INNOVATION / BUSINESS / POLITIQUE NUMÉRO 5 /// MAI 2014 / 45 €
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3 NUMÉROS PAR AN
ÉCONOMIE COLLABORATIVE LE RÈGNE DU PARTAGE ?
Pierre Gattaz
« Le numérique est en première place dans notre projet France 2020 » page 8
TÉLÉCOMS
Daft Punk
page 12
page 48
Des consolidations à très haut débit
Une French Touch pas très « French Tech » ?
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jamal Labed
ÉDITO
COMITÉ ÉDITORIAL Patrick Bertrand, Cegid Valérie Ferret, Dassault Systèmes Marc Mossé, Microsoft Frederic Masse, SAP Pierre-Marie Lehucher, Berger-Levrault Marie Gallas-Amblard, Inria
CHEF DE PROJET Fabrice Larrue DIRECTRICE ARTISTIQUE Pilar Cortés SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Dominique Friocourt (Agence Edido) RÉDACTEURS Guillaume Barrières Solange Belkhayat-Fuchs Isabelle Bellin Diane Dufoix Serge Escalé François Lambel Fabrice Larrue Jérôme Marin Mathilde Maufras Philippe Richard Rémi Sorel Franck Tondou Toute reproduction, représentation, traduction ou adaptation, qu’elle soit intégrale ou partielle, quel qu’en soit le procédé, le support ou le média, est strictement interdite sans autorisation de l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel), sauf cas prévu par l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle. LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE sont édités par
Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel) – association loi 1901 Siège : 11-17, rue de l’amiral Hamelin 75016 Paris SIRET : 489305367 00018 ©2014 AFDEL - Tous droits réservés Dépôt légal : à parution Imprimé en France
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D. PERALDI
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Loïc Rivière
L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE A-T-ELLE BESOIN D’UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE ? Si personne ne conteste plus au numérique son statut de 3e révolution industrielle, beaucoup s’interrogent sur sa capacité à créer emplois et richesses, en particulier en France. Dans le contexte de transformation numérique globale, la notion même de « filière numérique » semble indigente pour saisir cette évolution et tenter de l’accompagner de politiques publiques à même d’en faire un vecteur de réindustrialisation. Car, aujourd’hui, la transformation numérique s’invite partout et brouille les frontières entre industrie et services, entre acteurs du numérique et acteurs de la transformation numérique. Bref, tout inviterait à considérer qu’une stratégie de filière, qu’une politique industrielle dédiée au numérique n’aurait pas de sens, qu’il faut à l’inverse encourager la créativité et l’adoption des usages… On serait tenté alors d’adopter une attitude de prendre pour modèle la Silicon Valley israélienne qui dispose de 60 sociétés cotées au Nasdaq, de célébrer enfin l’avènement d’une « Startup Nation » chez nous, de se réjouir de voir nos jeunes fleurons technologiques passer fréquemment sous bannière étrangère pour des montants records… Hélas, derrière l’euphorie pointe la myopie car, si la créativité est prometteuse, si ces cessions record récompensent légitimement d’incroyables réussites individuelles, celles des fondateurs et probablement des investisseurs de l’entreprise, elles sanctionnent par la même occasion notre incapacité collective à créer des champions industriels de classe mondiale. On en vient ainsi à se demander si la France ne serait pas devenue une terre d’externalisation de la R&D, pour grands groupes en quête d’ingénieurs « chics et pas chers ». Notre population est jeune et créative, mais notre CAC 40 est vieux et menacé...Vieux, parce qu’il ne compte aucune entreprise née après 1990, donc avec l’ère de l’Internet, à l’exception récente de Gemalto. Menacé, parce que le cocktail innovant « big data-mobilité-objets connectés » porte en lui la fin probable de nombreux business centenaires. Notre souveraineté numérique, en réalité économique, pourrait en effet à terme en souffrir. Car la nouvelle révolution industrielle est en fait portée par des grands groupes autant que par le passé. Aucun de ces groupes n’est français ! C’est partant de cette lucidité inquiète que l’ex-ministre Fleur Pellerin a justement confié à Philippe Lemoine, PDG de LaSer, le soin de conduire une mission exploratoire de cette transformation et qu’elle a aussi lancé l’initiative « French Tech » visant l’indispensable passage à l’échelle des start-up. La transversalité du numérique nous empêcherait-elle aussi d’avoir une stratégie de filière ? Le caractère pervasif de l’électricité n’a jamais empêché l’État, pendant la seconde révolution industrielle, de faire du Meccano industriel pour construire une filière productrice, d’assumer la mise en place d’infrastructures essentielles et de bâtir des groupes internationaux en aval. Il existe bel et bien un partenariat stratégique entre l’État américain et les acteurs du numériques aux États-Unis. Il doit pouvoir exister en France un tel partenariat pour soutenir au cœur de cette 3e révolution industrielle, la présence, durable et créatrice d’emplois, d’acteurs français de taille mondiale. Gageons que l’intégration récente et objective du numérique au portefeuille ministériel de l’Économie et de l’Industrie en représente un préalable. LOÏC RIVIÈRE
Vice-président du Comité stratégique de Filière numérique (CSF Numérique)
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8.
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« Le numérique est en première place dans notre projet France 2020 » Pierre Gattaz, Président du MEDEF
Télécoms Des consolidations à très haut débit
SOMMAIRE NUMÉRO 5 /// MAI 2014
06. BILLET D’HUMEUR par Henri van der Vaeren, directeur général de SAP France et Maghreb 07. I ls ont dit, ils ont twitté, ça a buzzé
LE GRAND ENTRETIEN
08. « Le numérique est en première place dans notre projet France 2020 » Pierre Gattaz, président du Medef
L’ESSENTIEL
12. Quarter Back Télécoms : des consolidations à très haut débit 16. L’événement Peut-on faire confiance au cloud ? 17. Best of blogs Pour être innovant, rien ne sert de courir, il faut partir à point ! Par Bruno Vanryb 18. Cent jours : la France digitale Données personnelles : d’intenses débats... et une réforme en stand-by 20. T ROIS QUESTIONS À... François Bourdoncle, copilote du plan Big Data « Nous permettrons aux start-up de maximiser leurs chances de capter le marché » 22. I NTERVIEW Anne Lauvergeon, commission Innovation 2030 « 7 ambitions pour gagner la bataille de l’emploi et de l’export »
LA VIE DES PÉPITES
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24. C apital Koala, Vodkaster 26. Start Up, what’s up Focusmatic, Youmiam, Snapp
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
28.
48.
Le dossier Économie collaborative, le règne du partage ?
LE DOSSIER
Daft Punk Une French Touch pas très « French Tech » ?
28. É conomie collaborative, le règne du partage ? 29. La transformation à marche forcée 31. 9 étoiles montantes 32. I nnovation versus régulation ? 34. Graines d’entrepreneur
INNOVATION
36. Un business model à la loupe Les monnaies virtuelles face aux vagues spéculatives 38. Business 2.0 MDM : la solution pour piloter la sécurité des terminaux mobiles ? 40. La parole à l’innovation E-Commerce 3.0 : du clic à la boutique 42. Prospective Le numérique, une réponse innovante à la complexité du vivant 44. E-Gov Le logiciel libre s’attaque à la neutralité de la commande publique 45. Chronique juridique « Vrais faux » avis de consommateurs, l’e-réputation dans la compétition Par Jean-Sébastien Mariez
COMMUNAUTÉS
46. Communautés Pinterest : épingler, c’est gagner 48. Culture Daft Punk, une French Touch pas très « French Tech » ? 51. Idées Le numérique et la confiance sociale Par Milad Doueihi
FINANCEMENT
52. Tendances Big Data et S.I. d’entreprise, mariage de saison ou mariage de raison 54. Perspective « Il faut une place de marché européenne dédiée aux valeurs de croissance » Jamal Labed, président de l’Afdel 56. Bourse Le baromètre KPMG-Afdel des levées de fonds software 57. Les échos de la Valley Criteo a conquis l’Amérique 58. Tableau de bord L’essentiel de l’économie du numérique en chiffres
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D. R.
BILLET D’HUMEUR Latribune.fr du 23 octobre 2013 indique que « François Hollande va défendre devant le Conseil européen un plan d’action destiné à faire émerger des acteurs de rang mondial dans le marché prometteur du traitement massif des données ». Cette initiative, si elle se confirme, complète l’annonce par le gouvernement français du plan Big Data dans le cadre des 34 projets « Nouvelle France industrielle ». La prise en compte de la nécessaire dimension européenne de ce projet est une bonne nouvelle pour notre industrie dans la mesure où elle va favoriser la coopération et la co-innovation entre acteurs du numérique, clients et partenaires au niveau du continent. Ce type de projet est également bienvenu pour montrer qu’au-delà des différences de business model, les acteurs de l’open source et les autres éditeurs collaborent, afin de fournir à leurs clients les solutions dont ils ont besoin pour acquérir, stocker et analyser les énormes quantités de données produites en continu. Le support de Hadoop, MapReduce et Hive en complément de son offre HANA par un éditeur européen comme SAP permet de constituer une infrastructure donnant la possibilité de traiter en quasitemps réel des quantités de données toujours plus importantes. L’ambition du plan français n’est pas de recréer les technologies existantes, mais bien de tirer parti de ce qui existe pour développer les usages et accélérer l’adoption du Big Data par les entreprises. Le potentiel d’innovation LES ACTEURS EUROPÉENS porté par ces technologies s’illustre dans des SONT PRÊTS AUJOURD’HUI secteurs d’activité très différents. À PRENDRE TOUTE LEUR Mac Laren en Formule 1 va utiliser des composants Big Data pour réagir toujours plus PLACE DANS LE PLAN BIG vite aux informations transmises par les quelque DATA FRANCE. 120 capteurs équipant ses voitures. John Deere, fabricant de tracteurs agricoles, équipe également les véhicules de ses clients de plus de 150 capteurs qui transmettent en continu des informations dont l’exploitation par des outils d’analyse prédictive permet d’anticiper les pannes, de planifier les interventions de maintenance, tout en assurant une logistique optimale pour la fabrication et la mise à disposition des pièces de rechange. Cet exemple illustre une tendance qui devrait se généraliser : la gestion des données décisionnelles et des processus de gestion dans le même système, évitant ainsi la désynchronisation entre ses deux univers qui tendent tous les deux vers le vrai temps réel. L’hôpital universitaire de La Charité à Berlin utilise les technologies Big Data pour produire une aide au diagnostic et à la thérapie anticancéreuse en temps réel à partir de plusieurs téraoctets de données patient. Ces capacités de traitement permettent d’abaisser les coûts et de sécuriser les prises de décision qui, bien sûr, restent dans les mains des équipes soignantes. Au-delà de ces quelques exemples, les acteurs européens sont prêts, aujourd’hui, à prendre toute leur place dans le plan Big Data France et dans celui que l’Union européenne pourrait mettre en œuvre. HENRI VAN DER VAEREN
Directeur général de SAP France et Maghreb
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LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
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D. R.
LE GRAND ENTRETIEN
PRÉSIDENT DU MEDEF
PIERRE GATTAZ
« LE NUMÉRIQUE EST EN PREMIÈRE PLACE DANS NOTRE PROJET FRANCE 2020 » Propos recueillis par Loïc Rivière La stratégie de l’offre adoptée par le président de la République et fondée sur le rétablissement de la compétitivité-coût des entreprises françaises constitue-t-elle une réponse satisfaisante aux demandes du Medef ?
C’est la seule possible, non pas pour plaire au Medef, mais pour assurer la réussite économique de notre pays. Avec un taux de chômage de 11 %, nous n’avons pas le choix. Une politique de l’offre, qu’est-ce que c’est ? C’est proposer des produits innovants à forte valeur ajoutée à un prix compétitif. Pour cela, il faut encourager les entreprises à investir dans la R & D et à optimiser les capacités de production avec des technologies performantes. C’est à cette seule condition que nous pourrons conquérir des marchés, et donc créer de l’emploi. Cela étant, si la réponse nous satisfait, ce n’est pas suffisant, il faut que le gouvernement passe à l’action et mette vraiment en place une politique susceptible d’assurer aux entreprises le terreau favorable à leur développement. Pour le moment, nous attendons du gouvernement qu’il clarifie son projet, précise ses intentions en matière de baisse des prélèvements obligatoires, afin que nous puissions avancer en partenariat avec les partenaires sociaux. Mais il y a urgence, ne l’oublions pas, il y a un lien direct entre la compétitivité et l’emploi.
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Parmi les contreparties évoquées par le gouvernement, l’investissement est en bonne place…
L’investissement est une nécessité pour une entreprise, c’est la clé de tout. Et c’est encore plus vrai, aujourd’hui, avec la transformation numérique qui concerne et affecte tous les domaines de l’entreprise. Mais une entreprise ne peut investir que si elle a les marges suffisantes pour le faire. Or, avec un taux de marge des plus faibles d’Europe – 28 % contre 40 % en moyenne dans l’UE et 41 % pour les entreprises allemandes –, et une fiscalité parmi les plus élevées d’Europe, nos entreprises n’ont plus les moyens de former, d’investir dans la recherche, de moderniser leur appareil de production, d’innover, et donc d’exporter. C’est pourquoi nous demandons une baisse des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises de 60 milliards d’euros d’ici à 2017, 35 milliards au titre du coût du travail et 25 milliards au titre de la fiscalité. Mais, bien sûr, cela ne peut se faire que si l’État s’engage dans une baisse significative des dépenses publiques, c’est la clé de voûte de tout l’édifice. Nous suggérons que soit fixé un objectif simple : celui de geler les dépenses publiques au niveau de 2014 pour les trois prochaines années. Cette ambition n’est pas
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
LOREM IPSUM
LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE EST AUSSI UNE RÉVOLUTION DE L’EMPLOI AVEC LA DISPARITION PROGRAMMÉE DES EMPLOIS PEU QUALIFIÉS ET L’ÉMERGENCE DE COMPÉTENCES NOUVELLES.
hors d’atteinte. Nous avons 1 200 milliards d’euros de dépenses publiques chaque année, ce qui représente 57 % de notre PIB, quand l’Allemagne est à 46 %. Pensez-vous que la France tient son rang en matière d’innovation au sein des entreprises ?
Oui, notre pays a des atouts considérables, avec des entreprises leaders dans la recherche et la technologie médicale, le nucléaire, l’aéronautique, l’énergie, l’environnement, des ingénieurs hors pair reconnus dans le monde entier, des PME et ETI dynamiques, des start-up créatives… Malheureusement, tout ce dynamisme et ces compétences sont étouffés sous une inflation de textes et de réglementations tatillonnes, et entravés par une fiscalité décourageante, malgré des avancées, comme la pérennisation du crédit-impôt-recherche ou le CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, N.D.L.R.]. Cela étant, toutes les filières françaises, industrie et services, doivent monter en gamme. Dans une économie globalisée, l’avantage comparatif, c’est l’innovation, la valeur ajoutée. Mais, parallèlement, il faut être intransigeant sur l’excellence opérationnelle. Si vous livrez un produit ou un service innovant de qualité médiocre et en retard, vos clients ne vous le pardonneront pas, surtout s’ils sont étrangers. À travers notre pôle Entrepreneuriat et Croissance, nous aidons les entreprises à améliorer ce que nous appelons la compétitivité hors coût. De même, nous repérons et aidons les PME et ETI innovantes qui pourraient exporter mais ne le font pas. Les PME innovantes, notamment dans le numérique, rencontrent des difficultés à accéder à la commande des grands groupes. Pensez-vous que cela puisse faire partie des contreparties dans lesquelles les entreprises pourraient s’engager ?
Les entreprises françaises doivent chasser en meute, comme le font les entreprises allemandes, américaines et chinoises, c’est la clé de leur réussite à l’export. Lorsque leurs grands groupes
s’implantent à l’étranger, ils emmènent toujours leurs fournisseurs avec eux. En France, de nombreux groupes sont exemplaires et jouent leur rôle de porte-avions. Nous nous mobilisons pour développer cette pratique, encore plus indispensable en période de crise, c’est l’une de nos priorités, que nous avons concrétisée avec la création de notre pôle InternationalisationFilières. Les grands donneurs d’ordre que sont l’État et les collectivités locales ont également leur part de responsabilité dans cette situation. Pour se positionner sur un marché mondial, l’entreprise doit pouvoir prendre appui sur son marché intérieur. Malheureusement, et c’est particulièrement vrai dans le domaine des nouvelles technologies médicales – imagerie, microrobots, etc. –, où la France est particulièrement en pointe, les entrepreneurs français rencontrent souvent plus d’intérêt pour leurs innovations et de succès auprès des décideurs étrangers qu’auprès des décideurs français qui, à leur décharge, ont toutes les peines du monde à faire entrer ces dispositifs novateurs dans la nomenclature figée et obsolète de l’administration. Le numérique peut-il, selon vous, être un vecteur de croissance de l’emploi en France, dans le cadre de l’objectif « 1 million d’emplois » ?
Oui, bien sûr, le numérique est un vivier d’emplois présents et à venir, c’est en cela que ce secteur représente une opportunité totalement inédite, à la fois en termes d’emplois directs et indirects. Les nouvelles technologies ont un effet d’entraînement positif dans toute l’économie, s’immiscent dans tous les secteurs d’activité : le tourisme, la santé, la dépendance, le bâtiment, etc. Et ce n’est qu’un aspect de la révolution en cours qui va modifier radicalement la vie quotidienne, avec le développement des nanotechnologies, de la robotique, de la biotechnologie… Mais cette révolution technologique est aussi une révolution de l’emploi avec la disparition programmée des emplois peu qualifiés et l’émergence de compétences nouvelles. La dimension numérique est d’ailleurs l’un des défis que nous voulons relever, elle figure en première place dans notre projet 2020 Faire gagner la France.
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LE GRAND ENTRETIEN
L’ACQUISITION DES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES EST COMPATIBLE AVEC TOUS LES TYPES DE FORMATION – COURTE, LONGUE, EN ALTERNANCE, ETC. –, AVEC LA CERTITUDE D’ÊTRE EMBAUCHÉ.
Le défi est de deux ordres : il s’agit d’anticiper les nouveaux métiers – certains existent aujourd’hui, que nous n’imaginions pas il y a une vingtaine d’années. Et, parallèlement, il s’agit de former à ces nouveaux métiers. Les innovations technologiques, en constante évolution, nécessitent de se former de façon régulière, voire de se reconvertir. Pour cela, il faut repenser la formation initiale et développer la formation continue, afin de doter le salarié de compétences élargies et transférables qui lui permettront de conserver son employabilité, quelle que soit l’évolution du monde professionnel, sachant que près d’un jeune sur deux travaille déjà dans un métier ou un secteur pour lequel il n’a pas été spécifiquement formé. La réforme de la formation professionnelle, que nous venons de signer au côté des partenaires sociaux, répond à cet enjeu. Et là aussi, il y a urgence. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises industrielles ont du mal à trouver les profils qualifiés spécialisés, notamment en systèmes embarqués. D’où leur décision d’ouvrir leurs propres instituts de formation ou de soutenir les organismes de formation ad hoc. Vous évoquez souvent les « écoles numériques » ciblant les jeunes « décrocheurs » comme une initiative dont il faut s’inspirer. Selon vous, notre système éducatif n’est plus adapté aux réalités d’aujourd’hui ?
Nous avons, c’est vrai, un retard en la matière, que viennent combler les « écoles numériques » – des initiatives, privées pour la plupart, qui proposent une formation différente. Le diplôme n’est pas la garantie du génie, on peut être en échec scolaire et avoir un potentiel que ne développe pas forcément
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l’enseignement théorique. Les 140 000 élèves « décrocheurs » qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification ne sont pas dépourvus de talents et n’ont pas vocation à rester sans emploi. Cette réalité, le système éducatif français, trop normatif, ne l’intègre pas suffisamment. Or l’acquisition des technologies numériques est compatible avec tous les types de formation – courte (bac + 2), longue (bac + 5), en alternance, etc. –, avec la certitude d’être embauché. Vous avez fait ce déplacement au CES de Las Vegas* pour vanter l’offre française de technologie, en compagnie de la ministre Fleur Pellerin. Qu’avez-vous retenu de ce voyage et faut-il voir dans ce déplacement une conception nouvelle du rôle du Medef et de son président ?
Au CES de La Vegas, j’ai vu et mesuré la compétence, la créativité, l’ingéniosité des chefs d’entreprise français. Dans l’Eureka Park, la zone dédiée aux start-up, les petites françaises étaient surreprésentées – 40 sur 200 –, notamment dans les objets connectés. Ces hommes et ces femmes, venus trouver des idées, des partenaires, des investissements, ce sont les « Christophe Colomb » du XXIe siècle. Ils sont représentatifs de la capacité de la France à rebondir. Les Français sont d’ailleurs tous repartis avec des contrats proches de la signature, des chiffres, des négociations. Cette visite m’a confirmé dans ma volonté et a renforcé ma détermination de mener à bien notre projet * Consumer Electronic Show. L’édition 2014 de ce salon s’est tenue à Las Vegas, du 7 au 10 janvier dernier.
