Panne ou manne d'investissements publics

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ANDRÉ ANTOINE  LES CAHIERS DE LA PRÉSIDENCE DU PARLEMENT DE WALLONIE


André ANTOINE LES CAHIERS DE LA PRÉSIDENCE DU PARLEMENT DE WALLONIE


ANDRÉ ANTOINE



AVANT-PROPOS L

es investissements publics sont, en Belgique peut-être plus qu’ailleurs, le domaine par excellence dans lequel les objectifs budgétaires à court et à long terme s’entrechoquent et doivent faire l’objet d’arbitrages délicats. Mon expérience longue de plusieurs législatures en tant que membre de la Commission du budget, tant au Parlement de Wallonie que de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que mes fonctions de ministre du Budget de la Région wallonne entre 2009 et 2014 ont forgé mon intime conviction que la relance d’investissements publics correctement ciblés et suffisamment financés constituent la meilleure garantie d’une prospérité retrouvée. La présente analyse a été établie en marge de la dernière séance plénière du Conseil parlementaire interrégional (CPI), qui s’est tenue sous ma présidence au Parlement de Wallonie le 9 décembre 2016. À cette occasion, des députés du Grand-Duché de Luxembourg, de la Rhénanie-Palatinat, de la Sarre, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région wallonne ont débattu de la question des investissements publics en Europe et de leur conformité aux

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normes comptables européennes (SEC 2010) avec d’éminents experts que sont Philippe de Rougemont, statistical officer à Eurostat et Steven Engels, analyste économique et european semester officer à la Représentation de la Commission européenne en Belgique. En 2014 déjà, je clamais ma désapprobation face à l’évolution comptable de l’Union européenne, qui confond, au plus grand préjudice de nos concitoyens, financement des investissements et couverture des déficits. Dans un contexte de croissance atone, ce cinquième Cahier de la Présidence constitue un véritable plaidoyer pour une relance des investissements publics, soit en adaptant les normes SEC 2010, soit en assouplissant les objectifs du Pacte de stabilité et de croissance, soit en favorisant le recours aux Partenariats public-privé . Ce document dresse tout d’abord un état des lieux chiffrés des investissements publics réalisés en Belgique. Ensuite, il procède à un inventaire, forcément non exhaustif, des prises de position récentes en faveur d’une relance des investissements publics et, plus précisément, d’un assouplissement de l’application des normes SEC 2010 et/ou des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Il donne également quelques éléments descriptifs concernant les investissements productifs en général et le projet du tram de Liège en particulier, avant d’aborder la problématique des investissements au niveau des pouvoirs locaux. Nous mandataires locaux, élus régionaux ou députés fédéraux, voire européens, sommes directement responsables des choix budgétaires à venir. Nous devons tout à la fois assurer le retour à l’équilibre pour les budgets ordinaires, mais surtout relancer les investissements publics à très court terme. Il y va de notre devoir de rencontrer de nombreux besoins publics aujourd’hui délaissés, de doper notre économie régionale et ainsi favoriser l’emploi. La croissance de la Wallonie est conditionnée par ses choix éclairés. Autant le savoir…

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LA DETTE DE LA WALLONIE

C

es dernières années, la question des investissements publics s’est posée avec une acuité particulière en Wallonie. Il nous paraît dès lors utile de rappeler certaines données objectives concernant la situation financière de la Région. Ainsi, en janvier 2014, l’Institut des comptes nationaux (ICN) a pris la décision de requalifier l’ensemble des financements alternatifs de la Wallonie afin de les faire entrer dans le périmètre de la dette wallonne. Le montant de celle-ci a alors gonflé de plusieurs milliards, sans que la Région n’emprunte le moindre euro supplémentaire! Pourtant, les normes SEC 2010 justifiant cette requalification ne devaient entrer en vigueur qu’en septembre 2014. Comprenne qui pourra... Ces décisions étonnantes ont donné lieu à des discours antagonistes, sinon polémiques. D’aucuns ont prétendu que la Wallonie était à la limite de la solvabilité du fait de décisions irresponsables. D’autres par contre, et à juste titre, ont rétorqué qu’il s’agissait d’une modification de l’approche statistique et comptable. En finance publique, reconnaissons que les raisonnements simplistes sont non seulement trompeurs, mais qu’ils peuvent également en-

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traîner une frilosité coupable en matière d’investissements dans le chef des responsables politiques. En effet, une dette n’est pas nécessairement mauvaise par essence. Tout dépend de son coût, de son usage et de sa gestion1. Au 1er janvier 2015, l’Institut des comptes nationaux a évalué la dette wallonne à 19,7 milliards d’euros. Celle-ci comprend, d’une part, la dette dite « directe » s’élevant à 7,5 milliards d’euros et correspondant aux emprunts accumulés afin de faire face aux déficits budgétaires courants successifs. En d’autres mots, ce sont les charges du passé. Le retour à l’équilibre recettes/dépenses est cependant essentiel si nous voulons éviter un effet « boule de neige » dans l’augmentation de notre endettement wallon. D’autre part, elle inclut une dette dite « indirecte », issue en partie de financements alternatifs requalifiés en 2014 et s’élevant à 12,2 milliards d’euros. Cette dette indirecte, quant à elle, peut-être qualifiée de vertueuse. Elle sert en effet à financer les investissements dans le logement, les routes, les aéroports, les infrastructures sociales, etc. Autant de dépenses qui, en plus de stimuler immédiatement l’emploi et la consommation, ont également des effets bénéfiques sur la croissance structurelle de la Wallonie. Au-delà du montant de la dette totale, la question est de savoir si celle-ci est soutenable, au vu du poids qu’elle représente dans le budget annuel de la Région. Il apparaît que celle-ci est tout à fait raisonnable. En 2015, la Wallonie a dépensé 13,2 milliards d’euros, dont 443,7 millions d’euros au titre des charges d’intérêt, soit à peine 3,4 % de ses dépenses totales. 1

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Notons que les objectifs européens de 3 % de déficit et de dette inférieure ou égale à 60 % du PIB avaient été définis avant ces différentes requalifications et n’ont pas été modifiés depuis.


Bien entendu, il ne s’agit pas de minimiser l’importance de l’assainissement des finances publiques ni de plaider pour des emprunts tous azimuts, peu importe leur finalité. Ces chiffres mettent seulement en lumière le caractère plus que raisonnable de l’endettement wallon et les marges de manœuvre dont la Région pourrait disposer si l’Europe lui permettait de réaliser des investissements productifs. Du reste, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de ces questions en commission chargée de questions européennes avec Henri Bogaert, Commissaire honoraire au Plan et Professeur à l’Université de Namur, ainsi qu’avec MM. Bernheim et Reyntjes, respectivement analyste à la Commission européenne et Chef de la représentation belge à la DG emploi de la Commission. Les réflexions qui suivent s’appuient notamment sur ces auditions et visent à les prolonger dans un esprit constructif.

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ÉTAT DES LIEUX DES INVESTISSEMENTS EN BELGIQUE ET EN EUROPE

L

es dernières analyses de la question ont été réalisées par le Conseil central de l’économie (CCE) en juillet 20162, par la Banque Nationale de Belgique (BNB) en septembre 2016 3 et par l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) en février 20174. Selon la BNB, les investissements publics au sens strict se définissent comme la formation brute de capital fixe par les administrations publiques5. Cela correspond aux acquisitions moins les cessions d’actifs réalisées par l’ensemble des niveaux de pouvoir, 2

Conseil central de l’économie, Diagnostic des investissements publics en Belgique, Avis CCE 2016-1699, 12 juillet 2016.

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. Melyn, R. Schoonmakers, P. Stinglhamber, L. Van Meensel, « Faut-il W stimuler les investissements publics ? », BNB Revue économique, Banque nationale de Belgique, septembre 2016.

4

B. Bayenet, S. Brunet (sous la dir.), Rapport sur l’économie wallonne, IWEPS, Février 2017.

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Notons que la SNCB, les intercommunales de distribution d’eau et d’électricité et les hôpitaux publics ne font pas partie des administrations publiques au sens des comptes nationaux.

