POUR TOI...
C'EST QUOI LE MIIC ?
VOIR AVEC D'AUTRES YEUX Flavia
ALLER PLUS
UNE
CONSTANTE
LOIN
DÉCOUVERTE
ET
ENRICHISSANTE
DANS TOUS LES
DOMAINES Agnes
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Thipaine
C'EST UNE
ATTITUDE
UNE FAÇON DE
PENSER
DIFFÉREMENT
RÉINVENTER LE
MONDE
Masha
Rubí
UNE
FORMATION POLYVALENTE QUI NOUS PRÉPARE AU MONDE
DE DEMAIN Sofiane
UNE
RENCONTRE DES DIFFÉRENTES CULTURES ET
EXPÉRIENCES DANS LE BUT DE CONSTRUIRE
DES NOUVELLES CONNAISSANCES
UNE SECONDE CHANCE Fanny
Alejandro
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S
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VIVRE L'ART AUJOURD'HUI 8 Marchandisation de l'Art 10 La Passion Van Gogh 12 Art Contempo-rien?
14 Typologies des visiteurs pénibles dans les lieux culturels
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BRISER LES CHAÎNES Kathryn Bigelow 18 Le Fantastique comme réponse au désenchantement Moonlight
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Pour un design éthique
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39 REGARDS D'ICI ET D'AILLEURS Série photos Paris Mon Amour
Dragqueen
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COMPRENDRE DEMAIN Fashion Datas 54
Bitcoin ou la création de nouveaux signes monétaires
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60 MIIC recommande 61 One Day of Cultural...Innovation
The purpose revolution 58
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REMERCIEMENTS 62
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SALUT Anderson Norberto
Directeur de la Production Graphique
Fanny Lebreton
Rédactrice en Chef
Rubí Alvarado
Directrice Artistique
Edwige De Poortère
Directrice Éditoriale
INTELLIGENCE ET INNOVATION CULTURELLES Voilà bien un acronyme qui, même une fois développé, ne veut pas dire grand-chose. On ne compte plus les fois où l’on nous a demandé d’expliquer en quoi consistait le master. Quel élève n’a jamais entendu « Innovation ? Tu travailles dans un laboratoire ? », « Culturelles ? Ça doit être barbant … », ou encore « Intelligence ? Pas trop prétentieux comme cursus… ». La vérité est que le MIIC n’est rien de tout ça. C’est avant tout une ouverture sur le monde contemporain et des professeurs qui nous arment des outils nécessaires pour affronter la vie active. Dans le MIIC, on apprend à être curieux de tout et questionner chaque petite chose. Et quel meilleur support pour coucher nos questions et observations sur papier qu’un magazine ? Mais assez parlé. Et si, au lieu de grands discours et paroles sans grand sens on vous montrait ce qu’est pour nous le MIIC ?
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VIVRE L' ART
AU JOUR D'HUI. 6
L’Art est partout. Nous en faisons l’expérience tous les jours, parfois même sans nous en rendre compte. Avec le temps, notre façon de vivre l’art a bien évolué. Aujourd’hui, il nous est possible de revivre l’histoire d’un peintre à travers ses tableaux sans même avoir à se déplacer et supporter le comportement parfois peu respectueux des autres visiteurs du musée. Mais l’Art lui-même a également beaucoup changé, tout comme le marché qui l’accompagne. Nous ne pouvions donc pas faire ce magazine sans parler de l’expérience de l’art telle que nous la vivons aujourd’hui.
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MARCHANDISATION DE L'ART: MOYEN D'EMANCIPATION SOCIALE OU OUTIL DE PROFIT. PAR RUBÍ ALVARADO ESCOBEDO
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ien que le sujet de l'art par rapport aux intérêts commerciaux ait été étudié en profondeur et que la portée de cet exercice n’en permette pas une exploration complète, il est important d’observer les oppositions croissantes entre un art utilisé comme outil d'accumulation au profit du capitalisme et un art qui transgresse ces structures de pouvoir oppressives.
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Andy Warhol.
La marchandisation du monde de l'art est loin d'être une nouvelle thématique dans le discours public et académique. Même à son époque, Marx avait écrit sur le rôle de l'art dans un système capitaliste. Pour lui, tous les artistes étaient des travailleurs culturels au sein d'un système capitaliste qui traitait les œuvres d'art comme tout autre objet de consommation à désirer et à fétichiser. Ses propositions ont une valeur et une vérité fortes lorsque nous explorons le monde et le marché de l'art au cours des dernières décennies. Peut-être l'artiste le plus influent à avoir encapsulé dans la philosophie de son travail l'aspect marchand des œuvres d'art était l'emblématique Andy Warhol. Il a déclaré: «Être bon dans les affaires est l'art le plus fascinant. Gagner de l'argent, c'est de l'art et travailler c'est de l'art et la bonne affaire est le meilleur art. » Reflétant une époque profondément ancrée dans les valeurs du «consumérisme», l'art de Warhol et son approche de sa production et de sa diffusion consistaient à vendre de l'art d'une autre manière pour que la culture de consommation soit représentée et appliquée. Alors qu'il a peut-être été le premier / le plus célèbre, Warhol est loin d'être le seul artiste célèbre qui a stratégiquement utilisé les tenants d'une culture capitaliste à profit. Une autre figure clé de la thématique de la marchandisation de l'art est l'artiste britannique Damien Hirst. Que vous soyez fan ou pas, il est indéniable que l'artist a eu un impact incommensurable sur le monde de l'art avec sa vente Sothebys de 2008 qui a rapporté trois millions de £ et ainsi battu le record du monde pour une vente aux enchères. Tout comme pour Warhol, la valeur de Hirst ne réside pas seulement dans le travail même de l'art, mais dans sa capacité à vendre et à augmenter sa valeur au sein d'un marché de l'art de consommation. Fortement critiqué pour son manque de message et de profondeur, Hirst démon-
tre comment les marchés dominent l'orientation et le lieu du monde de l'art international. Mais quelle est la situation de ces jeunes artistes et créatifs qui tentent de survivre et de réussir dans cet environnement concurrentiel ? Il semble que pour beaucoup, essayer de réussir dans ce domaine constitue une dualité irréconciliable entre faire de l'art (ou ce qu'ils aiment) et gagner de l'argent, comme si la valeur du processus artistique devenait intrinsèquement dévaluée. Pourtant, ils doivent naviguer délicatement entre les frontières de l'art et des affaires, entre le privé et publique, l'émancipation et la soumission afin de construire leur carrière et leur avenir dans le monde de l'art. Ainsi, l'art, à la fois sa création et son processus, est de plus en plus entravé par les pressions d'un environnement capitaliste ultra-compétitif dans lequel les œuvres d'art, et parfois l'artiste lui-même, sont considérés comme des marchandises à vendre. Malgré ces obstacles, les jeunes artistes émergents utilisent beaucoup de moyens de communication de plus en plus ouverts pour faire passer leur message librement et sans contrainte. Des plateformes comme Facebook Live et Youtube sont utilisées pour créer des conversations ouvertes sur le pouvoir potentiel de l'art pour la justice sociale et peuvent être transmis et partagés à travers les collectifs et les pays. S'il est indéniable que les entreprises prennent de plus en plus le contrôle du monde des arts dans tous les domaines, il existe également une plate-forme de plus en plus ouverte permettant aux artistes et aux créatifs de produire et de partager sans contraintes de capital. C'est dans ces nouvelles opportunités que nous pouvons essayer collectivement de ramener la politique et l'égalité dans le milieu de l'art et de rendre le processus créatif libre et accessible à tous.
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V LA PASSION VAN GOGH DOROTA KOBIELA HUGH WELCHMAN
PAR FANNY LEBRETON
La Passion Van Gogh (Loving Vincent) est un film unique en son genre, écrit grâce à un travail de scénarisation de plus de huit cent lettres de correspondance. Fait de milliers de toiles peintes à la main, il retrace la fin de vie du peintre à l’histoire tragique. C’est également le premier film au monde à être entièrement fait de tableaux. Armand Roulin, le fils du facteur et ami de Van Gogh, se voit confier la tâche de remettre une lettre écrite de la main du peintre à son frère, Théo Van Gogh. Malheureusement, Armand apprend vite le décès du jeune frère qui n’a pas supporté la mort de son aîné. Le fils de facteur se lance alors à la recherche de monsieur Gachet, le médecin du peintre, dans l’espoir que celui-ci pourra l’aider à trouver la veuve de Théo. Mais si l’histoire de la mort de Vincent Van Gogh et les questions qu’elle soulève sont plus que plus bienvenues, ce qui attire irrésistiblement le spectateur dans ce film est son incroyable production. Je m’explique. La Passion Van Gogh est un film fait de toiles peintes à la main par pas moins de cent artistes. Chaque seconde de film est constitué de douze toiles, rien que ça! En amont de ce travail, les scènes ont été filmées sur un fond vert avant d’être projetées sur les toiles des peintres. Ainsi, chaque tableau est à la fois fidèle au travail de Van Gogh et reproduit à la perfection les expressions des acteurs. Plus de cent vingt tableaux ont été sélectionnés pour faire le long métrage. On peut y admirer Terrasse d’un Café le soir, Nuit Etoilée sur le Rhône, Eglise d’Auvers-sur-Oise ou encore la très connue Chambre de Van Gogh. La Nuit Etoilée, elle, sert au générique de début de film. Alors qu’une image en devient une autre à coups de brosse, on comprend que nous sommes plongés dans le tableau lui-même, passant d’un bleu profond à un jaune presque dorée avant de revenir à un bleu plus clair. En d’autres termes, on a un peu l’impression d’un tableau constamment repeint et ce en temps réel devant nos yeux. Cette façon de faire rappelle un peu celle des films d’animations sauf qu’ici les figures et pantins ont été remplacés par des tableaux. Ainsi, en une seconde, les couleurs ne cessent de changer et nous en offrent plein les yeux toile après toile. Après un zoom arrière, le tableau prend vie et le film commence vraiment.
