Les Utopies, des outils pour repenser le projet?

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Les utopies, des outils pour repenser le projet ? Anaïs Callipel rasa. La composition de cette nouvelle ville, s’ajoutant sur celle existante, imbrique deux systèmes : Le système primaire ou « macrostructure » assure la « tache infrastructurelle » de la ville, sa distribution, et son organisation générale, tandis qu’un système secondaire, dit « microstructure » de remplissage, s’y intègre. Ce dernier est plus libre et permet d’accueillir les mutations de la ville, il offre également une diversité de construction par la possibilité d’y intégrer des enveloppes flexibles. Ce qui se recoupe avec les théories d’autoplanification de Yona Friedman.

Les dessins d’architecture utopiques ou projets « de papier » se retrouvent dans différents types d’œuvres architecturales : dans les utopies, les mégastructures critiques, l’architecture radicale, expérimentale, les concours d’idées, etc. Ils se rapprochent également d’autres arts que l’architecture, comme le land art, l’installation, la performance,... Autant de créations qui interrogent l’espace, mais le font autrement que par la préfiguration de forme à réaliser Est-il possible de penser un projet d’architecture autrement que comme la construction d’un édifice, d’un morceau de ville ou d’une forme définie ? Qu’est-il donc alors ? Une référence, une proposition à saisir, une question laissée en suspend pour les générations futures ? Nous étudierons tout d’abord comment ses projets « de papier » ont-ils été pensés et conçus. Nous verrons quel rapport ils entretiennent avec le réel à un moment et dans un contexte social donnés. Ces projets deviennent l’occasion d’expérimentation des idées et des outils. Aussi ce sont des projets de société dont la réception est pensée dès la production. Enfin nous verrons que ces projets amènent de nouvelles notions pour penser le projet, ils deviennent alors outils de travail.

Ville spatiale, 1959-60, dessin, encre et aquarelle sur papier, 21x29,7cm dans Architectures expérimentales p.212

L’utopie, un projet de l’idée.

Cette théorie de l’autoplanification, Yona Friedman l’a publié à de nombreuses reprises. A partir de l’opposition « dehors/dedans », Y.Friedman fait parvenir l’utilisateur à un « schéma de liaisons », et finalement, à un langage architectural complet […] Du schéma de liaisons mis au point par les utilisateurs ; on passe au stade des « patates », puis au plan1.

En étudiant des projets précis, exprimé par plusieurs médias, il s’agit de comprendre cette approche. Intéressons-nous à plusieurs exemples : - La ville spatiale, de Yona Friedman, 1959-60 - Monument continu, de Superstudio, 1969 Le projet de Yona Friedman propose une nouvelle organisation de la ville, cependant il conserve la ville existante et ne part pas de l’hypothèse d’un taboula

1. Yona Friedman, Théorie & Images, Institut Français d’Architecture, 2000. L’autoplanification. Cf. Iconographie n°1.

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Plusieurs photomontages illustrent ce projet dans différentes situations, et dans des géométries variables (en croix, en créneau, pont, etc.) Vu uniquement de l’extérieur et peu détaillé, c’est une illustration des idées fortes de l’époque, avec l’expansion des réseaux informatiques, et la pensée des flux à grandes échelles. Le Monument continu traverse la planète comme les autoroutes (Motorway4), enjambe les villes comme un pont traverse un fleuve, et les franchi comme s’il s’agissait d’un désert (Arizona Desert5). Superstudio confronte sa structure à différent environnement en modifiant sa géométrie ce qui génère un projet à série sans cesse réinterrogé. Le groupe s’intéresse principalement à une architecture conceptuelle au champ étendu, l’architecture comme critique ou philosophie, imaginaire, impossible, réfléchie ; l’architecture comme métaphore et parabole.

Ce projet de la ville spatiale, Friedman va le développer en dessins, mais également en maquettes, puis va faire des photomontages pour l’insérer dans plusieurs villes. Mais, le système constructif n’apparaîtra pas forcément de façon évidente sur des plans. Il n’est pas nécessaire, par contre, qu’il soit présenté avec des dessins techniques : des instructions, même verbales, peuvent suffire à sa réalisation2. Il produira sur ce projet pendant plus de deux ans mais continuera à développer cette théorie par des écrits Dix ans plus tard, en 1970, le groupe Superstudio entamera le monument continu, et multipliera les supports de communication par les média de ce projet. Il s’agit d’une structure tridimensionnelle continue qui génère la ville et l’architecture dans un même projet, enjambant reliefs et villes existantes sans la moindre perturbation de son système3.

