NUMERO 47 | PRINTEMPS 2013
Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch
Ecologie et lutte contre la pauvreté : Comment continuer après 2015 ? Investissements en Birmanie : Protéger les droits humains
Argent des potentats : Tirer les leçons du passé
News Politique fiscale : plus d’informations Le Conseil national demande au Conseil fédéral de rendre des comptes sur sa politique fiscale envers les pays en développement. Il a en ce sens adopté un postulat de sa Commission de l’économie lors de la session de printemps. Il désire connaître les conséquences financières de la baisse de l’impôt à la source exigée dans les accords de double imposition ainsi que les critères selon lesquels le Conseil fédéral décide de conclure avec un pays un accord de double imposition ou un accord plus simple d’échange d’informations fiscales (TIEA). Un document d’analyse récent d’Alliance Sud montre que la Suisse n’a jusqu’ici accordé une entraide administrative élargie qu’à 5 pour cent de tous les pays en développement, afin d’éviter de la soustraction fiscale. www.alliancesud.ch/publikationen mh
Shell Nigeria condamnée Quatre petits paysans du delta du Niger ont porté plainte devant un tribunal des Pays-Bas contre la multinationale pétrolière Royal Dutch Shell. Ils l’accusent d’avoir détruit leurs moyens de subsistance par des pollutions massives de leurs terres. Trois ont été déboutés, ce qui montre les difficultés judiciaires énormes auxquelles se heurtent les populations locales pour obtenir justice. me
Impressum GLOBAL+ paraît quatre fois par an. Editeur: Alliance Sud Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper Monbijoustr. 31, Postfach 6735, 3001 Berne, Tel. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31 E-Mail: globalplus@alliancesud.ch Internet: www.alliancesud.ch Rédaction: Michel Egger (me), Isolda Agazzi (ia), Tel. 021 612 00 95 Concept graphique: Clerici Partner AG Mise en page: Frédéric Russbach Impression: s+z: gutzumdruck, Brig, 6-2011 Tirage: 1500 Prix au numéro: Fr. 7.50 Abonnement annuel: Fr. 30.– Abonnement de soutien: min. Fr. 50.– Prix publicité / encartage: sur demande Photos: couverture: Keystone ; dernière page : Patrick Chapatte. Prochain numéro: juin 2013.
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Dans un cas cependant – sans reconnaître la responsabilité de la maison-mère – la cour hollandaise a condamné Shell Nigeria au paiement de dommages-intérêts pour avoir manqué à son devoir de diligence en n’empêchant pas les nombreuses fuites de ses pipelines. Le cas est remarquable, car c’est la première fois qu’une multinationale a dû répondre devant un tribunal hollandais des conséquences des opérations d’une filiale à l’étranger. UE : privatisation de l’eau en question Une récolte de signatures a lieu en Europe pour l’initiative citoyenne européenne « L’eau et l’assainissement sont un droit humain ». Ils entendent empêcher la mise en œuvre d’une directive de l’Union européenne (UE) visant une libéralisation du marché de l’eau. Concrètement, l’approvisionnement en eau potable ferait l’objet d’offres publiques, ouvertes aux souscripteurs privés. En lieu et place, les initiants exigent une loi qui garantisse l’approvisionnement en eau comme service public accessible à tous. Introduite en 2012, l’initiative citoyenne européenne peut obliger la Commission européenne à se saisir à nouveau d’une question, si elle a été signée par au moins un million de personnes de sept Etats membres de l’UE. Une votation popunw
laire n’est pas prévue. L’initiative sur l’eau a récolté jusqu’ici plus de 1,2 million de signatures et devrait être déposée en automne. www.right2water.eu SFI : manque de diligence Oxfam et le Bretton Woods Project (BWP) demandent une refonte de la pratique de crédits de la Société financière internationale (SFI) – filiale de la Banque mondiale – aux acteurs de la finance. Un rapport de conseillers indépendants de la Banque mondiale a montré que la SFI ne réalise pas d’évaluation en matière de durabilité écologique et sociale. Elle connaît donc « très peu » les effets de ses crédits sur les communautés locales et l’environnement. Cela, alors même que ses prêts aux acteurs des marchés financiers n’ont cessé d’augmenter pour s’élever à près de 20 milliards de dollars ou 40 pour cent de son portefeuille. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) considère la SFI comme un partenaire complémentaire dans la coopération économique au développement. Sa contribution aux services de conseil de la SFI a quadruplé ces trois dernières années pour passer de 15 à 57 millions de dollars. Des entreprises comme UBS, Nestlé, Swiss Krono ou Blue Orchard Finance ont également investi des centaines de millions dans les portefeuilles de la SFI. ns
Alliance Sud en un clin d’oeil Présidente Caroline Morel, directrice de Swissaid. Direction Peter Niggli (directeur), Kathrin Spichiger, Rosa Amelia Fierro, case postale 6735, 3001 Berne, Tél. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31, E-mail: mail@alliancesud.ch www.facebook.com/alliancesud https://twitter.com/AllianceSud Politique de développement
– Relations publiques Pepo Hofstetter, Tél. 031 390 93 34, pepo.hofstetter@alliancesud.ch – Développement durable / Climat Nicole Werner, Tél. 031 390 93 32, nicole.werner@alliancesud.ch Documentation Berne Jris Bertschi/Emanuela Tognola/ Renate Zimmermann, Tél. 031 390 93 37, dokumentation@alliancesud.ch
– Coopération au développement Nina Schneider, Tél. 031 390 93 40, nina.schneider@alliancesud.ch
Bureau de Lausanne Michel Egger/Isolda Agazzi/Frédéric Russbach, Tél. 021 612 00 95/Fax 021 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch
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Documentation Lausanne Pierre Flatt / Amélie Vallotton Preisig / Nicolas Bugnon, Tél. 021 612 00 86, doc@alliancesud.ch
Commerce / OMC Michel Egger/Isolda Agazzi, Tél. 021 612 00 95, lausanne@alliancesud.ch
– Finance internationale /Fiscalité Mark Herkenrath, Tél. 031 390 93 35, mark.herkenrath@alliancesud.ch
Bureau de Lugano Silvia Carton/Lavinia Sommaruga Tél. 091 967 33 66/Fax 091 966 02 46, lugano@alliancesud.ch
