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#FEMMES ET DÉVELOPPEMENT

Le temps du changement est arrivé !

Le magazine d’

Swissaid Action de Carême Pain pour le prochain Helvetas Caritas Eper


ÉCLAIRAGE

Environ deux tiers des citoyennes et des citoyens suisses souhaitent que notre pays accroisse ses dépenses consacrées au développement. Ils estiment que la coopération au développement est dans l’intérêt de la Suisse et contribue à la sécurité mondiale. Telle est la conclusion de l’étude « Sécurité 2019 » récemment publiée par l’Académie militaire et le Centre d’études de sécurité de l’EPF de Zurich. En Suisse romande, plus de 80 % des citoyens sont favorables à l’intensification de la coopération au développement. Le Conseil fédéral ne se laisse pas impressionner par le fort soutien dont bénéficie la coopération au développement au sein de la population. Dans son projet de message sur la coopération internationale 2021–2024, il propose que la Suisse ne consacre que 0,45 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement dans les années à venir. En 2016, ce chiffre était encore de 0,53 %. Depuis lors, la coopération au développement a dû supporter des économies massives, malgré des excédents annuels de plusieurs milliards dans les caisses fédérales. À l’heure actuelle, notre Suisse prospère affecte à la coopération au développement une part plus faible de son revenu national que la moyenne de tous les pays de l’UE. Après déduction des dépenses d’asile qui – aussi absurde que ce soit – peuvent être comptabilisées comme aide publique au développement, cette part doit même fondre à 0,4 % seulement au cours des prochaines années. Le projet de message sur l’avenir de la coopération internationale de la Suisse laisse toutefois à désirer pas uniquement sur le plan financier. Il est aussi superficiel et incomplet dans une optique

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Photo : Daniel Rihs

Une politique sourde à l’avis de la majorité stratégique. Il ne reconnaît pas clairement que la réduction de la pauvreté et le renforcement de la société civile doivent rester les principaux objectifs de l’engagement de la Suisse. La réduction de la pauvreté ne reste un objectif que quand et où cet engagement semble opportun pour des raisons de politique migratoire. Au lieu de cela, la coopération au développement doit surtout se concentrer sur la création d’emplois et de partenariats avec des acteurs du secteur privé. Rien n’indique de manière décisive la néces­ sité d’un travail décent dans le cadre d’un mode de production écologiquement durable. Les critères que les partenaires du secteur privé doivent remplir en matière de droits de l’homme, de protection de l’environnement et de fiscalité équitable ne sont pas distinctement formulés dans le projet de message. Dans sa réponse à la consultation, Alliance Sud militera pour un message axé sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies. La coopération suisse au développement doit être au service de la lutte contre la pauvreté et de l’atténuation de la misère. Plus que jamais, elle doit soutenir toutes les forces de la société civile de ses pays partenaires qui défendent la justice sociale et la durabilité écologique.

Mark Herkenrath Directeur d’Alliance Sud

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POINT FORTS

IMPRESSUM global – Plaidoyer pour un monde juste paraît quatre fois par an. Le prochain numéro paraîtra fin début octobre.

MISE EN IMAGE

Soudan – Printemps 2019 6 POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT

Entretien avec Marina Carobbio, Présidente du Conseil national 8 Quand la « durabilité » devient une malédiction 12

Éditeur : Alliance Sud Communauté de travail Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas, Eper 1, Av. de Cour, CH – 1007 Lausanne T +41 21 612 00 95 F +41 21 612 00 99 globalplus@alliancesud.ch www.alliancesud.ch Médias sociaux : facebook.com/alliancesud twitter.com/AllianceSud Rédaction : Daniel Hitzig, Kathrin Spichiger Iconographie : Nicole Aeby Graphisme : Bodara GmbH, Zurich Impression : Valmedia AG, Viège Tirage : 1600 Prix publicité / encartage : voir site Internet Photo de couverture : Ajoke Saka (25 ans), étudiante en MBA à Ikoyi, l’île artificielle dans la lagune de Lagos, la capitale du Nigeria, pose devant la caméra. Photo : Robin Hammond / Panos

CLIMAT ET ENVIRONNEMENT

La politique climatique manque de féminité 15 POLITIQUE FISCALE ET FINANCIÈRE

Le dumping fiscal touche particulièrement les femmes 18 AGENDA 2030

Le tourisme, secteur mondial à bas salaires pour les femmes 20 PERSPECTIVE SUD

L’écart entre les sexes s’est inversé en Mongolie 22 INFODOC

Le féminisme chez le peuple autochtone des Nagas en Inde 26 La plateforme web Wikigender 27

ALLIANCE SUD : QUI SOMMES-NOUS ? Président Bernard DuPasquier, Directeur Pain pour le prochain Direction Mark Herkenrath (directeur), Kathrin Spichiger (membre de la direction), Matthias Wüthrich

POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT Coopération au développement / Agenda 2030 Eva Schmassmann T +41 31 390 93 40 eva.schmassmann@alliancesud.ch Politique financière et fiscale Dominik Gross T +41 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch

Monbijoustr. 31, Case postale, 3001 Berne T +41 31 390 93 30  mail@alliancesud.ch

Climat et environnement Jürg Staudenmann T +41 31 390 93 32 juerg.staudenmann@alliancesud.ch

Bureau de Lausanne Isolda Agazzi (membre de la direction), Laurent Matile, Mireille Clavien T +41 21 612 00 95  F +41 21 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch

Commerce et investissements Isolda Agazzi T +41 21 612 00 97 isolda.agazzi@alliancesud.ch

Bureau de Lugano Lavinia Sommaruga (membre de la direction) T +41 91 967 33 66  F +41 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch

Banques multinationales de développement Kristina Lanz T +41 31 390 93 42 kristina.lanz@alliancesud.ch

Entreprises et droits humains Laurent Matile T +41 21 612 00 98 laurent.matile@alliancesud.ch

Médias et communication Daniel Hitzig T +41 31 390 93 34 daniel.hitzig@alliancesud.ch INFODOC Berne Simone Decorvet, Petra Schrackmann, Jérémie Urwyler, Joëlle Valterio, T +41 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Lausanne Pierre Flatt (membre de la direction), Nina Alves, Amélie Vallotton Preisig T +41 21 612 00 86 documentation@alliancesud.ch

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DROIT AU BUT Blended finance – formule magique ? Dans son Message sur la Coopération internationale 2021–2924 (CI) mis en consultation en mai dernier, le Conseil fédéral indique vouloir « diversifier et renforcer les collaborations avec le secteur privé » et élargir l’utilisation stratégique de fonds de la CI afin de « mobiliser des financements privés additionnels pour un développement durable ». A ce sujet, l’Overseas Development Institute (ODI), Think tank indépendant britannique a publié

en avril 2019 une analyse des instruments de la finance mixte (« Blended finance ») dans les pays pauvres. Ce Rapport souligne le fait que moins de 4 % de financements privés mobilisés l’ont été à destination des pays à revenu faible (LICs) et que les investissements ont été largement concentrés dans les secteurs productifs, les infrastructures, la finance et la banque. Seuls des montants minimes ont financé des projets dans les secteurs sociaux. LM

Pétition pour une taxe sur les billets d’avion La nouvelle ministre de l’environnement Simonetta Sommaruga a convaincu le Conseil fédéral de ne plus faire barrage à l’introduction d’une taxe sur les billets d’avion : le PRD en fait une affaire d’idéologie. Prônant une mobilité durable depuis 25 ans, l’association « actif-trafiC » veut intensifier la pression publique sur le Parlement et a lancé sa pétition « Oui à la taxe sur les billets d’avion ! ». Elle prend l’approche britannique pour modèle pour notre pays : percevoir une taxe de 20 à 200 francs suivant la distance du vol en avion. Les pétitionnaires demandent que les revenus

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« soient redistribués à la population, affectés à l’extension du transport ferroviaire transfrontalier ou à des ajustements de la protection climatique ». DH

Impénitente Banque mondiale Dans une étude de grande ampleur, l’ONG allemande « urgewald » a examiné 675 projets énergétiques en cours de la Banque mondiale et pointe du doigt le rôle très douteux de l’institution de développement la plus puissante du monde dans la protection du climat : le financement de projets du groupe de la Banque mondiale en faveur des agents énergétiques fossiles est environ le triple de celui pour les agents énergétiques renouvelables ménageant le climat. Près de 21 milliards de dollars sont injectés dans les secteurs du charbon, du pétrole et du gaz – 7 milliards seulement dans des domaines comme l’énergie solaire ou l’énergie éolienne. Rien qu’au cours du dernier lustre, la banque a dépensé 12 milliards de dollars pour des projets de soutien aux industries fossiles.

Ces dernières années, la Banque mondiale a annoncé à plusieurs reprises des mesures importantes en faveur de la protection du climat et reçu de nombreux éloges pour ce choix. Désormais, cette étude montre notamment que si la banque n’a plus financé directement la construction de nouvelles centrales à charbon depuis 2013, elle a rendu ces projets possibles par d’autres moyens. Ainsi, en 2016, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), membre du groupe de la Banque mondiale, a approuvé une garantie financière de 783 millions de dollars pour des

prêts accordés au groupe énergétique sud-africain Eskom. Cette garantie a notamment servi à financer les lignes de transport d’électricité des nouvelles centrales au à charbon d’Eskom. DH

Un système financier à remanier Aux termes d’un rapport de l’ONU du début avril, les objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 – notamment la lutte contre la pauvreté et le changement climatique – ne sauraient être atteints qu’à la condition d’un profond remaniement du système financier mondial. Ce document s’appuie sur l’analyse « qui donne à réfléchir » d’un groupe de travail sur le financement du développement regroupant les agences des Nations Unies. Les inégalités mondiales se creusent, de nouvelles crises de la dette menacent et le changement climatique met en péril le développement durable dans toutes les régions du globe. L’ONU craint que ni les institutions nationales ni les institutions multinationales ne soient en mesure de s’adapter à l’évolution rapide du contexte général.

