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Elevage de Kerglenn

l les embruns de la mer d’Iroise

Depuis plus de quarante ans, l’élevage de Kerglenn s’est forgé une solide réputation dans la production de chevaux de sport grâce à une étude approfondie de la génétique et à une quête d’excellence permanente, selon un modèle original. Découverte.

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En 1979, Alain et Marie-Laure Richard se lancent dans la cuniculture (l’élevage de lapins domestiques) au Conquet, à quelques kilomètres de Brest. Une région baignée par les embruns de la mer d’Iroise, à la pointe du Finistère, où leur fils Ronan voit le jour la même année. Le jeune garçon, que ses parents tentent de décourager de se diriger vers une profession agricole, se débrouille pour découvrir l’équitation sur les chevaux de propriétaires bientôt accueillis sur l’exploitation familiale, puis sur les poneys Connemara que son père acquiert pour débuter un élevage. Peu à peu, Ronan se prend au jeu, et fait ses débuts en compétition à l’âge de dix-huit ans. Progressivement, Alain se laisse convaincre lui aussi et choisit d’élever des chevaux de sport. En 1997, au décès de Marie-Laure, Alain, Ronan et son frère Glenn décident de se séparer de toutes leurs poulinières pour investir dans une pouliche de dix-huit mois, Jumpy de Kreisker (ISO 164/04), fille de Quito de Baussy et de Betty de Kreisker par Muguet du Manoir, pur produit breton né chez Guillaume Ansquer à Plouhinec. Jumpy constitue depuis l’unique lignée maternelle de Kerglenn. Mise à la reproduction par transfert d’embryon à l’âge de trois ans, l’alezane débute la compétition à cinq ans, se classe troisième du critérium des six ans, remporte la finale des sept ans, affiche pendant près de sept années un ISO supérieur à 140, dont deux à plus de 160, et cumule 90 000 euros de gains.

Coté descendance, Jumpy a notamment donné naissance à Olympe de Kerglenn (ISO 125), mère de Rafale de Kerglenn (ISO 139), par Dollar Delapierre, championne

des cinq ans, ainsi que de Shalimar de Kerglenn (Kannan, KWPN), ISO 134. Elle a également produit Quito de Kerglenn, ISO 164 (Diamant de Semilly), ainsi que ses propres sœurs Quandice de Kerglenn (ISO 136/11), championne des cinq ans, performeuse en CSI sous couleurs belges, et Shana de Kerglenn (ISO 156/17), championne de France des sept ans, laquelle a donné naissance à Dana, fille de Mylord Carthago, ISO 142/19, gagnante des cinq ans en 2018, sa propre sœur Dulcinée (ISO 133/19), ses propres frères Darius (ISO 147/21) et Dexter (ISO 144/21). Ce dernier, étalon, évolue en CSI2* sous la selle de Jeanne Sadran, tandis que Déesse de Kerglenn, également fille de Mylord Carthago et Vent du Sud Kerglenn (ISO 139/21) s’illustre actuellement avec Félicie Bertrand. Bref, une descendance des plus performantes ! À noter que Jumpy est aussi la propre sœur de Fakir de Kreisker, ISO 140, père de Lagune de Kreisker, ISO 159, Mitsouko d’Amaury, ISO 165, Nagano de Kreisker, ISO 141 et Liberto de Kreisker, ISO 150.