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Tout au long de l’œuvre, le style et de Vincent Van Gogh est parfaitement respecté. L’intrigue pourrait inclure des aliens qu’on saurait quand même qui a inspiré l’esthétique du film. Ces couleurs et un tel coup de pinceau ne mentent pas. Pour ce qui est des souvenirs de la vie de Van Gogh qui sont racontés à Arnaud Roulin et qui nous sont montrés sous la forme de flash-backs, ils ont été peints en noir et blanc pour contraster avec le reste du film et manifester le côté très tourmenté du peintre. En parlant de tourments, il faut d'ailleurs préciser que ce film n'apporte aucune réponse quant aux d’interrogations qui pèsent sur la mort du peintre. S’est-il suicidé ou a-t-il été tué? Au fil des histoires racontées, on comprend que la vérité ne sera jamais connue et que celle-ci est morte avec Vincent Van Gogh lui-même. Enfin, à travers les lettres lues à haute voix par certains acteurs, on découvre que Van Gogh n’était pas qu’un peintre mais également un poète dans sa façon d’écrire. Pas étonnant donc que ses correspondances aient inspiré un film d’une telle beauté. Pour conclure, je ne peux que vous conseiller de voir ce film, que vous soyez passionné d’art ou simple curieux. L’exécution du film est parfaite, que ce soit dans son histoire ou son visuel. Et que dire du casting si ce n’est qu’il est parfait car littéralement sur mesure. Chaque acteur ressemble vraiment au personnage auquel il ou elle donne vie. Le résultat en est tout simplement bluffant. La dernière scène qui nous montre le peintre joué par l’acteur Ro-
"Loving Vincent" 2017.
bert Gulaczyk alors qu’il s’assoit et prend la pose de la même façon que sur son autoportrait ne peut que toucher le spectateur. Une chose est sûre, pour un homme et artiste comme Vincent Van Gogh qui s’est souvent sentit rejeté, voir ses œuvres prendre vie d’une telle façon aurait été un magnifique cadeau. A nous donc de ne surtout pas nous en priver.
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CARRÉ BL ANC SUR FOND D'ILLUSION ART CONTEMPO-RIEN ? Par Masha Litvak
L
'art contemporain éveille bien des passions. Omniprésence médiatique, fascination snobinarde, chèques aux montants surréalistes... On l'accuserait volontiers de refléter la déchéance du monde, aux côtés des paradis fiscaux et de Donald Trump. Néanmoins, n'y a t-il pas dans ce dégoût une sorte de magnétisme qui ne dit pas son nom? Des mantras en néon dignes d'une Instagirl aux tableaux monochromes, des installations en objets de récup' aux photos de vulves : adieu grandeur et précision de l'art classique, bonjour art de tout et de rien. En l'espace d'un siècle, les artistes ont cessé de représenter la réalité à travers ce que leurs yeux donnaient à voir, « un monde visible façonné pour le spectateur comme l'Univers a un jour été pensé pour Dieu » (J. Berger). Lorsque, autrefois, les œuvres appartenaient aux lieux dans lesquels elles étaient exposées (chapelles, châteaux...), aujourd'hui elles sont partout. Chacun peut les posséder, de diverses manières, mais surtout les produire. N'étant plus promises à l'éternité de leur aura, les œuvres d'art nous entourent désormais de la même façon que le langage. Au cours des dernières décennies, la vie quotidienne a été esthétisée. De la fontaine de Duchamp aux soupes de Warhol, du Coca de Rauschenberg au bleu de Klein, mon chausse-pied est-il lui aussi de l'art contemporain ? Mais d'ailleurs, qu'est-ce que c'est ? L'art contemporain d'il y a dix ans est-il encore contemporain ? Le sens de la vie est-il 42 ? Tant de questions que l'on peut se poser devant des œuvres en apparence tirées de contextes ordinaires, signes
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du passage de l'artiste comme entité quasi-divine à celui de l'artiste dont « l'occupation c'est de faire certaines choses » (M. Duchamp) au même titre que le businessman. Trente glorieuses. Démocratisation du loisir, moyennisation des classes sociales, ruissellement culturel : l'art contemporain arrive en Occident en pleine béatitude capitaliste dont chacun peut jouir. « Le sentiment éprouvé par le public d'être tenu à l'écart du monde artistique, ne serait-ce que parce que ce monde se serait moqué du sien, s'estompe. Il devient possible pour quiconque de s'assimiler, réellement ou par l'imagination, à ce monde » (C. Millet). Les galeries fleurissent, les apôtres des arts académiques fanent. Le curseur esthétique de la beauté se déplace au fur et à mesure que se développent les techniques, que se rédigent les manifestes, que briser les règles devient la règle. Pour rester dans la continuité de ceux qui emmerdaient les préceptes du Beau pompier à la fin du XIXème siècle, les artistes des générations suivantes privilégient la réflexion à la contemplation. D'une uniformisation artistique basée sur la reproduction de la nature et des Hommes, nous sommes passés à une mosaïque d'expressions individuelles offrant autant de perspectives sur le monde qu'il y a d'individus. Ainsi, on en arrive devant une installation d'Ai Weiwei en se demandant bien pourquoi ce branleur a empilé des bicyclettes entre quatre murs blancs d'une salle d'expo aseptisée, interchangeable à souhait. Questionnement équivo-
Intervention au Centre Pompidou.
que face à la sculpture faite par Maurizio Cattelan du pape Jean-Paul II écrasé par une météorite. Et là, le doute : ne sommes nous pas à la hauteur pour comprendre ce qui est signifié ? Réaction : mépris.De toute façon, c'est de l'art pour l'art, une subversion devenue banale n'excitant plus que des collectionneurs qui se gargarisent devant tant de fausse audace. Le petit encart blanc tenant pour seule explication de l'oeuvre n'aide en rien. De quelle manière Moataz Nasr compte-t-il réellement décrier l'intervention de l'argent du pétrole dans la religion musulmane, si c'est seulement en enfilant 34 réservoirs d'essence oranges sous forme de chapelet dans une salle d'exposition parisienne ? Alors on se pose la question de savoir ce que l'art est censé nous apporter. « On réprouve l'esthète qui adopte une position élitiste en jouissant du spectacle du monde sans jamais se sentir concerné. » (H.-P. Jeudy). On se dit que, de toute façon, l'art contemporain n'est que l'apanage d'une haute-sphère qui s'échange des morceaux du Beau à coups de chèques indécents. Des Bernard Arnault, des François Pinault, des Leo Castelli ; une caste de gens très riches et très déconnectés de la réalité qui donnent la valeur esthétique de l'art contemporain en spéculant sur sa prétendue beauté. Les œuvres deviennent monnaie d'échange, la Fiac donne en spectacle un univers où les choix sont argent, et les critiques d'art reprennent en choeur une douce mélodie savante pour théoriser ce joyeux bordel. En dernière instance, les réseaux sociaux se font le relai de tous les spectateurs qui, en affichant un intérêt
pour tout cela, montrent qu'ils ont un peu compris. Et du coup, ils sont un peu au dessus de vous qui n'avez rien pigé. Trash, provocant, déroutant, saturé, à la longue, vidé de sens. Brouillant les frontières entre créateur et créatif, apolitique et critique, abstrait et concret. L'art contemporain, hors de toute délimitation chronologique, a autant de définitions qu'il y a de sensibilités, d'histoires, de visions. C'est aussi celui qui, en dehors des instances officielles sur-médiatisées, se passe dans des lieux indépendants, fourmilières à idées, kaléidoscopes de mondes esthétiques à réinventer. Lui en veut-on car il est partout et qu'on ne le saisit souvent pas ? L'art contemporain nous dépasse-t-il ? Abstrait, il inviterait trop à l'introspection pour le comprendre. Mercantile, sa présence dans un lieu donné ne serait que le résultat d'une opération marketing. Qu'attend-t-on de lui ? Sûrement de titiller notre curiosité. De nous déstabiliser. De nous considérer supérieurs en se disant, parfois, qu'un gosse de trois ans aurait pu le faire. En attendant, si ces quelques lignes ne sont que description impressionniste d'un ressenti, il est certain que l'art contemporain ébranle aujourd'hui la définition même de l'art. En métissant les disciplines, en se mutant au digital, en questionnant les espaces, il est le miroir d'un monde où les repères idéologiques et philosophiques sont profondément bouleversés. Et nous, en plein milieu de tout ça, on est surtout un peu paumés.
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TYPOLOGIES DES VISITEURS PÉNIBLES DANS LES
LIEUX CULTURELS PAR TIPHAINE DUPEYRAT
I
mpossible aujourd’hui d’aller au musée, au cinéma ou au théâtre sans être confrontés à des personnes pénibles. La nuisance se manifeste sous différentes formes : discuter avec son voisin (en chuchotant ou pas), regarder son téléphone au beau milieu d’une salle plongée dans le noir, se prendre en selfie devant un tableau ou s’en approcher à quelques millimètres...
Le fléau des selfies En 2015, le château de Versailles a interdit la perche à selfie dans les espaces intérieurs, suivant l’initiative de nombreux musées comme le Met, le MoMa, leGuggenheim, ou encore la National Gallery de Londres. Les visiteurs sont tellement occupés à prendre la photo de leur groupe ou à faire un selfie qu’ils ne font pas attention aux œuvres et peuvent parfois être extrêmement maladroits. A-t-on réellement besoin de se prendre en photo lorsque l’on est au musée ? A-t-on réellement besoin de poser à côté de La Joconde parmi une foule de touristes armée de perches à selfie ? « J’étais là ! J’y étais ! C’est moi ! » Le narcissisme primaire de l’être humain ressort lorsqu’il est au musée. L’œuvre en elle-même est sublime, intrigante, originale... Vouloir la voir et l’analyser de près et pas seulement à travers un écran d’ordinateur ou le papier d’un livre, d’accord. Cependant, y’a-t-il une valeur ajoutée à mettre sa tête en cul-de-poule à côté d’un Delacroix ou d’un Warhol ? Il semblerait pourtant que ces œuvres se suffisent à elles-mêmes... De plus, la plupart des accros au smartphone ne regardent même pas les œuvres et se contentent de les prendre en photo ou de les filmer ! Vu au Louvre : un touriste passant à la vitesse d’Usain Bolt devant des tableaux d’Arcimboldo pour un résultat sans aucun doute flou, bancal, mal cadré, en bref peu fameux. Mais, il pourra dire qu’il était au Louvre et « regarde, j’ai vu les tableaux d’Arcimboldo ! »... et il aura des preuves. Après avoir fait des centaines ou parfois des milliers de kilomètres pour visiter un musée et découvrir ses œuvres, il serait peut-être in-
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téressant de prendre quelques minutes pour réellement les admirer... Bien-sûr, cela n’est qu’une simple suggestion, et chacun fait bien ce qu’il veut (mais c’est énervant quand même) !