Bien que la sensibilisation aux investissements durables augmente, des efforts bien plus soutenus sont nécessaires. Plusieurs recommandations sont adressées au secteur financier sur la manière de réorienter ses investissements : ils devraient être réalisés à plus long terme et la durabilité devrait être reconnue comme un facteur de risque majeur. Une révision du système commercial multilatéral et l’abandon de la concentration des marchés entre les mains d’un petit nombre d’entreprises puissantes non limitées par des frontières nationales sont nécessaires. DH

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RUEDI WIDMER

À PROPOS DE NOUS Pas de culture gratuite Avec ce numéro, « global » prend congé de son ancien modèle de paiement. Tous nos abonnés trouveront désormais un bulletin de versement inséré au centre de chaque numéro. Libre à vous désormais de l’utiliser régulièrement ou non et de nous faire parvenir une contribution aux frais. Car même celles et ceux qui ont un budget serré sont bien sûr les bienvenus dans notre lectorat. Avec cette démarche, nous espérons mieux cibler un jeune public qui a grandi dans une culture gratuite des médias. Nous sommes assez critiques à cet égard mais n’avons pas manqué de remarquer que bon nombre de personnes étaient aujourd’hui prêtes à soutenir volontairement quelque chose qu’elles trouvent important. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont régulièrement contribué à « global » ces dernières années en contractant un abonnement annuel, ou qui ont souvent généreusement arrondi leur contribution, pour leur fidélité et

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la confiance témoignée envers notre travail. Et bien sûr, nous espérons que vous continuerez à nous soutenir. Parallèlement à cette démarche, nous intensifions nos efforts pour faire découvrir également « global » à un public plus large. Dès le présent numéro, nous attirerons l’attention sur chaque nouveau numéro de « global » au moyen d’un dépliant placé là où nous pensons trouver notre public cible : dans des librairies choisies, des bibliothèques, des lieux de rencontres culturelles, lors d’événements. Écrivez-nous si vous souhaitez recevoir régulièrement quelques papillons publicitaires « global » : global@alliancesud.ch. L’équipe de notre centre d’information et de documentation InfoDoc est à nouveau complète depuis le début du mois de mai. Nous avons le plaisir d’accueillir au sein d’Alliance Sud Petra Schrackmann et Jérémie Urwyler, à Berne, et Nina Alves, à Lausanne. DH

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MIS EN IMAGES

Les femmes soudanaises jouent un rôle central dans le soulèvement contre le régime militaire islamiste. L’image de l’étudiante de 22 ans en génie et architecture Alaa Salah (page à droite), qui s’adresse avec confiance aux manifestants dans la capitale Khartoum, est devenue un symbole. Salah porte fièrement les vêtements traditionnels des femmes travailleuses du coton et les bijoux de mariée en or. Dans cette tenue, les femmes étaient déjà descendues dans la rue pour défendre leurs droits dans les années 1960, 1970 et 1980 du siècle dernier.

Photo : Instagram @lana_hago

Depuis six mois, une large alliance de la société civile manifeste au Soudan contre la dictature militaire corrompue, pour des élections libres et la transition vers un gouvernement civil. Malgré le départ du dictateur de longue date Omar al-Bashir, l’issue de la révolution soudanaise reste incertaine.

Le drapeau national en faveur d’un nouveau Soudan est omniprésent. Photo : Umit Bektas / Reuters

Une mère a amené ses enfants pour protester devant le Ministère de la Défense. Photo : Umit Bektas / Reuters

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POLITIQUE DU DÉVELOPPEMENT

Marina Carobbio, LA première citoyenne de Suisse s’est rendue au Rwanda à l’occasion du 25e anniversaire du génocide. Et au Mozambique, l’un des pays les plus pauvres du monde. Entretien avec la femme médecin et présidente du Conseil nationale de  Lavinia Sommaruga et Daniel Hitzig.

« L’égalité et la justice sociale vont de pair »

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Photos : Daniel Rihs / Alliance Sud

« global » : Marina Carobbio, vous avez sûrement fait un voyage plein de rencontres. Quelles ont été vos premières réflexions à votre retour en Suisse ? Marina Carobbio : Ce fut un voyage très intense et exigeant. La commémoration du génocide de 1994 au Rwanda a été un moment très fort : entendre les paroles de ceux qui l’ont vécu m’a beaucoup touchée. Il faut s’engager pour que des situations pareilles ne se reproduisent plus. Des attaques inacceptables contre les personnes et les droits humains se produisent encore à beaucoup d’endroits. Ce voyage m’a fortement motivée à poursuivre mon engagement en faveur de la politique de coopération au développement. Le choix du Rwanda et du Mozambique n’est pas le fruit du hasard... Bien sûr que non. Je voulais observer le rôle des femmes dans les projets de la coopération suisse et visiter des projets qui mettent l’accent sur le système de santé. L’Afrique n’est pas très connue et j’ai pensé que les politiciens pourraient en savoir plus sur ce que fait la Suisse et sur ce qu’elle peut recevoir de ces collaborations. Au fond, la coopération n’est jamais à sens unique. L’accent a été mis aussi sur le rôle de la Confédération. Notre pays est considéré comme un modèle de gouvernance et il est reconnu comme un partenaire intéressant et fiable.

plus en plus reconnue comme un acteur important sur la scène internationale. Ce serait une erreur de renoncer à certains types de coopération ou de cesser d’intervenir. Je peux donc dire que la coopération est certes importante pour d’autres pays, mais elle l’est aussi pour la Suisse. Le Mozambique est l’un des pays prioritaires de la coopération internationale de la Suisse. Après les inondations, plusieurs ONG ont écrit à Credit Suisse pour lui demander de rembourser au Mozambique un prêt d’un milliard de dollars. En 2016, en raison de ces prêts toxiques, le pays a plongé dans une grave crise de la dette qui rend la reconstruction difficile. N’est-ce pas un paradoxe ? D’une part, on finance l’aide au développement et, de l’autre, une banque suisse plonge le pays dans une crise sans précédent... Le problème est que la banque, en tant qu’institution privée, ne s’exprime pas beaucoup sur son rôle dans cette opération. Nous en venons rapidement à l’initiative Multinationales responsables : même si elle ne touche pas directement les banques, la question de la responsabilité des entreprises est centrale. Au

Mozambique, dans certaines réunions officielles, nous avons aussi discuté de l’importance de la lutte contre la corruption. Au Rwanda, j’ai constaté qu’il était difficile de traiter la question des matières premières en provenance du Congo. Cela nous rappelle aussi notre propre responsabilité, car les matières premières du Rwanda continuent à nous parvenir. La Suisse est d’un côté marchande, de l’autre humanitaire. Les Suisses en sont fiers. C’est un débat constant au Parlement. En tant que politicienne, comment vivez-vous cet aspect ? Les deux aspects sont importants : que les entreprises investissent dans ces pays et qu’un pays ne dépende pas seulement de la coopération classique. En même temps, nos entreprises doivent respecter des critères de responsabilité sociale, comme les droits humains, la défense du climat, etc. ; c’est un discours fondamental qui ne doit pas être séparé de notre politique de promotion de la paix, de protection de l’environnement et des ressources. Sinon, nous tomberions tout de suite en contradiction. Et là on revient au discours des multinationales responsables.

En visitant les projets suisses de coopération internationale, qu’avezvous appris sur les trois instruments de politique étrangère (coopération au développement, promotion de la paix et des droits humains et aide humanitaire) ? Nous avons visité des projets liés à l’eau, à la santé et au soutien aux victimes de violences sexuelles, ainsi que des projets de partenariat public-privé (PPP) dans les deux pays. Nous avons constaté le rôle de la Suisse dans la promotion de la paix par des projets de dialogue et la participation de la société civile. Cela m’a confortée dans ma conviction que si la Suisse poursuit son travail, elle sera de

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Mais on parle toujours de mesures volontaires... Nous avons constaté dans de nombreux domaines, y compris en Suisse, que s’il n’y a pas de règles, les mesures volontaires ne suffisent pas. Prenons l’exemple de l’égalité salariale. Comme la Suisse est reconnue pour son rôle de promoteur de la paix, nous pouvons avoir une certaine influence sur les autres en ce qui concerne les entreprises responsables. Ignazio Cassis entend réorienter l’aide publique au développement pour mieux prendre en compte les intérêts de la Suisse et intégrer les aspects migratoires. N’est-ce pas une instrumentalisation de la coopération ? La coopération ne peut pas être liée seulement à des objectifs purement internes. Ensuite, il est clair que si nous faisons une bonne politique de développement, nous avons aussi des retombées sur la scène internationale. La Suisse peut en profiter. Cependant, lier la coopération à l’objectif de réduire la migration peut remettre en discussion les objectifs originaux de la coopération. Nous avons la chance de vivre dans un pays stable où les gens sont à l’aise. Partant d’une situation privilégiée, nous devons soutenir un discours de solidarité. Une valeur – la solidarité – sur laquelle la Suisse s’est développée et que nous ne pouvons pas remettre en question aujourd’hui. La coopération internationale est-elle toujours ancrée dans la population ? Elle est peut-être moins connue que dans les années 1980 et 1990, mais il y a encore beaucoup de jeunes qui partent comme coopérants. On en parle moins dans les médias. Avec les nouveaux moyens de communications, on connaît la catastrophe ; on parle par exemple du cyclone pendant deux jours et après plus rien. On passe d’une catastrophe ou d’une urgence humanitaire à une autre et on ne voit pas les liens. Prenons le cas du Mozambique : le cyclone est une catastrophe naturelle, mais comme elle s’est produite dans un pays déjà très

