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Rafael Moshe Kamhi. Un Comitadji juif
Rafael Moshe Kamhi
Un Comitadji juif
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Rafael Moshe Kamhi, ou Skander Beg d’après son nom de guerre, est né le 15 décembre 1870 à Monastir, l’actuelle Bitola en Macédoine du nord, au sein d’une famille judéo-espagnole 1. Son père Moshe Salomon Kamhi (1842-1891) était un commerçant aisé de la ville où environ 4000 juifs vivaient à la fin du XIXe siècle. Rafael Kamhi étudia à l’école française et parlait le judéoespagnol, le turc, le grec, le français et le bulgare.
À l’âge de vingt-trois ans, il décida d’ajouter un étage à la maison paternelle pour s’y établir.
Il embaucha pour cela un jeune militant nationaliste natif du village de Smilevo, Fidan Gruev qui lui présenta son frère, Dame Yovanov Gruev, alors à la tête de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (OMRI).
Rafael Kamhi intégra les rangs de l’OMRI en 1894 soit juste un an après sa fondation. Il aménagea sa maison pour qu’elle devienne un refuge et une cache pour les archives de l’organisation. Dans les années qui suivirent, la plupart des chefs des Comitadjis, Gotse Delchev, Gyorche
1. Les sources ayant servi à la rédaction de cet article sont consultables sur le site wikipedia: https:// en.wikipedia. org/wiki/Rafael_ Moshe_Kamhi [consulté le 19 juin 2021]
Rafael Moshe Kamhi à Tel Aviv en juillet 1970.
Source: Wikipedia.
Voivodes (commandants) de l'OMRI lors d'une réunion dans les Balkans d'Osogovo. Assis de gauche à droite: Panayot Baichev, Pitu Guli, Kosta Mazneykov, Hristo Chernopeev, Andrey Hristov, Todor Hristov. De gauche à droite: Nikola Zhekov, Konstantin Kondov, Sotir Atanasov, Timo Angelov, Nikola Dechev et le courrier Kolyo Sarafcheto. 24 mars 1903.
Source: Archives de l'État bulgare.
Petrov, Milan Matov, Pere Toshev, Boris Sarafov furent hébergés chez lui. Son activité clandestine ne passa pas inaperçue des autorités ottomanes et conduisit à une première arrestation. Il put cependant obtenir sa libération en corrompant des officiels ottomans.
En 1896, il est élu délégué de la ville de Bitola lors du congrès de l’OMRI à Salonique. C’est lors de cette assemblée que l’organisation décida d’ouvrir ses rangs à des non-bulgares. En 1901-1902, Rafael Kamhi est impliqué dans le kidnapping de Miss Ellen Stone, une missionnaire protestante américaine, enlevée avec sa consœur enceinte, Katerina Cilka dans l’espoir d’obtenir une importante rançon. La couverture exceptionnelle par les médias de l’époque en fait la première crise des otages moderne et un premier exemple du « syndrome de Stockholm ». Les deux captives sont finalement relâchées après le paiement par les Ottomans de 14000 livres-or.
Lors du soulèvement macédonien de 1903 planifié par l’OMRI, Rafael Kamhi est chargé des relations entre les autorités bulgares et le mouvement révolutionnaire. Son commerce sert de couverture à ses missions politiques. Il est en contact avec la plupart des hommes politiques bulgares y compris le prince Ferdinand I et le futur Tsar Boris III. Ses fréquentes visites en Bulgarie finissent par alerter les autorités ottomanes et il se trouve à nouveau détenu avec son frère Mentech Kamhi à la prison de Debar. Après l’écrasement de l’insurrection par les forces ottomanes et la répression qui s’en suivit, les deux frères organisèrent une collecte au sein de la communauté juive de Macédoine pour venir en aide aux victimes.
