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psy cho tro pes

Cet ouvrage ne veut, ni ne doit inciter l’usage de substances psychotropes. Cette exposition expose uniquement un travail ethnologique et botanique sur un groupe de végétaux jouant un rôle important dans la vie culturelle et religieuse de nombreuses sociétés mélanésiennes.

Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que bon nombre des plantes décrites et représentées sont soumises à la loi sur les narcotiques, et que leur usage peut entrainer des conséquences physique et mentale graves ainsi que des poursuites judiciaires.

Remerciments

En guise de reconnaissance, je tiens à témoigner mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont contribués de près ou de loin à la création de ce projet.

Mes sincères gratitudes à M. Meyer et Mme Bertin pour leur confiance, leur patience et leur précieux conseils tout au long de la construction de ce projet.

Un grand Merci à Pascal Lacombe pour ses expériences, ses connaissances et son temps, qui ont richement alimenté ma réflexion.

Je dédie une pensée à toutes les personnes avec qui j’ai pu échanger sur le sujet de ce projet et qui m’ont encouragé. J’adresse des remerciements sincères à l’IEASA Paris et à Mme Docquiert, professeur qui à suivit mon parcours scolaire depuis 2 ans ainsi que l’élaboration de ce projet depuis se genèse.

Mes sincères remerciements aux artistes Anaïs Penot Raquin, Antonin Renard et Kélit Raynaud, pour leur formidable travail, professionnalisme et motivation.

Un grand merci à Alix Anglade- -Simon et Thomas Charpentier pour leur aide précieuse, ainsi qu’à Jérôme et Éléonore Jacquemin pour leur travail exceptionnel.

Sommaire

• Remerciements

Chapitre 1. Les Psychotropes

• Introduction

• Le rôle du psychotrope dans le chamanisme et la magie (Pascal Lacombe)

• L’extase

• Les psychotropes : clés du voyage chamanique

• Un rêve collectif en Nouvelle - Guinée

Chapitre 2. Regard Botanique

• Introduction : Regard botanique sur la prise de substances psychotropes

• Les psychotropes communs dans les cultures mélanésiennes

• Les psychotropes communs dans les cultures de Nouvelle-Guinée

• Les effets hallucinogènes de certaines substances psychoactives

• Le sacré et le psychotrope

• Drogue, poison et toxicomanie

• Apprentissage de la consommation

• Des plantes hallucinogènes à l’origine de phénomène religieux

• Syndrome dionysiaque

Chapitre 3. Objets rituels du Pacifiques

Chapitre 4. Artiste et interprétation contemporaine

Intruction sur la prise de psychotrope

Depuis toujours, les hommes font usage de substances psychoactives selon des modalités multiples et à des fins diverses, qu’elles soient rituelles, initiatiques, thérapeutiques ou festives. Cette pratique, culturellement formée, est constitutive de l’expérience humaine subjective dans la mesure où l’usage modifie les perceptions et schémas d’interprétation du monde, et corrélativement, la relation à soi, au social et plus largement au monde. Au-delà de l’historicité et de la diversité des usages, la spécificité de l’expérience réside dans une modification de l’état de conscience : répétition d’un acte ancien sans cesse renouvelé́ et transformé, saisi ici comme un révélateur d’un type de communication se déroulant entre l’individu et le collectif : entre la subjectivité en tant qu’espace d’intimité, et l’objectivité́ d’une réalité́ sociale donnée.

Bien que les premiers vestiges témoignant de la présence des psychotropes dans la vie des sociétés remontent au néolithique, voire au paléolithique, on dispose de peu d’éléments exacts quant à leurs fonctions et leurs contextes d’usage avant l’histoire moderne. Nous savons néanmoins, grâce aux découvertes dans les sépultures et les traces iconographiques laissées par les sociétés, que ces usages s’inscrivaient dans le cadre de pratiques hors de la vie ordinaire des différents membres des populations. Sans qualifier a priori ces pratiques de « sacrées », une notion biaisée qui présuppose sa distinction claire par rapport aux « pratiques profanes », il est toutefois possible de dire que celles-ci étaient teintées d’un symbolisme révélant tantôt leurs dimensions surnaturelles, tantôt l’univers mythologique auquel elles sont rattachées.