Ces architectes utilisent donc les outils de la conception et les moyens de représentation du projet architectural pour communiquer leurs idées et leurs théories car en effet les changements qu’ils projettent sont davantage conceptuels que formels. Il s’agit bien là de théoriser l’architecture de demain, de la communiquer par l’image et de la rendre accessible. L’utopie dans son rapport au réel. Ce n’est pas pour autant que leurs projets ne s’inscrivent pas dans le réel, bien au contraire. Ces « architectesconceptuels » cherchent, par la communication imagée, à populariser une certaine théorie de l’architecture. Mais ils ne sont plus à la recherche d’un monde idéal et parfait mais cherchent les moyens d’amélioration du monde existant, ou bien à faire réagir les utilisateurs sur leur environnement. Ils ne sont plus dans le rêve mais ancrés dans la réalité. L’utopie n’est pas dans la fin mais dans la réalité6.

Monument continu, photomontage, dans Architecture instantanée, nouvelles acquisitions p.21

2 Yona Friedman, Théorie & Images, Institut Français d’Architecture, 2000. Projets imaginés. 3 Ch.Béret, Ch.Burgard, Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000, Centre Georges Pompidou, 2001, Catalogue d’exposition, Superstudio. p. 176.

4 Cf Iconographie n°2. 5 Cf Iconographie n°3. 6 A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002. p.17.

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Ces architectes dits « de l’utopie » avancent leurs théories de façon prononcée et affranchie, tout en faisant preuve d’une certaine modestie. Ils ne prétendent pas détenir la solution, mais présentent un état des lieux, un constat de la situation, d’où ils tirent un postulat. Le mouvement « radical » ne se proposera jamais de penser une ville meilleure, pour une société meilleure ; il opéra plutôt en terme de réalisme critique, en démontant les utopies existantes pour mettre en lumière les contradictions générales et partielles de la ville et la société7.

utopique ils dénoncent les menaces de l’utopie rationnelle. 9 Il s’agit là de s’interroger sur le devenir de la société et de proposer une organisation spatiale dans laquelle celle-ci pourrait se développer. Dominique Rouillard distingue trois relations de l’architecture au monde, trois méthodes de sauvetages10 dans les années 1950 à 1970. Elle parle en premier lieu de l’architecture de la consommation, ou l’adéquation, où l’on retrouve notamment les Smithson avec l’idée de ville comme « espace relationnel », la pensée en système, l’architecture en diagrammes, la réduction de l’expression architectonique au profit des usages, et les premières superpositions à la ville existante de réseaux de flux.

Une volonté d’accessibilité aux non professionnels est présente dans l’ensemble de ces projets comme pour alerté les principaux concernés qui apparaissent souvent dans les propos des auteurs: la population, les utilisateurs, la masse… Friedman, avec son système d’autoplanification s’insérant dans sa structure globale, invite l’habitant à la conception de son habitat, et offre ainsi à chacun une part d’expression dans la construction de la ville à l’image de la société. Des enveloppes flexibles dans une structure rigide peuvent être la solution pour la société « individualiste en masse8 ». Il présente sa théorie par des dessins quelque peu naïfs qui permettent une compréhension directe de son propos. Il cherche à multiplier les médias de communication afin de quitter les plans, coupes et élévations traditionnelles pas forcément accessibles pour des non « techniciens-architectes ». Les utopies et mégastructures d’Archigram, Archizoom, Superstudio… ont une volonté critique évidente et tentent d’expliquer la situation dans laquelle se trouve l’architecture et l’urbanisme de cette époque. Ils mettent en exergue les problématiques que rencontrent la société. Ils décrivent avec un grand détail des univers imaginaires dans lesquels s’exprime toute l’absurdité du monde en train de se construire selon les dogmes du mouvement moderne. Usant d’une parodie du genre

Vient enfin la contre-utopie où le projet devient avant tout un constat du présent. L’extrapolation excessive des ses thèmes produit des mégastructures « autocritiques » où l’utopie n’a plus de morale, le projet plus d’avenir11. Archizoom et Superstudio pousseront le procédé encore plus loin en imaginant le malheur de l’homme avec la « dystopie » architecturale et l’introduction de la sciencefiction négative. L’utopie n’est plus à réaliser. Le projet autonome, libéré de la construction, de la société, du vraisemblable, se transforme en outil pour imaginer, créer, interroger l’architecture ou la société

7 A.Branzi, Le mouvement radical, dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003. p. 35 8 Yona Friedman, Théorie & Images, Institut Français d’Architecture, 2000.

