Fiche de lecture Jean-Marie DAVID
Sciences Com' Innovation Le mĂŠtier de responsable de la communication 28e promotion - 2009
Fiche de lecture Jean-Marie DAVID
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Edward BERNAYS Propaganda - Comment manipuler l'opinion en démocratie Coll. Zones, La Découverte, Paris 2007
Résumé
Propaganda a pour objet d'exposer les principes de manipulation de l'opinion publique par une élite invisible et de démontrer l'utilité de cette nouvelle propagande dans une société démocratique moderne. Bernays entame son propos sur un principe fondamental : "La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays". L'action de dominer et manipuler les foules est nécessaire pour organiser le chaos et guider la masse égarée. Cette prérogative est réservée à une élite qui possède la capacité à comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses, et donc à les diriger. Il définit une nouvelle propagande. Le chef ne peut plus régner sans partage et le peuple possède un certain pouvoir de décision. Il faut donc le convaincre. L'auteur donne une définition moderne : "un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l'objectif d'influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe". La société démocratique s'organise autour d'une multitude de groupes et d'associations. La parole des responsables de ces groupes, présidents, chefs, religieux, universitaires, etc. influence le grand public sur de multiples aspects de la vie quotidienne. Ce sont des faiseurs d'opinion. Pour convaincre le peuple, il faut convaincre ces faiseurs d'opinion. La nouvelle propagande nécessite donc un professionnel spécialisé, le conseiller en relations publiques. Il est compétent pour analyser la situation, établir un diagnostic et un plan d'action. Ce professionnel répond à un idéal et obéit à une éthique. La nouvelle propagande tire sa légitimité de la science. La propagande se classe dans les sciences humaines. Bernays se rapporte à la psychanalyse et aux études sur la psychologie des foules. Le propagandiste peut avec méthode déterminer les leviers d'actions pour agir sur les foules. Il lui faut connaître les désirs profonds du groupe qu'il vise et les faiseurs d'opinion qui ont un effet sur ce groupe. Son action doit comporter une part de désintéressement car il est obligé de prendre en compte les aspirations des parties prenantes. Après avoir posé les fondamentaux de la pratique, Bernays montre l'intérêt de son utilisation par les entreprises et le monde politique. Les entreprises sont maintenant obligées de prendre en compte l'opinion publique. Avec le passage de l'économie de la demande à l'économie de l'offre les entreprises tentent de s'immiscer dans les habitudes du grand public. De plus, l'expansion boursière les oblige à faire attention à leur image. Pour entretenir ses relations publiques, les entreprises doivent donc s'appuyer sur le conseiller en relations publiques. Il fera des recommandations concrètes grâce ses méthodes et à un plan de travail. Il a pour tâche de trouver les points communs entre les intérêts de son client et ceux du public. En ce sens, il remplit une mission sociale. Il a
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également pour tâche de veiller à l'image de l'entreprise et de l'entretenir. Il doit être prêt à intervenir en cas de crise. Pour Bernays, la voix du peuple n'est que l'expression des différentes influences qu'il subit. Les politiciens devraient donc user de propagande pour agir sur ces influences. Pour ça, ils doivent s'inspirer des méthodes utilisées par les entreprises. De la même façon, ils doivent connaître parfaitement le public auquel ils s'adressent. Ils doivent également soigner et entretenir leur propre image. La propagande pour être efficace et durable doit être sincère, elle doit expliquer et instruire. Il s'agit donc pour la minorité intelligente, de gouverner par l'éducation des masses et grâce à la propagande. Bernays décline et étend la propagande à destination de domaines plus larges. La propagande sert à l'élite invisible, car elle donne la possibilité à une minorité d'agir sur la majorité. Toute minorité peut donc utiliser la propagande à son profit. L'auteur prend l'exemple des femmes : "un espace immense s'ouvre aux femmes désireuses d'être les protagonistes de nouvelles idées et de nouvelles méthodes dans l'administration politique et sociale du foyer". Dans le domaine de l'éducation, le public n'a pas pleine conscience de l'importance de l'éducation dans une société démocratique. Les établissements d'enseignement ont donc besoin de propagande pour redonner sa valeur à l'éducation. De la même façon, tout projet social de progrès qui se heurte à l'inertie de la masse doit se faire épauler par une propagande. Ces projets ont pour objectif de modifier le comportement de la société. Ils sont donc fondamentalement des actions de propagande. Le progrès social, c'est de l'éducation. Comme en politique, une minorité contrôle les arts et pour hausser le niveau culturel et le bon goût, doit s'appuyer sur la propagande. Les entreprises doivent intervenir et contribuer dans les arts et les sciences. C'est le rôle de la propagande d'habituer le public au changement et au progrès. Enfin, pour faciliter la compréhension réciproque entre un individu et un groupe, le propagandiste sait choisir et utiliser en fonction de la situation, les instruments à sa disposition : Presse, radio, cinéma, conférence... Il doit se tenir au courant de l'évolution des technologies.