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du fédéral au local. Plus de la moitié de ces investissements sont consentis par les régions et communautés, environ un tiers par les pouvoirs locaux (mais selon un « cycle électoral ») et un dixième par l’État fédéral, sécurité sociale comprise. Dans son avis de juillet 2016, le CCE analyse les investissements publics selon trois approches statistiques distinctes. Une première manière d’envisager les investissements publics est de les comparer chaque année au PIB6. En 2015, dans notre pays, 9,4 milliards d’euros d’investissements publics étaient comptabilisés, ce qui correspond à 2,3 % du PIB, soit la moitié du niveau qu’ils avaient atteint au début des années 70, à savoir 5,5%. L’essentiel de ce recul est survenu lors de la consolidation budgétaire des années 80. Depuis la fin des années 80, ils fluctuent entre 2 % et 2,5 % du PIB. Evolution de la part des investissements publics dans le PIB 1995-2015 (%)

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À titre d’information, le PIB de la Belgique était en 2015 de 406 milliards d’euros. Ce chiffre est exprimé en euros de 2014, afin de pouvoir procéder à des comparaisons pertinentes. Voir http://stat.nbb.be/index.aspx?queryid=40

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Une deuxième manière d’envisager les investissements publics consiste à les comparer chaque année au total des dépenses publiques. Depuis 1970, les dépenses primaires et les investissements publics ont évolué de manière divergente. Les premières ont augmenté plus rapidement que le PIB, alors que les seconds sont restés stables en termes réels7. En conséquence, la part des investissements publics dans les dépenses primaires a été divisée par 3 depuis le début des années 70, pour se fixer aux alentours de 5 % des dépenses en 2015. Une troisième manière de présenter les investissements publics est d’en faire un instantané, en prenant l’état du stock net de capital fixe8 à un instant T. Ainsi, depuis la fin des années 1980, en Belgique, les nouveaux investissements publics suffisent à peine à compenser la dépréciation de capital résultant des investissements passés (amortissement). Cela veut dire que le stock net d’actifs fixes n’a pas évolué depuis lors, alors que le PIB a augmenté. Le ratio entre le stock net de capital fixe et le PIB est un bon indicateur de la qualité des infrastructures d’un pays. En Belgique, ce ratio n’a cessé de se détériorer depuis 1995 !

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En d’autres termes, le montant nominal des investissements publics a évolué environ au même rythme que l’indice de prix. Si le montant nominal des investissements a augmenté, leur valeur réelle est stable, puisque les prix ont également augmenté.

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Total de la valeur des routes, bâtiments, machines, etc. détenus par les administrations publiques.

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Evolution des stocks d’actifs nets des administrations publiques (en % du PIB) 1995-2014

Afin que cet état des lieux soit complet, il est nécessaire de comparer les investissements publics en Belgique avec ceux de nos voisins et partenaires européens9. La part moyenne des investissements publics dans le PIB entre 2005 et 2015 est la suivante : nn Allemagne : 2,2 %; nn Belgique : 2,3 %; nn UE-28 : 3,2 %; 9

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L es chiffres utilisés pour la comparaison de la Belgique avec les autres pays de l’UE sont issus de Conseil central de l’économie, op.cit.


nn Pays-Bas : 3,8 %; nn France : 3,9 %. Il est à noter que la Belgique et l’Allemagne sont respectivement avant dernière et dernière du classement au niveau de l’UE-28. Investissements publics en % du PIB, pays de l’UE, 1995-2015

Concernant la part moyenne des investissements dans les dépenses publiques sur la période 2005-2015, les chiffres sont : nn Belgique : 4,4 % des dépenses ; nn Allemagne : 4,8 % des dépenses ; nn UE-28 : 6,7 % des dépenses ; nn France : 7,1 % des dépenses ; nn Pays-Bas : 8,5 % des dépenses.

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Toutefois, il convient d’affiner ces chiffres au regard du niveau de dépenses publiques par rapport au PIB, qui varie entre 37 % en Roumanie et 55,2 % en France, pour une moyenne européenne fixée à 47,7 %. Part des investissements publics dans les dépenses publiques (% PIB) 2005-2015 Total dépenses publiques

Total investissements publics

Part investissements/dépenses

France

55,2

3,9

7,1%

Danemark

54,4

3,3

6,1%

Finlande

53,3

3,8

7,1%

Belgique

52,8

2,3

4,4%

Grèce

52,1

4,3

8,2%

Suède

51,4

4,4

8,5%

Autriche

51,3

3,0

5,9%

Hongrie

49,9

4,3

8,7%

Italie

49,4

2,8

5,6%

Portugal

48,4

3,3

6,8%

Slovénie

48,1

4,6

9,5%

Union européenne (28)

47,7

3,2

6,7%

Croatie

46,7

4,6

9,7%

Pays-Bas

45,4

3,8

8,5%

Royaume-Uni

45,4

2,7

6,0%

Allemagne

44,9

2,2

4,8%

Pologne

43,6

4,7

10,7%

Espangne

43,2

3,7

8,5%

Luxembourg

42,6

4,0

9,4

Rép. tchèque

42,3

4,7

11,1%

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Total dépenses publiques

Total investissements publics

Part investissements/dépenses

Malte

42,1

3,2

7,7%

Irlande

41,7

3,1

7,5%

Chypre

41,2

3,1

7,5%

Slovaquie

40,6

3,8

9,4%

Estonie

38,2

5,6

14,7%

Lettonie

38,0

4,9

12,8%

Lituanie

37,6

4,4

11,7%

Bulgarie

37,2

4,6

12,4%

Roumanie

37,0

5,2

14,0%

La logique voudrait qu’au plus un pays dépense, au plus il investisse, ce qui se confirme empiriquement dans une certaine mesure. La Belgique fait toutefois exception à ce principe, puisqu’au sein des pays dont la dépense est supérieure à 50 % du PIB (52,8 % en Belgique), elle est de loin l’une des dernières en termes d’investissements publics avec 2,3 % du PIB. L’Allemagne, qui a un niveau d’investissement comparable, enregistre un taux de dépenses plus faible (44,9 % du PIB). À contrario, les Pays-Bas combinent des dépenses faibles (45,4 % du PIB) avec des investissements plus élevés (3,8 % du PIB). Enfin, la France présente un niveau de dépenses publiques similaire (55,2%), mais avec des investissements publics plus élevés (3,9%). Cela signifie qu’au sein de la zone euro, la Belgique combine un niveau élevé de dépenses courantes avec un faible niveau d’investissements. Concernant les actifs nets exprimés en pourcentage du PIB, ils sont passés en Belgique de 51 % en 1995 à 38 % en 2014. En Allemagne, la baisse est moindre du fait d’un redressement de la courbe entre 2009 et 2010 pour s’établir à 45 % en 2014. En France et aux Pays-Bas, ce rapport a nettement augmenté après

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2000 pour s’établir respectivement à 55 % et à 61 %. L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) a consacré un chapitre entier de son récent rapport sur l’économie wallonne10 à la question des investissements au sens large, tant publics que privés. Les constats généraux ne diffèrent pas de ceux que nous venons d’épingler. Mais l’analyse est enrichie à maints égards. Ainsi, cet ouvrage révèle qu’en Wallonie, les entreprises réalisent 63 % des investissements, contre 25 % pour l’investissement résidentiel et seulement 12 % pour le secteur public. En Flandre et à Bruxelles, les pouvoirs publics réalisent respectivement 9 % et 16 % de l’investissement total annuel, ce qui, dans le cas de la capitale, s’explique notamment par ses fonctions particulières11. S’il n’est pas anormal d’observer que le secteur privé soit le principal moteur de l’investissement, il est beaucoup plus inquiétant de constater qu’il soit le seul dont le volume d’investissement exprimé en pourcentage du PIB ait augmenté depuis 1995, tant en Belgique qu’en Wallonie. Outre la comparaison entre les secteurs, l’IWEPS a également affiné l’analyse au sein même du secteur public wallon. Dans notre région, 46 % des investissements publics au cours de la période 2003-2013 ont été réalisés par les entités fédérées, 44 % par les pouvoirs locaux et 10 % par l’autorité fédérale, sécurité sociale comprise. Pour rappel, la part des pouvoirs locaux belges oscille davantage autour de 30-35 % en fonction des années. 10

B. Bayenet, S. Brunet (sous la dir.), op.cit.

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Chiffres de 2013

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Il est intéressant d’analyser cette répartition entre entités I et II à la lumière du dernier rapport annuel de la Banque Nationale de Belgique12. En son chapitre « finances publiques », ce document stipule que les administrations publiques belges ont affiché un besoin de financement de l’ordre de 2,8 % du PIB, soit une dégradation de 0,3 % par rapport à 2015. En outre, 2,7% de ce déficit est imputable au fédéral et à la sécurité sociale, tandis que 0,1% ressort des comptes des communautés, régions et pouvoirs locaux, qui améliorent leur situation par rapport à 2015. Ainsi, malgré les nouveaux transferts de compétences faisant suite à la sixième réforme de l’État, malgré l’absence d’accord sur la répartition des objectifs budgétaire et surtout, malgré l’extrême faiblesse de ses investissements, « l’entité 1 est à elle seule responsable de la quasi-totalité du déficit de l’ensemble des administrations publiques » et « (…) le tax-shift explique en grande partie la baisse sensible du ratio des recettes enregistrées en 2016 et attendue pour les années à venir ». En plus de ne pas investir suffisamment lui-même, le Gouvernement fédéral affecte donc la capacité des autres niveaux de pouvoir à le faire, puisqu’il « préempte » l’ensemble des déficits autorisés par les règles européennes. Les investissements des pouvoirs locaux ont, quant à eux, au moins deux caractéristiques propres. La première est qu’ils sont l’unique niveau de pouvoir à enregistrer une formation nette de capital fixe. À quelques exceptions près, ils sont les seuls depuis 1984 à investir un montant supérieur à celui de la dépréciation de leurs actifs. À l’échelle d’un ménage, cela signifierait que les pouvoirs locaux réalisent des travaux d’amélioration de leur maison, tandis que les autres se limitent aux réparations les plus urgentes, et ce, depuis plus de trente ans; ce qui ne leur permet pas d’entretenir correctement leurs patrimoines. 12

