d’urbanisme qui seraient partenaires/membres de Minéka ? Si oui serait-il possible de récupérer leurs coordonnées pour que je puisse les contacter ? + Minék’ipe : Atelier 43, Atelier Vurpas + Adèle Bargues : Pour des informations plus pratiques, comment se passe la collecte des matériaux ? Êtesvous régulièrement en contact avec des entreprises de démolition ou êtes-vous contactés par des particuliers ou professionnels qui souhaitent vous donner des matériaux de manière ponctuelle ? + Minék’ipe : la collecte se s’effectue qu’auprès de professionnels de la construction (artisans ou chantiers). Nous avons un réseau de pro adhérents de l’association qui nous contacte régulièrement (pour certains 4-5 fois/an pour d’autres 1-2 fois /an) et des structures qui nous contactent plus ponctuellement. Nous réalisons parfois de la collecte sur certains projets sur lesquels nous sommes intervenus en tant qu’AMO / expert réemploi. + Adèle Bargues : Lors d’un projet de réemploi de ces matériaux (design ou architecture), à quel stade du projet intervient Minéka ? L’association est-elle complètement intégrée au projet (réflexion avec les partenaires lors de la conception d’un objet par exemple) ou sa seule mission est de fournir les ressources disponibles ? + Minék’ipe : les deux situations sont possibles. A ce jour, nous avons un retour d’expérience plus important sur de l’AMOA que sur de l’AMOE. Nous faisons partie d’équipes MOE pour des concours mais, à titre personnel (Pénélope) je ne suis pas intervenue encore dans une AMOE. + Adèle Bargues : Avez-vous rencontré des problèmes d’ordre législatif ou juridique avec les politiques publiques ? Pensez-vous que l’association est parfois freinée par une résistance des acteurs extérieurs (entités politiques, entités administratives, entreprises de construction, artisans) face à ce mode de consommer différent ? + Minék’ipe : le lobby du recyclage est très puissant : beaucoup d’obligations en leur faveur et peu en faveur du réemploi, sur chantier. Objectifs de revalorisation importants sur les projets de construction/démolition mais cela ne distingue pas le réemploi du recyclage et de la valorisation énergétique par exemple. A voir ce que la REP va donner. Le jeu. 7 janv. 2021 à 16:18, Minéka < contact@mineka.fr > a écrit : + Adèle Bargues : Sur quel(s) projet(s) avez-vous travailler avec l’agence Vurpas ? Un de leur projet (L’autre Soie à Villeurbanne) fait partie de mes potentielles études de cas pour mon mémoire c’est donc un sujet qui m’intéresse particulièrement. 120


+ Minék’ipe : Nous travaillons effectivement sur le projet de l’autre soie et sur le projet de réhabilitation du bâtiment U à la Duchère avec l’agence Vurpas. + Adèle Bargues :Avez-vous les informations (Lieu, programme, MOA) des projets où vous avez été dans l’équipe MOE pour les concours ? Pourriez-vous m’en dire plus sur comment se déroule votre implication dans la phase conception (quelle phase d’intervention, quelle mission, combien de temps dure le travail en commun avec les agences d’archi) ? Lorsque vous êtes en AMOA, avez-vous quand même des contacts avec les MOE ? Ou bien les discussions sont gérées par le MOA qui retranscrit vos informations/recommandations ? + Minék’ipe : Dans le cadre d’accompagnement de MOE : idéalement, nous intervenons en amont pour étudier avec l’équipe les typologies d’éléments qui peuvent être soit identifiés et réemployés in situ, soit sourcés/ acheminés depuis un projet ex situ. Si nous sommes sollicités tard dans le projet, alors nous pouvons avoir une liste de matériaux à sourcer en réemploi. Alors la MOE doit parfois faire des compromis en termes de conception et adapter son projet aux gisements à disposition. Nous sommes toujours en phase concours pour la plupart des projets où nous accompagnons une équipe MOE, aussi je préfère ne pas vous transmettre d’information sur ces projets. En AMOA, nous accompagnons les MOA dans la mise en place de la démarche réemploi. Aussi nous pouvons l’accompagner dans la rédaction de ses marchés, dans la sélection des équipes MOE et entreprises. Nous avons un rôle de conseil auprès des MOA et nous échangeons avec les MOE.

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III) Frise chronologique linéaire

Phases Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises et artisans

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Figure 11. Frise chronologique du déroulement d’une opération de construction classique

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IV) Études de cas : Acteurs + Temporalités

Étude de cas n°1 1. BET (structure, thermique) Obligatoire construction de logements au Danemark

2. Économiste Obligatoire construction de logements au Danemark

3. CT et CSPS Ne portent pas ce nom exact au Danemark, mais ont les mêmes rôles que dans la législation française. Collaboration étroite dans le cadre du développement de dispositifs innovants : « Dans le même temps, nous avions des difficultés à travailler avec les instituts technologiques d’approbation gouvernementale traditionnels (…) Heureusement, nous avons finalement réussi à avoir une dérogation de la municipalité de Copenhague puisque nous étions surs que les normes pourraient être respectées. » p.139 —> Phase Conception