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
D. R.
SI ON LIBÉRAIT UN JOUR SA CAPACITÉ DE PRODUCTION, LA FRANCE SERAIT LA PREMIÈRE ÉCONOMIE DU MONDE.
2020 Faire gagner la France. Si le gouvernement s’emploie à faire les réformes nécessaires et si nous, de notre côté, comme nous l’avons décidé avec la création d’un pôle consacré à cet effet, accompagnons systématiquement les entreprises dans leur démarche de développement et d’exportation avec des produits innovants et irréprochables, la France retrouvera son
rang dans le peloton de tête des pays compétitifs et prospères. D’ailleurs, le Wall Street Journal l’a affirmé à plusieurs reprises : si on libérait un jour sa capacité de production, la France serait la première économie du monde. Dans la ville du jeu et des paillettes, ce n’est pas un pari que j’ai fait, c’est une réalité que j’ai touchée du doigt.
BIO EXPRESS PIERRE GATTAZ Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall depuis 1994, a été élu président du Medef, le 3 juillet 2013. Né le 11 septembre 1959, il est diplômé de l’École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne et est également titulaire d’un « Certificate in Administrative Management » à l’université Georges-Washington (États-Unis). De 1999 à 2003,il a présidé le Groupement des industries de l’interconnexion, des composants et des sous-ensembles électroniques (Gixel) puis, de 2002 à 2007, il a été le président-fondateur de la Filière des industries électroniques et numériques (FIEN), avant d’être élu président de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), en 2007. À cette date, il intègre le conseil exécutif du Medef. Il est président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), depuis 2010, membre du bureau du CNI (Conseil national de l’industrie) et membre fondateur de la Fabrique (think tank de l’industrie) depuis 2011, membre du bureau de l’UIMM depuis 2012. .
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QUARTER BACK
TÉLÉCOMS
DES CONSOLIDATIONS À TRÈS HAUT DÉBIT La compétition suscitée par l’avenir de SFR confirme une tendance forte en Europe, celle de la fusion entre acteurs télécoms, afin de réduire les coûts tout en proposant des services convergents. par Philippe Richard
A
lors que la compétition battait son plein autour du rachat de SFR, le géant britannique de la téléphonie mobile Vodafone reprenait le câblo-opérateur espagnol Ono pour un montant de 7,2 milliards d’euros. Entamée en 2012, cette vague de rapprochements va prendre de l’ampleur dans les prochains mois avec des consolidations régionales et nationales puis paneuropéennes, dans un second temps. À terme, le secteur européen sera moins fragmenté. Aujourd’hui, il compte environ une centaine d’acteurs, contre une poignée outre-Atlantique. Pour Didier Pouillot, responsable de l’unité Économie des télécoms à l’Idate, « les récents projets de rapprochement dans les télécommunications en Europe traduisent tous l’impérieuse nécessité pour une industrie en proie à d’importantes difficultés financières de se restructurer ». Pour la plupart des opérateurs, un seul réseau n’est plus rentable alors qu’il faut continuer à investir dans les nouvelles technologies. Reste à savoir lequel des opérateurs télécoms et des « câblos » prendra le dessus sur l’autre. Bousculés par l’arrivée de l’ADSL et de la 3G et cantonnés à la TV, les câblo-opérateurs européens semblent reprendre la main. Leurs dettes baissent et leur chiffre d’affaires grimpe (+ 4,3 % l’an dernier). Principale raison : leur développement dans le très haut débit (THD), favorisé par des déploiements moins coûteux et plus rapides qu’avec la technologie Fiber to the Home (FTTH). « Déployer un accès FTTH
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coûte en moyenne 1 000 euros par logement, contre 200 euros en câble THD », souligne Damien Chew, directeur à l’agence de notation Fitch. À l’inverse, les opérateurs télécoms européens ont été pénalisés par la guerre des prix sur les forfaits mobiles. ASSOCIER UNE MARQUE MOBILE FORTE À UN IMPORTANT RÉSEAU TRÈS HAUT DÉBIT
Aujourd’hui, les investisseurs se tournent de nouveau vers les réseaux fixes. Les réseaux câblés permettent en effet de faire transiter des services vocaux et des données à des vitesses souvent cinq fois supérieures à celles proposées par l’ADSL ou la 4G. Un atout majeur face à l’explosion du trafic de données sur le web et à la concurrence des géants du Net. D’où l’acquisition (pour 45 milliards de dollars) du cablo-opérateur américain Time Warner Cable par son concurrent Comcast qui possède notamment la chaîne NBC. En rachetant des câblo-opérateurs, les opérateurs mobiles peuvent également proposer des offres commerciales fixemobile intéressantes pour le consommateur. Avec une formule clé : le « quadruple play » (abonnement de téléphonie mobile et fixe, télévision et Internet). C’est la stratégie retenue par Vodafone qui, avant d’acheter l’espagnol Ono, avait acquis le câblo-opérateur Kabel Deutschland.
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
© Corbis
Patrick Drahi, principal actionnaire d’Altice (maison mère de Numericable), poursuivait le même objectif en associant une « marque mobile forte » (SFR) à un important réseau THD. Encore faut-il que le rapprochement soit fiable d’un point de vue financier. Pour les experts de l’Idate, le passage de quatre à trois opérateurs mobiles permettrait de faire cesser la guerre des prix et de réaliser des économies d’échelle. Mais il ne donnera pas la possibilité aux entreprises d’augmenter leurs marges pour investir dans un marché où les équipements changent chaque année. « Le téléphone mobile n’est plus la cash machine des trois opérateurs historiques », rappellent dans La Tribune Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’Essec. FEU VERT POUR SFR DANS NEUF À DOUZE MOIS...
Mais les jeux ne sont pas encore faits. Le feu vert des régulateurs ne devrait pas être donné au repreneur de SFR avant « neuf à douze mois », selon les analystes de Fitch. D’ici là, d’autres opérations pourraient être menées par Vodafone, qui dispose d’un important trésor de guerre (93,7 milliards d’euros), ou encore Orange, qui « examinera les opportunités » qui se présenteront... Et rien ne dit que les intégrations seront réussies. Un opérateur, quelle que soit sa puissance, ne peut maîtriser qu’un nombre limité de transactions en même temps.
LES GRANDS ACTEURS DE L’INTERNET, NOUVEAUX INVESTISSEURS
Alors que l’on pensait les opérateurs télécoms seuls pourvoyeurs de réseaux, certains géants du web (Google, Facebook, Microsoft…) déploient également leurs propres infrastructures. Exemple le plus frappant avec Google Fiber. Le célèbre moteur de recherche investit depuis maintenant quatre ans dans la fibre optique. Cantonné à ses débuts à 3 villes (Kansas City, Austin et Provo), Google sollicite désormais 34 municipalités pour déployer son réseau. Et le géant de Mountain View ne compte pas s’arrêter là, son objectif étant de s’imposer à long terme comme un opérateur d’envergure nationale (et peut-être mondiale). Les débats sur la neutralité du Net, sur l’accès des agences gouvernementales aux données et sur la vitesses de connexion aux pétaoctets de données stockées dans les data centers, sont autant de raisons qui poussent ceux que les opérateurs qualifient d’ « over the top » à investir dans les infrastructures. Google dispose de 160 000 km de fibre optique à travers le monde. Facebook s’est offert un câble sous-marin de 10 000 à travers le Pacifique. Source : Wall Street Journal.
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QUARTER BACK
///// Le jeu vidéo, premier marché du divertissement par François Lambel
Le lancement du jeu d’action et d’aventure Grand Theft Auto 5 (GTA 5) a battu sept records mondiaux. L’ampleur de deux de ces exploits illustre bien le poids de l’industrie du jeu vidéo : pas moins de vingt-quatre heures après sa sortie, GTA 5 s’est vendu à 11,2 millions d’exemplaires, réalisant un chiffre d’affaires de 800 millions de dollars. Le milliard de dollars aura été atteint en trois jours. Une réussite avérée pour un jeu qui détient un autre record, celui du plus coûteux à produire. Son éditeur, Take-Two Interactive, lui aurait consacré 227 millions de dollars, dont 89 millions pour son développement, confié à une équipe de plus de 300 personnes, et 137 millions pour le marketing, bien au-delà de ce que Hollywood réserve à ses blockbusters. L’éditeur de Call of Duty, un autre jeu « tripe A » dont les ventes dépassent allègrement les 10 millions d’exemplaires,
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jongle également avec le milliard de dollars engrangé en un temps record pour la sortie du dernier opus. Aux côtés de ces mastodontes, la diversité de l’offre place également en tête des ventes les jeux de pur divertissement, comme Candy Crush Saga qui a été téléchargé 500 millions de fois en un an. Chaque jour, il rapporte plus de 800 000 dollars à King Digital Entertainement, son éditeur. « Aujourd’hui, le jeu vidéo est l’industrie de l’entertainement la plus importante en termes de chiffres d’affaires et en nombre d’utilisateurs. Le marché du jeu vidéo a très largement dépassé celui de la musique et du cinéma », constate Emmanuel Forsans, directeur général de l’Agence française pour le jeu vidéo.
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
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/ WiFi gratuit dans 128 gares de la SNCF d’ici à 2015
/ Un marché du PC en déclin face aux tablettes
/ Dailymotion : Orange en discussion avec Microsoft
À compter de février 2015, les usagers de la SNCF pourront bénéficier d’un réseau WiFi entièrement gratuit dans les 128 plus grandes gares françaises, une première en Europe. Ce réseau sera accessible après le visionnage d’un spot de publicité, afin de financer le système. Le WiFi bénéficiera également au travail des agents SNCF qui disposeront de tablettes et de smartphones connectés à de multiples applications. Un virage souhaité par Guillaume Pepy, le président de la SNCF, vers la transformation numérique de l’entreprise.
Selon un rapport du cabinet Gartner, le marché mondial du PC a reculé de 10 %, en 2013. Au total, ce sont près de 276 millions de PC qui ont été écoulés, contre 270 millions de tablettes. Une croissance du marché des tablettes qui devrait atteindre 38 % en 2014. Celles-ci devraient d’ailleurs supplanter les PC en nombre dès cette année, avec près de 350 millions d’exemplaires vendus. Néanmoins, l’apparition d’appareils hybrides mi-PC, mi-tablette devrait permettre aux fabricants de PC de trouver de nouveaux relais de croissance pour enrayer la baisse de leur activité.
Alors que le gouvernement s’était opposé, l’an dernier, au rachat de Dailymotion par Yahoo, Stéphane Richard, PDG d’Orange, a déclaré être en discussion avec Microsoft en vue d’une cession partielle de la deuxième plateforme mondiale de vidéo. Devant réaliser des investissements massifs pour accompagner le développement à l’international de Dailymotion et faire face à la concurrence de YouTube, l’opérateur historique souhaite céder une partie du capital tout en restant majoritaire. La plateforme totalise aujourd’hui plus de 120 millions de visiteurs par mois.
/ L’industrie numérique française au défi du cloud et de l’international
/ CarPlay, votre voiture connectée avec Apple Lors du salon de l’automobile de Genève, début mars, Apple a présenté CarPlay, une nouvelle solution directement intégrée à l’habitacle de la voiture. Interface dérivée du nouvel OS de la firme à la pomme, celle-ci permet via la reconnaissance vocale de l’iPhone (Siri) d’utiliser l’ensemble des fonctions et applications du téléphone (navigation, messagerie, musique, etc.). L’arrivée d’Apple dans un secteur pourtant éloigné de son cœur de métier illustre l’appétit des géants du numérique (Google, Microsoft) pour la voiture connectée. Un marché qui devrait atteindre 40 milliards d’euros en 2018, selon une étude de SBD et de GSMA. Dès cette année, une douzaine de fabricants, dont le Français PSA, intégreront CarPlay dans leurs nouveaux modèles.
/ Réalité virtuelle : l’avenir de l’écran ? Alors que Google s’apprête à commercialiser ses « Glass » cette année, Facebook voit l’avenir de l’écran en 3D avec l’acquisition de la start-up Oculus VR, qui développe un casque de réalité virtuelle. Anticipant l’ère de l’après-mobile, Mark Zuckerberg, PDG-fondateur du réseau social, y voit la plateforme de demain. Au-delà du jeu vidéo qui fut la priorité du développement d’Oculus, Facebook prévoit d’étendre l’immersion des utilisateurs, publicités incluses, à de nouveaux secteurs incluant les communications, les média, le divertissement et l’éducation.
La deuxième édition de l’étude GSL100 réalisée par PwC, l’Afdel et le SNJV dévoile le classement des principaux acteurs du numérique français pour l’année 2013. Le Top 100 des acteurs français du numérique pèse plus de 7,4 milliards d’euros, en progression de 6 % par rapport à l’an dernier. Internet (+ 38 %), le cloud computing (+ 70 % pour les acteurs du SaaS) et le marché des jeux dématérialisés (+ 12 %) tirent la croissance des acteurs français du numérique. Il faut relever la profonde restructuration que vivent ces acteurs avec l’impact du cloud et un sprint à l’innovation et à l’international au moyen de fortes levées de fonds. Par Fabrice Larrue
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L’ÉVÉNEMENT
GOUVERNANCE D’INTERNET
PEUT-ON FAIRE CONFIANCE AU CLOUD ? Le 10 mars, lors du premier forum Gouvernance Internet France, l’Afdel organisait un atelier consacré à la problématique du cloud et de la souveraineté numérique. Pour les intervenants, si les « nuages » respectent difficilement les frontières, la transparence, tout comme la vigilance démocratique des États, est cruciale pour la confiance des usagers. par Diane Dufoix
L
e cloud est devenu une réalité omniprésente, porteuse de nouveaux usages et d’opportunités. Comme l’a souligné Tariq Krim (CNNum, fondateur de Jolicoud), « avec le cloud, nous avons basculé dans un nouveau monde et nous ne reviendrons pas à l’ancien ». En parallèle, les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de la NSA constituent un tournant historique en matière de prise de conscience citoyenne. Le vote en France de la loi de programmation militaire – en particulier son article 20 – pose en outre la question de l’équilibre entre sécurité nationale et protection des droits. Au-delà, les business modèles des grandes plates-formes numériques internationales, fondées pour certaines sur l’utilisation massive de données personnelles, constituent également un élément de contexte important. DE LA PERTINENCE (OU NON) D’UNE OBLIGATION DE LOCALISATION DES DONNÉES
Certains États ont été tentés, au cours des mois précédents, d’affirmer une forme de souveraineté sur les données de leurs citoyens. La chancelière allemande Angela Merkel ou encore la présidente du Brésil Dilma Rousseff ont tenu des discours en ce sens. Les intervenants, interrogés par Jean-Christophe Letoquin, ont expliqué que la réponse ne se trouvait pas dans la construction de frontières ni dans l’instauration d’une obligation légale de localisation des données sur tel ou tel territoire. CONFIANCE NUMÉRIQUE ET GARANTIE DES DROITS
Industriels et représentants de la puissance publique se sont accordés pour dire que la question de la souveraineté numérique est d’abord celle de la garantie des droits, à plusieurs niveaux. Pour obtenir la confiance, il convient de sécuriser différentes couches, qu’elles soient matérielles ou logicielles, qu’elles portent sur la dimension contractuelle, pédagogique avec
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l’éducation à la responsabilité numérique, ou encore démocratique sur la question de la cybersurveillance des États… Selon Stanislas de Rémur (Oodrive), « les utilisateurs, qu’ils soient des citoyens, des entreprises, ou des collectivités publiques, doivent d’abord savoir où sont leurs données et comment elles sont utilisées », notant que la réponse au défi de la confiance dans le cloud se trouvait en premier lieu dans la transparence. En la matière, Olivier Iteanu, avocat, a relevé le caractère crucial des contrats. Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, a précisé la stratégie de Microsoft s’appuyant sur des data centers au plus près des clients, c’est-à-dire sur le territoire Europe pour les Européens. En matière de cybersurveillance, les participants en ont appelé à la vigilance démocratique des États. Édouard Geffray, secrétaire général de la CNIL, a proposé l’instauration d’un consentement préalable des autorités de contrôle européennes, avant tout transfert de données par une entreprise vers un juge ou une administration d’un pays tiers. POUR UNE VISION POSITIVE DE LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE EUROPÉENNE
Jérôme Brun (Atos) a fait le point sur les développements récents en matière de certification et de labellisation des solutions cloud, qui font l’objet de travaux au niveau européen (European Cloud Partnership) et français (plan Cloud). La question de l’harmonisation dans le cadre du futur règlement européen relatif aux données personnelles a été jugée également essentielle. Enfin, en matière de protection des droits, les intervenants ont appelé l’Europe à montrer le chemin concernant les valeurs démocratiques, sujet dont se sont saisis les parlementaires européens. Et si la souveraineté numérique passait, en définitive, par le développement d’une filière cloud européenne compétitive et forte, capable de se déployer demain hors des frontières ?
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BEST OF BLOGS
POUR ÊTRE INNOVANT, RIEN NE SERT DE COURIR, IL FAUT PARTIR À POINT ! L’innovation, le nerf de la guerre technologique, le point qui fait la différence entre les acteurs du numérique ? Oui, lorsqu’elle rejoint le principe de réalité économique et s’inscrit dans le quotidien. Lu sur le blog
http://leconomiereelle.blogs.challenges.fr
S
D. R.
teve Jobs est, pour tous, le père de l’innovation technologique. Malgré son décès, on continue de le citer en référence. Que retient-on de lui ? Cette phrase magique qui a fait le succès d’Apple : « Think different ». Mais qu’estce que cela veut dire exactement ? La capacité de se réinventer, de trouver la bonne idée qui tue, le dépassement de soi ? Quand on regarde de plus près l’histoire de la firme à la pomme, on se rend compte rapidement qu’être le premier à imaginer un produit qui n’existe pas ne suffit pas à devenir le leader de sa catégorie. L’iPod ? Les baladeurs MP3 existaient déjà depuis longtemps sans qu’aucun modèle n’arrive à émerger. L’iPhone ? Idem. À sa sortie, cela faisait un moment que les écrans tactiles et les smartphones équipaient certaines catégories d’utilisateurs dans le monde professionnel et les « early adopters ».
BIO EXPRESS BRUNO VANRYB Président d’Avanquest Software. 1998 l’un des fondateurs de Croissance Plus. 2005 Élu président du MiddleNext. Depuis 2010 Membre du comité d’orientation du NYSE Euronext et président du collège éditeurs de logiciels de Syntec numérique. De 2011 à 2012 Membre du Conseil national du numérique.
Moralité : pour être innovant, cela ne sert pas seulement d’être le premier ; il faut surtout arriver au bon moment, sur un marché parfois déjà ouvert par d’autres concurrents. Le « Think different », c’est ce qui permettra d’apporter la qualité qui rend le produit indispensable pour l’utilisateur. Il ne faut donc pas forcément courir en tête, il faut surtout être le meilleur ! Il n’est pas question ici de dire qu’Apple n’est pas innovante. Elle l’est évidemment, à travers la pénétration extraordinaire de ses outils dans notre vie quotidienne. Mais c’est justement là le secret de la réussite. L’innovation dans le numérique, ce n’est pas seulement de la technique, c’est aussi du marketing et des usages. Le mieux est parfois de laisser les autres
créer le besoin pour mieux y répondre par la solution la plus ergonomique, en phase avec l’attente de l’utilisateur. D’ailleurs, son principal challenger, Samsung, est en passe de suivre le même chemin, après avoir été longtemps perçu comme un constructeur fiable techniquement, mais pas très novateur. Aujourd’hui, ses téléphones mobiles reprennent les clés de la réussite de l’iPhone mais arrivent enrobés d’une nouvelle couche d’innovation. Ce n’est pas pour rien que les deux géants se sont mutuellement accusés de contrefaçon. L’innovation n’a de sens que couplée à un principe de réalité économique : pas de recette miracle, il ne suffit pas de l’idée révolutionnaire pour que cela marche ! Prenons un cas concret : l’impression 3D. Tout le monde en parle, les applications sont très impressionnantes mais, au-delà de quelques cas anecdotiques qui intéressent les médias, on n’est pas encore certain du modèle économique qui fera émerger cette nouvelle technologie. Pourtant, l’impression 3D finira par trouver le succès, mais seulement lorsqu’une entreprise aura élaboré un produit d’une utilité directe pour l’utilisateur, loin du gadget. La France s’est construite sur une logique de recherche, sûrement passionnante mais parfois sans débouchés réels. Le passage à une dynamique d’innovation inscrite dans le quotidien donnerait un vrai coup de fouet à notre écosystème. La mesure la plus emblématique de soutien à nos entreprises s’appelle le crédit impôt recherche. Il serait peut-être temps de passer au crédit impôt innovation !