UN MODÈLE ORIGINAL Aujourd’hui, parmi les cent chevaux accueillis sur les cent dix hectares de la propriété, auto-suffisante en fourrage et céréales, une trentaine de mères porteuses, mais pas une seule poulinière ! Ronan et son père ont en effet opté pour une stratégie de reproduction uniquement basée sur le transfert d’embryons. « C’est plus rapide », observe Ronan. « J’ai des juments de cinq ans qui poursuivent leur carrière en compétition et sont déjà mères d’une dizaine de poulains. Je suis très vigilant et hyper exigeant sur les pouliches que je fais reproduire. Nos mères sont toutes sélectionnées sur leurs origines et leurs résultats, elles sont toutes de familles ayant fait leurs preuves en compétition sur plusieurs générations. » En moyenne, huit à dix poulains voient le jour à Kerglenn. Mais suite à une chute de cheval en 2021 qui l’a tenu éloigné des terrains pendant quelques mois, Ronan l’avoue, il s’est « un peu emballé », et en attend dix-huit pour 2022 à naître à partir de mars, dont des produits de Comme Il Faut, Kannan, Vigo d’Arsouilles, Mylord Carthago, L’Arc de Triomphe ou encore Cassini II. Ronan se dit particulièrement satisfait du pourcentage de réussite que lui apporte cette lignée maternelle unique. « C’est déjà suffisamment compliqué de bien faire avec une seule lignée… Avec plusieurs j’y perdrais mon latin ! » sourit-il. Afin de préserver la qualité de cette souche qui constitue la spécificité de l’élevage familial, Ronan se montre intraitable dans le choix des étalons, sur leurs qualités de reproducteur, leurs performances sportives, et surtout leur propre lignée maternelle. Pour le moment, outre le fait qu’il débourre lui-même tous ses poulains, Ronan monte encore les jeunes sur le circuit SHF, puis les vend ou les confie à différents cavaliers, parmi lesquels Jean Le Monze ou Valentin Besnard.

SAVOIR LES ATTENDRE « Je côtoie mes chevaux depuis leur naissance, je les manipule à partir de l’âge de six mois, je les débourre moi-même. J’aime bien les élever, les attendre, les éduquer et les emmener en concours. L’élevage c’est un peu du rêve », explique Ronan Richard. « Tant qu’on reste à échelle humaine, tout se passe bien. Dès qu’ils sont débourrés, on les emmène en balade sur la plage et les sentiers côtiers. Je pourrais me contenter de les vendre sur leur pedigree, mais je préfère voir ce qu’ils donnent en compétition. » Pour commercialiser ses produits, Ronan s’en tient aux méthodes traditionnelles, même s’il a recours aux réseaux sociaux, dont Facebook, où il compte pas moins de 8 000 abonnés. Concernant les ventes aux enchères, il avoue préférer que ses chevaux fassent le spectacle à sept ou huit ans sur un terrain de concours qu’à trois ans dans un ring. Pour ce qui est des ventes en ligne qui se développent de manière exponentielle, Ronan se dit un peu confus et perplexe. « On entend parler d’une vente tous les trois jours ! ».

À la pointe du progrès concernant les techniques de reproduction, Ronan a récemment eu recours à l’ICSI pour deux de ses juments dans lesquelles il fonde beaucoup d’espoir et qu’il a emmenées en Italie. L’occasion également de prendre quelques jours de vacances avec sa compagne Charlotte Léon et leurs deux

enfants. « C’est un moyen d’avoir des étalons difficiles à obtenir en congelé ou en réfrigéré », souligne Ronan qui en convient, la qualité des paillettes est très inégale. « Parfois, notamment avec les étrangers, on croise les doigts pour que cela fonctionne. On est très bien servi avec certains étalons, très mal avec d’autres. C’est une réelle difficulté pour les éleveurs. Toutes ces techniques exigent un travail énorme de la part des vétérinaires. ».

S’il se dit plutôt satisfait du modèle économique de son élevage, Ronan le reconnaît : il faut tout de même vendre un crack de temps en temps pour rentabiliser la structure. « Jusque là, notre stratégie est plutôt payante car les générations des huit à dix ans sont sur des épreuves 1,45 mètre, mais il faut voir les choses sur le long terme. Si l’on met tout bout à bout, on a plus souvent des déceptions que des joies. Il faut être passionné, d’autant que le coût est énorme. Le prix de revient d’un poulain à la naissance est au minimum de 10 000 euros. Si l’on ne fait pas du haut de gamme, il n’y a aucune chance pour amortir les frais engagés car l’éleveur a toujours la plus mauvaise place », conclut Ronan, pourtant viscéralement attaché à ses chevaux, et à cette terre du bout du monde. « On ne peut pas aller plus loin, au-delà de chez nous c’est New York », sourit-il.

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