En 1905, il participa au congrès de l’OMRI qui vit la scission du mouvement en deux branches concurrentes : une aile gauche dont il se sentait proche favorable à une solution fédéraliste dans
les Balkans, et une aile droite inclinant de plus en plus vers le nationalisme bulgare.
À l’issue des guerres balkaniques, en 1913, il quitta Monastir tenue par les Serbes pour s’établir à Xanthi alors contrôlée par l’armée bulgare. À la fin de la Première Guerre mondiale, il rejoignit l’une des émanations de l’OMRI qui prônait l’autonomie de la Macédoine et son adhésion à une fédération balkanique. La Bulgarie étant du côté des puissances vaincues, elle avait beaucoup à perdre des traités de paix. Lors d’une rencontre en 1919 avec le premier ministre bulgare Teodor Teodorov, Rafael Kamhi accepta de se rendre à Salonique pour défendre les intérêts de la Bulgarie auprès des vainqueurs. Le général français Charpy l’autorisa à résider dans la ville. Tout en commerçant, il soutint les intérêts de la Bulgarie en Grèce durant l’entre-deux-guerres. Il fut également le gabbaï de la synagogue des Monastirlis.
Lorsque l’armée allemande occupa Salonique en avril 1941, Rafael Kamhi s’y trouva pris au piège. Ses activités au service de la Bulgarie, alliée du Reich, ne lui permirent pas d’échapper à l’arrestation lorsque les Allemands entreprirent de déporter la communauté juive au printemps 1943. Sa libération n’intervint qu’après la mobilisation de plusieurs organisations bulgares et surtout le soutien du Premier ministre Bogdan Filov et du Tsar Boris III. S’il put rejoindre Sofia, son frère Mentech qui résidait à Monastir fut déporté et assassiné à Treblinka comme la quasitotalité de sa communauté. De sa famille macédonienne, Rafael Kamhi ne retrouva après guerre qu’une nièce Rosa 2 , fille de Mentech Kamhi, un frère Solomon Kamhi et son fils Joseph. Rosa épousa après-guerre le général yougoslave Beno Ruso qu’elle avait connu avant-guerre au sein de l’Hashomer Hatzaïr de Bitola et dont elle partageait l’engagement communiste. Solomon et Joseph s’établirent en Israël.
Rafael Kamhi résida à Sofia jusqu’en 1949, date de son aliya. Après la guerre, à la demande de l’Institut scientifique macédonien et de l’Institut juif de Sofia, il commença la rédaction de ses mémoires. Il est décédé à Tel-Aviv en 1970 après avoir fêté son centième anniversaire.
Rafael Kamhi a intégré le récit national tant en Bulgarie qu’en Macédoine avec toutefois de notables différences d’interprétation. Pour les Macédoniens, il a su très tôt reconnaître et défendre l’identité particulière de leur pays. Pour les Bulgares, il est un héros de la lutte anti-ottomane ayant œuvré au projet de Grande Bulgarie.
Les archives de Rafael Kamhi font aujourd’hui partie de la section juive des Archives d’État bulgares. Elles sont rédigées tant en bulgare qu’en judéo-espagnol. Ses mémoires ont été publiées une première fois en 2000 à Sofia sous le titre Le commandant Skender Bey puis à nouveau en 2013 sous le titre de Souvenirs d’un révolutionnaire juif macédonien.
En mars 2011, le président macédonien lors de la cérémonie du souvenir de la déportation des Juifs de Macédoine a mis en avant le rôle de Rafael Kamhi comme « l’un des promoteurs de l’idée d’une Macédoine libre et indépendante. » Une figure de cire représentant Rafael Moshe Kamhi figure parmi les 109 notables macédoniens exposés au musée de la lutte pour la Macédoine.
À l’initiative de la Bulgarie, un cap de l’Antarctique, le cap Kamhi, été nommé en son honneur.
FA
2. Le témoignage de Rosa Kamhi est accessible sur le site centropa: www.centropa. org/biography/ roza-kamhi [consulté le 18 juin 2021]