B anque Nationale de Belgique, Rapport 2016 - évolution économique et financière, Bruxelles, février 2017

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Formation nette de capital fixe par sous-secteur institutionnel en % du PIB

Sources : IWEPS, IBSA, SVR et BFP – modèle HERMREG, ICN, rétropolations IWEPS sur la base des données en SEC 95

La seconde caractéristique, par contre, est moins flatteuse, car les investissements des pouvoirs locaux sont majoritairement dirigés vers les bâtiments publics. Cette « préférence » pour les bâtiments et le poids relatif plus important des pouvoirs locaux dans les investissements publics wallons se combinent pour aboutir à des investissements publics sous-optimaux. En effet, comme l’a confirmé une récente étude du Bureau du Plan13, les investissements en infrastructures de transports sont ceux qui génèrent le plus important effet à long terme sur la croissance et la productivité des facteurs, raison pour laquelle ils doivent être priorisés (voir infra).

13

B . Biatour et al.,« Public Investment in Belgium : Current State and Economic Impact », Working Paper 1-17,Bureau fédéral du Plan, Bruxelles, janvier 2017.

20


En conclusion de cette partie, quatre constats peuvent être retenus: nn L e déficit public belge est désormais largement imputable à l’entité I (Fédéral et sécurité sociale) et ce, malgré les nombreux transferts budgétaires liés à la sixième réforme de l’Etat. Pire, le choix de renoncer à certaines recettes (effet tax-shit) accentue encore sa dépréciation financière générale. nn L a Belgique souffre d’un sous-investissement chronique de la part des pouvoirs publics, ce qui impacte directement sa compétitivité par rapport à ses voisins européens; nn L ’investissement public wallon se caractérise par le rôle important des pouvoirs locaux, eux-mêmes affichant une préférence pour les bâtiments publics, qui ne sont pas les investissements les plus porteurs pour la croissance à long terme ; nn L es trajectoires divergentes des différents pays européens montrent qu’un renforcement des investissements publics est possible, y compris dans le cadre d’une réduction du ratio dépenses/PIB14 (cfr. Pays-Bas).

14

C e ratio est par nature dynamique, une relance des dépenses d’investissement étant de nature à faire augmenter le PIB. Il ne faudrait donc pas seulement se focaliser sur l’aspect « dépenses », mais bien sur la dynamique globale.

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NÉCESSITÉ DE RELANCER LES

INVESTISSEMENTS PUBLICS : UN CONSENSUS TOUJOURS PLUS LARGE

D

epuis de nombreuses années, différents acteurs plaident pour qu’il soit mis fin aux politiques d’austérité aveugle. Pour appuyer ces propos, les arguments développés sont divers : sociaux, éthiques, économiques, politiques... Mais ces derniers mois, des plaidoyers économiques largement étayés en faveur d’une relance intelligente des investissements publics se sont développés tant au sein d’instances officielles internationales que nationales. Le présent chapitre organise un tour d’horizon des recommandations les plus notables et des récentes prises de position en la matière. nn E n 2013, la principale étude fondant les politiques d’austérité15, qui prétendait démontrer un lien entre ratio dette/PIB et croissance, était largement invalidée par des chercheurs de l’Université du Massachusetts. En effet, de « graves erreurs » dans les données fondant cette étude ont été démon-

15

C . M. Reinhart, K. S. Roghoff, « Growth in a time of debt », Americain economic review : Papers & proceedings, n° 100, mai 2010, pp. 573-578.

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trées, ce qui fit dire à Paul de Grauwe16, que la « théorie derrière l’austérité n’a plus de sens »17 ; nn L a même année, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) Olivier Blanchard, cosignait un article où il démontrait que les modèles de prévision (y compris celui du FMI) avaient largement sous-estimé le « multiplicateur budgétaire »18. Alors que le FMI partait du principe que 1 euro de contraction des dépenses publiques provoquait une contraction de 0,5 euro du PIB, Blanchard démontre qu’en fait la contraction du PIB est « d’au moins 1 euro » et « toujours plus importante en temps de crise ». À contrario, cela signifie également qu’une politique d’expansion des dépenses est plus efficace en temps de crise ; nn L e 15 décembre 2014, Philippe Maystadt, ancien président de la Banque européenne d’investissements (BEI), insistait déjà sur la néccésité de relancer les investissements publics. Toutefois, il ajoutait que cela ne pourrait se faire qu’au prix d’un assouplissement des règles du Pacte de stabilité et de croissance, afin de lui permettre d’assurer, justement, son volet « croissance »19 ; nn E n mars 2016, dans son « Bulletin économique », la Banque centrale européenne livrait une analyse similaire, insistant 16

Professeur à la London School of Economics et ex-parlementaire VLD.

17

R TBF, « Paul de Grauwe : la théorie derrière l’austérité n’a plus de sens », RTBF.be, 17 avril 2013. http://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-politique-d-austerite-efficacite-scientifiquement-mise-en-doute?id=7974720

18

O . Blanchard, D. Leigh,« Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », Working Paper no 2013/1, FMI, janvier 2013

19

P . Maystadt, « Relancer l’investissement », Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n°337, décembre 2014

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notamment sur le fait que financer les investissements productifs par de la dette ou des nouveaux revenus serait plus efficace à court terme que de les financer via une réaffectation des dépenses existantes. Ce faisant, la BCE soulignait cependant que les deux premières options devaient être correctement évaluées au regard de leurs conséquences sur les finances publiques. Les effets à long terme sont, quant à eux, déterminés par le caractère réellement productif des investissements consentis et donc aussi par leur capacité à répondre à un besoin effectif de l’économie20 ; nn L e 5 septembre 2016, répondant aux recommandations du FMI, le G20 appelait à recourir à davantage de dépenses publiques pour relancer l’économie mondiale en berne21 ; nn E n octobre 2016, dans la foulée de l’annonce d’un « Pacte national sur les investissements », Bruno Colmant écrivait : « Le contexte est propice à cette initiative : l’économie reste atone tandis que la relance monétaire mise en œuvre par la Banque centrale européenne montre ses limites : les taux d’intérêt et l’inflation restent désespérément bas, car l’économie est engluée dans un piège de la liquidité, c’est-à-dire un état stationnaire où la politique monétaire devient inopérante. Il convient donc de mettre en œuvre une relance budgétaire destinée à surmonter la léthargie de l’économie. C’est, du reste, intuitif : lorsque les agents 20

Banque centrale européenne, « Public investments in Europe », Economic bulletin, Issue 2/2016, BCE, 2016.

21

h ttp://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/communique-deschefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-g2/

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économiques sont paralysés par un futur inquiétant, il convient qu’un effort collectif, c’est-à-dire émanant des pouvoirs publics, surmonte les craintes individuelles »22. Il ajoute qu’il importe, d’une part, de s’assurer que ces investissements soient réellement productifs et, d’autre part, que ceux-ci soient mis en œuvre de concert avec le secteur privé qui dispose d’importantes liquidités dormantes ; nn L e 28 novembre 2016, par la voix de son économiste en chef Catherine Mann, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a réitéré son appel formulé en février 2016 et exprimé quelques précisions23 : E n cinq ans de réduction des déficits publics, le ratio dette/PIB s’est stabilisé, ce qui montre l’utilité de se concentrer désormais sur l’augmentation du dénominateur, donc du PIB ; À ses yeux, la conjoncture actuelle de politiques monétaires extrêmement accommodantes avec des taux d’intérêt très faibles ouvre une fenêtre d’opportunité pour déployer des initiatives budgétaires. L’augmentation de la dépense publique pendant trois ou quatre ans n’affecterait pas le ratio dette/PIB sur le long terme ; I l convient toutefois d’agir avec discernement. L’enjeu est une politique budgétaire bien calibrée qui « soutienne la demande à court terme, la productivité à long terme et réponde aux enjeux des inégalités ». En outre, dans certains pays, des réformes structurelles, notamment en matière de pensions, restent nécessaires ; 22

B . Colmant, H. Bever, Pacte national pour les investissements : bluff ou réalité ?, billet publié sur le blog personnel B. Colmant, 14 octobre 2016, http:// brunocolmant.com/echo/pacte-national-pour-les-investissements-bluff-ou-realite/