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pauvre et dans un contexte de changement climatique, ses conséquences sont encore plus graves. Parfois, pour les gens instruits du Sud, la coopération au développement est une forme de néocolonialisme. Y a-t-il eu un changement ces trente dernières années ? Oui. En ce sens, la coopération ne signifie pas seulement envoyer de l’argent, mais aussi et surtout former les gens pour qu’ils puissent rester dans leur pays, travailler et créer les conditions pour le développement des pays les plus en difficulté. La coopération doit faire en sorte que les projets puissent continuer tout seuls. Le Rwanda – je l’ai vu de mes propres yeux – dépend beaucoup de la coopération internationale. C’est un défi complexe. Dans les projets que nous

promouvons en tant que AMCA 1,un rôle central est précisément la formation du personnel médical et infirmier pour s’assurer que tout ne dépende plus de la coopération. À l’avenir, la Suisse devrait consacrer environ 0,45 % de son PIB à l’aide publique au développement, soit moins que l’objectif de 0,5 % fixé par le Parlement. Vous qui avez été une partisane du 0,7 % – comme indiqué dans les Objectifs du Millénaire – comment voyez-vous cette évolution ? Le Parlement a donné un bon signal l’année dernière en décidant de maintenir l’objectif du 0,5 %. Comme d’autres pays du Nord, il serait souhaitable d’atteindre le 0,7 %. Un rôle important a été joué par Alliance Sud, qui avait informé tous les parlementaires. Je suis de nature op-

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Photo : Daniel Rihs / Alliance Sud

Marina Carobbio Guscetti est Présidente du Conseil national suisse depuis novembre 2018. Elle a été membre du Grand Conseil tessinois de 1991 à 2007 et est membre du Conseil national depuis 2007, où elle a été membre de la Commission des finances, puis de la Commission de la sécurité sociale et de la santé. Carobbio est vice-président du Parti socialiste suisse, de l’ONG AMCA, de l’initiative des Alpes et de l’Association suisse des locataires.

« Si nous lions la coopération au développement à la question des migrations, nous remettons en question la réduction de la pauvreté comme objectif initial. »

timiste et je suis confiante qu’on arrivera à maintenir l’objectif du 0,5 %. En 2017, lors d’une conférence sur l’Agenda 2030, vous avez présenté un exposé intitulé « Agenda 2030 et décisions politiques, quelles contradictions ? » Quelles contradictions voyez-vous dans ce domaine ? La Suisse a soutenu l’Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable (ODD), mais elle a aussi remis en question les ressources financières de la coopération au développement. Les ODD doivent être mis en œuvre en faisant avancer le thème de la participation de la population aux choix qui la concernent, en faveur des minorités, contre la discrimination ou pour soutenir la politique de genre. En tant qu’AMCA, nous avons un projet de lutte contre le cancer de

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l’utérus des femmes : en Suisse et au Tessin, on a mené une campagne de vaccination et, dans les écoles, nous avons expliqué que dans les pays pauvres cette tumeur est un drame. Il est peut-être plus facile de faire comprendre le discours de solidarité et de coopération avec ce genre d’exemples pratiques. Vous êtes maintenant Première citoyenne. Chaque président du Conseil national peut mettre l’accent sur certaines questions. Lesquelles avezvous choisies ? J’en ai choisi quelques-unes qui sont aussi dictées par mon vécu. L’une est la représentation des femmes en politique et l’égalité de genre. J’ai toujours lutté pour les droits des femmes et participé aux mouvements féministes. L’autre est celle des minorités, que j’ai associée à « l’italianité » pour une Suisse multilingue et multiculturelle.

J’ai rencontré beaucoup de femmes, à la fois dans un rôle politique mais aussi au niveau des organisations de base, qui sont un moteur pour toute la communauté. Ce n’est pas un hasard si plusieurs pays africains ont une femme à leur tête. Le mouvement des femmes, l’égalité et la lutte contre la discrimination sont liés à la justice sociale. Si nous luttons contre la discrimination envers les femmes, nous faisons un pas vers la justice sociale et contre un modèle de société patriarcale qui permet aux plus riches et privilégiés de dicter leur volonté aux plus pauvres. L’interview a été menée en italien. 1 L’AMCA, l’Association pour l’aide médicale en Amérique centrale, a été fondée au Tessin en 1985.

La grève du 14 juin : la mobilisation des femmes mais aussi des hommes dans la rue est-elle importante ? Bien sûr. En 1991 aussi la grève est née d’en bas, d’associations de femmes et de syndicats. Il n’y aura pas seulement la manifestation à Berne, mais aussi des activités dans toute la Suisse. Certains feront grève toute la journée, d’autres seulement pendant une heure à un niveau symbolique ; mais dans tous les cas, ce sera un signal important. Si on m’avait dit il y a cinq ans que 2019 serait une année des femmes, je ne l’aurais pas cru. La manifestation de septembre dernier à Berne a fait en sorte que la loi sur l’égalité salariale, qui est un premier pas, aille de l’avant au Parlement, où elle aurait été bloquée sinon. Comment l’égalité de genre peut-elle aller de pair avec la justice sociale ? Les femmes ont un rôle central à jouer. Elles sont en charge de la famille et elles sont fondamentales dans la reconstruction de la société. Si par exemple le Rwanda et le Mozambique arriveront à sortir de la dépendance de la coopération classique, ce sera grâce aux femmes.

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POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT

Le Conseil fédéral entend mobiliser davantage de capitaux privés pour la coopération au développement de demain. Un examen détaillé montre les risques énormes liés à cette approche. Étude de cas d’une entreprise agricole suisse au Ghana. Kristina Lanz

« Ils ont dit qu’ils apporteraient le développement. » La coopération avec le secteur privé a le vent en poupe dans le cadre de la politique de développement internationale. La Banque mondiale n’est pas la seule à dire qu’elle a besoin de milliers de milliards pour atteindre les objectifs de développement durable de l’ONU (Agenda 2030) dans les pays les plus pauvres. Même des pays donateurs comme la Suisse estiment que l’énorme effet de levier induit par l’utilisation de fonds privés est absolument nécessaire. On parle beaucoup d’un « scénario triple gagnant » dont les investisseurs, les gouvernements des pays en développement et leurs populations bénéficieraient de la même manière. Dans le secteur agricole en particulier, les partenariats public-privé (PPP) – aussi appelés parfois partenariats public-privé pour le développement (PPDP) – sont depuis longtemps une réalité. Il vaut donc la peine de se pencher de plus près sur ce qu’ils ont permis de réaliser jusqu’à présent. Ces partenariats prennent diverses formes. Dans certains cas, une autorité de développement cofinance directement un investissement agricole du secteur privé, dans d’autres, les capitaux sont versés dans des fonds disposant d’importantes ressources financières. Ces derniers transfèrent ces montants à des entreprises du secteur privé. Point commun de ces entreprises agricoles : elles promettent la lune, et durable en plus, et assurent que leurs investissements dans les régions de l’hémisphère sud vont de pair avec la sécurité alimentaire nationale et mondiale, la promotion des femmes et la création d’emplois. Le cas de la GADCO En 2011, deux banquiers d’affaires, l’un Nigérian, l’autre Britannique, ont fondé la Global AgroDevelopment Company (GADCO). Ni l’un ni l’autre ne s’y connaissaient en agriculture, mais ils cherchaient un nouveau champ d’activité après la crise financière mondiale de 2008. Ils sont parvenus à

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convaincre plusieurs investisseurs axés sur le développement à leur idée de créer la plus grande ferme rizicole d’Afrique de l’Ouest. Figuraient parmi ces investisseurs : la Fondation Syngenta pour une agriculture durable, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), l’Agricultural Development Company (AgDevCo), l’Acumen Fund et l’Africa Agriculture and Trade Investment Fund (Aatif).1 La GADCO a bénéficié d’une couverture médiatique très positive tant au niveau international qu’au Ghana – notamment du fait de son engagement supposé en faveur de la durabilité, du développement communautaire (community development) et de l’autonomisation économique des femmes (women’s economic empowerment). Malgré ce succès initial, l’entreprise a fait faillite trois ans après le

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Le riz laissé par les machines de GADCO est récolté par les femmes pour leur propre usage.   Photo : Divine Harrison

Dans un projet d’auto-assistance pour la sécurité alimentaire à Katangi (Kenya), la paille est séparée de la récolte. Photo : Sven Torfinn / Panos

lancement de son activité économique. Elle a été reprise en 2015 par la société suisse RMG Concept, basée à Delémont / JU, qui avait précédemment fourni des pesticides et des engrais à la GADCO. Se présentant également comme un pionnier de l’agriculture durable et un partenaire fiable pour les petits agriculteurs sur son site Internet, RMG Concept continue à exploiter une grande plantation de riz dans la région de la Volta au Ghana et un projet d’agriculture contractuelle, qui lui est rattaché, toujours sous le nom de GADCO. Des poches vides pour le plus grand nombre Au Ghana, près de 80 % du territoire est administré par des chefs de village. La plupart des pouvoirs étendus de ces notables ont été créés par les coloni-