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CENT JOURS : LA FRANCE DIGITALE
DONNÉES PERSONNELLES : D’INTENSES DÉBATS… ET UNE RÉFORME EUROPÉENNE EN STAND-BY Usagers et entreprises attendent avec impatience les nouvelles règles destinées à encadrer l’utilisation des données personnelles que Bruxelles peine à définir. par Diane Dufoix
C
ela fait maintenant deux ans que l’Europe débat du paquet législatif relatif à la protection des données personnelles. Cette réforme, selon Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, vise à « susciter la confiance dans les services en ligne […], tout en simplifiant les règles auxquelles les entreprises sont soumises ». Elle est suivie très attentivement par une multitude d’acteurs, en premier lieu par les usagers, qui pourraient se voir attribuer de nouveaux droits dans l’univers numérique, et ensuite par les entreprises, pour qui la confiance numérique est fondamentale. PAS D’ACCORDS AVANT 2015
Les chefs d’État et de gouvernement, réunis au Conseil européen d’octobre 2013, ont défini l’horizon d’adoption de la réforme : ce ne sera pas avant 2015, au regret du Parlement européen qui, après de longues tractations entre les différents groupes politiques, a voté en commission un texte de compromis qui a été adopté le 12 mars dernier (voir encadré). Dans les faits, les négociations au sein du Conseil européen se poursuivent à un rythme de travail soutenu : fondement du traitement et définition du consentement, privacy by design, droit à la portabilité des données, droit à l’oubli, répartition
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des responsabilités entre les acteurs du traitement, transferts internationaux de données, partage des compétences entre les différentes CNIL nationales, montant des sanctions, etc. Deux Européens sur trois craignent que les entreprises s’échangent leurs données à caractère personnel sans leur consentement (TNS Opinion & Social, 2011). Le futur texte européen devra trancher sur la nature du consentement de l’utilisateur, comme fondement du traitement de ses données : consentement que la Commission et le Parlement européen souhaitent « explicite », et que certains membres du Conseil, comme l’Irlande, appellent à qualifier plutôt de « non ambigu ». Selon Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, « il faut concevoir des formes utiles et donc efficaces de consentement qui peuvent s’intégrer dans une logique de “Privacy by design”. Il est fondamental que le citoyen ait le pouvoir sur ses données et que les entreprises garantissent la transparence sur la localisation, la collecte et le respect de la finalité du traitement des données ». Aux États-Unis, 41 % des internautes paramètrent leurs navigateurs, afin de maîtriser les traces qu’ils laissent sur Internet (Pew Research center, 2013). Alors que l’État de Californie a fait grand bruit en instaurant un droit à l’oubli (pour les mineurs), les débats se poursuivent
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en Europe à ce sujet. La CNIL soutient l’instauration de ce droit, qui reste étroitement lié au droit au déréférencement dont la responsabilité incomberait notamment aux moteurs de recherche. « Aujourd’hui, vous avez d’ores et déjà des hypothèses selon lesquelles vous pouvez obtenir un effacement. Par exemple, une personne qui se fait insulter sur un site peut porter plainte pour injure, mais également réclamer l’effacement. Le problème est qu’on n’a pas de reconnaissance juridique d’un droit à déréférencement », explique le secrétaire général de la CNIL Edouard Geffray, dans une interview sur le site PC INpact, en avril 2013. Mais l’idée d’un droit à l’oubli ne convainc pas l’ensemble des observateurs. Parmi ses plus vifs opposants, on compte l’Association des archivistes français qui a recueilli plus de 50 000 signatures en faveur de sa pétition, arguant des risques que ferait courir à la liberté d’expression et au devoir de mémoire un droit à l’oubli défini trop largement. La question de l’application effective de ce droit se pose également dans un univers numérique sans frontière, caractérisé par une dissémination extrême des contenus. De plus, met en garde le psychanalyste Serge Tisseron, la création d’un droit à l’oubli pourrait s’accompagner d’effets secondaires indésirables sur les comportements : « Tout pourrait être tenté parce que tout pourrait être effacé. »
L’HABEAS CORPUS FRANÇAIS
C’est dans ce contexte que Fleur Pellerin a annoncé le dépôt, l’été prochain, d’un projet de loi sur le numérique. Il sera notamment question d’aborder la problématique des nouveaux droits des personnes, du renforcement des pouvoirs de la CNIL et de la simplification des démarches des entreprises. Autant de sujets fondamentaux qui sont déjà au cœur des débats actuels sur le projet de règlement européen… LES EURODÉPUTÉS RENFORCENT LA PROTECTION DES INTERNAUTES Le projet de règlement adopté par le Parlement européen, le 12 mars dernier, vise à renforcer davantage encore la protection des données personnelles. Le droit à l’effacement des données s’est imposé, plutôt que la création d’un nouveau droit à l’oubli. L’encadrement du transfert de données contraint les entreprises à recevoir l’autorisation préalable d’une autorité nationale de protection des données dans l’UE, avant de transmettre des données à des autorités administratives et judiciaires hors de l’Union. Celles-ci devront également informer les personnes concernées. Les amendes infligées aux entreprises qui ne respecteraient pas ces règles sont augmentées : leur montant maximal est porté à 5 % de leur chiffre d’affaires (contre 2 % dans le projet de la Commission).
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CENT JOURS : LA FRANCE DIGITALE TROIS QUESTIONS À... CHEF DE FILE, AVEC PAUL HERMELIN, DU PLAN BIG DATA
FRANÇOIS BOURDONCLE
« NOUS PERMETTRONS AUX START-UPS DE MAXIMISER LEURS CHANCES DE CAPTER LE MARCHÉ » Cofondateur d’Exalead, devenu son directeur technique après le rachat par Dassault Systèmes, le copilote du programme gouvernemental en faveur du numérique détaille les atouts de la France et précise son plan d’action. Propos recueillis par Loïc Rivière En quoi le Big Data est-il un sujet important pour la France ?
François Bourdoncle : Le Big Data n’est pas seulement un enjeu important pour notre pays, c’est un enjeu mondial majeur dans tous les secteurs de l’industrie et des services, notamment ceux qui n’ont pas été encore fortement impactés par la révolution numérique. Des études économiques montrent que les technologies de l’information ont été la clé dans l’amélioration de la productivité des entreprises jusqu’à la fin des années 1990. Elles soulignent que, depuis les années 2000, l’innovation s’opère surtout dans le domaine grand public (Internet, moteurs de recherche, téléphonie mobile, etc.) et revient aujourd’hui en boomerang dans les entreprises, par vagues, comme les réseaux sociaux d’entreprise ou le BYOD (Bring Your Own Device). Or l’impact du Big Data sur les entreprises va aller beaucoup plus loin qu’un simple gain de productivité. Il va modifier en profondeur leurs modèles d’affaires et leurs gammes de produits. L’analyse massive des données sera le moyen par lequel la révolution numérique s’invitera dans les secteurs qui y avaient échappé jusqu’à présent. Et l’impact risque d’être brutal, avec des risques de déstabilisation complète de grands groupes établis, mais aussi avec la promesse de nouveaux « acteurs de la donnée » ayant le potentiel de devenir des leaders mondiaux. On dit souvent que la France est en retard dans le numérique. Pourquoi cela n’est-il pas vrai, selon vous, dans le domaine du Big Data ?
F. B. : Il est vrai que les dés sont jetés pour les logiciels d’infrastructure dans le Big Data, mais la France a quelques belles réussites à son palmarès, avec des sociétés comme Talend ou Exalead, par exemple. En revanche, le marché à venir du Big Data va se décliner sectoriellement dans des domaines importants, comme la banque, l’énergie, la santé, la distribution, l’environnement, etc., et même, de façon plus inattendue, l’agriculture, le tourisme… Ces marchés sont entièrement à prendre. Nous ne sommes donc absolument pas en retard et nous disposons par ailleurs de nombreux atouts, notamment des ingénieurs généralistes de haut niveau, plébiscités au niveau international. Ne serait-il pas plus intelligent de leur permettre de réussir en France en aidant nos entreprises à maîtriser le Big Data ? Nous avons aussi la chance d’avoir des success stories comme Criteo, coté au Nasdaq, ou encore Withings, l’un des leaders mondiaux de l’Internet des objets. Et nous avons des dispositifs comme le crédit d’impôt innovation qui rend la France particulièrement attrayante pour les opérations de R & D,
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en conjonction avec l’excellence de notre système éducatif. Enfin, avec la loi Informatique et Libertés, la France a été pionnière dans la prise de conscience de l’importance de la protection des données personnelles. La sensibilité européenne sur ce sujet peut et doit devenir un atout à l’exportation dans le Big Data. Faisons du made in France ou, mieux, du made in Europe un label de qualité dans l’utilisation des données ! Comment pensez-vous faire émerger une filière Big Data française forte ?
F. B. : Le Big Data n’est pas une filière au sens traditionnel du terme car il n’a pas vocation à avoir un leader unique. Il s’agit plus d’identifier les leviers que l’État peut actionner pour favoriser l’émergence d’un marché du Big Data exportateur net et créateur d’emplois en France, et de faire des recommandations aux pouvoirs publics en ce sens. C’est donc avant tout un objectif économique et industriel, même si la recherche et l’enseignement ont à l’évidence un rôle clé à jouer. C’est pourquoi l’essentiel de l’action publique doit être, premièrement, de créer un marché du Big Data en France, de manière à faire un appel d’air permettant de tirer la filière par l’aval et, deuxièmement, de diminuer autant que faire se peut le time-to-market des start-up, afin de maximiser leurs chances de capter le marché et de devenir des leaders mondiaux. Nous envisageons ainsi la création d’un centre de ressources technologiques permettant aux entrepreneurs, à partir d’une idée business, de lancer rapidement un prototype de leur technologie. Pour ce faire, il est essentiel que cette structure recense les « bonnes volontés » en matière de mise à disposition de données de la part des entreprises, qu’elles soient publiques, parapubliques ou privées. Le rôle de cette structure consistera, en réseau avec les plateformes technologiques, les incubateurs et les fonds d’amorçage existants, à aiguiller efficacement les entrepreneurs aussi bien du point de vue de l’accès aux données que de l’accès aux technologies, pour les aider à aller le plus vite possible. Là aussi, l’animation de la filière se fera par l’aval, en organisant des concours d’innovation sectoriels. Bien entendu, les leviers plus traditionnels de l’action publique (appels à projets, abondement des fonds d’amorçage) ne seront pas oubliés, et les aspects législatifs et règlementaires feront l’objet d’une attention toute particulière. À cet égard, le « principe d’innovation » mis en avant par le rapport Lauvergeon, doit nous servir de ligne rouge pour définir un « droit à l’expérimentation », sans lequel il sera difficile de faire émerger une filière Big Data dans notre pays.
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/ Une grande loi sur le numérique dans l’année Fleur Pellerin a annoncé le dépôt d’un projet de loi sur le numérique au Parlement, pour le second semestre 2014. Le texte devrait comporter deux volets : l’un sur la compétitivité, l’autre sur les droits et libertés numériques, sous forme d’un habeas corpus numérique. La ministre de l’Économie numérique ainsi que la garde des Sceaux, Christiane Taubira, travaillent actuellement à l’élaboration de ce projet de loi dans lequel devraient être traitées les questions de la protection des données personnelles, de la neutralité du Net, de la lutte contre la cybercriminalité et des garanties apportées sur le plan des libertés, du financement de l’innovation et du soutien à l’économie numérique.
/ L’Assemblée nationale crée une commission (temporaire) sur le droit et les libertés à l’âge du numérique Cette commission de réflexion, composée de 13 députés et de 13 personnalités extérieures, planchera sur la vie privée et les données personnelles, le cadre des activités régaliennes, les libertés publiques, l’opportunité d’une réforme constitutionnelle, les bases législatives des principales politiques publiques du numérique, la promotion de l’économie numérique. Autant de thématiques qui devraient être abordées lors du débat parlementaire sur le projet de loi numérique annoncé par le gouvernement.
/ Le ministre de la Défense lance son « pacte Défense Cyber » En réponse à l’explosion des menaces contre les systèmes d’information civils et militaires, vitaux pour le pays, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a lancé, le 7 février, le « pacte Défense Cyber 2014-2016 ». Érigé au rang des priorités de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, l’effort de cyberdéfense s’élèvera à environ un milliard d’euros pendant la durée de la LPM avec, en 2016, une évaluation des actions entreprises. Le pacte comprend six axes et une cinquantaine d’actions, allant de la création d’un pôle
d’excellence au développement d’équipements et de logiciels souverains, en passant par la mise en place d’une « cellule de renseignement d’intérêt cyber » et le développement d’« une communauté nationale de la cybersécurité » incluant des acteurs civils.
/ Pas d’amendement pour l’article 20 de la loi de programmation militaire Les discussions relatives au projet de loi « géolocalisation » ont permis de revenir sur l’article 20 de la loi de programmation militaire, décrié par de nombreuses organisations citoyennes et professionnelles en raison du régime de surveillance qu’il instaure et du préjudice qu’il cause à l’environnement de « confiance numérique ». Mais, en dépit de la mobilisation de quelques élus, aucun amendement visant l’article 20 n’a été voté. Pour ce qui la concerne, la députée d’opposition Laure de la Raudière envisage toujours de présenter une proposition de loi visant à préciser les termes juridiques de cet article; Des décrets d’application sont par ailleurs attendus.
/ Financement de l’innovation : l’industrie se mobilise La commission tripartite sur le crédit d’impôt innovation (CII) dans le secteur du numérique mis en place par le gouvernement durant l’été 2013 rassemble le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), le ministère des Finances et les représentants de l’industrie (Afdel et Syntec numérique). En décembre 2013, cette commission a confié aux organisations professionnelles le soin de présenter aux pouvoirs publics un projet de guide sectoriel permettant de mieux encadrer les contrôles fiscaux liés aux déclarations de CII dans le secteur numérique. L’Afdel et le Syntec
s’apprêtent à présenter leurs travaux aux experts du MESR et de la direction de la législation fiscale. Au terme du processus de discussion, ce document, qui précise un certain nombre de notions et de concepts clés en se fondant sur des exemples précis, aura vocation à recevoir le timbre fiscal et à être adossé au BOFiP.
/ Brevet unitaire européen : les « patent trolls », revers de la médaille ? Il aura fallu près de trente ans afin qu’un compromis européen émerge pour la création du brevet unitaire européen. Les avantages du nouveau système, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2014 mais qui pourrait être retardée, sont nombreux : simplification des formalités administratives, baisse des coûts de traduction, etc. Mais certains industriels rassemblés en coalition s’inquiètent du risque d’importation en Europe du phénomène néfaste des « patent trolls », ces sociétés très actives aux États-Unis qui tirent l’essentiel de leurs revenus de procédures judiciaires pour violation de brevet. Beaucoup dépendra des modalités concrètes d’organisation du nouveau système de la juridiction unifiée du brevet, actuellement en cours de discussion, qui ne doit en aucun cas créer en Europe un terrain de jeu favorable à ces «trolls de brevet ». À suivre…
Par Diane Dufoix et Emmanuel Lempert
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CENT JOURS : LA FRANCE DIGITALE
INTERVIEW PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION INNOVATION 2030
ANNE LAUVERGEON
« 7 AMBITIONS POUR GAGNER LA BATAILLE DE L’EMPLOI ET DE L’EXPORT » Anne Lauvergeon commente les principales conclusions du rapport de la commission Innovation 2030 qu’elle a remis à François Hollande en octobre dernier. Propos recueillis par Diane Dufoix et Loïc Rivière Les travaux de la commission que vous présidez s’inscrivent dans une dynamique forte de politique industrielle portée par le gouvernement. Pourquoi avons-nous encore besoin d’un État stratège en France ?
Anne Lauvergeon : L’innovation peut exiger une implication très forte de l’État et des collectivités pour faire aboutir des grands projets, à l’image d’Airbus. Bien souvent, l’innovation surgit de manière imprévisible dans des écosystèmes dynamiques que les pouvoirs publics doivent se contenter d’encourager, même si l’innovation existe aussi sans intervention publique et peut naître de nouvelles valeurs, comme la sobriété. L’État dispose de nombreux moyens d’action pour créer un environnement favorable aux innovateurs : l’éducation, la R & D publique, les normes, la politique fiscale, les tarifs réglementés, la politique migratoire, un réseau diplomatique qui peut être mobilisé, la commande et les aides publiques, etc. L’État et les collectivités territoriales doivent aligner l’ensemble des outils à leur disposition, avec constance, sur une même stratégie : gagner la bataille de l’emploi et de l’export, sans céder aux effets de mode ou au zapping. Il faut faire des choix dans un monde de plus en plus ouvert, dans lequel chaque territoire, chaque région se concentre sur ses points forts pour atteindre l’excellence. Nos grands compétiteurs internationaux ont, eux, d’ores et déjà mis en place des stratégies d’investissement ciblées, officielles ou officieuses. Par exemple, la Corée du Sud, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont aujourd’hui des objectifs précis en la matière. L’idée d’un État stratège est bien présente chez nos concurrents. La commission a sélectionné sept grands enjeux nationaux pour la France, à l’horizon de 2030. Qu’ont-ils en commun ? Quelle place occupera le numérique dans ces travaux ?
A. L. : Les ambitions choisies ont plusieurs points communs. Elles ont la capacité de générer de la croissance, des emplois et des exportations en France. Elles répondent à des évolutions sociétales de fond et trouveront donc un marché. Elles correspondent à
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des enjeux de souveraineté et elles appartiennent à des domaines dans lesquels la France dispose d’atouts réels : des compétences scientifiques et techniques de premier plan, un tissu entrepreneurial capable de se mobiliser, composé de PME pionnières et de grands groupes, la présence d’une entreprise potentiellement consolidatrice, des ressources importantes, etc. Des innovations majeures, technologiques ou non, sont nécessaires pour répondre à ces ambitions. Enfin, ces dernières concernent de près ou de loin l’action des pouvoirs publics. Une des ambitions porte sur un enjeu extrêmement important du numérique : la valorisation des données massives (Big Data), où la France présente de nombreux atouts, notamment grâce à l’école française de mathématiques et de statistiques, et grâce à des entreprises leaders sur des sous-segments. Le numérique aura un rôle essentiel à jouer dans l’ensemble des sept ambitions, pour optimiser les systèmes, les modéliser, les commander, gérer de grandes masses de données, mettre en communication les objets, les capteurs, les systèmes, les hommes, etc. Vos travaux doivent-ils s’articuler avec les orientations définies par Arnaud Montebourg pour la construction d’une « nouvelle France industrielle », qui a débouché sur 34 plans ?
A. L. : L’exercice de la commission s’inscrit en complémentarité du projet de la « nouvelle France industrielle » qui met en œuvre 34 plans définissant des relais de croissance des filières industrielles sur les marchés d’aujourd’hui. La commission veut, quant à elle, susciter, d’ici à dix ans, des leaders industriels français à l’échelle internationale, dans des secteurs précis, en concentrant les moyens sur des axes clés. À noter qu’un des plans de la « nouvelle France industrielle » porte sur le Big Data, et que plusieurs autres s’y rattachent d’assez près : objets connectés, logiciels et systèmes embarqués, réseaux électriques intelligents, usines du futur, supercalculateurs, cloud computing, e-éducation, cybersécurité. Compte tenu du caractère assez transversal du Big Data, ce sont de nombreux secteurs du numérique qui sont en réalité visés.
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LA VIE DES PÉPITES
Capital Koala réunit déjà une communauté de
50 000 membres CAPITAL KOALA LE « CASHBACK » POUR ÉPARGNER POUR VOS ENFANTS Si le concept du « cashback » n’est pas nouveau, l’idée de concentrer les économies réalisées lors d’achats en ligne par plusieurs personnes sur le livret d’épargne d’un enfant est inédite. Et séduisante. par Isabelle Bellin
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es adeptes des achats en ligne connaissent bien le principe du « cashback », littéralement achat rémunéré : une façon de récupérer un petit pourcentage de son achat, reversé par le cybermarchand sur le compte bancaire de l’internaute via le site de cashback. En général, la commission se situe entre 2 et 8 %. « Notre site, Capital Koala, diffère des autres sites de “cashback” par le fait que l’argent est reversé non pas à l’acheteur mais sur un livret d’épargne rémunéré au nom d’un enfant, précise Alexandre Martin-Rosset, cofondateur de la start-up qui vient de fêter ses
rémunère en tant que double apporteur d’affaires pour les e-commerçants et pour les banques, au moment où les parents ouvrent le livret d’épargne de leur enfant, sans frais. Trois banques sont partenaires pour l’instant : ING Direct, Le Crédit Lyonnais et Monabank. Quelque 1 300 commerçants sont référencés sur Capital Koala, les habitués du Net dans tous les secteurs, de la culture à la mode, en passant par les voyages, la puériculture, les hypermarchés (Amazon, la Fnac, La Redoute, VertBaudet, voyagessncf.com, Auchan, Carrefour, etc.) L’achat doit être fait à partir du site de Capital
Notre site, Capital Koala, diffère des autres sites de « cashback » par le fait que l’argent est reversé non pas à l’acheteur mais sur un livret d’épargne rémunéré au nom d’un enfant. deux ans. Les parents, grands-parents, la famille, tous ceux qui font des achats sur le Net peuvent augmenter la cagnotte. » L’objectif est d’accumuler un petit capital (quelques milliers d’euros) dont l’enfant pourra profiter à sa majorité pour l’aider à financer ses études ou tout autre projet. Concrètement, la start-up – une dizaine de salariés aujourd’hui, et un chiffre d’affaires de 850 000 euros en 2013 –, se
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Koala. « Le cybermarchand reverse en moyenne 5 %, soit 5 euros pour un achat de 100 euros, précise le jeune chef d’entreprise. Le commerçant rogne sur sa marge avec la contrepartie d’espérer fidéliser sa relation avec un client. Cela fait partie de son budget marketing. » Parmi les points forts de Capital Koala : leur solution logicielle maison. « Trouver
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le bon directeur technique, puis créer le logiciel et le site ont été des étapes difficiles, se rappellent les deux fondateurs, qui se sont rencontrés lors d’une formation ESCP Europe. C’est ce qui a pris le plus de temps, un an et demi environ. Le site traite beaucoup d’informations, il doit gérer avec rigueur et souplesse les achats de plusieurs membres d’une même famille pour reverser les commissions sur un même livret d’épargne. Aucune des solutions existantes ne nous convenait. Aujourd’hui, on nous démarche pour acheter notre technologie logicielle. » Capital Koala réunit déjà une communauté de 50 000 membres en France et s’attaque depuis quelques semaines aux marchés belge et suisse. Et pense déjà aux autres marchés européens. « Sachant qu’il y a 820 000 naissances, chaque année, en France, nous avons encore de belles marges de progrès, remarque Alexandre Martin-Rosset. Et nous n’avons pas, pour l’instant, de concurrents directs sur ce créneau. » Des projets comparables seraient néanmoins en train de voir le jour outre-Atlantique. Pas moins de 6 millions de familles y pratiquent couramment le « cashback » depuis une dizaine d’années. Et les études y coûtent particulièrement cher. À quand le marché américain ? WWW.CAPITALKOALA.COM
VODKASTER « NOUS CRÉONS UNE SECONDE VIE POUR LE MARCHÉ DE LA VIDÉO » Cyril Barthet, président de Vodkaster, le réseau social du cinéma créé en 2009, nous dessine les contours du nouveau service de visionnage de DVD à distance et de la plateforme d’achat-revente de DVD associée. Propos recueillis par Isabelle Bellin Quel est le modèle proposé par Vodkaster ?