23

OCDE, Perspectives économiques, Volume 2016, N°2, OCDE, novembre 2016

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E nfin, l’OCDE rappelle que les mesures protectionnistes et celles de rétorsion qui les suivraient annihileraient les effets bénéfiques d’une relance budgétaire. Il s’agit donc pour les pays de l’OCDE de coordonner les politiques budgétaires afin qu’elles se renforcent mutuellement.

nn L e 27 janvier 2017, le Bureau du plan présentait une étude simulant les effets bénéfiques de nouveaux investissements publics sur la croissance belge. L’hypothèse de travail du Bureau est celle d’une hausse des investissements publics de l’ordre de 2 milliards d’euros en 2017, pour atteindre 2,9 % du PIB, contre 2,4 % actuellement. L’effet d’une telle augmentation sur la croissance serait de l’ordre de 0,24 % la première année et atteindrait 2,77 % après vingt ans. nn L e 16 février 2017, le Parlement européen adoptait une résolution en prélude à la rédaction du Livre Blanc de la Commission, qui sera présenté à l’occasion du 60e anniversaire du Traité de Rome24. Par cette résolution, le Parlement européen demande la mise en place d’une capacité budgétaire propre pour la zone euro. Les députés affirment notamment que « (…) il est indispensable de mener une stratégie d’investissements parallèlement à l’assainissement » et que « la capacité budgétaire de la zone euro devrait s’accompagner d’une stratégie à long terme de soutenabilité de la dette et de désendettement, mais aussi de renforcement de la croissance et de l’investissement des pays de la zone euro, de nature à faire baisser les coûts globaux de refinancement et le rapport dette/PIB ». En outre, ils réclament, en plus d’un budget, l’adoption d’un « code de convergence » 24

R ésolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur la capacité budgétaire de la zone euro

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qui complèterait le Pacte de stabilité et de croissance. Ce dernier viserait notamment à garantir un niveau suffisant d’investissements publics au sein des Etats membres. Enfin, concernant la taille idéale de ce budget, ils affirment qu’il faut que « ce budget soit de taille suffisante pour faire face à des chocs symétriques, en finançant des investissements axés sur la demande agrégée et le plein emploi »25. Le même jour, Pierre Moscovici accordait une interview à la chaîne Euronews, dans laquelle il souscrivait à l’ensemble des requêtes formulées dans cette résolution. Il semble donc que seuls les Etats membres doivent encore être convaincus26. nn D ans les prochains jours, le Parlement de Wallonie sera amené à examiner en séance plénière une proposition de résolution cosignée par des députés cdH et PS. Ce texte, d’ores et déjà validé par la Commission du budget et de la fonction publique, s’appuie sur certains des éléments décrits ci-dessus pour démontrer le niveau trop faible d’investissements publics en Wallonie. En conséquence, les députés signataires demandent au Gouvernement wallon d’agir dans toutes les instances pertinentes afin d’obtenir les évolutions règlementaires et comptables nécessaires à la relance des investissements publics productifs27. 25

U n « choc symétrique » est un déséquilibre (par exemple une trop faible demande) qui touche l’ensemble d’une zone donnée, par opposition, un « choc asymétrique » n’en touche qu’une partie.

26

h ttp://fr.euronews.com/2017/02/16/pierre-moscovicisouhaite-un-ministre-des-finances-de-la-zone-euro

27

Proposition de résolution du Parlement de Wallonie du 1er décembre 2016, visant à défendre l’exonération des investissements publics dans le cadre de l’application des nouvelles normes comptables du Système européen comptable (SEC), déposée par M. Collignon, Mme Kapompole, M. Dupont et Mme Zrihen.

28


nn L e 22 février 2017, la Commission européenne publiait un rapport concernant la Belgique dans le cadre du semestre européen28. Ce document analyse «sous toutes les coutures» l’évolution de l’économie belge et formule diverses recommandations. La Commission y constate l’extrême faiblesse des investissements publics belges depuis 1990 et déplore une préférence pour les « bâtiments administratifs » au détriment des infrastructures, plus porteuses de croissance. Selon elle, « une marge suffisante ne sera préservée pour l’investissement qu’à condition que l’efficacité des services et des politiques publics s’améliore et que la tendance à l’accroissement de certaines dépenses gouvernementales (NDLR: en fait, principalement sociales) s’inverse ». Bien évidemment, nous souscrivons pleinement à la recommandation concernant la nécessité d’investissements publics productifs. Mais nous n’en partageons pas pour autant son corollaire de diminution des dépenses sociales. Comme le rappelait fort opportunément le Bureau fédéral du Plan, la réduction des dépenses est le mode de financement des investissements qui donne les moins bons résultats. L’injonction de la Commission est pertinente dans ses constats, mais contreproductive dans ses solutions. Il vaudrait mieux que les institutions européennes s’interrogent sur leurs prescrits comptables et sur le rythme d’assainissement des finances publiques en période de basse conjoncture. Sans quoi, ces instances continueront à privilégier la stabilité à la croissance. 28

C ommission européenne, Rapport 2017 pour la Belgique accompagnant le document: Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil à la Banque centrale européenne et à l’Eurogroupe, Bruxelles, 22 février 2017.

29


nn L a seule voix discordante émane de la réunion des l’Eurogroupe29 du lundi 5 décembre. Il apparaît que nos partenaires allemands et hollandais sont les seuls à présenter des budgets excédentaires. Malgré cette situation financière enviable, ils ne sont cependant pas prêts à jouer le jeu de la « solidarité européenne ». Celle-ci permettrait de relancer notablement les investissements publics, qui rejailliraient positivement sur l’ensemble de l’Union. Il semble que les blocages subsistant à ce niveau concernent davantage des questions de politiques purement nationales que de réelles opportunités économiques. Cependant, de nouvelles expressions se font entendre au niveau allemand, par l’intermédiaire de Martin Schulz, qui a inscrit la relance de l’investissement public à son programme de campagne30. Notons à cet égard que, récemment, aucune sanction n’a été prise à l’égard des pays n’ayant pas respecté leur objectif en regard du Pacte de stabilité et de croissance. Cette situation un peu absurde démontre bien toute la nécessité de faire évoluer les règles du Pacte. Nous y reviendrons par la suite. En conclusion de cette partie, il convient de relever que les principales institutions financières et économiques internationales s’accordent pour reconnaitre que la relance des investissements publics est désormais la seule arme qui reste à la disposition des pays développés afin de soutenir leur croissance. En effet, les politiques d’austérité sont un échec indéniable. Et même si l’ou29

R éunion mensuelle des Etats membres de la zone euro. La dernière réunion a eu lieu ce jeudi 26 janvier.

30

h ttps://www.lesechos.fr/monde/europe/0211821313526-lallemagne-doit-stimuler-leconomie-2067175.php

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til monétaire est en ce moment utilisé à plein régime, il montre toutes ses limites. En plus de la question des dépenses publiques stricto sensu, c’est celle de leur financement qui semble s’ouvrir : l’endettement ne semble plus être considéré unanimement comme non vertueux en lui-même. En réalité, tout dépend de son coût et de sa finalité.



VERS UN ASSOUPLISSEMENT DES NORMES SEC 2010 OU DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE ?

E

n réponse à une question de l’Eurodéputé Hugues Bayet, le Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires Jyrki Katainen indiquait que le Plan Juncker visait à soutenir les investissements publics et que la Commission européenne surveillait, dans ce contexte, l’incidence des normes SEC sur les Partenariats public-privé (PPP)31. Eurostat a d’ailleurs publié fin septembre un guide expliquant le traitement statistique qu’il réserve aux PPP. Toutefois, il a écarté toute exclusion des investissements publics du solde de financement si, en agissant de la sorte, la Commission devait déroger aux normes comptables internationales, sur lesquelles sont fondées les normes comptables européennes SEC 2010. En septembre 2016, la BNB distinguait dans sa revue économique deux types de propositions, pour relancer les investissements en Europe : d’une part, les adaptations du traitement statistique et, 31

R éponse de M. Katainen, Vice-président de la Commission, donnée au nom de la Commission le 7 novembre 2016, à la question écrite de M. Bayet du 8 septembre 2016 ayant pour objet « Pacte d’investissement et assouplissement des normes comptables européennes SEC2010» (E-006784-16). http://www.europarl.europa.eu/ sides/getAllAnswers.do?reference=E-2016-006784&language=FR

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d’autre part, les adaptations des règles budgétaires32. Pour les règles statistiques : nn L a norme en vigueur est le SEC 2010, mais les principes comptables de base n’ont pas changé depuis 1970 : les investissements sont considérés comme une dépense et affectent négativement le solde de financement. Toutefois ce qui a changé, c’est l’interprétation du périmètre des administrations publiques réalisée par Eurostat, ainsi que le traitement réservé aux PPP. Pour certains observateurs, ce durcissement des règles entrave l’investissement public et il convient de revenir à la définition antérieure du périmètre des administrations publiques. Les auteurs soulignent cependant que, ce qui compte, c’est de savoir qui est propriétaire économique d’un bien et non pas propriétaire au sens juridique, afin que les comptes reflètent la réalité économique. Selon eux, il n’est donc ni souhaitable ni nécessaire de redéfinir la méthodologie SEC 2010 ; Pour le respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance : nn L es propositions d’adaptation du Pacte de stabilité et de croissance visent l’instauration d’une « règle d’or » classique au niveau des dépenses courantes : les recettes courantes ne doivent pas comprendre d’emprunt et doivent être égales aux dépenses courantes. Par contre, le recours à l’endettement serait autorisé pour le financement des investissements qui se justifient au niveau économique. Concrètement, les propositions suivantes ont été avancées: W im Moesens, Professeur au département de sciences économiques de la KUL (2016), propose d’autoriser les administra32

L ’entièreté de ces propositions est listée et référencée dans W. Melyn, R. Schoonmakers, P. Stinglhamber, L. Van Meensel, op. cit.