La fièvre des réseaux sociaux et le syndrome FOMO Nous voulons absolument tout partager tout le temps et rester en contact avec la « communauté » sans interruption. Le responsable est le syndrome FOMO, ou ‘Fear of Missing Out’, c’est-à-dire la peur de rater des événements, de ne pas être présent à tout moment avec ses amis ou sa « communauté ». Nous mettons en ‘story’ l’exposition que nous visitons ou le concert auquel nous assistons car nous voulons montrer à nos amis, mais surtout à ceux que nous ne connaissons quasiment pas, à quel point notre vie est incroyable. Nous nous cultivons, nous sortons le soir et vivons des expériences extraordinaires, il faut que ça se sache, et si l’on nous envie, c’est encore mieux. Il paraît presque inconcevable pour un bon nombre de personnes aujourd’hui de ne pas partager en direct les moments qu’ils sont en train de vivre, à un stade parfois caricatural. Pour ceux-là, l’expérience du moment ne sera pas la même si elle n’est pas instantanément partagée avec d’autres, absents, au détriment parfois, souvent même, de ceux qui sont présents.
Le cinéma, une expérience collective Regarder un film chez soi ou au cinéma sont deux expériences extrêmement différentes. Sans parler des prestations techniques offertes par une salle de cinéma, la grosse différence est la présence des « autres ». Impossible de les ignorer... Surtout quand ils sont insupportables ! En effet, certains ne peuvent s’empêcher de jeter un œil, plus ou moins discret, à leur téléphone au beau milieu de la salle de projection, créant une légère irritation chez les autres spectateurs, outrés de se faire éblouir de la sorte. Et ce à juste titre. N’est-il pas possible de se déconnecter pendant deux ou trois heures ? Surtout que, si la personne qui ouvre
son téléphone le fait car elle n’est pas emportée par le film, ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde et la disruption lumineuse ou sonore provoquée par l’appareil sortira les spectateurs, eux concentrés, de l’histoire pour quelques secondes – ou minutes. Il y a aussi ceux qui décrochent leur téléphone au milieu d’une séance. « Non, tu ne me déranges pas ». Véridique ! Vu et vécu : séance de La Belle et la Bête en 2014 en plein après-midi. Certes, le film est mauvais. Certes, la salle est presque vide. Mais quand même ! Si l’on souhaite prendre un appel, on sort dans le couloir, et on peut même quitter le cinéma si le film nous ennuie à ce point. Parfois, il faut savoir choisir. Mais à notre époque, c’est quelque chose qui nous est difficile. On ne veut pas choisir, on veut tout avoir. Nous pouvons également évoquer les mangeurs ostentatoires de popcorn, les canettes ouvertes au moment de la réplique la plus importante, et ceux qui tapent dans le siège. Vu et vécu : on leur demande gentiment d’arrêter, mais nous nous retrouvons à être en tort, à abuser, à être un peu pénible, car finalement, ce n’est pas bien grave. Et on finit par se faire insulter... en plus de s’en prendre plein le dos, littéralement !
Le désir de tout avoir sans concession C’est aussi sur ce même principe que certains discutent au cinéma ou au théâtre, lieux où l’on est sensés être silencieux. Et tous ne le font pas en chuchotant. Certains commentent le film, ce qui est déjà insupportable, mais d’autres racontent leur vie à leurs amis présents. Certes, cela fait peutêtre longtemps qu’ils ne se sont pas vus, mais dans
ce cas il fallait aller au café et pas au cinéma ou au spectacle...Certaines personnes semblent incapables de se déconnecter de leur réalité afin de plonger pleinement dans la fiction. Le but de l’art, s’il y en a un, n’est-il pas de nous transporter ailleurs, de nous divertir, de nous faire oublier pour quelques heures notre quotidien ? Certains ne sont pas prêts, ne sont pas disponibles, pour effectuer cette expérience. D’autres, au contraire, ont envie de s’immerger à fond dans l’expérience, ils voudraient presque rentrer dans l’œuvre et s’en approchent de plus en plus. Ils espèrent que Mary Poppins va arriver et les y transporter, probablement. Certains dégainent bien entendu l’indispensable smartphone pour prendre des photos de l’œuvre en gros plan, certains angles étant plus passionnants que d’autres. Ce sont les mêmes qui se plantent devant les autres pour être les plus proches d’une œuvre, ou du texte de présentation de la salle. Ils ne sont probablement même pas conscients qu’il y a des gens derrière eux, qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils gênent.
On ne peut être conscient que l’on gêne uniquement lorsque l’on s’intéresse aux autres.
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BRI SER
LES CHAÃŽ NES.
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Plus que jamais, les codes culturels de notre société sont en train d’évoluer. Finit le temps où les femmes et les noirs se laissaient voir comme des minorités, comme des groupes avec peu d’influence culturelle. Finit aussi le temps où le genre nous définissait. Qui a dit qu’un homme ne pouvait pas porter une jupe ? Enfin, l’art aide également à briser les codes du réel. Car, après tout, s’il y a bien deux choses qui ne devraient jamais être freinées par des chaînes ce sont bien l’art et la culture.
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KATHRYN BIGELOW LE TALENT D'UN RÉALISATRICE LA FORCE D'UNE FEMME PAR FANNY LEBRETON
Le harcèlement subit par beaucoup de femmes, notamment au cinéma, a récemment été remis au cœur des débats de notre société. Heureusement, de plus en plus d’actrices réussissent à s’émanciper de cette façon d’agir insultante et déplorable. Être mises dans des cases ? Très peu pour elles ! Ainsi, on voit émerger un nombre croissant de personnages féminins représentants des femmes fortes. Néanmoins, on parle beaucoup moins des femmes cachées derrière la caméra qui changent tout autant le monde du cinéma. Il est donc temps de les faire sortir de l’ombre, en commençant par Kathryn Bigelow.
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K
athryn Bigelow est une réalisatrice américaine connue et surtout reconnue pour ces films violents aux sujets très forts. Elle ne prend pas de pincettes et commence toujours ses films par des séquences chocs qui nous plongent d’entrée dans le sujet. Je vais prendre ici en exemples les trois films qui sont d’après moi ses plus grandes réussites. Démineurs (The Hurt Locker), sorti en 2009, est un film mettant en scène une équipe américaine de déminage pendant la guerre en Irak. Le film s’ouvre sur une citation de Chris Hedges : « The rush of battle is often a potent and a lethal addiction, for war is a drug”. Autrement dit, la guerre est. une drogue qui peut devenir fatale. D'entrée, le spectateur comprend que le film va parler de sujet souvent tus, comme l’incapacité pour certains soldats de vivre dans un monde en paix et le besoin malsain de faire . la guerre qui se créé peu à peu en eux. Dès les premières minutes, Kathryn Bigelow nous immerge dans le vif du sujet : l’équipe composée de trois militaires doit désamorcer une bombe et le spectateur se retrouve embarqué dans le film sans s’en rendre compte et devient même le quatrième membre de l’équipe. La tension est d’ores et déjà palpable. La séquence se finit sur une scène choquante, comme pour dire aux spectateurs Voici le type de film que vous allez regarder. Voici la réalité de la vie de ces soldats. La force de Kathryn Bigelow est également de faire durer les scènes le temps nécessaire pour que le message passe. A aucun moment l’action ne prend le dessus sur la vérité. Ainsi, dans ce film, le spectateur se retrouve à regarder l’équipe se faire attaquer par des snipers pendant de très longues minutes. Puis s’en suit l’attente dans le silence, sous un soleil . de plomb et des vents de sable chaud. Une attente qui dure plus de cinq minutes, pour une scène qui en fait quinze. Il faut aussi préciser que Kathryn Bigelow a utilisé quatre caméras pour filmer chaque scène et que les acteurs se savaient jamais où elles allaient être. Le réalisme est donc ici poussé à son maximum. .
Mais le film va encore plus loin et traite également de plusieurs autres sujets sensibles, voir tabous. D’abord, le fait que ces soldats risquent leur vie quotidiennement, mais aussi la fragilité psychologique dans laquelle ils se retrouvent enfermés, et enfin l’idée que l’armée américaine est vu par la
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Pour ce film, Kathryn Bigelow a été la première femme à recevoir l’Oscar de la Meilleure Réalisatrice. population comme une entité invasive. Les regards curieux et apeurés de la population s’enchaînent sans que l’effet sur le spectateur s’amoindrisse. On se sent nous-même de trop, comme si notre regard dérangeait. Enfin, le talent de Kathryn Bigelow est aussi qu’elle cherche à nous mettre face à une réalité encore plus sombre qu’on ne la pensait. Dans Démineurs, l’équipe des trois militaires découvre le corps sans vie d’un petit garçon qui était sur le point de servir d’homme-bombe. Le Sergent William James . doit alors lui ouvrir l’abdomen pour désamorcer la bombe. La scène est particulièrement dure à regarder et nous force à faire face à la triste réalité de ces hommes dont de telles scènes sont le quotidien. Pour ce film, Kathryn Bigelow a été la première femme à recevoir l’Oscar de la Meilleure Réalisatrice en 2010, devançant Quentin Tarantino pour Inglo. rious Bastards ou encore James Cameron pour Avatar. A noter également que Démineurs a reçu l’Oscar du Meilleur Film malgré le fait qu’il est fait un flop au box-office, contrairement aux deux autres films cités précédemment. En 2012, la réalisatrice s’attaque à un autre monstre de notre société : la mort de Ben Laden. Avec Zero Dark Thirthy, qui était l’heure de la mission qui a mis fin à la vie du terroriste, Kathryn Bigelow nous livre ce qui est aujourd’hui sûrement encore le film le plus connu de sa carrière. On pourrait presque le qualifier de docudrama, ce parfait mélange de faits réels et de fictionnalisation qui rend le film accessible. J’avoue avoir oublié à plusieurs reprises que ce film n’a pas été filmé par Oliver Stone (JFK, Nixon, W. : L’Improbable Président) mais bien par Kathryn Bigelow.