Cyril Barthet : Pour soutenir les prix des DVD neufs, nous misons sur un écosystème du DVD de seconde main, sur le modèle du jeu vidéo d’occasion. Pour tenir compte de l’obsolescence annoncée des DVD avec l’évolution des terminaux de lecture sans lecteur optique, notre originalité est de proposer un marché d’occasion entièrement dématérialisé, permettant le visionnage instantané. Notre modèle est simple : le consommateur nous confie sa DVDthèque gratuitement en la déposant dans un des 4 500 points de collecte (réseau « Relais Colis »). Ce contenu est placé « bit à bit » dans le cloud sur son compte Vodkaster, dans sa DVDthèque digitale personnelle, sans jamais porter atteinte à la DRM d’origine. Il est alors accessible sur tous les terminaux et à tout moment, strictement pour le propriétaire du DVD. Ensuite, libre à lui de conserver son film ou de le revendre à un autre utilisateur, au prix de son choix. Dans tous les cas, la lecture se fait à distance et nous conservons le support physique. Vodkaster prélèvera 0,99 euro T.T.C. sur chaque transaction. Le site sera donc davantage une place de marché à
dimension sociale pour films dématérialisés qu’un site de VoD, même s’il offre un usage proche. Quel est l’apport de Riplay dans cette offre, après votre récente fusion avec cette société, créée en 2012 pour numériser CD et DVD ?
C. B. : Riplay apporte la technologie de lecture distante : la machine conçue par Chris et Julien Navas, ingénieurs toucheà-tout curieux, créateurs de Riplay en 2012, est centrale dans l’histoire. Dotée de plusieurs dizaines de lecteurs optiques tournant simultanément, et fortement scalable, elle permet de numériser au bit près plus de 150 DVD à l’heure. Leur lecture à distance restitue l’édition exacte du DVD sans avoir à glisser la galette dans
Notre originalité : proposer un marché d’occasion dématérialisé, permettant le visionnage instantané.
le lecteur optique d’un ordinateur, d’une tablette ou d’une TV, menu interactif compris, bonus, versions de langues, commentaires audio et sous-titres, etc. Où en êtes-vous ?
C. B. : On nous compare souvent à un Netflix à la française : nous n’avons néanmoins pas grand-chose à voir avec leur modèle d’abonnement. Notre principal point commun est de proposer un modèle innovant, comme ils l’ont fait en 1997. Trois fonds d’investissement (Partech Ventures, Elaia Partners et 3T) sont entrés récemment dans notre capital, injectant 1,2 million d’euros. Nous sommes désormais une quinzaine de salariés. Lors du lancement de ce nouveau service, à la fin du mois d’avril, nous proposerons 10 000 films, séries télé et documentaires, tant neufs que d’occasion. La communauté très active et technophile de Vodkaster (1 million de visiteurs uniques par mois) sera un atout pour le démarrage de ce service, et plusieurs accords en cours avec les ayants droit permettront d’organiser le partage de la valeur sur ce marché de l’occasion, une première ! WWW.VODKASTER.COM Illustration : Sophie Nathan
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LA VIE DES PÉPITES
par Isabelle Bellin
what’s
FOCUSMATIC OUVRE L’ÈRE DU MARKETING EN TEMPS RÉEL Les trois fondateurs de Focusmatic ont adapté les outils d’analyse des marchés financiers qu’ils connaissaient bien pour faire du marketing digital, autrement dit exploiter les flux massifs de données hétérogènes du web et des réseaux sociaux, afin d’en extraire des informations commerciales stratégiques. La plateforme qu’ils ont développée en juin 2012 est capable d’assimiler cette masse de données (des centaines de millions de messages, chaque jour) et d’en faire une analyse sémantique poussée et rapide. Intérêts pour les clients : augmenter leur audience numérique en étudiant les vecteurs de propagation d’informations les concernant, trouver des prospects à partir des verbatims sur les réseaux sociaux, ou encore mieux comprendre leur e-réputation. La start-up, où travaillent cinq à huit personnes, compte déjà une quinzaine de clients sous contrat annuel, dont trois en Amérique du Nord : grands groupes et start-up du monde des télécoms au web, en passant par la santé, l’automobile, la mode ou la high-tech. Plus de trente autres clients testent la plateforme. HTTP://FOCUSMATIC.COM
Année de création :
2012 Localisation :
Paris Croissance 2013 :
multipliée par 4 Chiffre clé :
45 clients (multipliés par 10 en six mois) qui utilisent ou testent le produit
CRÉEZ VOTRE COMMUNAUTÉ DE GOURMANDS AVEC YOUMIAM
Année de création :
2013 Localisation :
Paris Chiffre clé :
un tiers du trafic de Youmiam via le player Facebook
La jeune équipe de gourmets de Youmiam a lancé, en octobre 2013, une plateforme qui permet aux passionnés de cuisine de publier leurs propres recettes sous un format convivial et nomade, afin que les recettes puissent circuler au sein d’une communauté de gourmands, façon vidéo sur Youtube. Au-delà d’un réseau social de cuisine, Youmiam ambitionne de devenir un journal d’inspiration personnalisé pour les gourmands, comme s’ils ouvriraient un livre de cuisine. L’idée a germé, en 2011, en Argentine : Théophile de la Bastie, étudiant à l’ESCP, veut faire partager une recette locale et ne trouve aucun outil de publication simple. De retour en France, avec son ami Antoine Bachès, diplômé de l’Essec, entrepreneur dans l’âme et lui aussi grand amateur de cuisine, il décide de créer une plateforme épurée et de qualité : le cuistot donne ses instructions page par page en piochant dans une combinaison d’ingrédients visuels (qui servent aussi de supports marketing pour vanter marques ou AOP). L’application fonctionne sur ordinateur et tablette, bientôt sur smartphone. Une communauté de 3 000 gourmands partagent déjà 700 recettes, notamment sur Facebook via le player développé. WWW.YOUMIAM.COM
SNAPP, UN DES LEADERS EUROPÉENS DES CARTES DE FIDÉLITÉ 2.0 En juin 2009, Jean-Benoît Charreton reprend la présidence de Business Anywhere. En un an, il lève 1,3 million d’euros et transforme cette start-up bordelaise qui développe des applications pour mobile en éditeur de logiciels de mFidélité et mCommerce. L’application FidMe, le principal produit de la PME rebaptisée Snapp, permet d’avoir ses cartes de fidélité sur son smartphone. L’utilisateur la télécharge gratuitement, crée un compte et enregistre, en les numérisant, ses cartes de grandes enseignes ou celles à tampons des commerçants de proximité. En payant, il affiche le code-barres de sa carte sur son écran de téléphone, qui peut être scanné en caisse, comme avec une carte plastique. Il enregistre également les tampons, sans contact. FidMe, qui se décline en 19 langues, compte déjà 2,5 millions d’utilisateurs dans 80 pays (dont 70 % d’utilisateurs en France). Les 4 300 enseignes partenaires financent l’entreprise, qui emploie désormais 22 salariés. Leurs offres, coupons, actualités, bons plans s’affichent sur les mobiles des clients, lesquels peuvent suivre le solde de leurs points, les primes acquises, et trouver les magasins les plus proches. HTTP://SNAPP.FR et WWW.FIDME.COM
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Année de création :
2005 (Business Anywhere) Localisation :
Bruges (Aquitaine) Chiffre d’affaires 2012 :
1,25 million d’euros Croissance 2013 : 20 % Chiffre clé :
2,5 millions d’utilisateurs dans 80 pays
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LeDossier ÉCONOMIE COLLABORATIVE LE RÈGNE DU PARTAGE ?
Dossier coordonné par Romain Chabrol, avec Rémi Sorel
ÉDITO TOUS SECTEURS CONCERNÉS
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’année 2013 aura été décidément celle de l’irruption en fanfare de l’économie du partage, ou collaborative, dans le débat public français, avec notamment le conflit qui a opposé récemment les taxis aux véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), ou encore la réglementation du crowdfunding. Qui, aujourd’hui, ne connaît pas quelqu’un qui a récemment utilisé airbnb, ce site de réservation en ligne de locations meublées ? Mais le phénomène, très dynamique en France, ne se résume pas à l’hébergement touristique. Tous les secteurs sont concernés, de la gastronomie aux transports, en passant par la banque et les services. On parle de troisième âge de l’Internet : après le web statique, puis le web social, voici maintenant le web « global », grâce à des plates-formes qui transforment la vie quotidienne. Effet de mode surfant sur la crise ou vraie révolution ? Que penser de ce secteur qui, parfois, n’a de partage que le nom ? Pour y répondre, nous avons voulu faire le tour de cette ébullition, d’un point de vue économique, légal, et nous interroger sur les ressorts sociologiques de ce phénomène. ROMAIN CHABROL
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Sommaire 29. La transformation à marche forcée 31. 9 étoiles montantes 32. I nnovation versus régulation ? 34. Graines d’entrepreneur
LA TRANSFORMATION À MARCHE FORCÉE L’explosion du secteur dit « collaboratif » est une réalité. Ce nouveau modèle est appelé à jouer un rôle important dans certains segments de l’économie et risque fort de redessiner l’ensemble des modes de consommation. par Romain Chabrol
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« a dernière décennie a été consacrée à trouver de nouveaux modèles de collaboration et d’innovation sur le web. La prochaine va l’être à les appliquer au monde réel », écrivait, en 2009, Chris Anderson, le pape américain de l’économie de partage (sharing economy). Entre défi commercial et révolution annoncée, le ton était donné. Quatre années plus tard, le secteur a explosé. Ouishare, le think tank européen du secteur, recense en France plus de 300 start-up en C2C et B2B. On parle de plates-formes qui permettent de louer temporairement un appartement, de faire des trajets dans la voiture d’un inconnu, de trouver un gardien pour son chat, de louer sa machine à laver ou ses outils de jardin à ses voisins, ou encore de lever des fonds chez des petits investisseurs. La particularité de ces sites est qu’ils réunissent, via Internet, de vastes communautés de « pairs ». Tous revendiquent une approche réticulaire inspirée d’Internet et de la culture du Web 2.0 – fin de la passivité du consommateur, apologie du « DiY » (Do it yourself) – et réfutent celle, verticale, de l’économie traditionnelle. UNE AUTRE DIMENSION
Pour les tenants de ces Product Service Systems (objets convertis en services), les individus font passer la qualité de leur consommation avant le besoin de possession. Dans un même temps, comme d’autres plates-formes plus anciennes, en contournant les acteurs habituels du système de production (hypermarchés, chaînes hôtelières, etc.), ils participent aussi à une redéfinition de la valeur des biens et services. « Cette dernière s’affranchit de la valeur d’échange, explique Valérie Peugeot, prospectiviste à Orange Labs et membre du Conseil national du numérique. Elle lui préfère une valeur d’usage, un usage compris dans un sens étendu, c’est-à-dire pas uniquement l’utilité individuelle du bien ou du service mais aussi son utilité collective, celle-ci pouvant inclure des dimensions écologiques. » Rien de très nouveau pour autant. L’autostop, en vogue dans les années 1970, était bien une sorte de BlaBlaCar, et l’échange de bons services entre voisins n’a pas attendu La Machine du voisin, site qui met en relation
les possesseurs d’un lave-linge et leurs voisins qui n’en ont pas. « Pourtant, Internet permet de placer tout cela dans une autre dimension, explique Benjamin Tincq, cofondateur de Ouishare. Et de faire rencontrer facilement une vraie demande avec une offre qui n’était pas exprimée. » Conséquence : l’économie collaborative est en train de s’infiltrer dans tous les secteurs de l’économie traditionnelle. Et peut-être même de la transformer… Certains experts en font le symbole du passage d’une économie de masse, issue des Trente Glorieuses, à un monde de la très haute valeur ajoutée, des micromarchés, de l’individualisation de l’offre et du développement durable. Il est pourtant encore délicat de la quantifier, de la retrouver dans le PIB et, à plus forte raison, dans les finances de l’État.
« Ce n’est peut-être pas encore une révolution, nuance Valérie Peugeot. Mais on est bien là face à une tendance dont les signaux “faibles” sont apparus il y a cinq ans. Il s’agit de voir maintenant comment ces start-up vont évoluer et, surtout, comment elles vont faire évoluer les acteurs déjà en place. » Ainsi, on peut noter avec intérêt l’arrivée du groupe SNCF sur le marché du covoiturage (rachat d’un 123envoiture), en septembre 2013, ou encore du groupe La Poste sur le secteur innovant de la certification de l’identité numérique (IDN). Ailleurs, du côté de l’hôtellerie et du transport, les réactions sont parfois tendues. « On agite le drapeau de la concurrence déloyale, note Benjamin Tincq. Mais, au fond, toute innovation crée de la concurrence déloyale ! On ne peut pas s’attendre à ce que l’innovation arrive sans rien bousculer. » Il ne sert en effet à rien de se voiler la face. Ces jeunes sociétés vont prendre des parts de marché aux entreprises traditionnelles, lesquelles vont nécessairement perdre des emplois. Mais, en même temps, elles élargissent le marché et ont des effets bénéfiques encore peu visibles, comme les répercussions sur les commerces de proximité pour les sites de location d’appartements. Comme souvent, un peu de valeur risque d’être détruite au début mais beaucoup pourrait être créée par la suite.
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LE DOSSIER
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5,1
millions d’euros
Source : baromètre de l’association Financement participatif France
NÉCESSAIRE SEGMENTATION
Certains s’agacent, parfois avec raison, de voir de jeunes loups habiller de beaux discours le partage, la collaboration, le don, des démarches quelquefois très commerciales qui ne produiraient rien d’autre que la mise en relation de consommateurs et qui surferaient par-dessus le marché sur le flou de la réglementation. Le contraste entre le discours communautaire et convivial de l’entreprise et son caractère ultralibéral peut être criant. L’exemple d’airbnb, dont la valeur est estimée à 1 milliard de dollars et qui bouscule le secteur de l’hôtellerie traditionnelle, est à ce titre symbolique. Une partie de l’incompréhension vient également de la difficulté actuelle de segmentation du secteur. Tout semble être mis dans le même panier. À la pointe de la diffusion d’informations sur le sujet, Ouishare identifie quatre mouvements : consommation collaborative, production contributive (makers), financement participatif (crowdfunding), Open Knowledge (Open Access, P2P Education, Open Democracy). Mais l’essentiel est, aujourd’hui, bel et bien constitué de sites de consommation collaborative. « Il faut certainement distinguer a minima les services de consommation collaborative gratuits des payants et différencier les sites purement commerciaux de ceux qui ont dans leur ADN une réflexion sur l’économie sociale et solidaire,
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milliards de dollars,
c’est la collecte estimée pour le financement participatif dans le monde, en 2013..
ont été levés sur les sites de financement participatif en France, au premier semestre 2013.
Source : Massolution
souligne Valérie Peugeot. Il y a un monde entre Airbnb et La Ruche qui dit oui !, cette plate-forme de mise en relation entre agriculteurs et consommateurs. » À QUI LE TOUR ?
Quels que soient les effets ou les objectifs de ces sites, de nombreux pans de l’économie vont être touchés par un phénomène qui va les contraindre à réagir. Le secteur bancaire et l’assurance ont été par exemple très peu impactés. Or, avec la crise et le resserrement des contraintes réglementaires, les financements sont plus difficiles à obtenir : de nouveaux modèles participatifs pourraient venir jouer un rôle majeur. En matière de B2B, par exemple, sur le financement comme ailleurs, on en est encore aux balbutiements. « Il semble pourtant que tout converge pour que ces nouvelles pratiques s’immiscent également dans nos entreprises, explique Clément Alteresco, fondateur de Bureaux à partager. En effet, les bénéfices de l’économie collaborative – l’optimisation financière, les synergies et la collaboration – sont en totale adéquation avec les objectifs fondamentaux d’une entreprise. » Ainsi, tout resterait à faire dans ce monde en transformation. Qui seront les banquiers, les fournisseurs d’identité, les assureurs, les « marketeurs », les médias de demain ? L’économie collaborative n’a pas fini de faire parler d’elle.