Daniel Rihs
Le business des plaintes
Points forts 4
Investissements en Birmanie Ruée vers l’or anarchique
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Agenda post-2015 Pas de DD sans égalité des sexes
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Agenda post-2015 Interview de Jens Martens
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Accord sur les services (OMC) Pression des pays riches
Si vous êtes à la tête d’une multinationale qui a investi en Libye, vos installations ont probablement été endommagées ou détruites par la guerre civile. Si vous possédiez des titres de l’Etat grec et que vous ne vous en êtes pas débarrassé à temps, avant que les créanciers et Athènes ne s’accordent sur une remise de dettes, vous avez perdu une partie de votre fortune. Que faire ? Un petit cercle de bureaux d’avocats européens et nord-américains vous aideront volontiers. Leurs tarifs : 300 à 1000 dollars de l’heure, plus une participation aux gains. Leur spécialité : le droit de plainte unilatéral des investisseurs privés contre les Etats, inclus dans quelque 3000 accords de protection des investissements dans le monde. Ces avocats vous conseilleraient de porter plainte contre l’Etat libyen ou grec. Dans le cas de la Libye, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton (USA) estime que l’Etat devrait payer des dommages-intérêts non seulement pour « les destructions commises par des forces armées libyennes ou d’autres organes de l’Etat », mais aussi pour les dégâts causés par des « forces non étatiques » contre lesquels l’Etat aurait dû garantir une « protection complète et durable ». Si des clients s’annoncent, les avocats trouveront les formulations adéquates pour rendre responsable le nouveau gouvernement libyen. Celui-ci n’a encore reçu aucune demande de dédommagement, mais le bureau Clyde & Co (GB) a déjà pris les devants en ouvrant une antenne en Libye. Dans le cas de la Grèce, le bureau allemand Gröpper Köpke est en train de préparer une action en dommages-intérêts pour 500 investisseurs et visant à contourner la remise de dette. Selon lui, il est faux de croire que la Grèce n’aurait plus d’argent : « L’Etat dispose d’une fortune considérable en dehors de son territoire national. Il suffit de penser aux ambassades. Elles constituent des biens immobiliers de grande valeur. » Ces avocats hommes d’affaires n’attendent pas passivement des mandats. Ainsi que le montre une étude récente, ils encouragent activement les entreprises à tenter leur chance face à tel ou tel Etat. Au sein des tribunaux d’arbitrage, ils n’agissent pas seulement en tant que parties, mais aussi comme arbitres « neutres ». Depuis peu, il existe même des sociétés financières qui offrent de financer des actions en protection des investissements et qui réfléchissent au moyen « innovant » de réunir de telles plaintes dans une catégorie propre de papiers-valeurs. Le Parlement fédéral a récemment, pour la première fois, posé des questions critiques sur un accord de protection des investissements – celui avec la Tunisie – en particulier sur le droit de plainte des investisseurs contre l’Etat. Il conviendrait d’insister pour qu’à l’avenir le Conseil fédéral renonce à une telle clause – ou du moins la limite fortement – et offre une révision des accords aux Etats-partenaires. Il serait absurde que le business des plaintes en matière d’investissements puisse contourner ou miner la politique officielle de la Suisse, comme le soutien aux pays post-révolutionnaires en Afrique du Nord ou l’introduction d’un droit d’insolvabilité pour les Etats. Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud
Argent des potentats 10 Ce que la Suisse devrait faire
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Investissements en Birmanie
Empêcher une ruée vers l’or anarchique Michel Egger
Les investisseurs voient dans la Birmanie (Myanmar) et ses abondantes
ressources naturelles un nouvel Eldorado. La Suisse aussi met les bouchées doubles dans son rapprochement économique avec le pays des pagodes. Mais comment garantir que l’afflux de capitaux contribuera vraiment au développement durable ? Les Etats-Unis élaborent des directives dont la Suisse ferait bien de s’inspirer.
Au dernier Forum économique mondial de Davos, la Suisse a signé un protocole d’accord avec le Myanmar visant à renforcer leurs relations économiques bilatérales. Le coup d’envoi effectif sera donné par la mission que la patronne du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, entreprendra en Birmanie en novembre prochain. Cette initiative est la dernière en date d’une opération de charme envers l’ex-colonie britannique, engagée depuis deux ans dans un processus de réforme politique et d’ouverture économique. En mai 2012, dans le sillage de l’Union européenne (UE), la Suisse a levé les sanctions introduites en 2000, à l’exception notamment de l’embargo sur les biens d’équipement militaires. En juin, Aung San Suu Kyi, la cheffe de l’opposition birmane, a choisi la Suisse comme première étape de sa tournée européenne. Début novembre, le ministre des affaires étrangères Didier Burkhalter a inauguré la nouvelle ambassade
« Les investissements étrangers doivent être fondés sur les standards reconnus au plan international. »
« intégrée » de Suisse à Yangon. Un projet-pilote dont la visée est de coordonner le travail diplomatique, l’aide au développement (DDC), la politique de paix et de droits humains (Division sécurité humaine) et la promotion économique (Seco). Au Département des affaires étrangères, on parle de « pari sur le futur du Myanmar ». Les objectifs sont doubles. D’une part, soutenir le processus de transition du Myanmar vers plus de démocratie, de paix et d’intégration économique. La Suisse a ainsi augmenté son aide au développement de 6 à 25 millions par an pour ces quatre prochaines années (2013-16). D’autre part, répondre au potentiel économique et touristique « énorme » (dixit Burkhalter) du pays. Dans un rapport publié en août, la Banque asiatique de développement prédit une croissance annuelle de 8% dans les dix prochaines années.