4. Entreprises et artisans

Photographie 1. Ébéniste brûlant le bois recyclé p.98

Photographie 7. Fenêtres recyclées p.106-107

« Aujourd’hui, nos sous-traitants sont très heureux de travailler sur des projets Lendager, et nous font même part de leur enthousiasme sur les nouvelles innovations » p.139 « Tous les revêtements de sol, murs et façades de Upcycle Studio sont produits à partir de chutes de bois de l’artisan ébéniste danois Dinesen » p.71 « Pour les architectes, les ouvriers et entreprises spécialisés dans la démolition n’ont pas une grande place dans le processus de conception puisqu’ils ne font partie que de la dernière phase de la vie d’un bâtiment et ne sont généralement appelés que lorsqu’un édifice n’est plus en état de remplir sa fonction et doit être détruit. Mais si l’on réfléchit avec une vision plus large et circulaire, ces acteurs de la démolition deviennent des partenaires-clés de l’architecte. En effet, ils sont généralement les premières personnes qu’Anders Lendager contacte étant donné qu’ils sont en possession de matières avec laquelle on pourrait construire par la suite. Ils ont donc un rôle très important pour guider les architectes vers un monde architectural basé sur un modèle circulaire. » p.67 —> Phases Conception et DCE

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5. BET matériaux

Photographie 3. BET matériaux testant le béton p.93

Graphique 1. Impacts béton recyclé p.92

Photographie 2. BET matériaux testant le verre p.108

Graphique 2. Propriétés béton recyclé p.89

Graphique 2. Propriétés verre recyclé p.108

Collaboration étroite pour le développement des procédés : « le béton surcyclé était finalement d’une meilleure qualité que le béton traditionnel, et que sa mise en place était plus rapide » p.139 —> Toutes les phases

6. Institutions publiques

« Dans le même temps, nous avions des difficultés à travailler avec les instituts technologiques d’approbation gouvernementale traditionnels (…) Heureusement, nous avons finalement réussi à avoir une dérogation de la municipalité de Copenhague puisque nous étions surs que les normes pourraient être respectées. » p.139 --> Phase Conception

7. Design R&D

« Tous les produits surcyclés du projet ont été traité par la filiale UP du Lendager group, qui est spécialisée dans le développement et l’innovation pour les produits surcyclés. » p.73 —> Phase Conception

8. Fondations recherches sociologie de l’habiter et urbanisme

Analyse précise et discussion avec la fondation Ellen MacArthur, notamment à propos de leur publication : Growth within : a circular economy vision for a competitive Europe, 2015, et Delivering the circular economy : a toolkit for policymakers, 2015. p. 69 Analyse sur la construction de l’urbain de demain : J. Clos, The opportunity to build tomorrow’s cities, World Economic Forum, 2016. P.70 —> Phase Conception 124


9. Association de récupération des déchets de démolitions

Photographie 8. Fenêtres chantier de démolition p.104

Photographie 9 et 10. Bois recyclé issu du chantier du métro p.98

« Nous avons récupéré 1400 tonnes de déchets de béton du chantier d’expansion du métro de Copenhague. »P.70 « Utilisation de vieilles fenêtres - prises dans des bâtiments abandonnés de la partie Nord du Danemark » p.70 —> Phases Conception et Chantier

Étude de cas n°2 1. BET (structure, thermique)

« Ainsi, à l’association habituelle avec un bureau d’études techniques (ISM) » p.130

2. Économiste

« Ainsi, à l’association habituelle avec un bureau d’études techniques (ISM) » p.130

3. CT et CSPS

Pas de relation avec cet acteur car stade concours

4. Entreprises et artisans Pas de relation avec cet acteur car stade concours

5. Laboratoire hydraulique « nous nous sommes assuré le concours des institutions suivantes : - les laboratoire L2MGC de l’université Cergy-Pontoise pour les questions hydrauliques ; » p.130

6. Fondations environnementales « - les Fonds de dotation pour la biodiversité pour les questions qui la concernent ; - la fondation Tuck pour la dimension énergétique des propositions ; » p.130

7. Institutions publiques opérateurs fluviaux « formalisme institutionnel requis par l’association d’institutions aussi diverses que des opérateurs fluviaux (Voies navigables de France), de régulation (Seine Grands Lacs) ou économique (port de Paris) » p.130

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8. Établissements d’enseignements supérieurs

Photographie 5. Bignier à l’ENSAV

Photographie 6. Bignier animant un séminaire

De plus, pour les raisons que nous avons évoquées s’agissant du rôle que les étudiants peuvent jouer dans la recherche et parce que les opérateurs convoqués par notre approche holistique sont de natures très différentes, nous avons animé plusieurs séminaires autour des questions posées par la consultation avec : - l’Agrocampus Ouest, école formant des ingénieurs agronomes à qui ont été posées les questions de métabolisme biologique d’un territoire ; - l’ENSA de Versailles sollicitée pour ses capacités à se projeter dans une dynamique prospective et formelle - l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) pour des montages économiques similaires à ceux demandés par le cahier des charges du concours ; - l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po) » p.130

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Étude de cas n°1 Étude de cas n°2

Acteurs du projet

Temporalité et proportion des collaborations

BET (structure, thermique)

Inchangés

Économiste

Inchangés

CT et CSPS

Collaboration étroite

Entreprises et artisans

Phases Conception et DCE

BET matériaux

Toutes les phases

Institutions publiques

Phase Conception

Design R&D

Phase Conception

Fondations recherche sociologie de l’habiter

Phase Conception

Association de récupération des déchets de démolition

Phases Conception et Chantier

BET (structure, thermique)