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LA BLABLA ÉCONOMIE
9 ÉTOILES MONTANTES Des transports à l’immobilier, en passant par la banque et la gastronomie, ces start-up du partage et de la mise en réseau de biens et de services sont en passe de bousculer tous les secteurs de l’économie traditionnelle. BULB IN TOWN
LA MACHINE DU VOISIN
Ce passionnant site français de financement participatif local sert de passerelle entre des commerçants ou des associations de quartier et leurs voisins, clients ou futurs clients. « Participez au financement des commerces et associations près de chez vous, profitez en échange de bons plans exclusifs. » bulbintown.com
Ce site met en contact les personnes qui cherchent à faire leur lessive sans posséder de machine à laver et celles qui souhaitent louer la leur, contre rétribution. Quelque 2 985 machines sont référencées. www.lamachineduvoisin.fr
DRIVY
C’est le numéro un français de l’un des secteurs les plus actifs : la location automobile entre particuliers. En échange d’une commission, le site met en relation des propriétaires qui utilisent peu leur voiture et des personnes qui recherchent un véhicule. www.drivy.com VOULEZVOUSDINER
Contre rétribution, des hôtes proposent un déjeuner ou un dîner, dont le menu est présenté sur le site. Paris fait partie des villes où les offres sont les plus nombreuses. « VoulezVousDîner est une invitation à réveiller le chef qui sommeille en chacun d’entre nous et à faire de la cuisine un moment de partage et d’ouverture unique sur le monde. » www.voulezvousdiner.com COSTOCKAGE.FR
Créée en 2012 par deux jeunes entrepreneurs parisiens, elle est la première entreprise en France à proposer à des propriétaires de louer des espaces libres – cave, grenier, box de parking – à des particuliers à des fins de stockage. Là aussi, un secteur en plein boom. « Partagez de l’espace de stockage entre particuliers. Plus proche, moins cher. » www.costockage.fr
KISSKISSBANKBANK
Un poids lourd international du financement participatif. Selon le site, 10 1684 235 euros ont été collectés pour financer 5 448 projets innovants, de mars 2010, date de sa création, à octobre 2013. www.kisskissbankbank.com UBER
Moyen efficace de circuler pour les déçus des taxis via une application dédiée, ce service permet de commander un chauffeur privé et de suivre son approche. le paiement de la course se fait directement sur la carte bancaire. Avec son option uberPOP, des particuliers peuvent même s’improviser chauffeurs en conduisant d’autres particuliers sur de petits trajets. www.uber.com BUREAUX À PARTAGER
Ce site B2B met en relation des professionnels et des sociétés disposant d’espaces de travail non utilisés et qui les proposent en location partagée. www.bureauxapartager.com B2B EN-TRADE
Une initiative française originale. Via cette plate-forme, les entreprises peuvent échanger des marchandises et des services sur la production invendue ou la surcapacité de production. www.b2b-en-trade.com
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LE DOSSIER
INNOVATION VERSUS RÉGULATION ? Sorti du bois en 2012, le secteur collaboratif commence à être très sérieusement appréhendé par la puissance publique. Mais les outils ne sont pas toujours au rendez-vous, le lobbying fait rage et le risque est grand de voir étouffée dans l’œuf une précieuse innovation. par Rémi Sorel
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«
’est de la concurrence déloyale, dénonce Roland Héguy, directeur de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), qui estime à 150 000 le nombre de chambres d’hôtes non déclarées en France, notamment via le géant Airbnb. Je ne peux pas vous dire que toutes les annonces sont illégales, mais il est clair qu’il y a un flou juridique. » On peut pinailler sur le degré de concurrence… Airbnb affirme ainsi que 70 % des annonces se situeraient « en dehors des principaux quartiers hôteliers ». Il n’en reste pas moins évident que l’arrivée tonitruante de ces acteurs remet en cause certaines professions, parfois quelque peu verrouillées, dans l’hôtellerie, la banque, les transports, et contraint l’État à se positionner. Car ce que les touristes, les propriétaires ou les conducteurs de voiture gagnent d’un côté, le contribuable ne le retrouve pas toujours de l’autre. Mais en ne faisant que répondre aux attentes des acteurs traditionnels et aux besoins de son Trésor malmené, les pouvoirs publics pourraient se priver d’une fantastique bouffée d’air pur. « BERCY JAM »
En juin 2013, Fleur Pellerin, qui avait réuni les acteurs de l’économie numérique collaborative à Bercy pour un premier « Bercy jam », avait déclaré que ce secteur « rejoint les missions d’intérêt général de l’État ». Parmi les pistes de régulation évoquées : la création d’un statut à part entière, une sorte d’auto-entrepreneuriat appliqué à ces activités, une fiscalité spécifique, des aides au financement des projets. Un appel à projets de « fablabs »,
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ces ateliers de fabrication numérique, a également été lancé. 150 candidatures auraient été déposées, dix vont être bientôt formellement soutenues et un nouvel appel à projets aura lieu avant le début de l’été. Le vent a-t-il tourné depuis ? La guerre du lobbying est tout cas déclarée. Et les résultats diffèrent selon les secteurs et les ministères. En matière de logement, l’heure est au ménage raisonné. Un amendement au projet de loi Duflot prévoit de contraindre les sites à obtenir des propriétaires mettant leur logement en location l’attestation de déclaration du meublé. « Il ne faut pas que le développement de ce marché du meublé locatif aboutisse à une offre grise qui poserait problème au marché de la location classique et aux hôtels », explique Pascal Cherki, l’un des députés (PS) signataires de cet amendement. En matière de transport, en revanche, la stratégie est plus surprenante. On sait que les compagnies de taxis sont très remontées contre les sites des VTC. Le 11 octobre 2013, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, et Sylvia Pinel, anciennement ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme, semblaient leur avoir donné raison en confirmant le principe d’un délai de quinze minutes entre la réservation préalable du client et sa prise en charge. On peut ici s’étonner d’une mesure qui prend le contrepied de toutes les innovations technologiques en cours permettant d’accélérer les flux et de mieux satisfaire les utilisateurs. L’annonce a fait bondir Nicolas Colin, inspecteur des Finances et corédacteur d’un rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, dans une tribune retentissante contre le conservatisme : « L’innovation ne peut pas prospérer en présence de verrous qui
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rigidifient l’économie et protègent les positions existantes. La seule existence de ces verrous [...] dissuade toute allocation du capital à des activités qui font bouger les lignes dans les secteurs concernés. Quel intérêt d’investir dans une entreprise innovante se développant en France dans le secteur des VTC, puisque le rendement sur capital investi sera dégradé, voire annulé par le verrou réglementaire qui protège la rente des taxis ? Il est beaucoup plus rentable d’allouer du capital à une entreprise américaine qui, elle, va triompher des obstacles réglementaires et conquérir un immense marché. » Point positif, le 27 février, après avoir rencontré les représentants de nombreuses start-up collaboratives (Babyloan.org, FianceUtile, Ulule, nod-A, IciMontreuil, FacLab, Ruche qui dit oui, Zilok, Ouicar, Bureaux à partager, Bedycasa, Videdressing, OuiShare), Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a déclaré qu’un fonds d’une quarantaine de millions d’euros hébergé par Bpifrance sera consacré aux nouveaux modèles de l’économie collaborative : « Ces gens-là sont capables de lever des fonds pour un projet, ils sont dans une économie qui est en train d’émerger, qui va se développer et qui crée de l’emploi. »
LA FRANCE, PIONNIÈRE EN EUROPE DU « CROWDFUNDING »
Le crowdfunding français pourrait bien peser 6 milliards de dollars, en 2020. Cette croissance fulgurante pourra s’expliquer en grande partie grâce à la nouvelle législation proposée par Fleur Pellerin, le 14 février dernier, et qui prendra effet le 1er juillet. Cette réforme vient combler un vide législatif et fait de la France l’un des premiers pays européens à s’y attaquer. Elle crée un statut de conseiller en investissement participatif et une exception au monopole bancaire. L’essor des plates-formes de prêts se fera plus aisément, tout comme celles qui proposent des investissements, car les procédures imposées par l’Autorité des marchés financiers sont désormais simplifiées. Le gouvernement a réellement pris conscience des avantages du financement participatif qui traduit bien souvent une solution à des projets ne pouvant être traités par le secteur bancaire classique. Cette évolution de la législation française pourrait même conforter la Commission européenne dans sa volonté de créer un environnement uniforme pour le financement participatif.
« La France s’impose comme un laboratoire mondiale de ces pratiques émergentes »
D. R.
TROIS QUESTIONS À... BENJAMIN TINCQ, COFONDATEUR DE OUISHARE,THINK TANK SUR L’ÉCONOMIE COLLABORATIVE
L’intervention de la puissance publique est-elle nécessaire ?
La France est-elle en retard dans cette réflexion ?
Quels sont les acteurs publics les plus investis dans cette économie ?
À ce jour, l’économie collaborative a été tirée principalement par les entrepreneurs et la société civile. Mais étant donné les ruptures d’usage et de modèle économique qu’elle engendre, ainsi que la valeur qu’elle crée pour les citoyens et la société, il est logique que les acteurs publics s’y intéressent. Je parlerais d’ailleurs de collaboration plutôt que d’intervention : la nature du sujet invite naturellement à imaginer des partenariats public-privé-civil. Pour aller dans ce sens, nous avions co-organisé, en juin 2013, un atelier de réflexion sur le rôle de l’État dans cette nouvelle économie avec le cabinet de Fleur Pellerin.
Au contraire, nous sommes en avance ! On déplore souvent le retard de la France dans le numérique ou son manque d’entrepreneurs mais, dans le cas de l’économie collaborative, nous devrions nous réjouir d’être en pointe. L’offre et la demande sont extrêmement dynamiques. Rapportées au nombre d’habitants, les statistiques d’usage du logement chez l’habitant ou de la location de voiture entre particuliers impressionnent les Américains. Pour des raisons d’ordre culturel, économique et technologique, la France s’impose comme un laboratoire mondial de ces pratiques émergentes, y compris sur le rôle des acteurs publics, et Paris a tous les atouts pour être la capitale de l’économie collaborative.
Les collectivités locales sont le plus directement concernées par ces modèles, par essence locaux, et elles y voient un modèle de développement conciliant lien social, vitalité économique et optimisation des ressources. Par ailleurs, le positionnement de « ville collaborative » ou « ville en partage » est un élément de marketing territorial très fort pour attirer les talents et les entrepreneurs. Les grandes villes de San Francisco, Séoul ou Barcelone l’ont très bien compris. En France, la communauté urbaine de Bordeaux en a également saisi tout le potentiel. Mais beaucoup d’autres devraient suivre.
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LE DOSSIER
GRAINES D’ENTREPRENEUR Quelles sont les véritables motivations des adeptes de l’économie collaborative ? Au-delà d’une rhétorique bien rodée de générosité et de partage se dessine un véritable dynamisme entrepreneurial. par Rémi Sorel
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a crise favorise les modes de consommation alternatifs, comme le note l’observatoire Cetelem dans son édition 2013 consacrée au consommateur. L’économie collaborative semble alors un antidote à la crise : elle fournit les moyens de payer moins cher un bien ou un service quand le pouvoir d’achat se réduit. Mais derrière cet accélérateur conjoncturel et le fantastique cadre technologique fourni par le web, quels sont les facteurs sociologiques et psychologiques à l’œuvre dans l’économie collaborative qui permettent d’expliquer sa croissance exponentielle ? Pour y répondre, l’observatoire Cetelem avance le désir des consommateurs d’un comportement plus éthique, en évitant la surconsommation. Certes. Mais le phénomène peut être modéré. « Le moteur principal de leur motivation ne me semble pas être celui-là, décroissance ou développement durable, note le blogueur Hubert Guillaud, mais bien celui de l’hyperconsommation. Il pourrait plutôt s’agir d’une nouvelle étape de la marchandisation des rapports humains, et notamment de rapports humains qui ne l’étaient pas nécessairement avant. Lorsqu’on propose, par exemple, de vendre une part de repas supplémentaire, on vend la part du pauvre de l’ancien temps, celle qui a disparu avec l’urbanisation de nos sociétés, celle qui s’est déportée dans les associations caritatives ! »
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L’usage d’un bien plutôt que sa possession est aussi une tendance lourde fréquemment avancée, mais elle ne s’applique pas uniquement à ce secteur, et il n’existe pour l’instant aucune étude qui permette de valider une rupture anthropologique dans le rapport à la possession. Enfin, tous ces sites mettent aussi en avant le fait qu’ils permettent de faire des rencontres, d’intégrer une « communauté » de confiance. Là encore, la rhétorique a souvent des visées commerciales : il faut différencier les sites de consommation collaborative marchands, les plus nombreux, de ceux, plus rares, qui sont bien destinés à créer du lien social autour du troc ou de l’échange. Ainsi, l’une des clés du dynamisme et de l’intérêt de ce secteur pourrait être ailleurs… Elle se situe dans la volonté créatrice et entrepreneuriale de toute une génération bercée au web 2.0 et inspirée par la réussite phénoménale de jeunes créateurs d’entreprise, de Mark Zuckerberg (Facebook) à Octave Klaba (OVH). Pour les créateurs de ces sites, c’est une façon de marier le goût d’un monde en ligne plus ouvert et l’envie de réussite personnelle. Et pour les utilisateurs « addicts » qui louent régulièrement leur machine à laver, voiture ou appartement, cela permet facilement de se créer une activité personnelle rémunératrice, complémentaire ou principale, de s’initier à l’entrepreneuriat et de toucher aussi une partie du rêve.
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
PHILIPPE LEMOINE, ÉCLAIREUR DU CHOC DE LA NUMÉRISATION DE L’ÉCONOMIE Dans le cadre de la priorité gouvernementale accordée au numérique, les ministres Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin ont confié à Philippe Lemoine une mission sur la transformation numérique de l’économie française, le 16 janvier dernier. Cette mission s’inscrit dans le prolongement de la « Nouvelle France industrielle » et des 34 plans de «reconquête industrielle » d’Arnaud Montebourg, l’objectif étant de mobiliser les filières sur cet enjeu transversal de la transformation numérique et de jouer un rôle « cathartique » sur les peurs engendrées par les bouleversements de l’Internet. Le président-fondateur du forum d’Action Modernités et président de la Fondation Internet nouvelle génération (FING) se devra d’éclairer les enjeux de la transformation numérique à travers une «cartographie », de préconiser des moyens de « fédérer les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, par filière et par secteur », et livrera des recommandations d’actions. Il est prévu que le rapport soit rendu public en juillet 2014. Compte tenu de l’ampleur du sujet, il s’agit d’un délai court qui supposera le recours à des méthodes innovantes de coconstruction et de convergence dans l’action. Pour ce faire, Philippe Lemoine s’entourera d’un groupe d’experts et travaillera en concours avec le conseil général de l’Économie, de la direction générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services (DGCIS) et la direction générale du Trésor.
CE QU’EN DISENT CES NOUVEAUX CONVERTIS DU BUSINESS ALTERNATIF
Céline
AIRBNB
Lise
VOULEZVOUSDINER
« J’ai commencé par louer mon appartement parisien de deux pièces une semaine durant laquelle j’étais partie en vacances. Et puis j’ai pris goût au revenu complémentaire que cela me procure et surtout à cette activité dans laquelle je suis complètement indépendante. Cela me rapporte aussi beaucoup plus que si je le louais sous la forme d’un bail classique et cela me permet de rencontrer des gens du monde entier… Je viens d’acheter un deuxième appartement à Nice, que je mets sur le marché de la même manière. Cela devient une vraie activité… Je ne m’attendais pourtant pas du tout à devenir une sorte de gérante d’appartements d’hôtes. »
« Je suis passionnée de cuisine. J’organise des dîners, une fois par semaine, avec deux à huit convives payants. Je ne peux pas dire que je fais ça pour l’argent : il s’agit de partager et de discuter autour d’un plat, et de faire en sorte que ma passion me rapporte un peu. À terme, j’aimerais pouvoir en vivre, mais plutôt en ouvrant un restaurant ou un service de traiteur à domicile. »
Ahmed
COSTOCKAGE
« Je loue des espaces, certains que je possède, comme une dizaine de parkings, mais également quelques caves et des greniers qui appartiennent à des connaissances. C’est une activité complémentaire assez rémunératrice. Je mettais déjà en location mes propres parkings, avant l’arrivée de ces sites… Je n’ai pas de goût particulier pour la rencontre ou le côté communautaire, mais ces plateformes me permettent de trouver des clients beaucoup plus facilement, à un coût bien moindre. »
Pierre UBER
« L’année dernière, alors que j’étais au chômage, je me suis lancé dans la conduite de berlines privées, ayant été en contact avec quelqu’un qui le faisait aux ÉtatsUnis. J’avais à disposition, par ma famille, une berline qui servait peu… Désormais, c’est pour moi un travail à plein temps et une source très satisfaisante de revenus. Après quelques mois pendant lesquels elle n’a pas été déclarée, mon activité est aujourd’hui régulière. Et les clients sont satisfaits. Ceux qui ne le sont pas peuvent l’écrire sur mon profil. »
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UN BUSINESS MODEL À LA LOUPE
LES MONNAIES VIRTUELLES FACE AUX VAGUES SPÉCULATIVES Les monnaies complémentaires permettent d’acheter du matériel électronique, de la musique, des services informatiques, etc. La plus connue, le bitcoin, soulève à la fois de l’enthousiasme et des craintes. par Philippe Richard Qu’est-ce que le terme recouvre ?
À côté des monnaies conventionnelles, gérées par des banques centrales, il existe des monnaies alternatives ou numériques. Certaines sont contrôlées par une entreprise qui joue le rôle de banque centrale, comme Facebook (avec les Facebook credits) ou Amazon (Amazon coins). D’autres sont échangées sur un territoire précis, comme l’euro-RES en Belgique, le WIR (abréviation du mot allemand Wirtschaft qui signifie économie) en Suisse ou le regiogeld outre-Rhin, trois réseaux soutenant le commerce local. Enfin, il y a un cas unique : le bitcoin, qui est à la fois un protocole open source de transaction et une unité de compte sur ce réseau décentralisé. Dans tous les cas, il s’agit de faciliter les échanges sans passer par un système bancaire, et donc de réduire les frais. Quelles sont les différentes monnaies virtuelles ?
Selon le site ComplementaryCurrency.org, il existe plus de 5 000 monnaies complémentaires à travers le monde. Actuellement, la monnaie numérique la plus connue s’appelle le bitcoin (BTC). Lancée début 2009 par un anonyme, ou un groupe d’anonymes, se faisant appeler Satoshi Nakamoto (qui a quitté le projet Bitcoin, en 2010), elle permet d’acheter et de vendre à partir de n’importe quelles devises des jeux en ligne, de la musique, des vêtements, du matériel électronique, etc. Ces unités monétaires sont créées par chaque utilisateur grâce à un logiciel open source et des algorithmes. Et c’est la communauté qui certifie les transactions. Deux méthodes permettent d’obtenir des bitcoins : soit en se faisant payer avec cette monnaie en échange d’un produit ou d’un service, soit en achetant des bitcoins sur des plateformes spécialisées. Cette monnaie s’appuie sur deux principes fondamentaux. Premièrement, chaque transaction est effectuée directement
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entre les individus (principe du peer-topeer). Deuxièmement, les échanges sont (presque) anonymes. C’est la différence avec le projet MetaCurrency, dans lequel les flux qui circulent entre les communautés sont visibles. Qui sont les pionniers ?
Le bitcoin est la seule monnaie numérique décentralisée. Toutes les autres étaient limitées à une application. C’est par exemple le cas du Linden dollar : échangé dans le monde virtuel Second Life (apparu en 2003), ce dernier peut être considéré comme la première monnaie virtuelle. Comment fonctionne son modèle économique ?
Le bitcoin repose sur le « minage », un procédé par lequel les unités monétaires sont mises en circulation. Les vérificateurs (appelés « mineurs ») effectuent avec leur matériel informatique des calculs, afin de confirmer des transactions. Comme récompense, ils collectent les bitcoins nouvellement créés, ainsi que les frais des transactions qu’ils confirment. Il y a des mineurs indépendants et des coopératives de mineurs, comme BTCMine au RoyaumeUni et BTCMP en Allemagne qui sont en concurrence. Leurs revenus sont proportionnels au nombre de calculs effectués. Il existe également des places de marché (voir encadré) qui permettent d’effectuer des opérations en toute simplicité, en contrepartie d’une commission (0,59 % sur bitcoin-central.net). Ce modèle connaît-il des évolutions ?
Le développement du e-commerce et des transactions par l’intermédiaire des smartphones devrait favoriser le développement de solutions de paiement alternatives. C’est le cas aux États-Unis avec Amazon, qui a lancé, en mai 2013, ses Amazon coins (1 dollar pour 100 Amazon coins), permettant aux internautes d’acheter des
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
Le cours du bitcoin peut s’envoler :
+550%
à 1 119 dollars en un mois (novembre 2013).
40%
Et perdre de sa valeur, une semaine plus tard ! Fin février, il se situait à 551 dollars.
© Corbis
UN BUSINESS MODEL À LA LOUPE PAYMIUM
jeux et des articles sur le Kindle Fire. Des projets indépendants se développent également, comme le français Universal Dividend Currency) (UDC) qui ambitionne d’être un standard de protocoles monétaires basé sur des logiciels libres. Quels sont les risques ?
Pour les internautes, deux menaces pèsent tout particulièrement D’abord, les investissements dans le bitcoin sont hautement spéculatifs. Ensuite, leur porte-monnaie virtuel est vulnérable au vol. Quelques codes malveillants ont été développés de façon à pirater ces comptes. Pour les États, le principal danger réside dans le blanchiment d’argent.
Quelle est la réglementation ?
Actuellement, les échanges avec Bitcoin ne sont pas réglementés. À l’exception de la Thaïlande, qui les interdit, les autres pays les tolèrent mais montrent des velléités de les contrôler. C’est le cas en Allemagne, où le bitcoin est désormais considéré comme une monnaie privée. Avec ce statut, il est soumis aux règles fiscales. Les bénéfices issus de la vente de bitcoins sont taxés à 25 % si l’achat et la vente ont été réalisés dans la même année, à l’exemple de la taxation sur les plus-values immobilières. En France, le bitcoin entre dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (paragraphe 1 de l’article 92 du Code des impôts).
Éditrice de Bitcoin-central, place de marché d’échange en ligne d’euros en bitcoins, Paymium repart à la conquête de la planète Bitcoin. En avril 2013, cette start-up française, créée en 2011 en banlieue parisienne, est victime de deux cyberattaques, l’une visant son hébergeur (OVH) et l’autre son porte-monnaie Instawallet. « Nous avons tout repensé, en termes d’architecture technique et de processus, de façon à offrir une plateforme très sécurisée », déclare Gonzague Grandval, cofondateur et PDG de Paymium. Unique en France, cette société a été la première au monde à lancer cette place de marché en bitcoins, en partenariat avec une institution bancaire accréditée pour assurer toute la partie gestion des comptes de ses 36 000 clients européens (dont 30 % de Français). Pour l’instant, la société n’est pas rentable. « Notre business model repose sur la commission que nous prenons sur chaque ordre d’achat et de vente avec Bitcoin. Elle est de 0,59 %, mais elle a vocation à diminuer en fonction des volumes échangés. »
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BUSINESS 2.0
MDM : LA SOLUTION POUR PILOTER LA SÉCURITÉ DES TERMINAUX MOBILES ?