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Nombreux atouts Certes, les conditions d’investissement sont loin d’être optimales. La stabilité politique n’est pas garantie et la sécurité juridique quasi nulle. Mais en même temps, fort de 60 millions d’habitants, le Myanmar a beaucoup d’attraits : des matières premières abondantes (gaz, pétrole, pierres précieuses, etc.), une main-d’œuvre jeune et à bas prix, une situation stratégique entre des marchés clés (Chine, Inde, Asie du Sud-Est). Ruiné par 50 ans de généraux corrompus et de conflits ethniques, le pays a des besoins gigantesques dans tous les domaines : infrastructures, banques, tourisme, etc. De fait, des entreprises suisses manifestent aussi un grand intérêt. Chaque semaine, l’ambassade de Suisse à Yangon reçoit une dizaine de demandes et deux à trois visites. Pour Barbara Möckli-Schneider (Chambre de commerce Suisse-Asie), « c’est maintenant qu’il faut aller en Birmanie. Qui attend risque d’arriver trop tard1. » Risques de dérapages Si le processus d’ouverture semble irréversible, comment éviter qu’il ne se transforme en « ruée vers l’or » anarchique, au profit des multinationales et des caciques du régime ainsi qu’au détriment des conditions sociales et de l’environnement ? Cette question est tout sauf rhétorique dans un Etat fragile comme la Birmanie, qui figure au cinquième rang du hit parade de la corruption mondiale (Transparency International). Les risques de dérapage sont légion et les mesures de régulation insuffisantes pour les prévenir. Selon une étude du Transnational Institute2, les récentes législations ouvrent la porte à l’accaparement des terres, offrent aux investisseurs étrangers cinq ans d’exonération fiscale et le droit d’affermer des terres pendant 70 ans. Christoph Burgener, ambassadeur de Suisse à Yangon, le dit bien : « Si on investit de manière massive et dans l’idée de profits rapides, on peut faire d’immenses dégâts. Le souci, c’est donc que tout se passe dans le respect social et environnemental3. » Ainsi que cela est ressorti d’une récente table ronde organisée par Swisspeace, un tel respect suppose la coopération de toutes les parties prenantes. En Birmanie, le président Thein Stein, Aung San Suu Kyi, des représentants du patronat et les
Photo: Keystone
En inaugurant la nouvelle ambassade de Suisse à Yangon en novembre 2012, le conseiller fédéral Didier Burkhalter a ouvert la voie aux entreprises suisses.
organisations de la société civile appellent tous à des investissements éthiques. Le Pacte mondial de l’ONU y a démarré ses activités et le gouvernement prépare son adhésion à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (EITI). A l’instar de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme4, beaucoup doutent cependant que les autorités aient – avant plusieurs années – les capacités institutionnelles de réguler les investissements étrangers au bénéfice de la population. Devoir de diligence pour les multinationales Dans ces conditions, les entreprises étrangères vont jouer un rôle majeur dans la destinée du pays. Salil Tripathi, directeur à l’Institute for Human Rights and Business (Londres), l’affirme : « Le défi est de faire en sorte que leurs investissements ne soient pas seulement profitables, mais aussi fondés sur les standards reconnus au plan international. » En particulier les Principes directeurs de l’ONU sur économie et droits humains, ainsi que l’Union européenne l’a précisé dans sa déclaration sur la suspension de ses sanctions contre la Birmanie. Concrètement, cela signifie, entre autres, mettre en place des processus de diligence raisonnable pour prévenir et réparer les impacts directs et indirects de leurs opérations, consulter les communautés et respecter leur droit à la terre, garantir des conditions de travail décentes et les droits syndicaux, évaluer la qualité de leurs partenaires d’affaires. Dans cette perspective, l’Institute for Human Rights and Business, en collaboration avec le Danish Institute for Human Rights et le British Council, est en train de créer un centre de ressources5 propo-
USA : normes de transparence me Les Etats-Unis ont élaboré un projet de directive (Reporting Requirements on Responsible Investment in Burma) obligeant les personnes et sociétés investissant plus de 500’000 dollars à rendre transparentes leurs activités au Myanmar. Deux rapports sont prévus. Le premier – public – devra fournir des informations sur leurs opérations et celles de leurs filiales ; les politiques et procédures de diligence en matière de droits humains, d’environnement et
sant des outils adaptés à la situation birmane. Toutes les entreprises suivront-elles d’elles-mêmes cette voie ? Rien n’est moins sûr. C’est là qu’intervient la responsabilité des Etats d’origine des investisseurs. Ceux-ci doivent indiquer clairement ce qu’ils attendent de leurs entreprises. Les Etats-Unis l’ont bien compris, qui sont en train de finaliser une directive sur les obligations de transparence en matière d’investissements en Birmanie (voir encadré). Une motion avec la même exigence a été déposée mi-février au Parlement européen par le rapporteur de la Commission du Commerce international, David Martin. La Suisse ferait bien de s’inspirer de ces exemples. Comme l’a déclaré la conseillère nationale Doris Fiala (PLR), de retour d’un voyage d’information avec Swissaid, « il est très important que la politique suisse réalise que des entreprises helvétiques désireuses d’investir au Myanmar doivent respecter de manière impérative les droits humains ». L’adoption de telles mesures permettrait de faire un premier pas dans la mise en œuvre par la Suisse des Principes directeurs de l’ONU sur économie et droits humains, conformément au postulat von Graffenried adopté par le Parlement en décembre. 1. Handelszeitung, 8.10.2012 2. Developing Disparity: Regional Investment in Burma’s Borderland, Transnational Institute, February 2013 3. Le Matin Dimanche, 17.2.2013 4. La Birmanie n’est pas prête pour des investissements respectueux des droits de l’homme, mars 2013, www.fifdh.org 5. http://www.ihrb.org
de lutte contre la corruption ; les accords avec les services de sécurité ; les achats et usages de terres ainsi que les paiements aux agences gouvernementales. Le second – destiné au gouvernement – couvrira également les contacts avec tous les groupes armés et les résultats des procédures de diligence. Les ONG ont salué le projet tout en déplorant ses insuffisances, en particulier le fait qu’il ne rende pas obligatoire la diligence raisonnable en matière de droits humains. Une seconde consultation est en cours jusqu’au 25 mars. La directive devrait entrer en vigueur en avril.