Inchangé

Économiste

Collaboration étroite

CT et CSPS

-

Entreprises et artisans

-

Laboratoire hydraulique

Phase Conception

Fondations environnementales

Phase Conception

Institutions publiques opérateurs fluviaux

Phase Conception

Établissements d’enseignement supérieur

Phase Conception

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V) Présentation graphique des résultats - frises chronologiques

Phases Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises et artisans BET autres Experts & consultants Institutions publiques

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Frise 1. EC n°1

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Phases Acteurs

Maîtrise d’ouvrage Maître d’oeuvre BET (structure, thermique) Économiste Contrôleurs technique et SPS Entreprises Experts & consultants Établissements d’enseignement Institutions publiques

Études pré-opérationnelles & Programme

Conception

Choix des entreprises & Marchés de travaux

Travaux

Frise 2. EC n°2

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VI) Comparaison des occurences des collaborations MOA Institutions publiques

BET

Experts et consultants

Économiste

Entreprises et artisans

Contrôleurs CT et SPS

VII) Comparaison des intensités des collaboration MOA Institutions publiques

BET

Experts et consultants

Économiste

Entreprises et artisans

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Contrôleurs CT et SPS


VIII) Études de cas : Rôles de l’architecte Étude de cas n°1 1. Dessinateur Intrinsèque au métier d’architecte

Plan 1. Plan du projet Upcycle Studios p.72

2. Intermédiaire Intrinsèque au métier d’architecte car plusieurs acteurs en jeu « je veux m’assurer que vous êtes conscient de l’importance de la création d’une histoire autours de ce que nous faisons en tant qu’architectes. Car si nous voulons réussir dans la création d’un meilleur monde où tout le monde pourrait prospérer, il est crucial de nous assurer de la pertinence et de la compréhensibilité de la durabilité pour tout le monde. C’est pour cela que nous communiquions, haut et fort, comment et pourquoi tout ceci est important pour chacun d’entre nous. » p.24

3. Arbitre Intrinsèque au métier d’architecte car plusieurs acteurs en jeu « Nous avons l’opportunité de rendre notre planète meilleure, mais si nous faisons les mauvais choix, nous risquons d’empirer sa situation » p.22

4. Responsable Intrinsèque au métier d’architecte « Avec mon équipe, j’ai fait le choix de toujours chercher des ressources qui sont déjà disponibles lorsque je commence la conception d’un nouveau projet. Cela vient autant de l’opportunité que de la responsabilité car en tant qu’architecte, nous pouvons avoir un impact considérable sur la vie des gens et la société en général. Nous avons l’opportunité de rendre notre planète meilleure, mais si nous faisons les mauvais choix, nous risquons d’empirer sa situation. En tant qu’architectes, nous tenons entre nos mains le risque et la responsabilité du bien-être d’un grand nombre de personnes. Ainsi, nous pouvons et devons jouer un rôle crucial dans la création d’un monde écologique et prospère pour l’épanouissement général. » p.22 « Cependant, d’un point de vue circulaire, design et architecture sont eux-mêmes des solutions aux enjeux environnementaux, et ils devraient prendre part à la chaine de valeur de conception d’un objet plus tôt dans le processus. Mais cela implique également de plus grandes responsabilités pour l’architecte et le designer, puisqu’ils doivent se rendre eux-mêmes pertinents. Il est crucial qu’ils commencent à prendre leurs responsabilités, pas seulement pour imposer leur design, mais pour réussir à faire de ces designs des objets fonctionnels, esthétiques et pertinents pour notre futur, ainsi que pour la biosphère. » p.63-64

5. Porte parole / défenseur « À cause de leur manque de confiance dans le projet, ils ne voulaient plus travailler dessus. Dans le même temps, nous avions des difficultés à travailler avec les instituts technologiques d’approbation gouvernementale traditionnels, qui réalisent les tests de fiabilité des matériaux. Cette institution ne partageait pas notre optimisme sur l’utilisation du béton surcyclé. Heureusement, nous avons finalement réussi à avoir une dérogation de la municipalité de Copenhague puisque nous étions sûrs que les normes pourraient être respectées. » p.139 « J’ai décidé de dédier ma vie à la prise de conscience des opportunités en tant qu’architecte, employeur ou 131


instigateur du changement pouvant mener à des changements dans le milieu de la construction et plus largement de la société. » p.22 « J’ai décidé de lancer Lendager Architects puis L’engager Group comme rébellion contre l’industrie traditionnelle, et comme une opportunité de faire les choses différemment. Je sais désormais que j’ai fait le bon choix. » p.24 « Nous devons garder à l’esprit que le ciment est déjà responsable de 6% de nos émissions de CO2 mondiales. Cela pourrait facilement empirer si nous continuons à faire du business et à construire nos bâtiments comme nous l’avons toujours fait. C’est exactement ce pourquoi nous essayons de montrer le chemin du changement avec Upcycle Studios, en créant plus en utilisant moins. » p.70