Les témoignages anciens sur les usages des psychotropes proviennent principalement d’individus étrangers aux communautés et aux groupes culturels dans lesquels ces pratiques avaient cours. Dans tous les cas, pour reprendre Sahlins1 , il s’agit de représentations que l’on peut qualifier de « néo-traditionnelles ». Bien que la connaissance des traditions ancestrales soit limitée, voire subjectivement biaisée, il demeure possible de dégager quelques généralités à propos des « usages traditionnels » des psychotropes. La première, et probablement la plus significative, est que ces usages s’inscrivent dans des cadres spécifiques. Ils se déroulent dans des espace-temps strictement définis ; sinon, ils sont réservés à des groupes d’individus identifiés par leurs liens privilégiés avec la ou les substances psychotropes. Les usages déviants ou hors contextes restent de l’ordre du possible, mais doivent être exceptionnels dans la mesure où les règles d’interdépendance qui régissent ces types de communauté laissent peu de place à toute dérogation mettant en péril l’unité du groupe et la pérennité de

Jean Delay explique que « les psychotropes sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle, qui ont un tropisme psychologique, c’est-à-dire qui est susceptible de modifier l’activité mentale sans préjuger du type de cette modification1 ». Autour de cette caractéristique pharmaco-chimique, des significations sociales historiquement et culturellement formées prédéterminent les interprétations conférées aux usages et dessinent les contours de leur intégration collective et individuelle. Suivant cette perspective, le potentiel thérapeutique ou de dangerosité des substances psychoactives (SPA) s’exprime indépendamment de leurs qualités pharmaco-chimiques.

Les SPA2 dites hallucinogènes ont toujours occupé une position sociale particulière et suscité de vifs débats dans le monde scientifique. De tous les psychotropes, elles possèdent la plus forte potentialité à modifier l’état de conscience. De plus, elles ont été historiquement et socialement caractérisés : de la diabolisation au développement de systèmes répressifs, et ce parallèlement à l’exploration de leur potentiel thérapeutique au cours de l’Antiquité, au Moyen-Âge, ou encore lors du phénomène de contre-culture des années 70.

Catégoriser une pratique ou un ensemble de pratiques comme étant « traditionnel » implique la reconnaissance d’un lien d’identité entre les individus et les groupes qui s’adonnent à ces pratiques. La tradition fonde une filiation identitaire entre ceux et celles qu’elle concerne et relie. Mais tous les individus d’un même groupe ne partagent pas les mêmes rapports avec la tradition, en particulier dans les sociétés pluralistes où cohabitent et se concurrencent plusieurs traditions et normes culturelles. Ces rapports varient intrinsèquement selon les statuts, les rôles et les représentations, de même qu’extrinsèquement en fonction des processus d’acculturation qui marquent distinctement les groupes, les individus et les pratiques.

Par sa capacité à modifier les rapports au temps et à l’espace, l’expérience traditionnelle des drogues est parfois interprétée comme un retour aux sources de la tradition. Ainsi, Marino Benzi prétend que, chez les Huichols du Mexique, l’usage rituel du peyotl « recrée l’Espace mythique et le Temps primordial, le Temps de l’origine de toutes choses3 ». « La drogue leur fait prendre conscience de l’origine divine de la tradition. » En retournant à la « Demeure Divine », l’officiant chamane peut ainsi dire qu’il a « vécu la tradition ». L’ expérience des psychotropes serait même, aux dires de certains, à l’origine de l’expérience religieuse et de la naissance des religions4 .

Contraints par leur cadre contextuel, les usages traditionnels des SPA s’expliquent par sa fonction. Ces fonctions, déterminées par les propriétés de la substance, peuvent être regroupées en quatre grandes catégories. Il est à noter que la classification est ici uniquement heuristique et ne se veut pas exhaustive, et qu’une même substance peut remplir plusieurs fonctions et ainsi tomber systématiquement dans l’une ou l’autre de ces catégories, selon son utilisation dans son environnement.