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sateurs anglais et sont aujourd’hui inscrits dans la Constitution. Huit mois de recherche sur place en 2014 et 2016 dans le cadre d’une thèse de doctorat sur les problématiques liées au genre, qui viennent avec les investissements du secteur privé ont montré 2 que, pour la GADCO, les chefs de village locaux (chiefs) avaient été dès le départ les interlocuteurs majeurs, même si dans la région de la Volta, les terres appartiennent également aux familles et que les chefs de village n’ont qu’une fonction de supervision et d’arbitrage des litiges. En collaboration avec les « chiefs », dont la plupart ont suivi des études supérieures, elle a élaboré un accord de partenariat entre la communauté et le secteur privé (community-private partnership). Il stipulait que la communauté mettrait gratuitement 2000 ha de terres à la disposition des investisseurs et recevrait en retour une part de 2,5 % des bénéfices de l’entreprise, qui serait ensuite utilisée exclusivement pour des projets de développement dans les villages locaux. Mais, à ce jour, quasiment aucun bénéfice n’est parvenu à la base. Constat d’une jeune femme : « Je ne sais pas du tout à quoi sert l’argent. Pour l’heure, nous n’avons même pas d’eau potable dans les villages ». À Bakpa Adzani, le village le plus touché par la perte de terres agricoles suite à la mise en place de la nouvelle monoculture et où vivent essentiellement des immigrés internes, la population n’a été ni informée, ni consultée pour la perte de ses terres. Une veuve âgée confirme : « Nous n’avons pas été informés. Nous étions dans les champs lorsque les représentants de la compagnie sont venus nous dire qu’ils allaient désormais labourer nos terres. Nous les avons suppliés d’attendre au moins que la récolte soit rentrée. » Il est évident que les chefs de village ont arbitrairement décidé des compensations. Il n’est donc pas surprenant que les membres de leurs clans en particulier aient été indemnisés et soient les premiers bénéficiaires du projet local d’agriculture contractuelle « Fievie Connect ». Il avait été convenu que la moitié de tous les agriculteurs contractuels seraient des femmes. En 2014 et 2016, la plupart de ces soi-disant cultivateurs sous-traitants (outgrowers) étaient des femmes et des hommes âgés bien nantis, dont certains n’allaient pas aux champs eux-mêmes, mais engageaient des femmes plus pauvres, pour des salaires de misère. Et les hommes inscrits dans le programme des cultivateurs sous-traitants (outgrower scheme) envoyaient souvent travailler leurs femmes, avec pour résultat d’accroître considérablement leur charge de travail

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globale. À cela s’ajoute le manque de transparence du contractant, la GADCO, qui facture des prix de plus en plus élevés pour les engrais et pesticides mis à disposition. Les bénéfices réalisés par les agricultrices et les agriculteurs contractuels se réduisent en conséquence. Le bilan de la GADCO était également médiocre en termes de création d’emplois. En 2014, seule une minorité des quelque 150 employés était au bénéfice d’un contrat de travail ; les salaires étaient si bas que les personnes interrogées songeaient retourner à une maigre agriculture de subsistance. Les femmes étaient en outre presque exclusivement employées comme journalières pour épandre les engrais et gagnaient l’équivalent de 3 dollars par jour. Parler de leur autonomisation dans un tel contexte est une insulte. Les plus pauvres sont les perdants Les plus pauvres, notamment les migrants et les femmes célibataires, ont payé le prix fort de la transformation de la terre gérée sur une base communautaire en monoculture de riz. La perte de grandes superficies utilisées en commun, que les représentants du gouvernement et des entreprises désignent volontiers de terres « inutilisées », frappe plus durement les plus pauvres. Un grand nombre d’étangs à poissons et de petits ruisseaux, qui non seulement contribuaient grandement à la sécurité alimentaire de la population locale, mais étaient aussi les seules sources d’eau pour plusieurs villages, ont été détruits par la GADCO. Les nombreux arbres éparpillés dans la région étaient utilisés comme bois de chauffage pour couvrir les besoins locaux et constituaient le gagne-pain de nombreuses femmes pauvres qui transformaient le bois en charbon et le vendaient. L’une d’elles explique : « Avant, on taillait les arbres pour produire du charbon, mais la GADCO les a tous abattus, et nous éprouvons même des difficultés à acheter quelque chose à manger. » Le village de Kpevikpo était complètement encerclé par la rizière. La route d’accès au village a été élargie par la GADCO pour permettre le passage de ses tracteurs, et un canal d’irrigation a été construit directement à l’entrée du village. Pendant la saison des pluies et chaque fois que la société irriguait ses champs, la population est effectivement restée bloquée dans son village. Les enfants ne pouvaient pas aller à l’école ; pendant la saison des pluies, les femmes qui voulaient se rendre au marché devaient se déshabiller devant le canal et patauger dans de l’eau leur montant à la poitrine pour quitter l’en-

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droit. Une femme de Kpevikpo : « Rien de positif n’est lié à cette société. Elle n’a fait que détruire nos terres. Nous avons demandé à ces gens de construire un petit pont enjambant le canal, mais ils ont refusé. » Si la GADCO causait des dommages, elle s’en lavait les mains ; les négociations étaient généralement menées par l’intermédiaire des chefs des villages ; ces derniers réprimaient la résistance et les protestations de la population locale, par la violence parfois. La GADCO était bien consciente de tous ces problèmes. L’ancien manager Adidakpo Abimbola a même admis que les chefs se faisaient régulièrement prêter une camionnette en cas de problème avec la population locale. Ils fournissaient ensuite des bâtons à des jeunes gens chargés de mettre les insurgés en fuite. Quand on lui a demandé si la GADCO savait que l’argent dépensé au nom du développement durable était détourné à des fins lucratives, le nouveau directeur Satyendra Kumar Singh a simplement répondu : « La manière dont la population locale gère cet argent ne nous regarde pas. Nous avons nos structures commerciales, et elle a les siennes. Nous ne nous mêlons pas de ça. » Le cas décrit et scientifiquement documenté est explosif – non seulement parce que la GADCO se veut un chantre de la durabilité, mais aussi parce qu’elle a été soutenue financièrement par divers acteurs du développement. Si la Suisse entend miser davantage sur le secteur privé dans la coopération au développement, il est essentiel, selon Alliance Sud, que cet engagement soit à l’avenir fondé sur des critères clairs et une analyse détaillée du contexte. Et qu’il fasse l’objet d’un suivi rigoureux et indépendant. 1 Divers donateurs de la GADCO sont eux-mêmes soutenus par des acteurs gouvernementaux du développement : l’AgDevCo est principalement financée par le Département anglais pour le développement international (DfID) ; l’AGRA reçoit des fonds du DfID, du Ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ), de l’USAID et de divers autres acteurs du développement ; l’Aatif est une initiative du BMZ et du groupe bancaire de la KfW. 2 Thèse de doctorat en anthropologie sociale intitulée : « Institutional Change, Gender and Power Relations. Case study of a « best practice » large-scale land acquisition in Ghana. » Université de Berne, 2018.

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CLIMAT ET ENVIRONNEMENT

La crise climatique et la lutte pour les droits des femmes ont plus en commun qu’il n’y paraît à première vue. Parce que le changement climatique renforce la discrimination – dans tout l’hémisphère sud également.  Jürg Staudenmann

Écouter les femmes dans la lutte contre la crise climatique

Des femmes sur le chemin du travail à Jamshedpur, dans lʼÉtat indien de Jharkhand, qui est fortement influencé par le conglomérat Tata. Photo : Penny Tweedie / Panos

Les femmes prennent les inquiétants enjeux climatiques plus au sérieux que les hommes. Elles sont plus disposées à ménager les ressources et à changer leur comportement. Les hommes ont en revanche tendance à adopter des solutions techniques risquées face à la crise climatique.1 Des études montrent que les femmes affichent un meilleur bilan CO2 que les hommes ; elles conduisent moins souvent et se mettent au volant de voitures plus économiques, sont plus souvent végétariennes et davantage attentives aux produits écologiques lors de leurs achats. Parallèlement, les femmes et les filles sont particulièrement touchées par le

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changement climatique, notamment dans les pays en développement. Pourtant, les solutions locales prônées par les femmes sont souvent ignorées. Tels sont quelques-uns des thèmes abordés par le réseau mondial Women Engage for a Common Future (WECF). Par le biais d’affiches éducatives notamment, ce réseau informe et sensibilise l’opinion à ces enjeux. Alliance Sud a interviewé Katharina Habersbrunner et Anne Barre du WECF. Elles sont responsables de la mise en œuvre de projets climatiques et énergétiques et d’une conception de la politique climatique selon une perspective de genre.

Alliance Sud : Pourquoi une approche féministe de la crise climatique est-elle nécessaire ? WECF : Il ne s’agit pas d’utiliser des stéréotypes, mais des modèles d’action patriarcaux ont des conséquences directes sur la crise climatique et sur la manière d’y faire face. Le changement climatique n’est pas neutre du point de vue du genre, tant au nord qu’au sud. Ce n’est pas seulement dans les pays en développement que les femmes ont moins de pouvoir de décision politique, moins accès aux ressources allant des moyens financiers à l’éducation et à l’information en passant par la propriété. En parallèle, de nouvelles approches

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Sur lʼîle de Ghoramara, dans le Golfe du Bengale, des femmes travaillent à la construction dʼun barrage d’argile pour protéger leurs biens de la montée du niveau de la mer. Photo : Robin Hammond / Panos

comme les énergies renouvelables touchent généralement moins bien, ou plus tard, les femmes que les hommes. Elles ne participent guère à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation de techniques ou de projets respectueux du climat, même si elles connaissent mieux les besoins de leurs familles et sont donc les premières utilisatrices d’énergie. Aujourd’hui, seulement 0,01 % du financement total de la lutte contre le changement climatique est consacré à des solutions climatiques explicitement sensibles au genre. Du point de vue des femmes, quels sont les défis ou les opportunités liés à la crise climatique et au développement durable ? Comme les femmes se voient refuser l’accès aux informations ou aux alertes météorologiques, elles meurent jusqu’à 14 fois plus souvent que les hommes des suites de catastrophes climatiques.2 Dans de nombreux pays, elles ne sont pas autorisées à aller seules dans la rue ; elles sont généralement moins mobiles et moins impliquées dans les exercices de survie que les hommes. Oxfam estime que près de quatre fois plus d’hommes ont survécu au tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est

