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Le chemin vers la liberté

Le récit national, des premières implantations sur le golfe de Tadjourah, vers le XVIe siècle, en passant par la colonisation française, jusqu’au référendum du 8 mai 1977.

Le territoire de Djibouti a toujours été un carrefour d’échanges commerciaux. Il est le point de passage obligé entre l’Asie et l’Afrique, au croisement des principales routes maritimes mondiales. Situé au sud du bloc Danakil, un massif montagneux qui délimite la partie ouest du détroit de Bab el-Mandeb, il est aussi une escale incontournable pour le ravitaillement des navires. Sur leur chemin vers l’encens et la myrrhe, les marins de l’Égypte pharaonique y transitaient. Ces caractéristiques expliquent pourquoi cette région a toujours été considérée comme stratégique par les puissances régionales et internationales. L’histoire qui précède le XIXe siècle reste peu connue.

L’apparition de la ville de Tadjourah aux alentours du XVIe siècle semble constituer le début d’une activité permanente dans la région. Située sur le golfe de Tadjourah au nord de la Corne de l’Afrique, elle est entourée de territoires arides et désertiques sillonnés par des pasteurs transhumants qui vivent au rythme des pâturages. Parmi ces groupes de nomades, deux grandes communautés y cohabitent pacifiquement : les Issas, une tribu somalie répartie sur une large zone chevauchant Djibouti, l’Éthiopie et le Somaliland ; et les Afars, se répartissant en sultanats sur le même espace. Ces deux communautés partagent une histoire commune ainsi qu’une même religion, l’islam sunnite.

Sous le contrôle de l’Abyssinie pendant la Renaissance, l’attractivité de Tadjourah et de son port est décuplée sous l’effet du commerce de caféine et de la traite négrière.

Les dominations successives des troupes égyptiennes à la fin du XIXe siècle et des puissances européennes colonisatrices, notamment la France, vont renforcer le caractère stratégique de ce territoire, tout en dégradant progressivement la cohabitation pacifique entre Issas et Afars.

Vue aérienne du quartier européen de la capitale, prise le 26 décembre 1938.

Du premier traité entre le ministre de Napoléon III Édouard Thouvenel et le sultanat afar de Tadjourah en 1862, jusqu’au traité additif avec la chefferie de la communauté issa en 1917, plusieurs accords déterminants pour le tracé des futures frontières sont signés avec la France. Dans le territoire colonial qui devient la Côte française des Somalis (CFS) en 1896, celle-ci construit un port en eaux profondes sur la rive sud du golfe de Tadjourah, dans le village de Djibouti. Pour l’administration française, il sert notamment de port d’escale vers l’Indochine et Madagascar. Il permet aussi de rattraper le retard pris sur les autres puissances coloniales de la région – les Britanniques contrôlent les ports de Zeila (actuel Somaliland) et Aden (Yémen), les Italiens le port d’Assab (Érythrée). En 1917, l’inauguration du chemin de fer le reliant à Addis-Abeba fait du port de Djibouti l’un des débouchés majeurs de l’Éthiopie. Le port et le chemin de fer sont les actes fondateurs de la future République de Djibouti.

La longue marche vers la souveraineté

Sous le joug de la France, les nomades se sédentarisent progressivement et s’installent dans les bidonvilles entourant Djibouti-ville, dont le centre est occupé par les colons et les militaires français. Le développement de l’activité portuaire favorise la puissance coloniale à tel point que le port deviendra, dans les années 1960, le troisième de France (derrière Le Havre et Marseille). Cependant, il n’a aucun impact sur les populations locales qui vivent en grande partie dans la pauvreté. L’écaillement des relations entre Issas et Afars atteint son paroxysme pendant la présence française. En favorisant tour à tour une communauté au détriment de l’autre, l’administration coloniale crée une fracture entre elles. Les Français nourrissent le conflit ethnique pour l’utiliser comme arme de domination. En 1949, des affrontements entre quartiers populaires provoquent des centaines de morts. Certaines franges de la population

Des pêcheurs dans le port de Djibouti, en mai 1977.

En favorisant

tour à tour une communauté au détriment d’une autre, l’administration coloniale crée des fractures profondes et durables.

Le référendum de mars 1967 donne lieu à des manifestations violemment réprimées par l’armée française.

La population célèbre l’annonce de l’indépendance en mai 1977.

prennent alors conscience du jeu malsain de l’administration coloniale.