L’entreprise ne peut plus s’en passer pour parer les risques de l’informatique nomade. Un outil efficace si son maniement complexe est parfaitement maîtrisé. par Solange Belkhayat-Fuchs
B
YOD (Bring Your Own Device) ou CODP (Corp. On Device Personnalisable), tendances émergentes du moment, véritables casse-têtes pour les responsables sécurité en entreprise, sont parmi les grandes priorités actuelles en matière de sécurité. Mélange de vie privée et professionnelle, téléchargement massif d’applications, mises à jour fréquentes des systèmes d’exploitation (OS), durée de vie très courte du matériel, fuite de données, etc. sont autant de raisons qui justifient l’installation d’outils sérieux de protection et d’administration. Soit on tient compte de façon séparée de tous les aspects du problème, alors, en premier bouclier, une suite de sécurité classique adaptée pour l’occasion à la protection des environnements mobiles est suffisante. F-Secure a d’ailleurs été un véritable pionnier en la matière, rapidement suivi par les autres acteurs du monde de l’antivirus. Soit on aborde le problème dans son ensemble, et la démultiplication des marques – OS, applications, etc. – devient un facteur au moins aussi important que la sécurité elle-même, rendant ces deux aspects du problème inextricables. Dans ce cas, des solutions plus globales sont à envisager. Ainsi, celle du MDM (Mobile Device Management). Les plates-formes MDM intègrent trois types de management, selon le cabinet d’analyse Forrester Research : Device
Management, Mobile Application Management et Mobile Security Management, point qui nous intéresse tout particulièrement. On saisit rapidement que l’ensemble de ces types de gestion permet d’assurer une sécurité globale de ce qui se passe sur ces terminaux mobiles. Côté sécurité pure, on retrouve des fonctions de protection essentielles, comme le chiffrement des équipements et des fichiers, l’effacement des données à distance, la gestion des mots de passe adéquats au niveau de sécurité voulu par la politique maison, la mise à disposition d’un VPN, et même des fonctions de prévention en ce qui concerne la fuite des données. Il existe de nombreuses sociétés dans cette catégorie, mais ce secteur est en pleine consolidation : ainsi, entre 2012 et 2013, certaines ont disparu du Magic Quadrant du Gartner, alors que d’autres, comme Blackberry (rachat de Ubitex), Citrix (rachat de Zenprise) ou Kaspersky, ont fait leur apparition. Parmi toutes ces solutions MDM, certaines sont réputées pour leur composante sécurité forte (voir tableau ci-dessous). Mais attention, à trop vouloir bien faire, on arrive parfois à des plates-formes MDM trop complexes et lourdes, en termes de gestion. L’équilibre parfait pour gérer les flottes mobiles, sécurité incluse, ne semble pas encore avoir été atteint…
9 SOLUTIONS DE SÉCURITÉ DE TERMINAUX MOBILES
Récemment entré dans le secteur du MDM, à la suite du rachat de Zenprise, il profite de la notoriété de l’entreprise dans la sécurité en y ajoutant ses propres atouts.
Réputé pour sa composante sécurité forte en étant le pionnier de la technologie de container en MDM, il travaille au niveau de l’application elle-même.
Big Blue a toutes ses chances pour bien pénétrer le marché avec sa force de frappe. Pour la composante sécurité, ne pas oublier l’atout que représente la Xforce, sans compter un département Sécurité non négligeable, et ce, même si rien n’est encore mis en avant de ce côté-là.
Le rapprochement de McAfee avec le monde du MDM date déjà de 2010, avec le rachat de Trust Digital. Tout comme ses concurrents en provenance du secteur de la sécurité, McAfee profite de son portefeuille pour apporter la composante sécurité à la solution MDM.
En bonne place du fait de sa position dans le monde de la sécurité, il propage sa réputation et ses fonctions sécurité dans le monde MDM depuis son entrée.
Pour Symantec, la porte d’entrée dans le cercle des acteurs du MDM est la société Odissey Software. Notons que la composante sécurité de la solution finale viendra de ce rapprochement, même si Odissey apporte une solution DLP dans la corbeille.
Le groupe propose des solutions smartphone-MDM hautement sécurisées avec des coûts en regard. Depuis peu, Thales est devenu également MVNO, opérateur de réseau mobile virtuel pour compléter son offre ultra sécurisée.
Le fabricant canadien est entré dans le cercle MDM grâce au rachat de Ubitex. Déjà connu pour la sécurité de ses plateformes, il propose non seulement la gestion des équipements sous IOS, Windows phone et Androïd, mais également la partie container pour sécuriser l’ensemble.
L’éditeur d’antivirus dont la réputation n’est plus à faire se lance sur le marché du MDM. Ce sont des développements internes qui lui permettent d’entrer dans le secteur et non un rachat. Il est fort probable que la composante sécurité sera un de ses points forts.
citrix.com
good.com
ibm.com
mcafee.com
sophos.com
symantec.com
thalesgroup.com
blackberry.com
kaspersky.com
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comme jamais auparavant. Si vous pouviez repenser votre entreprise, dans quelle voie l’engageriez-vous ? Quelle que soit votre vision, SAP vous aide à la mettre en œuvre : accélérer le changement, réagir aux opportunités à tout moment et où que vous soyez, tirer profit de toutes vos données instantanément. De l’optimisation à une transformation complète de la gestion de vos activités, SAP vous ouvre des perspectives nouvelles.
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LA PAROLE À L’INNOVATION
E-COMMERCE 3.0 : DU CLIC À LA BOUTIQUE Au chaland d’antan qui faisait ses courses à pied a succédé l’automobiliste, avec de nouvelles habitudes de consommation. À son tour, l’internaute, qui achète sur un clic, bouscule les règles du jeu du commerce traditionnel. Par François Lambel
L
’heure est au commerce connecté pour une raison évidente : les consommateurs français sont pratiquement tous des internautes (42 millions), et ils seront bientôt tous des « mobinautes » (déjà 17 millions, + 20 % par an)*. Tous ces clients potentiels ont intégré la dimension numérique dans leurs démarches d’achat, y compris lorsqu’ils se rendent dans un magasin. Les études sur ce sujet stratégique prolifèrent autant que leur méthodologie manque, pour la plupart, de précision. Toutefois, même si elles forcent le trait, ces enquêtes font un constat évident : les clients sont plus connectés que les magasins qu’ils visitent. Selon la Fevad, qui regroupe près de 600 entreprises du commerce électronique, celui-ci pesait, en 2013, encore moins de 10 % du chiffre d’affaires du secteur commercial grand public en France évalué à 520 milliards d’euros. Même si son activité continue de croître de 10 à 15 % par an, le commerce en ligne touche surtout les catégories socioprofessionnelles les plus aisées et concerne essentiellement la tranche d’âge des 25-49 ans. Le e-commerce n’est donc pas près de supplanter le « brick and mortar », ces magasins où un visiteur sur deux se transforme en acheteur, quel que soit son âge et son revenu. En revanche, tous les consommateurs utilisent de plus en plus Internet pour faire leurs choix, à tel point que certains avancent que le ROPO (Research Online, Purchase Offline, la recherche en ligne et l’achat en magasin) joue un rôle dans 40 % des décisions d’achat en boutique. À l’inverse, quelque 30 % des e-acheteurs se rendraient dans des points de vente qu’ils utilisent comme show-rooms, afin de sélectionner les achats qu’ils iront concrétiser en ligne par la suite, à la recherche du meilleur prix. La généralisation des smartphones va encore accroître l’efficacité numérique d’une clientèle qui, décidément, apprend très vite.
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La poignée des géants de la grande distribution a déjà entamé son adaptation en s’appuyant sur l’un de ses principaux atouts : la logistique. En trois ans, le nombre de « supermarchés drive », où les consommateurs passent chercher en voiture leurs achats commandés sur Internet, a été multiplié par 40, pour dépasser les 2 700 sites cette année. Et qui peut le « drive » peut le « click and collect », la mise sur le web du stock et des promotions d’une enseigne, avec la possibilité d’aller retirer le ou les produits achetés dans l’heure qui suit. Derrière cette évolution logistique se profile surtout la possibilité de personnaliser et de cibler l’offre, grâce à la connaissance acquise du comportement précis de chaque acheteur. C’est dans cette traçabilité, clé d’un CRM d’un nouveau genre, que réside le plus gros gisement d’évolution du commerce traditionnel. Certes, l’adjonction d’éléments numériques dans Le ROPO (Research l’équipement des magaOnline, Purchase Offline) sins et de leurs vendeurs joue un rôle participe de leur évolution digitale. Sur site, les dans écrans des bornes, des caisses et des tablettes des décisions d’achat donnent accès aux clients en boutique. à des informations déjà présentes dans le système d’information de l’entreprise (gammes complètes, options, etc.). Cependant, le véritable enjeu pour le commerce traditionnel se trouve dans le géomarketing : l’ajout d’une zone de chalandise numérique à ses habituelles dimensions géographiques. Celle-ci repose sur la géolocalisation. Pour simplifier, cette technologie
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prend en compte l’emplacement du consommateur lorsqu’il recherche les biens qu’il veut acquérir. Il peut connaître instantanément la distance et donc le temps qui le sépare de la satisfaction du besoin qu’il exprime. La pertinence des réponses obtenues peut, bien sûr, être encore améliorée si son profil et ses habitudes de consommation sont pris en compte. * Selon les chiffres du 9e baromètre Fevad-Médiamétrie-NetRatings (Comportements d’achats multicanaux des internautes, juillet 2013).
DU NUMÉRIQUE DANS LE MAGASIN PHYSIQUE Le commerce en ligne n’est pas incompatible avec le commerce physique. Loin s’en faut. Les marques sont gagnantes si elle réussissent à développer une synergie entre Internet et leurs poins de vente en intégrant tous les canaux de vente dans un même système. Ce dernier devra être capable de gérer toutes les interactions avec des consommateurs eux-mêmes convertis à l’approche numérique d’achat. Pour attirer et satisfaire les attentes de sa clientèle, les magasins physiques peuvent par le biais d’outils numériques développer de nombreux services (gestion des files d’attente, état du stock, accès aux avis des consommateurs, consultation des détails de l’offre, etc.). L’expérience du « web-in-store » permet de transporter en magasin les fonctionnalités du e-commerce standard via des applications présentes sur des supports adéquats, comme les tablettes numériques. Par ailleurs, les enseignes peuvent tirer parti de l’analyse pertinente des données de leur clientèle obtenues sur tous les canaux (boutiques, Internet, réseaux sociaux). À l’instar du grand distributeur britannique House of Fraser qui, après avoir localisé ses clients via leurs applications Internet dans des villes où il était absent, a décidé d’y ouvrir des magasins.
DE L’HUMAIN DANS LE COMMERCE EN LIGNE Instaurer le dialogue avec l’internaute et individualiser la relation commerciale en ligne s’inscrit de façon efficace dans le parcours d’achat multicanal. La technologie du « click-to-call », notamment, permet aux visiteurs du site d’une marque de cliquer sur un simple bouton à partir de leur smartphone et d’être immédiatement mis en communication gratuitement avec un conseiller téléphonique. Une interaction plébiscitée par les consommateurs, qui donne par la même occasion la possibilité à l’entreprise de collecter des données et d’analyser qui, quand et où les internautes passent du canal de ventes en ligne à celui de ventes téléphonique. Ce type d’outil permet de développer une réelle stratégie de communication entre les différents canaux de vente de l’entreprise. Chez Voyages-Sncf, par exemple, les efforts en la matière sont concentrés sur les deux principaux leviers de croissance : le mobile et l’international, c’est-à-dire les étrangers qui achètent des billets de train. « Nous proposons par exemple du “click-to-call” aux ÉtatsUnis et en Europe, ce qui augmente beaucoup les taux de conversion (le pourcentage de visiteurs qui se transforment en acheteurs). En particulier pour les produits complexes, dans toute l’Europe, c’est indispensable », souligne le directeur général, Yves Tyrode.
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PROSPECTIVE
LE NUMÉRIQUE, UNE RÉPONSE INNOVANTE À LA COMPLEXITÉ DU VIVANT Analyse de données génétiques, simulation d’actes chirurgicaux ou encore essais virtuels de médicaments : autant de défis complexes pour les technologies numériques. Par Mathilde Maufras
L
a compréhension des phénomènes du vivant avance à grands pas, principalement grâce l’accélération du séquençage de l’ADN. Une révolution qui a fait émerger de nombreux progrès médicaux, au cours de ces dernières décennies. Pour continuer à innover, les technologies biomédicales doivent s’appuyer sur les compétences du monde numérique. « Notre approche des problématiques de santé ouvre de nouvelles perspectives, explique Philippe Gesnouin, responsable du secteur santé, sciences de la vie, biotechnologie au sein d’Inria, l’institut de recherche public en sciences du numérique. Nous avons la capacité d’intervenir efficacement sur des problèmes qui restaient jusque-là irrésolus. » Les défis sont de taille : dans le domaine des sciences du vivant, le volume d’informations à traiter, à analyser et à représenter ne cesse de croître. Une situation qui s’explique par la disponibilité d’examens sous format numérique ou, entre autres, par l’augmentation rapide des informations produites par les séquenceurs de nouvelle génération (NGS). Le numérique représente, dès lors, une opportunité pour intégrer ces données de santé, les comparer et les mettre en relation.
qui modélise les chemins métaboliques dans la cellule et les systèmes de régulation. Le but : proposer des simulations, afin d’évaluer l’impact de molécules médicamenteuses. Toujours dans le domaine thérapeutique, les chercheurs travaillent à la modélisation du cerveau de personnes victimes de lésions, pour les diagnostiquer et intervenir plus rapidement. Les champs d’application du numérique concernent également les enjeux de santé publique : simuler l’évolution des pandémies pour mieux les contrôler, utiliser et déployer les outils numériques pour améliorer l’autonomie des personnes en situation de handicap, physique ou cognitif, prolonger celle des personnes âgées… « En aidant les professionnels et les entreprises à développer des solutions innovantes en matière de santé, nous participons au bien-être de notre société tout en souhaitant contribuer à la création d’emplois. Il s’agit là d’enjeux sociétaux et économiques majeurs », conclut Philippe Gesnouin.
CONCEVOIR DES APPLICATIONS VARIÉES
« Nos chercheurs développent des modèles qui approchent avec de plus en plus de précision le monde du vivant », précise Philippe Gesnouin. C’est le cas de l’équipe de recherche Shacra (Simulation in Healthcare using Computer Research Advances) d’Inria qui conçoit des logiciels à destination des praticiens, permettant ainsi de simuler des opérations chirurgicales dans un but pédagogique. Un vaste projet avec un grand éditeur de logiciels et des industrie pharmaceutiques implique une équipe
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Le 11 février dernier, Inria a organisé à Lyon une rencontre Inria Industrie sur le thème « Bio-informatique et outils numériques pour les produits de santé ». L’occasion de mettre en avant les relations entre la modélisation, l’analyse et la gestion des données pour développer des produits de santé. Cette manifestation était destinée aux entreprises, qui ont pu rencontrer les chercheurs d’Inria et assister à la démonstration de leurs travaux.
LOREM IPSUM
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E-GOV
LE LOGICIEL LIBRE S’ATTAQUE À LA NEUTRALITÉ DE LA COMMANDE PUBLIQUE La préférence pour les solutions open source se développe dans certaines administrations. Une tendance qui, au final, ne laisse pas la liberté de choix à l’utilisateur public. par Franck Tondou
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epuis plusieurs mois, quelques élus isolés tentent de substituer un principe de préférence pour les solutions open source dans les marchés publics à celui de la neutralité technologique de la commande publique. Leur action a même récemment conduit les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Intérieur à donner publiquement des gages de bonne volonté en ce sens, et cette logique sous-tend les pratiques de nombreux services déconcentrés de l’État, administrations publiques locales et établissements publics. Au Parlement, ces élus ont proposé d’amender un nombre croissant de projets de loi dans l’objectif d’y introduire des mesures préférentielles. Concernant la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche du 9 juillet 2013, ils y sont d’ailleurs parvenus. L’achat de solutions open source est désormais prioritaire dans le service public de l’enseignement supérieur. UN CONTEXTE DE PRÉFÉRENCE INSTITUTIONNALISÉE EN FAVEUR DU LOGICIEL LIBRE
Certains parlementaires sont particulièrement mobilisés. La députée Isabelle Attard, ex-EELV, a entrepris de questionner chaque ministère sur son application de la circulaire du Premier ministre du 19 septembre 2012, définissant les orientations pour l’usage des logiciels libres dans l’administration. C’est en effet ce texte qui établit le principe selon lequel « l’administration peut choisir unilatéralement une solution libre ». En termes d’achat et de commande publique, cela s’est traduit par une mise en concurrence au niveau des prestations de services informatiques « auprès de sociétés mises sur un pied d’égalité par la publication des sources ». L’objectif est clair. Il s’agit de faire muter l’offre commerciale vers le libre en excluant de facto de certains marchés publics les éditeurs de logiciels propriétaires. Cette doctrine s’appuie sur la jurisprudence du Conseil d’État. Par un arrêt du 30 septembre 2011, ce dernier a affirmé la légalité de la dichotomie entre marché de prestations de services informatiques, d’une part, et marché de fournitures de logiciels, d’autre part, battant en brèche le raisonnement consistant à soutenir que logiciels et services forment une unité fonctionnelle indivisible. Cet arrêt a donc ouvert la voie à l’interprétation énoncée par la circulaire du Premier ministre : « Le juge a bien précisé qu’un pouvoir adjudicateur pouvait, sans remettre
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en cause les principes de l’achat public, organiser une mise en concurrence fondée sur une solution libre choisie unilatéralement par l’administration » (arrêt du Conseil d’État n° 350431 du 30 septembre 2011). QUELLE PRÉFÉRENCE, POUR QUELLE FINALITÉ D’INTÉRÊT PUBLIC ?
Pourtant, le principe de discrimination technologique a priori dessert à la fois l’acheteur public, que l’on bride mécaniquement dans sa capacité à retenir la solution la plus adaptée à son besoin, et les entreprises, dont on réduit l’aptitude à innover. Au contraire, le principe de neutralité technologique de la commande publique protège l’un et l’autre. Pour Pierre-Marie Lehucher, directeur général de l’éditeur Berger-Levrault, le texte de la circulaire est d’ailleurs inadapté à la poursuite des objectifs qu’elle affiche : « Les pouvoirs publics poursuivent légitimement des objectifs de maîtrise des dépenses et d’adaptabilité
En période de crise, le secteur public est un marché essentiel pour les éditeurs. aux besoins. Or, pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de retenir une solution développée dans un contexte concurrentiel pour répondre aux besoins des utilisateurs, c’est-à-dire en fonction de ses qualités propres et non en fonction de son seul modèle de propriété intellectuelle. » En période de crise, le secteur public est un marché essentiel pour les éditeurs qui doivent financer leur croissance internationale sur leur marché domestique ; ce qui est le cas de la majorité des éditeurs français. Selon Pierre Audouin Consultants, le logiciel libre représente moins de 1 % du marché des logiciels et des services informatiques en France. Les conséquences d’une priorité donnée au logiciel libre concerneraient donc plus de 90 % d’une filière éditrice française innovante mais qui peine à faire émerger des consolidateurs et des champions.
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CHRONIQUE JURIDIQUE
« VRAIS FAUX » AVIS DE CONSOMMATEURS L’E-RÉPUTATION DANS LA COMPÉTITION par Jean-Sébastien Mariez
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is en lumière par une récente étude sur laquelle nous revenons ci-dessous, le phénomène des « vrais faux » avis sur les plateformes communautaires vise deux finalités principales. La première consiste à gonfler artificiellement la notoriété d’une entreprise, sa notation, et la visibilité sur Internet qui en résulte auprès des consommateurs ; il s’agit dans ce cas de figure d’avis positifs postés par l’entreprise elle-même ou par son prestataire. La seconde consiste à dénigrer les produits ou les prestations d’une entreprise, son image ou sa réputation ; il s’agit là de commentaires négatifs postés par un concurrent ou son prestataire. Au-delà de l’atteinte à la (e)-réputation, quel enjeu commercial ? Ce dernier, associé aux avis de consommateurs, à la notation et à la visibilité qui en résultent, est souligné dans deux récentes études réalisées par la Harvard Business School. La première constate que la progression d’une étoile peut permettre au professionnel noté d’accroître son revenu de 5 à 9 %. Appréciés au regard des conclusions d’une seconde étude selon laquelle environ 16 % des avis sont frauduleux, ces chiffres permettent d’entrevoir l’intérêt bien compris d’acteurs de la e-réputation tentés de s’engager sur le marché des services de rédaction et de publication de commentaires, ainsi que le bénéfice commercial que leurs clients sont susceptibles d’en retirer. Il n’en va pas sans risque juridique au regard de la responsabilité des entreprises et des prestataires qui feraient le choix de s’engager dans cette voie.
JEAN-SÉBASTIEN MARIEZ AVOCAT À LA COUR
Mais que fait la police (du Web) ! C’est vers les États-Unis qu’il faut se tourner pour trouver un exemple récent d’action répressive à l’encontre de professionnels du « vrai faux » avis et de clients en mal de notoriété sur Internet. L’avocat général de l’État de New York a récemment annoncé la conclusion d’un accord avec 39 entreprises s’engageant à cesser d’avoir recours à ces procédés frauduleux et le paiement d’amendes pour un montant total de 350 000 dollars. En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) semble s’être emparée du sujet. À ce jour, aucune condamnation pénale ne semble toutefois avoir été prononcée.