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parce que, pas comme les femmes, ils savaient nager. Mais l’insidieux changement climatique dans les pays pauvres surtout oblige les femmes et les filles à travailler plus longtemps et plus dur pour cultiver les champs ou fournir de l’énergie et de l’eau au ménage. Elles sont les premières à perdre leurs revenus à cause du changement climatique, doivent quitter l’école prématurément ou sont obligées de se marier. Même si dans de nombreux pays, les femmes sont responsables de l’agriculture (de subsistance) et donc de l’alimentation familiale, elles n’ont souvent ni la propriété foncière ni le droit de décision en ce qui concerne la terre qu’elles cultivent. La même remarque vaut pour l’approvisionnement en eau. Si les mesures d’adaptation se centrent sur des solutions purement techniques, les besoins des personnes directement concernées, à savoir les femmes et les filles, restent bien trop souvent ignorés. Mal construits, les abris temporaires contre les cyclones au Bangladesh donnent un exemple encore plus explicite : comme les besoins sexospécifiques n’ont pas été pris en compte dans leur planification, les femmes sont davantage exposées au harcèlement sexuel des

hommes pendant les intempéries, par exemple lorsque les installations sanitaires ne sont pas éclairées et à l’écart des espaces communs. Les femmes se voient souvent simplement refuser l’accès à des solutions : en Géorgie, le WECF et ses partenaires locaux ont conçu des capteurs solaires pour l’eau chaude sanitaire, qui sont produits localement. Cette initiative réduit la déforestation et permet notamment aux femmes de gagner du temps et de l’argent. Mais la mise en œuvre s’enlise parce que ces dernières, dont les revenus sont faibles comparativement aux hommes, n’obtiennent quasiment pas de prêts ou que des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que pour les hommes leur sont exigés. Les femmes se voient souvent attribuer un rôle particulier dans la gestion de la crise climatique… Vu leur rôle de gestionnaires familiales et d’aidantes, elles dépendent souvent beaucoup plus directement de solutions pratiques et quotidiennes face au changement climatique. Comme elles peuvent mobiliser les communautés, elles sont habituellement perçues comme des agents de changement. En fait, les femmes du monde entier s’engagent pour des stratégies locales novatrices, efficaces et à prix abordable. Mais ces approches locales low-tech obtiennent généralement bien moins de soutien politique et financier que les approches high-tech et sont donc rarement utilisées à grande échelle. Un plan d’action pour l’égalité des sexes (PAES) a été adopté lors de la Conférence mondiale sur le climat tenue l’année dernière à Katowice. Était-ce un tournant pour une politique climatique plus sensible au genre ? La mise en œuvre cohérente de l’égalité entre les femmes et les hommes, le « gender mainstreaming », n’a été reconnue que tardivement dans le processus de 25 ans de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements clima-

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tiques (CCNUCC). Et ce, malgré le fait que des mesures adaptées au genre apportent une contribution importante à l’efficacité de la politique climatique. Le préambule de la Convention de Paris sur les changements climatiques appelle désormais à prendre en compte le droit international contraignant en matière de droits de l’homme, d’égalité des sexes et de participation accrue des femmes à toutes les activités de lutte contre le changement climatique. Le PAES concrétise ces exigences dans cinq domaines prioritaires : le renforcement des capacités, le partage des connaissances et la communication, par exemple par le biais d’une formation sur le genre dans les institutions de l’ONU ; la parité entre les sexes dans les positions de cadres lors des conférences sur le climat et dans les pays ; la cohérence pour garantir que les décisions sur le genre et le changement climatique sont également appliquées dans les mesures des autres organisations des Nations Unies ; la mise en œuvre tenant compte de la problématique hommes-femmes incluant les moyens pour y parvenir ainsi que la surveillance et l’établissement de rapports sur les mesures climatiques prises. Comme les États parties doivent collecter des données sexospécifiques et analyser leur politique climatique dans

une perspective de genre, les gouvernements sont tenus de penser conjointement la politique de genre et la politique climatique. Le PAES constitue donc la base d’une politique climatique (plus) équitable pour les hommes et les femmes. Mais des progrès significatifs dans la mise en œuvre et des décisions plus ambitieuses seront encore nécessaires lors des prochaines conférences sur le climat. Mais des femmes scientifiques critiquent aussi la « féminisation de la crise climatique ». D’après elles, la division du travail selon le genre aurait été renforcée, alors que les femmes restent largement exclues des négociations centrales sur la politique climatique internationale. Que pensez-vous de ces thèses ? Si les structures existantes au sein d’une communauté ou d’un ménage sont ignorées, les structures de pouvoir prédominantes et les inégalités sociales se propagent dans les projets et les politiques – ou sont même renforcées. Ainsi, une politique climatique « aveugle au genre » ralentit effectivement le processus de recherche de solutions pour contenir la crise climatique. À cet égard, nous sommes tout à fait d’accord avec la thèse de la « féminisation de la crise climatique ». Le changement climatique agit

comme un multiplicateur de risque et accroît les discriminations existantes à l’égard des femmes en raison de leur statut social, économique et politique inférieur. Il est donc crucial de souligner qu’elles sont plus vulnérables aux effets du changement climatique dans la plupart des sociétés, principalement du fait des rôles traditionnels des femmes et des hommes. C’est pourquoi la mise en œuvre contraignante du PAES à ses différents niveaux joue un rôle si prépondérant. Plus les femmes seront impliquées à tous les niveaux dans la prise de décision, plus la politique climatique sera efficace. 1 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2012 2 UNFPA, Women on the frontline

Women Engage for a Common Future Le WECF est un réseau international de plus de 150 organisations féminines et environnementales dans 50 pays. Il s’engage pour la mise en œuvre locale de solutions climatiques durables et la promotion d’un contexte politique soucieux de l’égalité entre les sexes dans le monde entier. Membre fondateur de la circonscription électorale de la femme et du genre (Women and Gender Constituency) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et partenaire officiel du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), le WECF met en œuvre des politiques climatiques et de genre étroitement liées et renforce les capacités des femmes par des projets climatiques locaux. JS

Katharina Habersbrunner, travaille au WECF dans le domaine des énergies renouvelables et de la protection du climat.

Tamazina Carlos (47 ans) devant les restes de sa maison détruite par le cyclone Kenneth en Macomia, Mozambique. Photo : Tommy Trenchard / Panos

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Anne Barre a créé le WECF en France et dirige aujourd’hui le département Genre et politique climatique au siège de Munich.

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POLITIQUE FINANCIÈRE ET FISCALE

La politique fiscale est l’affaire d’un petit nombre d’experts initiés, de sexe masculin généralement. Pourtant, c’est précisément dans la perspective de la parité entre les sexes qu’on s’aperçoit que cette politique traite des choses les plus élémentaires de la vie.  Dominik Gross

L’évasion fiscale tue des mères Le moins qu’on puisse dire, c’est que la politique fiscale est quelque chose de plutôt abstrait. À force de côtoyer des taux fiscaux réguliers et des assiettes fiscales, de parler d’échange automatique d’informations, de transferts de bénéfices, de registres d’ayants droit économiques, de déclarations pays par pays ou – que PricewaterhouseCoopers nous délivre de ce mal ! – d’impôts sur le bénéfice corrigés des intérêts, on oublie facilement que la politique fiscale concerne essentiellement des besoins humains très immédiats. Par exemple, parce que chaque enfant, garçon ou fille, devrait avoir partout dans le monde un accès aussi facilité que possible aux services de base lui permettant de mener une vie digne : des soins de santé de qualité, une scolarisation décente, des voies de transport et des infrastructures sûres, la participation à la vie culturelle, politique et sociale. Et parfois, la politique fiscale est simplement une question de vie ou de mort. Par exemple, lorsque quelque part dans le monde une mère décède pendant l’accouchement parce que l’hôpital public où elle voulait accoucher est mal équipé. Selon les Statistiques sanitaires mondiales publiées chaque année par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les objectifs de développement durable (ODD) liés à la santé (dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations Unies), 303 000 femmes sont mortes en 2015 en raison de problèmes de santé liés à un accouchement ou à une grossesse. 99 % de ces femmes sont décédées dans des pays que l’OMS considère comme en développement ou émergents. Près des deux tiers d’entre elles, soit 62 %, sont mortes en Afrique subsaharienne. En Suisse, cinq femmes meurent toutes les 100 000 naissances, au Ghana 319 et au Nigeria 814. Le tableau n’est pas beaucoup plus rose s’agissant de la mortalité infantile : en Suisse, seuls quatre enfants sur 1000 meurent à la naissance, au Ghana 35 et au Nigeria 70. Or le Ghana et le Nigeria ne figurent pas au rang des pays les plus

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pauvres du monde. Le premier passe souvent pour un État africain modèle auprès de la communauté internationale pour sa stabilité politique ; le second est considéré comme un marché et un pays en pleine expansion malgré une guerre civile à l’est du pays. Les taux de mortalité maternelle et infantile dans ces pays sont toutefois beaucoup plus élevés que dans les pays européens. Selon l’OMS, un équipement médical approprié pourrait éviter la grande majorité de ces décès. Une naissance sûre reste un privilège Le Rapport intermédiaire sur les objectifs de développement durable 2018 des Nations Unies indique, s’agissant de l’objectif 3 de l’Agenda 2030 (« Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge »), que le taux de mortalité maternelle a chuté de 37 % dans le monde depuis 1990 et celui des nourrissons de 39 %. Mais une naissance raisonnablement sûre pour la mère et l’enfant reste le privilège d’une petite partie de la population mondiale. Sous cette pression, les États membres de l’ONU se sont mis d’accord en 2015, s’agissant de l’objectif 3 de l’Agenda 2030, pour réduire le taux de mortalité maternelle à moins de 70 décès pour 100 000 naissances dans le monde d’ici 2030 et le taux de mortalité néonatale à 12 pour 1000 naissances. Modestes par rapport aux chiffres ci-dessus, ces objectifs finalement fixés arbitrairement sont toutefois impossibles à atteindre sans réformes fiscales dans de nombreux pays en développement, dans les juridictions à faible imposition et au niveau mondial : pour la plupart des gens dans le monde, l’accès aux soins de santé dépend exclusivement de la qualité des services de santé publique là où ils résident – et cette qualité dépend à son tour des recettes fiscales permettant à une collectivité de garantir aux mères et aux enfants des soins de santé suffisants.