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Agenda du développement post-2015
Pas de développement durable sans égalité des sexes Nina Schneider
Nombre d’organisations féminines participent aux débats pour un nouvel
agenda du développement après 2015. Des groupes de base aux cadres de l’ONU, les femmes sont unanimes : un objectif spécifique sur l’égalité des sexes est nécessaire. Des indicateurs clairs, permettant de prendre en compte les besoins particu-
Photo: Keystone
liers des femmes, sont également indispensables.
Travailleuses du textile au Cambodge. La discrimination systématique des femmes renforce les autres dimensions de l’inégalité.
Si l’on entend combattre efficacement la faim et la pauvreté, il convient d’éliminer les facteurs structurels qui accroissent l’écart entre les pauvres et les riches et qui produisent de nouvelles inégalités. La discrimination systématique des femmes doit être traitée en priorité, car elle renforce les autres dimensions de l’inégalité. Telle est la conclusion de la consultation mondiale que l’ONU a menée sur le thème de l’inégalité en vue de l’agenda du développement post-2015. Les femmes tirent de mauvaises cartes dès leur naissance. Le fait d’appartenir à une minorité sociale et culturelle ou de souffrir d’un handicap réduit leurs chances à une bonne alimentation, formation et protection de la santé. En tant que personnes défavorisées, elles sont souvent contraintes d’accepter des travaux peu sûrs et souspayés ainsi que d’habiter dans des conditions précaires. Elles sont ainsi exposées de manière accrue à la violence, à la guerre et aux impacts environnementaux négatifs. Qui contrôle la sexualité a le pouvoir Le droit à disposer de son corps est le fondement de la santé psychique et physique. Il est, par là-même, une précondition
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clé pour une participation et codécision sociale. Toutefois, les gouvernements négligent la réalisation des droits sexuels et reproductifs ou les réduisent aux mécanismes du planning familial. Ceux-ci renouvellent le contrôle sur la capacité de procréer au lieu de renforcer le droit – ancré de manière universelle dans les droits humains – à décider de sa sexualité, du mariage, de la grossesse, de la contraception et de l’avortement. Avec son programme « Safe City », l’entité onusienne UN Femmes propose des mesures concrètes contre la violence envers les femmes : l’intégration des femmes et des jeunes filles dans la planification urbaine, une amélioration des données statistiques sur la violence sexuelle, des dispositions juridiques contre l’immunité. Une planification budgétaire équitable selon les sexes devrait aider à lever les obstacles structurels, à former de manière stratégique des employés de la fonction publique et à sensibiliser les médias. Par ailleurs, afin que les femmes puissent sortir du cercle vicieux de la pauvreté comme source de violence et de la violence comme source d’appauvrissement, Garça Machel, membre du panel à haut niveau de l’ONU pour l’élaboration
d’un agenda post-2015, plaide pour une participation conséquente des femmes dans la résolution de conflit et pour l’ancrage d’objectifs de paix et de sécurité. La prévoyance plutôt que la croissance La croissance économique ne conduit pas automatiquement à plus d’égalité des sexes. C’est pourquoi des économistes critiques exigent de concevoir les budgets publics, les systèmes fiscaux et financiers de telle manière qu’ils promeuvent une répartition équilibrée des chances et des ressources entre les femmes et les hommes. C’est seulement quand les femmes disposent de plus de temps et d’argent qu’elles peuvent légitimement participer aux processus de décision publics. A une économie fondée sur la croissance, il convient de substituer une économie du care capable de prendre en charge celles et ceux qui ne peuvent se représenter : les personnes âgées et les malades, les enfants et les générations futures ainsi que l’environnement.