Synthèse
Organiser le chaos Le chaos apparaît dans le titre du premier chapitre. C'est également le dernier mot utilisé. Ce livre est un instrument de la Loi face au Chaos. Dans la société moderne, il est impossible d'avoir un avis sur tout, de rationaliser et de décider sur toutes les questions en même temps, et en permanence ; qu'elles soient quotidiennes ou philosophiques, urgentes ou insignifiantes, elles sont trop nombreuses. Face à ces difficultés, dans l'inaction, on assisterait au chaos généralisé, où toute vie sociale et économique serait désorganisée et paralysée. Pour éviter la confusion, l'éventail de questions et de choix possibles doit être réduit. Afin de permettre à ce modèle de société de fonctionner à peu près bien, il est logique, nécessaire et souhaitable de s'en remettre à des chefs, prescripteurs, conseillers, experts, mandataires ou simplement à des idées répandues. Ces guides prescrivent un code de conduite social et standardisé auquel on peut se conformer facilement.
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La société démocratique moderne (américaine) est complexe. Grâce aux nouvelles technologies, les idées circulent facilement et rapidement. De nouvelles modalités de regroupement sont apparues, au-delà des anciennes (géographiques). Il existe maintenant un nombre incalculable de groupes, associations, entreprises et communautés d'intérêts. C'est ainsi que ces ensembles contribuent à guider et former les comportements. En conséquence, la voix du peuple, en démocratie, n'exprime pas de sagesse populaire et immanente, elle n'est que l'expression de l'esprit populaire, forgée par ces faiseurs d'opinion. L'action de dominer et manipuler les foules est donc nécessaire pour organiser le chaos et guider la masse égarée. Cette prérogative est réservée à une élite qui possède la capacité à comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses, et donc à les diriger. De plus, la démocratie américaine a pour vocation de tracer la voie aux autres sociétés : elle doit donc être pilotée par la minorité intelligente capable de l'enrégimenter pour mieux la guider. Nouvelle pratique La propagande doit être réhabilitée. Avec l'avènement de la révolution industrielle et de la démocratie, le pouvoir a été transféré des rois vers le peuple. Toute action visant à influencer le public, le mener à penser et à agir dans une direction et pour un intérêt donné, doit donc obtenir son assentiment. C'est pourquoi la propagande est indispensable à tout projet de ce type, dans les domaines les plus divers, politique, social, commercial, agricole, éducatif, artistique, etc. Le travail de propagande s'applique aussi bien au groupe, à la foule, qu'à ses prescripteurs. La propagande est nécessaire et indispensable à toute entreprise en lien avec le public et à tout homme politique moderne. Elle est l'organe exécutif du gouvernement invisible. La propagande moderne est scientifique et sincère. Elle est scientifique car elle se base sur le savoir académique de la psychanalyse et de la psychologie (des foules). La masse, la foule, la population, sont des objets d'étude et de connaissance. La propagande utilise une méthode qui repose sur des pratiques rationnelles, empiriques et éprouvées. Elle est sincère, et pour ça, elle doit être débarrassée des aspects négatifs qu'on lui attache depuis la première guerre mondiale. La publicité déloyale et mensongère, les discours retors et outranciers, tout ce qui vise à tromper, fausser, dissimuler, doit être banni de la nouvelle pratique. Il faut donc