Qualifications juridiques, recours et sanctions. La manipulation d’avis, qu’il s’agisse de la rédaction d’avis positifs ou de la suppression d’avis négatifs, est susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale définie à l’article L. 120-1 du Code de la consommation et, plus particulièrement, une pratique commerciale trompeuse (article L. 121-1 et L. 121-1-1). Restées jusqu’ici théoriques, les sanctions pénales encourues doivent être rappelées : deux ans d’emprisonnement et 187 500 euros d’amende pour une personne morale. Cette amende peut être portée à 50 % des dépenses affectées à la publicité ou à la pratique constituant le délit et complétée par la publication du jugement et/ou par la diffusion d’annonces rectificatives. Sur le plan civil, un premier réflexe serait de viser la plateforme communautaire, afin de solliciter le retrait des avis dont le caractère dénigrant serait démontré. La réparation du préjudice subi par un concurrent dénigré pourra résulter d’une action en réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Le 19 mars 2008, La cour d’appel de Paris a sanctionné une société ayant « jeté le discrédit sur les produits commercialisés » par son concurrent, après avoir publié des avis négatifs sur son compte. Vers une autorégulation des plateformes communautaires d’avis ? C’est en matière de normalisation que l’initiative d’autorégulation la plus structurée a récemment émergé. Elle émane de l’Afnor et prend la forme d’une norme, publiée le 4 juillet 2013, encadrant la publication d’avis de consommateurs sur Internet. Développée à l’initiative d’acteurs privés, cette norme décrit un certain nombre de bonnes pratiques relatives à la collecte, l’origine des avis, leur modération, l’affichage des avis et la notation qui peut en résulter. Pour être opposables aux consommateurs, ces recommandations devront être intégrées, pour certaines, aux conditions générales d’utilisation des plateformes communautaires qui feraient le choix de s’y conformer. Une norme est en effet dépourvue de force contraignante. Par un arrêt du 27 février 2013, la cour d’appel de Paris a eu l’occasion de rappeler qu’une norme « n’a aucun caractère obligatoire et ne constitue qu’un recueil de recommandations de bonnes pratiques ».
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COMMUNAUTÉS
: ÉPINGLER, C’EST GAGNER ! Réseau social de partage d’images lancé en 2010 et centré sur les passions de ses utilisateurs, Pinterest, qui connaît une forte croissance en France, ouvre de nouvelles perspectives au e-commerce. par Remi Sorel
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interest, mot-valise constitué de pin (épingler en anglais) et interest, est un tableau de liège virtuel (board) sur lequel on épingle photos ou vidéos, lesquelles sont autant de liens vers d’autres sites dans des catégories créées au préalable. Puis, comme tout réseau social qui se respecte, on suit d’autres membres (pinners), on « repinne » leurs posts et on enrichit son mur de ses propres images et de celles des autres. En somme, quand Twitter simplifie le blog en réduisant les notes à 140 caractères, Pinterest le remodèle en remplaçant le texte par l’image. Certains parlent de scrapbooking numérique. LE 2.0 DES MÉNAGÈRES AISÉES
Fait atypique chez les étoiles montantes du web, ce sont les ménagères, futures mariées et autres fées du logis qui se sont ruées les premières sur Pinterest. On montre à ses amies sa garde-robe, sa liste de vœux, on échange des recettes ou des idées pour réussir un dîner, une fête d’anniversaire, ou encore fabriquer un accessoire pour la maison. Cinquante millions d’utilisateurs plus tard – dont 80 % aux États-Unis –, il ressort que l’audience est en grande majorité féminine et très portée sur la mode, le luxe ou la cuisine. Selon une étude de l’agence Modea, deux tiers des utilisateurs sont en effet des femmes et 28 % des membres appartiennent à un foyer dont le revenu annuel dépasse les 100 000 dollars. Le site a vu le nombre de publications partagées par ses utilisateurs croître à un rythme plus soutenu que Facebook, au troisième trimestre 2013. Avec une hausse de 19,2 % sur cette période, il devance LinkedIn, Facebook et Twitter. Résultat : Pinterest est valorisé à 2,5 milliards de dollars. À LA CONQUÊTE DE LA FRANCE
En juin 2013, l’entreprise s’est lancée dans l’Hexagone avec une campagne percutante : « Épingler c’est partager ». Elle annonce aujourd’hui 550 000 utilisateurs. Le bouton de référencement « Pin it » fleurit un peu partout sur le web aux côtés de ses grands frères. Culturellement, il est vrai que la France est très portée sur les communautés historiques du site – la mode, la décoration, l’alimentation. Ce sont donc également les marques françaises qui intéressent la start-up américaine. Certaines d’entre elles, dont L’Oréal, utilisent déjà Pinterest pour faire la promotion de leurs produits. Il faut dire que les moyens de ce nouveau réseau, en termes de développement d’image, sont nettement plus importants que ceux des autres sites communautaires. En effet, il ne s’agit pas seulement d’afficher son catalogue de produits sur son board, mais également de renouer avec ses valeurs et de faire découvrir aux internautes la richesse de son univers. Le design du site permet d’afficher l’ADN de la marque et de créer un lien avec la communauté… Et, cerise sur le gâteau, la focalisation sur les images sans grandes possibilités de commentaires met à l’abri de toute critique.
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© Isabelle Bonjean
28%
des membres appartiennent à un foyer dont le revenu annuel dépasse
100 000 dollars
STÉPHANIE TRAMICHECK, Directrice générale de Pinterest France
« Les internautes se regroupent autour de centres d’intérêt. Ils collectionnent les images des choses qu’ils aiment et ils peuvent en découvrir d’autres. Ce qui est propre à Pinterest, c’est que cela pousse à l’action : si vous avez repéré une recette, vous pouvez la réaliser le soir même. Avec toutes ces idées de déco ou de mode, vous avez à portée de main la vie dont vous rêvez ! » ANNE D’ARRAS, Boutique sktv.fr
« C’est avant tout un réseau de partage d’images, plus que d’adresses ou de bons plans, et les utilisateurs de Pinterest, s’ils sont des clients potentiels pour une enseigne, ne sont pas forcément intéressés par des sollicitations commerciales.
C’est une activité très contemplative, voire artistique, et les “pinners” ne sont pas très éloignés de ces gamins qui se retrouvent pour échanger leurs vignettes Panini ! Quant à moi, je m’en sers pour tester des produits, faire de la veille ou préparer de nouveaux projets en constituant, par exemple, l’iconographie à utiliser en support d’un argumentaire. C’est vraiment une mine d’idées ! » TOMATE JOYEUSE, tomatejoyeuse.blogspot.com « La communauté est essentiellement axée sur l’image, plus que sur la vidéo. Les commentaires sont rares, ce qui est décevant. Il faut dire que; dans l’ensemble, ce sont des échanges sans dialogue : on commente très rarement les photos. Il existe très peu de fonctionnalités pour la discussion ou le contact, juste la possibilité de dire qu’on aime, qu’on veut suivre ou qu’on reprend à son compte. »
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CULTURE
DAFT PUNK UNE FRENCH TOUCH PAS TRÈS « FRENCH TECH » ? Absents des réseaux sociaux, pas vraiment fans de la musique assistée par ordinateur, les deux compères masqués seraient-ils des contre-révolutionnaires numériques ? par Loïc Rivière
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’événement musical de l’année de 2013 aura été sans conteste la sortie du dernier opus des Daft Punk qui a connu un succès planétaire, plaçant même la Corée du Sud comme première nation fan des artistes français, selon les analyses d’audience fournies par Deezer ! Consacrés aux Grammy Awards, les Daft Punk n’ont pas tardé à passer, après leur succès, du statut d’icônes de la musique électronique VF à celui d’emblème national d’une « French Touch » qui ne se réduit pas à la musique, réussit bien au-delà de nos frontières, se frotte aux meilleurs et conserve dans son succès une saveur bien de chez nous… Bref, on rêverait aussi de faire des Daft Punk de dignes représentants de la révolution numérique et, pourquoi pas, de cette « French Tech » qui voit son destin loin de chez elle. Mais l’ont-ils même embrassée, cette révolution numérique ? Entre ce dernier album et le précédent, si l’on excepte les anthologies, les remix et la bande originale commandée de TRON, pas moins de huit années se sont écoulées. Presque une « vie » dans l’univers discographique, mais une éternité dans le monde numérique… 2005 est l’année de Human after All et aussi celle de Windows XP. Facebook est encore un Intranet à Harvard et Twitter, une vague idée inspirée du tout jeune Flickr. Que sont les Daft Punk devenus – numériquement – depuis ?
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« ON N’EST PAS SUR FACEBOOK OU TWITTER »
Si Random Access Memories a bien fait l’objet d’un lancement mondial effectué sur Itunes en mai dernier, ce qui frappe, de la part de Thomas Bangalter et de Guy-Manuel de Homem-Christo, c’est plutôt leur absence des réseaux sociaux, un goût limité pour la musique assistée par ordinateur et une esthétique rétrofuturiste éloignés des codes de la high-tech. En matière numérique, les artistes versaillais seraient-ils donc des « contre-révolutionnaires » ? À l’époque de la surexposition de soi et du personal branding, il est vrai que l’anonymat des Daft détonne. Dissimulés derrière leurs masques de robot, ils ont fait le choix de vivre cachés : « On n’est pas sur Facebook ou Twitter, alors, du coup, on cherche à se connecter humainement avec d’autres artistes. » Derrière chacune des collaborations (Nile Rodgers, Giorgio, Moroder, Pharrell Williams, Julian Casablancas…), se niche en effet une véritable démarche musicale plutôt qu’un name dropping à visée commerciale. Entre Los Angeles et Paris, les artistes français, qui mettent donc la collaboration au cœur de leur projet, sont également davantage des habitués des studios d’enregistrement que des plateaux télé et tiennent à leur anonymat. Ils ont ainsi fait retirer promptement du Net l’image volée de leur quarantaine
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qui y a circulé quelques jours durant. Loin de la peopolisation universelle que nous proposent les réseaux sociaux, les Daft Punk ont fait le choix de s’effacer autant que possible derrière leur musique, se contentant de figurer, en guise d’avatar, de façon très désincarnée en robots SF sorti d’un vide-grenier. 3 MILLIONS D’ALBUMS VENDUS : LE MARCHÉ PHYSIQUE REPREND DES COULEURS
Autre pied de nez et anachronisme saisissant, les Daft ont véritablement redonné des couleurs au marché du disque en 2013, avec 3 millions d’albums vendus... démontrant par la même occasion que le digital n’a pas tué la musique. Placé sur Itunes un peu précipitamment en réponse à la diffusion d’une version pirate sur le Net, Random Access Memories a vite rejoint dans la foulée les plateformes de streaming audio pour y pulvériser aussi tous les records d’écoute enregistrés. Combinant la vieille recette de la rareté à celle, plus contemporaine, de la démocratisation de l’accès aux contenus que proposent Deezer et Spotify, ils se sont parfaitement adaptés au mode de consommation de la musique, qui a radicalement changé depuis 2005. Mais le son des Daft Punk ne proclame pas la fin d’une ère. Cultivant plutôt l’hommage que la table rase, les Daft Punk ne
pratiquent pas « l’émeute des vivants contre les morts », pour reprendre l’expression du très « rétrospectif » Alain Finkielkraut… En revisitant de façon proclamée les années Funk, en conviant les faiseurs de son de l’époque (Nile Rodgers de Chic), ils ont inscrit leur musique dans une filiation érudite qui confirme que, tout en s’adressant au grand public, les Daft s’adressent également à leurs pairs : crate diggers et autres chineurs de musique enfouie. L’ORDINATEUR, UN « ENVIRONNEMENT STÉRILE »
Les Daft ont la mémoire vive mais le titre du dernier album pourrait brouiller les esprits : R.A.M… L’indice d’une musique composée sur ordinateur ? Non. La démarche quasi maniériste des Français se retrouve aussi dans le façonnage, où les Daft ont, comme le groupe Metronomy, délaissé l’ordinateur – « environnement stérile » selon eux –, pour utiliser exclusivement synthétiseurs analogiques (Moog), pianos électriques, qui ont fait le son funk (Rhodes), et instruments acoustiques. Les audiophiles – qui auront certainement fait le choix du CD – apprécieront. C’est donc peut-être ça, la French Touch, cette combinaison obstinée de l’ancien et du moderne, du démocratique et de l’élitiste, du « bien de chez soi » et de l’ailleurs.
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CULTURE
L’ÊTRE ET L’ÉCRAN
COMMENT LE NUMÉRIQUE CHANGE LA PERCEPTION
STÉPHANE VIAL, éditions Presses universitaires de France, 334 p.
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es écrans et les interfaces, points d’accès aux techniques numériques, sont étudiés dans ce travail de recherche sous l’angle philosophique. Cela suppose l’absence de jugement moral ou la construction d’un savoir sur l’aspect précis de la nouvelle perception du monde, au travers des écrans. Dans cette analyse dense du fait numérique, l’auteur pointe l’absence de frontières entre le réel et le virtuel. À lui seul, l’iPod, connecté en réseau comme tous les autres objets numériques, incarne le paradigme actuel de la consommation culturelle.
Par Serge Escalé
/ L’ère numérique, un nouvel âge de l’humanité,
/ La condition numérique,
Gilles Babinet, éditions Le Passeur, 240 p.
Jean-François Fogel et Bruno Patino, éditions Grasset, 216 p.
Ce que l’Histoire retiendra en l’an 2500 ou 3000 après J.-C., « c’est le développement des technologies de l’information qui aura été à l’origine de la révolution la plus radicale qu’ait connue l’humanité », affirme Gilles Babinet. Dans cet essai, Le «digital champion » français, représentant la France auprès de la Commission européenne pour les enjeux du numérique, met l’accent sur cinq mutations qui vont bouleverser notre vie : dans l’éducation, la connaissance (crowd sourcing, Big Data, etc.), la santé (généralisation du Quantified self et de la médecine cocréée), la production (robots et Fablabs), et enfin dans l’État (Open Data, nouvelles logiques participatives, coopérations…).
L’accès permanent au réseau construit une forme inédite de la condition humaine. Un nouvel espace social se développe à grande vitesse, et l’expérience numérique bouleverse en profondeur les médias de masse, les loisirs, le système de production, les rapports interpersonnels. Deux décennies d’Internet ont davantage changé le texte que des millénaires d’écriture. Au travers de parallèles historiques pertinents, cet essai analyse les marques irréversibles d’Internet et du numérique sur nos vies.
/ Le grand livre de l’entrepreneuriat
/ Réseaux sociaux & Cie Le commerce des données personnelles
Sous la direction de Catherine Léger-Jarniou, éditions Dunod, 448 p.
Frank Leroy, éditions Actes Sud, 272 p.
Fruit d’un travail collectif de plus de trente experts dans les domaines du management, de l’entrepreneuriat et de la gestion, cet ouvrage se veut une référence pour les élèves et les professeurs des écoles de commerce, mais également pour les créateurs d’entreprise, consultants, institutions et associations. La création ou la reprise d’entreprise, le financement et le développement, la présentation des secteurs porteurs sont exposés de manière concrète via des témoignages de terrain, des avis d’experts et des cas d’entreprises. Une bonne boîte à outils pour tout ce qui concerne l’entrepreneuriat.
Nos coordonnées, préférences, achats, bribes de vie privée, déplacements, sites consultés sur les ordinateurs, smartphones et tablettes sont massivement utilisés, et nous sommes devenus une marchandise vendue aux annonceurs. La gratuité est un leurre. La stratégie opaque des Google, Facebook, Twitter, Linkedin et autres grands acteurs des réseaux sociaux pour mettre la main sur nos données personnelles est examinée en détail dans ce livre, d’une plume incisive. Il ne semble pas, hélas, qu’un contrôle public efficace de l’usage excessif de nos données soit envisageable.
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IDÉES
LE NUMÉRIQUE ET LA CONFIANCE SOCIALE par Milad Doueihi
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BIO EXPRESSMILAD DOUEIHI Philosophe et historien des religions dans l’Occident moderne, titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à l’université Laval (Québec). Auteur, entre autres, de La grande conversion numérique (Seuil, 2008), Pour un humanisme numérique (Seuil, 2011), Qu’est-ce que le numérique ? (PUF, 2013).
’informatique est la science de l’information et du discret, et le numérique, dans sa dimension socioculturelle, modifie l’empirique, l’insérant dans une logique qui façonne le passage de l’information à la trace, et finalement aux données. C’est dans ce premier sens que la dynamique informatique-numérique explique la mutation de la nature de l’expérience – dans le sens d’un vécu, du concret – qui est en cours aujourd’hui. L’ère des données, avec ses défis et promesses, ses pièges et ses utopies, ne fait qu’exprimer cette transformation du quotidien au sein de l’environnement numérique et de ses mesures. L’identité numérique, individuelle autant que collective, est de plus en plus soumise à cette contrainte des données et de leur exploitation économique. Cette conversion met en lumière un double mouvement : d’une part, une convergence entre un paradigme de la recherche, de l’index, valorisé par ses propres critères d’adéquation et de pertinence et, d’autre part, un principe radicalement différent, celui de la recommandation, exploitant l’extensibilité de la proximité et du voisinage (géographique, sémantique, social, etc.) et se fondant sur une instrumentalisation de la sociabilité. La recommandation implique une transformation de la culture de l’algorithme elle-même car elle effectue le passage ou, du moins, le mariage de la recherche classique avec l’injonction des repères dits « sociaux ». Aujourd’hui, la géolocalisation, la langue, l’historique social (devenu par ailleurs inévitable) sont des facteurs dotés d’une plus grande importance permettant une diversification des résultats déclinés en fonction des identités, de leur point d’accès et de leur réseau social si celui-ci est accessible au moteur de recherche. En fin de compte, c’est la notion même de contexte qui est en mouvement
permanent. Et ce mouvement nous est en effet présenté comme le retour de l’humain, le triomphe de la personnalisation et le résultat du social numérique. « Big Data » et, plus récemment, « Long Data » sont une forme collective de l’intensité de la relation dans sa version mesurable et quantifiable. La relation comme un lien, mais aussi comme une unité de mesure. Le passage de l’informatique au numérique a rendu possible l’association d’une version de ce qu’est un calcul avec ce qui est calculable. Autrement dit, c’est la raison
LA RAISON COMPUTATIONNELLE IMPOSE UN MOUVEMENT AMENANT À DE L’INFORMATION, À LA RELATION ET, AU BOUT DU CHEMIN, À LA VALEUR. computationnelle, qu’il ne faut cesser d’interroger et de renvoyer à son histoire et son archéologie, ses mythes fondateurs, qui impose un mouvement amenant à de l’information, à la relation et, au bout du chemin, à la valeur. Ainsi, le calcul ne fait que mettre en relief des manières de faire monde avec les traces et les données. Il ne s’agit point de nier ici la nouveauté de l’accès aux données ni de leur ôter leur importance et leur pertinence. Mais il reste qu’il nous faut élucider les manières de lire et d’interpréter ces données et la façon dont ces méthodes pèsent sur nos sociétés. Car c’est bien ce désir de totalité, cette quête d’exhaustivité qui anime la survalorisation des données. L’enjeu ici est de taille puisqu’il s’agit du passage d’une maîtrise de la prévision à un usage subreptice de la prescription.
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TENDANCES
BIG DATA ET S.I. D’ENTREPRISE MARIAGE DE SAISON OU MARIAGE DE RAISON Né de la réalité numérique qui nous entoure, le Big Data s’intègre de plus en plus aux systèmes d’information des entreprises. par François Lambel
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e Big Data n’est déjà plus un luxe et sera bientôt une nécessité dans une économie et un monde qui se numérisent à vitesse grand V. Quand le cabinet IDC annonce que la capacité mondiale de stockage passera de 2 596 exaoctets en 2012 à 7 235 en 2017 (+ 180 %), on comprend bien que l’analyse de ces « datamasses » d’information jouera un rôle déterminant dans le succès des entreprises. En écho à ces capacités de stockage difficiles à imaginer, le Gartner Group constate que, dans son panel d’entreprises et d’organisations, le pourcentage de celles qui investissent dans le Big Data ou qui prévoient de le faire rapidement est passé de 58 % en 2012 à 64 % en 2013. Certes, elles ne sont encore que 8 % à exploiter des applications opérationnelles, mais la courbe d’apprentissage grimpe aussi vite que s’éveille l’intérêt des dirigeants d’entreprise pour des outils décisionnels d’un nouveau genre. La plus-value opérationnelle du Big Data s’impose à leurs yeux au fur et à mesure qu’ils en intègrent les potentialités et que l’appréhension vis-à-vis de ses spécificités techniques s’estompe. Le phénomène est tel que, selon le cabinet EMA, plus de la moitié des projets Big Data est financée par un autre département que la DSI. HADOOP SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE
Dans un remarquable effort partagé (open source), les communautés scientifiques et techniques ont élaboré les outils
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spécifiques capables, d’une part, de manipuler des données polymorphes et, d’autre part, de les trier et de les analyser rapidement. Emblématique de leurs travaux, Hadoop s’impose comme la pierre angulaire utilisée par l’écrasante majorité des éditeurs pour les projets les plus ambitieux. Mais le traitement de « datamasses » peut aussi bien se faire avec des outils traditionnels. Le choix dépend en grande partie du type de données manipulées. Si le Big Data est souvent associé au traitement de données au format ésotérique, dans la réalité, la majorité des projets initiés repose sur des informations en provenance des applications d’entreprise. En un an, les environnements d’entreprises ont beaucoup progressé dans la prise en compte du Big Data. La « brique » Big Data se généralise chez eux aussi rapidement que les alternatives prolifèrent. En l’état actuel du marché, il est impossible de distinguer une tendance de fond. Selon le cabinet EMA, qui parle d’un écosystème hybride, ce sont les caractéristiques du projet qui déterminent la ou les technologies adaptées. La palette de choix s’étend des nouvelles technologies de traitement de données, comme Hadoop, MongoDB ou Cassandra, d’une part, aux bases de données SQL, aux entrepôts de données et aux applicatifs de CRM et d’ERP, d’autre part. Même constat pour les architectures systèmes cibles. Le Big Data in situ cohabite avec celui en nuage. Le choix de la plate-forme et de la configuration logicielle se fait
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AVANT DE PARLER TECHNOLOGIE, PARLONS VALEUR AVIS D’EXPERT YVES DE MONTCHEUIL, VP MARKETING DE TALEND
Le terme « Big Data » est sans aucun doute le plus galvaudé de ces dernières décennies, utilisé dans des contextes très variés : traitement de volumes considérables pour les uns – mais comment comparer les volumes de données gérés par la grande distribution à ceux d’une banque ? –, analyse de données semi-structurées pour les autres (tweets, commentaires de consommateurs, rapports de techniciens, etc.), accès à de nouvelles sources de données (Internet des objets, systèmes opérationnels rejoignant les technologies de l’information…).