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Une infirmière en formation à lʼhôpital général de Mzuza au Malawi. Photo : Sven Torfinn / Panos

Dans la plupart des pays en développement, la mobilisation des ressources fiscales pour les services publics est des plus précaires : dans les pays les plus pauvres, ces dernières ne représentent en moyenne que 15 % du produit intérieur brut (PIB). C’est beaucoup moins que dans les pays riches de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où les recettes fiscales font environ 34 % du PIB ; or le Fonds monétaire international (FMI) estime que 15 % ne permet pas d’assurer le bon fonctionnement d’un État. L’une des principales raisons de cette grande disparité dans la mobilisation de l’argent des contribuables dans les pays en développement et les pays de l’OCDE est l’exode d’importants avoirs privés et de bénéfices d’entreprises vers des juridictions à faible imposition à partir desquelles les multinationales et les gestionnaires de fortune opèrent à l’échelle mondiale. Non sans conséquences dévastatrices : basé à Washington, le groupe de réflexion Global Financial Integrity (GFI) estime qu’en 2014, les seuls pays en développement et émergents ont vu leur échapper mille milliards de dollars en flux financiers dits déloyaux. Ce sont les pays en développement surtout qui paient les pots cassés. Une substance fiscale impor-

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tante échappe certes aussi aux pays prospères de l’OCDE. Mais comme nombre d’entre eux – et pas seulement des paradis fiscaux notoires comme la Suisse – utilisent des combines fiscales de toutes sortes, des capitaux en fuite leur reviennent après coup. Les pays en développement en revanche n’ont généralement pas les moyens nécessaires pour se mêler à la concurrence entre États pour attirer des capitaux en fuite. Mais ce n’est pas que dans le secteur de la santé que les droits fondamentaux reconnus des filles et des femmes surtout sont rognés pour des raisons fiscales. Partout où un engagement public et des ressources financières sont nécessaires pour battre en brèche les discriminations structurelles entre les sexes, par exemple dans l’éducation ou sur le marché du travail, et pour développer de nouvelles formes de cohabitation non sexiste, les droits des femmes et des filles sont les premiers bafoués. La lutte pour la parité homme-femme est donc toujours aussi une lutte pour la justice fiscale et pour un service public suffisamment financé - et vice versa. D’autant plus lorsque cette lutte est menée depuis la Suisse, dans une perspective globale pour les structures économiques à l’origine de la discrimination des femmes et des filles. Car malgré toutes les réformes fiscales qu’elle a menées ces dernières années, la Suisse reste la plus grande place financière offshore et l’un des centres commerciaux et financiers majeurs pour les multinationales du monde entier. Des profits générés ailleurs sont donc imposés chez nous et manquent sous forme de rentrées fiscales sous d’autres latitudes. Les conséquences de ce mécanisme peuvent être dévastatrices, au début de chaque vie humaine déjà.

Sans le financement de lʼONU, ce centre de santé de la ville de Mbanza-Ngungu, en RDC, nʼexisterait pas. Photo : Sven Torfinn / Panos

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AGENDA 2030

La plupart des personnes employées dans le tourisme sont des femmes. La question de savoir si le tourisme favorise la parité homme-femme dépend des conditions de travail et du contexte général que ce secteur offre aux femmes. Eva Schmassmann

Lanzarote, Canaries. Une image qui pourrait venir de presque nʼimporte où.  Photo : Dominic Nahr / MAPS

Faire le ménage pour des pachas Avez-vous déjà réservé un vol pour vos vacances d’été. Comment choisirez-vous votre destination ? Vous arrive-t-il de vous trouver devant la vitrine d’une agence de voyages et de vous étonner du peu d’argent que coûte une escapade au bout du monde, tous frais compris ? Ce qui, à première vue, peut nous paraître positif en tant que clients est en fait le prix que paient les personnes employées dans les pays de destination, sous la forme de mauvaises conditions de travail et de protection insuffisante de l’environnement et des droits de l’homme. Pendant nos vacances, nous voulons nous détendre ou partir à l’aventure et nous évader du travail quotidien. Lorsque nous réservons un séjour à l’hôtel, nous apprécions pouvoir nous décharger des tâches ménagères quotidiennes comme le ménage, les courses ou la cuisine. Peut-être profiterons-nous aussi, pour quelques heures au moins, de l’opportunité de faire garder nos enfants. La plupart de ces tâches sont effectuées par des femmes. Selon les statistiques de l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de 55 % des employés du secteur touristique

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(hôtellerie, restauration et tourisme) sont des femmes. Dans certains pays, cette proportion est plus élevée encore. En Thaïlande par exemple, 76 % des employés sont de sexe féminin : elles travaillent comme femmes de chambre, serveuses dans des restaurants ou sont chargées de garder des enfants. Ce sont les tâches classiques traditionnelles dévolues aux femmes. L’anglais parle de « housewifization » pour désigner ces ménagères actives dans le tourisme. Un terme qui affiche le mépris témoigné à l’égard de tâches supposées ne pas nécessiter de qualifications supplémentaires. Les emplois féminins dans le tourisme perpétuent donc les désavantages structurels dont souffrent les femmes, tout en les aggravant. Dans une récente étude intitulée « Sun, Sand and Ceilings », l’ONG britannique Equality in Tourism explore la question de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur touristique. Elle compare notamment la représentation des femmes dans les conseils d’administration des hôtels, des agences de voyages, des compagnies aériennes et des sociétés de croisières. L’étude relève certes une proportion croissante

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de femmes, de 23 % en 2018. Cela reste insuffisant, d’autant plus que les secteurs à forte dominance féminine progressent beaucoup plus rapidement. Les entreprises suisses sont parmi les plus en retard : le conseil d’administration de Mövenpick Holding, dont le siège est à Baar (ZG), est par exemple exclusivement masculin. En général, les femmes sont largement sous-représentées dans les postes de cadres du secteur du tourisme. À l’échelon de la direction des entreprises, la proportion de femmes est de 25,5 %. L’inégalité d’accès aux postes de cadres va de pair avec une répartition inégale flagrante des salaires entre les sexes. Dépendantes et démunies Dans les pays pauvres et les pays les plus défavorisés, les femmes sont confrontées à de nombreuses autres difficultés dans le domaine du tourisme. Elles travaillent souvent dans le secteur informel, comme vendeuses ambulantes ou en tant que main-d’œuvre non rémunérée dans le cercle familial. Dans le secteur formel, elles sont embauchées pour des emplois non qualifiés. Dans un contexte de pauvreté et de chômage élevé notamment, il en résulte une situation de dépendance – lorsque la protection juridique des salariés est insuffisante ou totalement inexistante – qu’exploitent les employeurs. Tributaires de revenus supplémentaires, les femmes sont obligées d’accepter de longs horaires, le travail sur appel ou de faire des heures supplémentaires. Cela se répercute fréquemment sur leur santé physique et mentale. La dépendance matérielle signifie aussi que les travailleuses ne peuvent pas se défendre contre le harcèlement sexuel. Les hôtels ou les bars qui suggèrent aux clients de se sentir « comme chez eux » gomment les frontières entre privé et public, si bien qu’il n’est pas rare que la clientèle se comporte comme elle ne le ferait jamais dans un contexte clairement public. Si la devise commune « l’hôte est roi » est vécue sans dimension morale, les employées n’osent guère dénoncer les comportements problématiques. Ou leurs plaintes restent sans suites. Un tourisme destructeur Les femmes sont aussi régulièrement touchées de façon disproportionnée par les grands projets touristiques. On reproche souvent à la construction d’infrastructures touristiques, d’hôtels ou d’installations de loisirs comme les terrains de golf d’accaparer des terres (landgrabbing). Dans les pays en développement, les nouveaux complexes hôteliers sont habituellement bâtis dans des zones écologiquement sensibles qui étaient auparavant utilisées pour l’agriculture ou la pêche de subsistance. Le tourisme déplace donc la population locale et l’exclut de l’utilisation des ressources librement disponibles dans les forêts ou à proximité des côtes. Des études montrent qu’il n’y a pratiquement pas de terres « inutilisées », car même celles qui ne servent pas à l’agriculture sont primordiales pour subvenir aux besoins de nombreuses personnes – pâtures pour l’élevage du bétail, lieu de collecte de bois de chauffage, de

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fruits ou d’autres ressources, ces surfaces contribuent de bien des façons à la couverture et à la diversification des bases d’existence. Ce sont souvent les groupes les plus marginalisés – éleveurs, sans terre, indigènes, femmes – qui bénéficient le plus de ces terres gérées pour la plupart en propriété collective. Quelques personnes trouveront peut-être un emploi dans les complexes touristiques. Mais dans des conditions de pauvreté, de sous-rémunération ou de précarité la plupart du temps. Très populaire aujourd’hui, le tourisme tend à accroître les désavantages structurels existants pour les femmes. Elles occupent des emplois non qualifiés, invisibles et mal rémunérés. Elles ne peuvent gagner en autonomie qu’à la condition d’accéder à des emplois visibles, dotés de pouvoir et de compétences décisionnelles. En outre, pour prévenir l’exploitation, un cadre juridique clair est nécessaire aussi bien dans l’hémisphère sud que sous nos latitudes. Des normes minimales doivent être fixées en termes de conditions de travail, et il faut protéger l’engagement syndical visant à améliorer ces dernières. Les projets touristiques doivent en outre être examinés sous l’angle de leur impact sur le contexte local. Outre le respect des droits de l’homme et la protection de l’environnement, une évaluation dans une perspective de genre est nécessaire. Pour que le tourisme contribue réellement à un développement durable, il doit changer de fond en comble. Un facteur clé à cet égard est bien entendu le comportement individuel : par notre demande de voyages, nous pouvons aider au succès d’un tourisme durable. La qualité a toujours son prix. Las Kellys En Espagne, les femmes de chambre se défendent contre la détérioration des conditions de travail dans le secteur du tourisme. Elles se font appeler « Las Kellys », de l’espagnol « las que limpian », à savoir celles qui nettoient. Au lendemain de la crise financière, les droits des travailleurs ont été assouplis en Espagne. Il y est depuis lors possible d’externaliser certaines tâches du secteur touristique. Cette externalisation sans régulation des salaires minimums a conduit à une détérioration massive des conditions de travail sur fond de hausse du chômage. Davantage de pièces à nettoyer dans le même temps, heures supplémentaires non rémunérées, baisse des salaires. Le rythme effréné et le stress augmentent le risque d’accidents et de maladies. Les « Las Kellys » espagnoles s’insurgent contre cette évolution et le font savoir haut et fort dans la rue et les médias sociaux. Leur travail invisible doit se voir.