9 P.de Moncan, Villes révées, Les Editions du Mécène, 1998. p.124. 10 D.Rouillard, Superarchitecture, le futur de l’architecture 1950-1970, La Villette, 2004 ; introduction p. 13. 11 id. introduction p. 15. 12 id, introduction p.15.

Puis vient ce qu’elle nomme l’invention du monde où il s’agit non plus de trouver les formes qui s’adaptent à la société qui change mais d’inventer des systèmes qui anticipent ces changements : C’est à ce groupe qu’appartiennent les mégastructures de Yona Friedman et de Constant Nieuwenhuys entre autre. Celles-ci se composent d’un système primaire auquel s’ajoute un système secondaire plus libre.

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une base de travail, une analyse, un constat, un état des lieux de là où ils en sont dans leur travail. Ces images rendent compte des problématiques qu’ils souhaitent étudier et dessinent leur ligne de conduite. L’architecture radicale inverse le procédé : elle assume l’utopie comme une donnée initiale de travail et la développe de façon réaliste. Une fois le procédé terminé, rien n’est exclu, tout s’accomplit, comme un acte parfaitement réalisé en lui-même, comme une pure énergie créative transformée, sans pertes, en énergie constructive15.

contemporaines. L’idée d’un mouvement « radical » s’installe12. En effet Andréa Branzi et les groupes du mouvements « radical » redéfinisse l’architecture. La séparation entre les activités créatives et les activités édificatrices traditionnelles, à l’intérieur de la discipline architecturale, permet d’explorer les motivations primaires qui sont au sommet de l’architecture, avant même qu’elle ne s’identifie avec ces systèmes constructifs et linguistiques13. Les activités créatives, que ces architectes développent alors, sont un moyen de questionner et de redéfinir leur discipline. Ils se créent leurs propres outils pour penser le projet.

Ces images/projets deviennent slogan, profession de foi, ou référence de convictions de leur auteur. Elles sont

Aussi on constate avec étonnement que ces architectes ne se sont pas contentés de produire des icônes, mais ils ont sans cesse réinterrogés, retravaillés, et approfondis le projet. Ainsi, Y.Friedman applique dans son projet de la ville spatiale (1959) son manifeste de La ville mobile (1958) et adapte ensuite ce projet aux villes de Monaco (La Venise monégasque 1959), Paris (Paris Spatial 1959), Tunis (1960), Venise (1969), mais fait aussi des propositions pour l’Afrique (1959) en utilisant les techniques de construction locales. Ces différents projets ne présentent pas de façade. Mais Comment faire un véritable aménagement, une vraie façade qui suive les principes de l’architecture mobile si le projet s’élabore en l’absence des vrais utilisateurs futurs ? 16. C’est entre autre cette question qui l’a amené à un autre projet, celui du Flatwriter (1969). Il s’agit d’un premier essai pour avoir un outil servant l’autoplanification, étudié à l’occasion de l’Exposition Universelle d’Osaka. C’est une machine à écrire qui permet à un utilisateur de « taper » le plan de l’appartement qui lui plairait. Cette machine permet d’indiquer : l’assemblage de 3 volumes, les formes que ces volumes pourraient avoir, la situation des pièces d’eau, ainsi que l’orientation voulue. Dans l’ensemble de ses projets, on peut voir que Yona Friedman cherche toujours à se rapprocher au mieux des attentes des utilisateurs. Ainsi le qualificatif de

13 A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002. p.17. 14 Yona Friedman, Théorie & Images, Institut Français d’Architecture, 2000. chap. Imaginer l’architecture

15 A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002. p.19. 16 Yona Friedman, Une utopie réalisée, Catalogue de l’exposition Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1975. p. 64.

L’utopie comme expérimentation des situations et des méthodes d’intervention architecturale. Il s’agit donc de mettre en image ses idées pour les communiquer. Les projets « imagés » ne sont pas que des « dessins sur papier » ; ils résultent d’études, de réflexions, d’essais, d’expériences et quand on les présente sur papier, c’est pour les communiquer, les visualiser14. Ces images sont porteuses de concepts, de critiques, d’états des lieux, d’idées, de dispositifs…qui sont autant d’outils et de références réutilisables pour des projets à venir. Ces images acquièrent un statut d’œuvre, et fonctionnent comme références, mais surtout ont une autonomie en tant qu’œuvre. Il y a une certaine analogie entre architectes et artistes, une analogie de méthode entre ce qui est figuré et ce qui figure. Le projet est pensé non plus uniquement comme procédé qui abouti à l’édification mais comme quelque chose qui peut amener à une ré interrogation plus grande, le projet comme processus.