1. Jean Delay, La psycho-physiologie humaine, 1945.

2. SPA : substance psychoactive

3. Marino Benzi, Les derniers adorateurs du peyotl, In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 60, 1971. pp. 341-343.

4. Bareau André. R. G. Wasson. Soma, Divine Mushroom of Immortality. In: Revue de l’histoire des religions, tome 177, n°2, 1970. p. 236.

Dans les grandes lignes, les psychotropes sont utilisés traditionnellement pour leurs propriétés :

• Alimentaires ou roboratives (sucre, café, bétel, noix de kola, coca, khat, alcool, vin, tabac à chiquer, iboga, etc.).

• Médiumniques ou magico-religieuses (datura, volubilis, mandragore, peyotl, cactus San Pedro, champignons hallucinogènes, cannabis, ayahuasca, iboga, tabac, coca, etc.)

• Curatives ou médicinales (opium, tabac, pommades ou décoctions « alchimiques », peyotl, ayahuasca, etc.)

• D’agrégation ou d’adjuvant social (principalement l’alcool dans des contextes de licence festive : bacchanale, saturnales, carnaval, etc., mais également le cannabis dans certains rites /contextes de « communion » collective ou encore, de nos jours, certaines drogues de synthèse à dessein hédoniste).

Encore une fois, toutes ces catégories peuvent se combiner et permuter au sein d’un même système symbolique, alors qu’une même substance peut jouer un rôle distinct selon les contextes et les types d’usage. Les traditions d’usage sont elles-mêmes susceptibles de changer avec le temps et selon l’évolution des contextes globaux dans lesquels les usages s’inscrivent et prennent sens.

Si certains psychotropes sont utilisés pour leurs propriétés curatives, il importe toutefois de distinguer leur usage comme élément de la pharmacopée traditionnelle des usages « médiumniques » de type chamanistique. En effet, même si les rites chamaniques peuvent être réalisés à des fins « médicinales », les psychotropes ne sont généralement pas utilisés tel un remède qui guérit, mais plutôt pour accéder à la réalité surnaturelle qui explique les causes du mal et de la maladie ainsi que ses traitements possibles. Très souvent, lors de ces rituels, seul le chamane ayant accès à l’univers des esprits auxiliaires utilise le ou les psychotropes pour ses propriétés médiumniques. L’usage du psychotrope facilite alors la communication avec les sources invisibles du mal que l’on doit traiter. Il est même possible que la personne souffrante, ou par laquelle le mal se manifeste, ne soit pas présente lors de ces rites de guérison, puisque tout se déroule entre le chamane et les forces surnaturelles que lui seul saura décoder et apaiser. Les « hallucinogènes » sont dans ce contexte « des déclencheurs et des amplificateurs d’un discours latent que chaque culture tient en réserve, et dont les drogues permettent ou facilitent l’élaboration1 ». L’efficacité symbolique de la cure chamanique repose sur la capacité à fournir au malade un langage lui permettant de verbaliser à propos de son état, en vue de rétablir un parallélisme harmonieux entre les opérations du traitement et l’espace mythique des représentations.

Les psychotropes peuvent être utilisés par les chamanes comme « des déclencheurs et des amplificateurs d’un discours latent ». Ils peuvent également être intégrés pour leurs vertus curatives « magico-religieuses » aux décoctions ou pommades servant au traitement des malades.

• Le rôle du psychotrope dans le chamanisme et la magie

«Qu’elles soient nommées psychotropes, enthéogènes, ou hallucinogènes, les substances qui induisent des modifications du niveau de conscience attirent, fascinent ou terrorisent. Depuis des millénaires, elles constituent un des outils qu’utilise l’humanité pour se projeter hors des limites de son quotidien rationnel. Cet « outil », qui procure une « extase », est habituellement utilisé par ceux que l’on nomme communément des chamanes. Un des aspects distinctifs de l’extase chamanique est la phase visionnaire. Les implications et les informations procurées par une extase sont nombreuses et variées mais, qu’elles soient induites par l’absorption de produits psychoactifs ou par tout autre stimulateur, le chamane, lors de l’expansion de son champ de conscience, est confronté (entre autres) à des « visions ». Ces dernières, maîtrisées et interprétées par un chamane expérimenté, seront au service de sa communauté.