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tions publiques à présenter des déficits jusqu’à concurrence des dépenses d’investissements brutes définies de manière étroite (immobilisations corporelles). Cette règle aurait le mérite de replacer la discipline budgétaire dans les opérations courantes; U ne autre proposition émane du groupe de réflexion Bruegel33 (2014) et consiste en une règle d’or dite « asymétrique » qui permettrait, lorsque la conjoncture est défavorable, d’augmenter le déficit structurel autorisé d’un montant équivalent aux investissements nets. Dans d’autres circonstances, les règles classiques du Pacte de stabilité resteraient d’application ; H enri Bogaert, Professeur à l’Université de Namur et Commissaire honoraire au Plan, a développé une approche visant à revoir le calcul de l’objectif de moyen terme des États membres. Ce calcul intégrerait le volume des dépenses d’investissements qui correspondent, a minima, au maintien en l’état des infrastructures actuelles. Les coûts engendrés par le vieillissement de la population seraient également pris en compte dans le calcul de l’objectif de moyen terme ; U ne autre proposition consisterait à substituer les amortissements sur investissements aux dépenses d’investissements brutes dans le calcul du solde de financement. Cela reviendrait à assouplir le solde de financement des administrations publiques à concurrence des investissements nets. Cela va dans le sens de ce qu’Olivier Blanchard du FMI et Francesco Giavazzi, Professeur à l’Université Bocconi, avaient formulé dans une contribution de 2004, dans laquelle ils soulignent qu’à terme, et pour autant que le solde budgétaire corrigé reste quasiment en équilibre, le taux d’endettement tendrait vers le stock de capital public ; 33

L e Think Tank Bruegel est un centre de recherche présidé par Jean-Claude Trichet et fondé en 2004. Cette institution indépendante est financée par les États membres de l’UE, par des multinationales et par des institutions telles que les banques nationales de l’UE.

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La Commission n’a jusqu’ici pas tenu compte des propositions de réforme des règles du Pacte de stabilité et de croissance, pour les raisons suivantes : nn I l serait difficile de définir les catégories de dépenses qui relèveraient de cette règle ; nn U ne définition trop stricte pourrait orienter les dépenses publiques vers une préférence démesurée aux infrastructures physiques, au détriment d’investissements moins tangibles comme la recherche ou l’éducation ; nn U ne définition trop large pourrait aboutir au « maquillage » de dépenses courantes en dépenses en capital. L’étude de la BNB conclut sur deux recommandations34 : nn « Il importe qu’Eurostat apporte toutes les clarifications sur l’application concrète des normes SEC 2010 afin de préciser le traitement comptable des dépenses d’investissement réalisées grâce aux partenariats public-privé ou d’autres formes de financement alternatif » ; nn « Il serait judicieux de reconsidérer la proposition de prendre en compte les amortissements sur les investissements publics plutôt que les dépenses d’investissements. Il convient toutefois de noter que la responsabilité budgétaire et la soutenabilité des finances publiques doivent être préservées. »

34

W. Melyn, R. Schoonmakers, P. Stinglhamber, L. Van Meensel, op. cit.

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En résumé de cette partie, plusieurs formules sont possibles afin de libérer les investissements publics en Europe. Parmi ces formules, deux d’entre elles doivent être appliquées immédiatement, tandis que la troisième pose autant, si ce n’est plus, de problèmes qu’elle n’en résout : nn U ne modification des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Elle concernerait le calcul des objectifs des États membres en termes d’équilibre budgétaire, qui : i ntégrerait le vieillissement de la population et, au minimum, le maintien des infrastructures et des actifs existants ; s ’adapterait à la conjoncture économique, de manière à assouplir les objectifs en période de basse conjoncture et à les relever lorsqu’elle s’améliore. En particulier, il convient de tenir compte des conséquences économiques que peuvent avoir les attentats qui touchent de nombreux pays en Europe ;

nn Une révision des normes SEC 2010 ou de leur application : v isant à inscrire les dépenses d’investissement, non plus au moment du paiement, mais de manière progressive, selon une logique d’amortissement, capital et intérêts. Par exemple, lorsqu’un pouvoir public emprunte afin de construire une maison de repos qui coûte 15 millions d’euros, il pourrait inscrire dans son budget un montant d’environ 820.000 euros chaque année pendant vingt ans, afin de couvrir tant le capital que les intérêts ; v isant à élargir la liste des dépenses qui sont immunisées par la Commission dans le calcul des déficits des Etats membres. Ainsi, la Commission a décidé que, suite aux attentats, les dépenses de sécurité ne seraient pas comptabilisées. Il en va de même pour les dépenses suscitées par la crise migratoire ainsi que pour celles consenties dans le cadre du Plan Juncker. Nonobstant le maintien des règles actuelles, rien n’empêcherait la Commission d’établir une liste d’investissements qui seraient immunisés de l’application de ces règles. À notre estime, celle-ci devrait comprendre les infrastructures énergétiques, de

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communication et de transport, l’éducation et la recherche, le logement35 et les investissements liés au vieillissement de la population. Par ailleurs, il serait logique que les compléments nationaux affectés tant aux programmes européens de compétitivité et de convergence, que pour les projets retenus par le Fonds social européen et dans les programmes sélectionnés par la BEI soient également immunisés.

nn U ne autre piste, telle qu’avancée par Charles Michel, consisterait à vendre des actifs existants afin de recréer des fonds propres à réinvestir. Cette formule ne nous paraît pas opportune puisque ce sont des opérations « one shot », qui occasionnent par ailleurs la perte éventuelle de dividendes. En outre, au vu des règles comptables, seule la vente d’actifs physiques (bâtiments) pourrait donner lieu à un réinvestissement, le produit de la vente d’actifs financiers ne pouvant être utilisé que pour une réduction de dette ou une nouvelle participation financière.

35

en référence à l’ancienne règlementation SEC 95

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LE CAS PARTICULIER DES

PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ

A

u milieu des années 2000, les Partenariats public-privé (PPP) ont été présentés aux administrations publiques comme la solution idéale pour la réalisation de leurs investissements. Les PPP présentent des avantages indéniables : nn Rapidité d’exécution ; nn Respect des délais et des budgets ; nn G arantie de disposer d’une infrastructure entretenue sur toute la durée du contrat. Historiquement, les PPP offraient aussi l’avantage de ne pas impacter les comptes publics en dehors de la redevance annuelle payée au partenaire privé, permettant ainsi d’en étaler la charge dans le temps. Les PPP ne sont cependant pas exempts de toutes critiques et ne sont plus aussi pratiqués que par le passé. Au rang des critiques, relevons les suivantes : nn S i l’avantage des PPP est la rapidité, les pouvoirs publics y ont souvent recours dans le cadre de l’urgence. Les pres-

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tataires privés étant conscients de cette réalité, ils en tiennent compte lorsqu’ils estiment le montant de leurs offres en les adaptant à la hausse (exemple : tunnels et ponts bruxellois) ; nn S i les taux d’intérêt sont élevés, la formule devient moins intéressante, puisque le prestataire doit aussi se financer, tout en gardant une marge bénéficiaire ; nn D ans certains cas, les dossiers sont éclatés (exemple : la construction de 20 écoles) et sont donc très difficiles à maîtriser au niveau technique, ce qui fait que les coûts des PPP augmentent fortement. Dans de tels cas, il incombe souvent aux pouvoirs publics d’effectuer certains travaux préparatoires (par exemple, des études de sol ou des rénovations complémentaires) pour chaque site d’implantation, ce qui a un coût important ; nn L es administrations n’ont pas toujours la capacité d’estimer précisément dans quelle mesure une offre de PPP est intéressante ou non. La raison réside principalement dans la difficulté à déterminer le coût d’un projet, de son entretien et de sa maintenance. Il en résulte que les administrations sont parfois en position de faiblesse dans les négociations et n’ont pas toujours la capacité critique suffisante pour estimer si elles peuvent supporter ou non un PPP de grande ampleur. Eurostat a progressivement observé deux comportements au sein des États membres : nn C ertains mettent les PPP systématiquement « on balance sheet » c’est à dire dans les comptes publics (en Allemagne et en France notamment) ; nn D ’autres mettent les PPP systématiquement « off balance sheet » c’est à dire en dehors des comptes publics.