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Dans ce film, on suit une jeune femme, Maya, agent de la CIA, qui s’est donnée pour mission de trouver et tuer Ben Laden. Pour cela, elle n’hésite pas à quitter ses bureaux et aller sur le terrain, quitte à se mettre en danger. Cela n’est pas sans nous rappeler l’histoire de Mark Boal qui n’a pas hésité à risquer sa vie pour ensuite écrire le scénario du film Démineurs. Tout comme le film précédent, Dark Zero Thirthy est parfois dur à regarder. Dès les premières secondes, une réelle tension entour le spectateur pour ne plus le lâcher pendant près de deux heures et demie. La toute première séquence est sûrement l’une des plus fortes de tout le film. Elle nous met mal à l’aise par son contenu mais aussi par sa simplicité de montage. En effet, il s’agit simplement d’un fond noir sur lequel on peut voir écrit « September 11, 2001 ». Puis, lorsque l’écran redevient noir, les hurlements commencent. Nous n’avons pas besoin d’images d’archives pour comprendre ce qui se passe derrière le fond noir. La tension atteint son paroxysme lorsque l’on entend une femme au téléphone avec les secours leur dire qu’elle va mourir. Le film reprend ensuite sur ce qu’on peut qualifier de la réponse des Etats-Unis à ces attaques. On entre alors ici dans un autre sujet tabou : le recours à la torture, qu’elle soit psychologique ou physique. Car si l’armée américaine s’est toujours défendue d’utiliser de telles méthodes, il est clair qu’elles ont servi dans la traque de Ben Laden. On retrouve également ici l’idée d’une invasion américaine dans les pays du Moyen Orient comme l’avait déjà abordé Démineurs. Le film va même plus loin en parlant des frappes américaines qui tuent plus d’innocents que de terroristes et qui sont sou-
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vent passées sous silence encore aujourd’hui. Une fois de plus, le spectateur se sent de trop.
Lorsqu’on lui demande qui elle est, Maya ne peut s’empêcher de répondre “I’m the motherfucker that found this place, Sir” Le personnage principal est pour moi un miroir de Kathyrn Bigelow. En effet, lors d’une réunion d’information top secrète, l’agent Maya, jouée par l’incroyable Jessica Chastain, est mise à l’écart pour laisser la place aux hommes. Lorsqu’on lui demande qui elle est, Maya ne peut s’empêcher de répondre « I’m the motherfucker that found this place, Sir. », autrement dit « Je suis la fille qui a trouvé cette putain de planque, Monsieur. », ce à quoi l’homme se sent obligé de demander confirmation. Le parallèle n’est peut-être pas voulu mais il est le bienvenu. Enfin, Kathryn Bigelow revient cette année avec un nouveau film coup de poing : Detroit, qui nous met face aux violences policières dont ont été victimes grands nombres d’afro-américains aux ÉtatsUnis dans les années 1960. En pleine période de tensions raciales dans la ville de Détroit, des policiers qui recherchent un homme armé font irruption dans un hôtel et s’en prennent physiquement aux jeunes présents. La situation dérape vite et les policiers font trois morts. Un procès a lieu mais les accusés sont jugés non
coupables malgré les aveux de deux d’entre eux. Comme les deux films précédents, Detroit a une atmosphère très lourde, voir même étouffante. L’injustice est l’un des sujets principaux de l’œuvre de la réalisatrice et nous force à ouvrir les yeux sur la vérité de la situation. Il n’est plus possible de feindre l’ignorance. Les autres sujets principaux, comme le racisme et le fait que la police fasse parfois l’inverse de son devoir, c’est-à-dire protéger la population, restent toujours d’actualité et font que le film est pertinent encore aujourd’hui. Le magazine Rolling Stone a ainsi qualifié le film de « sombre reflet » de notre société. Detroit a beau être tiré de faits bien réels, on ne peut s’empêcher d’espérer une fin différente. Et c’est aussi là la force de Kathryn Bigelow : faire s’investir le spectateur dans des histoires vraies que nous préfèrerions croire inventées de toute pièce. Enfin, lorsque l’on demande à Kathryn Bigelow ce qu’elle pense des gens qui disent qu’elle fait des films d’hommes ou comme un homme, elle répond qu’il n’y a aucune différence entre ce qu’elle fait et ce qu’un homme ferait à sa place. Ils font tous le même métier et ont le même objectif : faire le meilleur film possible. Comme le dit Jeremy Jenner en interview, Kathryn Bigelow retranscrit ce qu’elle voit à travers ses yeux. En quoi cela devrait rendre la réalisation plus féminine ? L’acteur finit même par
la décrire comme une peintre car elle sait capturer les moments et les retranscrire en images comme personne.
Kathryn admet que pour un même parcours une femme mettra plus de temps à atteindre son objectif Néanmoins, Kathryn admet que pour un même parcours, une femme mettra plus de temps à atteindre son objectif qu’un homme. Voilà bien la raison pour laquelle nous avons besoin de femmes comme elle. Des femmes qui n’ont peur de rien et qui prouvent à notre société trop conservative qu’il est temps d’évoluer, non pas avec de grands discours mais avec leurs talents. Si ces trois films ne vous ont pas encore convaincu, je ne peux que vous conseiller de regarder également Point Break (1991) et K-19 : Le Piège des Profondeurs (2002) qui montrent eux aussi le talent de.la réalisatrice et la force de la femme qui se cache derrière la caméra.
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LE FANTASTIQUE COMME RÉPONSE AU
DÉSENCHANTEMENT DU MONDE PAR FANNY LEBRETON
L
e désenchantement du monde a été théorisé en 1917 par le sociologue Max Weber. D’après lui, la science et le progrès auraient progressivement effacé religions et croyances, laissant place à un monde beaucoup plus défini. Cette théorie fête cette année ses cent ans mais se révèle toujours aussi pertinente aujourd’hui.En effet, de nos jours, plus personne ne peut fermer les yeux sur la lassitude grandissante de la population devant un monde qui, selon beaucoup, a perdu toute sa splendeur. En d’autres termes, notre monde ne fait plus rêver. Tout est devenu rationnel. Plus aucune place n’est laissée à l’imaginaire ou aux espérances. Or, s’il y a bien une chose que l’art n’aime pas c’est bien qu’on lui impose des codes. En réponse à ce problème, la littérature, le cinéma et la télévision ont fait front commun et se sont laissé attirer tour à tour par le Fantastique (que j’utiliserais ici en temps que registre large). 24
Bien entendu, le fantastique existe depuis bien plus longtemps que l’idée même d’un désenchantement quelconque du monde. Néanmoins, sa forte consommation est, elle, plus récente et s’explique en grande partie par l’envie d’échapper à cette vision. Le fantastique est d’abord apparu dans la littérature au XVIIIème siècle avec les comptes d’E.T.A. Hoffman, par exemple. A cette époque, le fantastique prenait alors principalement la forme d’histoires surnaturelles et de romans gothiques, comme dans les livres de Charles Dickens ou encore Bram Stocker. On trouve d’ailleurs du fantastique même là où l'on s’y attend le moins, comme dans un roman d’Alexandre Dumas, auteur qui a introduit le loupgarou dans la littérature française avec Le Meneur de loup en 1857. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de fantastique, on imagine tout de suite une quête et de la magie. De nombreux auteurs se sont alors spécialisés dans ce genre ou dans ses sous catégories comme la fantasy, le merveilleux ou même la science fiction. On peut alors citer des auteurs comme J.R.R.Tolkein, Robin Hobb et G.R.R. Martin ou encore J.K Rowling, pour ne citer que les plus connus. Ensuite, le cinéma et la télévision n’ont pas attendu bien longtemps pour conquérir ce marché. Par exemple, je ne peux pas faire cet article sans parler de Georges Méliès, l’un des précurseurs de la science fiction, qui a réalisé bon nombre de films dont le célèbre Le Voyage dans la Lune (1902). Tout le monde a encore en tête cette image mythique de la fusée écrasée dans l’œil de la Lune.