Voyagez responsable ! Le portail de voyage fairunterwegs.org fournit des informations sur le tourisme et le développement durable. Il donne aussi des conseils pour la planification de voyages et propose un guide des labels pour un tourisme équitable et durable.

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PERSPECTIVE SUD

C’est un truisme : sans hommes faisant preuve d’ouverture d’esprit, il ne peut y avoir de progrès dans le débat sur le genre. Mais qu’en est-il lorsque, comme en Mongolie, les hommes sont les laissés pour compte de la formation ? Lkhamaa Dulam

Des hommes abandonnés

Les grandes distances dans la steppe mongole ne seraient pas surmontables sans camionnette. Photo : Lkhamaa Dulam

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Galaa 1 et son épouse Odnoo sont bergers dans la circonscription administrative (soum en mongol) de Tsenkher à près de 450 kilomètres de la capitale OulanBator. Ils ont deux enfants : un fils de 30 ans, Tumur, et une fille de 20 ans, Tuya. Tumur est également berger et n’est toujours pas marié. Dans les campagnes, il est d’usage de s’unir pour la vie à 25 ans au plus tard. « J’ai cherché une femme à marier dans toutes les vallées voisines, mais je n’en ai pas trouvé », confesse-t-il. Quant à Tuya, elle étudie à la capitale pour décrocher un bachelor. « Je ne retournerai jamais chez moi quand j’aurai mon diplôme. Je m’installerai en ville », dit-elle pleine de confiance. Interrogée sur la raison de sa décision, elle répond : « La vie nomade est si difficile. » Nous avons été régulièrement confrontés à des constellations familiales similaires en Mongolie rurale au cours de nos recherches dans le cadre du projet WOLTS 2. Des hommes célibataires nous confient que les très rares garçons qui ont déménagé à Oulan-Bator pour quelques années retournent à la campagne. La vie en ville pourrait être trop agréable. Les jeunes hommes surtout sont empêchés de prendre le chemin de la ville par leur famille, car leur présence est davantage nécessaire en pleine nature pour mener à bien le dur travail avec le bétail. La tradition bien ancrée Près de 20 % des ménages mongols maintiennent encore un mode de vie seminomade reposant exclusivement sur l’élevage. Et nous, Mongoles et Mongols, sommes fiers de cette identité de bergers inscrite dans nos gènes. Depuis des siècles, cette manière de vivre a été la meilleure façon de nous adapter à un écosystème fragile ; nous devons nous déplacer si nous voulons que notre bétail puisse paître. Les hommes et les femmes ont des rôles différents dans cette manière de vivre : les premiers travaillent principalement à l’extérieur et veillent à ce que les troupeaux aient de quoi manger et boire, tandis que les secondes s’occupent de la traite, de transformer le lait,

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Femmes interviewées dans le cadre de la recherche. Photo : Lkhamaa Dulam

de garder les enfants et du ménage. En Mongolie rurale aussi, il faut être deux pour danser le tango. Le passage rapide de la Mongolie du socialisme à l’économie de marché dans les années 1990 a accentué la pression exercée sur les jeunes hommes pour qu’ils gagnent de l’argent pour leur famille. Beaucoup sont devenus commerçants ou ont quitté la campagne pour tenter leur chance comme ouvriers dans des pays comme la Corée du Sud, les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Les portes des universités se sont en revanche ouvertes pour les jeunes femmes. Lors de mes études de bachelor, je me souviens qu’il n’y avait que quatre hommes dans notre classe, sur 50 étudiants. Dans les campagnes, les parents ont commencé à s’adapter au nouveau mode de vie en faisant en sorte que leurs fils, ou l’un d’eux au moins, restent à la maison pour conduire le bétail ; en revanche, ils envoyaient leurs filles à l’école et à l’université. Dans notre travail dans le projet

WOLTS, nous examinons certaines des conséquences sociales de cette pénalisation des hommes en termes d’éducation. Notre travail de terrain confirme pour les zones rurales ce que montrent les statistiques nationales pour la Mongolie dans son ensemble : les femmes sont nettement plus instruites que les hommes. Le Rapport mondial de 2018 sur l’écart entre les sexes indique que 86,1 % des femmes mongoles bénéficient d’un enseignement secondaire contre 77,7 % des hommes. Cet écart inverse entre les sexes s’accentue dans l’enseignement supérieur, auquel 76,4 % des femmes mais seulement 53,5 % des hommes ont accès. Enfin, les différences se reflètent également dans les proportions de femmes et d’hommes dans les professions techniques : 64,6 % de femmes contre 35,4 % d’hommes. Selon la loi mongole de 2002 sur l’éducation de base et l’enseignement secondaire, la scolarité obligatoire est de 12 ans pour tous les enfants. En soi bien

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Pour des transports sans marchandises, la moto est le premier choix. Photo : Lkhamaa Dulam

intentionnée, cette loi vise à mettre le système éducatif du pays en conformité avec les normes internationales mais exerce une pression supplémentaire sur le mode de vie semi-nomade traditionnel, qui est inévitablement soumis à des changements saisonniers. Avec seulement 1,9 habitant au kilomètre carré, la Mongolie est le pays le moins densément peuplé de la planète, et les écoles ne se trouvent que dans les capitales de districts, ce qui rend leur accès difficile pour la population rurale. Cette situation force les couples nomades mariés à vivre séparément la majeure partie de l’année afin que les mères puissent permettre à leurs enfants d’aller à l’école dans la capitale de la circonscription administrative. Des foyers froids Nous rencontrons Bold, qui reste seul au moins dix mois par an, tandis que sa partenaire réside au centre de la circonscription et s’occupe des enfants tout au

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long de l’année scolaire. Travailler avec le troupeau est dur en soi. Il doit désormais le faire sans soutien féminin. Il lutte pour la survie de son bétail, la seule source de revenu de la famille. Bold semble avoir perdu tout espoir, son ménage va à vau-l’eau ; aucun feu ne réchauffe la yourte et personne ne prépare le repas. Il lâche : « Sans ma femme, ce n’est pas une vraie maison ; je ne suis bon qu’à faire de l’argent ». Beaucoup d’hommes dans cette situation commencent à boire. L’alcoolisme est devenu un problème en Mongolie. Mais comment cette situation affecte-t-elle les femmes ? Beaucoup de filles qui étudient dans les universités d’Oulan-Bator, la capitale, travaillent comme commerçantes après avoir obtenu leur diplôme, d’autres comme serveuses. Les jeunes femmes parties en ville pour une vie meilleure ne peuvent de loin pas toutes faire carrière. La vie en ville est peut-être moins difficile physiquement mais peut se révéler

brutale d’une autre manière. À OulanBator, deux tiers de la population mongole sur plus de 3 millions d’habitants en tout, vivent aujourd’hui sur 0,3 % de la superficie nationale ; et dire que notre patrie se caractérise par des étendues quasiment infinies ! Les sujets que je décris ici contribuent aux graves problèmes sociaux de la capitale. Bon nombre de filles et de jeunes femmes d’Oulan-Bator qui n’ont pas de logement bien défini finissent par se prostituer ou sont victimes de la traite des êtres humains. Et même celles qui réussissent à faire carrière grâce à leur formation ont du mal à trouver un homme convenable, comme l’a récemment relaté le journal britannique The Guardian. Dans le cadre du projet WOLTS, lors de notre travail de terrain intensif dans trois différentes régions de Mongolie, nous rencontrons régulièrement ces problèmes de familles séparées et de bergers abandonnés. Nous, Mongoles et Mongols, devons de toute urgence chercher et trouver des solutions avant que notre identité mongole nomade et notre mode de vie pastoral traditionnel ne soient détruits. 1 Les noms ont été modifiés. 2 Women’s Land Tenure Security (WOLTS) est le fruit d’une collaboration entre les ONG Mokoro Ltd (Royaume-Uni), PCC (Mongolie) et HakiMadini (Tanzanie).

L’auteure Lkhamaa Dulam est co-fondatrice et présidente de l’ONG mongole People Centered Conservation (PCC) et membre active du projet Women’s Land Tenure Security (WOLTS).