6. Accompagnant « il état clair que nos partenaires n’étaient pas à l’aise avec le coté innovant de Lendager Group sur ses projets. Les sous-traitants étaient francs à propos de leur avis sur le béton surcyclé sur place : c’était impossible selon eux. Ils ne croyaient qu’en la qualité de leur béton habituel, et que notre proposition de béton surcyclé allait induire une non fiabilité du matériau. (…) Aujourd’hui, nos sous-traitants sont très heureux de travailler sur des projets Lendager, et nous font même part de leur enthousiasme sur les nouvelles innovations, puisque depuis cette histoire ils se sont rendus compte que le béton surcyclé était finalement d’une meilleure qualité que le béton traditionnel, et que sa mise en place était plus rapide. » p.139 « Il n’y a pas si longtemps, j’a fait le choix de sortir de ma zone de confort et de créer Lendager Group. Ici, nous ne faisons pas que dessiner des bâtiments. Nous produisons des bâtiments à base matériaux surcyclés et aidons les villes et entreprises à trouver une stratégie pour créer de la durabilité. » p.22

7. Enseignant Écriture de A changemaker’s guide to the future : « plus simplement, nous avons créé ce livre car nous le devions, les enjeux que nous mettons en avant sont trop importants pour notre planète, notre société and pour chacun de nous personnellement. (…) Ce que nous espérons encourager, c’est un état d’esprit plus conscient. » p.15 « Nous sommes honorés que vous ayez fait le choix de nous rejoindre dans cette aventure de changement pour notre société et notre planète. Une aventure pour combiner business et durabilité. Une aventure dans laquelle nous croyons profondément dans nos coeurs et nos esprits. Nous espérons montrer que le changement n’a pas à être une mauvaise chose, au contraire, cela peut entrainer un accroissement de la durabilité, la qualité de vie ainsi que la cohésion sociale. » p.16 « Nous espérons vous donner une base solide afin d’instiguer le changement en vous-même. (…) Nous vous guiderons sur des sujets comme où et comment commencer, et vous offrirons une visualisation de notre méthodologie personnelle. » p.25

Photographie 4. Exposition du dispositif à la Wasteland Exhibition 2017 p.110

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Photographie 4. Exposition du dispositif à la Wasteland Exhibition 2017


Étude de cas n°2 1. Dessinateur Intrinsèque au métier d’architecte « Ce type de consultation amène en général son lot de projets de promotion avec vue plongeante sur l’eau, de berges aménagées en promenades, sans oublier les inévitables ponts habités sur le fleuve (Ces derniers ne voient jamais le jour du fait de leur absence de rentabilité et des difficultés liées aux réglementations incendie). Bien que ces projets soient parfois très spectaculaires, ils ont le défaut de ne pas être fondamentalement différents de la production courante. En fait, de ne pas réinventer grand chose, sui ce n’est la politique de communication du commanditaire. Nous n’avons pas la prétention de faire davantage, mais seulement des montrer que la prise en compte des impératifs de l’économie circulaire change le sens des propositions qu’un architecte est capable de faire. » p.130 « Le rôle de l’architecte a été, comme on peut s’y attendre, de formaliser (les) orientations (proposées par ces différents acteurs) dans différentes propositions architecturales » p.130

2. Intermédiaire Intrinsèque au métier d’architecte car plusieurs acteurs en jeu « Le rôle de l’architecte a été, comme on peut s’y attendre, de formaliser (les) orientations (proposées par ces différents acteurs) dans différentes propositions architecturales, mais aussi - et cela est moins habituel - assurer leur cohérence entre elles. Ignorant de chaque discipline, mais rompu à l’exercice d’articulation entre dispositifs très différents, ses compétences ici tiennent autant à la construction au sens le plus concret du terme qu’à la méditation entre différentes approches disciplinaires. Cet exemple apporte ainsi une réponse à la question sur son rôle requis par les besoins contemporains. » p. 130 « L’espace (de l’économie circulaire) doit être celui dans lequel la pensée de l’architecte conçoit s’il veut intégrer les différentes composantes d’une économie circulaire. Il est donc par nature hybride : économique, spatial, biologique et politique. L’architecte doit donc passer simultanément d’une dimension à l’autre et organiser ses propositions de manière à créer les conditions d’un métabolisme le plus fluide possible. » p.76 « nous verrons que peuvent être remis en question les seuils habituels qui servent à la décomposition disciplinaire de l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme. Bâtiment, métropole et territoire correspondent aux seuils qui séparent les champs des architectes, urbanistes et géographes. Mais aussi, sciences sociales et humaines, physique et espace sont des réalités que les meilleurs sociologues, ingénieurs et architectes dépassent aujourd’hui quand ils cherchent à répondre aux enjeux du monde en développement. Ces seuils sontils encore pertinents aujourd’hui quand nous cherchons une harmonie entre le monde de l’Homme, l’anthroposphère et l’espace de la biosphère ? Harmonie s’appuyant sur un métabolisme qui reste à définir dans toutes ses réalités : économiques, écologiques et sociales. N’est-ce pas là le véritable objet de l’architecture ? » p. 21

3. Arbitre Intrinsèque au métier d’architecte car plusieurs acteurs en jeu « L’espace (de l’économie circulaire) doit être celui dans lequel la pensée de l’architecte conçoit s’il veut intégrer les différentes composantes d’une économie circulaire. (…) Le principe de complexité qui se dégage de ce corps à plusieurs entités entraine donc une instabilité ontologique à laquelle l’architecte doit s’habituer. Renonçant ainsi à certaines possibilités, mais espérant en découvrir d’autres.» p.76