De nos jours, la littérature américaine et le cinéma Hollywoodien associent également souvent le fantastique à l’atomique, créant alors des récits dystopiques ou postapocalyptiques. Aujourd’hui encore, le fantastique est partout sur nos écrans, les films faisant le plus de recettes au box office étant les films de superhéros et les grandes sagas comme Star Wars. Il semblerait donc que le fantastique ait encore de beaux jours devant lui. Tant que le problème du désenchantement du monde persistera, le fantastique sera soncontrepoids. Car pourquoi croyez-vous que tant d’histoires au premier abord très différentes soient en realité si similaires? Parce qu’elles répondent au même besoin. Le besoin de s’échapper. Cela peut paraître être une réponse un peu facile, et c’est sûrement le cas, mais c’est avant tout la vérité. Ainsi, il semblerait que toute histoire de fantastique se doive d’avoir une quête menée en groupe mais qui repo-
se avant tout sur un individu au destin incroyable, homme qui est d’ailleurs très naturellement guidé par un vieil homme à grande barbe blanche qui ne parle qu’en énigmes. Vous ne me croyez pas? Comparez donc Harry Potter, Star Wars et Le Seigneur des Anneaux. Nous avons trois héros au destin extraordinaire dont la vie bascule du jour au lendemain à cause d’un soit disant sage qui les met sur le chemin d’une quête que seuls eux peuvent accomplir.
le fantastique a un effet magique : il permet de nous arracher à notre propre nature Cette idée du Chosen One va d'ailleurs de paire avec l’idée que le désenchantement du monde peut aussi provoquer une perte d’intérêt pour sa propre personne. Être un aventurier enfermé dans la routine d’un homme banal (entendez par là un homme qui travaille derrière son bureau de 9h à 17h par exemple) peut entraîner n’importe quel homme dans la tourmente. La dépression n’est jamais loin lorsque l’on a l’impression de ne pas aller au bout de son potentiel.C’est ici que le fantastique entre en jeu. Qui ne s’est jamais laissé aller à rêver à une vie romanesque pleine d’aventures et de défis à relever ? Car même pour nous, pauvres humains, le fantastique a un effet magique : il permet de nous arracher à notre nature propre. Pendant le temps d’une lecture ou d’un film/épisode, les règles ne s’appliquent plus à nous. Ce qui n’est d’habitude que fantasy est ici réalité. Les créatures telles que les centaures, fantômes ou autres vampires ne sont plus que des êtres de notre imagination mais deviennent aussi réels que le personnage auquel nous nous identifions. Grâce au fantastique, même le plus petit des hobbits peut sauver le monde. De plus, le désenchantement du monde est également lié au sentiment grandissant d’indifférence de la société. En effet, dans notre monde actuel, beaucoup se sentent seuls face à la dureté de la vie. Le fantastique nous permet alors d’être ce que l’on voudrait être, de revenir à un temps où le monde ne
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“Le seigneur des Anneaux” 2001. “Voyage dans la Lune” 1902.
nous avait pas encore laissé de côté. Prenez par exemple la très populaire série Doctor Who. Cela fait maintenant 54 ans qu’elle nous propose régulièrement (si on oublie le hiatus de 1989 à 2005) de sillonner la galaxie avec un homme qui non seulement peut voyager dans le temps et l'espace mais est aussi le dernier de son espèce. Nous nous identifions alors au personnage du compagnon, comprenant la chance de nous avons de vivre de telles aventures. Cet engouement pour le fantastique s’accompagne également d’une explosion des jeux vidéos et d’une montée constante des lecteurs de comic books. Le monde réel n’étant plus assez bien pour nous, ou simplement moins intéressant, nous nous réfugions dans un monde où la vision laser existe, se faire piquer par des araignées donne des pouvoirs et trop s’énerver peut conduire à se transformer en gros bonhomme vert. Enfin, et bien que cela soit moins récurrent, il ne faut pas oublier que le fantastique est également utiliser en musique. D’abord,
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accompagner une film de science fiction par exemple requiert un style de musique bien particulier et reconnaissable entre tous. Mais il est également possible de trouver de la musique fantastique à la radio, principalement dans les paroles écrites par les artistes. Ainsi, le temps d’une chanson, une jeune fille pour se prendre pour une princesse grâce à Taylor Swift ou pour un zombie grâce à Skylar Grey. Vous l’aurez bien compris, le fantastique s’est installé dans notre culture et y plonge ses racines de plus en plus profond. Cela ne veut pas dire que nous voudrions que ces récits deviennent réalité, mais simplement que nous avons tous un aventurier en nous et qu’il ne demande qu’à sortir. Nous n’en avons donc pas fini avec les sabres lasers et autres baguettes magiques, les calèches et vaisseaux spatiaux, ou encore les quêtes romanesques et combats d’épées. Et c’est peut-être pas plus mal comme ça.
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MOONLIGHT Liberté, Égalité et Représentativité
)à Hollywood( Par Anderon Norberto
“Une histoire de solitude, de découverte, de douleur, de compréhension et de representation.”
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E
n raison des blessures historiques qui remontent au temps de l’esclavage noir en Amérique du Nord, dont ont découlé la lutte pour les droits civiques dans les années 1960, on se demande pourquoi la présence et/ou l’absence de représentation noire à Hollywood reste toujours discutée. Après près de deux ans d’absence de Noirs aux Oscars, Hollywood se retrouve dans une impasse: d’une part, la demande d’insertion croissante de la population noire dans l’industrie du cinéma s’est muée en dénonciation nationale. D’autre part, lors de la dernière année du gouvernement Obama, la montée des suprématies racistes est arrivée à un point culminant durant la campagne de Donald Trump, un mouvement comparable à celui des années 1960. C’est «l’ère de la transition» que rencontre Bonne Isaac, la première présidente noire (et troisième femme) de l’académie, au pouvoir depuis 2013. Dans ce contexte, Moonlight, qui a reçu l’oscar du meilleur film cette année, est l’un des signe probant des réformes proposées par Isaac en matière de vote et d’adhésion.
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" Moonlight" Film, 2016
Le film reste discrédité et critiqué par certains, comme par Raoul Peck, le réalisateur jamaïcain du documentaire I’m not your nigga lui même nominé aux oscars, qui déclare qu’ « il n’y avait pas de change- ment structurel majeur dans la façon dont Hollywood fait ses films ». Pourtant la question est ici celle de la représentativité. La représentativité semble intrinsèque à Moonlight, tant dans son discours que dans sa réalisation et sa production, il suffit d’une rapide recherche internet pour s’en rendre compte : sa page Wikipédia mentionne qu’il est devenu le premier long métrage au casting noir à avoir remporter un Oscar, ainsi que le premier film primé sur le thème des LGBT, et le deuxième film américain au budget le plus bas (derrière The Hurt Locker) de cette cérémonie. L’éditeur du film, Joi McMillon, est devenu la première femme noire à être nominée pour un Oscar (avec le co-éditeur Nat Sanders) et Ali a été le premier musulman à remporter un Oscar. Le film met en lumière un quartier noir et pauvre de Miami, et contrairement aux films sur ce thème, il s’éloigne des stéréotypes 30
de cette communauté. « Chaque créole est une étoile » (« Every nigger is a Star ») ouvre le film et pose le décor. La déclaration est tirée de la musique de l’artiste jamaïcain Boris Garnier, qui a utilisé le terme péjoratif « nigga”, non sans ironie, et enflamme l’estime d’elle-même de la communauté en utilisant ce “mot interdit”. Ce qui doit être compris ici, c’est que le film ne se limite pas à une histoire de “ghetto”, même s’il s’agit d’une nouvelle voix, forte et singulière, pour représenter la communauté afro-américaine. L’action se déroule à Liberty City, lieu où ont grandi le réalisateur Barry Jenkins et l’auteur du film Tarell Allin McCraney. Les similitudes entre leurs vies et ce qui se passe dans Moonlight ne s’arrêtent pas là: s’ils ont grandi à quelques pâtés de maisons et étudié dans la même école, ils sont aussi tout les deux noirs et homosexuels et ont été éduqués par leurs mères. Le film se divise en trois parties clairement identifiées, suivant la figure centrale du personnage Chiron durant son enfance, son adolescence, et à l’âge adulte. Comment représenter cet arc temporel sans “perdre” le personnage
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dans ses transformations physiques ? La réponse des auteurs semble la plus évidente, mais c’est aussi la plus difficile: Chiron nous apparaît successivement à travers trois acteurs, Alex Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes. Le film est fascinant en sa capacité de représenter Chiron et son entourage en évitant les clichés et les stéréotypes (en noir et blanc), et en préservant l’unicité fascinante de chaque geste, chaque action, chaque émotion, sans avoir besoin de grands dialogues travaillés. Comme dit au début du texte, il n’y a pas de personnages blancs dans l’histoire et ils ne manquent étrangement pas au développement du récit. En effet si leur présence troublerait la dynamique de l’histoire, la raison la plus évidente reste que ce n’est pas leur réalité. Il n’est pas à exclure qu’un enfant blanc puisse traverser les mêmes difficultés, cependant, l’histoire de ce même enfant aurait déjà été dépeintes à plusieurs occasions, et peut-être que l’une des motivations de ce film est de mettre en lumière les histoires de l’ombre. L’histoire personnelle de Chiron, à son tour, fait écho aux drames de toute une communauté sommairement oubliée, mise en évidence par la violence et des logements dégradés. Le début de Moonlight réussit subtilement à montrer la découverte de la
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sexualité comme un événement dont l’angoisse n’exclut pas sa dimension poétique. « What is a faggot? » demande le prénommé « Petit » par ses camarades de classe, à la table de la maison du marchand Juan (personnage qui deviendra sa référence paternelle). La scène nous laisse donc sans voix lorsque Juan, placide, fait confiance au « petit Chiron » au cours de leurs résultats. Cependant, la scène la plus puissante entre les deux personnages (qui sont les deux faces d’une même pièce) est quand Chiron fait face à Juan pour le confronter aux faits avérés, et comment cela s’insinue dans sa vie et dans la vie de sa mère. Le film fait preuve d’une grande maîtrise pour expliciter la réunion et les conflits internes de ces deux personnages complexes: d’un côté Juan est un trafiquant de drogue, un homme ambitieux intéressé par l’argent, mais aussi un père sensible, un autre «Petit», enfant de la peur qui fait de sa souffrance une force. En tant qu’adolescent, Chiron se rend compte que ce qui s’est passé autour de lui n’a pas changé et que les agressions physiques et psychologiques prennent d’autres proportions. L’absence de Juan et de sa silhouette protectrice contribue à la création de la carapace qui se concrétise dans la troisième étape du film. Chiron devient tout ce qu’il ne devrait pas, et reste seule et vide, maintenant forcé de maintenir une façade.