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Petit à petit, Eurostat a modifié son analyse des contrats PPP afin de tendre à un traitement comptable uniforme. De plus en plus, ces contrats ont été considérés par Eurostat comme non conformes au SEC 2010 et devaient dès lors être intégrés dans les comptes publics. Les analyses individuelles (contrat par contrat) s’appuyaient sur des arguments qui n’étaient plus nécessairement en accord avec le Manuel de 2012 sur le déficit et la dette des administrations publiques (le MGDD36). Pourtant, ce manuel reprenait en principe la propre jurisprudence d’Eurostat en la matière. À la demande de plusieurs États membres (dont la Belgique), Eurostat a mis en place un groupe de travail, en collaboration avec le Centre européen d’expertise en matière de PPP37. Ce groupe de travail a listé l’ensemble des clauses qui avaient fondé les décisions débouchant sur l’obligation de mettre certains contrats PPP dans les comptes publics ces dernières années. Les travaux ont abouti à de nouvelles « guidelines » en matière de PPP, reprises dans la publication d’Eurostat de septembre 2016 : « A guide to the statistical treatment of PPPs »38. Ce guide constitue sans conteste une avancée notoire dans l’éclaircissement des règles appliquées par Eurostat dans le classement des PPP. Désormais, c’est sur cette seule base qu’est réalisée l’ana36

E urostat, Manual on Government Deficit and Debt, 2012 edition, Mars 2012.

37

European PPP expertise center.

38

C ette publication est disponible à cette adresse, uniquement en anglais : http:// www.eib.org/epec/resources/publications/epec_eurostat_guide_ppp

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lyse SEC des projets qui lui sont soumis. Les administrations publiques qui conçoivent dorénavant des PPP, peuvent dès lors s’y engager en ayant un maximum de garanties quant à la crainte de voir ces contrats inscrits dans les comptes publics. La publication et la diffusion de ce guide permet de reconsidérer la possibilité du recours à des PPP déconsolidés. Nous en voulons pour preuve la nouvelle attitude d’Eurostat dans ses récents avis désormais favorables à la déconsolidation de tels contrats. Outre le contournement autoroutier de Bratislava, Eurostat a considéré dernièrement que deux PPP flamands étaient déconsolidés39. Ce vendredi 10 février 2017, le ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du Territoire, de la Mobilité et des Transports et du Bienêtre animal Carlo di Antonio a annoncé par communiqué de presse que l’agence statistique européenne avait également validé la déconsolidation du futur tram de Liège, dont les détails sont exposés ci-après.

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Un projet concernant des écoles qui n’en est qu’à un stade précoce et le projet de rehaussement des 15 ponts sur le canal Albert lancé par nv De Scheepvaart.

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L’INVESTISSEMENT PUBLIC

PRODUCTIF N

ous l’avons souligné, les principales instances économiques mondiales plaident pour une relance des investissements, pour autant que ceux-ci soient considérés productifs. En effet, les investissements publics ont un double effet à court et à moyen terme. À court terme, l’injection d’argent dans l’économie, la création d’emplois qui s’ensuit, et le soutien direct à la demande peuvent réamorcer la pompe d’une économie atone. Elle permet ainsi d’enclencher un cercle vertueux qui restaure la confiance des agents économiques. À plus long terme, ces investissements permettent également d’améliorer durablement la productivité d’un pays, par exemple en rendant ses travailleurs plus mobiles, ou encore plus qualifiés, voir même en améliorant leur santé. Ce double effet est d’autant plus fort que la conjoncture est basse et que les besoins d’investissement sont grands. C’est ce qui fait dire à certains que, bien conçus, les investissements publics se « paient tout seuls ».

Un investissement public productif est donc par définition un investissement qui permet d’améliorer globalement la productivité d’un État et sa croissance potentielle. Les principaux secteurs répondant à ce critère sont les infrastructures de communication et de trans-

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port, l’enseignement ou encore l’énergie. En plus de ces priorités évidentes, il faut selon nous y ajouter les hôpitaux, les crèches, ou encore les maisons de repos, parce qu’ils ont un impact direct sur la qualité et la durée de vie de la population.40 À défaut de relever efficacement ces défis, les pouvoirs publics risquent de dégrader sensiblement leurs perspectives de croissance économique. À titre d’exemple, nous constatons que la population wallonne âgée de 75 ans et plus représente aujourd’hui environ 305.000 personnes. En 2025, ils seront 350.000 et en 2060 ce chiffre aura quasiment doublé pour atteindre 592.000 personnes41. Ainsi, sur base d’une étude du Centre fédéral d’expertise sur les soins de santé, le Ministre Maxime Prévot estime que, d’ici 2025, ce sont 6000 à 9000 lits en maison de repos (et de soins) qui devront être créés chaque année pour faire face à la demande42. Y répondre est non seulement un devoir éthique, mais aussi un impératif économique et social : cent lits en maison de repos génèrent entre 45 et 60 emplois. En réalité, le choix d’un investissement doit se fonder sur une évaluation objective de la hiérarchie des besoins immédiats et des effets potentiels sur la productivité. Cette décision doit aussi intervenir en intégrant les évolutions futures de la société. Choisir de ne pas répondre à une problématique inéluctable, comme le vieillissement, pourrait annihiler les gains de productivité réalisés par ailleurs. Finalement, l’impact positif d’un investissement public dépendra aussi de l’efficience avec laquelle il est réalisé, ce que tend à garantir le respect strict de procédures adéquates. 40

Et donc leur productivité

41

http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/perspectives/

42

V oir les questions orales de M. Collignon et de Mme Defrang-Firket à M. Prévot concernant respectivement « la gestion des institutions pour personnes âgées » et « les places dans les maisons de repos », (Doc. parl., Parlement wallon, session 2014-2015, CRIC n° 72, p. 21).

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LE TRAM DE LIÈGE :

UN INVESTISSEMENT PUBLIC PRODUCTIF

D

ès l’été 2008, j’annonçais comme ministre de la Mobilité ma décision d’aménager un réseau structuré de tram à Liège. Malheureusement, ce projet a, depuis lors, connu de nombreux rebondissements en raison du durcissement par Eurostat du traitement des PPP. Par trois fois, cet organisme a rendu un avis négatif sur ce projet, au motif qu’une part trop importante du risque financier incombait in fine à la Région wallonne. Si la Région avait continué la procédure en suivant l’avant dernier avis d’Eurostat, elle aurait dû inscrire dans son budget annuel environ cent millions d’euros pendant quatre ans, et ce, dès 2017. Au total, la valeur de l’investissement initial pour le tram de Liège représente un effort de plus de 380 millions d’euros.

L’option a donc été retenue de relancer une nouvelle procédure en tenant compte de l’ensemble des remarques formulées par Eurostat, en ce compris dans leurs nouvelles « guidelines », afin de pouvoir réaliser ce projet sans affecter la trajectoire budgétaire de la Wallonie. Globalement, une part suffisante de risque est désormais transférée au prestataire privé, ce qu’a confirmé Eurostat dans son ultime avis rendu ce 10 février 2017.

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Malgré les difficultés rencontrées, le projet de tram a été maintenu puisqu’il s’inscrit dans une authentique stratégie de développement économique et territorial. Ainsi, un tracé de 12,5 km reliera Sclessin à Coronmeuse en passant par le centre-ville. Ce tracé peut-être divisé en trois zones : la vallée industrielle de la Meuse, le centre de Liège et les rives du canal Albert. Il permettra donc de relier entre elles des zones aux fonctions très diverses : industrielle, résidentielle, commerciale ou encore événementielle. En outre, grâce aux parkings relais, les automobilistes venus de l’extérieur pourront rejoindre plus facilement le centre-ville. Ce projet de tram vise à remplacer le tronçon de bus le plus fréquenté de Wallonie. Rappelons en effet que le TEC Liège transporte chaque année un tiers des usagers wallons. Ces deux arguments démontrent la nécessité objective de ce projet. Il constitue donc un réel avantage pour le développement durable de la ville de Liège et peut être considéré comme un indiscutable investissement productif. En juin 2016, le Ministre Carlo Di Antonio avait déjà lancé un avis de marché qui tenait compte des remarques d’Eurostat à l’époque43. Trois candidatures ont été reçues à la fin de cette procédure : nn Alstom Transport BV – BAM PPP PGGM nn CAF – Colas – DIF nn Skoda – Vinci – CFE – Meridiam 43

F . Braibant, «Le tram à Liège: c’est reparti», RTBF.be, 24 juin 2016. http:// www.rtbf.be/info/regions/detail_tram-a-liege-c-est-reparti?id=9336375

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À présent qu’Eurostat a validé la déconsolidation du projet, nous pouvons enfin progresser dans sa concrétisation. Le cahier des charges et ensuite les documents de marché en vue de la désignation du consortium qui sera chargé de la mise en œuvre du projet sont soumis au Gouvernement wallon pour approbation par la Société régionale wallonne du transport (SRWT). Le marché devrait être attribué dans le premier semestre de l’année 2018. Il convient de se réjouir de cette importante décision d’Eurostat, qui ouvre de nouvelles perspectives de réalisation de Partenariats public-privé, sans que ceux-ci n’affectent indûment le niveau d’endettement de notre Région.