4. Responsable Intrinsèque au métier d’architecte « Il nous faut parler de climats plutôt que de paysages, ce qui change beaucoup de choses pour l’architecte. Son rôle est ainsi clairement établi, se responsabilité pleinement reconnue.» p.77

5. Porte parole / défenseur « L’idée est de montrer, comme cela a été annoncé en introduction, de quelle manière la combinaison infrastructures/économie circulaire change jusqu’aux propositions que les architectes peuvent formuler. »p.130 « Ces spécificités (de l’économie circulaire), (…) auront bien sûr des conséquences importantes pour l’archi133


tecte. Par exemple, l’une d’elles pourrait être le caractère éphémère, fragile et instable de son organisation. Ce caractère, qui lui vient sans doute de sa plus grande proximité avec le monde vivant - toujours en mouvement, pose une vraie difficulté à l’architecture, plus habituée à se vivre dans une durée longue au cours d’échéances stables. Ce simple exemple montre que d’emblée, par sa nature même, l’apparition de l’économie circulaire pourrait bien se présenter comme une rupture historique de la culture urbaine. » p. 45 « Si l’architecture est vraiment une révolte, ses architectes doivent participer à la recomposition du nouveau jardin hybride qui s’esquisse avec l’économie circulaire. » p.134 « C’est donc une logique qui croise économie de la fonctionnalité pour des besoins croisés de l’homme et de l’environnement, expertises d’institutions aussi variées que des opérateurs et des collectivités territoriales, des associations, des écoles, des fondations, etc., et infrastructures d’une économie libérale et planifiée. C’est donc bien une manière différente pour un architecte d’inscrire sa démarche dans un « logiciel » d’exploitation est non à l’aide de quelques applications comme le BIM, l’intelligence artificielle ou le numérique, outils dont il ne faut pas attendre autre chose que ce pour quoi ils ont été conçus. Ce que nous voulions montrer. » p.131

6. Accompagnant « L’expérience et le recul que nous avons sur les écoquartiers ont montré que l’apprentissage et la gestion au long cours par les utilisateurs des technologies « embarquées» étaient loin d’être acquis. (…) C’est dire l’interaction qu’ont les utilisateurs avec l’efficience du « système » qui a de ce fait nettement une dimension anthropologique » p. 29 « Les gens réalisent ce qu’il faut faire localement et quand ils se réunissent et échangent des informations, ça peut former des cascades, qui sont des prises de conscience massive. » p.138

7. Enseignant « L’idée est de montrer, comme cela a été annoncé en introduction, de quelle manière la combinaison infrastructures/économie circulaire change jusqu’aux propositions que les architectes peuvent formuler. »p.130 « De plus, pour les raisons que nous avons évoquées s’agissant du rôle que les étudiants peuvent jouer dans la recherche et parce que les opérateurs convoqués par notre approche holistique sont de natures très différentes, nous avons animé plusieurs séminaires autour des questions posées par la consultation avec : - l’Agrocampus Ouest, école formant des ingénieurs agronomes à qui ont été posées les questions de métabolisme biologique d’un territoire ; - l’ENSA de Versailles sollicitée pour ses capacités à se projeter dans une dynamique prospective et formelle - l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) pour des montages économiques similaires à ceux demandés par le cahier des charges du concours ; - l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po) pour le formalisme institutionnel requis par l’association d’institutions aussi diverses que des opérateurs fluviaux (Voies navigables de France), de régulation (Seine Grands Lacs) ou économique (port de Paris) » p.130