Cependant avant d’être une technologie, le Big Data se doit d’être une réponse aux organisations toujours plus désireuses d’optimiser leurs processus et de tirer parti de tous leurs actifs, qu’ils soient matériels ou immatériels. Le Big Data permet à ces organisations d’accéder à leurs actifs, de les stocker, de les traiter, de les transformer et d’en tirer de la valeur. Une fois les barrières technologiques estompées, la question devient : comment optimiser cette valeur ?
vraiment au coup par coup, selon les éléments à analyser et les objectifs à atteindre, Lesquels dépendent du type d’entreprise. Les entreprises du secteur tertiaire se focalisent sur la connaissance fine de leur clientèle. Celles du secondaire et du primaire s’attachent avant tout à optimiser leurs processus. Au final, le Big Data diffère surtout des autres systèmes de
gestion de bases de données en ce qu’il transcende leur rôle. Selon le Gartner Group, sa prise en compte est essentielle dans l’architecture numérique des entreprises. Celle qui préside à l’évolution de leur système d’information vers une fonction d’analyse dans un environnement qui englobe désormais le mobile numérique, les média sociaux et l’Internet des objets.
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ne fois n’est pas coutume, une start-up achète une entreprise centenaire. Par ailleurs, en mettant la main sur la société helvétique Swissvoice, spécialiste des combinés téléphoniques haut de gamme, la société française Invoxia, née en 2010 sur le marché de la téléphonie sur IP, prend à contrepied le préjugé selon lequel ce sont les entreprises étrangères qui viennent faire leurs emplettes parmi les jeunes entreprises hexagonales les plus prometteuses. Les Français d’Invoxia tablent sur une triple synergie avec Swissvoice. D’une part, ils veulent renforcer leur positionnement haut de gamme, tant en termes de design, d’ergonomie que de qualité sonore. Les
LE FRANÇAIS INVOXIA FUSIONNE AVEC SWISSVOICE équipes R & D des deux entreprises vont mettre en commun leur savoir-faire pour proposer, entre autres, des produits convergents dans la continuité de ceux qui, déjà, permettent de coupler des portables et des tablettes iOS et Android à des bases fixes. D’autre part, ils vont pouvoir étendre leur clientèle audelà des TPE-PME et viser les particuliers les plus exigeants. Enfin, ils ont trouvé dans la corbeille de Swissvoice des filiales en Pologne et à Hong-Kong, ainsi qu’un réseau de distribution d’envergure internationale où se côtoient des noms comme AT&T et Target aux États-Unis, John Lewis au Royaume-Uni, PCCW en Chine, SFR, Superonline et, bien sûr, l’opérateur Swisscom.
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pécialiste de la virtualisation des postes de travail, l’Alsacien Systancia a absorbé la société rennaise IPdiva qui a fait ses preuves dans la sécurisation, le contrôle et la traçabilité d’accès en mode applicatif (VPN SSL). Les deux sociétés se présentent comme une alternative crédible face aux offres
d’outre-Atlantique. La primauté accordée à la sécurisation dans leur offre ne peut que retenir l’attention, en ces temps d’espionite aiguë. L’année dernière, Systancia a pu bénéficier d’un tour de table de 4 millions d’euros, avec le soutien de la Banque publique d’investissement.
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PERSPECTIVE
PRÉSIDENT DE L’AFDEL
JAMAL LABED
« IL FAUT UNE PLACE DE MARCHÉ EUROPÉENNE DÉDIÉE AUX VALEURS DE CROISSANCE » Propos recueillis par Emmanuel Lempert Ces derniers mois, la loi de finances 2014 a suscité de nombreux débats sur le cadre réglementaire et fiscal du capitalinvestissement en France. Ce cadre vous semble-t-il adapté à des entreprises comme celle que vous dirigez ?
Jamal Labed : Non. Depuis la crise, nous faisons face à une situation de carence de capitaux. Les fonds français ne sont pas en mesure de répondre aux besoins de financement de nos entreprises qui continuent d’ailleurs à se financer principalement par la dette. Hors cas de figure exceptionnel, leurs levées annuelles auprès des investisseurs internationaux sont légèrement supérieures à 1,5 milliard d’euros. La croissance de nos entreprises, dont le besoin annuel est d’environ 11 milliards d’euros, s’en trouve directement menacée. C’est pourquoi il me semble essentiel de mieux mobiliser l’épargne des Français, sauf à laisser notre économie se financer auprès de fonds anglosaxons naturellement moins soucieux de l’emploi hexagonal. Il s’agit selon moi d’un des enjeux majeurs de la prochaine phase des assises de l’entrepreneuriat. Il faut un cap clair et en finir avec la pratique des amendements surprise qui déstabilise le cadre réglementaire d’acteurs économiques essentiels à la croissance des entreprises françaises. Vous vous êtes, à plusieurs reprises, prononcé publiquement en faveur d’une revalorisation des dispositifs d’actionnariat salarié. Pourquoi ?
J. L. : Nos entreprises de croissance doivent recruter des talents rares et toujours plus mobiles à l’échelle internationale. En même temps, nos start-up ne peuvent pas rémunérer ces collaborateurs au même niveau que les grands groupes. Rappelons que dans les entreprises innovantes l’écart moyen des salaires est de 2,7, donc relativement faible. Il est ainsi vital de pouvoir les associer à la performance capitalistique de l’entreprise. Or, au fil des années, le mécanisme même des actions de performance (actions gratuites, stock-options) a été vidé de sa substance, sauf à quelques exceptions (les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, BSPCE). Dans certains cas, l’entreprise et son salarié peuvent payer jusqu’à 80 % d’impôts et de taxes sur les stocks-options, ce qui détourne les entreprises de ces dispositifs. Sous prétexte de quelques excès dans quelques grands groupes, on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Ces dispositifs concernent plusieurs centaines de milliers de salariés en France. Il est crucial de rompre avec la logique qui consiste à les
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affaiblir et de redonner aux entrepreneurs la possibilité d’associer pleinement les salariés aux performances de leur entreprise. L’Afdel a remis au gouvernement des propositions très précises en ce sens. Le président de la République, que j’ai rencontré en fin d’année, m’a indiqué que ce sujet serait réexaminé par le gouvernement en 2014, dans le cadre de la deuxième édition des assises de l’entrepreneuriat. Il est essentiel de restaurer les conditions de la compétitivité de nos entreprises. L’entrée de Criteo au Nasdaq est une excellente nouvelle en soi. Pourquoi défendez-vous la mise en place d’une place boursière européenne dédiée aux valeurs IT ?
J. L. : On ne peut que se féliciter du succès mondial de Criteo, entreprise française du numérique. Son entrée en Bourse couronne un succès largement mérité. Dans le même temps, il est à déplorer que nos pépites numériques doivent aller chercher aux États-Unis plutôt qu’en Europe les moyens financiers de leur développement. Cela implique des démarches très lourdes et complexes, réservées à très peu d’entreprises européennes. C’est pourquoi je me suis prononcé à titre personnel pour la création d’une place de marché européenne dédiée aux valeurs de croissance : numérique, biotech, green tech, etc. S’il existe bien des places de marché en Europe, celles-ci n’ont pas la taille critique, n’offrent pas l’attractivité nécessaire pour les entreprises (problème de liquidité et de valorisation) et les investisseurs. Le moment est propice. D’une part, parce que, pour ne citer que ces pays, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne sont confrontées à ce problème alors que les capitaux étrangers se réinvestissent massivement en Europe. En France, les dispositifs de fléchage de l’épargne vers les PME permettent de penser que de nouvelles sources de financement vont être de nouveau accessibles aux sociétés innovantes. Enfin, l’opérateur Euronext va retrouver son autonomie, après son rachat par le NYSE qui l’avait considérablement affaibli. Sans mésestimer les difficultés d’un tel projet (concurrence entre les places européennes, divergences politiques, etc.) qui avaient conduit à l’échec de l’Easdaq, il me semble qu’il est temps d’affirmer une nouvelle ambition pour l’Europe de l’innovation. Un « Nasdaq européen » permettrait de relancer toute la chaîne de financement des valeurs technologiques en Europe, tout en garantissant une plus grande souveraineté technologique au premier espace économique mondial.
LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
LOREM IPSUM
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BOURSE
LE BAROMÈTRE KPMG-AFDEL DES LEVÉES DE FONDS SOFTWARE Financement des éditeurs français : un marché de petites levées de fonds s’inscrivant davantage dans des opérations de capital-risque que de capital-développement. Par Éric Lefebvre et Stéphanie Ortega, associés KPMG
I
l existe en France une belle dynamique dans le domaine des technologies, et en particulier du software, menée par des entrepreneurs de qualité mais qui peinent à trouver des financements pour accélérer leur développement. Leurs fonds propres sont effectivement insuffisants pour leur permettre d’investir en moyens commerciaux et marketing significatifs, de renforcer leur département R & D et de s’ouvrir à l’international, cette dernière étape étant essentielle compte tenu de la taille limitée du marché français. Le financement en capital est l’un des piliers de l’accompagnement de cette croissance. Sur la période de référence de notre étude*, 326 millions d’euros ont été levés dans le software, à travers 111 opérations. On constate que 90 % des levées sont inférieures à 5 millions d’euros et que seulement 12 opérations portent sur des montants supérieurs à 5 millions d’euros. Les 20 premières levées représentent 50 % du montant total investi, traduisant ainsi une concentration importante. Le ticket moyen s’élève à 2,9 millions d’euros, mais si on exclut les 20 plus grosses opérations, il se monte à 1,7 million d’euros. Les levées de fonds significatives ont presque toujours pour objectif le développement à l’international par croissance externe ou par implantation directe. Ce sont Les investisseurs étrangers qui sont présents sur les tickets importants, avec un seuil d’intérêt qui semble se situer autour de 10 millions d’euros par opération. Les investisseurs qui s’intéressent à l’industrie du logiciel sont dans leur grande majorité des acteurs privés : ils représentent
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en effet 80 % des levées en volume et 71 % en valeur sur l’ensemble de l’échantillon. Quant aux investisseurs publics (regroupés sous Bpifrance), qui interviennent presque toujours aux côtés d’investisseurs privés, ils sont davantage présents sur les levées significatives mais montrent de l’intérêt pour ce secteur dans lequel ils souhaitent jouer un rôle actif. Notons par ailleurs que Le recours au marché boursier est toujours aussi rare pour les éditeurs de logiciels. Enfin, si les sociétés qui lèvent des fonds interviennent sur des marchés très variés (marketing, relations clients, ressources humaines, développement durable, etc.), on observe que les plus grosses levées sont réalisées par les leaders sur leur niche (Criteo 30 millions d’euros, Neolane 20 millions, BonitaSoft 18 millions, etc.). En conclusion, le marché hexagonal du software est dynamique mais il est toujours aussi difficile pour un éditeur d’effectuer une levée de fonds significative qui lui permettrait d’accélérer sa croissance, afin de devenir un champion français à l’international. Les récentes sorties réussies d’investisseurs, par exemple lors de l’acquisition de Neolane par Adobe, devraient inciter les fonds à investir davantage dans le software !
*La première édition du baromètre réalisée par KPMG en partenariat avec l’Afdel a recensé les levées de fonds supérieures ou égales à 500 000 euros, effectuées par les acteurs français « pure player » du software (éditeurs de logiciels on premise ou SaaS), du 1er janvier 2011 au 30 juin 2013 (période de référence).
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LES ÉCHOS DE LA VALLEY
CRITEO A CONQUIS L’AMÉRIQUE Le spécialiste français du reciblage publicitaire a fait des débuts remarqués sur le Nasdaq. Et confirmé l’appétit des investisseurs pour les sociétés high-tech spécialisées dans la publicité. par Jérôme Marin, correspondant à San-Francisco
D
ans la Silicon Valley, l’arrivée de Criteo sur le Nasdaq, le 29 octobre 2013, n’a pas fait les gros titres de l’actualité. Bien au contraire: célébrée en fanfare en France, elle n’a pas fait de vagues dans la baie de San Francisco. La société possède bien des bureaux à Palo Alto, cœur historique de la Silicon Valley. Elle comptait aussi plusieurs fonds américains parmi ses investisseurs. Mais « c’était juste une introduction en Bourse supplémentaire », commente un observateur. Il est vrai que la région a de quoi faire en matière d’IPO : plus de 80 opérations dans le secteur high-tech l’an passé aux États-Unis. La période de creux, provoquée par les débuts boursiers ratés de Facebook en mai 2012, n’est plus qu’un lointain–et mauvais–souvenir. Exceptionnelle pour une société high-tech française, la somme levée par Criteo (250 millions de dollars) se situait en outre dans la norme pour les entreprises high-tech américaines. Sans compter que le spécialiste français du reciblage publicitaire a fait ses premiers pas sur les marchés américains à peine une semaine avant Twitter, qui a monopolisé l’attention. L’introduction en Bourse de Criteo aura cependant eu un mérite, poursuit notre interlocuteur. « Elle a permis de confirmer l’appétit des investisseurs pour les sociétés high-tech spécialisées dans la publicité, après les excellents débuts boursiers de RocketFuel », une société basée à San Francisco dont l’action avait doublé, en septembre, lors de son entrée en Bourse.
Le début de l’année 2013 avait pourtant été marqué par deux IPO décevantes, qui avaient suscité le doute sur ce secteur. Criteo a contribué à renverser cette tendance. L’entreprise parisienne a ainsi ouvert la voie à de nouvelles introductions en Bourse. Et d’autres sociétés publicitaires vont franchir le pas au cours des prochains mois. Introduite au prix de 31 dollars, l’action Criteo a grimpé de 14% lors de son premier jour de cotation. Elle a depuis maintenu le cap, valorisant l’ancienne start-up à plus de 2 milliards de dollars. Cela représente 3,5 fois le chiffre d’affaires réalisé en 2013. Un niveau élevé, que l’on retrouve chez ses rivaux et qui peut faire craindre la formation d’une bulle. « Le marché devient de plus en plus compétitif, prévient Richard Fetyko, analyste chez ABR Investment Strategy. C’est ma plus grande inquiétude concernant Criteo. » Criteo est la première entreprise française cotée sur le Nasdaq depuis 1994. En choisissant la Bourse électronique, où figurent également Apple, Google Microsoft ou encore Facebook, la société a aussi gagné en visibilité et en crédibilité dans la Silicon Valley, mais aussi à l’échelle mondiale. De nombreuses entreprises étrangères optent pour la même stratégie. Cela leur permet d’accélérer leur développement à l’international Grâce à la réussite de son IPO, « Criteo pourrait même devenir une cible pour un géant américain de la publicité », assure Evan Wilson, analyste chez Pacific Crest. En 2012, Amazon aurait déjà tenté une première approche.
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TABLEAU DE BORD
///// L’essentiel de l’économie du numérique en chiffres Chaque trimestre, « Les Cahiers » sélectionnent les indicateurs qui font l’économie du secteur. / 2013 sous le signe de la reprise
/ Première hausse du capital-risque en deux ans
L’enquête de conjoncture Cockpit sur le premier semestre 2013 confirme une croissance de 0,7 % pour l’année 2013. Les éditeurs de logiciels et de solutions Internet interrogés s’accordent sur une stabilité relative de la croissance. C’est une bonne nouvelle par rapport à l’année précédente, qui s’était achevée sur une baisse de 0,1 % de l’activité. Les moteurs sont toujours l’informatique en nuage, la mobilité et l’Information Management avec, en prime, le Big Data.
L’indicateur Chausson Finance portant sur les investissements en capital-risque du premier semestre 2013 est au beau fixe. Pour la première fois après deux ans de baisse, les investissements progressent de 20 %, à 421 millions d’euros. Mais moins d’un quart des opérations concerne de nouvelles entreprises. Internet et e-commerce reste le premier secteur d’investissement. Celui-ci a reçu 86 millions d’euros, soit 25 % des montants investis
/ Les micros se vendent moins car ils s’utilisent plus longtemps Pour IDC, la baisse mondiale des livraisons de micro-ordinateurs ne sera pas, cette année, de 9,7 % mais de 10,1 %. Cette chute record à deux chiffres devrait ramener le marché au niveau de 2008, soit à 300 millions d’unités. Avec une baisse de 5 % les marchés professionnels résistent mieux que les marchés grand public (– 15 %). Pour IDC, cette morosité est due davantage à une augmentation de la durée de vie des matériels qu’à l’abandon d’un équipement qui monopolise toujours le plus grand nombre d’heures, dans la journée d’un utilisateur.
LES INDICATEURS CLÉS DU NUMÉRIQUE
/ La baisse des prix des smartphones tire leur croissance Ce qui maintient la croissance du marché mondial des smartphones à près de 40 % en 2013, c’est une baisse du prix moyen de plus de 12 %, à 337 dollars, constate IDC, qui prévoit que les livraisons devraient dépasser le milliard d’unités cette année. Cette diminution du prix moyen continuera les années suivantes. En 2017, celui-ci devrait s’établir à 265 dollars. Pour les cinq ans à venir, les ventes en Europe et en Amérique du Nord progresseront moins vite que dans le reste du monde. À elle seule, l’Asie représente 60 % du marché.
/ Conseil et services informatiques moins moroses en 2014 Le Syntec numérique anticipe une légère chute de l’activité de ses membres pour 2013 (– 0,3 %), mais une reprise en 2014 (+ 1 %). La croissance de l’édition de logiciels (+ 1,4 %, 21 % du chiffre d’affaires) ne compense pas la morosité de l’activité de conseil et services informatiques (– 0,3 %), qui pèse à lui seul plus de 60 % du chiffre d’affaires des membres de ce syndicat professionnel. L’activité de conseil en technologie (18 % du chiffre d’affaires) est aussi en baisse (– 2 %). L’an prochain, l’activité de conseil et services informatiques prévoit une hausse de 1,4 % de ses prestations.
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LES CAHIERS DU NUMÉRIQUE /// NUMÉRO 5 /// MAI 2014
TYPE
(année 2013)
DONNÉES
VARIATION
SOURCE
Nombre de tablettes vendues dans le monde
285 millions
Canalys
Ventes mondiales de serveurs
13,6 milliards de dollars
Gartner Group
Nombre de foyers français abonnés à des offres quadruple play
4,7 millions
GFK
Achats en ligne des Américains, le « Black Friday »
1,2 milliard de dollars
Comscore
Nombres d’appareils photo numériques vendus en France
4 millions
GFK
Nombre d’abonnés très haut débit en France
1,8 million
Arcep
Chiffre d’affaires de l’e-commerce en France
12,3 milliards d’euros
Fevad
Nombre de « mobinautes » français (octobre 2013)
17 millions
Médiamétrie
Nombre de smartphones vendus en France (2013)
16 millions
GFK
(prévisions 2014)
(4e trimestre 2013)
(3 trimestre 2013) e
(vendredi 29 novembre)
(2013)
(fin septembre 2013)
(3e trimestre 2013)
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SI NOUS ne voulons pas le jeter, pouvons-nous le manger ? Les emballages nutritifs – un rêve que nos logiciels pourraient réaliser. Partout dans le monde, les esprits les plus innovants utilisent la plateforme logicielle 3DEXPERIENCE de Dassault Systèmes pour mesurer l’impact de leurs idées. La compréhension apportée par le monde virtuel en trois dimensions permet aux fabricants de réfléchir à de nouvelles façons d’emballer leurs produits pour en améliorer les performances commerciales et environnementales. Et qui sait, peut-être demain apprécierons-nous autant la saveur d’un produit que celle de son emballage ?
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