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LES POUVOIRS LOCAUX :

PREMIERS ACTEURS DES INVESTISSEMENTS PUBLICS

R

appelons que les pouvoirs locaux représentent, en Belgique, environ un tiers des investissements publics. À titre d’exemple, en 2012, ceux-ci ont réalisé près de 3,4 milliards d’euros d’investissements. Répartis sur l’ensemble du territoire, ces investissements ont le mérite d’avoir davantage recours à des prestataires locaux44.

1 | LA DÉCONSOLIDATION LOCALE En Wallonie, les communes et leurs entités consolidées (CPAS, régies communales, zones de secours et de police, …) peuvent emprunter au maximum 180 euros par an et par habitant. Ce montant est porté à 165 euros si elles présentent un déficit à l’exercice propre. Elles peuvent, du reste, reporter les montants non empruntés d’une année à l’autre. 44

B elfius Research, « L’importance des investissements publics pour l’économie », Analyse thématique finances locales, Belfius, mars 2015. https:// www.belfius.be/publicsocial/FR/Media/thema%20analyse%20februari%202015_FR_tcm_30-100232.pdf

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Les emprunts consentis pour réaliser des investissements dans les services d’incendie ou dans les zones de police doivent également être intégrés dans cette balise, alors même que les communes n’ont pas un pouvoir de tutelle sur ces entités. Tel est par exemple le cas de la construction d’une caserne ou de l’achat de véhicules d’intervention. Rappelons que ces deux services de secours relèvent partiellement de la responsabilité financière du niveau fédéral. Dans le cas des zones de secours, leur financement n’est toujours pas réparti équitablement entre le fédéral et les communes, comme le prévoit pourtant la loi du 15 mai 2007 en son article 67, alinéa 2. Faute d’arrêté royal délibéré par le Gouvernement fédéral, cette disposition n’est toujours pas entrée en vigueur. En outre, les zones de police sont aujourd’hui financées par les communes à hauteur de 60 %, contre 40 % à charge du niveau fédéral, tandis que les besoins ne cessent d’augmenter45. Enfin, l’Accord de coopération du 13 décembre 2013 prévoit un mécanisme par lequel le fédéral doit assumer dans sa propre trajectoire budgétaire la part du dérapage des finances communales induite par l’une de ses décisions. Cette part peut d’ailleurs être évaluée par le Conseil supérieur des finances. Il convient dès lors que le Fédéral endosse une partie de l’endettement décidé par les zones de secours et de police.

45

J . Flagothier, Le financement des zones de police locale depuis la réforme : Quelle adéquation entre leurs missions et les ressources disponibles ?, UVCW, décembre 2016. http://www.uvcw.be/no_index/articles-pdf/6743.pdf

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2 | LES PARTICIPATIONS FINANCIÈRES COMMUNALES Sous réserve de l’approbation de la tutelle, nos collectivités locales peuvent octroyer un crédit ou prendre une participation financière dans une activité visant in fine à réaliser un investissement productif au profit de leurs citoyens ou entreprises locales46. Mais la mise hors balise (maximum 180 euros par habitant) est également conditionnée à l’approbation de la tutelle. Celle-ci doit recevoir la preuve que l’entièreté des coûts de l’emprunt est couverte par les recettes nouvelles, qui peuvent prendre la forme de dividendes47. Or, de telles recettes peuvent être incertaines et prendre du temps à se matérialiser. De plus, leur évaluation peut être complexe pour des pouvoirs locaux qui ne disposent pas toujours d’une expertise en la matière. Un tel dispositif d’exemption constitue toutefois une réelle opportunité pour les communes, afin d’accroître leur capacité d’investissement au profit d’initiatives locale. C’est pourquoi, le nombre de 150 exemptions au bénéfice de 55 communes en 2016, y compris pour des travaux visant des économies d’énergie ou la mise aux normes PEB, semble particulièrement modeste.

46

T el serait par exemple le cas d’une commune rurale qui investit dans une supérette afin de maintenir une vie commerciale ou d’une commune qui octroierait un prêt à une maison de repos associative afin d’ouvrir de nouvelles places.

47

E n effet, ces opérations doivent à priori répondre aux critères de l’ICN et d’Eurostat pour le pas affecter le solde de financement des communes en termes SEC. Pour ce faire, l’un des critères principaux est que les pouvoirs publics doivent se comporter comme un « acteur de marché » recherchant une plus value ou, à tout le moins la neutralité financière.

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Afin de conforter certains investissements économiques, nous pensons que les octrois de crédits et prises de participation par les communes doivent être favorisés. En effet, ils permettent de réaliser des investissements productifs et à terme, être sources de revenus supplémentaires pour la commune. Toutefois, les pouvoirs locaux ne doivent pas être entrainés à des prises de risque inconsidérées en vue d’obtenir une éventuelle plus-value financière. Nous demandons dès lors au ministre des Pouvoirs locaux de confier la mission à son administration (DGO5) et à la Cellule d’information financière (CIF) de la Région wallonne de rédiger un projet d’annexe à la circulaire budgétaire afin d’encadrer rigoureusement de tels investissements. La circulaire annexée devrait préciser les conditions de mise hors balise des octrois de crédit et prises de participation des communes financés par l’emprunt. Une fois le cadre réglementaire connu, les experts de la CIF se verraient confier une mission d’accompagnement et de contrôle, afin de permettre aux communes de retenir des dossiers financièrement justifiés. La CIF rendrait également un avis de conformité sur l’ensemble des demandes de mise hors-balise dans le cadre d’octrois de crédit ou de prises de participation.

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3 | UNE FIXATION DES BALISES PLUS CONFORME À LA SANTÉ FINANCIÈRE DES COMMUNES Bien sûr la balise de 180 euros vise légitimement à garantir la santé financière des communes. Toutefois, elle présente le désavantage de ne pas tenir compte de la situation spécifique de chaque entité. Certaines d’entre elles jouissent d’une assise financière suffisante pour emprunter au-delà de ce montant, sans que cela ne soit problématique. Comment justifier, en effet, qu’une commune dont les finances sont structurellement en boni ne puisse pas utiliser cet argent pour rembourser davantage d’emprunts, afin de financer des besoins élémentaires comme des écoles, des crèches ou encore des voiries ? Nous voulons donc assouplir la balise de 180 euros par habitant, en intégrant les capacités de remboursement supplémentaires de certaines communes, consécutives à leur bonne santé financière. Afin de consolider la capacité d’investissement des communes, plusieurs mesures s’imposent : nn L ’instauration d’une règle stricte de respect de l’équilibre à l’exercice propre, capital et intérêts compris. Une telle balise combine la clarté et la simplicité de la règle actuelle, tout en tenant compte de la capacité réelle d’emprunt de chaque commune ; nn L ’immunisation totale ou partielle des dépenses d’investissement que les communes sont contraintes d’effectuer au bénéfice des zones de secours ou de police. Concrètement, deux pistes sont possibles : Ces investissements devraient, en tout ou en partie, être imputés

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au niveau fédéral, puisqu’il partage avec les communes une responsabilité financière à leur égard ; L es emprunts visant à financer ces investissements pourraient également être déconsolidés au prorata des parts communales dans les zones de secours, et donc ne pas rentrer en ligne de compte dans le calcul du respect de la balise de 180 euros. Ainsi, les zones de police et de secours pourraient être qualifiées de manière autonome au niveau comptable. Concrètement, une catégorie intermédiaire serait prévue au niveau comptable à côté des pouvoirs locaux, fédérés et fédéral, qui dès lors n’affecterait plus la balise de 180 euros;

nn L a rédaction par la DGO5 et par la CIF d’un projet d’annexe à la circulaire budgétaire visant à préciser les conditions de mise hors-balise des octrois de crédit et prises de participation financées par l’emprunt; nn L ’accompagnement des communes par la CIF dans le cadre de la rédaction des demandes de mises hors balise auprès de la tutelle; nn L a rédaction par la CIF d’un avis destiné à la tutelle concernant toutes les demandes de mise hors balise dans le cadre d’octrois de crédit ou de prises de participation financés par l’emprunt.