Briser les stéréotypes et ouvrir de nouveaux chemins: Très influencé par le cinéma américain, l’écrivain James Baldwin affirme dans ses manuscrits (qui donneront lieu au documentaire «Je ne suis pas ton nigga» de Raoul Peck) que «l’industrie est obligée, à cause de la façon dont elle est construite, de présenter au peuple américain un fantasme qui perpétuera la vie américaine. Il est difficile de distinguer ces concepts de divertissement de l’usage de stupéfiants. (L’acte de consommer cette nécrotique) est d’apprendre des choses effrayantes sur la notion de réalité de certains Américains finalement pris entre ce que nous aimerions être et qui nous sommes vraiment. Et nous ne pouvons pas devenir ce que nous aimerions être jusqu’à ce que nous nous demandions: pourquoi la vie sur ce continent est-elle si vide, si terne et si faite? Ces images ne sont pas créées pour déranger, mais pour rassurer. Et ils affaiblissent aussi notre capacité à affronter le monde tel qu’il est et comme nous le sommes nous-mêmes. » Il est difficile pour le grand public de regarder le film et de ne pas reconnaître les stéréotypes créés par l’industrie et par son répertoire visuel. “Le film est raciste car il ne comporte pas de caractères blancs”, liton dans certains commentaires. L’Oscar de Moonlight est la décomposition de la représentation des stéréotypes par l’humanisation des personnages. Moonlight est une histoire de solitude, de découverte, d’agonie et de compréhension, avec des moments de pure tendresse et d’autres aussi cruels. Consacré par l’académie comme le meilleur film de l’année, le film se présente comme si, par curiosité, nous avions vu toute une vie à travers un trou de serrure. Le succès retentissant de Moonlight vient aussi par sa construction à mi-chemin entre le le cinéma éminemment narratif dont se vante l’Académie et le style le plus contempla- tif qui se déroule habituellement dans les festivals. Ces nouvelles voies ne font qu’augmenter, comme pour tous ceux qui ont vu «Sunset Boulevard», l’anxiété perverse d’Hollywood à propos de l’obsolescence et du changement.
Finalement, Moonlight surmonte les limites du récit classique du drame psychologique, nous faisant voir aussi que toute discussion autour de la représentation des Afro- Américains est loin d’être une simple comptabilisation de “ présences “ ou “ absences “. 33
DESIGN ÉTHIQUE POUR UN
PAR EDWIGE DE POORTÈRE
« Morale » provient du latin « mores », « éthique » du grec « êthos ». Si tous les deux signifient « moeurs », ces termes ne sont pourtant pas équivalents et prennent donc des sens différents. La morale réfère à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, l’acceptable de l’inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer. Quant à l’éthique, il s’agit d’une réflexion argumentée en vue du bien agir, sans ensemble de principes particuliers. Elle propose plutôt d’interroger les valeurs qui devraient orienter nos actions, dans le but d’agir conformément à celles-ci. Pour ainsi dire, la morale est collective et impose des normes, l’éthique s’interroge sur le vivre ensemble, mais est propre à chacun. Le design éthique n’est donc pas un concept en tant que tel, mais une réflexion que tout designer doit imposer à son travail.
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our citer Buckminster Fuller, designer et visionnaire majeur du XXe siècle, le design se trouve aujourd’hui entre «utopia and oblivion ». A se concentrer sur des problèmes esthétiques mineurs, le design s’éloigne de son dessein premier, l’habitabilité du monde : à maintenir ou augmenter, tant dans ce qui concerne le matériel que l’organique, le psychosocial et le culturel. Que l’actuelle trajectoire du design nous mène vers un « monde meilleur » ou nous prévoit un avenir incertain, il reste à redéfinir ce que « meilleur » signifie, et à se pencher sur la question, “à qui bénéficie le design” ? Commanditaire, utilisateur, seulement le champ du design lui-même ? Le design pourrait en effet tendre vers l’utopie, s’il était capable de résoudre les challenges sociaux et éthiques majeurs de notre temps. Cependant l’éthique n’est pas à confondre avec la morale, qui, elle, n‘est pas affaire de design.
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Aujourd’hui, les technologies nous écoutent, nous suivent où que l’on aille. Elles collectent tout ce que nous faisons. Elles ont nos empruntes digitales, notre rythme cardiaque, notre argent, notre location, notre visage. Elles sont devenues le premier moyen pour communiquer nos pensées et nos émotions à nos proches, et commandent notre regard chaque jour un peu plus. Le monde est en train de changer, plus vite que jamais, et ce dans tout les domaines - social, technologique, environnemental, politique et économique. En conséquence, les problèmes changent eux aussi. Tandis que les software, le machine learning, l’IA, les blockchains et autres datas envahissent de façon exponentielle tout les aspects de nos vies, les implications sociales et éthiques deviennent de plus en plus signifiantes. Au coeur de ces bouleversements, les designers ont la tâche cruciale de penser le futur, d’imaginer à quoi il pourrait ressembler et comment nous pourrions le vivre. Lorsque le design contribue à multiplier le nombre de visiteur d’un site à n’importe quel prix, à envahir notre espace de publicités, à rem-
placer un emploi ou un savoir-faire artisanal par un outil technologique, à collecter et à vendre des données personnelles, à créer des produits chronophages et à monopoliser notre attention sur le futile, on peut justement se demander s’il est toujours question de design ? Qu’on le reconnaisse ou non, les designers ont l’autorité et la responsabilité de prévenir les produits de leur nocivité, c’est-à-dire de les empêcher de devenir invasifs, addictifs, malhonnêtes. Les objets de design sont conçus pour répondre à un problème. Cependant leurs externalités ne sont pas mesurées. Habitudes nuisibles et distractions constituent une pollution quotidienne, qui échappe au designer s’il ne les anticipe pas. Pour rendre le design pertinent, il doit s’approcher le plus que possible du meilleur point de rencontre entre technologie et société. Le paradigme a changé, d’une ambition dopée à l’égo au XXe siècle, vers une vision collaborative, inclusive, un processus de partage en réseau au XXIe siècle, conduit par des tendances digitales telles que l’open source et la customisation de masse. Les designers, aujourd’hui idéalement placés pour jouer les chefs d’orchestres de cette grande chorale, peuvent ainsi coordonner les différentes voix pour créer un ensemble harmonieux. Carlo Ratti, le directeur du MIT Senseable City Lab définissait le rôle des futurs designers de « mutagène » : « Un agent qui produit des mutations dans le monde artificiel, des interactions entre les disciplines et les personnes ». En vu d’apporter un peu d’harmonie dans ce nouveau système et d’embrasser un design éthique, le designer doit donc intégrer de nouvelles priorités à son travail, telles que :
moins pratique que décoratif, conçu pour surprendre votre belle mère en visite. - Dire non aux propositions non éthiques, questionner les répercussions du produit qu’on commande au designer. Cette innovation remplacera t’elle un emploi par une machine automatisée ? La qualité de vie de son utilisateur en sortira-t-elle améliorée ? - Eduquer et responsabiliser le bénéficiaire. Le design à la place des mots pour questionner la technologie. Comment une interface peut-elle proposer un contenu surprenant et utile, et qui ne reflète pas les intérêts personnels de l’utilisateur ? - Partager. Une innovation est d’autant plus belle si elle est mise en open source, et profite à la communauté mondiale. - Proposer l’action, non plus la pure contemplation. Les objets peuvent séduire, mais peuvent aussi nous forcer à agir, imposer une action. Reste à se demander quelle action ? Un clique pour faire le bonheur d’un chef du marketing ? Il y a quinze ans, l’histoire se dessinait différemment. Internet était une révolution naissante, un far-west fantaisiste, et une énergie égalitaire se propageait. C’était excitant, c’était inspirant. Une théorie hippisante clamait que le design pouvait changer le monde. Mais comme bien des révolutions artistiques, le design s’est buté aux parois de son propre monde.
Pour en savoir plus : http://www.timewellspent.io TimeWell Spent est une organisation à but non lucratif dédiée à la création d’un futur où la technologie serait en harmonie avec notre bien-être, nos valeurs sociales et des principes démocratiques. Documentaire : « Ethics for Design » par Gauthier Roussilhe. Comment designer pour le bien de tous ? 12 designers d’approches et de nationalités différentes témoignent. Disponible en ligne sur vimeo.
- Créer le dialogue. Non pas faire la conversation, à l’image du presse citron de Philippe Stark, menaçant objet métallique, 35
D
rag queens, transformistes, travelos, tapetes... On les appelle comment? Dans la culture populaire, les drag queens sont considéré.e.s comme des performers qui nous offrent une fausse féminité simplement divertissante. Des “mecs en robes”, ça existe dans la culture visuelle et surtout dans le genre comique depuis longtemps. Tony Curtis et Jack Lemmon le font très bien dans Certains l’Aiment Chaud (1959) et Robin Williams est une grand mère convaincant.e dans Mrs Doubtfire (1993). Tyler Perry en Madea, Adam Sandlers dans Jack and Jill… Bref, un 36
homme avec une perruque à 12 balles et du rouge à lèvres Franprix, ça fait toujours marrer. C’est aussi un moyen facile d’exploiter l’identité d’une communauté mise en marge de la société: les personnes transgenres (Je vais pas redonner une définition de l’identité trans, on est en 2017 et je suis pas ta mère, ni ton oncle gay). La théorie de l’incongruité (Kant, Schopenhauer) offre une explication convaincante: quand on est confronté à quelque chose qui sort du cadre de nos attentes sociétales, l’un de nos premiers réflexes est le rire.
DRAGQUEEN féminité, performance et paillettes
Par Valentin Drucos
Mais pour les membres de la communauté LGBT, être une drag queen c’est pas juste une blague, c’est plus important que ça. Déjà pour certains c’est un moyen de gagner sa vie, et pour d’autres c’est une expression artistique. C’est aussi une forme d’art subtilement politisée. Le meilleur exemple serait Marsha P. Johnson, une femme trans afro-américaine et travailleuse du sexe qui a prêté sa voix au mouvement d'émancipation des LGBTQs aux états-unis au 20ème siècle. Si t’as jamais entendu parler de Stonewall (1969), dis toi que c’est la personne qui a jeté le premier pavé sur les flics, après une énième descente dans un
bar clandestin gay à New York City. Marsha est une figure polarisante, à qui ma communauté doit beaucoup et qu’on a beaucoup tendance à oublier. “Many times drag performance calls for skilled impersonations of a famous individual, like Diana Ross or Judy Garland, but the essence of drag performance is not impersonation of the opposite sex. It is the cultural presentation of an oppressed gender expression.” Leslie Feinberg, Transgender Warriors (Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman), 1996
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En gros, le principe d’une drag queen (ou king) c’est de s’approprier un certain nombre de codes visuels (cheveux, maquillage, vêtements, etc…) communément associés à la féminité, et de les exagérer. En “performant le genre” sur scène, les drag queens montrent qu’on est tous dans la performance de genre dans nos vies quotidiennes. C’est la subversion de ce qu’on appelle “the gender binary”. Ta maîtresse te l’a pas dit en CP mais tu peux être homme, femme, ou autre. La subversion des normes et l'ambiguïté jouent un rôle clé dans les performances drags. Grace Jones, chanteuse, auteure, mannequin, actrice, icone et véritable don du Seigneur joue énormément sur l'ambiguïté aussi dans sa représentation physique. Le truc c’est qu’on a pas forcément tendance à dire que c’est une drag king, ou une transformiste. Mais que ça soit écrit sur son CV ou pas, on s’en fout. L’important c’est qu’elle aie construit sa carrière en tant qu’icone non-conformiste et que l’héritage culturelle qu’elle nous laisse nous aide à déconstruire et dépasser nos stéréotypes en matière de genre.