« Il convient de substituer une économie du care axée sur les soins et les services d’aide à une économie fondée sur la croissance. » En plus de salaires égaux et de conditions de travail décentes, les organisations de femmes réclament aussi davantage d’investissements de l’Etat dans le secteur des soins et des services d’aide. Aujourd’hui, seuls les ménages urbains disposant de revenus suffisants et réguliers peuvent se permettre de sous-traiter le travail de soins. Ils emploient du personnel domestique obligé de travailler et de vivre dans des conditions souvent précaires et indignes. De nouvelles chaînes de services internationales ont ainsi vu le jour, qui – selon l’Organisation internationale du travail (OIT) – emploient plus de 100 millions de personnes, en majorité des femmes. Un grand nombre sont des migrantes sans droit, donc doublement menacées d’exploitation. Une répartition socialement équitable du travail reproductif ne sera possible que moyennant des mesures publiques de redistribution, l’intégration du travail non rémunéré dans les indicateurs de bien-être et la réduction des heures de travail salarié. Au plan mondial, les femmes occupent plutôt rarement des emplois formels et, quand c’est le cas, le plus souvent à temps partiel. Du coup, elles ne bénéficient pas des prestations de l’assurance sociale – fondées en général sur les déclarations de salaire – et tout le travail de soins qu’elles accomplissent gratuitement n’est pas honoré. Cette inégalité choquante pourrait être surmontée par des systèmes de sécurité indépendants des revenus. A cette fin, l’OIT, l’ONU et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) proposent un « socle de protection sociale » à même de garantir à tous les êtres humains l’accès à la sécurité sociale et à un revenu minimum suffisant. Garantir l’accès aux ressources Dans les régions rurales du Sud, l’accès à la terre, à l’eau et aux semences détermine la sécurité alimentaire. Dans les communautés de petits paysans, les femmes produisent jusqu’à 80% des aliments. Elles cultivent les champs et ramassent le bois de chauffage dans les forêts, éléments sur lesquels elles
n’ont aucun droit. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus évincées par l’agrobusiness avide d’eau et de terres. C’est pourquoi le Groupe Majeur des Femmes de l’ONU, qui représente plus de 200 groupes de femmes, entend ancrer explicitement dans l’agenda post-2015 les droits des femmes à la terre, à la propriété et à l’héritage. Il désire également protéger les entreprises de subsistance et les marchés locaux. Dans la mesure où une participation équitable leur est refusée, les femmes produisent moins d’émissions de gaz à effet de serre que les hommes. Pourtant, elles souffrent davantage des changements climatiques. Des réseaux de femmes s’engagent au plan mondial pour endiguer les dommages dus au climat. Ils veulent également avoir leur mot à dire à l’avenir sur les discussions et les décisions relatives aux mesures d’adaptation. En outre, ils exigent l’établissement de zones interdites à l’extraction minière, la culture d’agrocarburants et la déforestation à but commercial ainsi qu’une prohibition de la privatisation des ressources hydrauliques. Quant aux investissements « verts », ils ne devraient plus être possibles qu’avec l’accord des populations. A une « économie verte » orientée vers le marché doit se substituer une « société verte » capable de réaliser les droits humains et du travail ainsi que de réglementer la consommation et la production selon les principes de précaution et en tenant compte des générations futures. Dans une perspective de genre, la question n’est plus de savoir comment produire de manière plus efficace. Elle est de déterminer qui a besoin d’un produit spécifique et si la société mondiale peut et veut assumer les impacts sociaux et environnementaux.
Consultation de l’ONU sur la question de l’inégalité : http://www.worldwewant2015.org/node/299198 Groupe Majeur de Femmes : http://women-rio20.ning.com Politique climatique et énergétique équitable du point de vue du genre : www.genanet.de et www.genderccc.net
Débats en Suisse Woment in Development Europe (WIDE) Suisse travaille à une position genre pour l’agenda post-2015. Alliance Sud y participe. La Direction du développement et de la coopération (DDC) a décidé, de son côté, d’accompagner le processus de manière critique à partir d’une perspective de genre et d’élaborer des propositions à l’attention du Conseil fédéral. Lors de son dernier symposium annuel, WIDE Suisse s’est penchée sur la signification économique – encore toujours sous-évaluée – du travail de soins et de prévoyance, rémunéré ou non. Elle a plaidé pour une « politisation du travail de soins ». Dans le dernier numéro (62) de la revue Widerspruch (« Care, Krise und Geschlecht » , Rotpunktverlag, 2013), plusieurs auteures de WIDE présentent des analyses complètes sur la signification de l’économie du care au plan mondial.
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Agenda du développement post-2015
« Le danger existe d’une overdose de consultations » L’ONU a lancé au plan mondial un large débat sur le nouvel agenda du développement qui, dès 2015, doit succéder aux Objectifs du Millénaire. Jens Martens, qui suit depuis plus de vingt ans la politique de développement et environnementale internationale, en définit les principaux enjeux. Il encourage
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les ONG à élaborer des positions de fond, au-delà du réalisme politique du moment. Interview.
Jens Martens est l’une des figures de proue du Global Policy Forum (New York) – un think tank spécialisé dans la politique de l’ONU – dont il dirige l’antenne européenne depuis 2004. Il a également œuvré de 2011 à 2012 comme coordinateur du Civil Society Reflection Group on Global Development Perspectives. Il est par ailleurs très engagé dans Social Watch, un réseau mondial de plus de 700 ONG (dont Alliance Sud) qu’il a co-présidé de 2006 à 2009. Quels sont les éléments cruciaux d’un futur agenda post-2015 ? Le point le plus important est qu’il ne soit pas – comme les Objectifs du Millénaire – un agenda du Nord pour le Sud. Il doit concerner tous les pays. Face aux problèmes et aux défis globaux, tous les pays d’une certaine manière sont des pays en développement et doivent continuer à se développer. Ensuite, l’agenda ne doit pas se limiter à la lutte contre la pauvreté au sens étroit du terme. Il devrait se focaliser sur la défense et la réalisation des droits de l’homme, l’égalité et la justice, le respect de la nature et les limites écologiques. Enfin – et cela a été négligé jusqu’à présent – il doit également encourager un système financier solidaire et équitable ainsi que la paix et le désarmement. Sans ces derniers, un développement soutenable au plan mondial est impossible. Avez-vous l’espoir que ces problèmes soient pris en compte ? Ils sont déjà en partie à l’ordre du jour international et seront discutés. Mais les chances qu’une percée ait lieu jusqu’en 2015 et qu’on arrive à une solution consensuelle dans notre sens, sont minces. C’est pourquoi il serait judicieux de ne pas seulement viser un consensus des 193 pays de l’ONU – le plus petit dénominateur commun. L’ONU permet que se forment des coalitions de pays partageant la même opinion et prêts à aller plus loin. On l’a vu dans l’Union européenne avec la taxe sur les transactions financières : elle n’était pas acceptable