Le champ visionnaire est en outre une source de créativité extrêmement riche.

Le processus visionnaire apparaît et évolue généralement en plusieurs phases :

- phase de type phosphénique : flou et fugace

- phase de type géométrique : organisation et structuration des éléments dans l’espace

- phase de type kaléidoscopique : enrichissement, multiplication, mobilité, irradiation

- phase de type naturaliste ou fantastique : visions très réalistes de lieux, d’animaux, d’esprits, etc.

C’est cette dernière phase, la plus élaborée et la plus riche d’enseignements, que recherchent les chamanes.

L’ensemble de ces visions offre un répertoire immense de formes et, au-delà, peut donner une approche « visuelle » de concepts abstraits ou d’entités spirituelles avec lesquels les chamanes des sociétés animistes entrent en dialogue pour ré-harmoniser le monde, dialoguer avec les ancêtres, prévoir l’avenir, guérir, chasser, etc.

Dans la plupart des communautés animistes traditionnelles, peu de membres font l’expérience individuelle de la vision chamanique. Aussi, pour ceux dont la vision n’a lieu qu’à travers les récits du chamane, il est important que ces récits puissent être entendus grâce au partage d’un répertoire iconographique admis par tous. Il est donc fréquent que le chamane propose une interprétation graphique des aspects marquants et récurrents de ses visions.

La forme, l’aspect, la couleur, la valeur de tel ou tel esprit important de la nature ou du panthéon de la communauté, reproduits par le chamane, prennent donc une dimension culturelle partagée et s’inscrivent dans l’iconographie symbolique. Se crée alors un vocabulaire graphique, spécifique à chaque culture ou communauté, qui va participer à sa démarcation du groupe voisin et affirmer ainsi une identité propre. La multiplication de ces éléments graphiques et leur rappel sur les objets rituels et séculiers vont légitimer une cosmovision partagée par les membres de la communauté.

Les récits chamaniques s’enrichissent, se combinent, se complexifient et évoluent au fil du temps. Ils pourraient même, être l’une une des sources fondamentales des arts.

Les artisans détenteurs du savoir sacré des communautés s’emparent de leur vocabulaire graphique, l’adaptent aux objets nécessaires à leur groupe. Un « style » est né dont les variations et les chefs d’œuvres dépendront tant du talent que de l’implication rituelle de son créateur.

Il est probable que nombre de pétroglyphes anciens que l’on trouve sur les lieux rituels et sacrés soient les témoins d’alphabets visionnaires propres à chaque communauté.

Les similitudes, souvent proches, entre ces marques symboliques que l’on trouve en des lieux très éloignés, tant par l’espace que par le temps, pourraient avoir pour même origine l’interprétation graphique de visions chamaniques. L’évolution de ces symboles de base vers des motifs élaborés particuliers tient à la fabuleuse diversité imaginative de l’homme et de cet « accélérateur » créatif offert par les substances psychoactives».

Pascal Lacombe1

• L’extase

À la suite de Mircea Eliade, il est devenu commun d’associer le « voyage chamanique » à l’état d’extase dans lequel serait plongé le chamane au moment dudit voyage. Pour cet historien des religions, l’extase est le trait essentiel du chamanisme, la marque du sacré. Le chamane, dit-il, « est le spécialiste d’une transe, pendant laquelle son âme est censée quitter le corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernales1 ». Eliade reconnaît toutefois que le chamane ne détient pas le monopole de l’expérience extatique et que s’il est un « magicien », tous les magiciens ne sont pas des chamanes.

Cette remarque a son importance pour notre propos dans la mesure où la prise de psychotropes est l’un des moyens permettant d’accéder à la transe chamanique. Si le recours aux psychotropes est nécessaire à la réalisation du « voyage chamanique », le chamane se doit d’en maîtriser l’usage et les effets.