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« facilitateur » qu’on singulièrement fondé.

a

pu

lui

donner

environnant18. Il s’agit en fait de 12 projets de villes où chacune est conçue et produite avec l’extrapolation de traits ou « assertions confiantes de la science de la ville » (zoning, uniformité, « cellule » d’habitation, transparence des relations intérieur/extérieur, besoin des usagers, industrialisation de la construction, climatisation, etc.) […] chaque ville idéale fonctionne comme une machine pour habiter et respecter le système autoritaire qui gouverne la société19. Il s’agit là de parabole sur les contradictions de la ville, et donc de la société, contemporaine20.

apparaît-il

Yona Friedman, Le Flatwriter, schéma issu de Une utopie réalisée.

De même Superstudio réutilise tout au long son propre travail et reprend les intuitions formulées dans Histogrammes d’architecture (1969) et en aboutit la forme dans le Monument continue (1969-71)17. Les Histogrammes dévelloppent un système de conception abstraite d’ « entités neutres et disponibles » proposant un « schéma comportemental » à appliquer à des zones et à des échelles diverses. De 1969 à 1972 le groupe décline des projets à séries dont le Monument continu, ou encore Les douze villes idéales. Dans ce dernier, le projet est envisagé de plus en plus clairement comme contre-utopie, cauchemar urbain dont l’horreur aura pour effet d’éveiller chacun à la conscience de l’aliénation et de l’absurdité du monde

Superstudio, Histogrammes d’architectures, 1969-2000, installation en 31 éléments, 150m², Carreaux blancs Résopal, Institut d’Art contemporain FRAC Rhône-Alpes/Nouveau Musée, « Architecture radicale », 12 janvier-27 mai 2001 Dans Architectures Expérimentales 1950-2000, Superstudio p.473.

Cette réutilisation d’anciens projets comme outils de travail, cette réinterrogation perpétuelle, conduit ces architectes dans une logique de projet plus grande. C’est un projet de discipline qui se construit. Ces 18 Ch.Béret, Ch.Burgard, Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000, Centre Georges Pompidou, 2001, Catalogue d’exposition, Superstudio. p. 178. 19 ib. p. 178. Cf. Iconographie n°4-5. 20 Cf. citation note 7. « réalisme critique, démontant les utopies existantes… »

17 Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003. Superstudio. p. 472.

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architectes ont su trouver une continuité entre leurs différents projets et ainsi les enrichirent. Ces projets imagés, communiqués, théorisés qui servent d’outils pour ces architectes-conceptueurs vont ainsi devenir des références pour d’autres architectes.

pratique du concours d’idées, spontané ou organisé, a aussi pour intérêt de montrer ces problèmes et par l’intermédiaire des solutions proposées, de contribuer à bien les poser. […] Le projet qui est souvent pensé comme la suite ou la conséquence de la commande, ici, dans cette procédure particulière, la précède23. Cela permet de réinterroger la discipline architecturale et d’ouvrir ainsi le débat. Ces architectures changent alors de statut. Des architectures qui ne tirent pas leurs effets de leur présence, mais de leur fonctionnement en tant que dispositifs, de ce qu’elles engendrent au-delà d’ellesmêmes. Le projet n’est pas achevé de par sa propre existence, il vise à produire des effets en dehors de lui. Un nouveau classement – naturellement instable- des édifices s’installe : 1_ Ceux qui tiennent leur qualité de leur réalité physique, en tant qu’objet. 2_Ceux qui tiennent leur qualité de ce qu’ils permettent, de ce qu’ils engendrent au-delà d’eux-mêmes. Machines à percevoir, machines à inventer des usages, à produire des sensations ou des effets sociaux. Cette deuxième catégorie est porteuse d’invention24.