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CONCLUSION :

RELANCER L’INVESTISSEMENT PUBLIC POUR FAVORISER LA CROISSANCE

L

a Wallonie doit relever de nombreux défis importants. En effet, notre région doit assumer les charges du passé, favoriser l’activité économique au présent et, enfin, assurer le bien-être des générations futures. En ce sens, l’assainissement budgétaire afin de retrouver l’équilibre recettes/dépenses courantes est un exercice difficile, mais indispensable. Complémentairement, la Wallonie doit digérer les effets de la sixième réforme de l’État dont certains aspects doivent encore se déployer, par exemple en matière de financement des hôpitaux. Enfin, cette même sixième réforme de l’État organise un mécanisme de transition selon lequel les montants transférés à la Wallonie au titre de la solidarité entre les différentes composantes de l’État seront maintenus en valeur nominale pendant dix ans. Durant la décennie suivante, ces montants diminueront de 10 % chaque année, jusqu’à leur extinction. Dans ce contexte, l’adoption d’une seule vision à court terme condamnerait la Wallonie à la stagnation. L’assainissement de nos finances publiques ne peut en aucun cas justifier une attitude passive face aux nombreux défis qui s’annoncent.

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Malgré la crise économique persistante et les nouvelles difficultés institutionnelles, nous devons nous montrer volontaristes et ambitieux. En effet, la faiblesse des taux d’intérêt, l’étendue des besoins collectifs non rencontrés, les recettes qu’ils génèrent et la qualité de la main-d’oeuvre disponible sont autant d’atouts indiscutables dont dispose la Wallonie. Ceux-ci laissent entrevoir qu’ici peut-être plus qu’ailleurs, une relance ciblée des investissements publics productifs porterait ses fruits, tant à court qu’à moyen terme. Comme le démontre la position unanime des instances politiques internationales, la question n’est plus aujourd’hui celle de l’opportunité économique, mais celle de la construction d’une volonté politique commune au niveau régional, national et européen afin de relancer les investissements publics. Les prescrits européens conditionnent près de 80 % de nos législations nationales et régionales, c’est donc bien à ce niveau que les mesures les plus fortes doivent être décidées. D’une part, il est nécessaire de réformer les règles budgétaires européennes, afin de les rendre compatibles avec de nouveaux investissements publics. Ainsi, la méthode de calcul des objectifs de moyen terme doit tenir compte des coûts du vieillissement et, au minimum, des montants nécessaires au maintien des infrastructures existantes. En outre, ces objectifs doivent correspondre à la réalité économique, en s’assouplissant en période de basse conjoncture et en étant plus fermes lorsqu’elle s’améliore. Au delà des règles budgétaires, le traitement comptable des investissements doit également évoluer. L’exigence actuelle d’inscription des dépenses d’investissement au moment de leur paiement est un non-sens économique qui doit céder la place à une logique d’amortissement, capital et intérêts. Par ailleurs, comment comprendre que les contributions nationales au Plan Juncker soient immunisées du solde de financement, alors que ce n’est pas le

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cas de celles consenties pour d’autres outils européens, comme les programmes de compétitivité et de convergence, le Fonds social européen, ou encore les projets sélectionnés par la BEI ? À notre estime, cette logique d’immunisation devrait être élargie à tous les co-financements européens et à une liste d’investissements prioritaires, notamment en matière d’énergie, de transport, d’éducation, ou encore de logement. En ce qui concerne l’autorité fédérale, nous nous réjouissons de l’annonce par Charles Michel d’un Pacte national d’investissements. Nous déplorons cependant que des mesures concrètes tardent à venir et l’invitons à joindre l’acte à la parole, tant les besoins sont énormes. Sans attendre, nous demandons que la répartition paritaire du financement des zones de secours devienne réalité, en ce compris les investissements dans ces dernières. Le matériel et les infrastructures dont elles ont besoin sont onéreux. Les communes ne peuvent y faire face seules ! De même, il serait logique que le pouvoir fédéral supporte une part plus grande des investissements consentis par les zones de police. Si nécessaire, cette participation pourrait prendre la forme d’une catégorie comptable distincte pour les zones de secours et de police. Au niveau de la Région wallonne, soulignons que la récente décision d’Eurostat concernant la déconsolidation du tram de Liège ouvre de nombreuses perspectives, tout comme la publication d’un nouveau manuel tendant à clarifier le traitement comptable des PPP. Nous devons dès à présent nous saisir de l’évolution de l’approche européenne, afin de réaliser de nouveaux investissements au travers de PPP, que ce soit en matière d’infrastructures de transport ou, par exemple, de maisons de repos. Rappelons également que la Région dispose de la tutelle sur les pouvoirs locaux, qui réalisent en Wallonie presque autant d’investissements que cette dernière. Si la balise d’emprunt de 180 euros vise un objectif légitime de santé financière pour les communes,


elle ne prend pas en compte les spécificités de chacune d’entre elles. C’est pourquoi, plutôt qu’un montant unique, nous affirmons que la règle stricte du respect de l’équilibre à l’exercice propre, capital et intérêts compris, constitue une exigence comptable plus efficace et plus adaptée. Enfin, les communes ne recourent pas encore suffisamment à l’outil des « octrois de crédit et prises de participation », qui leur est pourtant accessible, sous réserve de l’approbation par la tutelle. Les emprunts contractés à cette fin peuvent d’ailleurs être mis hors-balise à certaines conditions. Afin d’encourager ce type d’opérations, nous suggèrons la rédaction par la DGO5 et la CIF d’une proposition d’annexe à la circulaire budgétaire, visant à préciser les conditions de la mise hors-balise. Outre un rôle d’accompagnement des communes, la CIF doit également se voir investie d’une compétence d’avis pour chaque demande introduite en cette matière. Pour conclure, il nous faut plus que jamais redoubler d’efforts afin de convaincre nos partenaires et les instances européennes, comme le souligne l’OCDE, qu’une politique de relance intelligente et coordonnée des investissements publics est la condition d’une croissance partagée. En effet, l’effort collectif de relance des investissements publics est de nature à surmonter les craintes individuelles, qui aboutissent aujourd’hui à des niveaux d’épargne trop élevés et néfastes pour l’économie, tant dans le chef des particuliers que des entreprises. Panne ou manne d’investissements, ce numéro des Cahiers de la Présidence plaide avec raison pour privilégier la seconde voie.

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DÉCOUVREZ AUSSI... TRAITÉS DE LIBRE ÉCHANGE OU TRAITÉ LIBRE ET CHANGE ? L’intérêt que les citoyens européens et wallons ont porté au dossier CETA démontre qu’après la mondialisation économique, l’heure est à la mondialisation politique et citoyenne. Le Parlement a récemment décidé d’inscrire à son agenda trois traités en cours de conclusion ou d’adoption : le TISA, le traité UE-Vietnam et le traité UE-Colombie/ Pérou. Aussi, souhaitant vous informer à leur sujet, je vous invite à découvrir cet ouvrage.

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L’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : UNE SOLIDARITÉ RESPONSABLE Cet ouvrage, largement documenté, s’attelle à dresser un état des lieux des plus réalistes de la situation migratoire et de son cadre légal. L’objectif est tout d’abord d’informer le citoyen en permettant à tout un chacun de se forger une opinion allant au-delà des idées reçues et des peurs irrationnelles qui accompagnent trop souvent les flux migratoires...

LE LIVRE NOIR DES COMMUNES Elu mandataire local depuis près de 25 ans et Bourgmestre de Perwez depuis 2001, j’ai vécu et suivi l’évolution des missions de nos entités communales. Les réformes politiques successives intervenues dans notre pays ont progressivement mis à mal les moyens nécessaires à la poursuite de ces objectifs. Les défis que nos municipalités doivent relever sont de plus en plus nombreux et contraignants sans plus aucune garantie financière...

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TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS................................................................. 3 LA DETTE DE LA WALLONIE.............................................. 7 ETAT DES LIEUX DES INVESTISSEMENTS EN BELGIQUE ET EN EUROPE................................................................. 11 NÉCESSITÉ DE RELANCER LES INVESTISSEMENTS PUBLICS : UN CONSENSUS TOUJOURS PLUS LARGE.................... 23 VERS UN ASSOUPLISSEMENT DES NORMES SEC 2010 OU DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE ?....... 33 LE CAS PARTICULIER DES PARTENARIATS PUBLIC/ PRIVÉ................................................................................ 41 L’INVESTISSEMENT PUBLIC PRODUCTIF................... 47 LE TRAM DE LIÈGE : UN INVESTISSEMENT PUBLIC PRODUCTIF...................................................................... 51 LES POUVOIRS LOCAUX : PREMIERS ACTEURS DES INVESTISSEMENTS PUBLICS.......................................... 55 CONCLUSION : RELANCER L’INVESTISSEMENT PUBLIC POUR FAVORISER LA CROISSANCE............................... 63 DÉCOUVREZ AUSSI......................................................... 69


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