Photographie 5. Bignier à l’ENSAV

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IX) Études de cas : Réflexions de l’architecte Étude de cas n°1 Vision du monde et de son métier - Remise en cause du modèle dans lequel il évolue : « Dans un monde ou la seule constante est le changement, organiser la chaine de conception par rapport à des normes ne nous permettra pas d’avoir l’agilité et l’adaptabilité suffisante pour survivre à la 4ème révolution industrielle. » p.65 « J’ai décidé de lancer Lendager Architects puis L’engager Group comme rébellion contre l’industrie traditionnelle, et comme une opportunité de faire les choses différemment. Je sais que j’ai fait le bon choix. »p.24 «Il faut que nous arrêtions de voir les ressources, les bâtiments et les villes comme des entités singuliaires, et commencions à les regarder comme des parties d’un système plus large. Avec les deux yeux ouverts. Quittant des perspectives isolées pour aller vers un point de vue plus holistique (= global).» p.149 « Nous devons changer la matière dont nous utilisons les matériaux et les ressources, et que notre modèle actuel de « faire moins mauvais qu’avant » veut souvent dire n’avoir qu’un oeil ouvert. En effet, « moins mauvais » n’est pas assez, ça réduit notre vision, nous laisse dans une position vulnérable, où nous sommes facilement perturbés ou dépassé puisque pas assez adapté à la gravité de la situation. Comment opérer avec les deux yeux ouverts ? Commencer à concevoir nos matériaux, produits, et business modèles par la circularité, de manière à faire réellement « mieux » voir « excellemment mieux » plutôt que juste « moins mauvais » p. 30 - L’architecture comme levier du changement : « le design est délibéré. Il y a une valeur innée dans le processus de design due aux choix que l’on fait. Une couleur, un objet, un programme, nos décisions ne sont jamais aléatoires, mais toujours réfléchies et faites avec les deux yeux ouverts, en questionnant la situation actuelle. C’est pourquoi, selon nous, le design est la fonctionnalité. Il permet l’intentionnalité. C’est l’acte de dessin qui nous permet de changer les règles du jeu dans le but de créer une société régénératrice dans laquelle nous pourrions tous prospérer. » p. 59 « Cependant, d’un point de vue circulaire, design et architecture sont eux-mêmes des solutions aux enjeux environnementaux, et ils devraient prendre part à la chaine de valeur de conception d’un objet plus tôt dans le processus. » p.63 « Tandis que nos villes s’expandent, et que la majorité de la population mondiale vit désormais en ville, nous nous trouvons à un croisement crucial. D’un coté, nous allons avoir besoin de plus en plus de logements et d’espaces commerciaux/tertiaires que nous n’en n’avons jamais eu besoin avant. De l’autre, nous devons accepter que l’on ne peut pas juste construire encore et encore de la même manière que ce que nous faisons depuis des années sans continuer à augmenter notre empreinte écologique négative sur notre planète. Ceci est donc un instant qui appelle au changement.» p.69 « Le secteur de la construction devrait non seulement être respectueux de l’environnement dans ses principes (comme utiliser de manière responsable les ressources pendant la construction), mais également faciliter la pérennité de notre santé physique et mentale, de nos communautés et démontrer la manière dont nous pouvons créer des environnements urbains régénérateurs. Un levier pour les autres secteurs en montrant le chemin à suivre, transformant les obstacles en opportunités. » p.135 « Aujourd’hui, les villes ainsi que les bâtiments sont de loin le secteur ou nous devrons faire face aux plus grands challenges.» p.142

Pour qui ou pour quoi faire ce métier - Prise en compte globale dans toutes les dimensions : « 1. Reach for the stars : L’innovation ne doit pas faire de compromis sur la qualité, l’esthétisme ou le prix ; 2. Local is global : L’innovation doit utiliser les ressources locales ; 3. Be the solution : L’innovation doit avoir un impact positif sur la société ; 4. People Matter : L’innovation doit être socialement durable en respectant et en engageant des individus de tous les groupes ethniques et de toutes les classes sociales ; 5. City is nature : L’innovation doit respecter et améliorer la biodiversité de l’environnement ; 6. Body Language : L’innovation doit se voir comme une partie d’un métabolisme plus large, prenant tous les 135


ressources en compte, contribuant et interagissant avec elles. » p.75 « Nous devons voir la ville comme un organisme vivant, comme Alexander Von Humboldt l’a fait en introduisant une nouvelle compréhension de la planète comme un grand organisme et en rejetant la vision de la nature comme machine (Wulf, A., 2015, The forgotten Father of Environmentalism, The Atlantic). De manière similaire, nous devrions penser l’environnement bâti et les villes comme un tout. Car lorsque nous commençons à voir une image plus large et à relier les points entre eux - les citoyens, les matériaux, les bâtiments, les quartier, villes , pays, le monde - c’est à ce moment que les synergies apparaissent, et les obstacles deviendront une partie de la solution.» p.149 - Lien entre biosphère et anthroposphère : « Si nous voulons réussir à créer une société durable, nous devons également créer la cohésion sociale. » p.149 « La ville pour être régénératrice doit se tourner vers ce qui est au de la de ces frontières physiques, il est nécessaire de s’assurer que les bénéfices créés à l’intérieur de la ville ne bénéficie pas seulement à cette ville mais plutôt aux citoyens à une échelle plus globale. » p.158 « En parlant de communauté, vous pouvez vous demander comment le processus de surcyclagee des déchets avec les principes de l’économie circulaire peut valoir bien plus que simplement rendre le domaine de la construction plus écologique ? En plus de limiter le réchauffement climatique, les matériaux surcyclés, si ils sont bien utilisés, peuvent également avoir de la valeur dans la mise en place d’une communauté. Comme mentionné précédemment, la tradition des associations de riverains et le concept de partage ont été la base de l’inspiration pour ce projet. » p.161 « Voir le métabolisme urbain implique de comprendre les différentes parties qui composent ce corps, et les différents flux qui y entrent et sortent. Les flux sont ici autant des êtres humains que de la matière, des dynamiques sociales que de l’énergie, des politiques publiques que des déchets.» p.166 « Nous devons revoir fondamentalement comment nous construisons et gérons nos villes. Nous devons repartir à zéro dans le métabolisme urbain et réinventer un système dans lequel les villes et ses habitants n’ont pas à vivre aux dépends de l’économie, mais en harmonie avec la nature. » p.164

Question de la temporalité « Utilisation peu optimale de nos bâtis existants : une étude de la fondation Ellen MacArthur a estimé que seulement 35 à 40% de tous les espaces de bureau en Europe étaient totalement exploitées durant les heures travaillées (Ellen MacArthur Foundation, 2015, Growth within : a circular economy vision for a competitive Europe). Cela met en avant l’intérêt de travailler avec des bâtiments non figés dans le temps, modulable, adaptable et surtout n’ayant pas une destination (programme) définie, de manière à évoluer avec ses occupants et avec son temps.» p.69