remonter à son sens premier, propager une doctrine, une idée, des valeurs, en s'appuyant sur le Scientific American, et ensuite, lui donner sa définition moderne : "un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l'objectif d'influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe". Pour être mise en œuvre efficacement, la propagande requiert un professionnel, expert de la chose, habile à l'utilisation de ses outils. Il est soumis à une éthique et à un code de déontologie. Il a pour tâche de mettre en phase les parties, de permettre la compréhension réciproque entre la masse et un individu ou une idée, il se doit d'identifier et de rassembler les intérêts communs, les intérêts qui coïncident. Le conseiller en relations publiques n'est pas un bonimenteur, c'est un avocat, il est honorable et digne. La mise en phase, la compréhension réciproque peut amener le commanditaire à modifier son propre comportement. En ce sens, le propagandiste possède une influence décisive sur son commanditaire, il est donc à un poste stratégique. Outil d'éducation -4-
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La propagande est un outil. Son utilisation intelligente peut permettre à n'importe quelle minorité d'atteindre ses objectifs. Les femmes américaines, si elles ont obtenu l'égalité juridique avec les hommes, dont le droit de vote, n'ont pas les mêmes centres d'intérêt qu'eux. Elles peuvent se servir de la propagande pour faire avancer leurs propres projets politiques et sociaux (ceux qui ne sont pas l'apanage des hommes). Bien qu'elles aient moins d'expérience dans le pilotage des projets sociaux, elles la contrebalancent par l'utilisation de pratiques modernes de persuasion. Ainsi, elles ont une réelle action sur la société, dans de multiples domaines. Le savoir et l'éducation devraient tenir une place majeure dans l'esprit de toute société démocratique et ce n'est pas le cas ; le public n'a pas conscience de la valeur et de la force de cohésion sociale qu'apporte l'éducation. Les établissements académiques et leurs personnels n'ont pas la considération que la société devrait logiquement leur porter. Les enseignants devraient éduquer l'opinion comme ils éduquent les jeunes élèves. En conséquence, pour valoriser leurs actions et leurs statuts, les établissements d'enseignement doivent s'appuyer sur la propagande à deux niveaux : une propagande vers le grand public pour le faire adhérer aux valeurs de l'éducation, du savoir et de la démocratie et, en amont, une propagande vers les personnalités aptes à fournir la puissance financière nécessaire à ce projet. Un conseiller en relations publiques saura mettre en valeur l'établissement et lui attirer une sympathie et un prestige propres à assurer sa subsistance. De même que les masses ne peuvent se diriger elles-mêmes, elles ne peuvent modifier leur comportement de manière réfléchie et rationnelle. Les oeuvres sociales, les campagnes hygiénistes, les projets d'amélioration des conditions de vie se heurtent donc à l'inertie inhérente à toute masse sociale. Les promoteurs de ces actions font naturellement appel à la propagande pour informer, éduquer, et modifier les idées préconçues du public, dans son propre intérêt. Le progrès social est donc essentiellement un acte d'éducation de la société, qui passe par la propagande. Dans cette même logique, il revient à l'élite de guider la masse dans la perception des arts et de la beauté. En facilitant la diffusion des idées, en préparant l'opinion, la propagande est un instrument de changement et de progrès.