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dans l’ensemble de l’Union, mais onze pays l’ont décidée. Cela montre comment on peut arriver à des progrès qui vont au-delà du consensus minimal. C’est ce que j’espère avec les débats sur l’agenda post-2015 : que, face aux problèmes brûlants actuels, quelques gouvernements aient le courage d’aller de l’avant et plus loin. La société civile n’a pas été incluse dans l’élaboration des Objectifs du Millénaire. Cela se présente-til mieux pour l’agenda post-2015 ? L’ONU et les gouvernements ont tiré les leçons de leurs erreurs avec les Objectifs du Millénaire. Ils ont lancé des consultations nationales dans plus de cent pays. A cela s’ajoutent des consultations thématiques au plan mondial, sous la forme de symposiums et via Internet. Cela permet d’informer et mobiliser les groupes de la société civile au plan national. Mais le danger existe aussi d’une overdose de consultations : on pourrait rester toute la journée devant son écran à remplir des questionnaires en ligne. Un programme d’occupation des organisations non gouvernementales sans réel impact ? Il n’est pas faux de mener des consultations et les ONG devraient y participer. Mais on ne devrait pas investir toute son énergie dans de tels processus, au risque de la gaspiller. Car l’influence des groupes de la société civile sur le processus officiel de décision est, à mon sens, faible. Les ONG devraient avant tout se concentrer sur la formulation de leurs positions propres, sans se plier simplement et d’une manière pragmatique à ce qui semble politiquement faisable au moment présent. Elles devraient saisir la chance de lancer des débats sociaux de fond au plan national et international : comment nos sociétés devront-elles s’organiser à l’avenir pour répondre aux problèmes sociaux et écologiques ? Que signifient en réalité le bien-être et le progrès social ? A quoi ressemblera une société solidaire au XXIe siècle ? Voilà les questions décisives qui doivent être débattues aujourd’hui. Propos recueillis par Pepo Hofstetter
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Négociations pour un accord international sur les services
Les pays riches font pression Pour pallier le blocage du cycle de Doha, une vingtaine de pays membres de l’OMC, dont la Suisse, vont négocier ce printemps un accord international sur les services. Pour les pays en développement, un coup dur porté au multilatéralisme ainsi qu’au cycle de Doha dont ils attendent des améliorations, principalement dans le domaine agricole. Lors de la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2011, les EtatsUnis ont lancé l’idée de négocier un accord international sur les services (AIS) entre, initialement, vingt-et-un pays considérés comme les « vrais amis des services » (Real Good Friends of Services, RGFS). Ce groupe, né à Doha en 2001, comprend non seulement des pays industrialisés comme les Etats-Unis, l’Union européenne, Israël et la Suisse, mais aussi quelques pays en développement traditionnellement proches de Washington : le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Mexique, le Pakistan et la Turquie. Comme les pays n’ont pas encore fait d’offres et de requêtes, il est difficile de dire jusqu’où iront les futures concessions. L’objectif est d’obtenir au moins le niveau de libéralisation proposé dans le cycle de Doha et resté jusqu’ici lettre morte. Les négociations vont couvrir tous les secteurs des services, y compris les technologies de l’information et de la communication, les transports et les services aux entreprises. Mais l’accord pourrait aller plus loin que le simple accès aux marchés, en développant de nouvelles règles, notamment sur les marchés publics et les investissements directs étrangers dans les services – une première à l’OMC. Il devrait également comporter des clauses excluant toute possibilité de révoquer une ouverture déjà accordée. Opposition ferme des pays du Sud La plupart des pays en développement ne participent pas aux négociations de l’AIS, voire y sont opposés. Ils craignent qu’un tel accord plurilatéral ne compromette encore davantage la conclusion du cycle de Doha. Celui-ci représente pour eux la dernière occasion de réformer le commerce des produits agricoles et d’obtenir un meilleur accès aux marchés des pays industrialisés en échange d’une libéralisation de leurs services. C’est pourquoi des pays comme l’Inde, pourtant grande exportatrice de services, dit fermement non à un tel AIS. Ils considèrent toute tentative de négocier des accords entre quelques pays comme un danger pour le caractère multilatéral de l’OMC. Cela d’autant plus que l’AIS sera ouvert aux autres membres de l’OMC, avec le risque d’être exposés à des pressions pour y adhérer. Le réseau international Our World is Not for Sale (OWINFS), qui
regroupe de nombreux syndicats et ONG (dont Alliance Sud), s’oppose aux négations sur l’AIS. Il estime que, pour promouvoir le développement et la démocratie, il faut au contraire une régulation accrue des services. Il est en effet dangereux que les télécommunications, les transports ou les services financiers n’obéissent qu’aux intérêts commerciaux. La dérégulation de services publics fon-
« Une régulation accrue des services est nécessaire pour promouvoir le développement et la démocratie. » damentaux comme la santé, l’éducation et l’énergie au profit d’entreprises étrangères, menace le développement dans les pays pauvres. Nombre d’exemples de privatisation attestent d’une baisse de qualité et d’une augmentation de prix des services. L’investissement étranger dans les services ne devrait être permis que lorsqu’il existe un plan gouvernemental spécifique obligeant les entreprises privées à rendre compte de leurs actions en faveur des objectifs de développement et de la population. Mandat de la Suisse inconnu Les négociations officielles devraient démarrer ce printemps et l’accord pourrait être mis sous toit d’ici à la conférence ministérielle de Bali, en décembre. Beaucoup de pays doivent cependant recevoir un mandat de leur parlement. La Commission européenne est en train d’essayer d’obtenir le feu vert de ses Etats membres. Il en va de même du négociateur en chef (US Trade Representative) aux Etats-Unis. On ne sait rien encore du mandat de la Suisse. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) a toujours affirmé que la Suisse s’opposait à la libéralisation du commerce des services publics au sens strict, à savoir l’eau, l’éducation, la santé, les transports publics, l’environnement et la poste – sauf pour les parties déjà privatisées de ces services comme les écoles de langue ou les cours de cuisine. Isolda Agazzi
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Argent des potentats
Ce que la Suisse devrait faire La Suisse a accompli des progrès ces dernières années dans le gel et la restitution des fonds de potentats étrangers. De graves lacunes cependant demeurent. Une nouvelle loi est en préparation. Plusieurs éléments seraient nécessaires pour la rendre vraiment efficace. La Suisse se vante volontiers d’avoir de solides dispositions pour prévenir l’entrée de fonds de potentats étrangers. La réalité est quelque peu différente. Au lendemain du « printemps arabe », nombre de fortunes douteuses ont une fois de plus été découvertes sur des comptes suisses. Elles appartiennent aux dictateurs Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, à leurs parents et proches partenaires d’affaires. En tout, cela représente jusqu’à maintenant presque un milliard de francs : environ 700 millions proviennent d’Egypte, 60 millions de Tunisie et 100 millions de Libye. Dans la mesure où ils ont été acquis de manière illégitime, ces fonds n’auraient jamais dû atterrir en Suisse. Malgré d’évidentes lacunes, le Conseil national a refusé l’hiver dernier diverses interventions exigeant un renforcement de la loi sur le blanchiment d’argent.