L’élite locale se regroupe alors au sein d’une organisation bicommunautaire qui annonce les prémices de la future élite politique unitaire de Djibouti. Deux hommes incarnent cette tendance : Hassan Gouled Aptidon, homme politique issa, et Ahmed Dini Ahmed, leader de la communauté afar. Au milieu des années 1950, les figures politiques locales occupent tous les postes de représentants du territoire dans les institutions de la IVe République. Ainsi apparaissent les premières velléités indépendantistes. Mahmoud Harbi – premier député autochtone

Ce pays

qui vient de naître, produit d’une longue histoire et d’une diversité ethnique, paraît bien fragile. Une nation est à construire.

provenant d’une tribu issa à l’Assemblée nationale française – est aussi le premier à exprimer le vœu de voir Djibouti indépendant, tout en prônant un discours pan-somali. Celui-ci se caractérise par la volonté de rejoindre le projet de Great Somalia préconisé par les Britanniques. Cependant, les Afars et la majorité des Issas redoutent le rapprochement avec Mogadiscio. Dès lors, le résultat du premier référendum sur le maintien de l’administration coloniale en 1958 est clair : le « Oui » l’emporte largement avec 75 %.

Les désirs d’indépendance grandissants des Issas, notamment à travers Mahmoud Harbi, poussent l’administration coloniale à prendre des décisions qui opposent les deux communautés historiques. Elle réprime l’élite politique issa, expulse des milliers de familles somalies et licencie les travailleurs du port issus de cette communauté pour les remplacer par des Afars. Les deux groupes sombrent dans une haine mutuelle, mais n’oublient pas leur intérêt commun : la souveraineté. Cet intérêt est renforcé par les événements du 25 août 1966, quand la police coloniale réprime sauvagement la foule venue manifester son mécontentement lors de la visite du général de Gaulle, faisant officiellement 6 morts et 70 blessés. Le nouveau référendum de mars 1967 voit les élites des deux communautés faire campagne pour l’indépendance. Mais par crainte du rattachement à l’empire éthiopien ou du chaos, les électeurs choisissent le maintien de l’administration coloniale. Une majorité approuve néanmoins le changement de dénomination de la colonie qui devient le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI).

Un projet commun

Deux groupes aux visions différentes s’opposent chez les Issas : les premiers veulent en finir avec la France et prônent la lutte armée. Ils créent le Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS). Les seconds craignent d’être annexés par Mogadiscio et militent pour une indépendance par la voie pacifique. Il s’agit notamment de l’élite politique issa et de leur leader, Hassan Gouled. Ce dernier tente d’apaiser les tensions interethniques et de rassembler les deux communautés autour d’un projet commun devant mener à l’indépendance du pays. Le binôme qui l’associe avec le leader afar Ahmed Dini devient le moteur de cette ambition. En février 1972, ils scellent un pacte et fusionnent leurs deux partis pour créer la Ligue populaire africaine (LPA). Trois ans plus tard, de nouveaux partis politiques rejoignent la formation, qui est baptisée Ligue populaire africaine pour l’indépendance (LPAI).

Vive la République !

L’élan indépendantiste s’empare enfin des populations et dépasse les clivages ethniques. Les deux leaders de la LPAI sont rejoints par un jeune partisan qui s’impose dans la haute hiérarchie du parti : Ismaïl Omar Guelleh (IOG). Ce proche d’Hassan Gouled est l’une des figures de la lutte pour l’émancipation du pays. Chargé des affaires sécuritaires et de renseignement du parti, il est le directeur du journal Djibouti aujourd’hui, organe central de la LPAI. Un nouveau référendum est organisé le 8 mai 1977. Issas et Afars votent à l’unisson, le score est sans appel : les partisans de l’indépendance obtiennent plus de 99 % des suffrages exprimés. Le 27 juin 1977, la jeune République de Djibouti est née. Hassan Gouled est élu président, Ahmed Dini nommé Premier ministre, et le palais du gouverneur devient palais présidentiel. Bien qu’uni dans son combat pour la souveraineté, le peuple djiboutien se divise aussitôt sur fond d’oppositions tribales.

Produit d’une longue histoire et d’une diversité ethnique, Djibouti paraît bien fragile au lendemain de l’indépendance. Alors que l’exigence de développement est urgente pour ce nouveau pays très pauvre, les tensions régionales et la situation au sein de la jeune République n’aident pas à consolider l’État. Une nation est à construire. ■

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