La réception des utopies et la réappropriation par d’autres. Yona Friedman, Constant Nieuwenhuys et les métabolistes japonais ont définit tous les principes de la mégastructure, ce qui va énormément apporter à la pensée architecturale : l’homogénéisation du l’urbanisme de nappe, la fin du zoning, la disparition des distinctions typologiques, la superposition de la ville sur la ville, la conception d’une ville interactive et l’introduction de l’informatique. Les radicaux on redéfini l’approche du projet d’architecture. Le XXIe siècle doit beaucoup à certaines composantes « radicales » et, en particulier, à celles qui furent les premières à poser l’hypothèse d’une modernité qui se révise elle-même, dans un esprit de libéralisation radicale de toutes les énergies conceptuelles présentes dans la société21 L’expérience de l’avant-garde « travaille dans « une nouvelle utilisation sociale de la culture « , qui consiste dans l’entière récupération par la société de toutes les facultés créatives individuelles, comme un droit naturel et non comme un message codé22. Aussi le projet devient ré appropriable par d’autres.

Un projet sans réalisation concrète aboutie dans le temps, mais toujours en évolution, sans cesse réapproprié. Un projet s’inscrivant de fait dans une pensée de l’architecture mais aussi dans la pratique des architectes qui s’y réfèrent. Franck O. Gehry, Hans Hollein, Daniel Libeskind, Arata Isozaki, Toyo Ito, Rem Koolhaas, Bernard Tschumi et tant d’autres sont des héritiers directs du mouvement « radical » ou, du moins, le reconnaissent comme l’inspirateur de leur manière de faire (ou de ne pas faire) de l’architecture25. Ces architectes sont mondialement connus, et vendent très bien cette « liberté » de la pratique architecturale.

Il me semble judicieux de rapprocher les utopies de Superstudio et des radicaux en général du concours d’idée tel que Jean-Pierre Epron le définie. En effet les projets des radicaux en reprennent les grands fondements : Le concours spontané désigne le problème à traiter, en démontre l’urgence, exerce une pression sur l’autorité, prépare ou conditionne l’opinion. […] La

23 JP.Epron (dir), Architecture, une anthologie Tome 3 La commande en architecture, Pierre Mardaga, 1992. p. 49. 24 A.Guiheux, Architecture-action, une architecture post-théorique, Sens&Tonka, 2002 25 A.Branzi, Le mouvement radical, dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003. p.33.

21 A.Branzi, Le mouvement radical, dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003. p.33. 22 A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002. p.19.

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La pensée utopiste pour penser le projet de société.

l’existence de l’objet construit. Une architecture active, agissant comme déclencheur ou transformateur29. Le fait de penser un projet comme une critique ou un état des lieux pouvant servir comme outils de base pour les générations futures d’architectes a permis cela. Le projet n’est plus dans l’aboutissement d’une forme ou même d’une pensée, mais devient comme intermédiaire suscitant un questionnement plus grand dans l’évolution de l’architecture. Le projet est pensé dans une continuité plus vaste.

Ces architectes réinterrogent les fondements même de leur discipline et acquièrent ainsi ce qu’Alain Guiheux appel Architecture-action, à savoir le pouvoir de l’achitecture de « faire bouger les chose » autrement que par la maîtrise d’œuvre. Une telle direction est obtenue par un travail corrosif « à l’intérieur » des structures de l’architecture, à l’intérieur du spécifique architectural ; au moment où les expérimentations des groupes sortent de cette conditions et perdent un quelconque degré d’incidence pour se convertir en art de galerie. L’acceptation d’une « limite disciplinaire » a toujours été une option importante des avant-gardes historiques, une option qui agi comme un signe réducteur des structures technologiques professionnelles.[…]ils pouvaient, de fait, agir dans les lieux, dans les conditions et à l’intérieur des systèmes de communication traditionnels, pour les perturber26. Les dommages qu’ils ont causés […] ont été, peut-être, irréparables. Ils auraient été nuls s’ils avaient déduit de leurs découvertes, une motivation pour une « non-action », pour une sortie de scène ou pour un silence ironique27.

Ces projets de « papier » deviennent des références pour moi, dans ma façon d’appréhender le processus de projet. L’interrogation continuelle des productions effectuées devient le projet d’une vie. Le projet n’est donc plus uniquement le processus qui délivre un projet d’architecture, mais devient un projet de société, une construction de la pensée, une culture de la connaissance qui s’accroît tout en laissant le temps à la maturation des idées. En interrogeant des champs disciplinaires variés, de l’art, des sciences sociales, etc. (selon ses intérêts propres), en les croisant, les confrontant, et en analysant leurs interactions afin de les enrichir on définie son propre « terrain de jeux ». La maîtrise de ces différentes disciplines devient autant d’outils de communication de sa pensée. En questionnant les limites de ces disciplines, et aussi leurs fondements, il s’agit de constater ce qui nous entoure, de mieux le comprendre afin d’en tirer un postulat de départ, son postulat à soi. Cela devient une base de travail inépuisable car toujours ré interrogeable. C’est dans cette démarche d’expérimentation, de manipulation, que j’aimerai me placer. Ainsi le but ultime devient d’amener les concepts et les théories toujours plus loin, dans une justesse toujours plus fine et plus précise. C’est un ajustement constant. Cependant, ce mode d’approche implique une certaine modestie, car il pose le fait que rien n’est jamais aboutit, tout est toujours perfectible. Aussi il devient nécessaire de ne plus penser à l’échelle d’une vie, d’une génération où