“I go feminine, I go masculine. I am both, actually. I think the male side is a bit stronger in me, and I have to tone it down sometimes. I’m not like a normal woman, that’s for sure.” Grace Jones 38
. “There is no gender identity behind the expressions of gender; (…) identity is performatively constituted by the very « expressions » that are said to be its results.” Judith Butler, Gender Trouble, 1990 Le genre est donc fluide, perpétuellement en mouvement et en évolution. Quand le rappeur américain Young Thug porte une robe sur la couverture de son album Jeffrey (2016), est ce que ça fait de lui une drag queen? Peut-être pas dans le sens “traditionnel” du terme, mais c’est un acte fort qui sert à déconstruire nos préjugés sociétaux. Je dis ça parce que de manière générale on a tous (oui, toi aussi) tendance à associer ce qui est féminin à des trucs négatifs: courir comme une fille, les garçons ne pleurent pas, fais pas ta pute… Et quand Kim Kardashian ou Marilyn Monroe présentent une féminité ultra codifiée, ne co-optent-elles pas aussi un certain nombre de codes visuels? Est ce qu’elle sont pas aussi dans la performance du genre féminin? Et dans ce sens, ne peut-on pas les voir comme des drag queens, nous invitant à accepter, rejeter, ou simplement entamer une réflexion critique de la féminité idéalisée qu’elles construisent pour nous, le public? C’est aussi ça qui se cache derrière les tonnes de maquillage des drag queens: une volonté de montrer que le genre est fiction. Et si le genre est fiction, une femme ou toute personne féminine est libre de ne pas rentrer dans le moule. On essaie de nous le cacher mais le moule n’existe pas, et on peut donc en sortir quand on veut.
REGARDS D'ICI ET D'AILLEURS. 39
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Julie Boursier - France
Paris Pour certains, la ville lumière. Pour d’autres, la ville des transports en retard et de la pluie. La vérité est que Paris a mille facettes et chacun d’entre nous n’en perçoit qu’une infime partie. Paris est romantique, bruyante, sale, sexy, mal comprise et tant d’autres choses encore. Pour cette raison, nous vous proposons une série de photos prises par les étudiants du MIIC. Voir Paris à travers nos yeux, nous qui venons des quatre coins du monde, c’est possible. Il vous suffit de tourner la page. 41
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Lika Chkhartishvili - Georgie
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Julie Boursier - France
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Tiphaine Dupeyrat - France
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Ikram Ben Taieb - Tunisie
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Alejandro Lemos - Colombie
Lena Cheng - Chine
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Aline Billault - France
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Masha Litvak - Franco-Russe
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51 Anderson Norberto - BrĂŠsil
COM PREN DRE
DEM AIN. 52
Le monde d’aujourd’hui est en constante évolution. Il devient difficile de suivre toutes ces nouvelles innovations, ces tendances et autres mouvements, qu’ils soient culturels ou économiques. Ainsi, à la rédaction, nous avons décidé de réunir trois grandes idées qui vont sans doute façonner le monde de demain. Si vous n’y connaissez rien en monnaie virtuelle, en données Internet ou si vous pensez tout savoir de la mode, ces articles sont pour vous.
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FASHION DATAS PAR JULIE BOURSIER
Dans la mode, comme partout ailleurs, les datas (données personnelles) sont de plus en plus présentes et importantes. Par conséquent, les intelligences artificielles trient toutes ces données et modifient progressivement notre façon de voir et consommer les vêtements.
Kim Kardashian, la reine des réseaux sociaux, vient de présenter Screenshop, un Shazam de la mode. C’est une application qui combine un algorithme et une intelligence artificielle pour identifier les vêtements sur des photos et obtenir un lien pour pouvoir les acheter. Cette petite révolution dans le monde de la mode n’est finalement pas si innovante. En effet, la technologie s’invite de plus en plus dans les secteurs créatifs. Après la musique (Spotify, Shazam, ...), le cinéma et les séries (Netflix), la photo (Instagram), les intelligences artificielles vont maintenant envahir l’univers de la mode. L’utilisation d’outils technologiques est de moins en moins tabou et nous parait tout à fait normal. Kenneth Cukier, journaliste à The Economist explique : « Comme c’est le cas aujourd’hui avec les ordinateurs, l’IA (Intelligence Artificielle) va faire partie de notre quotidien. D’ici dix à vingt ans, elle sera présente dans tous les domaines et la mode n’y échappera pas. En effet, les datas et leurs traitements se sont rapidement révélés être d’une importance capitale, permettant aux entreprises de devancer les envies des clients afin de les pousser à consommer selon des recommandations personnalisées. C’est donc une véritable révolution de nos manières de consommer qui s’est jouée dans l’ombre ces dernières années avec l’essor d’internet. Ainsi, les algorithmes sont désormais au cœur des modèles économiques de secteurs aussi concurrentiels que la Mode. La récolte d’informations permise par la loi sur les comportements des consommateurs au sein des réseaux sociaux est une mine d’or pour les marques qui peuvent ainsi mieux comprendre leurs cibles. Nos envies et nos sentiments, massivement exprimés sur le net, sont donc récupérés et transformés en capital qui aide les marques à cerner leurs clients pour mieux les satisfaire et à se démarquer des concurrents. De plus, les IA servent de plus en plus à la prospection de tendances. Pour cause, les changements de goût sont aujourd’hui tellement rapides qu’il est
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presque impossible de tout suivre. L’IA analyse alors tout un tas de données (clics, recherches, j’aimes, réactions, photos, ...) lui permettant de déceler et d’anticiper les tendances (couleurs, matières, coupes). Ensuite, comme l’explique Ganesh Subramanian, fondateur de Stylumia, (outils de prospection pour les professionnels), toutes ces informations sont envoyées aux marques et retailers qui, du coup, peuvent prévoir les essoufflements. Cela améliore donc également grandement la gestion des stocks. Enfin, l’offre de vêtements a atteint des sommets gargantuesques, à tel point que cela devient alors parfaitement ingérable pour un cerveau humain. Par exemple, Asos propose un catalogue de 85 000 produits, dont 5 000 nouveaux chaque semaine ! En conséquence, le deuxième enjeu moderne des marques réside donc dans la personnalisation de l’offre et c’est là que les IA entrent en jeu. Les projets autour des vêtements connectés et du « personalization marketing » se sont propagés très rapidement aux quatre coins de la planète. A ce jour, les outils mis au point permettent de rendre un produit plus facile à trouver en adaptant les listes de recommandations à chaque utilisateur, en fonction de ses goûts. Récemment, de véritables innovations ont vu le jour, comme un bot (styliste virtuel) sur Messenger (Epytom) ou même un programme de smart speaker sur Amazon permettant d’analyser votre tenue et capable de vous dire si vous feriez mieux de vous changer. La multinationale IBM (International Business Machines) prédit que d’ici 2020, 85% des interactions clients seront gérées sans l’intervention humaine. Les Intelligences Artificielles représentent donc un enjeu énorme pour la mode et ses marques. Certaines en ont d’ailleurs déjà pris conscience et misent dessus pour assurer leur croissance future, comme Yves Saint Laurent dont la dernière pub met en scène Alexandre Robicquet, un chercheur en intelligence artificielle.
Photo: Ben Sandler.
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BITCOIN OU LA CRÉATION DE SIGNES
(monétaires) D’UN GENRE NOUVEAU Par Adli Takkal Bataille
Bitcoin est un protocole (système de règles informatiques) ainsi qu’une unité de compte (bitcoin avec un petit b). Cette monnaie est née en 2008 sur le papier et concrètement en 2009, d’un anonyme connu sous le nom de Satoshi Nakamoto. C’est un système 100% numérique qui ne dépend d’aucun état et d’aucune banque, une monnaie donc purement communautaire maintenue par un réseau d’acteurs autour du monde. Ceux-ci mettent en commun leur puissance de calcul, leur temps et leur intelligence pour faire croître le réseau. A l’origine, Bitcoin était une expérience de cryptographie et la monnaie n’avait donc pas de valeur. Avec le temps, son code et son réseau ont convaincu de plus en plus de personnes de sa valeur pérenne. Il est aujourd’hui devenu semblable à un or numérique. De la sorte son cours ne cesse d’augmenter, d’attiser les spéculations, et son potentiel semble assez impressionnant. Dans le Cours de linguistique générale, Saussure utilise à l’aube de la sémiologie et des concepts de signifiant et signifié la métaphore de la monnaie. La valeur de la face d’une pièce n’est pas représentative de sa valeur économique, tout comme le fait que le signifié et la valeur soient indépendants. On retrouve des réflexions du même ordre sur l’impact monétaire et son symbolisme chez des philosophes comme Jean Joseph Goux. Dans son analyse du roman d’Andre Gide Les Faux Monnayeurs, il pointe la question de la substantialité monétaire avec l’appel à une monnaie de cristal. Il est évident que lorsque l’on parle de monnaie, les symboles arrivent en courant. La première forme monétaire était dématérialisée, comme l’explique Graeber dans son ouvrage Dette : les
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5 000 premières années. Ce sont des écritures sur des plaques en Mésopotamie qui témoignent de la première forme de dette. Ainsi de l’écriture, première extension trans-humaniste, incarnation de la mémoire humaine dans un corps étranger, nait la monnaie. Celle-ci pourrait donc n’être qu’une forme immatérielle de signifiant de la valeur. Les monnaies fiduciaires, matérielles, avec une valeur faciale seraient donc un affront à l’arbitraire du signe : elles ne sont non pas collectives et participatives, à l’image du langage, mais ont un cours au contraire forcé et régulé.