Accélérer les procédures Afin d’être véritablement efficace, la nouvelle loi devrait combler plusieurs manquements. D’abord, renverser le fardeau de la preuve non seulement pour Photo: Keystone
Insuffisances de la « Lex Duvalier » La Suisse, en revanche, a réalisé d’incontestables progrès dans le blocage et la restitution de l’argent des potentats. Elle a été le premier pays au monde à geler de manière préventive les fortunes douteuses des dictateurs nord-africains déchus. De plus, elle appuie les pays d’origine dans les procédures complexes
d’entraide judiciaire, lesquelles visent à recouvrer les fonds et à les restituer aux populations volées. Dans le gel préventif des fonds d’Egypte et de Tunisie, le Conseil fédéral a dû faire appel cependant à une disposition de crise de la Constitution. C’est pourquoi une nouvelle loi est en préparation, dont l’objectif est de donner une meilleure base juridique à la pratique actuelle. Le but est également qu’elle soit plus largement utilisable que la « Lex Duvalier », en vigueur depuis 2011 seulement, mais limitée aux Etats dits « défaillants », c’est-à-dire sans structures qui fonctionnent. Ni la Tunisie ni l’Egypte n’en font partie. La « Lex Duvalier » prévoit notamment le renversement du fardeau de la preuve : un potentat et son clan ne peuvent s’opposer au recouvrement et à la restitution que s’ils prouvent que les fonds ont été acquis en toute légalité. Jusque-là, il revenait au pays d’origine ou à la Suisse de mener des enquêtes compliquées pour apporter la preuve de l’illégalité.
Mendiantes sur l’avenue Abacha à Lagos (Nigeria). La restitution des fonds d’Abacha n’a pas profité à la population pauvre.
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les Etats « défaillants », mais aussi dans tous les cas où – comme avec l’Egypte à cause de standards de droits humains insuffisants – la coopération juridique échoue. Ensuite, accélérer les procédures souvent très laborieuses d’entraide juridique et de restitution. La procédure la plus courte a été celle concernant la fortune d’Abacha. Il a fallu toutefois cinq bonnes années depuis la chute du dictateur (1999) pour que les premiers fonds retournent au Nigeria. Dans le cas de la fortune de Marcos, douze ans ont été nécessaires après l’écroulement de l’autocrate philippin pour que quelque 700 millions de dollars soient versés sur un compte bloqué à Manille. Leur libération n’a été autorisée qu’à deux conditions. D’une part, elle devait être précédée d’une décision d’un tribunal philippin ; d’autre part, une partie des fonds devait bénéficier directement aux victimes des violations de droits humains. Ces deux conditions n’ont été remplies qu’en février de cette année, soit 27 ans après la fin du règne de Marcos ! Entraide judiciaire spontanée Afin d’accélérer les procédures d’entraide judiciaire, la Suisse offre depuis quelque temps une assistance technique aux Etats concernés. De plus, depuis 2001, elle organise régulièrement à Lausanne des réunions d’experts avec des spécialistes de ces pays. Une telle pratique est très utile et devrait être ancrée dans la nouvelle loi. Il serait judicieux aussi que la Suisse fournisse d’elle-même des informations complémentaires aux Etats d’origine dans les cas où ceux-ci n’ont déposé qu’une demande incomplète d’entraide judiciaire. Une base légale a fait défaut jusqu’ici pour ce genre de démarche. Une entraide judiciaire « spontanée » de la Suisse n’est actuellement possible que tant qu’aucune demande n’a été introduite par le pays concerné. Mark Herkenrath
Marianne Gujer et Urs Fankhauser ont assumé ces onze dernières années notre service éducation. Ils ont produit de nombreux matériaux pédagogiques (livres, DVD, photolangages et mallettes) visant à sensibiliser les jeunes des trois régions linguistiques de Suisse aux questions de développement et à encourager leur compréhension des enjeux globaux. Avec eux, Alliance Sud a constitué – sur le petit marché helvétique – le principal producteur de tels outils d’enseignement spécialisés. Ils ont gagné régulièrement des prix pour l’excellence de leurs produits. Malheureusement pour nous, mais pas à leur désavantage, ils ont été intégrés depuis janvier 2013 dans le domaine production d’éducation21, la nouvelle fondation pour une éducation en vue d’un développement durable. Nous perdons deux collègues qui étaient proches de nous, ont enrichi nos réunions d’équipe par un regard extérieur, fourni des évaluations et autres pla-
Photo: Daniel Rihs
Fin du service éducation, début d’éducation21 nifications internes soigneusement élaborés. Leur départ marque la fin d’une longue histoire. Dans les années 1970, Alliance Sud a fondé le « Service Ecole Tiers Monde », avec l’espoir qu’en sensibilisant déjà à l’école les nouvelles générations, le monde s’améliorerait plus rapidement. En 1997, Alliance Sud a participé avec d’autres à la transformation de ce service en la Fondation Education et Développement (FED), où les cantons et associations d’enseignants acquéraient un rôle nouveau important. Alliance Sud et d’autres ONG ont toutefois continué à produire du matériel pédagogique. Aujourd’hui, la FED a fusionné avec la Fondation suisse d’Education pour l’Environnement (FEE). Le but est d’agir en