Ce travail à l’intérieure même de la discipline, le mouvement radical l’a fait. Le mouvement « radical » se présentait comme un mouvement qui voulait se libérer de l’architecture, comprise comme une discipline exclusivement vouée à la construction ; il s’agissait de défendre au contraire une culture de la connaissance, de la critique, de la créativité, dotée de sa propre vision du monde28. Il s’agit donc de produire de la connaissance et non de la forme, Construire une architecture en tant qu’elle produit des transformations qui vont au-delà de

26 A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002. p.22. 27 ib. p.22. 28 A.Branzi, Le mouvement radical, dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003. p.33.

29 A.Guiheux, Architecture-action, une architecture post-théorique, Sens&Tonka, 2002

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d’une époque mais dans une continuité plus grande et inconnue. Ces questions que l’on en vient à poser peuvent (et doivent) être investies par d’autres, réappropriées, approfondies et amener sur de nouvelles interrogations pour prendre tout leur sens. Le processus devient donc infini. Réinterroger sans cesse la société dans laquelle nous vivons pour envisager un futur possible, plutôt que de répondre à l’avenir ponctuel de certains. C’est dans l’essence même de l’homme que de chercher à aller toujours plus loin, à en savoir toujours plus…

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BIBLIOGRAPHIE Ch.Béret, Ch.Burgard, Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 17892000, Centre Georges Pompidou, 2001, Catalogue d’exposition, Superstudio P.Bonin (dir), Architecture espace pensé espace vécu, Ed Recherches, 2007. A.Branzi, L’architecture c’est moi, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002 A.Branzi, Le mouvement radical, dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans HYX, 2003 A.Branzi, No-Stop City, Archizoom Associati, Ed Orléans HYX, 2006. JP.Epron (dir), Architecture, une anthologie Tome 3 La commande en architecture, Pierre Mardaga, 1992. Yona Friedman, Une utopie réalisée, Catalogue de l’exposition Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1975 Y.Friedman, Utopies réalisables, Paris, Ed 10/18 Union générale d’Editions, 1976. Y. Friedman, Théorie&Images, Institut Français d’Architecture, 2000. A.Guiheux, Architecture instantanée, nouvelles acquisitions, Paris, Ed Centre Pompidou, architecture, 2000. A.Guiheux, Architecture-action, une architecture post-théorique, Sens&Tonka, 2002 C.Jencks, K.Kropf (dir), Theories and Manifestoes of Contemporary Architecture, Chichester, Wiley-Academy, 1997. JP.Midnant (dir), Institut français d’architecture, groupe SCIC, Dictionnaire de l’architecture du XXe sciècle, Paris, Ed.Hazan, 1996. P.de Moncan, Villes révées, Espagne, Les Editions du Mécène, 1998 D.Rouillard, Superarchitecture, le futur de l’architecture 1950-1970, Paris, La Villette, 2004 C.Toraldo di Francia, Superstudio&Radicaux, dans Architecture radicale, Orléans HYX, 2002

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ICÔNOGRAPHIE 1_ Yona Frideman, Manuel d’autoplanification, dans Théorie&Images.

3_ Superstudio, Monument continu, Arizona, 1969. Collage sur tirage photographique, 49,9x64,7cm dans Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000. p.177.

2_ Superstudio, Monument continu, Motorway, 1969. Collage sur tirage photographique, 49,7x64,7cm dans Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000.

4_ Superstudio, Les douze villes idéales, Ville 2000 tonnes, 1972. Photomontage, 65,7x92,8cm. Dans Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000. p.178.

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5_ Superstudio, Les douze villes idĂŠales, Ville conique, 1972. Collage montĂŠ sur carton, 49,5x70cm. Dans Nouvelles de nulle part, utopies urbaines 1789-2000. p.179.

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