Élargissement des champs de compétence Prendre conscience de la valeur des autres corps de métier : « Pour les architectes, les ouvriers et entreprises spécialisés dans la démolition n’ont pas une grande place dans le processus de conception puisqu’ils ne font partie que de la dernière phase de la vie d’un bâtiment et ne sont généralement appelés que lorsqu’un édifice n’est plus en état de remplir sa fonction et doit être détruit. Mais si l’on réfléchit avec une vision plus large et circulaire, ces acteurs de la démolition deviennent des partenaires-clés de l’architecte. En effet, ils sont généralement les premières personnes qu’Anders Lendager contacte étant donné qu’ils sont en possession de matières avec laquelle on pourrait construire par la suite. Ils ont donc un rôle très important pour guider les architectes vers un monde architectural basé sur un modèle circulaire. » p.67 « Que ce soit clair : personne ne peut comprendre dans son entièreté comment créer réellement un futur régénérateur, prospère, où nous attenuons le changement climatique tout en permettant une vie prospère pour les habitants. Aujourd’hui, les acteurs de ce changement ne sont en possession que d’une partie d’un savoir plus global qui doit encore être défini. Beaucoup d’innovations doivent encore être réalisées, de nombreux points doivent encore être reliés, c’est pourquoi la création de partenariats et la combinaison des différentes forces des acteurs (chercheurs, philanthrope, architectes, institutions publiques, gouvernements) tout au long de la chaine de vie du bâtiment sont cruciales. » p.135

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Étude de cas n°2 Vision du monde et de son métier - Remise en cause du modèle dans lequel il évolue : « Ce simple exemple montre que d’emblée, par sa nature même, l’apparition de l’économie circulaire pourrait bien se présenter comme une rupture historique de la culture urbaine. » p.45 « Les infrastructures saturées et proliférantes, les métropoles congestionnées et créatrices de dette écologique, les institutions désarmées, la désertification de pans entiers du territoire, la production d’espaces mécanisés ainsi qu’une biosphère au climat déréglé montrent un modèle en crise, malade. » p. 102 « À tout le moins, ils réinterrogent le monde du génie civil en renversant la question dont il est donné règlementairement des réponses palliatives : « quelle écologie pour le génie civil? » en « quel génie civil pour l’écologie ? ». » p.73 « Un autre modèle architectural est à rechercher (..). Nous n’oserions pas prétendre à ce stade de notre propos qu’il existe un autre modèle, ni même un modèle qui pallie ou complète le modèle actuel, mais nous pouvons affirmer certainement que le jeu en vaut largement la chandelle, quitte à l’échec. » p.37 - L’architecture comme levier du changement : « Si l’architecture est vraiment une révolte, ses architectes doivent participer à la recomposition du nouveau jardin hybride qui s’esquisse avec l’économie circulaire. » p.134 « L’architecture devient une écologie constructive, le génie civil d’un monde à partager. » p.95 « En définitive, être architecte du monde (statut que ne valide aucun diplôme), c’est donner une hiérarchie à ces actions à l’occcasion de la conception du projet, c’est-à-dire de déterminer à partir de quel dispositif une réconciliation est possible entre tout ce qui devrait être normalement insécable.» p.140

Pour qui ou pour quoi faire ce métier - Prise en compte globale dans toutes les dimensions : « Ce rapide aperçu historique et géographique a un double intérêt qui apparaît facilement aux yeux du lecteur : - celui de montrer que les principes d’une économie circulaire sont loin d’être établis, même si certains d’entre eux sont séculaires (l’histoire) ; - celui de mettre en évidence les particularités de chaque culture quant à la mise en oeuvre de l’idée, ce qui mériterait une analyse anthropologique du phénomène (la géographie) ; ce que nous pouvons supposer d’emblée est (…) que l’économie circulaire devrait englober dans son principe un dimension culturelle et sociale qui en spécifie l’organisation locale » p. 42 « nous verrons que peuvent être remis en question les seuils habituels qui servent à la décomposition disciplinaire de l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme. Bâtiment, métropole et territoire correspondent aux seuils qui séparent les champs des architectes, urbanistes et géographes. Mais aussi, sciences sociales et humaines, physique et espace sont des réalités que les meilleurs sociologues, ingénieurs et architectes dépassent aujourd’hui quand ils cherchent à répondre aux enjeux du monde en développement.(...) Harmonie s’appuyant sur un métabolisme qui reste à définir dans toutes ses réalités : économiques, écologiques et sociales. N’est-ce pas là le véritable objet de l’architecture ? » p. 21 - Lien entre biosphère et anthroposphère : «Conforter le métabolisme naturel du monde, (...), qui n’implique pas de tenter «d’améliorer» la nature, mais celui de l’ensemble qu’elle forme avec les hommes. (...) quel génie civil peut faciliter le métabolisme de la biosphère, conjointement au service rendu aux hommes. (...) construire un monde différent conforme aux principes de la nature. Rembourser notre dette à la biosphère, dans cette tentative de réconciliation avec elle, il faut solder les comptes pour des retrouvailles équitables. (...) Il s’agit de reconnaitre à présent aux non-humains des droits qui doivent coéxister avec ceux des humains. (...)» p.139-140 « l’architecture est incapable de se donner son propre sens si elle ne relève pas les enjeux politiques actuels (climat, démographie, etc). (…) Elle doit se redéfinir comme une organisation hybride et articulé à partir d’un collectif d’humains et de non-humains.» p. 100 « une démarche économique et urbaine combinant le souci du développement humain et la relève de l’enjeu écologique. » p. 52 « Ces seuils sont-ils encore pertinents aujourd’hui quand nous cherchons une harmonie entre le monde de l’Homme, l’anthroposphère et l’espace de la biosphère ? » p.21 137