tant que centre de compétence national, sur mandat notamment de la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique. Nous formulons nos meilleurs vœux pour Marianne et Urs et sommes impatients de découvrir les produits du nouveau domaine d’éducation21. Peter Niggli
Les bons tuyaux de la doc Birmanie, nouvel eldorado ? Etranglée par une dictature extrêmement dure pendant des décennies, la Birmanie s’est engagée dans un processus d’ouverture et ses nombreuses richesses (gaz, pétrole, bois, minerais) attirent toutes les convoitises. Alors que la population apprend à vivre avec plus de libertés, que le monde découvre le délabrement des infrastructures du pays, que le nouveau gouvernement se confronte aux tensions qui prévalent entre les différentes ethnies et aux conflits qui perdurent aux frontières, les investisseurs affluent du monde entier et injectent des milliards dans une économie fragile. Les ONG croulent sous les dons et parlent de « tsunami humanitaire ». Enfin, les Etats se concurrencent pour venir en aide à la jeune démocratie. Tout ce soutien est évidemment bienvenu, mais il est aussi potentiel-
lement dangereux : les ONG et les Etats doivent se coordonner entre eux et avec les populations locales pour investir durablement les fonds humanitaires. Les Etats doivent aider le gouvernement birman à se doter d’un cadre légal et d’institutions judiciaires appropriés pour accueillir les entreprises et les multinationales qui souhaitent investir dans l’économie. Enfin, les entreprises et les multinationales devraient respecter des règles très strictes en termes environnementaux et sociaux. Dans ce contexte à la fois enthousiasmant et inquiétant, la Suisse a un rôle non négligeable à jouer. Elle a ouvert à Yangon une ambassade dite « intégrée » qui a pour principale mission de coordonner le travail diplomatique, la politique de paix, l’aide au développement et la promotion de l’économie suisse.
Les tuyaux • Association Suisse-Birmanie, http://goo.gl/s7XIc • Myanmar : Coopération internationale, Direction du Développement et de la Coopération DDC, http://goo.gl/TLus7 • « Birmanie, le pari de l’ouverture », Le Temps, Arnaud Dubus, 2 novembre 2012, http://goo.gl/8KgGd • Pardonnez-moi, Darius Rochebin reçoit Aung San Suu Kyi, 24 juin 2012, http://goo.gl/heeFQ • Zoom d’Alliance Sud Documentation, http://goo.gl/Po0t8 • Myanmar, KOFF (Centre de promotion pour la paix) - Swisspeace, 1er mars 2013, http://goo.gl/e7MvE Pour plus d’informations: Centre de documentation d’Alliance Sud Avenue de Cour 1, 1007 Lausanne, doc@alliancesud.ch ou 021 612 00 86 www.alliancesud.ch/documentation.
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30 pour cent
1,3 milliard
Faits et chiffres Gaspillage alimentaire
Chaque année, 1,3 milliard de tonnes d’aliments se perdent ou sont gaspillés au plan mondial, le long de la chaîne du producteur au consommateur.
Dans les pays riches, 30 pour cent de la nourriture finissent dans les poubelles. Dans les pays pauvres, 3 pour cent.
Spéculation sur les denrées alimentaires
Que fait le pain à la bourse ? Pendant que les spéculateurs parient à la bourse, des millions de gens souffrent de la faim chaque jour. Les causes des crises alimentaires sont certes multiples : accaparement des terres, changements climatiques, production d’agrocarburants et de viande, etc. Il devient cependant de plus en plus clair que la spéculation financière sur les denrées alimentaire y joue aussi un rôle majeur. Depuis la crise de 2008, les investisseurs se sont tournés vers les matières premières. Ils achètent des produits financiers appelés « contrats à terme » ou « futurs », initialement prévus pour garantir aux producteurs un certain prix sur leurs récoltes à venir. Lorsque la demande pour ces produits financiers augmente, les prix des denrées alimentaires de base montent en flèche. Avec comme résultat des situations de famine pour des populations entières. En somme, un jeu d’argent aux conséquences dramatiques.
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Face à l’implication de nombreuses institutions suisses dans ce système (banques, fonds de pension), plusieurs mouvements agissent. La Jeunesse socialiste suisse a lancé l’initiative populaire fédérale « Pas de spéculation sur les denrées alimentaires ». Elle vise à interdire l’investissement dans des instruments financiers liés à des matières premières agricoles.
Dans les pays riches, 222 millions de tonnes d’aliments propres à la consommation sont jetés annuellement. En Suisse, plus de 100 kg par habitant.
Par ailleurs, en réaction au « Sommet mondial des matières premières » organisé du 15 au 17 avril 2013 à Lausanne sous la houlette du Financial Times, un collectif d’associations – parmi lesquelles Attac, Brücke-Le Pont, CETIM, FIAN, Greenpeace, Swissaid et Uniterre – organise un contre-sommet, incluant des conférences le samedi 13 et une manifestation le lundi 15 avril.
http://www.alliancesud.ch/fr/documentation/dossiers/faim/speculation Sources : www.thinkeatsave.org; www.foodwaste.ch
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