La focalisation sur les états de transe et d’extase est non seulement source de confusions, mais limite la compréhension du chamanisme en tant que « fait social total ». L’ethnologue Roberte Hamayon dénonce le biais interprétatif selon lequel le « voyage chamanique » correspondrait à un état de transe ou d’extase2 . Il en découle une « association automatique » entre « état altéré de conscience » et « chamanisme ».

En réduisant le chamanisme aux « techniques archaïques de l’extase », Eliade est lui-même conscient que l’on pourra confondre le chamanisme avec d’autres phénomènes tels que la « possession ». Si le chamane peut parfois être possédé par les esprits, il ne devient jamais pour autant leur instrument. Sauf exception, le chamane exerce toujours un certain contrôle sur son « voyage » ; ce qui n’est pas le cas, par exemple, des possédés dans les cultes de possession, qui deviennent littéralement l’instrument ou le réceptacle de l’esprit ou de la divinité qui les possèdent.

En effet, le chamanisme a longtemps été dévalué, voire combattu, comme sous le régime soviétique et sa propagande athéiste, où il était associé à la magie, à la sorcellerie ou à d’autres formes élémentaires de la vie religieuse. L’irrationalité apparente de certaines pratiques chamaniques, tout comme l’étrangeté du chamane en tant que personnage, était expliquée à la lumière des interprétations psychopathologiques. On doit principalement à Eliade, par son association des techniques archaïques de l’extase à l’expérience mystique des religieux, d’avoir sorti le chamane et le chamanisme du paradigme de l’anormalité dans lequel ils étaient jusqu’alors relégués.

• Les psychotropes : clés du voyage chamanique

Si le chamane et le chamanisme trouvent peu à peu, la voie de la normalité, on ne peut pas en dire autant de l’usage des psychotropes. L’usage de substances psychoactives est l’une des techniques (jeûne, immobilité, automutilation, danse, musique, etc.) à la disposition du chamane pour entrer en « transe » et réaliser le voyage chamanique, mais une « technique aberrante3 » selon Eliade. L’usage de narcotiques, dit-il, « dénote plutôt la décadence d’une technique d’extase ou son extension à des populations ou des groupes sociaux “ inférieurs4 ”

». Les narcotiques ne sont à ses yeux « qu’un substitut vulgaire de la transe “ pure ”.

1. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951.

2. Roberte Hamayon, La Chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien. In: Archives de sciences sociales des religions, n°74, 1991. pp. 253-255

3. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951, p. 383.

4. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951, p. 371.

La prise de substance hallucinogène serait un moyen plus facile, mais surtout plus rapide de réaliser le voyage chamanique. Aussi, note Michel Perrin, dans certaines sociétés, l’aptitude à se passer de la drogue serait-elle interprétée, lorsqu’on est un grand chamane, comme le signe d’une maîtrise supérieure. Dans certaines sociétés, « le chamane confirmé n’utilisera plus l’ayahuasca mais seulement le tabac1 ». Mais peu importe la technique utilisée, le voyage chamanique se déroule toujours selon un scénario déterminé propre à la culture d’origine des initiés.

Les cérémonies chamaniques impliquent souvent l’utilisation de substances psychoactives hallucinogènes, destinées à induire des états de conscience altérés et à faciliter les expériences spirituelles. Plusieurs raisons peuvent pousser un chamane ou un participant à utiliser ces substances :

• Accès au monde spirituel : de nombreuses cultures chamaniques croient que l’utilisation d’hallucinogènes leur permet d’accéder au monde spirituel et de communiquer avec les esprits, les ancêtres ou les êtres divins. Ces expériences peuvent les guider, les guérir et leur permettre de mieux comprendre la nature de l’existence.

• Guérison et transformation : les hallucinogènes sont souvent utilisés dans les cérémonies de guérison chamanique pour aider les individus à surmonter des problèmes physiques, émotionnels ou spirituels. Les états de conscience altérés induits par ces substances peuvent aider les individus à faire face à des traumatismes, des peurs et des blocages profondément ancrés et à s’en libérer.