Position
L'approche psychanalytique de Bernays, influencé par Freud, Lebon et Lippmann, lui fait estimer que l'homme moyen n'a pas la connaissance des pulsions inconscientes à l'œuvre dans son esprit. La foule, d'autant plus, est trop sujette à ses pulsions irraisonnées et inconscientes, ne peut se gouverner elle-même. Etant dépourvue de raison et de libre arbitre, la masse populaire est susceptible de générer le chaos, dont l’issue est fatale à la société, à la civilisation. Ce n’est alors pas un désagrément mais bien un danger ultime qu’il faut contrer, en dépit du peuple lui-même. Pour Bernays, il est logique et naturel que les hommes soient dirigés par les plus aptes. Seul un petit groupe de personnes intelligentes, bien éduquées et désintéressées, peut et doit
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guider le peuple. Ce pilotage doit se faire de manière transparente afin que le peuple puisse garder l'illusion qu'il se gouverne par sa propre volonté. Bernays n'était assurément pas un anarchiste libertaire. Alors l’ouvrage mérite-t-il qu’on y apporte un intérêt autre que simplement historique ? Est-il moderne ? Quelle base fondamentale peut-on en retirer ? Comment dois-je le considérer en tant que communicant ? Je positionne l’ouvrage dans ma bibliothèque au rayon "à diffuser" pour me rappeler que chacun devrait lire ce genre d'ouvrage. En l’occurrence, ce rayon comporte entre autres Le Prince (Machiavel) et L’Art De La Guerre (Sun Tzu), la Fabrique Du Consentement (Chomsky) et le Petit Manuel De Manipulation A L’Usage Des Honnêtes Gens (Joule & Beauvois). Nicolas Machiavel et Sun Tzu ont un point commun essentiel avec Edward Bernays : Les considérations morales de bien et de mal sont posées très en amont de la réflexion. Et bien qu'il prétende le contraire, il ne s’agit pas de faire le bien ou de faire le mal. Il s’agit d’agir sur les bons leviers, les causes loin en amont, pour établir une situation qui rassemble les meilleures conditions en vue d'obtenir le résultat attendu, quel qu‘il soit. Je dirais que Bernays élève le niveau de la communication de son époque. Pour toute action de communication, il faut partir d'un postulat de départ sur l'objet de l'action (idée préconçue, association d'idée, diagnostic, état des lieux). La méthode consiste à modifier ce postulat, par des actions et des évènements à forte valeur symbolique, propres à frapper les esprits, pour amener la foule à changer son point de vue envers l'objet. La méthode ancienne, qui consiste à vanter le produit directement et de manière répétée auprès de la cible -la réclame qui martèle et harcèle- devient obsolète. Elle est déclarée inefficace et discréditée. En revanche, la méthode qu'il préconise met en jeu des mécanismes plus complexes et surtout, s'insère dans une logique plus vaste. On ne s'attache plus à modifier le comportement directement ("Achetez cette voiture puissante et pas chère") mais on s'attache à modeler la cause de ce comportement. La cause étant modifiée, le comportement attendu apparaît alors naturellement ; il est d'autant plus volontaire et efficace qu'il n'est pas contraint directement par la menace ou le harcèlement ("Vendez moi cette voiture qui reflète mon statut"). C'est pourquoi le métier peut se prévaloir de dignité et d'honorabilité : le propagandiste moderne n'est pas un bonimenteur, c'est un professionnel de l'information, sérieux et fiable. Il se fait la garantie vivante de son métier. En un de En
effet, comment comparer d'un côté, un vendeur à la criée qui vous houspille, et de l'autre conseiller respectable, qui s'appuie sur des arguments construits, des témoignages dignes foi, des avis d'experts et qui ne vous vend rien ? prétendant ne pas être un voleur, l'escroc se pare d'honorabilité.
Sun Tzu dit : "Dans la guerre le stratège gagnant cherche la bataille après que la victoire soit acquise, alors que celui qui est destiné à perdre combat immédiatement et espère ensuite une victoire." (4.15.) Ainsi l'acte de propager sa doctrine n'est que l'étape ultime et visible de l'action du propagandiste. Malgré son coté historique marqué (les femmes peuvent faire de la propagande pour mieux -6-
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faire la cuisine…), Propaganda est un ouvrage toujours moderne. Bernays oblige le propagandiste à poser un diagnostic, à établir un état des lieux, à connaître l'objet de son action, à relever les enjeux concomitants ou concurrents. Il établit une base fondamentale de la communication : la nécessité de maîtriser les tenants et les aboutissants, de connaître la situation et ses enjeux, avant d'agir dans le sens voulu. Comme dans l'introspection psychanalytique, il s'agit de poser le pourquoi, de remonter la cascade des causalités et de la redescendre en la modelant. Celui qui prétend mettre d'accord deux parties, se doit de les écouter et de les connaître toutes deux. Il a pour tâche de modifier les surfaces de contact en lissant aspérités les plus gênantes. Il réalise l'interface entre deux ensembles différents, dont les aspirations, les buts ne se rejoignent que partiellement dans une entreprise commune. Ce qui relève de l’acte de communiquer, c’est de mettre en accord les parties engagées dans une entreprise commune. Ainsi, les parties peuvent travailler de concert à leur projet commun. Dans cette optique, ma tâche de communicant n'est pas tant de rédiger des communiqués, messages ou lettres d'information mais bien de poser un diagnostic, une réflexion stratégique.
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