Qu’en est-il de Bitcoin ? S’il vient bouleverser le champ économique et monétaire classique, bouleverse-t-il aussi nos symboles et notre perception de l’argent ? La carte bleue ne les a-t-elle pas déjà bouleversé ? Tout d’abord, il semble que Bitcoin marque un changement de paradigme plus fort que la carte bleue et le système bancaire. En effet, leurs usages n’étaient que le prolongement et l’évolution de notre système, de la monnaie royale au chèque, puis à la carte de crédit. Finalement, le processus se révèle toujours être le même : une autorité garantit les fonds et contrôle les cours. « On n’invente pas l’ampoule en améliorant la bougie. » Pour Bitcoin c’est identique, la rupture est totale. Là où ses détracteurs disent que cette monnaie ne repose sur rien, il s’agit plutôt de l’inverse. Les monnaies actuelles ne sont que des signes forcés qui ne portent plus rien en elles des signifiés obsolètes, du substantiel. Si la monnaie fiduciaire jouit encore d’un statut prépondérant, elle est censée être garantie par la banque centrale. Par ailleurs, il est bon de signaler que depuis les années 70 les monnaies ne sont plus corrélées à des valeurs physiques. Mais en ce qui concer-
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ne l’argent placé sur un compte, il ne s’agit que d’une dette de la banque en votre faveur. Celle-ci ne peut pas garantir vos fonds en cas d’effondrement et peut créer de l’argent à la volée par une simple écriture comptable. Bitcoin est quant à elle une monnaie substantielle au sens platonicien. Un Bitcoin se vaut pour lui-même, peut importe la valeur qu’on lui confère. C’est une véritable « monnaie-idée ». Pourquoi cela ? Et bien tout d’abord en raison de son immatérialité, mais aussi de ses similitudes avec l’or. Un bitcoin est un objet numérique épigraphique pérenne. Du fait de sa nature distribuée (en pair à pair) et de son consensus décentralisé, Bitcoin est résistant à la censure et potentiellement indestructible ad vitam. Son registre, ce que l’on nomme communément blockchain, est également partagé entre tous les utilisateurs et répertorie toutes les transactions de Bitcoin depuis le début. Ceci permet donc de savoir qui possède quoi. La boucle est bouclée : l’écriture redevient purement et simplement un support idéal pour la monnaie. Une émulation d’écritures passant par des signaux électriques, retranscrites en 0 et 1, puis en code informatique, puis en choses visibles par tous.
Ces monnaies ne sont pas virtuelles mais immatérielles, libres, distribuées, au consensus décentralisé mais bien réel. Un dernier exemple de ce simili-paradoxe : pour conserver la propriété de ses bitcoins il faut posséder une clef privée, semblable à une clef de coffre immatériel. Mais le coffre est accessible partout à condition d’une connexion internet sous la forme du réseau. Ainsi, une suite de 16 mots tirés au sort dans le dictionnaire pourrait être la clef d’une adresse bitcoin contenant plus de 10 000 bitcoins, mais les statistiques considèrent que vous ne pourrez jamais trouvez cette suite. Renversant, non ?
Adli Takkal Bataille est un entrepreneur et auteur spécialisé dans la cryptomonnaie. Il découvre le Bitcoin et les blockchains en 2012, sujets qui rentrent vite au coeur de ses occupations : président du Cercle du Coin, conférencier et consultant stratégique, il co- écrit avec Jacques Favier en 2017 Bitcoin, la monnaie ancéphale. Aussi étudiant en Master de linguistique, il est convaincu que si les mathématiques et la technique changent le monde, la réflexion sur les sciences humaines et sociales ont vocation à rendre ces sciences intelligibles et réflexives.
Pour en savoir plus Bitcoin, la monnaie acéphale, d’Adli Takkal Bataille et Jacques Favier. CNRS Editions, 23 euros.
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THE PURPOSE
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REVOLUTION
Ou comment l’industrie de la mode commence à se poser les bonnes questions.
Par Mariana Monteiro
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a conversation est clairement en train de changer au sein du marketing des vêtements. Des concepts comme le durable et le vert sont maintenant courants dans les grands titres des magazines de mode. De grandes marques comme H&M et Zara ont dû s’accoutumer de cette nouvelle conscience du consommateur et ont créé des initiatives au sein même de leurs entreprises pour réduire leur trace de carbone et d’eau ou encore recycler des vêtements usagers. Mais est-ce assez ? Est-ce qu’avoir une conscience collective compense un modèle de business inhumain et polluant à l’impact mondial? Les consommateurs demandent toujours plus d’implication de la part des marques et si l’attention portée aux problèmes est la moindre des choses, elle n’est que le début. La nouvelle frontière est la Purpose Revolution, l’alignement de la marque avec des mouvements activistes qui doit aller au-delà des actions marketing pour avoir un vrai impact.
Des prévisionnistes comme WGSN, BOX 1824 ou encore KHOLE indiquent que le consommateur peut voir à travers les stratégies d’éco-blanchissements des marques et voudrait plus de cohérence et transparence.
Le cas le plus souvent pris en exemple est la controverse causée par la ligne de vêtements de Beyoncé pour Topshop. Toute la stratégie marketing reposait sur le point de vue féministe de la chanteuse et l’émancipation des femmes mais en y regardant de plus près, il n’y a rien de féministe dans le fait de payer une misère les travailleurs qui cousent les vêtements Ivy Park à l’étranger.
Il n’y a pas d’émancipation possible sans un commerce équitable car la plupart des travailleu-
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rs dans l’industrie textile sont des femmes. Ainsi, le discours marketing est tombé à plat et n’a pas pu toucher les consommateurs activistes.
Cette mentalité arrive avec un nouveau modèle de business basé sur l’idée du “capitalisme conscient”, un terme attribué au Prix Nobel Muhammad Yunus. Dr. Raj Sisodia, co-fondateur du mouvement, est également reconnu comme l’un de ses leaders pour sa vue plus emphatique des affaires. Pourtant, « l’empathie » n’est pas la valeur première de l’industrie du textile qui a plutôt toujours eu tendance à courir après le luxe et l’exclusive, loin d’avoir comme but le bien commun.
Il semblerait donc que les choses commencent à changer. En effet, les marques de luxe et les géants de la fast fashion (H&M, Zara, etc.) font des petits (mais largement rendus publique) changements dans leurs chaines de distribution. Les enseignes plus récentes sont, elles, nées prêtes pour une économie qui ne vend plus que des vêtements mais aussi des bonnes actions. Par exemple, Reformation est née pour la it girl qui s’inquiète mais aussi d’une recherche pour que les sources de textiles aient un impact positif sur l’environnement, d’une recherche d’un contrôle total et d’une transparence des unités de manufactures en Californie. L’entreprise a également mise au point des règles qui s’inscrivent dans le mouvement
LOHAS (Lifestyle of Health and Sustainability), autrement dit dans des modes de vie pour la santé et la durabilité. Plus que de rechercher des fournisseurs à l’impact minime, les marques ont une méthodologie qui neutralise la production d’une empreinte sur l’environnement. Elles ont des manufactures en interne et paient le salaire minimum de Los Angles pour les travailleurs à l’heure. C’est plus que le salaire minimum payé à l’étranger mais reste en dessous du salaire moyen de Los Angeles. De plus, leur équipe est au trois quart féminine et l’effort fait pour promouvoir les femmes est bien réel, pas un simple spectacle pour les medias.
Un des exemples qui revient le plus souvent lorsque l’on parle de durabilité dans l’industrie de la mode est la conscience en tant que telle. Par example, Patagonia a mis en place des politiques pour la réparation et le recyclage des vêtements depuis que l’entreprise a grandi et cessé de ne vendre que des outils pour les grimpeurs. Pour Patagonia, l’environnement fait tant partie de leur identité que leur empreinte environnementale est contrôlée de très près et au moins 1% de ventes est reversé à des OGN (Organisations Non-Gouvernementales). Cette opération va donc bien plus loin que la simple responsabilité de l’entreprise mais ne peut néanmoins pas garantir des revenus plus élevés que la moyenne pour les travailleurs.
Reformation et Patagonia ont des clientèles très différentes dont les styles de vie sont presque opposés mais cela ne les empêche pas d’avoir la même recherche de sens. Car ces marques, comme beaucoup d’autres, se focalisent sur leur objectif (d’où le nom de Purpose Revolution) bien qu’elles aient encore un long chemin à parcourir avant que leur modèle d’affaires ne devienne pas la nouvelle norme. Une vraie durabilité ne peut être atteinte qu’avec une nouvelle logique d’offre et de demande qui prendrait en considération pas seulement les coûts mais également les valeurs. Traduit de l’anglais par : Fanny Lebreton.
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MERCI à nos collaborateurs : Julie Boursier, Valentin Ducrot, Tiphaine Dupeyrat, Masha Litvak, Mariana Monteiro, Adli Takkal Bataille pour leurs articles et Alejandro Lemos Impata pour sa bande dessinée. Ce magazine, entièrement conçu par des étudiants issus en grande partie du Master Intelligence et Innovation Culturelles, a l’ambition de partager tant notre enseignement à Paris Diderot qu’un regard étudiant sur la culture et le monde contemporain.
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Tiphaine Dupeyrat Master 1 - MIIC
Julie Boursier Master 1 - MIIC
Alejandro Lemos Master 1 - MIIC
Masha Litvak Master 1 - MIIC
Valentin Drucos Master 2 - MIIC
Mariana Monteiro Designer UFPE - BrĂŠsil
Adli Takkal Bataille Entrepreneur - Bordeaux
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