• Compréhension écologique et cosmologique : les cultures chamaniques ont souvent une compréhension profonde de l’interconnexion de tous les éléments du monde naturel.

L’utilisation d’hallucinogènes peut permettre de faire l’expérience directe de cette interconnexion, ce qui renforce le sentiment de compréhension écologique et cosmologique. Il est important de noter que l’utilisation d’hallucinogènes dans les cérémonies chamaniques se fait souvent sous la direction d’un praticien expérimenté, et que les substances elles-mêmes sont souvent considérées comme sacrées et traitées avec un grand respect. En outre, l’utilisation de ces substances comporte certains risques et ne doit être entreprise qu’avec prudence et dans un cadre contrôlé.

• Un rêve collectif en Nouvelle - Guinée :

D’après Jacques Barrau1 , au centre de la Nouvelle-Guinée, la mastication de feuilles et d’écorces d’agara pour « provoquer des visions prémonitoires à la veille de chasse ou de guerre. Les hommes en ont ce privilège mais quelques femmes s’en seraient aussi servi pour diagnostiquer l’origine de maladies2 ». Ailleurs, note-t-il à propos d’une zingibéracée herbe considérée comme hallucinogène, les Wantoat3 du nord-est de la Nouvelle-Guinée se contentent « de placer la plante et son rhizome odorant “sous l’oreiller”, ce qui suffit, pour provoquer d’agréables rêves »

Pourtant, que le rêve, en Mélanésie et certainement ailleurs, ait été associé fréquemment aux cérémonies traditionnelles et aux arts qu’elles mettaient en œuvre, de nombreux exemples le suggèrent. Un ouvrage préfacé par Malinowski énumère, parmi les rites des Mailu de la côte sud-est de la Nouvelle-Guinée, « the nini uiwunua garu / that is the night for the sleeping ready for dreams4 » le soir même de l’érection du poteau cérémoniel Gora, préliminaire obligé de la grande fête Govi qui s’ouvrait le lendemain. De telles « nuits de rêve collectif » sont attestées ailleurs en Mélanésie. Selon Ross Bowden5 , on l’a vu, un même terme englobait chez les Kwoma la cérémonie et le fait de rêver. Chez leurs presque voisins les Iatmul, deux membres de l’expédition bâloise de 1972, Jürg Schmid et Christin Kocher, ont observé6 que le contact psychologiquement vital avec les wakin ou esprits des morts s’établissait sur le plan individuel par le truchement du rêve, et accessoirement par la rencontre fortuite d’animaux de taille exceptionnelle, tandis que c’était de la cérémonie, et notamment des objets confectionnés à cette occasion, qu’il était attendu pour l’ensemble de ses participants. Le caractère nocturne, partiel ou total, de beaucoup de cérémonies mélanésiennes anciennes invite aussi à scruter leur dimension onirique, et maintes recherches récentes tendent, explicitement ou non, à les analyser en tant que « rêve collectif ».

1. Jacques Barrau. Observations et travaux récents sur les végétaux hallucinogènes de la Nouvelle-Guinée. In: Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 9, n°3-6, Mars-avril-mai-juin 1962. pp. 245-249.

2. Jacques Barrau. Usage curieux d’une Aracée de la Nouvelle-Guinée. In: Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 4, n°7-8, Juillet-août 1957. pp. 348-349.

3. Wantoat, du nom de la rivière Wantoat, est l’une des langues Finisterre de Papoua-Nouvelle-Guinée.

4. Malinowski, Bronislaw,“The Natives of Mailu: Preliminary Results of the Robert Mond Research Work in British New Guinea”, 1915.

5. Ross Bowden, Art and Creativity in a New Guinea Society: The Kwoma in Cross-Cultural Perspective.

6. Coiffier Christian. Schmid Jürg & Kocher-Schmid Christin, Söhne des Krokodils, Männerhausrituale und Initiation in Yensan, Zentral-Iatmul, East Sepik Province, Papua New Guinea. In: Journal de la Société des océanistes, 102, 1996-1. pp. 125-126.

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