Question de la temporalité «Ces spécificités (de l’économie circulaire), (…) auront bien sûr des conséquences importantes pour l’architecte. Par exemple, l’une d’elles pourrait être le caractère éphémère, fragile et instable de son organisation. Ce caractère, qui lui vient sans doute de sa plus grande proximité avec le monde vivant, toujours en mouvement, pose une vraie difficulté à l’architecture, plus habituée à se vivre dans une durée longue au cours d’échéances stables. » p.45 « - la durabilité d’un ouvrage n’est pas sa capacité à résister aux intempéries, mais celle de s’adapter à un métabolisme fondé sur une double approche économique et écologique ; - la maintenance d’un bâtiment ne consiste pas à le maintenir dans un état d’origine, mais à le faire évoluer en permanence pour s’inscrire dans des boucles temporelles ; - la notion de patrimoine repose, non pas sur la recherche d’un état fondateur, mais sur un travail d’inscription du présent dans une dynamique qui lise simultanément le passé et le futur. » p. 99

Élargissement des champs de compétences « (L’économie circulaire) devrait offrir de nouveaux horizons aux concepteurs qui se cherchent un paradigme dans lequel évoluer. Ce nouveau paradigme a au moins le mérite d’élargir le champ de leur discipline qui c’est notre constat - s’est singulièrement rétréci par l’hégémonie de l’économie linéaire. Cette économie dominante s’s est développée à l’aide de nouveaux faits : développement du numérique, généralisation du BIM, situations quasi monopolistiques d’opérateurs publics ou privés, monceaux règlementaires, tous phénomènes pourtant présentés comme salvateurs ou créateurs de possibilités conceptuelles nouvelles (nous verrons cependant par la suite que la révolution numérique offre une ambivalence dans les deux modèles).» p.75 « L’espace (de l’économie circulaire) doit être celui dans lequel la pensée de l’architecte conçoit s’il veut intégrer les différentes composantes d’une économie circulaire. Il est donc par nature hybride : économique, spatial, biologique et politique. L’architecte doit donc passer simultanément d’une dimension à l’autre et organiser ses propositions de manière à créer les conditions d’un métabolisme le plus fluide possible. Le principe de complexité qui se dégage de ce corps à plusieurs entités entraine donc une instabilité ontologique à laquelle l’architecte doit s’habituer. Renonçant ainsi à certaines possibilités, mais espérant en découvrir d’autres.» p.76 « Si concevoir aujourd’hui un bâtiment c’est empiler un parpaing sur l’autre et le caparaçonner (le design), dessiner de l’architecture reste porter un regard singulier sur l’état du monde et en donner une transcription matériel, quels qu’en soient les moyens (un bâtiment, un arbre, un lieu, etc.). C’est pourquoi elle peut ne pas être l’apanage des seuls architectes. » p. 122 « Il nous faut parler de climats plutôt que de paysages, ce qui change beaucoup de choses pour l’architecte. Son rôle est ainsi clairement établi, se responsabilité pleinement reconnue. Alors que sa discipline se diluait dans le design, l’exercice de son art peut y retrouver une assise plus large. C’est pourquoi nous pensons que l’économie circulaire, en ce qu’elle organise des solutions répondant aux enjeux « historiques », contribue largement à réactualiser la définition de l’architecture, à tout le moins sa pratique. » p.77 « Le rôle de l’architecte a été, comme on peut s’y attendre, de formaliser (les) orientations (proposées par ces différents acteurs) dans différentes propositions architecturales, mais aussi - et cela est moins habituel - assurer leur cohérence entre elles. Ignorant de chaque discipline, mais rompu à l’exercice d’articulation entre dispositifs très différents, ses compétences ici tiennent autant à la construction au sens le plus concret du terme qu’à la méditation entre différentes approches disciplinaires. Cet exemple apporte ainsi une réponse à la question sur son rôle requis par les besoins contemporains. » p. 130 « Normalement il ne parait pas intéressant de rentrer dans le détail de l’organisation d’une équipe de maitrise d’oeuvre qui répond à un concours, sauf dans le cas présent pour rendre compte de la variété des opérations qui découle d’une approche circulaire. » p.130

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Rôles de l’architecte Dessinateur

Réflexions de l’architecte Nouvelle vision du monde et de son métier

Étude de cas n°1

Intermédiaire Arbitre

Pour qui et pour quoi exercer ce métier

Responsable Porte-parole / Défenseur Accompagnant Enseignant Dessinateur

Question de la temporalité

Élargissement de son champs de compétences

Nouvelle vision du monde et de son métier

Étude de cas n°2

Intermédiaire Arbitre

Pour qui et pour quoi exercer ce métier

Responsable Porte-parole / Défenseur Accompagnant Enseignant

Question de la temporalité

Élargissement de son champs de compétences

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Merci.

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