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Pio Wennubst, vice-directeur de la DDC où il était responsable de la coopération globale, sera le nouveau représentant permanent de la Suisse auprès des organisations agricoles des Nations Unies à Rome (FAO, FIDA, PAM) ; on ignore encore qui prendra sa place. Autre changement à l’étage des dirigeants de l’agence suisse de développement : le nouveau responsable de la division réorganisée Afrique australe et Afrique de l’Est s’appelle Peter Bieler ; son prédécesseur Gerhard Siegfried a pris sa retraite. Barbara Böni tient désormais les rênes de la division Asie réunie (Asie du Sud et Asie de l’Est). Elle remplace Derek Müller qui reprend la division Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) nouvellement formée. Claudio Tognola devient le nouveau chef de la division Afrique de l’Ouest où il remplace Chantal Nicod en partance pour l’ambassade de Tirana (Albanie) en qualité de conseillère régionale en matière de santé. Felix Baumann, ancien consul général de Suisse à Milan, sera le nouveau chef des affaires multilatérales à la mission permanente de la Suisse auprès de l’ONU, à Genève, et envoyé spécial auprès du Conseil des droits de l’homme. Après cinq ans passés à l’Action de Carême, Doro Winkler (photo) revient au Centre d’assistance aux migrantes et aux victimes de la traite des femmes (FIZ), où elle est chargée des relations publiques et de la collecte de fonds. Elle reste membre du groupe d’experts sur la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe (GRETA). Après les vacances estivales, François Mercier reprendra le programme Matières premières et droits humains de l’Action de Carême. Dans la perspective d’une possible votation en février 2020, l’Initiative pour des multinationales responsables soutenue par 114 organisations de la société civile étoffe son secrétariat. Coordinatrice du comité Eco-

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nomie pour des multinationales responsables désormais soutenu par 125 entreprises, Daniela Kistler (photo) y travaille depuis quelque temps déjà. Dominik Elser collabore désormais au sein du secrétariat de campagne de l’initiative. Docteur en droit, on le connaît comme l’un des fondateurs de l’opération Libero. Ancien militant d’Amnesty International Suisse, David Cornut (photo) a rejoint la Croix-Rouge suisse (CRS). Spécialiste des affaires publiques, il y sera responsable des contacts avec les parlementaires du Palais fédéral. Eva Schmassmann (photo), ancienne présidente de la plateforme de la société civile Agenda 2030, succédera à Sara Frey à la tête du bureau de coordination de la plateforme. Le nouveau président sera Pierre Zwahlen, porte-parole de Federeso, le réseau des organisations de développement en Suisse latine. Luca Cirigliano de l’Union syndicale suisse – il remplace Zoltan Doka de l’Unia – et Martin Leschhorn Strebel, directeur de Medicus Mundi Suisse, ont été élus nouveaux membres du comité de la plateforme. Du nouveau à la direction de Swisscontact dont Samuel Bon continue de tenir les rênes : Anne Bickel (division People & Learning) et Philippe Schneuwly (division Partners & Clients), qui ont tous deux déjà travaillé pour la Fondation pour la coopération au développement proche des milieux économiques, sont nouveaux à bord. La succession du responsable des finances Urs Bösch, qui quittera Swisscontact cet été, est encore ouverte.

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Photos : màd

TOUR D’HORIZON


INFODOC

« Nos voix ne peuvent plus être ignorées » La tribu des Nagas est répartie sur le nord-est du sous-continent indien avec plus de 30 groupes ethniques. Leur nombre est estimé à 3 à 4 millions, répartis sur 120 000 km². Atina Pamei explique comment les femmes Naga promeuvent le processus de paix.  Simone Decorvet

« global » : Quelle est la place des femmes dans la vie quotidienne des Nagas ? Atina Pamei : La femme joue un rôle im­ portant dans la société Naga indigène, tant à la maison qu’au niveau commu­ nautaire. Mais l’image stéréotypée d’une femme Naga reste celle d’une femme nourricière, bienveillante, dé­ vouée et soumise qui doit faire tout le ménage chaque jour. L’énorme respon­ sabilité d’une femme Naga au sein de la famille est rarement reconnue dans les sphères politique et publique. Quel rôle le féminisme joue-t-il dans la vie des femmes autochtones aujourd’hui ? Les Nagas sont considérés comme éga­ litaires. Comparé avec la situation dans d’autres sociétés indiennes les femmes Naga occupent une position plus forte. Elles jouissent de la liberté de circula­ tion ; la protection des femmes par les membres masculins de la société est d’une importance capitale. Cependant, la société Naga est aussi loin de l’égalité des sexes. Elle est liée à un cadre patriar­ cal dans lequel la position des femmes est limitée par des pratiques et coutu­ mes traditionnelles qui sont souvent discriminatoires. En outre, les expé­

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Le Nagaland est un État fédéral indien depuis 1963, mais les conflits avec le gouvernement central se poursuivent. Photo : B. Mathur / Reuters

riences de conflit, de militarisation et de violence que la société naga a connues historiquement sont un facteur impor­ tant qui a façonné les relations sociales, politiques et de genre. Le féminisme des Nagas représente donc la justice entre les sexes, la paix et la justice sociale. La consolidation de la paix a toujours été le rôle traditionnel des femmes. Le leader­ ship féminin dans ce domaine est ac­ cepté parce qu’il ne remet pas en ques­

tion les rôles traditionnels des sexes. Le mouvement pacifiste des femmes Naga a non seulement redéfini la paix, mais il a aussi créé la possibilité de réviser les stéréotypes sexistes qui ont jusqu’ici ex­ clu les femmes du pouvoir. Quels sont les principaux défis pour les femmes autochtones ? La tradition politique exclut la partici­ pation des femmes aux processus déci­

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sionnels politiques, juridiques et écono­ miques. Les femmes n’ont toujours pas le droit d’hériter. C’est l’homme Naga qui définit la culture et la tradition des Nagas à ce jour. Récemment, les reven­ dications des femmes en faveur de la participation politique se sont heurtées à une forte opposition de la part des hommes Naga. De plus, les plus grands défis pour les femmes Naga sont la militarisation et la violence, qui entravent une vision com­ mune d’un avenir pacifique et juste pour la nation Naga. La vie dans les zones de conflit armé a aggravé la situation des droits humains des femmes et des ­hommes Naga. Le seul espoir pour la re­ construction de la société Naga est la résolution du conflit politique entre la population majoritaire indienne et les Nagas et la démilitarisation de la société Naga. En quête de paix et de justice, les femmes Naga se sont organisées au sein de la Naga Women Union (NWU) et de la Naga Mothers Association (NMA). Les deux organisations collaborent étroite­ ment avec d’autres organisations de la société civile dans le processus de paix. Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a soutenu à plusieurs reprises la NWA dans sa campagne internationale et son travail de lobbying par des mesures de grande envergure. Les voix des femmes Naga d’aujourd’hui ne peuvent être igno­ rées ni par le gouvernement indien ni par les groupes armés des Naga.

Atina Pamei est une militante des droits humains qui lutte pour les droits des femmes autochtones et des minorités en Asie. En 2014, elle a été Senior Indigenous Fellow au Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et, ce printemps, conférencière invitée à l’InfoDoc à Berne. Photo : zVg

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La plateforme web Wikigender En 2015, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) lançait une nouvelle plateforme sur les inégalités homme-femme réu­ nissant décideurs politiques et experts des pays développés et en développe­ ment. La plateforme, d’abord publiée en anglais, a rapidement été traduite en français et en espagnol. Comme son nom l’indique, ce projet emprunte à Wikipédia ses qualités d’ou­ verture et de partage à toutes et tous. « La plateforme offre un espace centra­ lisé pour échanger les connaissances sur les principales questions émergentes, en mettant l’accent sur les Objectifs de développement durable (ODD), et tout particulièrement sur l’ODD 5 (égalité des sexes). » Pour ce faire, le projet Wikigender s’ap­ puie sur trois « produits institutionnels » développés par l’OCDE : – La base de données « Genre, Institu­ tions et Développement » (GID-DB) – L’indicateur « Institutions sociales et égalité femme-homme » (SIGI) – Le portail de données homme-femme de l’OCDE À cela s’ajoute une offre de textes acces­ sibles par région du monde et/ou par thème. On trouve également une revue de presse mensuelle en anglais et en français. Une fiche-type pays fournit des infor­ mations dans trois domaines : éduca­ tion, santé et emploi. Ces données ne

permettent pas de se faire une idée de la situation des femmes dans ses différentes dimensions. Le site fournit heureu­ sement quelques liens externes qui per­ mettent de compléter le portrait du pays, tel que le lien sur le rapport de Human Rights Watch concerné. Les utilisateurs peuvent participer au portail en partageant des informations (événements, actualités, etc.), en met­ tant à jour des articles thématiques ou encore en participant au forum. Si l’in­ ternaute connait particulièrement bien le sujet ou un aspect de celui-ci, il peut créer des articles. Il est légitime de se demander quelle efficacité peut avoir une telle plate­ forme. Car pour pouvoir participer à un tel projet, il faut quelques prérequis : savoir lire et écrire, posséder ou avoir accès à un ordinateur et à une connexion Internet. Il est en outre bien dommage que la dimension audio – dont on connaît l’importance dans les pays du Sud – soit absente du projet. Il n’en reste pas moins qu’il faut sa­ luer ce type d’initiative. Elle permet de poser un autre regard sur des sujets peu abordés dans les médias grand public. PF Le site : www.wikigender.org

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FAITS ET CHIFFRES

Femmes-hommes : labeur et l’argent de labeurt Volume de travail rémunéré et non rémunéré (2016)

4860

183

193 154

290

Femmes

re

monde

nt, me e n g . ei Ens é, etc t n a s

Ga r et s de oin s

lat évo sé n é B ani org

pays à faible revenu

Hommes

ultu

142

346

322

Ad m ser inistr a vic es tion,

rie

ust

Ind

Agr ic

192

83

249

234

Suisse

3032

(min/jour)

pays à haut revenu

Rémunéré

International

pays à revenu moyen

travail rémunéré

Suisse

(mios h/an)

66

89

135 167

Hommes

est

dom

Bén év info olat rme l

x vau Tra

Femmes

262

267

es

iqu

265

5667 3578

En Suisse, les femmes effectuent

61,3 %

du travail du care non rémunéré.

257

travail NON rémunéré

NON rémunéré

Sources : Mascha Madörin, Organisation internationale du Travail, Office fédéral de la statistique

258

Au niveau mondial, les femmes font

76,2 %

du travail du care non rémunéré,

soit l’équivalent de

1,5 milliard

de personnes travaillant chaque jour 8 heures gratuitement.

Infographie : mirouille

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